Nations Unies

CAT/C/56/D/586/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

28 janvier 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Communication no 586/2014

Décision adoptée par le Comité à sa cinquante-sixième session(9 novembre-9 décembre 2015)

Communication présentée par :

R. G. et consorts (représentés par un conseil, Johan Lagerfelt)

Au nom de :

R. G. et consorts

État partie :

Suède

Date de la requête :

21 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

25 novembre 2015

Objet :

Expulsion vers la Fédération de Russie

Question(s) de procédure :

Recevabilité − justification des allégations

Question(s) de fond :

Non-refoulement

Article(s) de la Convention :

3 et 22

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquante-sixième session)

concernant la

Communication no 586/2014 *

Présentée par :

R. G. et consorts (représentés par un conseil, Johan Lagerfelt)

Au nom de :

R. G. et consorts

État partie :

Suède

Date de la requête :

21 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 25 novembre 2015,

Ayant achevé l’examen de la requête no 586/2014, présentée par R. G. et consorts, en vertu de l’article 22 de la Convention,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les requérants, leur conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit :

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention

1.1Les requérants sont R. G., son épouse L. G. et leurs quatre enfants, tous mineurs. Les requérants, de nationalité russe, sont d’origine tchétchène appartenant au groupe minoritaire des Mialkhis. Au moment de la soumission de la requête, ils résidaient en Suède et étaient en attente d’expulsion vers la Fédération de Russie. Ils affirment que leur expulsion vers ce pays constituerait une violation par la Suède des droits qu’ils tiennent de l’article 3 de la Convention. L’expulsion de la famille n’était pas prévue pour une date précise. Toutefois, lorsque le Comité a été saisi de la requête, la famille avait déjà été convoquée à l’Office suédois des migrations pour un entretien concernant son renvoi. Les requérants sont représentés par un conseil.

1.2En application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a prié l’État partie, le 30 janvier 2014, de ne pas expulser les requérants vers la Fédération de Russie tant que leur requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par les requérants

2.1Le premier requérant, R. G., est né au Kazakhstan le 12 août 1969 ; son épouse et les trois enfants aînés sont nés en Tchétchénie ; le plus jeune est né en Suède en avril 2012. Le premier requérant a combattu activement dans la résistance pendant le conflit qui s’est déroulé en Tchétchénie de 1994 à 1996. En 1999, lorsque les hostilités ont repris, il a continué d’appuyer la résistance tchétchène en approvisionnant les partisans en vivres et en fournitures.

2.2En 2007, le premier requérant a été soupçonné d’avoir tué un groupe de policiers. Il a été arrêté, détenu au secret pendant dix jours, roué de coups, suspendu la tête en bas et torturé à l’électricité. Il a eu les dents brisées et plusieurs côtes fracturées. Libéré contre un pot-de-vin, il a ensuite séjourné deux mois à l’hôpital pour se remettre de ses blessures. Une fois rétabli, il a continué d’apporter une aide aux partisans tchéchènes tout en évitant de se faire remarquer.

2.3En septembre 2011, le neveu du premier requérant a été arrêté parce qu’il était soupçonné d’être impliqué dans des explosions qui s’étaient produites à Grozny en août 2011. Le requérant a été averti par une connaissance dans la police qu’un mandat d’arrêt avait également été émis contre lui. Craignant d’être arrêté car il pensait que son neveu allait être torturé et serait incapable de résister aux interrogatoires, il a fui en Ingouchie. Le lendemain, il a appelé son épouse, qui l’a informé que les forces de sécurité s’étaient rendues à leur domicile et avaient incendié sa voiture, et qu’elles avaient trouvé des armes à l’extérieur de la maison. Selon le requérant, ces armes avaient certainement été dissimulées là par les autorités dans le but de le faire accuser.

2.4L’épouse du premier requérant a ensuite vendu la maison et soudoyé les autorités pour qu’elles classent le dossier d’enquête concernant son mari. Au lieu de cela, elle a elle‑même été accusée de complicité. Les forces de sécurité se sont fréquemment renseignées pour savoir où se trouvait le requérant. L’épouse et les enfants du requérant n’ont pu le rejoindre en Ingouchie qu’à la fin de février 2012, et c’est à ce moment que la famille a décidé de quitter la Fédération de Russie. Le 11 mars 2012, elle est arrivée en Suède.

2.5Le 12 mars 2012, les requérants ont déposé une demande d’asile, que l’Office des migrations a rejetée le 15 juillet 2013, invoquant des incohérences dans les récits des requérants et leur manque de crédibilité. L’Office des migrations n’était pas convaincu que le dernier domicile des requérants se trouvait en Tchétchénie. Il a estimé en outre que la situation en Tchétchénie avait changé depuis 2007 et que les autorités de la Fédération de Russie s’intéressaient aux personnes qui opposaient encore une résistance active au régime, non aux anciens militants. Il a toutefois reconnu que le requérant avait été actif pendant les conflits de la période 1994-1996 et de 1999 et qu’il avait été torturé par la police en 2007 et libéré en échange d’un pot-de-vin. Enfin, l’Office des migrations a considéré qu’il n’y avait pas de conflit armé ni aucun autre conflit grave en cours en Tchétchénie.

2.6Les requérants ont formé un recours devant le Tribunal des migrations, lequel les a déboutés le 19 novembre 2013. Le Tribunal a estimé que le fait que le requérant avait été torturé en 2007 n’était pas en soi un motif suffisant pour lui accorder une protection. Il a rappelé que l’Office des migrations avait conclu que la nature du conflit en Tchétchénie avait changé depuis 2007 et que les déclarations des requérants n’étaient pas dignes de foi.

2.7Le 19 décembre 2013, la Cour d’appel des migrations a rejeté la demande d’autorisation de faire appel présentée par les requérants. La décision du Tribunal des migrations est dès lors devenue définitive. Les requérants affirment avoir épuisé toutes les voies de recours internes.

Teneur de la plainte

3.1Aux dires des requérants, il y a des motifs sérieux de croire que le premier requérant serait soumis à la torture s’il était renvoyé en Fédération de Russie. Le premier requérant fait valoir qu’en 2003, son frère a été battu à mort en garde à vue, que l’on est toujours sans nouvelles de son neveu depuis son arrestation en septembre 2011 et qu’il n’est pas déraisonnable de penser qu’il est mort en garde à vue. Il affirme en outre que son épouse a reçu la visite des forces de sécurité, qui le recherchaient après sa fuite en Ingouchie. Selon lui, les faits montrent qu’il a été personnellement victime de mesures de harcèlement et de persécutions récurrentes. Les requérants concluent qu’en les expulsant, la Suède manquerait à l’obligation de non-refoulement que lui impose l’article 3 de la Convention.

3.2Les requérants soumettent une lettre du 4 février 2011 du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) portant sur le traitement des demandes de protection déposées par des réfugiés tchéchènes. Selon cette note, alors qu’en 2003, le HCR considérait systématiquement que tous les demandeurs d’asile tchétchènes avaient besoin d’une protection internationale, il n’en allait plus de même en 2011 compte tenu de l’amélioration générale de la situation en matière de sécurité. Le HCR indiquait toutefois que les membres de formations armées illégales et leurs proches, les opposants politiques et les défenseurs des droits de l’homme figuraient parmi les catégories de personnes dont la sécurité et les droits pouvaient être menacés. Il recommandait que toutes les demandes de protection émanant de réfugiés tchétchènes soient examinées au cas par cas, et ajoutait que la réinstallation interne, que ce soit en République tchétchène ou dans d’autres parties de la Fédération de Russie, n’était pas une solution à retenir pour les demandeurs d’asile tchétchènes fuyant des persécutions au sens de l’article 1A de la Convention relative au statut des réfugiés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note datée du 11 juillet 2014, l’État partie indique que le dossier des requérants a été examiné conformément à la loi sur les étrangers de 2005, entrée en vigueur le 31 mars 2006. Étant donné que le Comité connaît bien les dispositions de la législation interne pertinente pour avoir examiné d’autres affaires relatives à l’expulsion d’étrangers par la Suède et que les décisions et jugements internes citent les textes législatifs pertinents, que les requérants devraient eux aussi bien connaître, l’État partie ne juge pas nécessaire de fournir de plus amples informations à ce sujet. Il signale néanmoins, à toutes fins utiles, que le texte de la loi sur les étrangers de 2005, ainsi que celui des modifications qui y ont été apportées, sont disponibles en anglais sur Internet.

4.2L’État partie relève que les premier, deuxième, troisième, quatrième et cinquième requérants, selon les renseignements qu’ils ont eux-mêmes fournis, sont arrivés en Suède le 11 mars 2012 et ont demandé l’asile le lendemain. Le sixième requérant est né en Suède le 27 avril 2012 et une demande d’asile a été présentée en son nom le 8 août 2012 par l’intermédiaire de son conseil commis d’office. L’Office des migrations a rejeté les demandes des requérants et décidé, le 15 juillet 2013, d’expulser ces derniers vers la Fédération de Russie. Un recours a été formé contre cette décision devant le Tribunal des migrations, qui l’a rejeté le 19 novembre 2013. Le 19 décembre 2013, la Cour d’appel des migrations a refusé d’accorder aux requérants l’autorisation de faire appel et la décision d’expulsion est donc devenue définitive et non susceptible d’appel.

4.3L’État partie explique que, conformément aux dispositions du premier paragraphe de l’article 22 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers, une décision d’expulsion qui n’émane pas d’une juridiction ordinaire est valable pendant une durée de quatre ans à compter de la date à laquelle elle est devenue définitive et non susceptible d’appel. L’État partie souhaite attirer l’attention du Comité sur le fait que la décision d’expulsion visant les requérants tombera ainsi sous le coup de la prescription le 19 décembre 2017. Cela signifie, premièrement, que la décision en question ne pourra plus être exécutée après cette date et que les requérants ne seront plus sous la menace d’une expulsion et, deuxièmement, que toute nouvelle demande d’asile et de permis de séjour qu’ils déposeront ainsi que les raisons avancées à l’appui de cette demande seront entièrement réexaminées, et qu’une décision négative de l’Office des migrations pourra être attaquée devant le Tribunal des migrations et la Cour d’appel des migrations. Il convient de noter en outre que le dispositif nécessaire à l’exécution d’une décision d’expulsion est parfois long à mettre en place. Il importe donc au plus haut point que le Comité procède à l’examen de la recevabilité et/ou du fond de la requête bien avant cette date afin que les autorités suédoises disposent d’un délai suffisant pour prendre les mesures pratiques voulues au cas où le Comité conclurait, à l’issue de son examen, que la requête est irrecevable ou qu’elle ne fait pas apparaître de violation de la Convention.

4.4L’État partie note que les requérants font valoir principalement que le premier requérant a été arrêté et torturé en 2007 par les autorités tchétchènes et accusé d’avoir participé au meurtre de plusieurs policiers. En outre, en 2011, il a été accusé à tort d’implication dans plusieurs explosions ayant eu lieu à Grozny en août de la même année, ainsi que de possession illégale d’armes à feu et d’explosifs. La deuxième requérante prétend qu’elle a été accusée de complicité dans les activités du premier requérant. Les troisième, quatrième, cinquième et sixième requérants invoquent pour l’essentiel les mêmes motifs d’asile que leurs parents. Les requérants affirment que leur vie serait en danger s’ils étaient renvoyés en Fédération de Russie. Ils allèguent par conséquent que leur expulsion vers ce pays constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

4.5L’État partie indique également qu’à sa connaissance, aucune information n’indique que la présente affaire n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance d’enquête ou de règlement. Il espère que le Comité confirmera ce qui précède dans le cadre de son examen de la recevabilité de la requête.

4.6L’État partie ne conteste pas l’affirmation selon laquelle en l’espèce tous les recours internes disponibles ont été épuisés.

4.7L’État partie fait valoir que l’affirmation des requérants selon laquelle ils risquent d’être traités d’une manière qui constituerait une violation de l’article 3 de la Convention s’ils étaient renvoyés en Fédération de Russie n’est pas étayée par le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Il estime en conséquence que la requête est manifestement infondée et donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité. À ce sujet, il renvoie d’une manière générale à ce qui est indiqué ci-après sur le fond.

4.8L’État partie fait observer que si le Comité déclare la requête recevable, il aura à déterminer si l’expulsion des requérants vers la Fédération de Russie constituerait un manquement à l’obligation qui incombe à la Suède en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a violation de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris de l’existence, dans le pays considéré, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Cependant, comme le Comité l’a souligné à maintes reprises, il s’agit de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture dans ce pays. Pour qu’une violation de l’article 3 soit établie, il doit exister des motifs supplémentaires démontrant que l’intéressé court personnellement un tel risque.

4.9L’État partie note que, pour déterminer s’il y a violation de l’article 3, le Comité doit vérifier les éléments suivants : a) la situation générale des droits de l’homme en Fédération de Russie et, en particulier ; b) le risque que les requérants courent personnellement d’être soumis à la torture à leur retour. L’État partie rappelle en outre la jurisprudence du Comité selon laquelle, dans les cas tel celui de l’espèce, la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture. De plus, le risque de torture doit être apprécié en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que ce risque est hautement probable, il s’agit de prouver qu’il est encouru personnellement et actuellement .

4.10L’État partie note que, la Fédération de Russie étant partie à la Convention ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il tient pour acquis que le Comité connaît bien la situation générale des droits de l’homme dans ce pays, notamment dans le Caucase du Nord. À ce sujet, l’État partie estime donc qu’il suffit de renvoyer aux informations relatives à la situation des droits de l’homme en Fédération de Russie que l’on peut trouver dans des rapports récents. S’il ressort des informations disponibles que l’incidence de la violence et des violations graves des droits de l’homme en Tchétchénie (Fédération de Russie) a globalement diminué au cours des dernières années, l’État partie constate que des violations des droits de l’homme, notamment des disparitions, des mauvais traitements, des actes de torture et des meurtres, continuent d’être signalées. L’État partie ne veut donc pas minimiser les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme en Fédération de Russie, et particulièrement dans le Caucase du Nord. Néanmoins, la situation qui règne actuellement en Tchétchénie, telle qu’elle est décrite dans les rapports évoqués plus haut, ne suffit pas en soi à établir que la situation générale dans la région est telle que l’expulsion des requérants entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme par conséquent que le renvoi des requérants en Fédération de Russie ne constituerait un manquement à la Convention que si les intéressés pouvaient démontrer qu’ils risquent personnellement d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Or, pour l’État partie, les requérants n’ont pas étayé leurs allégations selon lesquelles ils courraient un tel risque.

4.11L’État partie souhaite attirer l’attention du Comité sur le fait que plusieurs dispositions de la loi sur les étrangers reprennent les principes énoncés à l’article 3 de la Convention, de sorte que lorsqu’elles examinent une demande d’asile en se fondant sur cette loi, les autorités suédoises de l’immigration appliquent les mêmes critères que le Comité lorsqu’il examine une requête au titre de la Convention. Les renvois des autorités suédoises, dans leurs décisions concernant la présente affaire, aux articles 1, 2 et 2 a) du chapitre 4 de la loi sur les étrangers attestent que ces critères ont bien été appliqués en l’espèce. De surcroît, selon les articles 1 à 3 du chapitre 12 de la même loi, un étranger ne peut en aucun cas être expulsé vers un pays où il y a des motifs raisonnables de penser qu’il risquerait de subir la peine de mort ou des châtiments corporels, la torture ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou vers un pays où il ne serait pas protégé contre le risque d’être expulsé vers un pays tiers où il courrait de tels dangers.

4.12L’État partie fait valoir également que les autorités nationales sont particulièrement bien placées pour évaluer les informations fournies par les demandeurs d’asile et apprécier la crédibilité de leurs allégations. À ce sujet, il tient à souligner que, dans la présente affaire, l’Office des migrations et le Tribunal des migrations ont soigneusement examiné le dossier des requérants. Lorsque ceux-ci ont déposé une demande d’asile, l’Office des migrations s’est entretenu individuellement à plusieurs reprises avec le premier requérant et la deuxième requérante pour leur donner l’occasion d’expliquer les raisons pour lesquelles ils avaient besoin de protection et de présenter tous les faits pertinents pour l’évaluation de leur dossier par l’Office. L’ensemble des entretiens se sont déroulés en présence du conseil des requérants et d’un interprète, que les requérants ont confirmé bien comprendre. En outre, l’Office des migrations a également eu des entretiens consacrés aux enfants avec la deuxième requérante en sa qualité de parent des troisième, quatrième et cinquième requérants, et avec le premier requérant et la deuxième requérante, en leur qualité de parents, lorsqu’une demande d’asile a été déposée au nom du sixième requérant, né en Suède. Les requérants ont aussi exposé leur cas par écrit à l’Office des migrations et aux tribunaux des migrations. Tout au long de la procédure d’asile, les requérants ont été représentés par un conseil. La décision de l’Office des migrations a fait l’objet d’un recours, mais le Tribunal des migrations ne l’a pas annulée. En conséquence, l’État partie estime qu’il convient de considérer que l’Office des migrations et les tribunaux des migrations avaient en leur possession des renseignements suffisants, compte tenu également des faits et pièces versés au dossier, garantissant qu’ils disposaient d’une base solide pour porter une appréciation éclairée, transparente et raisonnable sur le besoin de protection des requérants en Suède.

4.13À ce sujet, l’État partie tient à rappeler le paragraphe 9 de l’observation générale no 1 (1997) du Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention, ainsi que sa jurisprudence, précisant qu’il n’est pas un organe d’appel, ni un organe juridictionnel ou administratif, et qu’il accordera un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. De plus, le Comité a estimé que c’était aux tribunaux des États parties à la Convention, et non à lui-même, qu’il appartenait d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il pouvait être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve avaient été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice.

4.14L’État partie observe que l’Office des migrations et les tribunaux des migrations sont des organes spécialisés possédant une expérience particulière dans le domaine du droit et de la pratique en matière d’asile, et affirme qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions prises au niveau national n’étaient pas correctes ou que l’issue des procédures internes était arbitraire ou constituait un déni de justice. En conséquence, l’État partie estime qu’il convient d’accorder un grand poids aux avis des autorités suédoises de l’immigration, tels qu’exprimés dans leurs décisions ordonnant l’expulsion des requérants vers la Fédération de Russie.

4.15L’État partie relève également que les requérants ont affirmé que leur expulsion vers la Fédération de Russie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention au motif qu’ils risquent à leur retour d’être soumis à un traitement contraire aux droits consacrés par la Convention, en raison principalement des accusations d’implication dans des explosions ayant eu lieu à Grozny en août 2011 et de possession illégale d’armes et d’explosifs visant le premier requérant. L’État partie, comme les autorités de l’immigration, considère que plusieurs éléments autorisent à douter de la véracité de l’allégation des requérants selon laquelle ils courent le risque d’être soumis à la torture, en violation de l’article 3 de la Convention, à leur retour en Fédération de Russie. L’État partie souscrit à l’appréciation de l’Office des migrations et du Tribunal des migrations selon laquelle les récits des requérants contiennent des informations qui se contredisent et vont à l’encontre de faits généralement connus concernant le pays d’origine des requérants. L’État partie estime dès lors que les requérants n’ont pas fourni un exposé crédible des faits, et il va évoquer plus en détail ci-après les éléments à prendre en considération pour l’évaluation de la crédibilité des requérants à cet égard.

4.16Premièrement, pour justifier de leur identité, les requérants ont produit un livret militaire appartenant au premier requérant, un passeport national appartenant à la deuxième requérante et des certificats de naissance pour les troisième, quatrième et cinquième requérants. L’État partie partage l’avis de l’Office des migrations et du Tribunal des migrations selon lequel ces documents n’établissent pas de manière plausible l’identité des requérants. Comme l’Office des migrations l’a relevé, le livret militaire du premier requérant est un document ancien, simple et dépourvu d’annotations récentes. En ce qui concerne le passeport national de la deuxième requérante, la page sur laquelle les autorités russes inscrivent les informations sur la délivrance et la date d’émission d’un passeport international ou de précédents passeports nationaux est manquante, sans que la deuxième requérante ait donné d’explication plausible quant à son absence. Enfin, les certificats de naissance des troisième, quatrième et cinquième requérants sont des documents simples, sans photo ou certificat vérifiable. À ce sujet, l’État partie estime, comme l’Office des migrations, que les requérants ont vraisemblablement dissimulé des informations utiles pour la procédure d’asile.

4.17Au vu de ces éléments et étant donné que le récit fait par les requérants de leur voyage d’Ingouchie en Suède est vague et manque de détails concrets, l’État partie, comme l’Office des migrations, ne peut écarter la possibilité que les requérants aient quitté la Fédération de Russie légalement, munis de leurs propres passeports internationaux et de visas pour l’espace Schengen, ou qu’ils aient résidé ailleurs qu’en Tchétchénie avant leur départ pour la Suède. En outre, bien que l’analyse linguistique montre que les requérants sont originaires de Tchétchénie, ceux-ci n’ont produit aucune pièce indiquant leur dernier lieu de résidence. Par conséquent, l’État partie partage l’avis de l’Office des migrations selon lequel les requérants ont peut-être résidé dans une autre partie de la Fédération de Russie avant de partir pour la Suède. Il estime dès lors que, même si les requérants ont démontré de manière plausible qu’ils étaient citoyens de la Fédération de Russie, ils n’ont pas établi de manière plausible que leur dernier lieu de résidence se trouvait en Tchétchénie.

4.18Par ailleurs, le premier requérant et la deuxième requérante ont dit appartenir au groupe ethnique des Mialkhis, dont les membres sont victimes de discrimination et de harcèlement de la part des autorités russes. L’État partie observe toutefois que les requérants n’ont pas affirmé avoir subi personnellement des persécutions en raison de leurs origines ethniques ni invoqué ce seul motif pour obtenir l’asile. En tout état de cause, l’État partie estime que le fait que les requérants appartiennent au groupe des Mialkhis n’est pas suffisant en soi pour démontrer que leur expulsion vers la Fédération de Russie serait contraire à l’article 3 de la Convention.

4.19Le premier requérant a indiqué au Comité qu’il avait combattu activement aux côtés des forces rebelles pendant la première guerre avec la Fédération de Russie, entre 1994 et 1996, et que les autorités russes s’intéressaient à lui en raison de ses contacts avec les chefs de la rébellion, Shamil Basajev et Doku Umarov. L’État partie relève toutefois que le premier requérant n’a pas fait valoir devant les autorités suédoises de l’immigration que les autorités russes avaient ouvert une quelconque enquête officielle le concernant au motif de ses contacts présumés avec ces chefs rebelles. Par ailleurs, comme il ressort des renseignements disponibles sur le pays d’origine des requérants, il semble que les autorités s’intéressent principalement aux insurgés qui ont été actifs ces dernières années sans plus manifester d’intérêt pour les anciens rebelles. L’État partie observe également que si, comme il le prétend, le premier requérant avait soutenu les forces rebelles et avait eu des liens avec Doku Umarov, il est peu probable que les autorités l’eussent laissé tranquille. De plus, même si le premier requérant déclare au Comité qu’il a aidé les rebelles en 2007 et en 2008 en leur fournissant des vivres et des médicaments, il n’a jamais été donné à entendre que les autorités en avaient eu connaissance. Le premier requérant a au contraire indiqué au Comité qu’il avait évité de se faire remarquer pendant cette période et qu’il n’avait ainsi pas attiré l’attention des autorités. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie estime qu’il n’est guère probable que les autorités aient lancé des menaces contre le premier requérant du fait de ces activités.

4.20Il convient de noter également que le premier requérant a affirmé au Comité qu’il avait critiqué ouvertement le régime après le décès de son frère, en 2003, ajoutant qu’après cela, les autorités s’étaient mises à le surveiller. Il n’a toutefois pu préciser quelle forme ses critiques avaient prises, ni comment il pouvait avoir la certitude qu’il était sous surveillance et qu’il ne s’agissait pas là d’une simple supposition de sa part. Dès lors, de l’avis de l’État partie, les requérants n’ont pas démontré de manière plausible qu’ils avaient besoin de protection pour ce motif.

4.21Le premier requérant prétend aussi qu’il a été arrêté en 2007 parce qu’il était soupçonné d’être impliqué dans le meurtre d’un policier. Pendant sa garde à vue, qui a duré dix jours, il aurait été passé à tabac et torturé à l’électricité. Toutefois, au cours de la procédure d’asile, le premier requérant a fourni des explications contradictoires concernant le motif de cette arrestation. Il a d’abord indiqué lors d’un entretien avec l’Office des migrations, le 13 avril 2012, qu’il avait été accusé d’avoir tué sept policiers en 2007 et que, pour cette raison, il avait été arrêté et soumis à la torture. Cependant, lors d’un autre entretien avec l’Office des migrations, le 14 mars 2012, il a expliqué que lorsque l’ami de son neveu avait été tué, le 22 août 2007, la police avait trouvé son numéro de téléphone dans la liste de contacts du téléphone mobile de cet ami. Le lendemain, il avait reçu un appel des services de police lui demandant de produire sa carte SIM, ce qui avait conduit à son arrestation. De plus, au cours d’une audience devant le Tribunal des migrations, le premier requérant a déclaré que l’ami de son neveu et lui-même avaient échangé leurs numéros de téléphone et que les autorités de police de Grozny l’avaient par la suite prié de se présenter au poste de police. Là, on lui avait montré une photo de la dépouille de l’ami de son neveu qui, selon la police, avait tué sept policiers. Le premier requérant avait ensuite été interrogé sur ses liens avec cette personne et torturé à l’électricité. Enfin, lors d’un entretien réalisé le 3 avril 2012, la deuxième requérante a expliqué qu’un téléphone portable contenant le numéro de téléphone de son époux avait été trouvé à côté du corps d’un policier décédé et que c’était pour cette raison que son conjoint avait été arrêté. Elle pensait que les faits remontaient à 2007. L’État partie estime, comme le Tribunal des migrations, que les requérants n’ont pas donné d’explication satisfaisante quant aux incohérences mentionnées ci-dessus, ce qui affaiblit dès lors la crédibilité de leur récit.

4.22Ni l’Office des migrations ni le Tribunal des migrations n’ont mis en doute la véracité des allégations de torture du premier requérant. Il n’a pas été jugé nécessaire d’ordonner une expertise médicale pour les vérifier. L’État partie s’accorde avec l’Office des migrations et le Tribunal des migrations pour estimer que le fait que le premier requérant a été torturé en 2007 n’est pas suffisant en soi pour démontrer de manière plausible que sa famille ou lui-même risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Pour l’État partie, il importe de souligner que, comme l’Office des migrations l’a constaté, le premier requérant admet qu’il a vécu en Tchétchénie après 2007 sans prétendre pour autant avoir fait l’objet de menaces particulières avant fin 2011. Par ailleurs, comme le Tribunal des migrations l’a fait observer, il s’agit d’évaluer le besoin de protection sur la base de la situation actuelle en matière de sécurité, en tenant compte d’informations pertinentes sur le pays d’origine de l’intéressé. Les renseignements disponibles au sujet du pays montrent que le conflit en Tchétchénie a évolué au cours des dernières années. Aujourd’hui, les rebelles tchétchènes ne lutteraient plus pour l’indépendance de la Tchétchénie par rapport à la Fédération de Russie, mais pour la formation d’un état islamique pancaucasien reposant sur la charia. Dès lors, comme il a été dit plus haut, les autorités s’intéressent principalement aux rebelles qui participent actuellement à la lutte, et ne manifestent plus d’intérêt pour ceux qui n’ont pas été actifs ces dernières années. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie souscrit à l’appréciation de l’Office des migrations et des tribunaux des migrations selon laquelle le premier requérant ne court pas, actuellement, le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention pour ce motif.

4.23On notera aussi que le premier requérant a présenté deux convocations de la police pour des entretiens en tant que suspect. Selon ses dires, ces documents ont été envoyés à l’ancien domicile des requérants en Tchétchénie. Le nouveau propriétaire de la maison les a remis à la sœur du premier requérant, qui les a envoyés au requérant en Suède. L’État partie partage l’avis de l’Office des migrations et du Tribunal des migrations selon lequel ces convocations ne sont pas suffisantes en elles-mêmes pour démontrer de manière plausible que les requérants ont besoin de protection. À ce sujet, l’État partie relève, premièrement, que les convocations sont des documents simples, qui n’ont donc qu’une faible valeur probante ; deuxièmement, qu’elles ne précisent pas l’infraction que le requérant est soupçonné d’avoir commise ; et troisièmement, qu’elles ne peuvent être reliées au premier requérant personnellement car celui-ci n’a pas démontré son identité de manière plausible.

4.24Les preuves documentaires citées n’ayant pas permis aux requérants de démontrer de manière plausible qu’ils avaient besoin de protection, l’Office suédois des migrations et les tribunaux des migrations ont évalué si les déclarations faites oralement par les requérants avaient été plus convaincantes. L’État partie indique à ce propos que, lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité du récit d’un demandeur d’asile, on accorde surtout de l’importance, normalement, à la cohérence de l’exposé des faits et à l’absence de contradictions dans le récit. En outre, les circonstances invoquées ne doivent pas aller à l’encontre de faits généralement connus. Enfin, il importe que les éléments essentiels du récit ne varient pas au fil de la procédure d’asile devant les différentes autorités.

4.25L’État partie indique que l’Office des migrations et le Tribunal des migrations n’ont pas jugé crédibles les motifs d’asile invoqués par les requérants en raison d’incohérences dans la description des événements du 7 septembre 2011. Ainsi, lors du dépôt de la demande d’asile, le premier requérant a affirmé qu’il se trouvait chez un proche au moment où son neveu avait été arrêté. Il a également déclaré qu’il avait ensuite quitté la maison dans la nuit du 4 ou du 5 septembre 2011. Cependant, au cours de l’enquête menée par l’Office des migrations, le premier requérant a expliqué que sa famille et lui-même étaient à la maison, en train de dormir, lorsque, au petit matin du 7 septembre 2011, leur voisin les avait avertis qu’il y avait des véhicules militaires devant la maison de son neveu. Le premier requérant s’était alors rendu sur place pour savoir ce qu’il s’était passé, mais son neveu avait déjà été emmené et le premier requérant était rentré chez lui. À l’audience devant le Tribunal des migrations, le premier requérant a toutefois donné une troisième version des événements du 7 septembre 2011 sans jamais mentionner les dates des 4 et 5 septembre. Le premier requérant affirmait alors qu’il n’était pas rentré chez lui après s’être rendu chez son neveu, mais qu’il était allé directement au centre du village, où il avait pris un taxi pour se rendre en Ingouchie chez un ami. De l’avis de l’État partie, les incohérences évoquées ci-dessus entament la crédibilité du récit du premier requérant.

4.26Il convient de noter aussi que le premier requérant a fourni des informations incohérentes concernant la manière dont il s’était procuré le numéro de téléphone d’un homme qui aurait pu l’aider et le moment où il l’avait fait. Devant l’Office des migrations, il a affirmé qu’il avait obtenu ce numéro en passant des appels téléphoniques depuis chez lui après son retour de la maison de son neveu. Cependant, devant le Tribunal des migrations, il a déclaré qu’il avait reçu ce numéro de téléphone d’un chauffeur de taxi au centre du village, où il était allé après être passé à la maison de son neveu.

4.27La deuxième requérante a elle aussi présenté des versions contradictoires des événements du 7 septembre 2011. Devant l’Office des migrations, elle a déclaré que le premier requérant était rentré chez eux après être allé à la maison de son neveu et qu’il s’était ensuite rendu au centre du village, mais, à l’audience devant le Tribunal des migrations, elle a affirmé qu’elle aussi était allée à la maison du neveu, où elle avait retrouvé son mari, qui, de là, s’était rendu au centre du village. L’État partie souscrit à l’appréciation du Tribunal des migrations selon laquelle il semble étrange que ni le premier requérant ni la deuxième requérante ne puissent se remémorer avec précision les événements en question, sachant notamment qu’ils se sont déroulés le même jour et qu’ils auraient été à ce point dramatiques que le premier requérant avait dû fuir son domicile, laissant derrière lui son épouse et ses trois enfants. De l’avis de l’État partie, le fait que les versions respectives des événements données par le premier requérant et la deuxième requérante comportent des contradictions et qu’elles diffèrent sensiblement l’une de l’autre porte atteinte à la crédibilité des récits des requérants.

4.28On relèvera également que la deuxième requérante a fourni différentes explications au sujet de la vente de leur maison. Elle a déclaré devant l’Office des migrations que la maison avait été achetée par un intermédiaire, qui acquérait des maisons à bas prix pour les revendre ensuite plus cher. Cependant, devant le Tribunal des migrations, elle a indiqué que la maison avait été achetée par un dénommé Hussein, qui avait accepté que ses enfants et elle-même y demeurent jusqu’à leur déménagement chez l’ami du premier requérant, en Ingouchie.

4.29Il est à noter aussi que, pendant l’enquête aux fins de l’asile menée par l’Office des migrations, le premier requérant, à qui l’on demandait s’il était recherché par les autorités sur tout le territoire de la Fédération de Russie, s’est contenté de répondre que c’était probablement le cas. Toutefois, dans une déclaration faite ultérieurement par écrit, il a indiqué qu’un ami à lui avait découvert qu’il était recherché au niveau fédéral en voyant une affiche avec sa photo le 20 février 2012, c’est-à-dire à une date où, selon ses affirmations, le premier requérant se trouvait toujours dans son pays d’origine. L’État partie considère par conséquent que les déclarations du premier requérant à ce sujet sont contradictoires.

4.30On observera en outre que les déclarations des requérants consistent pour une large part en conclusions personnelles. Ainsi, l’allégation concernant l’enregistrement du premier requérant par une caméra de surveillance lorsqu’il roulait dans Grozny et celle selon laquelle le neveu du premier requérant avait livré le nom de celui-ci aux autorités après avoir été torturé, n’ont pas été étayées par des informations objectives. De plus, les déclarations faites par les requérants dans le cadre de la procédure d’asile nationale ne sont, sur plusieurs points, ni satisfaisantes ni plausibles. Si la police soupçonnait réellement que la voiture du premier requérant avait été utilisée en lien avec des actes terroristes, il ne paraît pas logique qu’elle y ait mis le feu au moment de la perquisition menée au domicile des requérants. Il ne semble pas non plus logique que, lorsqu’elle est allée arrêter le neveu du premier requérant, la police ne se soit pas rendue au domicile des requérants pour arrêter le premier requérant également, puisque les maisons n’étaient qu’à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. L’État partie relève par ailleurs que, si le premier requérant avait fait l’objet de menaces de la part des autorités, il aurait paru normal qu’il en avertisse sa famille et que les requérants fuient immédiatement leur domicile ensemble, d’autant que le premier requérant a affirmé qu’il avait été persécuté dans le passé.

4.31L’État partie relève également que les informations citées dans le dossier montrent que ni le premier requérant ni aucun membre de sa famille n’ont été soumis après 2007 à une forme quelconque de traitement constituant un motif de protection. Eu égard à ce qui précède, le Tribunal des migrations a estimé que les requérants n’avaient pas démontré de manière plausible que les autorités nationales s’intéressaient à eux ou qu’ils risqueraient d’être soumis à un traitement constituant un motif de protection en cas de renvoi dans leur pays d’origine.

4.32En résumé, l’État partie affirme que les allégations des requérants ne sont pas plausibles sous plusieurs aspects car les requérants ont modifié leurs déclarations au cours de la procédure et les motifs d’asile qu’ils font valoir contiennent des éléments contradictoires. Dès lors, les allégations des requérants ne sont pas crédibles et les circonstances invoquées par ceux-ci ne suffisent pas à démontrer que le risque de torture allégué est prévisible, réel et personnel. En conséquence, l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas, en l’espèce, une violation de l’article 3 de la Convention. Les requérants n’ayant pas apporté le minimum d’éléments de preuve requis pour étayer leurs griefs au titre de l’article 3, la requête devrait être déclarée irrecevable parce que manifestement infondée.

4.33Sur le fond, l’État partie réaffirme que la présente requête ne fait pas apparaître de violation de la Convention.

Commentaires des requérants

5.1Dans leur note du 6 octobre 2014, les requérants affirment que les observations de l’État partie vont à l’encontre de ce que disent les rapports sur la situation des droits de l’homme en Fédération de Russie, notamment le rapport du Département du droit international, du droit des droits de l’homme et du droit des traités du Ministère suédois des affaires étrangères. D’après ce document, les violations des droits de l’homme les plus graves se produisent encore dans le Caucase du Nord, où, au nom de la lutte contre le terrorisme, des atteintes diverses telles que des actes de torture, des arrestations arbitraires et des enlèvements sont commises contre des civils ; des renseignements non confirmés font aussi état de meurtres politiques et de disparitions cautionnés par les autorités ; les exactions des forces de sécurité contre la population civile se sont poursuivies, en règle générale sans conséquences judiciaires ; rares sont les victimes qui osent porter plainte par peur de représailles, et il est donc difficile d’obtenir des statistiques sur les infractions constitutives de violations des droits de l’homme commises en Tchétchénie. Selon les requérants, le rapport décrit un pays où les sévices contre les personnes détenues sont monnaie courante, où ceux qui osent intervenir sont harcelés et où l’accès à la justice pour les victimes et l’établissement des responsabilités pour les violations sont inexistants. Les requérants affirment que l’analyse de l’État partie quant au changement de nature présumé du conflit « est spécieuse ou manque de pertinence » et que, selon l’ancien Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, un climat de terreur règne en Tchétchénie. Pour eux, émettre un avis sur qui court un risque et qui n’en court pas « est un exercice intellectuel sans rapport avec la réalité sur le terrain ». Ils renvoient à une déclaration de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, évoquant l’existence en Tchétchénie d’« un climat de peur généralisé », des disparitions d’opposants et de défenseurs des droits de l’homme, des représailles contre des familles de combattants présumés, des manœuvres d’intimidation des médias et de la société civile, le tout dans un climat de « personnalisation du pouvoir ». Les requérants notent en outre que, lors de la mission qu’elle a effectuée en Fédération de Russie en 2011, l’ancienne Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a de son côté demandé que les auteurs de violations aient à rendre des comptes et fait état de sérieux revers, notamment de meurtres, de manœuvres d’intimidation et de harcèlement à l’égard des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes d’investigation et des médias indépendants, et d’erreurs judiciaires graves manifestes. Enfin, ils renvoient au Rapport mondial 2014 de Human Rights Watch, qui décrit une litanie de violations analogue. Ils affirment que c’est à la lumière de ce contexte qu’il convient de juger leur histoire.

5.2Les requérants répètent que le premier requérant a combattu activement dans la résistance pendant le conflit qui s’est déroulé de 1994 à 1996 ; qu’à la reprise des hostilités, en 1999, il a continué de soutenir la résistance en fournissant des vivres aux partisans. Ils ajoutent que le frère du premier requérant a été victime à plusieurs reprises de graves passages à tabac puis a été tué en 2003 alors qu’il se trouvait en garde à vue parce qu’il était soupçonné d’être actif dans la résistance ; que le premier requérant a critiqué ouvertement le régime et a fait l’objet d’une surveillance par intermittence de la part des autorités ; qu’en 2007, il a été arrêté et a subi des passages à tabac et des actes de torture ; qu’après sa libération, il a continué d’approvisionner les partisans en vivres et en fournitures ; qu’après les explosions ayant eu lieu à Grozny en 2011, son neveu a été arrêté et que le premier requérant craignait d’être désigné comme suspect car son neveu allait être torturé et livrerait aux autorités des informations sur ses activités. Ils maintiennent que ce sont ces éléments qui ont décidé le premier requérant à fuir en Ingouchie.

5.3S’agissant des contradictions relevées dans leurs déclarations, les requérants font valoir qu’il s’agit d’incohérences mineures qui n’affaiblissent pas leur crédibilité et qu’il ressort des récents travaux de recherche sur les témoignages et les déclarations de témoins que si un témoignage peut être répété à maintes reprises sans la moindre incohérence, c’est le signe qu’il a été « appris par cœur » et que cela affaiblit donc sa crédibilité. En ce qui concerne leur identité, les requérants indiquent que les pièces qu’ils ont produites ne sont pas conformes aux normes occidentales, mais que cela n’influe en rien sur la question essentielle de leur identité. Pour ce qui est des convocations de la police, les requérants font valoir qu’il est bien connu que « c’est à cela que ressemblent les convocations de ce genre » et qu’ils voient mal pourquoi l’État partie insiste sur une évidence, « à moins qu’il ne veuille insinuer de quelque façon que ces documents ne sont pas authentiques ».

5.4Les requérants admettent que leur dernier lieu de résidence ne peut pas être établi sur la base de leurs documents d’identité, mais ils font valoir que cela est sans rapport avec leur demande d’asile. Ils renvoient à une lettre du HCR (dont copie est jointe) indiquant qu’il n’est pas raisonnable pour un demandeur d’asile tchétchène de chercher refuge ailleurs en Fédération de Russie. Ils rappellent également que le premier requérant a été passé à tabac et torturé par les autorités de la Fédération de Russie. L’État partie a accepté ce témoignage, mais a ensuite « choisi d’ignorer ses responsabilités, telles qu’elles sont définies non seulement par ses propres textes internes, mais aussi par la jurisprudence internationale ». Ils renvoient à l’arrêt rendu le 9 mars 2010 par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire R. C. c. Suède (requête no 41827/07), dans lequel il est indiqué que si les autorités d’un pays ont torturé une personne dans le passé, il doit être tenu pour acquis que les tortures seront répétées. Le texte de cet arrêt a été distribué par l’Office des migrations sous couvert d’une directive interne, signée par le chef par intérim du service des affaires juridiques de l’époque. Dans une autre directive interne, le chef du service des affaires juridiques a estimé qu’il conviendrait de faire examiner les demandeurs d’asile par des experts en médecine légale afin qu’ils constatent les lésions résultant de la torture. Enfin, le premier requérant répète que son frère a été tué alors qu’il se trouvait en garde à vue aux mains des autorités russes et que l’on ignore ce qu’il est advenu de son neveu, arrêté en 2011 ; au vu du bilan du Gouvernement de la Fédération de Russie en matière de droits de l’homme, il n’est pas absurde de craindre qu’il ait lui aussi été tué. En résumé, les requérants soutiennent qu’ils ont clairement fait l’objet d’un ensemble de mesures de harcèlement et de persécution les visant personnellement et qu’il y a des motifs sérieux de croire que le risque que court le premier requérant d’être soumis à la torture est réel, imminent et hautement probable.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Suite aux allégations des requérants concernant la situation générale actuelle des droits de l’homme en Fédération de Russie, l’État partie fait observer dans une note du 19 janvier 2015 que l’on trouve des informations à ce sujet dans des rapports récents. Il tient pour acquis que le Comité connaît bien la situation générale des droits de l’homme dans ce pays, notamment dans le Caucase du Nord. L’État partie ne veut pas sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation actuelle des droits de l’homme en Fédération de Russie, et spécialement dans le Caucase du Nord. Il maintient néanmoins que la situation qui règne actuellement en Tchétchénie ne suffit pas en soi à établir que la situation générale dans la région est telle que l’expulsion des requérants entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme par conséquent que le renvoi des requérants en Fédération de Russie ne constituerait un manquement à la Convention que si les intéressés pouvaient démontrer qu’ils risquent personnellement d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3.

6.2L’État partie tient également à rappeler que ni l’Office des migrations ni le Tribunal des migrations n’ont mis en doute la véracité des allégations de torture du premier requérant. Il n’a dès lors pas été jugé nécessaire d’ordonner une expertise médicale pour les vérifier. Néanmoins, l’État partie estime, comme l’Office des migrations et le Tribunal des migrations, que le fait que le premier requérant a subi des tortures en 2007 n’est pas suffisant en soi pour démontrer de manière plausible que sa famille ou lui-même risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention en cas de renvoi dans leur pays d’origine.

6.3Pour l’État partie, plusieurs éléments autorisent à douter de la véracité de l’allégation des requérants selon laquelle ils courent le risque d’être soumis à la torture, en violation de l’article 3 de la Convention, à leur retour en Fédération de Russie. À ce sujet, l’État partie souscrit à l’appréciation de l’Office des migrations et du Tribunal des migrations selon laquelle les récits des requérants contiennent des informations qui se contredisent et qui vont à l’encontre de faits généralement connus concernant le pays d’origine des requérants.

6.4En résumé, et compte tenu de ce qui a été exposé ci-dessus ainsi que dans ses observations initiales, l’État partie fait valoir que les requérants n’ont pas démontré de manière plausible que les autorités de la Fédération de Russie s’intéressaient à eux ou qu’ils risqueraient d’être soumis à un traitement constituant un motif de protection en cas de renvoi dans leur pays d’origine. Il maintient dès lors que, comme les autorités nationales l’ont affirmé, les allégations des requérants ne sont pas crédibles et que les circonstances invoquées par ceux-ci ne suffisent pas à démontrer que le risque de torture allégué est prévisible, réel et personnel. En conséquence, l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas, en l’espèce, une violation de l’article 3 de la Convention.

6.5Enfin, l’État partie souligne qu’il maintient intégralement sa position au sujet de la recevabilité et du fond de la requête, telle qu’elle est exprimée dans ses observations datées du 11 juillet 2014.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Il s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il ne peut examiner aucune requête émanant d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie ne conteste pas que les requérants ont épuisé toutes les voies de recours internes et il considère en conséquence qu’il n’est pas empêché d’examiner la requête par les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

7.3Le Comité note que, selon l’État partie, la requête est manifestement infondée et, partant, irrecevable en vertu du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention. Il considère toutefois qu’elle soulève des questions substantielles au titre de l’article 3 de la Convention qui doivent être examinées quant au fond. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2S’agissant du grief tiré par le premier requérant de l’article 3 de la Convention, le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Fédération de Russie. Pour ce faire, il doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois qu’il s’agit de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Dès lors, l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, selon laquelle l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle également que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

8.4Le Comité note, en l’espèce, que l’État partie a admis que des violations des droits de l’homme, notamment des disparitions, des mauvais traitements, des actes de torture et des meurtres, continuaient d’être signalées en Fédération de Russie. Toutefois, sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation des droits de l’homme en Fédération de Russie, et spécialement dans le Caucase du Nord, l’État partie considère que la situation qui règne actuellement en Tchétchénie, telle qu’elle est décrite dans les rapports mentionnés plus haut, ne suffit pas, en soi, à établir que la situation générale dans la région est telle que l’expulsion des requérants entraînerait une violation de l’article 3 de la Convention.

8.5En procédant à l’appréciation du risque de torture en l’espèce, le Comité relève que, selon les requérants, le premier requérant court un risque prévisible, réel et personnel d’être emprisonné et torturé en cas de renvoi en Fédération de Russie. Les requérants font valoir que le frère du premier requérant a été victime à plusieurs reprises de graves passages à tabac et a été tué en 2003 alors qu’il se trouvait en garde à vue parce qu’il était soupçonné d’être actif dans la résistance ; que le premier requérant a critiqué ouvertement le régime et a fait l’objet d’une surveillance par intermittence de la part des autorités ; qu’en 2007, il a été arrêté et a subi des passages à tabac et des actes de torture ; qu’après sa libération, il a continué à approvisionner les partisans en vivres et en fournitures ; qu’après les explosions ayant eu lieu à Grozny en 2011, son neveu a été arrêté ; et que le premier requérant craignait d’être désigné comme suspect car son neveu allait être torturé et livrerait aux autorités des informations sur ses activités.

8.6Pour ce qui est de la position de l’État partie concernant l’appréciation du risque que le premier requérant soit soumis à la torture, le Comité observe que l’État partie a reconnu que le premier requérant avait été torturé en 2007 et qu’il n’a pas mis en doute le fait que, selon ses dires, son frère et son neveu étaient membres de la résistance tchétchène, que son frère était décédé en garde à vue et que son neveu avait été arrêté en 2011. Le Comité relève par ailleurs que l’État partie a émis des doutes sur d’autres éléments du récit des requérants, à savoir le fait que leur dernier lieu de résidence se trouvait en Tchétchénie et le déroulement exact des événements du 7 septembre 2011, qui ont précédé le départ du premier requérant de Tchétchénie. Le Comité considère toutefois que l’on ne peut guère s’attendre à ce que le récit des victimes de torture soit d’une parfaite exactitude, et que les contradictions qui peuvent être relevées dans la présentation des faits par les requérants ne sont pas significatives et ne mettent pas en cause la véracité générale de leurs allégations. L’État partie a également noté que les convocations qui avaient été émises au nom du premier requérant étaient des documents simples, qui avaient donc une faible valeur probante, et qu’ils ne précisaient pas l’infraction que l’intéressé était soupçonné d’avoir commise.

8.7Le Comité relève que, même si les faits mis en doute ne sont pas pris en considération, il n’est cependant pas contesté que le premier requérant a été arrêté et torturé dans le passé parce qu’il était soupçonné de soutenir les activités séparatistes en Tchétchénie ; que des membres de sa famille ont été persécutés en raison de telles activités et que, comme l’attestent les convocations qu’il a reçues, les autorités de la Fédération de Russie l’ont recherché après son départ du pays, même si l’on ne sait pas exactement pour quel motif. Eu égard à la situation générale des droits de l’homme en Tchétchénie et étant donné notamment que, selon les propres observations de l’État partie, des sources fiables indiquent que les personnes qui passent pour avoir un lien avec des activités militantes courent un risque plus élevé d’être arrêtées arbitrairement et soumises à la torture, le Comité conclut que le premier requérant a établi qu’il court un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé en cas de renvoi en Fédération de Russie.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut par conséquent que le renvoi forcé de R. G. dans son pays d’origine constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.Étant donné que les causes de l’épouse de R. G. et des quatre enfants du couple, qui étaient mineurs au moment où la famille a déposé une demande d’asile en Suède, dépendent en grande partie de la cause de R. G., le Comité n’estime pas nécessaire de les examiner individuellement.

11.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi des requérants en Fédération de Russie par l’État partie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

12.Le Comité considère que l’État partie est tenu, conformément à l’article 3 de la Convention, de s’abstenir de renvoyer de force les requérants en Fédération de Russie ou dans un autre pays où ils courent un risque réel d’être expulsés ou renvoyés vers ce pays. Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à lui faire connaître, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de transmission de la présente décision, les mesures qu’il aura prises pour donner suite à ses constatations.