Nations Unies

CCPR/C/96/D/1574/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

7 septembre 2009

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Quatre ‑ vingt ‑ seizième session

13‑31 juillet 2009

Constatations

Communication no 1574/2007

Présentée par :

Jaroslav et Alena Slezák (non représentés par un conseil)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

République tchèque

Date de la communication :

10 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 18 juillet 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations :

20 juillet 2009

Objet :

Discrimination fondée sur la nationalité en ce qui concerne la restitution de biens

Questions de procédure :

Abus du droit de présenter une communication

Questions de fond :

Égalité devant la loi; égale protection de la loi sans discrimination

Article du Pacte :

26

Article du Protocole facultatif :

3

Le 20 juillet 2009, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations concernant la communication no 1574/2007 au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-seizième session)

concernant la

Communication no 1574/2007**

Présentée par:

Jaroslav et Alena Slezák (non représentés par un conseil)

Au nom de:

Les auteurs

État partie:

République tchèque

Date de la communication:

10 avril 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 20 juillet 2009,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1574/2007 présentée au nom de Jaroslav et Alena Slezák en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont M. Jaroslav et Mme Alena Slezák, naturalisés Américains, résidant dans le Massachusetts (États-Unis d’Amérique), nés en Tchécoslovaquie le 28 février 1926 et le 20 décembre 1930, respectivement. Ils se déclarent victimes d’une violation par la République tchèque de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Ils ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs ont quitté la Tchécoslovaquie pour des raisons politiques en 1969 et ils ont vécu aux États-Unis depuis cette date. En 1980, ils ont tous deux obtenu la nationalité américaine et perdu leur nationalité tchécoslovaque.

2.2En janvier 1971, le tribunal de district d’Olomouc les a condamnés par défaut à une peine d’emprisonnement et à la confiscation de leurs biens, notamment de leur maison familiale à Sternberk, dont la valeur est estimée par les auteurs à 2,5 millions de couronnes tchèques.

2.3Suite à la promulgation de la loi no 119/1990, les auteurs ont été réhabilités et leur condamnation, y compris la confiscation de leur propriété, a été annulée ex tunc. Les auteurs ont demandé à leur neveu, qui l’avait achetée à l’État, de la leur restituer, mais celui‑ci a refusé. Ils ont alors engagé une action en justice en 1994. Le tribunal de district d’Olomouc a décidé, en novembre 1998, que les auteurs ne pouvaient pas prétendre à la restitution au titre de la loi no 87/1991, dans la mesure où ils avaient été déchus de leur nationalité tchèque en devenant citoyens des États-Unis. Le tribunal régional a confirmé cette décision en appel le 25 février 1999. Les auteurs ont alors saisi la Cour constitutionnelle, qui a rejeté leur demande pour des motifs formels, le 15 décembre 1999. Les auteurs évoquent également la décision de la Cour constitutionnelle du 4 juin 1997, par laquelle celle-ci a rejeté toutes les demandes de restitution émanant de personnes qui n’étaient pas des ressortissants tchèques lorsqu’elles ont déposé leur demande.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment qu’ils sont victimes de discrimination et font valoir que le critère de la nationalité aux fins de la restitution de leurs biens en vertu de la loi no 87/1991 est une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 15 janvier 2008, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne les faits, il constate que les auteurs ont été déchus de la nationalité tchécoslovaque parce qu’ils avaient acquis la nationalité américaine, conformément au traité relatif à la naturalisation de 1928 conclu entre les deux pays. Les auteurs ont été réintégrés dans la nationalité tchèque en vertu d’une déclaration faite le 10 mai 2000. L’État partie passe en revue les différentes procédures judiciaires engagées par les auteurs, jusqu’à la dernière décision de la Cour constitutionnelle du 15 décembre 1999, qui a rejeté leur recours, parce qu’ils n’étaient pas représentés par un avocat comme l’exige la loi. L’État partie examine la législation pertinente applicable, à savoir la loi no119/1990 sur la réhabilitation judiciaire et la loi no 87/1991 sur la réparation par voie non judiciaire, et renvoie à la décision de la Cour constitutionnelle du 11 mars 1997, qui établit que les décisions judiciaires en dernier ressort adoptées en vertu de la loi no 119/1990 ne constituent pas un instrument approprié pour l’acquisition de biens. Dans une décision ultérieure, la Cour constitutionnelle a jugé que les personnes réclamant la restitution d’un bien en vertu de la loi no 87/1991 devaient satisfaire à toutes les conditions énoncées dans ladite loi, notamment en matière de nationalité.

4.2L’État partie note que les auteurs se considèrent victimes d’une violation de l’article 26 du Pacte parce que l’action qu’ils avaient engagée aux fins de la restitution de leur bien n’a pas abouti. En ce qui concerne la recevabilité, il fait observer que la dernière décision interne dans l’affaire des auteurs a été adoptée le 15 décembre 1999, soit plus de six années avant que les auteurs ne s’adressent au Comité. En l’absence de faits nouveaux depuis l’adoption de la dernière décision interne, et en l’absence de toute explication raisonnable quelle qu’elle soit, susceptible de justifier un tel délai, l’État partie invite le Comité à considérer la communication irrecevable au motif qu’elle constitue un abus du droit de présenter une communication, au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Pour appuyer son argument, l’État partie invoque les décisions du Comité au sujet des communications no 1434/2005, Fillacier c. France, no 787/1997, Gobin c. Maurice, et no 1452/2006, Chytil c. République tchèque.

4.3À titre subsidiaire, l’État partie affirme que la communication est irrecevable ratione temporis, dans la mesure où les auteurs ont été déchus de leur droit de propriété en 1971, soit bien avant que le Pacte et le Protocole facultatif n’entrent en vigueur pour la République tchèque.

4.4En ce qui concerne le fond de l’affaire, l’État partie note que le droit invoqué par les auteurs au titre de l’article 26 du Pacte est un droit autonome, indépendant de tout autre droit garanti par le Pacte. Il rappelle que, dans sa jurisprudence, le Comité a affirmé que les différences de traitement n’étaient pas toutes discriminatoires et qu’une différenciation fondée sur des critères raisonnables et objectifs n’équivalait pas à un traitement discriminatoire interdit au sens de l’article 26. L’article 26 n’implique pas que l’État est tenu de réparer une injustice passée, compte tenu en particulier du fait que le Pacte n’était pas applicable à l’époque où la Tchécoslovaquie était un pays communiste.

4.5L’État partie fait en outre observer qu’il n’est pas possible de remédier à toutes les injustices passées et que, dans le cadre de ses prérogatives légitimes, le législateur, exerçant sa marge de pouvoir discrétionnaire, a dû déterminer dans quels domaines factuels il allait légiférer, et dans quel sens, afin d’atténuer les préjudices, sachant qu’il devait tenir compte d’un certain nombre d’intérêts opposés. L’action engagée par les auteurs n’a pas abouti parce qu’ils n’ont pas respecté la condition de nationalité énoncée dans la loi no 87/1991. L’État partie invoque d’autres arguments qu’il avait précédemment présentés au Comité, et il conclut en affirmant qu’il n’a pas commis de violation de l’article 26 dans le cas d’espèce.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires, datés du 18 février 2008, les auteurs maintiennent que la loi no 87/1991 est discriminatoire et qu’elle constitue une violation du Pacte. Ils invoquent les observations finales du Comité au sujet du deuxième rapport périodique de la République tchèque et ses considérations dans des affaires similaires où il avait conclu à une violation. Ils affirment que les décisions internes invoquées par l’État partie, y compris celles de la Cour constitutionnelle, ne sauraient l’emporter sur le Pacte.

5.2En ce qui concerne la question du retard qui représente un abus du droit de présenter une communication de leur part, les auteurs rejettent l’argument de l’État partie. Ils font valoir que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour adresser une communication, et que le retard dans la présentation de leur communication était dû à un manque d’information. Ils constatent à ce propos que l’État partie ne fait pas traduire et publier les décisions du Comité.

5.3Les auteurs rejettent l’argument de l’État partie selon lequel leur communication devrait être jugée irrecevable ratione temporis, dans la mesure où la législation tchèque pertinente en matière de restitution et les décisions de justice à ce sujet ont été adoptées après que le Pacte est entré en vigueur pour la République tchèque.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité a pris note de l’argument de l’État partie pour qui la communication devrait être déclarée irrecevable car elle constitue un abus du droit de plainte, en raison du long délai qui s’est écoulé entre la dernière décision rendue dans le cas d’espèce et la présentation de la communication au Comité. Le Comité fait observer que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai pour lui adresser une communication. C’est uniquement dans des circonstances exceptionnelles que le retard mis à présenter une communication peut aboutir à l’irrecevabilité de celle‑ci. Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité considère que le laps de temps d’environ six ans et demi entre la dernière décision de l’autorité compétente et la présentation de la communication au Comité ne rend pas celle‑ci irrecevable au motif qu’elle constituerait un abus au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité s’est également demandé si les griefs de violation pouvaient être examinés ratione temporis. Il note que les confiscations ont eu lieu avant l’entrée en vigueur du Pacte et du Protocole facultatif pour la République tchèque, mais que les effets de la nouvelle législation, qui ne s’applique pas aux demandeurs n’ayant pas la nationalité tchèque, persistent après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour la République tchèque, ce qui pourrait entraîner une discrimination en violation de l’article 26 du Pacte.

6.5En l’absence de toute autre objection à la recevabilité de la plainte, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle peut soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte, et il procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si l’application aux auteurs de la loi no 87/1991 équivaut à une discrimination, constitutive d’une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les différences de traitement ne sauraient toutes être réputées discriminatoires au regard de l’article 26. Un traitement différent qui est compatible avec les dispositions du Pacte et qui est fondé sur des motifs objectifs et raisonnables ne constitue pas une discrimination interdite au sens de l’article 26.

7.3Le Comité rappelle les constatations qu’il a adoptées dans les nombreuses affaires portant sur la restitution de biens en République tchèque, dans lesquelles il a conclu à une violation de l’article 26 du Pacte et a considéré qu’il serait incompatible avec le Pacte d’exiger des auteurs qu’ils obtiennent la nationalité tchèque à titre de condition pour obtenir la restitution de leur bien ou, à défaut, une indemnisation appropriée. Étant donné qu’à l’origine le droit des auteurs de demander la restitution de leur bien n’était en rien fonction d’un critère de nationalité, le Comité a considéré que la condition de nationalité était déraisonnable. Dans l’affaire Des Fours Walderode, le Comité a fait observer que l’établissement dans la loi d’un critère de nationalité en tant que condition nécessaire pour obtenir la restitution d’un bien confisqué par les autorités établissait une distinction arbitraire et discriminatoire entre des individus qui étaient tous également victimes des confiscations antérieures, et constituait une violation de l’article 26 du Pacte. Le Comité considère que le principe établi dans les affaires susmentionnées s’applique également aux auteurs de la présente communication. Il conclut donc que l’application aux auteurs du critère de nationalité énoncé dans la loi no 87/1991 a violé leurs droits au regard de l’article 26 du Pacte.

8.1Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

8.2En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, qui peut être une indemnisation si son bien ne peut pas lui être rendu. Le Comité engage de nouveau l’État partie à revoir sa législation de façon à garantir que toutes les personnes bénéficient à la fois de l’égalité devant la loi et de l’égale protection de la loi.

8.3Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle dissidente de M. Krister Thelin

La majorité des membres du Comité a conclu que la communication était recevable et a décidé de l’examiner au fond.

Avec tout le respect dû au Comité, je suis en désaccord avec lui.

Laisser passer un certain temps avant de présenter une communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter des communications, au sens de l’article 3 du Protocole facultatif. Toutefois, on peut déduire de la jurisprudence du Comité qu’un retard excessif devrait, en l’absence de circonstances exceptionnelles, entraîner l’irrecevabilité de la communication. Dans un certain nombre d’affaires, le Comité a conclu qu’une période de plus de cinq ans constituait un délai d’une longueur indue.

En l’espèce, l’auteur a laissé s’écouler près de six ans et demi avant de présenter la communication. Le manque d’information, qui est la seule explication donnée par l’auteur, qui pourrait justifier le retard ne constitue par une circonstance exceptionnelle. Il faut donc y voir un abus du droit de plainte et la communication aurait dû par conséquent être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

(Signé) M. Krister Thelin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]