Vingt-quatrième session

Compte rendu analytique de la 503e séance

Tenue au Siège, à New York, le vendredi 26 janvier 2001, à 15 heures

Présidente :Mme Abaka

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (suite)

Deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques combinés de la Jamaïque (suite)

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports présentés par les États partiesconformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Deuxième, troisième et quatrième rapportspériodiques combinés de la Jamaïque(suite) (CEDAW/C/JAM/2 à 4; CEDAW/PSWG/2001/I/CRP.2/Add.1)

Sur invitation de la Présidente, M me  Simms (Jamaïque) prend place à la table du Comité.

M me  Gaspard voudrait savoir pourquoi à la Jamaïque, les femmes sont si peu nombreuses à occuper des postes de décision, notamment dans le domaine politique, et comment cette situation pourrait être redressée. En introduisant les deuxième, troisième et quatrième rapports périodiques combinés de la Jamaïque (CEDAW/C/JAM/2 à 4) à la séance précédente, la représentante de la Jamaïque a mentionné qu’il fallait changer la culture politique. Dans la plupart des pays, le monde politique est un club masculin qui ne se prête pas aux changements. Toutefois, de nombreux pays ont adopté des mesures préférentielles pour obliger les partis politiques à présenter des femmes candidates plus nombreuses. De telles mesures sont légitimes conformément au paragraphe 1 de l’article 4 de la Convention. L’oratrice croit comprendre que les quotas n’ont pas la faveur à la Jamaïque, même chez de nombreuses femmes qui craignent que des quotas ne puissent créer l’impression qu’elles ne méritent pas leur poste. L’idée de parité, à savoir qu’un nombre égal d’hommes et de femmes devraient prendre part à la prise de décision à plus de chance d’être acceptée à la fois par les femmes et les hommes. On pourrait établir un nombre minimum de femmes candidates, à augmenter progressivement, ou le financement public des organisations politiques pourrait être lié à la présence d’une part adéquate de femmes en leur sein. L’oratrice se demande si de telles mesures pourraient être envisagées à la Jamaïque où le rôle dynamique joué par les femmes dans des organisations non gouvernementales et la société en général contraste avec le faible niveau de participation à la prise de décision.

M me  Goonesekere dit que les réformes judiciaires entreprises à la Jamaïque, tout en paraissant lentes, représentent une réalisation considérable compte tenu du conservatisme traditionnel des organismes judiciaires. Elle a également été impressionnée par l’accès des femmes aux études supérieures malgré la réduction des dépenses publiques résultant des programmes d’ajustement structurel.

Bien que la Constitution jamaïcaine stipule expressément l’égalité entre les sexes et la non-discrimination entre eux, l’absence de recours en cas de non application de ce principe représente une faiblesse fondamentale. Dans leur réponse écrite à la question 3 de la liste des questions et observations (CEDAW/PSWG/2001/I/CRP.2/Add.1), les autorités jamaïcaines ont cité la décision d’un tribunal à Sainte-Lucie conformément à laquelle la disposition constitutionnelle interdisant la discrimination fondée sur le sexe était purement déclaratoire et non obligatoire, et ont signalé que les tribunaux jamaïcains risquaient d’adopter une position analogue. Elle se demande si les tribunaux ne pourraient pas, au contraire, adopter une interprétation dynamique et propose qu’ils tiennent compte de la jurisprudence d’autres pays du Commonwealth, comme le Canada et l’Inde, où les décisions des cours suprêmes ont renforcé la capacité des femmes à exercer leurs droits constitutionnels. L’existence de mécanismes d’application de la loi est essentielle à la protection des droits.

Le fait que les dispositions constitutionnelles ne couvrent pas toujours le secteur privé représente un grave problème, eu égard en particulier au rôle croissant jouée par ce secteur sur le marché du travail. L’oratrice demande que l’on décrive la position jamaïcaine concernant la relation entre les droits constitutionnels et le secteur privé dans l’optique des réformes judiciaires futures. Là encore, la jurisprudence du Canada et de certains pays de l’Asie du Sud pourrait être utile à cet égard.

S’agissant des lois relatives aux crimes contre la personne et au vagabondage, plusieurs pays ayant des lois analogues les ont modifiées pour refléter les préoccupations à l’égard de la violence sexiste. Ces lois mettaient traditionnellement l’accent sur la prostitution des rues et ne tenaient pas compte des formes modernes de l’exploitation des femmes. La définition du viol contenue dans le Code pénal jamaïcain est insuffisante; l’oratrice se demande si l’on a envisagé d’inclure le viol conjugal dans la définition. Elle voudrait également savoir si les mécanismes chargés de l’application de la loi se sont avérés efficaces et si la loi relative aux preuves devrait être modifiée afin d’éliminer les obstacles à la présentation de preuves médicales. Elle pose également la question de savoir s’il y a une raison particulière qui a amené la Jamaïque à adopter des lois séparées concernant l’inceste et le harcèlement sexuel.

Bien que le rapport de la Jamaïque mentionne le concubinage, il ne contient aucune information concernant les droits des femmes et des enfants en situation non matrimoniale. L’introduction de la notion de détérioration irréversible des relations conjugales en tant que raison du divorce est un changement lourd de conséquences. Toutefois, les femmes pourraient être défavorisées à moins d’être bien protégées en ce qui concerne leurs droits sur le patrimoine matrimonial et la garde des enfants. La loi relative aux pensions alimentaires repose sur l’idée selon laquelle l’homme a le devoir, en tant que soutien de famille, de subvenir aux besoins de sa femme et de ses enfants, mais comme les femmes jouent un rôle important dans la production économique, l’oratrice se demande s’il ne faudrait pas modifier la loi pour refléter cette réalité. La responsabilité sexuelle des hommes, en particulier à l’égard du soutien apporté aux enfants nés hors mariage, devrait également être reflétée dans la loi.

Dans le rapport précédent, les autorités jamaïcaines ont signalé que le pouvoir économique croissant des femmes constituait l’une des causes de la violence familiale; l’oratrice voudrait savoir de quelle manière on fait face à ce problème. Il existe une contradiction entre la définition d’une personne mineure comme une personne âgée de moins de 16 ans et l’exigence du consentement des parents pour le mariage jusqu’à l’âge de 18 ans. L’oratrice se demande si cela signifie que les mariages d’adolescents ont lieu à la Jamaïque, alors qu’ils sont contraires à la Convention. Enfin, elle voudrait savoir si la loi portant modification de la loi relative à la nationalité stipule clairement qu’une Jamaïcaine qui a épousé un étranger peut transmettre sa nationalité à ses enfants.

M me  Shin voudrait savoir comment les hommes membres du Gouvernement, les hommes chefs religieux, universitaires ou personnalités en vue, ainsi que les hommes et les garçons ordinaires répondent aux efforts des femmes en faveur de l’égalité, comment les hommes perçoivent la revendication de l’égalité par les femmes, comment ils y réagissent et qui sont les hommes qui soutiennent cette cause.

L’appellation de la Fondation pour le règlement des conflits, que la délégation a mentionnée dans le contexte de la violence familiale, donne à penser que cette violence est considérée comme une affaire privée. Si tel cas, il sera difficile de l’éliminer. Elle doit être considérée au contraire comme un crime social. La formation spéciale impartie aux agents de police et aux procureurs et des services fournis aux victimes doivent être complétés par des mesures préventives qui doivent commencer avec l’idée selon laquelle la violence familiale constitue un crime.

M me  Simms (Jamaïque), répondant aux questions posées par les membres du Comité aux séances du matin et de l’après-midi, dit que la Fondation des centres de femmes offre des programmes destinés à promouvoir la participation des jeunes pères à l’éducation des enfants. Toutefois, ce sont souvent les hommes plus âgés qui rendent des jeunes filles enceintes et refusent d’accepter les conséquences.

Des préservatifs féminins sont disponibles mais beaucoup plus chers que les préservatifs masculins. Il faut des campagnes de sensibilisation pour surmonter la résistance des hommes à l’emploi des préservatifs et pour encourager les femmes à assumer la responsabilité de leur propre corps. L’oratrice se félicite de la suggestion du Comité tendant à ce que le Gouvernement cherche à obtenir un financement extérieur pour un tel projet.

S’agissant de l’emploi, la législation jamaïcaine stipule que les hommes et les femmes doivent recevoir un salaire égal pour un travail égal, mais n’inclut pas encore la notion de salaire égal pour un travail de valeur égale. Le bureau de l’oratrice s’efforcera d’obtenir des statistiques ventilées par sexe sur le pourcentage de femmes qui bénéficient des programmes de réduction de la pauvreté. Le congé de maternité existe, mais n’est souvent pas payé; les travailleuses saisonnières sont particulièrement défavorisées. Le Gouvernement publie des directives quant à la durée du congé de maternité et aux paiements à verser aux femmes, mais ne peut pas obliger le secteur privé à les appliquer. Il n’existe aucune loi interdisant le harcèlement sexuel; le Bureau des affaires féminines envisage d’élaboration d’un projet de loi reposant sur le modèle de loi de la Communauté des Caraïbes (CARICOM) en la matière et organise des ateliers sur le harcèlement sexuel au lieu de travail, en particulier dans l’industrie du tourisme.

L’oratrice pense, elle aussi, qu’il faut établir des données ventilées par sexe et par type d’infraction pour les affaires examinées par les tribunaux. Malgré les arriérés, quelque 50 % des affaires sont jugées rapidement. En outre, on a créé des tribunaux de nuit pour surmonter le problème, qui est également pris en compte dans la réforme judiciaire en cours.

On s’emploie à instruire le public quant à la différence entre les notions de sexe et de genre. La notion de genre se heurte à une opposition considérable, mais on a accompli certains progrès dans l’intégration d’une perspective sexospécifique dans le processus de développement.

Grâce à l’assistance internationale, le Ministère de l’agriculture accorde de petits prêts aux femmes rurales, dont la plupart sont des cultivatrices de subsistance qui trouvent difficile d’écouler leurs produits. Les importations découlant de la mondialisation continuent d’avoir une incidence négative sur l’économie locale.

Les milieux religieux et traditionnels exercent des pressions considérables pour empêcher la légalisation de l’avortement en faisant valoir qu’il serait utilisé comme méthode de régulation des naissances. La question est examinée dans le cadre de la réforme judiciaire et la communauté médicale vient de se joindre au débat.

De nombreux travailleurs domestiques choisissent de ne pas cotiser au plan de pensions établi à leur intention et en général, les employeurs ne les encouragent pas à le faire. Même compte tenu du salaire minimum, ces emplois sont les moins bien payés; toutefois, on encourage ces travailleurs à économiser ne serait-ce qu’une petite partie de leur salaire. Il faut également que les femmes appartenant aux classes moyennes et aisées développent une conscience sociale à l’égard du sort de leurs employés.

Les partis politiques du pays ont été créés vers la fin des années 30 par les hommes travaillant dans les mines et dans l’industrie du sucre pour défendre leurs intérêts. Leurs idées progressistes ont abouti à la mise en place d’un système de deux partis, mais ont également encouragé le « tribalisme » et la violence dans la culture politique. Pour cette raison, de nombreuses femmes répugnent à participer à la vie politique. Le groupe politique des femmes cherche à promouvoir la participation des femmes; le Gouvernement ne s’oppose pas à l’adoption de mesures préférentielles et a déjà nommé une femme fonctionnaire. Toutefois, il faut de plus gros efforts et le Bureau des affaires féminines entend recommander des nominations additionnelles ainsi que des mesures visant à encourager les femmes à poser leur candidature dans des élections où elles ont une chance raisonnable de réussir.

Les sénateurs ne sont pas rémunérés, ces fonctions étaient destinées aux grands propriétaires fonciers conformément au système britannique; le versement d’honoraires éliminerait un obstacle sérieux à la présentation de candidatures féminines. Toutefois, les campagnes sont onéreuses et à moins d’une transformation de la culture politique, la plupart des femmes n’ont pas les moyens de présenter leur candidature. Il existe une vive résistance à l’adoption de mesures préférentielles dans ce domaine; les femmes elles-mêmes ont l’impression que cela reviendrait à les traiter avec condescendance.

L’oratrice est encouragée par les questions posées par Mme Goonesekere qui montre qu’il existe des précédents pour le changement dans d’autres pays du Commonwealth. L’on s’efforcera d’élargir la définition du viol et de l’inceste en y incluant les garçons et de soulever la question du viol conjugal. Toutefois, la majorité de la société préférerait ne pas aborder une question aussi controversée. Les juristes qui participent à la réforme judiciaire envisagent la possibilité de modifier la loi relative aux preuves, et l’Ambassadeur jamaïcain pour les enfants s’emploie à rationaliser la législation nationale pour toutes les questions, y compris l’âge du mariage et le travail des enfants.

Les progrès accomplis par les femmes ont suscité de vives réactions négatives parmi les hommes. Par exemple, le taux élevé d’abandon scolaire parmi les garçons est attribué au grand nombre d’institutrices bien que cette situation ait toujours existé, et des arguments analogues sont avancés contre les revendications des femmes à tous les niveaux de la société. Le Premier Ministre est sincèrement attaché au progrès des femmes, mais de nombreux hommes politiques s’y opposent, et même les femmes craignent que le changement n’entraîne des conséquences négatives pour leurs fils. Il faut s’efforcer d’améliorer les résultats des garçons à l’école, mais non au détriment des perspectives des filles en matière d’éducation.

Les effets conjugués de plusieurs facteurs empêchent les femmes d’obtenir les emplois qu’elles méritent. Les uns affirment que les emplois sont inexistants, d’autres sont persuadés que la faute incombe aux attitudes traditionnelles; d’autres encore affirment que les femmes deviennent trop puissantes et qu’il faut les brider. La Jamaïque est une société de classes et la rhétorique des hommes influents, reprise par les médias, compte pour beaucoup. Par ailleurs, les chansons populaires, souvent qualifiées de rhétorique des pauvres, reflètent également une réaction négative contre le progrès des femmes.

L’oratrice est optimiste quant à la possibilité qu’il y a à recruter de jeunes hommes pour la cause du progrès des femmes; elle est persuadée que la génération actuelle de mères élèvera ses enfants dans un esprit différent de celui de leurs pairs; toutefois, il ne sera peut-être pas possible de changer la génération plus âgée. Les questions du Comité ont montré que les problèmes confrontés par les femmes jamaïcaines sont en fait universels, et leurs observations seront reflétées dans le prochain rapport périodique de la Jamaïque.

La Présidente demande instamment à la délégation de ne pas désespérer de pouvoir changer les attitudes de la génération plus âgée; de poursuivre la réforme judiciaire, et continuer les efforts destinés à modifier les stéréotypes. La mise en relief du problème de la marginalisation des hommes est peut-être une stratégie destinée à détourner l’attention des problèmes qui se posent aux femmes, bien que l’oratrice reconnaisse que les besoins des garçons doivent également être pris en considération. Enfin, elle a été surprise d’apprendre que les sénateurs jamaïcains ne sont pas rémunérés; des changements dans ce domaine pourraient encourager des femmes plus nombreuses à participer à la vie politique.

La séance est levée à 16 heures.