Nations Unies

CERD/C/108/D/62/2018

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

12 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Avis adopté par le Comité au titre de l’article 14 de la Convention, concernant la communication no 62/2018*,**

Communication soumise par :

Momodou Jallow (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

26 septembre 2017 (date de la lettre initiale)

Date de l’avis :

1er décembre 2022

Références:

Décision prise en application de l’article 91 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 29 mai 2018 (non publiée sous forme de document)

Objet:

Expositions d’art présentant des images incitant à la discrimination raciale ; absence d’enquête sur des actes d’incitation à la discrimination raciale

Question(s) de procédure:

Fondement des griefs

Question(s) de fond:

Discrimination fondée sur l’origine nationale, ethnique ou sociale ; discrimination fondée sur la race ; incitation à la discrimination, à la violence ou à la haine raciale ; recours utile

Article(s) de la Convention:

4 (al. a) et c)) et 6

1.L’auteur de la communication est Momodou Jallow, de nationalité suédoise, né en 1977. Ancien porte-parole de l’Association nationale des Suédois d’ascendance africaine, il est le coordonnateur national du Réseau européen contre le racisme en Suède. Il se dit victime d’une violation par l’État partie des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Le 11 octobre 1985, le Danemark a déclaré qu’il reconnaissait la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications émanant de personnes ou de groupes de personnes. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 23 octobre 2014, une exposition d’images de l’artiste suédois controversé D. P. s’est tenue dans les locaux du Parlement danois à Copenhague, sous les auspices du Parti du peuple danois. L’entrée était soumise à un contrôle et des reproductions des images étaient en vente dans la salle d’exposition. Des brochures reproduisant les images et indiquant leur prix étaient également disponibles. Les images ont par ailleurs été exposées du 27 au 31 octobre 2014 dans les locaux de l’Association internationale de la presse libre, à Copenhague.

2.2Parmi les œuvres présentées figuraient :

a)Une image d’Adolf Hitler accompagnée du texte « LES NÈGRES NE SONT PAS LES SEULS À AVOIR DES RÊVES » ;

b)Une image de l’auteur, pendu par le cou à un pont, à côté de deux autres personnes noires, où l’on pouvait lire « TENEZ BON, les afrophobes » ;

c)Une image de l’auteur, représenté en esclave fuyant son propriétaire, sur laquelle le texte « VAR NEGERSLAV ÄR BORTSPRUNGEN!! » (Notre esclave nègre s’est enfui) apparaissait dans la partie supérieure, et où l’on pouvait lire, sous l’image, le texte « Han försvann/Lördags 16 April Och lystrar till namnet JALLOW MOMODOU / Om du vet var han är eller har sett honom » (Il a disparu/le samedi 16 avril dernier et est connu sous le nom de Mamadou Jallow/Si vous savez où il se trouve ou si vous l’apercevez), suivi d’un numéro de téléphone à appeler ;

d)Un dessin représentant une personne noire avec une pipe en réglisse à la bouche, où l’on pouvait lire « Ceci n’est pas un NÈGRE accro au crack, n’est-ce pas ? » ;

e)Une photographie de deux dirigeants de la communauté rom où figuraient leur nom et le texte « ZIGENAR BROTT AR NÅGOT GOTT! » (La criminalité tzigane, c’est bien).

2.3L’artiste D. P. a été reconnu coupable en Suède de diffamation et d’incitation à la haine contre un groupe ethnique pour avoir créé et exposé ces images. À Copenhague, les images ont été accompagnées d’un texte explicatif inspiré d’entretiens donnés par l’artiste, décrivant le sujet, le contexte et l’objectif recherché, et précisant la décision rendue par les tribunaux suédois concernant chacune d’entre elles.

2.4Le texte explicatif accompagnant l’image décrite au paragraphe 2.2 a) indiquait que c’est en raison de l’attention médiatique accordée au cinquantenaire du discours de Martin Luther King Junior « I have a dream » (« Je fais un rêve »), que D. P. avait créé l’œuvre. Il entendait ainsi appeler l’attention sur le fait qu’Hitler avait également un rêve et que tous les rêves ne méritaient pas d’être célébrés. Le texte explicatif accompagnant l’image décrite au paragraphe 2.2 b) précisait que l’œuvre était liée à des faits survenus en 2013, au cours desquels un homme noir avait été agressé et presque poussé d’un pont en Suède. L’auteur, qui était alors porte-parole de l’Association nationale des Suédois d’ascendance africaine avait dénoncé un acte lié au « racisme blanc suédois ». Or, il a été établi par la suite que les auteurs de l’agression étaient d’origine kurde, ce qui avait fait retomber l’attention médiatique qu’avait suscitée l’agression. D. P. estimait que les faits avaient suscité moins d’intérêt une fois qu’il avait été révélé que leurs auteurs n’étaient pas blancs, et en concluait qu’être raciste était acceptable, « tant que vous étiez immigré ». Le texte explicatif accompagnant de l’image décrite au paragraphe 2.2 c) indiquait que l’œuvre était liée à des faits survenus en 2011, à savoir un sketch fait par un groupe d’étudiants d’une association universitaire, dans lequel des esclaves étaient vendus. L’auteur, alors porte-parole de l’Association nationale des Suédois d’ascendance africaine, avait exigé du Gouvernement suédois qu’il intervienne. Estimant que les propos de l’auteur étaient « pathétiques », D. P. l’avait représenté sous les traits d’un esclave en fuite et avait invité les personnes qui retrouveraient l’auteur à contacter l’association universitaire. Le texte explicatif accompagnant l’image décrite au paragraphe 2.2 d) indiquait que l’œuvre était une réponse à la tentative de l’Union européenne d’interdire les pipes en réglisse. Il était également indiqué que l’image était liée à la décision d’un fabricant de réglisse de ne plus utiliser de visages noirs comme logo, afin d’éviter les représentations stéréotypées des personnes noires. L’artiste, s’inspirant du tableau de René Magritte La Trahison des images portant la légende « Ceci n’est pas une pipe », aurait « dessiné une pipe en réglisse non pas parce qu’il s’agissait d’un Noir accro au crack, mais simplement d’une pipe en réglisse ». Le texte explicatif accompagnant l’image décrite au paragraphe 2.2 e) indiquait que l’œuvre était liée à des faits survenus en 2013, après qu’un journal avait révélé que la police conservait une liste de Roms, y compris des enfants et des personnes décédées, faisant l’objet d’une enquête. Plusieurs manifestations s’étaient alors tenues devant le siège de la police. D. P. s’était rendu à l’une d’elles, avec une affiche sur laquelle on pouvait lire « La criminalité tzigane, c’est bien », suggérant par ce geste que les militants ne pouvaient pas faire des Roms d’éternelles victimes s’ils avaient commis les infractions en question. Après la manifestation, au cours de laquelle il avait été agressé, D. P. avait créé cette œuvre dans laquelle apparaissaient les photos et les noms de deux dirigeants de la communauté rom.

2.5En 2014, à une date non précisée, l’auteur a déposé une plainte contre D. P. et d’autres personnes, dont les organisateurs des expositions, faisant valoir que les expositions étaient constitutives de l’infraction de discrimination raciale. La Procureure d’État de Copenhague a ouvert une enquête, mais a décidé, le 26 janvier 2017, en application de l’article 749 (par. 2) de la loi sur l’administration de la justice, de clore l’enquête sur les organisateurs des expositions déclenchée sur la base des articles 266, 266 b) et 266 c) du Code pénal.

2.6S’agissant de l’article 266 du Code pénal, la Procureure a indiqué que l’auteur de l’infraction devait avoir l’intention de proférer les menaces en question et avoir conscience qu’elles susciteraient probablement de la peur. Elle a estimé que les œuvres ne constituaient pas des menaces au sens de l’article 266 du Code pénal et a fait référence à certaines des images. S’agissant de l’image décrite au paragraphe 2.2 b), elle a estimé que, même si des personnes pouvaient y voir une approbation des agressions commises sur des personnes noires, l’œuvre était présentée dans le cadre d’une exposition d’art satirique et aurait donc dû être vue dans ce contexte et conjointement avec le texte explicatif. S’agissant de l’image décrite au paragraphe 2.2 c), elle a indiqué que celle-ci invitait seulement toute personne apercevant l’intéressé à appeler un numéro de téléphone. En outre, on ne pouvait partir du principe que l’artiste avait eu l’intention de menacer la vie ou le bien-être des personnes représentées.

2.7S’agissant de l’article 266 b), la Procureure a considéré que les mots « déclaration » et « propos » pouvaient également s’appliquer aux œuvres et que les déclarations faites en privé ne relevaient pas du champ d’application de cette disposition. Elle a en revanche estimé que les deux expositions qui s’étaient tenues à Copenhague devaient être considérées comme publiques. Elle a en outre indiqué qu’il fallait lire l’article 266 b) à la lumière de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), relatif à la liberté d’expression, qui concerne également les expressions artistiques.

2.8La Procureure a ensuite procédé à une analyse de chacun des critères énoncés dans l’article 266 b). Elle a indiqué que, pour qu’une déclaration ou des propos relèvent du champ d’application de cette disposition, il fallait qu’un groupe de personnes soit menacé, humilié ou dévalorisé par ladite déclaration ou lesdits propos en raison de sa race, de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique, de sa religion ou de son orientation sexuelle. Elle a estimé que les œuvres semblaient prendre pour cible des groupes de personnes noires et de personnes roms, et non des individus, même si on pouvait considérer que certaines œuvres visaient les personnes représentées. C’était le cas de l’image décrite au paragraphe 2.2 b), où trois personnes, dont l’auteur, étaient représentées. Néanmoins, compte tenu de l’absence de lien entre les trois personnes représentées, il était manifeste que le message véhiculé n’était pas destiné à ces personnes en particulier, mais au groupe auquel elles appartenaient. S’agissant de l’image décrite au paragraphe 2.2 c), la Procureure a indiqué que la situation était différente, en ce que le message visait directement l’auteur, raison pour laquelle elle a considéré que les conditions énoncées dans l’article 266 b) n’étaient pas remplies dans ce cas particulier. S’agissant de l’image décrite au paragraphe 2.2 e), elle a affirmé que, même si les photos et les noms de deux dirigeants de la communauté rom y figuraient, la légende « La criminalité tzigane, c’est bien » avait un caractère général et que, par conséquent, les conditions énoncées dans l’article 266 b) étaient remplies.

2.9En ce qui concerne le deuxième critère énoncé dans l’article 266 b), la Procureure a rappelé que le message véhiculé devait être menaçant, humiliant ou dévalorisant. Elle a indiqué qu’en l’espèce, il fallait prendre en compte le texte explicatif et a conclu que la présence de ce texte dans les expositions de Copenhague rendait celles-ci très différentes de celles qui s’étaient tenues en Suède. En outre, elle a souligné que les expositions avaient pour objectif d’appeler l’attention sur les risques de restriction de la liberté d’expression. Elle a ensuite analysé chaque image et le texte qui l’accompagnait. S’agissant de l’image a), elle a estimé que celle‑ci ne remplissait pas les conditions fixées à l’article 266 b), étant donné qu’elle contenait seulement un mot désobligeant dans un dessin satirique, et qu’elle n’avait donc rien de menaçant. S’agissant de l’image b), elle a indiqué que, compte tenu du contexte et du texte explicatif, il ne pouvait être exclu que l’œuvre puisse contribuer, en Suède, à un important débat de société sur le racisme entre des personnes autres que blanches ayant des origines ethniques différentes. S’agissant de l’image c), elle a estimé que, même si à première vue, l’œuvre semblait « très humiliante et dévalorisante », elle ne remplissait pas les conditions définies à l’article 266 b) si l’on tenait compte des explications fournies. Elle a également estimé que l’image pouvait contribuer à un débat concernant les actes de l’auteur, qui avait dénoncé une université à la police alors que seuls quelques étudiants avaient pris part au sketch en question. Elle a également indiqué que l’image ne satisfaisait pas au critère selon lequel la déclaration ou les propos devaient viser un groupe de personnes. S’agissant de l’image d), elle a estimé que le lien entre celle-ci et le tableau de Magritte était évident et a indiqué que, comme cela était expliqué dans le texte qui l’accompagnait, l’œuvre pouvait contribuer au débat sur une éventuelle interdiction des pipes en réglisse. Elle a également estimé que l’expression « nègre accro au crack » pouvait être considérée comme dévalorisante, mais que, lorsqu’on l’évaluait en tenant compte de la liberté d’expression artistique, on ne pouvait pas conclure que l’œuvre violait l’article 266 b). Concernant l’image e), la Procureure a indiqué que, prise isolément, l’image pouvait effectivement être vue comme humiliante ou dévalorisante, mais qu’examinée à la lumière du texte explicatif, elle ne remplissait pas les conditions fixées à l’article 266 b). Elle a ajouté que l’œuvre pouvait contribuer à « un débat de société essentiel ».

2.10La Procureure a indiqué que l’article 266 c) ne s’appliquait pas, car les accusations devaient avoir être rejetées par un tribunal, ce qui n’était pas le cas. Elle a considéré que les articles 267 et 268 du Code pénal ne trouvaient pas non plus à s’appliquer, car les poursuites devaient être le fait de personnes privées et la seule exception prévue, à savoir la défense de l’intérêt public, ne s’appliquait pas. Elle a donc conclu que, même si l’enquête était maintenue, il ne serait pas possible de poursuivre D. P. ou d’autres personnes ayant participé à l’organisation des expositions pour violation des articles 266, 267 ou 268 du Code pénal.

2.11Le 25 février 2017, l’auteur a fait appel de cette décision auprès de la Directrice du parquet. Il a dit contester l’appréciation de la Procureure d’État concernant plusieurs points. S’agissant de l’image b), il a indiqué que le fait qu’elle fasse partie d’une exposition satirique ne signifiait pas pour autant qu’elle ne constituait pas une menace. Concernant l’article 266 b), il a déclaré qu’il était incompréhensible que des actes jugés contraires à la loi en Suède ne soient pas considérés comme tels au Danemark, sachant que les dispositions de la Convention avaient été intégrée dans les systèmes juridiques des deux pays. Il a affirmé que les œuvres de D. P. avaient pour but de le menacer, de l’humilier et de le dévaloriser, qu’elles aient été ou non accompagnées d’un texte explicatif. Concernant l’article 266 c), il a indiqué que, D. P. ayant déjà été reconnu coupable en Suède, les conditions énoncées dans cet article étaient remplies.

2.12Le 29 mars 2017, la Directrice du parquet a confirmé la décision de la Procureure d’État de Copenhague. Elle a dit partager son appréciation des faits et a estimé que, comme elles fournissaient un texte explicatif, y compris, pour chaque œuvre, une description du contexte et des motivations de l’artiste, les expositions devaient être considérées comme une contribution satirique à un débat de société sur le racisme, et qu’elles avaient pour objet d’appeler l’attention sur le débat relatif aux limites de la liberté d’expression. Elle a indiqué qu’il fallait tenir compte de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui accordait une large place à la liberté d’expression des artistes et aux débats de société. Elle a ajouté que le fait que D. P. ait été reconnu coupable en Suède pour avoir exposé les mêmes œuvres ne saurait conduire à une conclusion différente.

2.13L’auteur affirme que le parquet a le monopole de l’exercice de l’action publique devant les tribunaux, sauf si une disposition particulière autorise les particuliers à engager des poursuites. La décision de la Directrice du parquet est définitive et n’est pas susceptible de recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale en autorisant les expositions et en refusant d’engager des poursuites contre leurs organisateurs.

3.2Selon l’auteur, la décision de clore l’enquête constitue une violation de l’article 4 (al. a)), étant donné qu’elle révèle que, dans la pratique, les autorités empêchent toute enquête effective sur les crimes de haine relevant de l’article 266 du Code pénal. L’auteur renvoie aux observations finales concernant le rapport de l’État partie valant dix-huitième et dix-neuvième rapports périodiques dans lesquelles le Comité s’est dit préoccupé par les pouvoirs étendus dont dispose la Direction du parquet, qui peut mettre fin aux enquêtes, abandonner les charges ou classer les affaires, et a recommandé à l’État de limiter ses pouvoirs en créant un organe de contrôle indépendant et multiculturel qui serait chargé d’évaluer et de superviser les décisions qu’elle prend au titre de l’article 266 b) du Code pénal. Il renvoie également à la recommandation générale no35 (2013) sur la lutte contre les discours de haine raciale, dans laquelle le Comité a indiqué que des organes judiciaires indépendants, impartiaux et avertis sont indispensables pour garantir que les faits et les qualifications juridiques de toute affaire seront appréciés d’une manière conforme aux normes internationales relatives aux droits de l’homme.

3.3L’auteur affirme que son rôle important d’ancien porte-parole de l’Association nationale des Suédois d’ascendance africaine et de coordonnateur national du Réseau européen contre le racisme en Suède faisait de lui une cible pour D. P., qui l’a non seulement attaqué personnellement, mais s’en est également pris au groupe ethnique qu’il représente, ainsi qu’aux personnes roms représentées dans ses œuvres. Il indique que, bien que de nombreux éléments attestent la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciales, matérialisées par les images de D. P., les autorités ont décidé de ne pas enquêter sur ces violations de la Convention, ce qui est contraire aux recommandations du Comité. Il renvoie à la recommandation générale no35 (2013) du Comité, dans laquelle il est dit que, pour mettre en œuvre effectivement l’article 4 de la Convention, il convient d’enquêter sur les actes et, si nécessaire, de poursuivre en justice leurs auteurs, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

3.4L’auteur soutient que le fait que l’une des expositions se soit tenue dans les locaux du Parlement danois, sous la supervision du Parti du peuple danois, constitue une violation de l’article 4 (al. c)), étant donné que les autorités nationales et les institutions publiques ont contribué à la promotion de la discrimination raciale ou l’ont encouragée.

3.5L’auteur indique que les pouvoirs étendus dont dispose la Direction du parquet, qui peut classer les affaires de discrimination raciale, le privent d’un recours utile, ce qui constitue une violation de l’article 6 de la Convention. Il affirme que, malgré les déclarations générales de l’État partie selon lesquelles il attache la plus haute importance à la lutte contre le racisme, celui-ci fait systématiquement fi des recommandations du Comité relatives à l’indemnisation des victimes de discrimination raciale.

3.6L’auteur demande au Comité de constater qu’il y a eu violation des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention et d’ordonner à l’État partie de l’indemniser comme il se doit, y compris en prenant en charge les frais de justice liés à la procédure internationale.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 29 août 2018, l’État partie a formulé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il indique que la communication est manifestement mal fondée. Dans l’hypothèse où le Comité considérerait que la communication est recevable, l’État partie affirme qu’il n’a pas manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention.

4.2L’État partie récapitule ce qu’ont dit la Procureure d’État et la Directrice du parquet dans leurs décisions des 26 janvier et 23 mars 2017. Il explique que, dans le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les poursuites, les procureurs d’État sont chargés de diriger les enquêtes pénales menées par les districts de police. La Direction du parquet supervise l’action du ministère public, notamment en demandant l’ouverture d’enquêtes et en examinant les recours formés contre les décisions prises par les procureurs d’État. Ses décisions sont définitives et non susceptibles de recours. L’État partie signale que la Direction du parquet a publié des directives détaillées sur l’examen par la police et par le ministère public des cas de violation de l’article 266 b) du Code pénal. Selon ces directives, pour refuser l’ouverture d’une enquête ou en demander la clôture, la police doit soumettre au (à la) Procureur(e) d’État compétent(e) un rapport précisant les motifs de refus ou de clôture, en indiquant les articles de la loi sur l’administration de la justice sur lesquels elle se fonde. En cas d’accord, le Procureur ou la Procureure d’État rédige une décision en ce sens et en informe la victime et quiconque pourrait avoir un intérêt dans l’affaire.

4.3L’État partie décrit les dispositions internes applicables, en particulier les articles 266, 266 b), 266 c), 267 et 268 du Code pénal, rappelant ce qui a été indiqué plus haut (par. 2.6 à 2.13). Il ajoute qu’en application de l’article 275 (par. 1) du Code pénal, en cas de violation du chapitre 27 relatif aux infractions liées à l’honneur et à certains droits individuels, l’auteur des faits s’expose à des poursuites de la part de personnes privées, sauf lorsqu’il s’agit d’une infraction visée aux articles 266 et 266 b). En outre, conformément à l’article 727 (par. 2) de la loi sur l’administration de la justice, l’action publique peut être déclenchée en cas d’infraction faisant l’objet de poursuites par des personnes privées, si la défense de l’intérêt public justifie l’ouverture d’une enquête.

4.4En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie affirme que, même si l’article 14 et la règle 91 du Règlement intérieur du Comité n’indiquent pas qu’une communication peut être déclarée irrecevable au motif qu’aucune violation de la Convention ne semble avoir été commise, il ressort de la jurisprudence du Comité que cela est possible. L’État partie considère que cette jurisprudence devrait s’appliquer en l’espèce, car l’auteur n’a pas démontré l’existence d’une quelconque violation de la Convention. Par conséquent, l’auteur n’a pas établi une présomption de violation aux fins de la recevabilité au regard de l’article 14 de la Convention, et la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement mal fondée.

4.5Sur le fond, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas suffisamment établi que le Danemark a manqué aux obligations qui lui incombent au titre des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention, en ce qui concerne la décision de clore l’enquête pénale visant D. P. et d’autres personnes.

4.6Pour ce qui est du grief de l’auteur selon lequel cette décision a violé les droits qu’il tient des articles 4 et 6 de la Convention, l’État partie affirme que l’obligation d’assurer une voie de recours effective, énoncée à l’article 6 de la Convention, ne garantit pas le droit à un recours en particulier. L’important s’agissant de cette disposition est que les personnes ont le droit de demander que leur affaire soit examinée au fond, ce qui, en l’espèce, a été fait. L’État partie considère que le fond de l’affaire a été examiné de manière approfondie par deux instances du parquet. Il renvoie à la décision du 26 janvier 2017, dans laquelle la Procureure d’État a évalué si les œuvres de D. P. violaient les articles 266, 266 b) et 266 c) du Code pénal, lus conjointement avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Procureure a analysé chaque œuvre individuellement à la lumière de l’article 266 b), afin de déterminer si ses éléments menaçaient, humiliaient ou dévalorisaient un groupe de personnes en raison de leur race, de leur couleur, de leur origine nationale ou ethnique, de leur religion ou de leur orientation sexuelle. Elle a conclu que tel n’était pas le cas. L’État partie renvoie à la décision du 29 mars 2017 dans laquelle la Directrice du parquet a examiné et entériné la décision de la Procureure d’État. Il estime donc que l’affaire concernant l’auteur a été examinée de manière approfondie conformément à la législation interne et que l’auteur a eu accès à un recours judiciaire.

4.7L’État partie considère que le recours offert était utile, en ce qu’il emporte l’obligation de mener une enquête effective lorsque la plainte est raisonnablement étayée, obligation dont les autorités se sont acquittées. Il rappelle les décisions antérieures du Comité, dans lesquelles celui-ci a indiqué que la Convention imposait une obligation positive de prendre des mesures effectives afin d’enquêter sur les cas signalés de discrimination raciale. L’État partie fait valoir que la police a rapidement ouvert une enquête après la plainte déposée par l’auteur au sujet des expositions, afin de déterminer si l’article 266 b) et d’autres dispositions applicables du Code pénal avaient été violés. La police a interrogé l’auteur, D. P. et les organisateurs des expositions. Des copies des images ont été obtenues et les circonstances factuelles de l’organisation des expositions ont fait l’objet d’une enquête minutieuse, notamment en ce qui concerne les dates auxquelles elles ont été organisées, les lieux où elles se sont tenues, leur accessibilité et les personnes qui en ont assuré la promotion ou l’organisation. La police a obtenu des informations sur le contexte et l’objectif des œuvres. L’État partie signale qu’il a été mis fin à l’enquête quatorze mois après le dépôt de plainte de l’auteur et soutient que les décisions de la Procureure d’État et de la Directrice du Parquet ont été prises en toute connaissance de cause. Il considère donc qu’il s’est acquitté de l’obligation qui lui incombait d’enquêter de manière effective sur la plainte de l’auteur.

4.8L’État partie affirme que cette affaire est différente d’autres affaires dans lesquelles le Comité a estimé que l’État partie avait violé la Convention parce qu’il n’avait pas enquêté en bonne et due forme sur des faits de discrimination raciale. Dans l’affaire Gelle c. Danemark, le Comité avait relevé que le Procureur régional et la police avaient exclu l’application de l’article 266 b) sans fonder cette décision sur les résultats d’une mesure d’enquête. Il avait conclu que l’État partie avait violé les articles 2, 4 et 6 de la Convention, étant donné qu’il n’avait pas mené une enquête effective pour déterminer s’il y avait eu un acte de discrimination raciale. L’État partie renvoie à l’affaire Er c. Danemark, dans laquelle les autorités danoises avaient décidé de leur propre initiative de ne pas enquêter sur le point de savoir s’il y avait eu une pratique discriminatoire dans une école, invoquant la règle selon laquelle, dans ce type d’affaires, la charge de la preuve était renversée. Le Comité avait estimé que les articles 2 et 6 de la Convention avaient été violés car l’État partie n’avait pas mené d’enquête effective pour déterminer s’il y avait eu un acte de discrimination raciale. L’État partie conclut, compte tenu du fait qu’en l’espèce, une enquête a effectivement été ouverte et a été menée correctement afin de déterminer si les faits étaient constitutifs de discrimination raciale, qu’il n’y a pas eu de violation de la Convention, en particulier parce que l’auteur a eu accès à un recours utile. L’État partie ajoute que, comme l’a indiqué la Cour européenne des droits de l’homme, l’effectivité d’une enquête ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant ; en d’autres termes, pour être effective, l’enquête ne doit pas nécessairement aboutir à l’inculpation de la personne ou des personnes qu’elle vise. À cet égard, le parquet a une obligation d’objectivité et doit également préserver les droits des suspects en n’engageant pas de poursuites lorsqu’il est probable que le suspect sera déclaré non coupable, notamment en veillant à ce que nul ne soit stigmatisé.

4.9L’État partie fait observer qu’il n’appartient pas au Comité d’examiner la manière dont ses autorités ont interprété le droit national, sauf si une décision est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. Il indique que, compte tenu des arguments exposés précédemment, on ne saurait considérer que les décisions de clore l’enquête et de refuser de la rouvrir étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice.

4.10En ce qui concerne l’article 6 pris séparément, l’État partie indique que l’auteur a seulement formulé des assertions générales concernant le fait qu’il aurait été privé d’un recours utile. Selon l’État partie, l’auteur affirme que le pouvoir de la Direction du parquet de clore les enquêtes sur des faits de discrimination raciale est contraire à la Convention. Ses observations ont donc trait aux « règles et pouvoirs » de l’État partie et non à son cas particulier. À cet égard, l’État partie indique que, lors de l’examen de communications émanant de particuliers, il appartient au Comité non pas de décider dans l’abstrait si le droit interne est ou non compatible avec la Convention, mais de déterminer s’il y a eu violation de la Convention dans le cas particulier qui lui est soumis. Les allégations générales formulées par l’auteur devraient être examinées par le Comité dans le cadre du prochain examen périodique de la situation dans l’État partie au titre de l’article 9 de la Convention. L’État partie renvoie à l’affaire Er c. Danemark, dans laquelle le Comité a confirmé son argument. En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel il n’a pas indemnisé les victimes dans des affaires dans lesquelles le Comité avait estimé qu’il y avait eu violation de la Convention, l’État partie indique que ces allégations sont sans rapport avec l’affaire examinée en l’espèce et doivent donc être rejetées.

4.11En ce qui concerne l’article 4 (al. c)), l’État partie fait valoir qu’aucune des expositions n’était organisée par le Gouvernement. Celle qui, selon l’auteur, s’est tenue au palais de Christiansborg, était organisée par un parti politique. On ne saurait donc affirmer qu’une autorité publique, quelle qu’elle soit, a cautionné ou soutenu un message ou un point de vue en particulier. L’État partie indique en outre que l’exposition en question a eu lieu au Provianthuset (l’Entrepôt) et non au palais de Christiansborg. Il explique que l’Entrepôt est le siège de l’administration du Parlement et abrite la salle d’étude des Archives nationales et les bureaux d’un certain nombre de députés, et qu’il est situé entre le palais de Christiansborg et la Bibliothèque royale. Il ne fait pas partie intégrante du palais de Christiansborg. En outre, l’exposition n’était pas publique, l’entrée faisant l’objet d’un contrôle. L’État partie ajoute que l’exposition ne visait nullement à cautionner ou à soutenir un message ou un point de vue en particulier, notamment la discrimination raciale. Au contraire, l’objectif était de susciter un débat de société sur un sujet d’intérêt public, à savoir les limites de la liberté d’expression, qui est crucial dans une société démocratique.

4.12L’État partie conclut qu’il n’a pas été établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il avait manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 4 et 6 de la Convention.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 31 janvier 2022, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. En ce qui concerne la recevabilité, il répète que les faits soulèvent manifestement des questions au regard des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention. Il affirme en outre que l’État partie n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles la communication serait mal fondée aux fins de la recevabilité.

5.2L’auteur ajoute que, si l’on compare les situations, on peut se demander pourquoi l’exposition des mêmes images par le même artiste dans un pays − la Suède − a conduit la justice à déclarer l’artiste coupable et à ordonner la destruction des œuvres, tandis que dans un autre pays − l’État partie − les autorités ont décidé de clore l’enquête sur de possibles violations du Code pénal. Il réaffirme que l’absence de recours utile et de mesures de réparation démontre que la communication est fondée et donc recevable. Il indique en outre que, compte tenu du fait qu’il a épuisé tous les recours internes, la communication remplit toutes les conditions imposées par la Convention aux fins de la recevabilité.

5.3Sur le fond, l’auteur revient sur l’argument de l’État partie selon lequel les griefs qu’il tire de l’article 6 sont formulés en termes généraux. Il fait valoir que, même si ces griefs portent sur les pouvoirs dont dispose la Direction du parquet, il n’en reste pas moins que celle-ci a fait usage desdits pouvoirs pour clore l’enquête, ce qui a entraîné le classement de son affaire, malgré les preuves évidentes d’une discrimination raciale. Il n’a donc pas eu accès à un recours utile et a été privé des mesures de réparation auxquelles il aurait pu prétendre. Il réaffirme que l’État partie a toujours fait fi des recommandations du Comité relatives à l’indemnisation des victimes de discrimination raciale, ce qui souligne les carences structurelles de son système, qui ont permis qu’il soit mis fin à l’enquête concernant son affaire.

5.4L’auteur réaffirme que l’article 4 (al. a)) de la Convention a été violé, car le parquet a rejeté le grief selon lequel les œuvres de D. P. constituaient des menaces pour les personnes de couleur. Il ajoute qu’on voit mal comment ces œuvres pourraient être interprétées autrement, sachant qu’elles représentent des scènes telles que le lynchage de trois hommes noirs sur un pont, l’image d’Adolf Hitler accompagnée du texte « Les nègres ne sont pas les seuls à avoir des rêves » et un avis de recherche où l’on peut lire « notre esclave nègre s’est enfui » et dans lequel figurent ses coordonnées personnelles. L’auteur observe que, selon l’État partie, le parquet a décidé de clore l’enquête au nom de la défense de la liberté d’expression. Il précise toutefois que, dans l’État partie, tout semble relever de la liberté d’expression, y compris une exposition d’images discriminatoires et menaçantes déjà interdites par un pays voisin en raison de leur caractère insidieux. L’auteur indique que D. P. n’a pas été consulté par les organisateurs des expositions au sujet des textes accompagnant les œuvres, ce qui, à son avis, indique que ces explications ont été inventées de toutes pièces par les organisateurs.

5.5L’auteur indique que, s’il reconnaît qu’une enquête n’aboutit pas nécessairement à l’inculpation des suspects, il s’agissait en l’espèce d’un cas probant de discrimination raciale et de diffamation, comme l’ont confirmé les décisions de justice rendues en Suède concernant les mêmes œuvres. Il fait valoir que la discrimination raciale ne devrait pas être acceptée sous le couvert de la liberté d’expression. À cet égard, il renvoie à la recommandation générale no35 (2013) et à la jurisprudence du Comité, ainsi qu’aux observations finales du Comité concernant le rapport de l’État partie valant vingt-deuxième à vingt-quatrième rapports périodiques. Il indique que le Comité s’était dit préoccupé par l’écart entre le nombre de crimes de haine enregistrés par la police, le nombre de poursuites engagées et le nombre de déclarations de culpabilité prononcées dans les affaires où les tribunaux ont expressément appliqué l’article 81 (par. 6) du Code pénal. Il renvoie également aux recommandations formulées par le Comité à l’intention de l’État partie, l’engageant à faire en sorte que toutes les infractions à motivation raciale, y compris celles dont les motivations sont multiples, fassent l’objet d’enquêtes efficaces et que les auteurs soient poursuivis, notamment en adoptant des mesures pratiques et concrètes et en examinant les lacunes qui peuvent exister en ce qui concerne les enquêtes, les poursuites et l’application de la législation contre les crimes de haine. L’auteur en conclut que la décision de clore l’enquête concernant son affaire et d’en refuser la réouverture étaient manifestement arbitraires et représentaient un déni de justice effectif, ce qui constitue une violation de l’article 6 de la Convention.

5.6En ce qui concerne l’article 4 (al. c)) de la Convention, l’auteur affirme que l’argument de l’État partie selon lequel l’exposition qui s’est tenue dans les locaux du Parlement danois ne pouvait pas être considérée comme publique contredit la conclusion de la Procureure d’État qui a affirmé que les deux expositions des œuvres de D. P. devaient être considérées comme des déclarations faites publiquement ou dans l’intention de toucher le plus grand nombre. C’est ce que confirme le fait que les organisateurs ont utilisé l’exposition au Parlement dans leur campagne pour obtenir une couverture médiatique et y font référence sur leur site Web. L’auteur ajoute que l’État partie ne développe pas davantage son argument selon lequel l’exposition ne visait nullement à cautionner ou à soutenir un message ou un point de vue en particulier, notamment la discrimination raciale. Il estime donc que l’État partie ne fait que reprendre les affirmations de l’organisateur en invoquant l’argument de la protection de la liberté d’expression.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard de l’article 14 (par. 7 a)) de la Convention.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas démontré à première vue la recevabilité de sa communication au regard de l’article 14 de la Convention et la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement mal fondée. Il prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle les faits décrits dans sa communication soulèvent des questions au regard des articles 4 (al. a) et c)) et 6 de la Convention et l’État partie n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles la communication serait mal fondée aux fins de la recevabilité. L’auteur soulève trois griefs distincts : a) la violation par l’État partie de l’obligation positive de combattre les discours de haine raciale qui lui incombe au titre de l’article 4 (al. a)) lu conjointement avec l’article 6 de la Convention ; b) la violation de l’article 4 (al. c)) de la Convention ; c) la violation du droit à un recours utile, consacré à l’article 6 de la Convention.

6.3En ce qui concerne une possible violation de l’article 4 (al. a)) de la Convention, le Comité note que les images présentées lors des expositions pouvaient être interprétées à première vue comme une expression de supériorité raciale ou de haine raciale et comme une incitation à la violence à l’égard de groupes ou de membres de groupes protégés par la Convention. À cet égard, il note que, dans sa décision du 26 janvier 2017, la Procureure d’État a reconnu que la plupart des images contenaient des éléments pouvant être considérés comme humiliants, dévalorisants et désobligeants. Même si l’État partie a entamé des enquêtes, il les a finalement abandonnées, et aucune mesure n’a été prise en ce qui concerne les expositions. Cela soulève la question de savoir si l’État partie s’est acquitté de l’obligation positive qui lui est faite, au titre de l’article 4 (al. a)) lu conjointement avec l’article 6, de prendre des mesures effectives comme suite à des faits signalés de discrimination raciale. Parce qu’il figure sur deux des cinq images, lesquelles ont été exposées ensemble, l’auteur peut se dire de façon plausible victime d’une violation présumée. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses griefs d’une violation de l’article 4 (al. a)) lu conjointement avec l’article 6 de la Convention aux fins de la recevabilité.

6.4En ce qui concerne une possible violation de l’article 4 (al. c)) de la Convention, le Comité prend note des informations fournies par l’auteur selon lesquelles les expositions ont été organisées sous les auspices du Parti populaire danois dans les locaux du Parlement danois. Il note que l’État partie ne conteste pas cette affirmation, même s’il fait valoir qu’aucune autorité ou institution publique n’a cautionné ou soutenu un message ou un point de vue en particulier. Il note également que l’État partie ne fournit pas plus de détails à ce sujet. Sachant que l’une des expositions s’est effectivement tenue dans les locaux du Parlement, où des brochures reproduisant les images et indiquant leur prix étaient disponibles, le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé sa plainte concernant l’article 4 (al. c)) aux fins de la recevabilité.

6.5En ce qui concerne le grief selon lequel l’interruption de l’enquête constitue une violation de l’article 6 de la Convention en ce qu’elle a privé l’auteur d’un recours utile, le Comité note que la communication ne soulève pas expressément la question de savoir si le contrôle juridictionnel de la décision de la Procureure d’État et de la décision de la Directrice du parquet est possible en droit danois ou imposé par l’article 6 de la Convention. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle ces décisions ont privé l’auteur d’un recours utile, la communication n’est pas étayée. En ce qui concerne l’article 6 de la Convention, l’auteur affirme que les décisions de la Procureure d’État et de la Directrice du parquet ont violé son droit à réparation. À cet égard, le Comité souligne que l’article 6 de la Convention garantit le droit de demander satisfaction ou réparation juste et adéquate pour tout dommage subi par suite de discrimination raciale. Il note toutefois que l’auteur n’a pas dit s’il avait demandé réparation ou indemnisation à l’État partie ou à tout autre acteur. On ne sait pas s’il a engagé une procédure judiciaire à cet effet contre D. P., les organisateurs de l’exposition ou l’État partie sur le fondement du droit privé ou du droit administratif, ou si une telle procédure judiciaire serait possible. L’auteur n’a pas non plus indiqué quels dommages il a subis du fait des expositions ou de l’abandon des enquêtes par l’État partie. Les informations qu’il fournit ne font donc pas apparaître de manière étayée une violation du droit à un recours utile au titre de l’article 6 de la Convention. Le Comité considère que ce grief est manifestement mal fondé et irrecevable.

6.6En l’absence d’autres objections concernant la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle-ci recevable quant aux griefs soulevés au titre de l’article 4 (al. a)) lu conjointement avec l’article 6 et de l’article 4 (al. c)) de la Convention, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 14 (par. 7 a)) de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que, selon l’auteur, la décision de clore l’enquête concernant les expositions constitue une violation de l’article 4 (al. a)) de la Convention lu conjointement avec l’article 6, étant donné qu’elle révèle, dans la pratique, que le parquet empêche toute enquête effective sur les crimes de haine relevant de l’article 266 du Code pénal. Il note également que l’auteur affirme que, bien que de nombreux éléments attestent la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciales, matérialisées par les images de D. P., les autorités de l’État partie ont décidé de ne pas poursuivre l’enquête, si bien que l’article 4 de la Convention n’a pas été appliqué de manière effective. Il note en outre que l’État partie affirme que ses autorités ont mené une enquête effective et suffisante afin de déterminer si les faits en l’espèce étaient constitutifs de discrimination raciale et ont conclu que tel n’était pas le cas, compte tenu de la probabilité que les suspects soient déclarés non coupables. À cet égard, il note que l’État partie affirme que le parquet a examiné de manière approfondie l’affaire et a recueilli les éléments de preuve nécessaires, notamment en entendant D. P., l’auteur et les organisateurs des expositions, et en rassemblant des informations générales sur les images et sur les circonstances dans lesquelles se sont tenues les expositions, notamment les dates auxquelles elles ont été organisées, les lieux où elles se sont tenues, leur accessibilité et les personnes qui en ont assuré la promotion ou l’organisation.

7.3Le Comité doit déterminer si l’État partie s’est acquitté de l’obligation positive qui lui incombe de prendre des mesures effectives contre les cas signalés de discrimination raciale, c’est-à-dire s’il a enquêté sur les faits dénoncés par l’auteur dans la plainte qu’il a déposée sur la base des articles applicables du Code pénal, en particulier de l’article 266 b). Pour déterminer si l’État partie a violé l’article 4 (al. a)) de la Convention lu conjointement avec l’article 6, il doit d’abord déterminer si les expositions des images en question constituaient l’expression d’un discours de haine raciale au sens de ces dispositions, puis définir si l’État partie a pris des mesures effectives pour combattre tous les discours de haine raciale, comme le lui impose l’article 4 de la Convention, lu conjointement avec l’article 6.

7.4L’article 4 (al. a)) de la Convention s’applique, entre autres, aux discours et autres formes d’expression qui relèvent de la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale ou ethnique, de l’incitation à la haine, au mépris ou à la discrimination, de menaces ou de l’incitation à la violence, de l’expression d’insultes, de moqueries ou de calomnies ou de la justification de la haine, du mépris ou de la discrimination, lorsque ces actes s’apparentent clairement à de l’incitation à la haine ou à la discrimination. L’article 4 (al. a)) s’applique aux discours qui visent ou touchent des personnes ou des groupes protégés par la Convention. Le Comité note que les images en question contiennent des propos désobligeants ainsi que des représentations négatives de personnes noires, et portent donc atteinte à des personnes et des groupes en raison de leur race et de leur couleur. L’une des images dépeint de manière négative des membres de la communauté rom, portant atteinte à des personnes en raison de leur origine ethnique. L’exposition de ces images relève donc du champ d’application de la Convention. Sachant que plusieurs des images en question représentent des individus particuliers, le Comité rappelle que l’article 4 de la Convention protège non seulement les groupes et leurs membres mais aussi les personnes. L’article 4 établit un droit individuel.

7.5Les cinq images en question utilisent toutes un langage raciste et sont l’expression de stéréotypes racistes. Le fait qu’elles aient un contenu raciste n’est toutefois pas suffisant pour pouvoir les qualifier de discours de haine raciale au sens de l’article 4 (al. a)) de la Convention et considérer qu’elles relèvent de l’obligation positive mise à la charge des États parties par cette disposition. Cet article exige en outre qu’elles relèvent de la diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale ou ethnique, de l’incitation à la haine, au mépris ou à la discrimination, des menaces ou de l’incitation à la violence, de l’expression d’insultes, de moqueries ou de calomnies ou de la justification de la haine, du mépris ou de la discrimination, lorsque ces actes s’apparentent clairement à de l’incitation à la haine ou à la discrimination. L’un de ces facteurs supplémentaires doit être présent pour qu’un propos à contenu raciste tombe sous le coup de l’article 4 (al. a)) de la Convention. Toutefois, le Comité rappelle que seules les formes graves de discours racistes devraient être considérées comme des infractions pénales, pouvant être prouvées au-delà de tout doute raisonnable, les formes moins graves devant être traitées par d’autres moyens que le droit pénal, compte tenu notamment de la nature et de l’étendue des conséquences pour les personnes et les groupes visés.

7.6Dans ce contexte, le Comité souligne l’importance du droit à la liberté d’opinion et d’expression, tel qu’il est garanti par le droit international des droits de l’homme et incorporé à la Convention en vertu de l’article 5 (al. d) viii)). En conséquence, l’article 4 impose que les mesures destinées à éliminer l’incitation à la discrimination et les actes de discrimination soient prises compte dûment tenu du droit à la liberté d’opinion et d’expression. Dans ce contexte, la liberté d’expression couvre toutes les formes d’expression, y compris l’art. Le Comité rappelle toutefois que l’exercice du droit à la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités spéciales, notamment l’interdiction de diffuser des idées racistes. Il rappelle également que le droit à la liberté d’expression n’est pas illimité. Il peut donc être soumis à certaines restrictions, notamment pour protéger les droits ou la réputation d’autrui ou sauvegarder la sécurité nationale, l’ordre public, la santé ou la moralité publique. En conséquence, un équilibre doit être trouvé entre le droit à la liberté d’expression, d’une part, et les obligations d’un État partie de combattre les discours de haine raciale, d’autre part. Pour décider si un discours particulier constitue un discours de haine raciale au sens de l’article 4 (al. a)) de la Convention, il convient de prendre un certain nombre de facteurs contextuels, comme le contenu et la forme du discours, le climat économique, social et politique dans lequel le discours est fait, la position et le statut de l’orateur, la portée du discours et les objectifs du discours.

7.7Dans ce contexte, le Comité conclut que les cinq images auxquelles fait référence la communication tombent sous le coup de l’article4 (al. a)) de la Convention. Il observe que les représentations et formulations racistes expriment, de différentes manières, des idées de supériorité raciale. Elles comparent le mouvement des droits civiques à l’idéologie nationale‑socialiste, utilisent des insultes racistes et présentent des images de l’esclavage pour dévaloriser une personne. Certaines images non seulement affichent un contenu raciste, mais représentent aussi des personnes et les dépeignent de manière dégradante, en reproduisant des stéréotypes racistes d’une manière qui peut inciter à la haine raciale, à la discrimination et à la violence. L’image représentant Adolf Hitler laisse entendre que l’idéologie nationale‑socialiste, elle-même la manifestation d’idées de supériorité raciale, est sur un pied d’égalité avec le mouvement des droits civiques en tant que tentative louable de combattre l’injustice. En insinuant que les deux sont comparables, l’image laisse entendre que le national-socialisme, qui repose sur l’idée d’une supériorité raciale, peut être considéré comme un système vertueux de croyances. Elle peut donc être considérée à la fois comme justifiant l’idée d’une supériorité raciale et comme incitant à la discrimination. L’image présentant une caricature stéréotypée d’une personne noire et laissant entendre que cette personne consomme du crack en faisant usage d’une insulte raciste fait expressément référence aux personnes noires en tant que telles, et non à des personnes noires particulières, et les associe à une épidémie de toxicomanie. En associant les personnes noires en tant que telles à la toxicomanie et en faisant usage d’une insulte raciste, l’image perpétue les stéréotypes racistes selon lesquels les personnes noires sont intrinsèquement enclines à la toxicomanie et diffuse donc l’idée d’une supériorité raciale. L’image représentant trois personnes noires − dont l’auteur − pendues à une potence est une référence historique à une forme de violence raciste, la tourne en dérision et justifie potentiellement la violence, non seulement à l’encontre des personnes représentées, mais aussi à l’encontre des communautés auxquelles elles appartiennent. En ce qui concerne le contexte des images, il faut tenir compte du fait que l’auteur est un défenseur des droits de l’homme. Sa représentation sur un « avis de recherche » et dans le contexte d’un lynchage transmet un message d’intimidation et peut être comprise comme une incitation à la discrimination et à la violence. En ce sens, l’intimidation ne vise pas seulement l’auteur, mais aussi la communauté qu’il défend contre la discrimination raciale. Le même raisonnement s’applique à l’image représentant des dirigeants de la communauté rom et les associant à une tendance inhérente à adopter un comportement criminel, un trope récurrent de la discrimination raciale visant le groupe ethnique rom. Le Comité rappelle que les discours de haine raciale rejettent les principes fondamentaux des droits de l’homme, de la dignité humaine et de l’égalité, et vise à affaiblir la position de personnes et de groupes dans la société. Il note que les discours de haine raciale ont des effets négatifs profonds sur les communautés ciblées. Il note également qu’en raison de leur nature symbolique, les discours de haine raciale envoient un message d’hostilité et d’intolérance à toute personne partageant l’identité ou les caractéristiques de la personne visée, de sorte que les communautés visées par ces discours peuvent se sentir stigmatisées et rejetées, ce qui peut entraîner des tensions communautaires et un isolement social. En représentant des personnes noires et des membres de la communauté rom de manière dégradante, les images ne portent pas seulement atteinte aux droits des personnes représentées, mais aussi à ceux d’autres membres de groupes protégés par la Convention. Le Comité conclut que les images peuvent, par conséquent, être comprises comme une généralisation négative de tout un groupe de personnes fondée uniquement sur leur origine ethnique ou nationale. Dans ce contexte, les images exposées doivent être considérées comme des insultes et une incitation à la haine et à la discrimination, tant à l’égard des personnes représentées, y compris l’auteur, qu’à l’égard des communautés qui sont censées être représentées.

7.8Le Comité note que l’État partie affirme que l’exposition ne visait nullement à cautionner ou à soutenir un message ou un point de vue en particulier, notamment la discrimination raciale, mais qu’elle avait pour objectif de susciter un débat de société essentiel sur les limites de la liberté d’expression dans une société démocratique. Il note également que l’une des expositions était organisée sous les auspices du Parti du peuple danois dans un bâtiment public du siège du Parlement danois, où des reproductions des images étaient en vente et des brochures contenant des photographies des images étaient également disponibles. Il note en outre que l’autre exposition s’est tenue dans les locaux de l’Association de la presse libre pendant cinq jours et qu’elle était ouverte au public. Il note enfin que la Procureure d’État a considéré que les deux expositions étaient publiques.

7.9Le Comité rappelle que, pour déterminer si un acte d’expression constitue un discours de haine raciste, le contexte est un élément décisif à prendre en considération. Il rappelle sa position selon laquelle l’expression d’idées et d’opinions dans le cadre de débats universitaires, d’engagement politique ou d’activité analogue, et sans incitation à la haine, au mépris, à la violence ou à la discrimination, devrait être considérée comme l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression, même lorsque de telles idées prêtent à controverse. Il a conscience qu’à la lumière du droit à la liberté d’expression, des images présentées dans une exposition ne peuvent pas aisément être qualifiées de discours de haine raciale, même lorsqu’elles présentent un contenu raciste ou reproduisent des stéréotypes racistes. Dans ce contexte, il note que les images sont accompagnées de cartels explicatifs qui précisent leur contexte et appellent l’attention sur le débat concernant les limites de la liberté d’expression. Il relève cependant que certaines des images en question montrent des personnes particulières qui, pour certaines, sont connues pour leurs activités de lutte contre la discrimination. De telles attaques racistes ad hominem sont particulièrement préjudiciables et dangereuses et dépassent toutes les limites acceptables d’un débat dans une société démocratique. Elles humilient les personnes visées et portent ainsi atteinte à leur dignité, et elles peuvent conduire à d’autres actes de discrimination. Les manifestations de violence visant des personnes ou des groupes de personnes particuliers sont également particulièrement néfastes car elles peuvent être comprises comme une incitation à la violence ou une justification de celle-ci. Le Comité observe que le contexte d’une exposition ne peut être utilisé comme prétexte pour montrer des images qui seraient autrement comprises comme un discours de haine raciale. Il note que les textes explicatifs qui accompagnent les images ne font pas apparaître une prise de distance des organisateurs des expositions par rapport au contenu raciste des images. Il note également que des reproductions des images étaient en vente dans la salle d’exposition, facilitant ainsi la diffusion des images au-delà du contexte de l’exposition. En conséquence, il ne partage pas l’idée selon laquelle les expositions avaient uniquement pour objectif de lancer un débat sur les limites de la liberté d’expression, mais estime qu’elles avaient également pour but de diffuser les images et leur contenu raciste. Il conclut donc que l’exposition des cinq images ne saurait être justifiée par le droit à la liberté d’expression, et constitue un discours de haine raciale au sens de l’article 4 (al. a)) de la Convention.

7.10L’exposition des images constitue un discours de haine raciale au sens de l’article 4 (al. a)) de la Convention. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il ne suffit pas, aux fins de l’article 4 de la Convention, de déclarer simplement dans un texte de loi que les actes de discrimination raciale sont punissables. La législation pénale et les autres dispositions légales interdisant la discrimination raciale doivent aussi être effectivement appliquées par les institutions compétentes de l’État. Cette obligation est implicite dans l’article 4 de la Convention, aux termes duquel les États parties s’engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à la discrimination raciale ou tous actes de discrimination. La dimension positive des obligations des États en ce qui concerne la discrimination raciale ressort également d’autres dispositions de la Convention, comme l’article 2 (par. 1 d)), aux termes duquel les États doivent, par tous les moyens appropriés, interdire la discrimination raciale et y mettre fin, et l’article 6, qui garantit à chacun une protection et une voie de recours effectives contre tous actes de discrimination raciale.

7.11Le Comité souligne qu’il ne lui appartient pas d’examiner la manière dont l’État partie applique son droit interne. Il lui appartient en revanche de déterminer si l’État partie s’est acquitté de l’obligation mise à sa charge par l’article4 (al.a)) de la Convention lu conjointement avec l’article6. À cet égard, il rappelle que les États parties ont l’obligation de mener des enquêtes effectives sur les cas présumés de discrimination raciale et de discours de haine raciale.

7.12Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, conformément à la Convention, les personnes ont le droit de demander que leur affaire soit examinée au fond et cette obligation a été remplie, puisque le cas de l’auteur a été examiné de manière approfondie par deux instances du parquet. Il prend note de la décision de la Procureure d’État, qui a analysé chaque image et le texte qui l’accompagnait. Il note que la Procureure a conclu qu’aucune des images ne tombait sous le coup des articles 266, 266 b), 266 c), 267 et 268 du Code pénal, lus conjointement avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif à la liberté d’expression. Il note également que, dans son analyse de l’article 266 b), la Procureure a estimé que certaines des images pouvaient être perçues comme humiliantes, dévalorisantes ou désobligeantes (voir supra, par. 2.9). Il note toutefois qu’elle a estimé qu’elles pouvaient contribuer à des débats sociaux importants, y compris sur le racisme. Il note enfin que l’État partie affirme que la Directrice du parquet a confirmé cette évaluation.

7.13Le Comité note avec satisfaction que le ministère public de l’État partie a pris au sérieux les allégations d’incitation à la haine raciale et a procédé à une analyse approfondie visant à déterminer si les expositions en question constituaient une infraction pénale au regard du droit pénal interne. Il prend note de la diligence avec laquelle la Procureure d’État a analysé le contenu et le contexte de chacune des images. Il souligne que le simple fait que les enquêtes n’aient pas conduit la Procureure d’État à porter des accusations devant un tribunal pénal et que, par conséquent, personne n’ait été condamné n’indique pas automatiquement que l’État partie a violé les obligations qui lui incombent au titre de l’article 4 (al. a)) de la Convention. Toutefois, il observe que, lorsqu’un discours relève du champ d’application de l’article 4 (al. a)) de la Convention, l’État partie est tenu de réagir et de prendre des mesures effectives. Une simple enquête ne suffit pas. Dans ce contexte, le Comité rappelle qu’il a recommandé que seules les formes graves de discours racistes soient considérées comme des infractions pénales, pouvant être prouvées au-delà de tout doute raisonnable, les formes moins graves devant être traitées par d’autres moyens que le droit pénal, compte tenu notamment de la nature et de l’étendue des conséquences pour les personnes et les groupes visés. Toutefois, étant donné que les images constituaient un discours de haine raciale, la Convention exigeait que l’État partie réagisse de manière appropriée et proportionnée pour lutter contre cette forme de discrimination raciale. En ne prenant pas de mesures effectives en réponse à des faits constituant un discours de haine raciale, l’État partie ne s’est pas conformé aux exigences de la Convention.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 14 (par. 7) de la Convention, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 4 (al. a)) de la Convention lu conjointement avec l’article 6.

9.Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner le grief de violation de l’article 4 (al. c)) de la Convention soulevé par l’auteur.

10.Le Comité rappelle que, conformément aux règles du droit international relatives à la responsabilité de l’État, toute violation d’une obligation internationale ayant entraîné un préjudice emporte l’obligation de réparer intégralement le préjudice causé. Il souligne qu’il est de la responsabilité de l’État partie d’offrir réparation pour la violation de ses obligations au titre de la Convention et pour la violation des droits de l’auteur de la communication, y compris des excuses et une réparation intégrale. Il prie en outre l’État partie de prendre des mesures supplémentaires pour garantir l’application effective de la législation en vigueur, compte dûment tenu des prescriptions de la Convention. De telles mesures devraient comprendre l’élaboration de lignes directrices sur les mesures à prendre face aux discours de haine raciale ainsi que la mise en place de programmes de formation à l’intention des policiers, des procureurs et des juges aux fins de la prévention de la haine raciale et de la discrimination raciale. En outre, l’État partie est prié de diffuser largement le présent avis, y compris auprès des policiers, des procureurs et des organes judiciaires.

11.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet au présent avis.