Vingt-sixième session

Compte rendu analytique de la 540e séance

Tenue au Siège, à New York, le mercredi 23 janvier 2002, à 15 heures

Présidente :Mme Abaka

Sommaire

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques combinés de l’Estonie(suite)

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports présentés par les États parties conformément à l’article 18 de la Convention (suite)

Rapport initial et deuxième et troisième rapports périodiques combinés de l’Estonie (suite) (CEDAW/C/EST/1-3)

À l’invitation de la Présidente, les membres de la délégation de l’Estonie prennent place à la table du Comité.

La Présidente invite les membres du Comité à continuer à poser leurs questions.

Article 7

M me  Schöpp-Schilling, après avoir félicité l’Estonie d’avoir atteint le chiffre de 5 femmes pour 1 cabinet de 14, déclare que le Gouvernement suédois organise des cours à l’intention des nouveaux ministres afin de les sensibiliser aux problèmes relatifs à l’égalité et d’appeler leur attention tant sur l’égalité officielle que sur l’égalité dans les faits. Elle voudrait savoir si l’on peut faire la même chose en Estonie. Elle est étonnée par le nombre impressionnant d’organisations féminines de ce pays et demande s’il existe une procédure officielle pour sonder l’opinion de ces organisations quand on rédige de nouvelles lois. Elle aimerait savoir si dans le projet de loi sur la notion-cadre de société civile l’on envisage d’affecter des crédits budgétaires aux organisations féminines non gouvernementales (ONG) et si ce projet a des chances d’être adopté. Enfin, elle demande si le Gouvernement estonien a l’intention de profiter de la prochaine Conférence des femmes des pays baltes pour promouvoir la Convention et prier instamment les États de ratifier le Protocole provisoire et les modifications apportées à son article 20.

M me  Tavares da Silva admet être désemparée par le fait qu’apparemment, en Estonie, seules les jeunes femmes ayant une instruction universitaire, dont le revenu se situe dans les tranches supérieures, sont attirées par une carrière de politicienne. Ce désintérêt des femmes est-il relié au faible prestige conféré par les fonctions politiques ou sont-ce les hommes qui les empêchent d’accéder à l’arène politique? On pourrait peut-être prendre des mesures pour favoriser une plus grande participation des femmes à la politique.

M me  Myakayaka-Manzini demande si le régime électoral du pays est fondé sur un système de scrutin de listes établies par les partis ou sur la représentation proportionnelle et si ce régime est vraiment favorable aux femmes. En effet, les Estoniennes participent activement à la vie des partis politiques, mais rares sont celles qui sont élues au Parlement. Heureusement, les cinq ministres de sexe féminin détiennent des portefeuilles non traditionnels qui leur permettent d’exercer une influence bénéfique lors de la recherche de solutions aux problèmes des femmes, aussi l’oratrice s’enquiert-elle pour déterminer si l’on prévoit prendre des mesures pour que plus de femmes entrent au Parlement et, si tel est le cas, quelles méthodes l’on entend employer pour y parvenir. Ces méthodes incluront-elles l’action positive?

Article 9

M me  Corti fait remarquer que le droit estonien sur la nationalité semble reposer sur le jus sanguinis. Selon le rapport, un quart des personnes vivant en Estonie qui ne sont pas estoniennes sont mariées à des non-citoyens; elle voudrait savoir ce que l’on entend par l’expression « non-citoyens » et comment les étrangers peuvent acquérir la nationalité estonienne. Elle aimerait aussi avoir d’autres éclaircissements sur la situation des apatrides en Estonie et demande quels sont les problèmes que rencontrent les personnes dont le mariage est mixte et si les minorités ont des droits reconnus. Peuvent-elles se servir de leur langue et mettre sur pied leurs propres écoles? Plus généralement, quelles dispositions a-t-on prises pour intégrer les étrangers en Estonie?

M me  Schöpp-Schilling déclare être, elle aussi, très préoccupée par les répercussions de la loi relative à la citoyenneté sur les femmes étrangères qui vivent dans le pays, dont la plupart sont russes. Le nombre des femmes qui n’ont pas la nationalité estonienne ou sont apatrides est-il plus élevé que celui des hommes? Les étrangers étant tenus d’apprendre l’estonien afin d’être admissibles à la naturalisation, elle aimerait savoir si les cours de cette langue sont axés sur les besoins des femmes et si l’on a tenu compte du fait qu’une double charge leur incombe : celle de s’occuper de leur famille et celle d’aller travailler. De plus, les cours sont-ils également accessibles aux hommes et aux femmes, ou une discrimination occulte empêche-t-elle les femmes d’y assister? Finalement, l’intervenante demande quelle est l’incidence à long terme du statut d’apatride sur les femmes et les enfants. Par ailleurs, quelle action le Gouvernement envisage-t-il pour aider les femmes apatrides à prendre la nationalité estonienne?

M me  Saiga dit croire qu’il y a une discrimination de fait ou occulte à l’égard des femmes qui ont contracté des mariages mixtes; aussi demande-t-elle ce que le Gouvernement entend faire à ce sujet.

Article 10

M me  Manalo déclare que le rapport indique clairement que les jeunes Estoniennes prennent leur instruction très au sérieux et obtiennent de meilleurs résultats, à tous les niveaux, que les garçons mais que, néanmoins, des stéréotypes prévalent encore dans le domaine de l’instruction; elle s’étonne de ce que l’on n’ait pas essayé de modifier le programme d’études et le matériel didactique pour éliminer les préjugés. Elle voudrait aussi savoir quels incitatifs l’on donne aux filles pour les pousser à choisir les sciences naturelles et physiques, ainsi qu’à suivre une formation professionnelle dans des matières que l’on n’associe pas traditionnellement aux femmes.

Elle a été mystifiée par l’affirmation relative au taux d’alphabétisation qui se trouve à l’avant-dernier paragraphe de la page 55 du rapport, et demande si ce taux a trait à l’alphabétisation fonctionnelle ou à l’alphabétisation en général. Les hommes et les femmes ont-ils le même niveau d’instruction? Enfin, l’oratrice remarque à la lecture des tableaux 10.7 et 10.8 de la page 52 que rares sont les femmes professeurs d’université. Elle a donc hâte de connaître les dispositions que l’on prend actuellement pour redresser la situation.

M me  Açar dit que le rapport indique clairement la présence d’une scission du marché du travail selon le sexe en Estonie : l’on trouve la plupart des femmes dans les professions à vocation sociale où les salaires sont plus bas que dans les autres et qui sont moins prestigieuses. De plus, lors des exposés oraux, il s’est avéré que les femmes sont surreprésentées parmi les travailleurs à temps partiel. Ces facteurs dénotent qu’il y a un problème majeur. À son avis, la réticence des femmes à se lancer dans l’arène politique pourrait être imputable à leur sentiment que même si elles y participaient, elles ne pourraient changer grand-chose à la politique suivie. Elle a toutefois été surprise par cette attitude inhabituelle au sein d’une population aussi instruite.

Il lui semble probable que le système d’enseignement soit responsable du déséquilibre susmentionné, aussi prie-t-elle instamment le Gouvernement de réviser les manuels scolaires et d’en expurger tout élément de discrimination. Ce système est apparemment divisé entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel, les jeunes filles tendant à se diriger plus volontiers vers le premier qui conduit généralement à la formation universitaire. Elle a l’impression que seuls les garçons les plus hautement qualifiés choisissent l’enseignement général, ce qui la conduit à demander si les diplômés des sexes masculin et féminin sont considérés comme aussi bien formés et compétents les uns que les autres. Elle ne parvient pas à comprendre pourquoi il y a aussi peu de professeurs d’université de sexe féminin alors que les femmes font des études universitaires depuis longtemps.

Enfin, l’oratrice veut savoir si les études féminines sont pleinement intégrées au système d’enseignement supérieur et si elles mènent à des diplômes. Les cours donnés dans leur cadre font-ils partie de l’enseignement dispensé dans d’autres programmes d’études plus courants?

Article 11

M me  Schöpp-Schilling dit qu’il découle nettement du rapport que l’héritage de l’époque soviétique influe toujours fortement sur le marché du travail. Elle se demande si le Gouvernement estonien est le moindrement préoccupé par la concentration de femmes dans le secteur des services et dans les postes les moins bien payés et si l’on a mis sur pied des programmes de formation des femmes plus jeunes et en chômage pour leur permettre d’exercer des professions non traditionnelles. Selon la législation estonienne, est-il obligatoire de proposer aux femmes en chômage des emplois subventionnés par l’État ou de leur donner l’occasion de suivre des programmes de formation? Si tel n’est pas le cas, l’intervenante recommande l’adoption de lois à cet effet. Dans le même ordre d’idées, elle voudrait savoir si les femmes qui ont cessé de travailler pour des raisons familiales ont le droit d’être recyclées si elles veulent retourner au travail.

Le rapport fournissant peu de renseignements sur les femmes les plus âgées de la population active, l’oratrice demande plus de précisions à ce sujet. Il semble probable que le nombre élevé des femmes âgées qui vivent dans la pauvreté soit le résultat de la discrimination préalable indirecte. Elle voudrait donc connaître les mesures que le Gouvernement entend prendre pour s’attaquer à ce problème. La partie du rapport concernant l’article 13 de la Convention se réfère à une analyse et à des stratégies pour lutter contre la pauvreté des femmes, mais l’oratrice n’est pas sûre que ces stratégies aient réellement été mises en oeuvre.

Elle demande si le nouveau régime de retraite tient compte du patchwork des antécédents de travail des femmes. A-t-on fait une étude d’impact sur les personnes des deux sexes de ce nouveau régime? À son avis, il n’apparaît pas clairement si les années de retraite supplémentaires accordées pour éduquer les enfants sont ajoutées automatiquement ou si on ne les ajoute que si un parent a renoncé à travailler pour s’occuper de ses enfants.

Article 12

La Présidente dit être extrêmement troublée par la prétention selon laquelle les droits génésiques des femmes sont « protégés » par la loi sur l’interruption de grossesse et la stérilisation. En effet, l’avortement n’est pas un droit génésique selon la Convention. Souvent, les mesures et les politiques gouvernementales qui paraissent protéger les femmes sont en fait rétrogrades et même dangereuses pour leur santé. Certes, le rapport ne contient aucun renseignement sur la fréquence des interruptions de grossesses, mais il est important de savoir que même s’ils n’ont pas de complications immédiates, les avortements peuvent compromettre ultérieurement la procréation et avoir de terribles répercussions psychologiques. Or le rapport la conduit à penser que l’avortement est utilisé comme une forme de contraception, ce qui ne devrait jamais être. Au contraire, il faudrait que les contraceptifs soient aussi accessibles et aussi abordables que possible, non seulement pour les étudiants des universités, mais encore et surtout pour les femmes à faible revenu, qui, paradoxalement, perpétuent leur état de pauvreté en donnant naissance à des enfants sans pouvoir subvenir à leurs besoins. Ces femmes devraient avoir accès gratuitement aux moyens contraceptifs. Un accès plus facile à ces moyens permettrait d’empêcher que le virus de l’immunodéficience humaine et le syndrome d’immunodéficience acquise (VIH/sida) ne se répandent. Enfin, il faudrait lancer des programmes dynamiques pour valoriser le rôle des hommes en matière de planification familiale.

Le Comité a appris de sources extérieures l’existence du taux de suicide très élevé en Estonie, qui occupe la troisième place du monde pour les hommes et la sixième pour les femmes. La Présidente voudrait savoir si l’on a étudié les causes du suicide féminin et si les suicides sont plus fréquents chez les femmes célibataires et divorcées, par exemple, et les citoyens du troisième âge.

Bien qu’elle se réjouisse du nombre impressionnant de médecins de sexe féminin en Estonie, elle aimerait avoir plus de précisions sur leur niveau de revenus, comparativement à celui qui existe dans d’autres professions, afin de déterminer s’il y a des stéréotypes dans ce domaine. La Présidente se demande pour la même raison quelles sont les disciplines scientifiques favorites des femmes.

En conclusion, elle prie instamment l’État partie à consulter la recommandation générale no 24 du Comité qui détermine une façon globale d’appliquer l’article 12. La conscience des besoins particuliers des femmes augmenterait également si plus de femmes participaient à la prise des décisions. À cet égard, la Présidente est certaine que les cinq nouvelles femmes ministres sensibiliseront les pouvoirs publics aux problèmes de santé des femmes. Elle admet avec Mme Schöpp-Schilling qu’une certaine formation est nécessaire pour généraliser une perspective d’équité entre les sexes dans l’activité de tous les ministères. Enfin, elle félicite l’État partie de son excellent programme d’allaitement au sein.

M me  González fait siennes les observations de la Présidente puis elle ajoute que le chiffre de 91 avortements sur 100 naissances est alarmant. Elle prie instamment l’Estonie de renforcer ses programmes d’éducation sexuelle et d’oeuvrer pour améliorer le sens des responsabilités en matière de sexualité au sein de sa population, en particulier parmi ses jeunes.

M me  Gaspard s’enquiert au sujet des motifs d’avortement prévus par la loi sur l’interruption de grossesse et la stérilisation. Elle voudrait aussi savoir si le respect de cette loi pose des problèmes. Notant que 86 % des avortements ont été légalement provoqués en 1998, elle demande des précisions sur les 14 % restants et sur leurs causes éventuelles.

M me  Corti souscrit aux remarques faites par les orateurs précédents au sujet de l’avortement. Elle exprime son inquiétude devant la croissance rapide des avortements, de 2 en 1992 à 28 en 1999, dans les hôpitaux privés, qui pourrait avoir de graves répercussions étant donné l’augmentation du chômage et de la pauvreté des femmes. Elle apprécierait qu’on l’informe sur les différences entre les hôpitaux publics et privés, sur tous les régimes d’assurance privés qui peuvent aider à couvrir les coûts des derniers et sur les mesures éventuelles prises pour assurer une vie décente à la proportion croissante des femmes âgées qui vivent seules.

Elle se demande pourquoi il a fallu attendre jusqu’en 1998 pour créer le programme du conseil contre le sida et ce que le Gouvernement, notamment le Ministère des affaires sociales, fait pour empêcher que cette maladie ne se répande. Il faudrait fournir plus de renseignements sur l’abus des drogues, en particulier parmi les femmes, étant donné le rapport existant entre cet abus et les cas de sida.

Article 14

M me  Schöpp-Schilling, après avoir noté qu’environ le tiers des Estoniennes habitent dans des zones rurales, salue les initiatives que leur gouvernement a déjà prises en leur nom, mais elle souligne la nécessité qu’il adopte une approche plus exhaustive et fondée sur des statistiques. Elle espère donc que le prochain rapport périodique de l’Estonie contiendra plus de statistiques et rendra mieux compte de la situation des femmes rurales de divers âges en matière de pauvreté, de chômage, d’instruction et de santé. Il serait intéressant de savoir comment l’on fera pour assurer l’accès égalitaire des femmes aux soins de santé tout en répondant à leurs besoins propres au fur et à mesure de la privatisation croissante des hôpitaux.

Le nombre significatif de femmes rurales qui sont des travailleuses non rémunérées dans des exploitations agricoles familiales la préoccupe; aussi apprécierait-elle qu’on lui fournisse plus d’éléments pour déterminer si ces femmes ont travaillé dans des exploitations agricoles collectives pendant la période soviétique. L’oratrice espère aussi que le Gouvernement estonien envisagera de recourir au système de comptabilité par satellite mis au point par l’Institut international de recherche et de formation pour la promotion de la femme (INSTRAW), qui reconnaît la valeur du travail ménager et d’autres travaux non rémunérés. Elle aimerait savoir si les travailleuses rurales non rémunérées bénéficient de prestations de sécurité sociale.

Article 15

M. Melander dit que sa question qui porte sur le grand nombre de juges et de procureurs de sexe féminin est du même ordre que celle posée par la Présidente au sujet des médecins : il voudrait déterminer si ces professions attirent les femmes parce qu’elles sont mal payées.

M me  Aouij reprend à son compte la préoccupation de M. Melander, mais elle ajoute que le nombre impressionnant de juges et de procureurs de sexe féminin pourrait avoir des répercussions extrêmement positives sur l’interprétation des lois et l’adoption d’une perspective d’équité entre les sexes. Elle aimerait savoir si les membres féminins de la magistrature sont familiers avec les traités internationaux, en particulier avec la Convention, et s’ils ont eu l’occasion de l’invoquer.

Article 16

M me  Aouij exprime son inquiétude devant le déclin des mariages et l’augmentation tant des unions consensuelles que du taux de divorce (82 divorces sur 100 mariages en 1999). Elle voudrait savoir si l’on a étudié les causes de ces tendances et s’il est facile d’obtenir un divorce. Une personne peut-elle obtenir un divorce sur demande ou un juge essaie-t-il de réconcilier les conjoints, notamment s’ils ont de jeunes enfants? Elle se demande également si la situation est aggravée par les problèmes économiques du pays.

M me  Goonesekere félicite le Gouvernement estonien d’avoir fait de nombreux efforts pour faire cadrer sa loi sur la famille avec les dispositions de la Convention, mais elle fait remarquer que les allusions aux mariages d’enfants – des mariages entre des personnes âgées de 15 à 18 ans qui peuvent être annulés s’ils ont été contractés sans consentement – s’écartent absolument des normes de la Convention et de la politique nationale démographique du Gouvernement estonien qui souligne la nécessité d’améliorer la santé génésique et le bien-être de la famille. La délégation estonienne doit indiquer pourquoi ces dispositions ont survécu dans la loi mise à jour relative à la famille. Elle doit préciser si des mariages d’enfants ont vraiment eu lieu et quelle a été la réaction du Gouvernement estonien en pareille situation.

La séance est levée à 17 h 15.