Nations Unies

CCPR/C/96/D/1639/2007

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

20 août 2009

Français

Original: anglais

C omité des droits de l’homme

Quatre-vingt-seizième session

13-31 juillet 2009

Décision

Communication no 1639/2007

Présentée par:

Peter Zsolt Vargay (représenté par M. Istvan Barbalics)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

9 octobre 2007 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 5 décembre 2007 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:

28 juillet 2009

Objet :

Radiation d’un acte dans une procédure devant le juge aux affaires familiales concernant la garde d’un enfant

Questions de procédure :

Procès inéquitable; discrimination; protection de l’enfant; servitude; liberté d’expression; liberté de pensée et de religion; égalité entre les époux

Questions de fond :

Épuisement des recours internes; griefs non étayés

Articles du Pacte :

2 (par. 3), 8 (par. 2), 14 (par. 1), 18 (par. 2 et 4), 19 (par. 2), 23 (par. 4) et 26

Article s du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (quatre-vingt-seizième session)

concernant la

Communication no 1639/2007 *

Présentée par:

Peter Zsolt Vargay (représenté par M. Istvan Barbalics)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

9 octobre 2007 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 juillet 2009,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.L’auteur de la communication est M. Peter Zsolt Vargay, de nationalité hongroise, né en 1969. Il se déclare victime de violations par le Canada des droits consacrés aux articles 2 (par. 3), 8 (par. 2), 14 (par. 1), 18 (par. 2 et 4), 19 (par. 2), 23 (par. 4) et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il est représenté par M. Istvan Barbalics. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 mai 1976.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur et Agnes Vargay ont eu une fille, Tamara Vargay, née le 7 mars 2001. Ils se sont ensuite mariés le 21 avril 2001, en Hongrie. Le 20 février 2004, l’auteur et sa femme sont arrivés avec l’enfant à Toronto, dans la province de l’Ontario (Canada). Les relations entre les deux époux s’étaient détériorées au fil des ans. Le 9 avril 2004, une dispute a éclaté entre eux. Le lendemain, Mme Vargay a quitté le domicile conjugal avec l’enfant. L’auteur n’a plus revu sa fille depuis lors.

2.2Le 13 avril 2004, Mme Vargay a engagé une action concernant la garde et l’entretien de l’enfant. Le 14 avril 2004, la cour de justice de l’Ontario a rendu une ordonnance provisoire accordant à Mme Vargay la garde de l’enfant à titre provisoire − sans préjudice des droits de l’époux quand il aurait été répondu à la demande − et ordonnant à l’époux de ne pas harceler, molester ou importuner la demanderesse. La cour précisait également que l’enfant ne devait pas quitter la province de l’Ontario. Le 11 mai 2004, l’auteur a demandé à la cour de rejeter la demande. Il demandait également la garde conjointe de l’enfant et un droit de visite et d’être régulièrement informé de son éducation, sa santé et son bien-être en général. Le 13 mai 2004, Mme Vargay a modifié sa demande et a demandé à la cour de lui accorder la garde exclusive, d’interdire à son mari de voir sa fille, d’ordonner à l’auteur de verser une pension alimentaire pour l’enfant et pour elle‑même et de prendre une ordonnance interdisant à l’auteur de l’importuner, la harceler, la molester et de communiquer avec elle et l’enfant ou de s’approcher à moins de 500 mètres d’elle-même et de l’enfant. La cour de l’Ontario a accédé à la demande de Mme Vargay et a ordonné à l’auteur de produire des relevés de ses comptes bancaires en Hongrie à partir de 2003 jusqu’en mai 2004; elle lui a demandé aussi de présenter des relevés bancaires à jour de ses comptes pour la période allant de février à mai 2004. Le tribunal a accordé à titre provisoire à Mme Vargay la garde de l’enfant et à l’auteur un droit de visite.

2.3Le 21 mai 2004, Mme Vargay a modifié sa demande financière, estimant ses besoins à 727 dollars canadiens par mois. Le 15 juillet 2004, le tribunal a ordonné à l’auteur de transmettre à Mme Vargay des copies de tous les relevés bancaires de ses comptes personnels et des comptes de son affaire en Hongrie pour 2003 et 2004, ainsi qu’une pièce justifiant qu’il était bien associé dans la société d’informatique qu’il possédait en Hongrie. Le tribunal a autorisé l’auteur à rendre visite à sa fille trois heures par semaine, sous surveillance. D’après l’auteur, les banques hongroises ont envoyé des certificats valables attestant le solde de ses comptes bancaires. De plus le père de l’auteur, qui est le deuxième propriétaire de la société, a écrit une lettre au juge déclarant que la société ne faisait aucun chiffre d’affaires, n’avait qu’un salarié à temps partiel et n’avait pas d’actifs. Le tribunal a insisté pour que l’auteur apporte la preuve de son statut d’associé dans cette société. L’auteur a refusé de donner les renseignements demandés sans l’autorisation de l’autre propriétaire. Comme il n’obtenait pas cette autorisation, il a continué de refuser de donner suite à la demande du tribunal. Le 7 octobre 2004, le tribunal a décidé que, si l’auteur ne donnait pas les renseignements demandés, Mme Vargay pourrait faire sa demande. Le tribunal a également demandé à l’auteur d’apporter la preuve qu’il était à la recherche d’un emploi.

2.4L’auteur affirme qu’il a donné au tribunal des documents montrant qu’il avait fait son possible pour accéder à sa demande. Toutefois, le 27 janvier 2005, le tribunal a ordonné que la réponse de l’auteur soit radiée, que Mme Vargay ait définitivement la garde de l’enfant et que l’auteur verse une pension alimentaire pour son épouse et pour l’enfant, à partir du 9 avril 2004.

2.5Quand il a voulu faire appel de la décision de radiation, l’avocat de l’auteur a été informé que l’une des parties devait résider dans l’Ontario pour que le tribunal puisse être déclaré compétent. Comme l’auteur n’habitait plus dans l’Ontario, il devait obtenir une déclaration de Mme Vargay attestant son lieu de résidence. Il ne l’a pas obtenue et il n’a donc pas pu faire appel de la décision du tribunal de l’Ontario.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que l’État partie a commis une violation du droit à un procès équitable et du droit à l’égalité de moyens consacrés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il fait valoir que la cour de justice de l’Ontario n’a pas tenu compte du contrat de mariage valable conclu entre les parties et qui reconnaissait l’applicabilité du droit hongrois et la compétence des tribunaux hongrois pour tout litige né des stipulations du contrat lui‑même. Il considère que le tribunal l’a empêché d’être entendu et de faire appel de sa décision. Il ajoute que s’il n’a pas apporté les documents demandés c’était en raison d’actes indépendants de sa volonté, c’est‑à‑dire à cause du refus du deuxième propriétaire de la société d’informatique. Il considère en outre que la décision du tribunal reposait uniquement sur les arguments de l’autre partie et qu’elle manque d’arguments pour motiver le montant qu’il doit payer à titre d’aliments pour son épouse et pour sa fille. L’auteur estime aussi que le tribunal a agi de façon discriminatoire et fait donc valoir une violation de l’article 26 du Pacte.

3.2D’après l’auteur il y a eu violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte parce qu’il n’a pas pu faire recours contre la décision du tribunal de l’Ontario. L’auteur fait valoir que Mme Vargay vivait bien dans cette province quand le recours a été formé mais qu’elle a profité de son droit de ne pas divulguer son adresse. Il fait aussi valoir que la décision du tribunal a été injuste car la non‑présentation des documents demandés était due à des actions indépendantes de sa volonté. Il conclut qu’en raison des failles de la législation canadienne il n’a pas eu accès à un recours utile.

3.3L’auteur invoque une violation des droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 8 du Pacte, affirmant que les erreurs commises par le tribunal de l’Ontario quand il a estimé son revenu le placeraient dans une situation de servitude vu que tout l’argent qu’il pourrait éventuellement gagner devra être versé à sa femme et à sa fille au titre de l’obligation d’aliments. Le tribunal a fait une estimation de son revenu en se fondant sur les revenus d’un mathématicien ayant un diplôme canadien et justifiant de quinze ans d’expérience de travail au Canada, ce qui n’était pas son cas puisqu’il venait d’arriver dans le pays. Pour ce motif, l’auteur invoque également une violation de l’article 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 7 juillet 2008, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, qu’elle est incompatible avec les dispositions du Pacte et qu’elle n’est pas étayée. Si toutefois le Comité devait déclarer la communication recevable, l’État partie objecte qu’elle est dénuée de fondement.

4.2D’après l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. La jurisprudence constante du Comité des droits de l’homme est de considérer que l’auteur d’une communication doit faire preuve de la diligence voulue pour exercer les recours qui sont ouverts. En l’espèce, l’auteur n’a pas fait preuve de la diligence voulue alors que la loi de la famille de la province de l’Ontario prévoit des mécanismes spécifiques pour traiter des plaintes de la nature de celle de l’auteur. D’après l’État partie, les avocats de l’auteur ont essayé de le convaincre de produire les documents requis afin que sa réponse à la motion ne soit pas radiée et pour obtenir des instructions de l’auteur de façon à former le recours dans les délais d’appel. Or l’auteur ne semble pas avoir répondu aux demandes de ses avocats et n’a pas fait de lui‑même les démarches voulues pour épuiser les recours internes.

4.3Pour contester une décision de la cour de justice de l’Ontario dans une affaire de droit de la famille, il faut s’adresser à la juridiction supérieure. Ensuite les décisions de cette juridiction peuvent faire l’objet d’un appel devant deux autres degrés de juridiction (la cour d’appel de l’Ontario et la Cour suprême du Canada) mais dans ce cas il peut être nécessaire de demander une autorisation. La partie qui veut contester une ordonnance définitive du tribunal de l’Ontario a trente jours pour adresser un avis d’appel à l’autre partie. Ensuite, elle a dix jours pour former son appel devant le tribunal. La loi dispose aussi que l’affaire doit être engagée dans la municipalité où l’une des parties réside ou, si l’affaire porte sur un droit de garde et de visite d’un enfant, dans la ville où l’enfant réside habituellement. Pour faire appel devant la cour supérieure de justice de Toronto, l’auteur devait prouver que lui‑même ou Mme Vargay habitait à Toronto. L’avocat de Mme Vargay était disposé à produire une déclaration sous serment attestant que sa cliente habitait à Toronto. Or l’auteur n’a fait aucune démarche pour prendre contact avec cet avocat et il n’a pas non plus demandé un report du délai d’appel.

4.4En ce qui concerne les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte parce que l’auteur n’a pas bénéficié de l’égalité de moyens, l’État partie objecte que les droits consacrés par le Pacte sont protégés dans la Constitution du Canada, texte suprême. Toute loi incompatible avec les dispositions de la Constitution n’a aucune valeur et ne produit aucun effet. La Charte canadienne des droits et libertés fait partie de la Constitution du Canada et garantit le droit à un procès équitable, à l’égalité de moyens et à l’interdiction de toute forme de discrimination. L’auteur aurait pu s’adresser à un tribunal pour obtenir une réparation en vertu de la Charte des droits et libertés. L’État partie souligne que le Comité contre la torture a reconnu que les recours constitutionnels contre un texte de loi étaient des recours disponibles et utiles au Canada. Les doutes de l’auteur quant à l’efficacité des recours internes ne le dispensent pas de l’obligation de les épuiser.

4.5L’État partie objecte que les griefs tirés du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 2 de l’article 8 du Pacte sont incompatibles avec les dispositions du Pacte. Ils sont également irrecevables faute d’être étayés. Pour ce qui est du paragraphe 3 de l’article 2, l’État partie voit dans l’argument de l’auteur une volonté d’invoquer cet article comme consacrant un droit autonome. L’article 2 n’établit pas de droits indépendants mais impose aux États parties des obligations fondées sur les droits reconnus par ailleurs dans le Pacte. En vertu de l’article 2, seule une violation établie d’un droit énoncé dans le Pacte ouvre droit à un recours. Subsidiairement, si le Comité décidait d’examiner l’article 2 à la lumière des griefs de l’auteur, l’État partie maintient que le principe du recours utile est lié au principe de l’épuisement des recours internes et par conséquent que l’auteur n’a pas étayé le grief selon lequel le Canada a manqué aux obligations qui lui sont faites au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

4.6Pour ce qui est du paragraphe 2 de l’article 8 du Pacte, l’État partie est d’avis qu’une obligation de verser une pension alimentaire pour un enfant, en application de la loi canadienne, pas plus qu’une obligation d’aliments à l’égard d’une épouse ne constituent une «servitude» telle qu’elle est interdite au paragraphe 2 de l’article 8 du Pacte. Tous les parents sont tenus d’assurer un soutien financier pour l’entretien de leur enfant quand il est petit. Les directives canadiennes relatives à l’entretien d’un enfant fixent des montants standards que le parent qui n’a pas la garde doit verser, en fonction de ses revenus annuels et du nombre d’enfants pour lesquels l’obligation d’aliments est due. Si le parent n’apporte pas au tribunal le justificatif de ses revenus ou si le tribunal estime que le revenu ne reflète pas la capacité de payer du parent, le tribunal a la faculté de déterminer un montant que le parent est réputé capable de gagner, en fonction de son niveau d’études et du salaire du marché. Dans le cas d’espèce, Mme Vargay n’a pas fait beaucoup d’études, elle ne parle pas bien l’anglais et elle doit s’occuper d’un jeune enfant. Une pension du mari est donc nécessaire. Pour qu’il y ait servitude, il faut que l’obligation imposée soit plus répressive que les faits dénoncés par l’auteur. L’État partie demande donc au Comité de considérer que cette partie de la communication est incompatible ratione materiae avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, l’État partie objecte que l’auteur n’a pas étayé ses griefs étant donné qu’il n’a rien fait pour s’acquitter de l’obligation énoncée dans la loi de verser une pension alimentaire mensuelle pour son enfant. L’auteur ne risque pas d’avoir subi des préjudices financiers vu qu’il n’a jamais respecté l’ordre du tribunal.

4.7D’après l’État partie, l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 14 et de l’article 26 du Pacte. L’article 14 garantit seulement l’égalité en matière de procédure et l’équité. Il ne peut pas être interprété comme garantissant l’absence d’erreur de la part du tribunal compétent. L’auteur n’invoque pas un manque d’impartialité ou d’indépendance de la part des tribunaux. Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui affirme que le tribunal a, de façon erronée, ignoré son contrat de mariage avec Mme Vargay, l’État partie affirme que c’est aux juridictions nationales qu’il appartient d’apprécier les preuves dont elles sont saisies et de déterminer la valeur à donner à chaque élément.

4.8L’État partie fait valoir que la radiation de la réponse de l’auteur dans la procédure devant le tribunal des affaires familiales ne constitue en aucune manière un déni de justice. De plus, l’auteur n’a pas montré qu’il avait été traité différemment de toute autre partie à une action portant sur le droit de la famille dans la province de l’Ontario. L’égalité de moyens signifie que toutes les parties doivent bénéficier des mêmes droits procéduraux à moins que des distinctions n’existent dans la loi et puissent être justifiées par des motifs raisonnables et objectifs. Si l’auteur a été désavantagé d’une manière ou d’une autre, c’est exclusivement parce qu’il n’a pas respecté l’obligation que la loi impose de donner des éléments d’information d’ordre financier et qu’il ne s’est pas présenté à l’audience du 27 janvier 2005. L’État partie est fermement convaincu que dans les affaires familiales qui impliquent une demande de pension alimentaire il est important de connaître intégralement la situation financière. La partie qui n’obtempère pas quand on lui demande de donner des informations sur sa situation financière risque une sanction pour outrage à l’autorité du tribunal et la radiation d’une pièce de procédure, avec paiement des frais. L’auteur avait huit mois pour donner les renseignements demandés et il n’a pourtant rien fait pour les divulguer ou pour donner au juge aux affaires familiales des éléments suffisants pour le convaincre qu’il ne pouvait pas obtenir les informations nécessaires malgré les demandes réitérées de son avocat. Pour ce qui est de la présence à l’audience, l’auteur ne semble pas avoir avisé à l’avance son avocat et n’a pas non plus sollicité du tribunal un report d’audience jusqu’au moment où il serait en mesure de revenir à Toronto. De plus si, ensuite, l’auteur n’a pas pu obtenir une audience qui lui aurait permis de faire recours contre la décision finale, c’est parce qu’il n’a pas pris contact avec l’avocat de Mme Vargay pour obtenir la déclaration sous serment attestant que Mme Vargay habitait toujours dans l’Ontario.

4.9L’État partie relève que l’auteur prétend, sans donner d’autres explications, que le droit à l’égalité devant la loi, garanti par l’article 26 du Pacte, a été violé. Comme il est expliqué plus haut, l’auteur n’a pas montré en quoi il avait été traité différemment de toute autre partie à une procédure relevant du droit de la famille dans la province de l’Ontario.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, l’auteur ajoute que l’État partie a commis une violation des paragraphes 2 et 4 de l’article 18, du paragraphe 2 de l’article 19 et du paragraphe 4 de l’article 23. Il fait valoir que les droits qu’il tient du paragraphe 4 de l’article 18 ont été violés parce qu’il n’a jamais pu voir sa fille depuis que sa femme a quitté le foyer conjugal, le 9 avril 2004. De plus, il considère que les droits garantis au paragraphe 2 de l’article 18 et au paragraphe 2 de l’article 19 ont été violés parce que Mme Vargay a bénéficié des services d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle pour son action devant le juge aux affaires familiales; elle a demandé que son mari lui verse une pension afin de bénéficier de prestations d’aide sociale et par conséquent l’auteur s’est senti obligé d’exposer son point de vue pendant l’audience afin de protéger ses propres intérêts. De plus, sa réponse a été radiée, et il n’a donc pas pu exercer son droit de s’exprimer. Dans le même temps, l’auteur affirme que la situation dans laquelle il s’est retrouvé, qui l’a contraint à communiquer avec l’avocat de sa femme pour obtenir une attestation de résidence, constitue une violation du droit garanti au paragraphe 2 de l’article 18. Enfin, l’auteur affirme que l’État partie a violé le paragraphe 4 de l’article 23 en lui refusant le droit de voir sa fille sans aucune raison valable.

5.2Dans une note du 19 septembre 2008, l’auteur demande au Comité d’obtenir un droit de visite provisoire jusqu’à ce que la décision sur le fond soit rendue. En plus des arguments déjà développés dans sa communication initiale, l’auteur affirme que les recours internes n’étaient ni disponibles ni utiles. S’il n’a pas pris contact avec l’avocat de sa femme pour obtenir l’attestation de résidence, c’est parce qu’il ne souhaitait pas le faire. Il cite le Code de déontologie canadien qui interdit à l’avocat d’une des parties d’avoir des contacts directs avec le client de l’autre partie aux fins de coordination, négociation et marchandage. L’auteur ne voulait pas agir à l’encontre du Code de déontologie et a donc décidé de ne pas demander à l’avocat de Mme Vargay de lui faire parvenir la déclaration. Il ajoute que son avocat a pris contact avec celui de sa femme pour obtenir la déclaration mais que l’avocat de Mme Vargay a interrompu les démarches parce qu’il voulait traiter directement avec l’auteur et non avec son avocat. Comme l’auteur avait refusé, il n’avait pas pu obtenir la déclaration et donc il lui était impossible de former recours. Mme Vargay aurait pu faire appel du jugement de la cour de justice de l’Ontario mais l’auteur, lui, ne pouvait pas, ce qui constitue une violation du principe de l’égalité de moyens. Le simple fait que l’auteur ait été forcé de communiquer avec l’avocat de sa femme constitue en soi une violation de la liberté d’expression et de pensée. De l’avis de l’auteur, la cour de justice de l’Ontario a agi de façon partiale pendant la procédure. La pension alimentaire qu’on l’obligeait à verser à sa femme, qui vivait au Canada depuis un an quand il a envoyé la communication initiale et qui avait pris des cours d’anglais, n’était pas justifiée. Il y avait là violation du principe de l’indépendance des juges. L’obligation de verser une allocation à sa femme entre également dans la définition de la servitude et constitue une violation du droit à l’égalité des conjoints.

5.3En ce qui concerne l’autorisation de faire recours devant la cour d’appel de l’Ontario et devant la Cour suprême du Canada, l’auteur estime qu’il s’agit de «recours extraordinaires» qu’il n’est pas nécessaire d’épuiser. Ce sont des procédures pour lesquelles le tribunal accorde ou non le recours à sa discrétion. Pour ce qui est des recours constitutionnels, ce sont également des recours extraordinaires comme l’a confirmé la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Les recours constitutionnels impliquent une modification législative et ne se rapportent pas à une affaire précise mais concernent un problème général découlant d’un cas concret. Par conséquent, ils ne peuvent pas être considérés comme un recours ordinaire.

5.4L’auteur estime que la radiation de sa réponse et les violations qui en découlent sont peut‑être conformes à la loi canadienne mais ne sont pas compatibles avec le Pacte. Il ne peut pas trouver un recours utile qu’il puisse exercer contre des actes constitutifs de violations mais conformes à la loi canadienne. Le fait que cette loi impose à un groupe de se trouver dans une situation de désavantage sérieux et qu’elle est appliquée de façon égale à toute personne dans ce groupe, ne signifie pas qu’il n’y a pas discrimination; cela signifie seulement que le groupe en entier subit une discrimination d’une gravité égale. L’auteur estime qu’il n’a pas failli en n’apportant pas les relevés des comptes bancaires demandés par le tribunal. L’information financière était disponible et il ne manquait que quelques pièces qui n’étaient pas indispensables pour prendre la décision. La comptabilité complète et tous les relevés des comptes bancaires de la société n’ont pas été produits parce que l’autre propriétaire de la société avait refusé de les envoyer. Avec les renseignements déjà donnés, le juge aurait pu estimer à combien s’élevaient ses revenus. L’auteur proteste de sa bonne foi, disant qu’il a tout fait pour obtenir les documents financiers demandés. L’État partie a reconnu lui‑même que les documents avaient été demandés mais n’étaient pas arrivés à temps. Il aurait fallu tenir compte de cette bonne foi et ne pas écarter l’auteur de la procédure. Pour ce qui est de sa comparution à l’audience, l’auteur souligne que les deux parties doivent être présentes à l’audience, ce qui signifie que lui‑même ou son représentant auraient dû se présenter devant le juge. Or pour l’auteur, c’est son avocat qui était présent. De toute façon, la raison pour laquelle il a été écarté de la procédure n’est pas son défaut de comparution.

5.5L’auteur fait valoir que l’impossibilité dans laquelle il se trouve de contester la légalité de la décision le place dans une situation de servitude parce qu’il doit travailler pour une autre personne et qu’il ne peut pas voir sa fille et n’a aucun droit de regard sur son éducation et ses choix religieux. Cette situation constitue une violation du droit à un recours utile et un déni de justice. L’auteur fait également valoir que le jugement de la cour de justice de l’Ontario n’a pas été rendu public.

5.6L’État partie a affirmé que l’auteur n’avait pas montré qu’il avait subi un préjudice du fait de la décision de lui demander une pension alimentaire vu qu’à ce jour il n’avait rien fait pour respecter l’ordre . L’auteur considère au contraire qu’il a payé cher pour contester le jugement du tribunal de l’Ontario et qu’à la suite de cela sa santé s’est détériorée. De plus, il n’a pas vu sa fille depuis plusieurs années ce qui en soi devrait être considéré comme un préjudice causé par le jugement. La seule raison qui pourrait justifier qu’on le prive du droit de voir son enfant serait qu’il lui ait un jour fait du mal. D’après l’auteur, une éventuelle défaillance de sa part dans la procédure en justice ne devrait pas avoir une telle conséquence.

5.7L’État partie a fait valoir que le paragraphe 3 de l’article 2 ne pouvait pas être invoqué seul. L’auteur approuve l’objection et souligne qu’il n’a jamais eu l’intention de soulever ce grief séparément mais voulait que cette disposition soit lue conjointement avec d’autres articles qu’il considère comme ayant été violés.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une réponse complémentaire datée du 9 février 2009, l’État partie traite en particulier des griefs tirés du paragraphe 4 de l’article 18, du paragraphe 2 de l’article 19 et du paragraphe 4 de l’article 23 du Pacte.

6.2En ce qui concerne l’argument de l’auteur qui affirme que les droits garantis par le paragraphe 4 de l’article 18 ont été violés parce qu’il n’a pas le droit de visite, l’État partie souligne qu’aucune décision n’a été prise en ce qui concerne les visites à sa fille. L’auteur aurait pu mettre en place des visites régulières à sa fille, comme le tribunal l’avait à l’origine ordonné. Si actuellement il ne peut pas voir sa fille, c’est en raison de ses propres actes, notamment parce qu’il n’a pris aucune disposition pour organiser des visites sous surveillance et ensuite parce qu’il a décidé de quitter la juridiction de l’Ontario alors que la procédure était toujours en cours, sans donner à son conseil des instructions suffisantes. Le résultat a été que dans l’ordonnance définitive rien n’est dit du droit de visite. Si l’auteur ne participe pas à l’instruction morale ou religieuse de sa fille ce n’est pas à cause d’une action quelconque de l’État canadien. L’auteur a toujours la possibilité de revenir dans l’Ontario pour déposer un recours contre l’ordre final de façon à obtenir un droit de visite. Pour ces raisons, l’État partie estime que l’auteur n’a pas montré qu’il y avait violation du paragraphe 4 de l’article 18 du Pacte et demande au Comité de déclarer cette partie de la communication irrecevable.

6.3L’État partie estime que le grief tiré du paragraphe 2 de l’article 19 est irrecevable pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, ce grief est irrecevable faute d’être étayé. D’après l’État partie, l’auteur invoque une violation du paragraphe 2 de l’article 19 notamment parce que Mme Vargay a bénéficié de l’aide juridictionnelle et pas lui, qu’elle a bénéficié de l’assistance sociale et pas lui et que sa réponse a été radiée des pièces de procédure. L’État partie relève que l’octroi de l’aide juridictionnelle et la demande de pension alimentaire à un ancien époux n’entrent pas dans le champ de la liberté d’expression. L’auteur semble avancer que l’obligation qui lui a été faite de répondre a entraîné une violation du droit à la liberté d’expression. Or l’obligation, qui se justifie par la nécessité de garantir l’intégrité du régime d’assistance sociale, n’équivaut pas à une obligation de s’exprimer. L’auteur n’a pas été forcé de dire quoi que ce soit. Sur le troisième grief, l’État partie rappelle que plusieurs juridictions du Canada autorisent un tribunal à exclure une pièce de procédure si les informations financières demandées ne sont pas présentées. Cette mesure est considérée comme la «sanction ultime» à l’égard d’une partie qui ne coopère pas. Pour prendre une telle décision il faut qu’il y ait des éléments clairs montrant une défaillance délibérée et un mépris total des ordres du tribunal. La liberté d’expression ne couvre pas, d’après l’État partie, la liberté de s’exprimer n’importe où et n’importe comment. L’auteur est libre de s’exprimer où il le souhaite, y compris au tribunal, tant qu’il respecte les règles en place pour garantir une procédure efficace et équitable. Les allégations de violation de la liberté d’expression sont par conséquent incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, les restrictions imposées à la liberté d’expression sont justifiées conformément au paragraphe 3 de l’article 19 et sont nécessaires pour atteindre des objectifs légitimes.

6.4Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits garantis au paragraphe 4 de l’article 23 en lui refusant le droit de visite à l’égard de sa fille sans raison valable, l’État partie répond que la décision initiale de la cour de justice de l’Ontario donnait un droit de visite à l’auteur. Malgré cette décision, il apparaît que les visites n’ont jamais eu lieu. En juillet 2004, une nouvelle ordonnance provisoire a été rendue et l’auteur avait le droit de voir sa fille une fois par semaine, sous surveillance, et pouvait exercer ce droit dès que les dispositions seraient prises auprès du centre où les visites sous surveillance devaient avoir lieu. Or il semble que rien n’a été fait pour organiser les visites puisqu’il a fallu que la justice rende une nouvelle ordonnance rappelant aux parties que des dispositions devaient être prises. L’auteur fait valoir que le droit de visite lui a été refusé parce qu’il n’a pas apporté au tribunal les renseignements financiers demandés. D’après l’État partie, tout parent est tenu de contribuer financièrement à l’entretien d’un jeune enfant. Les tribunaux canadiens ont toujours considéré que l’obligation d’aliments à l’égard d’un enfant était inconditionnelle. Toutefois, le droit de l’enfant à l’entretien est indépendant du droit de visite et le parent qui n’a pas la garde ne peut pas se voir refuser le droit de visite uniquement parce qu’il ne verse pas la pension alimentaire pour l’enfant. De plus, étant donné que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est jamais statique, les décisions concernant la garde et le droit de visite ne sont jamais définitives. Si l’auteur souhaite établir des contacts avec sa fille à l’avenir, il devra faire le nécessaire pour contester la décision finale. L’État partie fait donc valoir que l’auteur n’a pas montré qu’il y avait violation du paragraphe 4 de l’article 23 du Pacte et demande au Comité de déclarer cette partie de la communication irrecevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité note, comme il est tenu de s’en assurer conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que la décision de la cour de justice de l’Ontario en date du 27 janvier 2005 de donner la garde de l’enfant à Mme Vargay et de lui ordonner de verser une pension alimentaire pour sa femme et pour l’enfant a constitué une violation d’un certain nombre des droits garantis par le Pacte. Toutefois, il relève que l’État partie objecte que l’auteur n’a pas fait appel de la décision du tribunal et que la responsabilité en revient exclusivement à l’auteur lui‑même. Le Comité note aussi que les griefs de l’auteur concernant la façon dont le tribunal a conduit l’affaire n’ont pas non plus été portés devant les juridictions internes. Il note en outre l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur peut encore aujourd’hui demander le droit de visite à l’égard de sa fille. S’il est vrai que les recours internes ne doivent être épuisés que dans la mesure où ils sont disponibles et utiles, il est un principe bien établi qui veut que les auteurs des communications doivent faire preuve de la diligence voulue pour exercer les recours disponibles. Les doutes ou les suppositions de l’auteur concernant l’efficacité des recours internes ne le dispensent pas de l’obligation de les épuiser. Le Comité estime que, dans la présente affaire, l’auteur n’a pas fait la démonstration qu’il avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité conclut que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne sont pas satisfaites.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]