Vingt-quatrième session

Compte rendu analytique de la 502e séance

Tenue au Siège, à New York, le vendredi 26 janvier 2001, à 10 h 30

Présidente :Mme Abaka

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 18 de la Convention (suite)

Deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques de la Jamaïque

La séance est ouverte à 10 h 45.

Examen des rapports soumis par les États partiesen application de l’article 18 de la Convention (suite)

Deuxième, troisième et quatrième rapportspériodiques de la Jamaïque (CEDAW/C/JAM/2 à 4)

À l’invitation de la Présidente, M me  Simms (Jamaïque) prend place à la table du Comité.

M me  Simms (Jamaïque), présentant les deuxième, troisième et quatrième rapports de la Jamaïque, dit qu’ils ne rendent pas compte de toutes les réalisations et de toutes les réalités actuelles auxquelles le pays est aujourd’hui confronté.

Les femmes de la Jamaïque font toujours face à des défis importants dans de nombreux domaines. Alors que son pays dispose d’un impressionnant arsenal juridique interdisant la discrimination, sa mise en œuvre se heurte au contexte des comportements traditionnels à l’égard des femmes qui sont propres aux sociétés patriarcales. En conséquence, une révision de la législation a été demandée pour corriger certains déséquilibres et inégalités présents dans les textes de loi afin de les mettre en conformité avec la pensée contemporaine et la nouvelle sensibilisation au rôle des femmes dans la société, et harmoniser les lois locales touchant directement à la promotion et à la protection des droits de femmes avec les normes établies par les conventions internationales.

L’une des contradictions majeures de la société jamaïcaine est qu’en dépit du niveau élevé de qualification des femmes, elles occupent peu de postes de responsabilités et d’influence dans les structures formelles de l’environnement politique. Bien que le Président du Sénat et le Président de la Chambre soient des femmes, seuls deux des 17 membres du Cabinet et huit des 60 membres du Parlement sont des femmes. Partant, la représentation équitable des femmes dans la vie politique constitue toujours à défi à relever.

Le Gouvernement a besoin du soutien total de la société civile pour modifier la culture politique qui s’est développée depuis l’indépendance. C’est pourquoi il est encourageant de voir que la Réunion politique des femmes de la Jamaïque, organisation non gouvernementale, déploie des efforts positifs pour favoriser la participation active d’un plus grand nombre de femmes au processus politique. Un autre point positif est le fait que quelque 30 % des postes à responsabilités du Gouvernement sont occupés par des femmes, une situation qui mériterait d’être imitée par le secteur privé où les femmes ne détiennent pas plus de 10 % des postes de cadre supérieur.

La pauvreté continue de concerner tous les aspects de la vie des femmes. En conséquence le Gouvernement a fait de l’éradication de la pauvreté une priorité nationale et il a lancé un certain nombre de programmes visant à résoudre ce problème, s’attachant notamment aux femmes rurales et urbaines et au personnel domestique qui est généralement le plus marginalisé de l’économie.

La stratégie en faveur d’une intégration plus large des femmes dans le secteur du tourisme bénéficie du soutien du Gouvernement. Toutefois, le tourisme sexuel, la prostitution et l’exploitation sexuelle des jeunes filles représentent toujours de formidables défis à relever.

S’agissant de l’éducation, elle dit que des percées significatives ont été réalisées grâce au renversement des stéréotypes traditionnels touchant aux rôles dévolus à chaque sexe, notamment pour ce qui concerne le maintien des filles à l’école. Actuellement le nombre des femmes est supérieur à celui des hommes au niveau de l’enseignement supérieur ainsi que dans les facultés de droit et de médecine et dans les professions traditionnellement à dominance féminine. Toutefois les femmes rencontrent toujours des difficultés pour trouver un emploi à la mesure de leurs qualifications.

Concernant la santé des femmes, l’intervenante fait observer une réduction sensible de la mortalité maternelle et infantile. En outre les efforts pour la prévention du cancer ont été renforcés et la prévention des maladies sexuellement transmissibles a été intégrée dans les services de planification familiale.

La question du VIH/sida réclame cependant une attention spéciale car les femmes contractent la maladie à un rythme plus rapide que les hommes, et les jeunes filles appartenant au groupe d’âge des 10-19 ans semblent plus susceptibles d’être infectées que n’importe quel autre groupe. Quelques-uns des facteurs de la propagation de la maladie sont les rapports sexuels non protégés et/ou avec des partenaires multiples.

Le Gouvernement a également réalisé des progrès significatifs quant à la résolution du problème de la violence dans la famille et de la violence fondée sur le sexe. Néanmoins il demeure préoccupé par le nombre élevé de crimes et d’actes de violence. Un certain nombre de mesures ont été prises pour y faire face, y compris des unités d’enquête sur les viols établies dans les centres urbains les plus importants, un programme d’aide aux victimes et une fondation chargée de la résolution des conflits. Le Gouvernement accorde également des subventions à un certain nombre d’organisations non gouvernementales qui fournissent des services dans ce domaine. En outre une campagne interinstitutions sur la violence à l’égard des femmes et des filles ainsi qu’une campagne d’éducation sur l’inceste viennent d’être lancées. Afin de régler différents aspects de la violence fondée sur le sexe, la loi sur la violence dans la famille, la loi sur les délits contre la personne et la loi sur l’inceste (répression) sont en cours de révision et actuellement on examine la possibilité d’une loi sur le harcèlement sexuel. La vie des femmes s’est vue facilitée grâce à l’électrification des campagnes, l’accès au réseau téléphonique et à d’autres technologies modernes, et l’accès à des réseaux routiers et de fourniture d’eau de meilleure qualité.

Néanmoins, tous les efforts du Gouvernement sont contrariés par les questions primordiales de l’ajustement structurel, de la mondialisation et de la charge croissante représentée par le service de la dette. Il conviendrait qu’il redouble d’efforts pour trouver des moyens créatifs et collectifs de créer une synergie autour de toutes les ressources de manière plus stratégique, afin que les membres de la société les plus opprimés, les plus marginalisés et les plus pauvres puissent participer de manière significative au processus de développement et de changement. Cette stratégie tournée vers l’avenir aboutira, espérons-le, à un moment où chaque femme de la Jamaïque aura conscience qu’elle dispose d’une certaine autonomie et de choix effectifs. L’intervenante assure le Comité que son gouvernement entend se montrer à la hauteur de son engagement à l’égard de la Convention (CEDAW). Des plans ont été mis sur pied pour préparer la ratification du Protocole facultatif.

Observations générales

La Présidente remercie l’experte de la Jamaïque et dit que la présentation orale a été encourageante à de nombreux égards.

M me  Ferrer Gomez félicite le Gouvernement jamaïcain de sa volonté politique de mettre en œuvre la Convention et de sa participation à toutes les manifestations et conférences internationales concernant la promotion des femmes. Elle comprend tout à fait la difficulté de lutter contre les effets préjudiciables aux femmes des programmes d’ajustement structurel, de la crise de la dette et de la réduction des dépenses sociales en résultant. Faisant observer que 47 % des familles sont dirigées par des femmes seules et que 30 % de ces familles vivent en dessous du seuil de pauvreté, elle demande quel pourcentage de femmes a bénéficié des programmes d’éradication de la pauvreté. Dans les réponses que la Jamaïque a apportées à la liste de questions on peut lire que le projet de lutte contre la pauvreté urbaine est poursuivi jusqu’en 2002, mais aucune autre information n’a été apportée quant à la durée des autres projets et programmes cités. Des informations supplémentaires permettront au Comité de se faire une idée plus précise sur les efforts du Gouvernement pour lutter contre la pauvreté et ainsi savoir si les plus touchés, dont la majorité écrasante sont des femmes, sont bien ciblés par ces mesures.

Elle exprime sa surprise quant au fait que le Bureau des affaires féminines relève également du Ministère du tourisme et des sports. La responsabilité de deux portefeuilles majeurs que sont le tourisme et la promotion des femmes implique une charge considérable pour le Ministère. Compte tenu de l’ampleur de la tâche et des obligations internationales du Gouvernement, elle se demande si celui-ci a envisagé de mettre en place une unité séparée pour les questions relatives aux femmes. Faisant observer qu’une étude a été réalisée sur l’intégration des sexospécificités dans la politique du Gouvernement, elle demande si une décision a été prise à propos des mécanismes institutionnels en vertu desquels la Commission sur les femmes et l’équité sociale s’apprête à travailler.

Elle prie instamment le Gouvernement d’intégrer une démarche soucieuse de l’égalité entre les sexes dans les programmes de chaque ministère afin que les femmes deviennent des protagonistes et des bénéficiaires de tous les programmes gouvernementaux. S’agissant de la question 14 de la liste, elle se demande si la liste de vérification pour la surveillance du problème de parité des sexes établie par la Commission préparatoire nationale de la Jamaïque a été remplacée par une version plus récente. Pourquoi cela n’apparaît-il pas? Elle souhaite connaître les mesures de sensibilisation qui ont été prises pour lutter contre les préjugés à l’égard des femmes et modifier les représentations culturelles traditionnelles profondément ancrées dans la société ainsi que les stéréotypes fondés sur le sexe. Il serait particulièrement important que le Comité soit au fait des actions prévues par le Gouvernement à partir de 2001.

M me  González félicite le Gouvernement jamaïcain d’avoir retiré sa réserve préalable à l’article 9 de la Convention. Faisant observer que la Jamaïque a toujours manifesté une volonté politique d’améliorer et de renforcer la situation des femmes et de s’acquitter de ses engagements internationaux, politiques et juridiques à cet égard, elle exprime ses préoccupations quant au fait que les problèmes économiques, financiers et de développement ont contraint la Jamaïque à adopter des mesures d’austérité. Les femmes, et notamment les femmes chefs de famille, ont été les principales victimes de ces mesures. Néanmoins, en dépit de ces difficultés, les femmes jamaïcaines sont parvenues à une certaine prospérité, parfois grâce à l’aide formidable d’organisations non gouvernementales venues soutenir les politiques et programmes proactifs du Gouvernement. Il conviendrait maintenant que s’établisse un meilleur équilibre au niveau de l’interaction entre le Gouvernement et la société civile, notamment les organisations non gouvernementales. Elle est curieuse de savoir si ces dernières ont également participé à la préparation des rapports et des réponses de la Jamaïque.

Elle se félicite de la prochaine révision de la législation visant à en supprimer les dispositions discriminatoires. Quant la violence, elle partage la préoccupation relative au fait que les incestes sont souvent tus mais fait l’éloge des programmes engagés pour lutter contre la violence sous toutes ses formes. Le rapport périodique et les réponses du Gouvernement à la liste de questions du groupe de travail présession traduisent une sensibilisation à la nécessité d’enrayer les deux aspects majeurs de la violence à l’égard des femmes – la violence fondée sur le sexe dans la sphère publique et dans la sphère privée – qui est la racine de tous les actes de violence dans la société. Les organisations non gouvernementales ont joué un rôle majeur dans la lutte contre la violence, et il conviendrait maintenant de renforcer l’action gouvernementale, en prêtant une attention particulière aux problèmes tels que les sévices sexuels et la prostitution, y compris celle des mineurs. La croissance du tourisme constitue une menace sérieuse en termes de tourisme sexuel et il conviendrait de prendre des mesures de prévention.

M me  Kwaku exprime sa préoccupation constante sur le fait qu’aux termes de la Constitution la discrimination fondée sur le sexe n’est toujours pas un cas permettant d’engager une action devant les tribunaux, et elle demande où en est le projet d’amendement à cette section dont il est question dans les réponses de la Jamaïque à l’article premier. Elle souhaite également savoir quelle action le Bureau des affaires féminines compte engager pour amender ou abroger d’autres lois reconnues discriminatoires à l’égard des femmes, telles que la loi de 1942 sur les femmes (emploi).

M me  Hazelle dit que, pour sa part, elle espère aussi que le projet de révision législative inclura un amendement au chapitre pertinent de la Constitution, notamment si la Jamaïque envisage de signer et de ratifier le Protocole facultatif. Elle demande une clarification concernant la déclaration selon laquelle la majorité des foyers pauvres sont dirigés par des hommes, ce qui semble inhabituel dans le contexte sous-régional, et fait remarquer l’absence du tableau 1.3 à cet égard.

S’agissant de la loi de 1975 sur l’emploi (égalité de salaire pour les hommes et les femmes) et de la loi sur les congés de maternité, elle demande quelles amendes sont prévues pour les infractions aux dispositions desdites lois, et si elles sont suffisantes pour avoir un effet dissuasif. Le fait qu’aucune contestation n’ait été déclarée peut aussi être imputé à la crainte de représailles de la part des employeurs. Elle aimerait avoir des chiffres sur le nombre d’affaires examinées selon la procédure de médiation concernant des plaintes de violation de la loi sur l’emploi. Elle se demande si des dispositions ont été prises pour assurer que les femmes rurales et le personnel domestique en particulier soient pleinement conscients de leurs droits en vertu de ces lois, et dans quelle mesure le Bureau des affaires féminines vient en aide à l’Association du personnel domestique de la Jamaïque pour sensibiliser ce groupe de salariés. Des explications sont demandées quant à la différence entre le congé de maternité auquel le personnel domestique a droit et l’allocation de maternité qui leur est due au titre du programme national d’assurance.

Il serait utile d’avoir des informations sur la zone de libre-échange de la Jamaïque, notamment sur la question de savoir si le Bureau des affaires féminines y supervise les conditions du marché du travail et engage des actions de sensibilisation et de formation sur des questions telles que l’emploi des femmes, la santé et la violence dans la famille. Elle aimerait savoir si des entreprises installées dans la zone de libre-échange font venir des travailleurs de l’étranger qui bénéficient de la même protection professionnelle que les ressortissants de la Jamaïque, et si leurs conditions de travail font l’objet d’un contrôle. Existe-t-il un régime de sécurité sociale spécifique et, si tel est le cas, de quelle manière le personnel domestique bénéficie-t-il d’une couverture sociale?

S’agissant de la loi de 1962 sur la réglementation des passeports, elle exprime sa préoccupation quant à la pratique qui interdit à une femme mariée d’obtenir un passeport en son nom propre à moins qu’elle ne prouve cette nécessité à des fins professionnelles, auquel cas son nom de jeune fille sera suivi de « épouse X ». Elle demande si cette exigence s’applique également aux hommes et espère que ce point sera examiné dans le cadre de la révision législative.

Il serait intéressant de savoir de quelle manière le Bureau des affaires féminines est impliqué dans le système de gestion des questions sexospécifiques établi au sein du Ministère de la santé, et dans quelle mesure d’autres services gouvernementaux et organisations non gouvernementales sont impliqués dans le programme relatif audit système. Elle souhaite savoir en quoi consistent les vides juridiques de la loi sur la violence dans la famille mentionnés dans la réponse à la question 8, et s’il y sera remédié lors de la révision législative. Elle se félicite de l’inclusion de la « traque » (harcèlement pathologique) dans les dispositions de la loi de 1996 sur la violence dans la famille. Elle se demande si la Jamaïque envisage de ratifier la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre les femmes de l’Organisation des États américains (OEA). Il serait utile d’examiner les articles 7 et 8 de cette convention et leur incorporation dans les textes de loi nationaux au cours de la révision législative programmée. À cet égard, elle fait remarquer avec intérêt la Campagne interinstitutions contre la violence à l’égard des femmes et des filles menée par le Bureau des affaires féminines. Elle demande si la campagne de sensibilisation des membres de la magistrature à la question de la violence a eu des répercussions, si des cas ont fait l’objet de déclarations et s’il existe des projets d’organisation d’autres campagnes, par exemple chez les fonctionnaires de police. Il serait intéressant de savoir si le personnel du Bureau des affaires féminines a participé aux séminaires de formation subrégionaux destinés aux fonctionnaires de police, aux travailleurs sociaux et au personnel éducatif et de santé.

La violence, telle que le viol sur mineure et l’inceste, continue d’être préoccupante. L’intervenante salue l’initiative du Bureau des affaires féminines de diffuser une vidéo éducative sur l’inceste, mais demande pourquoi aucun des cas d’inceste rapportés n’a été éclairci. Elle s’interroge sur le soutien apporté par le Bureau des affaires féminines aux organisations non gouvernementales dans le cadre de leur coopération pour lutter contre la violence.

S’agissant des réponses à la question 10, elle aimerait connaître les recommandations formulées par le Comité directeur et savoir si la Commission sur les femmes et l’équité sociale est désormais établie, et si tel est le cas, la manière dont elle fonctionne, et être informée de sa relation avec le Bureau des affaires féminines. Enfin elle demande une copie de la liste de vérification pour la surveillance du problème de la parité des sexes dont il est question dans la réponse à la question 14, et qui a été oubliée à l’annexe.

La Présidente, s’exprimant en son nom propre, salue les progrès réalisés en termes de santé de la femme, mais elle demande pourquoi si peu de femmes profitent actuellement des dispositifs prénataux et postnataux. Il est très intéressant de noter que 30 % des postes de cadre supérieur sont maintenant occupés par des femmes. S’agissant du problème du VIH/sida, elle demande si le préservatif féminin est abordable pour toutes les femmes; il ne devrait pas être plus cher que les préservatifs masculins. En raison de la féminisation de la pauvreté dans de nombreux pays, il n’est pas rare que des parents encouragent leurs filles à améliorer le revenu familial par la prostitution. Compte tenu du fait que le Bureau des affaires féminines dépende du Ministère du tourisme et des sports, et de la connexion existant entre le tourisme et la prostitution, elle préconise que non seulement les filles mais aussi les parents soient ciblés dans les programmes de lutte contre la prostitution. Elle espère également pour sa part que les mécanismes sont déjà en place dans la zone de libre-échange pour assurer que les femmes se trouvent en position de force pour négocier et récoltent les fruits du transfert de technologie.

M me  Schöpp-Schilling dit qu’elle souhaite s’associer aux observations positives émises par d’autres membres du Comité sur la mise en œuvre de la Convention en Jamaïque. Elle regrette cependant qu’il n’existe aucune définition de l’expression « discrimination à l’égard des femmes » dans la législation jamaïcaine. De surcroît, alors que la Jamaïque a ratifié la Convention en 1981, elle se devait d’adopter des textes de loi interdisant formellement la discrimination, ainsi que le requiert l’article 2 de la Convention, ou de modifier quelques lois en vigueur qui étaient discriminatoires. Elle demande à quoi est due l’absence de progrès dans ce domaine. On ne peut certainement pas l’imputer aux contraintes financières, car la révision législative, à l’opposé des programmes sociaux, est relativement peu coûteuse à mettre en œuvre. Elle se demande dans quelle mesure le Bureau des affaires féminines est en mesure d’exercer une certaine pression sur le Gouvernement pour qu’il procède aux changements requis.

Elle salue la proposition de rendre passibles de poursuites pénales les violations des dispositions constitutionnelles relatives à la non-discrimination pour des motifs fondés sur le sexe. Le Gouvernement devrait également envisager d’incorporer une disposition établissant l’obligation de l’État de promouvoir l’égalité des hommes et des femmes. Une mesure de cette nature ouvrirait la voie à l’adoption des mesures spéciales temporaires prévues à l’article 4 de la Convention. Dans ce contexte elle fait observer que les initiatives telles que les formations de sensibilisation aux sexospécificités et la prise en compte d’une démarche soucieuse de l’égalité entre les sexes, bien que positives, ne sont pas des mesures spéciales temporaires. L’utilisation dans le rapport et d’autres documents de l’expression « discrimination positive » risque de provoquer une réaction brutale compte tenu des connotations négatives du terme « discrimination ».

Elle est satisfaite de noter que les femmes occupent 30 % des postes de cadre supérieur dans le secteur public. Il serait intéressant de savoir si le Gouvernement a eu recours aux quotas pour atteindre ce chiffre. La situation est moins satisfaisante dans le secteur privé où les femmes occupent seulement 10 % de ces postes. S’il s’agit d’améliorer leur situation, le Gouvernement doit proposer des incitations aux entreprises privées pour qu’elles utilisent plus efficacement la population féminine de la Jamaïque qui a reçu une éducation supérieure. Il est également nécessaire d’organiser des formations de sensibilisation aux sexospécificités dans le milieu syndical où les femmes sont sous-représentées aux postes de haut niveau, et il est important que les hommes et les femmes soient équitablement représentés dans les organes consultatifs du Gouvernement.

Elle est préoccupée du fait que les organisations non gouvernementales de la Jamaïque, qui effectuent un excellent travail, offrent des services aux femmes qui relèvent normalement du Gouvernement. Elle demande si ces organisations reçoivent des subventions du Gouvernement, à la fois sur un plan institutionnel et prévisionnel, et met en garde contre une dépendance excessive de l’aide financière internationale comme source de financement. Enfin elle s’interroge sur le nombre de femmes employées dans le secteur du tourisme, les postes qu’elles y occupent et les rémunérations qui leur sont versées.

M me  Simms (Jamaïque) dit que l’identification et la modification des lois qui constituent une discrimination à l’égard des femmes demandent un appareil institutionnel national fort qui manquait à la Jamaïque à l’époque de la ratification de la Convention mais qui est actuellement en cours d’instauration. Le Bureau des affaires féminines a réalisé une analyse par sexe complète de tous les textes de loi jamaïcains, y compris de la Constitution et des lois citées par Mme Hazelle et Mme Kwaku. Elle souligne la qualité du processus et la participation des femmes au niveau local, ce qui crée un précédent significatif. Un rapport contenant un certain nombre de recommandations issues de la révision de la loi sur la violence dans la famille sera prochainement présenté au Cabinet. La Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre les femmes, adoptée par l’OEA, est en attente de ratification.

Le Gouvernement est fier de son partenariat avec des organisations non gouvernementales, y compris l’Association du personnel domestique de la Jamaïque, qui représente une source précieuse de données sur la question des femmes. Le soutien qu’elle apporte va de l’aide financière au renforcement des capacités, ce qui est vital pour l’établissement d’organisations efficaces et démocratiques au sein de la société civile.

La Jamaïque a été le premier pays de la région à faire en sorte que toutes les données statistiques officielles soient ventilées par sexe et à publier des indicateurs relatifs à l’égalité des sexes. Il est toutefois nécessaire de veiller à ce que l’Institut de la statistique de la Jamaïque tienne davantage compte des phénomènes qui affectent l’objet de la mesure lorsque sont définies les données à collecter. Les données statistiques indiquant qu’un grand nombre de foyers pauvres sont dirigés par des hommes reflètent bien la réalité à la Jamaïque.

Les femmes de la Jamaïque doivent surmonter les définitions traditionnelles du travail des femmes et du rôle qui leur est dévolu au sein de la société. En réalité, il existe bien une résistance profonde à l’égalité entre les hommes et les femmes. Il faudrait davantage d’éducation publique, notamment pour combattre l’inégalité au sein de la famille.

Le transfert de la responsabilité des affaires féminines du Ministère du travail et de la sécurité sociale au Ministère du tourisme et des sports n’est pas le signe d’un moindre engagement de son gouvernement en faveur des femmes. Elle considère le changement comme une opportunité d’établir des liens plus étroits entre le Bureau des affaires féminines et le secteur du tourisme qui emploie un grand nombre de femmes. Le Bureau des affaires féminines a déjà organisé des ateliers sur le harcèlement sexuel pour l’industrie hôtelière. Il faut espérer que la préoccupation du secteur privé quant à ce phénomène incitera le Gouvernement à présenter un projet de loi sur ce sujet.

Le nombre de salariés travaillant dans la zone de libre-échange est en baisse car les entreprises délocalisent leurs activités en dehors de la Jamaïque bien que la majorité de ces salariés soit toujours des femmes. Les salariés de la zone de libre-échange ne sont pas syndiqués. Dès lors, le Bureau des affaires féminines travaille avec elles non seulement pour améliorer leurs revenus mais également sur les questions de santé. Le Gouvernement prend en considération les conditions dans lesquelles les travailleurs étrangers seront employés avant de les autoriser à entrer en Jamaïque pour occuper un poste dans la zone de libre-échange.

La Déclaration de politique nationale concernant les femmes fait état du projet d’organiser des formations de sensibilisation aux sexospécificités pour les secrétaires permanents et autres fonctionnaires ministériels de haut niveau, mettre en place des comités interministériels en charge des questions de parité et créer des bureaux de coordination des femmes au sein des ministères. Des ressources importantes ont été affectées à la mise en œuvre de ces initiatives mais il s’est avéré qu’elles n’étaient pas pérennes. Une analyse critique effectuée par le Bureau des affaires féminines a montré notamment que beaucoup des personnes désignées comme coordinateurs n’avaient pas l’autorité nécessaire pour opérer des changements réels. Le Bureau des affaires féminines a alors décidé de tenter une démarche différente. Dans un premier temps il a demandé à l’Institut jamaïcain de la planification de veiller à ce que la prise en compte des sexospécificités se traduise dans tous les projets de développement. Il collabore également avec le Ministère de la santé sur le système de gestion des questions sexospécifiques et a établi un comité avec la participation du Ministère des finances pour assurer que les ressources nécessaires à cette initiative soient bien mises à disposition.

Des organisations non gouvernementales sont impliquées dans toutes les activités du Bureau des affaires féminines. Leurs représentants interviennent dans le cadre des efforts engagés pour mobiliser les femmes tant dans les villes qu’en dehors des villes. La collaboration entre les organisations non gouvernementales et le Bureau des affaires féminines représente un vrai partenariat digne de ce nom.

Un comité directeur a été créé pour conseiller le Gouvernement sur l’établissement de la Commission relative aux femmes et à l’équité sociale.

Le Bureau des affaires féminines examine avec soin le problème du tourisme sexuel, notamment ce qu’on appelle en Jamaïque les « salons de massage », les entraîneuses qui dansent et se déshabillent dans les cabarets et chantent des chansons irrespectueuses à l’égard de la gente féminine. Il se préoccupe non seulement des jeunes femmes mais également des jeunes hommes qui sont également perçus comme des objets sexuels. Les femmes de la Jamaïque ne veulent pas voir leurs filles ou leurs fils devenir des victimes du tourisme sexuel. Le Bureau des affaires féminines s’est engagé à veiller à ce que la Jamaïque soit un pays que les touristes souhaitent visiter, et il est quotidiennement confronté à ces problèmes.

Le terme de « quota » ne peut pas être utilisé à la Jamaïque sans provoquer une réaction idéologique brutale. En lieu et place de mesures spéciales temporaires, le Bureau des affaires féminines recherche des mesures permanentes et durables. Il est convaincu que les avancées ne doivent pas dépendre des personnes mais au contraire s’enraciner dans des changements systémiques. Les possibilités de progrès soutenu sont entravées par des attitudes traditionnelles à l’égard des leaders; le Bureau des affaires féminines s’emploie à instiller le sens de la direction à toutes les femmes de la Jamaïque.

M me  Livingstone Raday dit que la conviction et l’énergie de la délégation jamaïcaine sont stimulantes et que son message est encourageant. Néanmoins, selon elle, le mécanisme juridique peut et doit contribuer à l’éducation et à l’autonomisation des femmes, et l’appareil juridique de la Jamaïque ne fait peut-être pas tout ce qui est en son pouvoir pour aider les militantes et les femmes au Gouvernement à réaliser leurs objectifs. Elle se montre préoccupée par le retard pris dans l’adoption de l’amendement de la loi constitutionnelle et d’autres dispositions juridiques et espère que l’intérêt du Comité renforcera les chances de promulguer ce texte de loi.

Bien que les efforts visant à aider les victimes de violence sexuelle soient louables, elle aimerait savoir si, et dans quelle mesure, les délits sexuels sont portés devant les tribunaux, car les poursuites engagées contre de tels délits ont à la fois un effet dissuasif et éducatif. Elle demande combien de cas de détournement de mineur (viol sur mineur) et de violence maritale ont été poursuivis et combien ont entraîné des condamnations. Il convient de demander aux tribunaux de fournir des informations au Bureau des affaires féminines sur leur manière de traiter les affaires de violence sexuelle. Elle est troublée par le principe selon lequel les affaires de viol sont renvoyées à une procédure de règlement des litiges, et elle demande si cela signifie que le violeur ne sera pas poursuivi. La violence sexuelle représente un affront à l’égard de la société, et même si la victime accepte de pardonner l’acte en question, il faut que l’auteur soit puni.

L’Église jamaïcaine soutient le régime patriarcal et la notion d’obéissance de la part des femmes. Le fait de considérer les filles comme consentantes à l’égard de l’inceste doit être réexaminé dans ce contexte.

L’élimination de la violence sexuelle devrait également ralentir la propagation du VIH/sida. Les moyens contraceptifs des femmes devraient être distribués pour juguler la propagation de la maladie et éviter les grossesses des adolescentes.

Les données sur l’emploi des femmes constituent un indicateur utile des progrès économiques. Il serait intéressant de connaître la différence entre les salaires des hommes et des femmes, les cas dans lesquels les employeurs qui violent la loi sur l’emploi (égalité de salaire pour les hommes et les femmes) encourent des amendes, le montant de ces amendes et le nombre d’infractions poursuivies. Quelle est la procédure de médiation lorsque les infractions sont renvoyées au Ministère du travail? Cette procédure écarte-t-elle les poursuites?

Elle aimerait également savoir si des dispositions juridiques seront adoptées pour stopper le harcèlement sexuel sur le lieu de travail, même s’il ne s’agit pas d’une loi spécifique, et si la Jamaïque envisage d’élaborer une telle loi pour renforcer la prévention du harcèlement et la protection des victimes.

Il serait utile de savoir combien de femmes occupent des postes à responsabilités dans la population active et combien d’entre elles sont des dirigeantes. Des mesures ont-elles été envisagées pour réduire les écarts sensibles existant entre le nombre de femmes étudiantes en droit et le nombre de femmes qui réussissent dans les professions juridiques? En outre, elle aimerait savoir si des femmes salariées dans les zones de libre-échange sont syndiquées et si le Gouvernement effectue des inspections dans ces zones.

Compte tenu de la pression exercée par l’Église pour un retour aux valeurs patriarcales, il conviendrait d’établir un cadre juridique pour protéger les femmes au sein de la famille. Il est primordial d’adopter le projet de loi relatif au patrimoine familial qui accordera aux femmes le droit d’en posséder une partie et qui est à l’examen depuis de nombreuses années. Enfin elle dit que la condamnation à la prison à vie pour une IVG doit être réexaminée, notamment parce que le recours aux avortements clandestins entraîne des taux de décès élevés.

M me  Regazzoli demande si la Jamaïque a envisagé de mettre en place des équipes pluridisciplinaires, comprenant des femmes fonctionnaires de police, un avocat, un conseil juridique, un conseiller médical, un travailleur social et un psychologue pour traiter les affaires de violence sexuelle et dans la famille, et si des foyers existent pour les femmes et les enfants qui ont dû être retirés de leur domicile. Elle se demande si le Gouvernement jamaïcain envisage de créer des permanences téléphoniques gratuites pour déclarer les actes de violence. Malheureusement l’un des schémas sociofamiliaux qui a traversé toutes les générations est bien celui de frapper sa femme; les hommes ne font que reproduire des actes dont ils ont été témoins durant leur enfance.

Elle félicite le Gouvernement jamaïcain de ses efforts pour affronter les difficiles exigences d’ajustement structurel et demande si et par quels moyens les femmes rurales ont accès au crédit pour l’achat de terres et de matières premières, et si des structures juridiques ont été établies pour faciliter ce processus. Le Bureau des affaires féminines envisage-t-il de lancer des programmes pour éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard de ces femmes? Enfin elle aimerait savoir de quelle manière ces prêts ont changé la vie des femmes qui en ont bénéficié.

M me  Taveres Da Silva aimerait connaître les mesures prises en vue d’apporter aux femmes de vrais outils leur permettant de se battre pour leurs droits et engager des actions s’il y a lieu. Elle aimerait également savoir pourquoi les impressionnants niveaux d’études des femmes ne sont pas traduits par une réussite équivalente sur le marché du travail; si des mesures ont été prises pour sensibiliser la population en général et les hommes en particulier aux grossesses des adolescentes; et quelles mesures, s’il y en a, ont été prises pour décourager les hommes âgés d’inciter des jeunes femmes à des activités sexuelles contre leur gré.

Les femmes de la Jamaïque et les groupes de femmes de la Jamaïque semblent gagner en influence, mais dans la réalité il reste encore beaucoup à faire. S’ils unissent leurs efforts, le Gouvernement et le mouvement des femmes devraient permettre d’établir l’égalité entre les sexes au sein de la société jamaïcaine.

La séance et levée à 13 heures.