Nations Unies

CERD/C/106/D/59/2016

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

14 avril 2023

Français

Original : anglais

Comité pour l’élimination de la discrimination raciale

Avis adopté par le Comité au titre de l’article14 de la Convention, concernant la communication no 59/2016 * , **

Communication présentée par :

Anne Nuorgam et consorts, représentés par Martin Scheinin

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Finlande

Date de la communication :

14 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Date du présent avis :

22 avril 2022

Références  :

Décision prise en application de l’article 91 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 janvier 2017 (non publiée sous forme de document)

Objet :

Droit de voter aux élections du Parlement sâme ; égalité dans l’exercice des droits culturels

Question ( s ) de procédure :

Compétence du Comité ; qualité de victime ; épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Discrimination fondée sur l’origine ethnique

Article(s) de la Convention :

1er et 5 (al. a), c) et e))

1.1Les 23 auteurs de la communication, datée du 14 mars 2016, sont Anne Nuorgam (Cheffe du Groupe des droits de l’homme du Conseil sâme, association transfrontière) ; Maria Sofia Aikio (militante d’une organisation non gouvernementale culturelle à Ohcejohka (Finlande)) ; Pekka Aikio (Association des Sâmes éleveurs de rennes de Vuotso, à Sodankylӓ (Finlande)) ; Niillas Beaska (pêcheur, Président de l’Association sâme norvégienne de Deatnu (Norvège)) ; Bjӧrg Bonk (Association du peuple sâme − Samenes Folkeforbund (Norvège)) ; Andrei Danilov (membre de Saam Sobar (Fédération de Russie)) ; Tatjana Egorova (Bureau des peuples autochtones de la région de Barents à Mourmansk (Fédération de Russie)) ; Hartvik Hansen (pêcheur à Deatnu (Norvège)) ; Ida-Maria Helander (assistante maternelle privée, Société sâme de Rovaniemi − Rovaniemen saamelaisyhdisty ry, à Rovaniemi (Finlande)) ; Aslak Holmberg (enseignant, Association des jeunes sâmes de Finlande − Suomen saamelaisnuoret ry (Finlande)) ; Áile Javo (Président du Conseil sâme de Karasjok (Norvège)) ; Jevgenji Jushkov (Secrétaire général par intérim du village de Lujári/Loverezo (Fédération de Russie)) ; Mirka Kelahaara (assistante maternelle privée, Société sâme de Rovaniemi − Rovaniemen saamelaisyhdisty ry, à Rovaniemi (Finlande)) ; Åsa Larsson Blind (Fonds suédois pour la réforme sâme − Svenska Samernas Riksfӧrfund d’Ӧvre Soppero (Suède)) ; Jouni Lukkari (éleveur de rennes, Conseil sâme d’Anár (Finlande)) ; Juhani Lӓnsman (éleveur de rennes à Inari (Finlande)) ; Ristenrauna Magga (Président de l’Association sâme nationale d’Eadonat (Finlande)) ; Piia Nuorgam (chercheur à Rovaniemi (Finlande)) ; Outi Paadar (étudiante, Société sâme de Rovaniemi − Rovaniemen saamelaisyhdisty ry, à Rovaniemi (Finlande)) ; Gunn-Britt Retter (Présidente de l’association Nesseby Sameforening − Unárgga Sámi Searvi, à Unjárga (Norvège)) ; Ellen Inga Turi (chercheuse, Conseil sâme de Guovdageaidnu (Norvège)) ; Nils-Henrik Valkeapӓӓ (Johtti Sápmelaččat ry d’Enontekiӧ (Finlande)) et Samuel Valkeapӓӓ (enseignant, Johtti Sápmelaččat ry d’Inari (Finlande)). Ils affirment que la Finlande a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 1er et de l’article 5 (al. a), c) et e)) de la Convention. Tous les auteurs sont membres de la communauté autochtone sâme. Ils sont représentés par Martin Scheinin. La Finlande a fait la déclaration prévue à l’article 14 de la Convention le 16 novembre 1994.

1.2Le 7 mai 2018, conformément à l’article 14 de la Convention et à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité a adopté une décision sur la recevabilité de la communication. Pour de plus amples informations sur les faits, les revendications des auteurs, les observations des parties sur la recevabilité et la décision du Comité sur la recevabilité, voir Nuorga m et consorts c .  Finlande.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1La communication a trait à une série de décisions judiciaires concernant les listes électorales établies pour l’élection du Parlement sâme. La loi relative au Parlement sâme (no 974/1995) détermine le fonctionnement et les pouvoirs du Parlement. Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 de la loi, le rôle du Parlement sâme consiste « à préserver la langue et la culture des Sâmes et à s’occuper de questions se rapportant à leur statut en tant que peuple autochtone ». Dans les domaines relevant de sa compétence, le Parlement sâme peut prendre des initiatives, proposer des mesures aux autorités et faire des déclarations (art. 5, par. 2)). L’article 9 prévoit ce qui suit :

Les autorités négocient avec le Parlement sâme toutes les mesures importantes susceptibles d’avoir une incidence directe et particulière sur le statut du peuple sâme en tant que peuple autochtone et qui concernent le territoire sâme en ce qu’elles relèvent des domaines ci-après :

1)L’aménagement local ;

2)La gestion, l’utilisation, la location et l’affectation des terres appartenant à l’État, ainsi que des conservatoires naturels et des zones de nature sauvage ;

3)Le traitement des demandes de licence aux fins de faire valoir des droits sur des concessions minières ou de déposer des brevets miniers ;

4)La modification des dispositions législatives ou administratives régissant les activités propres à la culture sâme ;

5)Le développement de l’enseignement du sâme, et en sâme, dans les écoles, ainsi que de l’emploi de cette langue par les services sanitaires et sociaux ; ou

6)Toute autre question relative à la langue et la culture sâmes ou au statut des Sâmes en tant que peuple autochtone.

Pour s’acquitter de son obligation de négocier, l’autorité compétente dans chacun des domaines susmentionnés donne au Parlement sâme la possibilité d’être entendu et de débattre des questions qui le concernent. Le fait que le Parlement ne se prévale pas de cette possibilité n’empêche en aucune manière l’autorité concernée de trancher la question en cause.

2.2Les auteurs font valoir que l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme contient la définition de toute personne qui doit être considérée comme Sâme aux fins de l’obtention du droit de vote aux élections parlementaires sâmes :

Un Sâme est une personne qui se considère comme Sâme pourvu :

1)Que le sâme soit sa langue maternelle ou celle d’au moins un de ses parents ou grands-parents ;

2)Qu’elle descende d’une personne inscrite dans les registres fonciers, fiscaux ou démographiques en tant que Lapon des montagnes, Lapon des forêts ou Lapon vivant de la pêche ; ou

3)Qu’au moins un de ses parents ait été, ou ait pu être, inscrit sur les listes électorales constituées pour l’élection de la Délégation sâme ou du Parlement sâme.

Les auteurs soulignent que d’après cette formulation, le critère général de se considérer comme Sâme doit être cumulé avec un des trois critères objectifs prévus aux alinéas 1), 2) et 3).

2.3Dans le contexte des élections de 2015, 182 décisions de l’organe compétent du Parlement sâme, la Commission électorale, déboutant des personnes de leur demande d’inscription sur les listes électorales, ont fait l’objet de recours auprès du Comité exécutif du Parlement sâme puis auprès de la Cour administrative suprême de Finlande. Le 30 septembre 2015, la Cour a décidé d’inscrire 93 de ces personnes sur les listes électorales, à rebours des décisions de la Commission électorale et du Comité exécutif. Les auteurs affirment que, dans au moins 53 de ces 93 décisions, la Cour administrative suprême a inscrit un nouvel électeur sur les listes électorales en se fondant sur une « appréciation globale », sans avoir démontré que l’intéressé remplissait un des trois critères objectifs prévus à l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme. Dans d’autres cas, un nouvel électeur a été inscrit sur les listes électorales parce qu’un membre de sa famille avait été inscrit sur les listes en 2011, en application de l’« appréciation globale » rendue par la Cour.

2.4Le 18 novembre 2015, compte tenu des plaintes reçues, le Comité exécutif a décidé que de nouvelles élections devaient être organisées, car l’intervention de la Cour administrative suprême avait selon lui entravé la volonté du peuple sâme. Certaines des 93 personnes qui avaient été inscrites sur les listes électorales ont fait appel de la décision du Comité exécutif auprès de la Cour administrative suprême. Le 13 janvier 2016, la Cour administrative suprême a annulé la décision du Comité exécutif d’organiser de nouvelles élections. Les résultats des élections qui avaient été annoncés le 7 octobre 2015 sont donc devenus définitifs.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que leurs droits, ainsi que ceux des membres des associations qu’ils représentent, ont été violés en leur qualité de membres individuels du peuple autochtone sâme, qui constituent un groupe de personnes d’« origine ethnique » différente au sens de la Convention, sur le territoire finlandais et dans une zone géographique plus grande qui s’étend à certaines régions de la Fédération de Russie, de la Norvège et de la Suède. Ils allèguent que les 93 décisions en date du 30 septembre 2015 de la Cour administrative suprême, et la décision du 13 janvier 2016 de la même Cour (ci-après les décisions), constituent une violation de l’article premier de la Convention. Ces décisions ont pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l’exercice, dans des conditions d’égalité, des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans les domaines politique, économique, social et culturel, ou dans tout autre domaine de la vie publique, des auteurs, ainsi que de tous les membres des associations qu’ils représentent en tant que groupe de personnes.

3.2Les auteurs affirment également que les décisions de la Cour administrative suprême constituent un pas vers la destruction du droit du peuple sâme à l’autonomie linguistique et culturelle. Ils estiment qu’en autorisant l’inscription sur les listes électorales du Parlement sâme de personnes dont l’appartenance au peuple sâme n’est pas reconnue par la Commission électorale, ces décisions ont favorisé l’inclusion de personnes qui ne sont pas pleinement engagées dans la défense des droits des autochtones sâmes et soutiennent plutôt les positions de l’État partie au Parlement. Ils considèrent que cette situation aboutira progressivement à l’assimilation forcée du peuple sâme à la population générale, ce qui constitue une violation de l’article premier de la Convention, ainsi que des articles 17 (par. 3) et 121 (par. 3) de la Constitution finlandaise qui visent à réparer les préjudices causés par la discrimination, la spoliation et les inégalités subies par le peuple sâme dans le passé. Le risque d’assimilation forcée des Sâmes dans la population finlandaise est aggravé par le fait que les Sâmes sont numériquement minoritaires même sur leur propre territoire. Les auteurs citent à titre d’exemple le fait qu’en 2015 le Gouvernement a présenté au Parlement finlandais un projet de loi sur l’Agence de la foresterie et a supprimé toutes les dispositions visant à protéger le peuple sâme contre la sylviculture et toute autre activité commerciale utilisant les terres et eaux publiques situées sur le territoire sâme. Ils considèrent qu’une telle démarche illustre combien il est important que le peuple sâme soit protégé par un Parlement autonome et énergique.

3.3Les auteurs considèrent également que les décisions constituent une violation des obligations qu’impose à l’État partie l’article 5 (al. a), c) et e)) de la Convention. En ce qui concerne l’alinéa a), ils affirment qu’en s’écartant de la lettre de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, la Cour administrative suprême a ignoré les dispositions relatives à la légalité, à la prévisibilité, au non-arbitraire et à la non‑discrimination. Les auteurs font valoir que les décisions ont violé leur droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice (art. 5 (al. a)) de la Convention). En raison du caractère flou de cette « appréciation globale », les décisions de la Cour administrative suprême ont favorisé l’arbitraire et la discrimination, de sorte que des situations identiques sont traitées différemment et que des différences de taille entre différentes situations sont ignorées, des dizaines de personnes étant inscrites sur les listes électorales alors qu’elles ne remplissent aucun des trois critères prévus par la loi. Si on les compare aux 89 décisions, rendues le même jour, par lesquelles elle a refusé l’inscription sur les listes électorales, les 93 décisions par lesquelles la Cour l’a acceptée ont un caractère discriminatoire et arbitraire. Il est arrivé, par exemple, que deux membres d’une même fratrie se voient notifier des décisions contraires. Dans la commune d’Enontekiö, les demandes de tous ceux qui avaient Vieltojärvi pour nom de famille ont été acceptées, tandis que tous ceux dont le nom de famille était Keskitalo ont été déboutés, alors même que ces deux groupes font partie de la même famille.

3.4Les auteurs affirment que l’État partie a violé l’article 5 (al. c)) de la Convention, puisque l’intervention de la Finlande dans le fonctionnement du Parlement sâme était directement liée à la participation des Sâmes à la vie politique dans le cadre de l’élection du principal organe assurant leur autonomie. Ils affirment que bien que les Sâmes de nationalité finlandaise puissent voter aux élections parlementaires nationales, ils représentent une minorité si petite qu’aucun Sâme ne siège au Parlement finlandais. L’élection des membres du Parlement sâme est donc un des rares moyens dont disposent les Sâmes pour exercer leur droit de participer aux affaires publiques.

3.5Les auteurs considèrent également que les décisions constituent une violation de l’article 5 (al. e)) de la Convention, étant donné que la prise de contrôle progressive du Parlement sâme par la population générale finlandaise aurait un effet néfaste sur l’exercice et la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels du peuple sâme en Finlande, ainsi que dans les pays voisins où vivent des Sâmes. Ils avancent que le fait de privilégier l’« appréciation globale » au détriment des dispositions de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme revient à s’écarter de la langue sâme et constitue donc une violation des droits linguistiques des Sâmes, en particulier compte tenu du rôle essentiel que joue la langue sâme dans la cohésion au-delà des frontières. Ils considèrent donc que les droits linguistiques protégés par l’article 5 (al. e)) de la Convention ont été violés.

3.6Les auteurs considèrent en outre que par ses décisions du 30 septembre 2015, la Cour administrative suprême a refusé de reconnaître l’erreur qu’elle avait commise en 2011. Ils renvoient aux observations finales de 2009 du Comité, dans lesquelles ce dernier a recommandé à l’État partie de « faire davantage de place à l’identification fondée sur la manière dont s’identifie lui-même l’individu concerné, comme indiqué dans la recommandation générale no 8 du Comité (1990) ». Selon les auteurs, la recommandation générale no 8 a été mal comprise par la Cour administrative suprême dans ses décisions de 2011, puisqu’au lieu d’adopter une interprétation généreuse de chacun des trois critères différents énoncés à l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme pour qu’une personne puisse être reconnue comme Sâme, elle s’est écartée de la loi dans certains cas et a remplacé aussi bien la loi que l’avis des Sâmes eux-mêmes par une « appréciation globale », qui a abouti à l’inscription de personnes appartenant à la population générale finlandaise sur les listes électorales sâmes. Le Comité a appelé l’attention sur cette erreur dans ses observations finales de 2012, où il a déclaré « [s’inquiéter] de ce que la définition adoptée par la Cour administrative suprême ne prend pas suffisamment en considération les droits du peuple sâme, conformément à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment leur droit à l’autodétermination (art. 3), leur droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions (art. 33) et leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture (art. 8) (art. 5 de la Convention) ». Il a aussi recommandé à l’État partie de prendre dûment en considération, dans le choix des critères sur la base desquels un Sâme est habilité à voter pour élire les membres du Parlement sâme, le droit des Sâmes à l’autodétermination concernant leur statut en Finlande, leur droit de décider eux-mêmes de leur appartenance au peuple sâme et leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée.

Décision du Comité concernant la recevabilité

4.Le 7 mai 2018, conformément à l’article 14 de la Convention et à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité s’est prononcé sur la recevabilité de la communication. En premier lieu, il a considéré que l’article 14 (par. 1) de la Convention l’empêchait d’examiner les griefs des auteurs, qu’il s’agisse de personnes ou de groupes de personnes, qui sont de nationalité norvégienne, suédoise ou russe. Le Comité a aussi considéré que la réserve faite par l’État à l’article 14 de la Convention ne l’empêchait pas d’examiner la communication, puisque, même si une communication portant sur les mêmes faits était examinée par le Comité des droits de l’homme, cette communication avait été soumise par des personnes différentes. Le Comité a aussi estimé que les auteurs avaient satisfait aux prescriptions de l’article 14 (par. 7 a)) de la Convention concernant l’épuisement des recours internes. Le Comité a enfin considéré que les décisions rendues par les institutions de l’État partie qui ont une incidence sur la composition du Parlement sâme et sur l’égale représentation des Sâmes pouvaient avoir des effets directs sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels des personnes qui appartiennent à la communauté sâme et des groupes de personnes sâmes, au sens de l’article 14 (par. 1) de la Convention. Le Comité a décidé que la communication est recevable à titre individuel à l’égard des auteurs qui relèvent de la juridiction de l’État partie. Il a prié les parties de soumettre leurs observations et commentaires écrits quant au fond de la communication. Pour de plus amples renseignements à propos des faits de l’espèce, des griefs des auteurs, des observations des parties sur la recevabilité et de la décision du Comité concernant la recevabilité, se reporter à Nuorga m et consorts c .  Finlande.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 29 août 2018, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

5.2L’État partie rappelle les observations qu’il a présentées sur la recevabilité de la communication. Il réaffirme que la communication constitue une actio popularis, que les auteurs n’ont pas prouvé qu’ils ont été directement lésés par les décisions, qu’ils n’ont pas épuisé les recours internes puisqu’ils n’ont pas participé à la procédure dont la Cour administrative suprême était saisie, et que le Comité n’est pas compétent pour réexaminer des faits que la Cour administrative suprême a déjà examinés, surtout dans le cas d’espèce où aucune des parties concernées par les décisions de la Cour n’est partie à ladite communication.

5.3L’État partie rappelle les faits de l’espèce, et clarifie le raisonnement suivi par la Cour administrative suprême dans la décision, adoptée le 13 janvier 2016, par laquelle elle a annulé la décision du Comité exécutif d’organiser de nouvelles élections. La Cour a dit que le Comité exécutif n’était pas habilité à s’occuper de questions de droit déjà tranchées par la Cour et que ses décisions étaient contraignantes pour le Parlement sâme.

5.4L’État partie rappelle les dispositions de sa législation interne qui protègent les droits des Sâmes en tant que peuple autochtone, outre celles qui protègent tous les citoyens contre toute forme de discrimination, en particulier la Constitution finlandaise, la loi sur la non‑discrimination, la loi relative au Parlement sâme, la loi sur le sâme skolt et la loi sur les langues sâmes. Il note que dans sa jurisprudence constante, la Cour administrative suprême s’est préoccupée de protéger les droits des Sâmes. L’État partie souligne que la Cour administrative suprême a procédé à un examen rigoureux de 182 recours, à l’issue duquel elle a admis 93 personnes sur les listes électorales, et que le Comité exécutif a été consulté.

5.5L’État partie rappelle que, dans le cadre de son examen de l’application de la Convention, le Comité a abordé la question de la définition des Sâmes en recommandant dans ses observations finales à l’État partie de faire davantage de place à l’identification fondée sur la manière dont s’identifie lui-même l’individu concerné, comme le Comité l’indique dans sa recommandation générale no 8 (1990). Dans ses observations finales ultérieures, le Comité a noté que la Cour administrative suprême s’était appuyée sur ses observations finales précédentes dans ses décisions de 2011, et souligné que le droit à l’autodétermination comportait le droit des Sâmes de décider eux‑mêmes de leur appartenance au peuple sâme. De plus, l’État note que selon un rapport analysant la jurisprudence de la Cour administrative suprême, les décisions de 2011 et de 2015 renvoient en particulier aux recommandations du Comité tendant à ce que l’auto‑identification des individus soit mieux prise en considération dans la définition des Sâmes. L’État partie note aussi que le Comité recommande aux États parties d’incorporer dans leur législation interne des dispositions interdisant expressément toute discrimination fondée sur l’ascendance (recommandation générale no 29 (2002)).

5.6L’État partie fait valoir que le Parlement sâme est une institution indépendante de droit public qui défend les intérêts du peuple sâme. La loi relative au Parlement sâme prévoit qu’aux fins de l’exercice de leur autonomie, les Sâmes élisent parmi eux les membres de leur Parlement. Environ 6 000 Sâmes sont inscrits sur les listes électorales constituées pour l’élection de celui-ci, tandis que leur nombre total en Finlande atteint 10 000 environ. L’État partie indique que la loi relative au Parlement sâme fait l’objet d’une révision et que le Gouvernement a pour politique de ne pas traiter les questions qui relèvent fondamentalement de l’autonomie linguistique et culturelle des Sâmes à rebours de la position du Parlement sâme.

5.7L’État partie fait valoir qu’il a pris des mesures positives pour protéger l’identité du peuple sâme et le droit qui revient à ses membres de jouir de leur culture et de leur langue et de les développer au même titre que les autres membres de peuples autochtones. Il souligne que le droit de vote aux élections est prévu par la loi et que l’État a pris les dispositions voulues pour que toute personne ayant le droit de vote puisse exercer ce droit. Il note également que les électeurs sont libres de voter comme ils l’entendent, ce que l’État respecte pleinement, et qu’il n’y a donc aucun moyen objectif d’évaluer l’incidence que les décisions de la Cour administrative suprême ont pu avoir sur l’issue des élections. À cet égard, l’État partie fait valoir que les auteurs invoquent des violations indirectes et hypothétiques des droits du peuple sâme en général, et non de leurs droits individuels propres. Ainsi, les auteurs soutiennent que les décisions reviennent à une assimilation forcée du peuple sâme à la population générale, mais rien n’autorise l’État partie à préjuger du comportement futur d’autres personnes, notamment du fait que des proches des personnes nouvellement admises sur les listes électorales demanderont ensuite eux aussi à être inscrits sur ces listes, ce qui ferait augmenter de façon exponentielle le nombre d’inscrits admis par la Cour.

5.8L’État partie estime que les auteurs n’ont pas établi en quoi les droits qu’ils tiennent de l’article 5 (al. a)) de la Convention ont été violés, ni en quoi ils n’auraient pas bénéficié de l’égalité de traitement devant la justice, quand ils n’ont été partie à aucune procédure interne concernant les faits exposés dans la communication. Il estime aussi que les auteurs n’ont pas établi qu’il y a eu violation des droits qu’ils tiennent de l’article 5 (al. c)), en particulier qu’ils ont été privés du droit de participer aux élections selon le système du suffrage universel et égal, car ils ne prétendent pas avoir été empêchés de participer à un quelconque scrutin. En ce qui concerne l’article 5 (al. e)), l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont présenté aucune allégation précise quant aux conséquences pour les droits qu’ils tiennent de cet article. Il considère que les observations des auteurs ne reflètent que leur avis, quand bien même il apparaîtrait qu’ils s’expriment au nom des « Sâmes » et des « secteurs concernés de la société sâme ». En même temps, les auteurs admettent que tous les Sâmes ne partagent pas un avis identique. On doit donc se rendre compte que la communication représente simplement le point de vue des 23 auteurs à titre individuel.

5.9L’État partie estime que constater une violation dans un cas comme celui-ci, où les faits présentés reposent sur des événements futurs qui sont hypothétiques et impossibles à prévoir, reviendrait à interpréter la Convention de manière imprévisible et à créer une insécurité juridique, ce qui fragiliserait toute la procédure des communications émanant de particuliers.

Commentaires des auteurs concernant les observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 14 décembre 2018, les auteurs ont présenté leurs commentaires concernant les observations de l’État partie sur le fond de la communication.

6.2Les auteurs réaffirment qu’à travers les décisions de la Cour administrative suprême, l’État partie est intervenu dans le droit des Sâmes de déterminer librement la composition de leur organe représentatif et a donc compromis la reconnaissance, la jouissance et l’exercice par les auteurs et les autres Sâmes de Finlande de leurs droits de l’homme et de leurs libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel et dans d’autres domaines de la vie publique ; a violé le droit des auteurs et des autres Sâmes à un traitement égal devant les tribunaux de par le caractère arbitraire des décisions rendues ; a violé le droit des auteurs et des autres Sâmes à la participation politique en compromettant et en délégitimant la représentativité du Parlement sâme qui a été élu ; et a provoqué, en affaiblissant l’autorité du Parlement sâme élu, des effets préjudiciables à l’exercice et la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, y compris linguistiques, des auteurs et des autres Sâmes.

6.3Les auteurs font valoir que certains faits nouveaux témoignent des conséquences que l’ingérence de l’État partie dans les élections sâmes a eu pour l’exercice des droits qu’ils tiennent de la Convention. En premier lieu, il y a eu le gel des processus visant à ratifier la Convention (no 169) de l’Organisation internationale du Travail sur les droits des peuples indigènes et tribaux, 1989, et à approuver le projet de convention sâme nordique. En deuxième lieu, le Gouvernement et les représentants du Parlement sâme avaient avancé dans leurs négociations concernant la refonte de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, jusqu’à s’accorder sur un texte, mais l’accord a été bloqué ensuite quand le Gouvernement a fait savoir que les prochaines élections, en 2019, devraient être organisées conformément à l’interprétation actuelle de l’article 3, indépendamment de la refonte de celui-ci. En troisième lieu, une nouvelle loi a été adoptée sur l’Agence gouvernementale de la foresterie, dont est exclue toute disposition relative à des mécanismes de consultation et de décision associant les Sâmes, ce qui a des conséquences directes pour l’élevage de rennes et d’autres moyens d’existence fondés sur la nature qui font partie intégrante de la culture sâme. En quatrième lieu, le traité relatif au fleuve Teno a été ratifié par la Finlande sans que le Parlement sâme ait été dûment consulté, en dépit de conséquences directes pour les droits de pêche des Sâmes et leurs méthodes de pêche traditionnelles. En dernier lieu, le Gouvernement a annoncé la construction d’une ligne ferroviaire dans l’Arctique qui traverserait les terres et les régions centrales d’élevage de rennes des Sâmes. Les auteurs font valoir que tous ces exemples de faits politiques et juridiques portant préjudice à leurs droits sont la conséquence de l’affaiblissement de la position du Parlement sâme à la suite des élections en cause. Ils ajoutent que la position du Parlement a souvent été marginalisée ou passée sous silence, en prétextant le fait qu’il existe une « controverse » au sujet de la composition du Parlement, même si d’après les auteurs, c’est l’État lui-même qui est à l’origine de cette controverse.

6.4Les auteurs font valoir que la Cour administrative suprême n’a pas tenu compte des observations finales de 2012 du Comité concernant la Finlande et s’est appuyée sur une lecture erronée des observations finales de 2009 du Comité en adoptant une position fondée sur l’autoproclamation d’une personne comme Sâme ainsi qu’une « appréciation globale » de la Cour, critère indéterminé et arbitraire si ce n’est discriminatoire. La Cour administrative suprême aurait dû se rendre compte qu’en recommandant en 2009 de « faire davantage de place » à l’identification fondée sur la manière dont les personnes s’identifient elles-mêmes comme Sâmes, le Comité n’a pas voulu encourager à ce qu’il soit fait abstraction aussi bien d’une obligation découlant de critères objectifs, que du droit des Sâmes de décider eux‑mêmes collectivement de leur appartenance au peuple sâme, sans arbitraire et sans discrimination. Or, au lieu de se borner à appliquer une interprétation large de chacun des trois critères possibles que prescrit l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, la Cour administrative suprême a substitué à ces critères la notion floue d’« appréciation globale ». À l’évidence, ce n’est pas ce que le Comité a voulu dire en recommandant de « faire davantage de place » à l’identification fondée sur la manière dont s’identifie lui-même l’individu concerné.

6.5Les auteurs soulignent également que leur communication jouit d’un large soutien parmi la communauté sâme et jugent insultant que l’État partie considère que leur communication ne représente que le point de vue subjectif de 23 individus seulement.

6.6Les auteurs tiennent à clarifier que nonobstant l’argument de l’État partie selon lequel la Commission électorale a été consultée avant que la Cour administrative suprême adopte sa décision, la démarche n’a été que de pure forme. Les consultations se sont limitées à une procédure écrite et le Parlement sâme n’a disposé que de quelques jours pour faire ses commentaires sur 182 recours.

6.7Enfin, les auteurs font observer que le rapport mentionné par l’État partie critique sans ménagement les décisions adoptées par la Cour administrative suprême et le caractère arbitraire de l’« appréciation globale ».

6.8Les auteurs soulignent enfin que de nouvelles élections auront lieu en septembre 2019 et qu’il y a tout lieu de penser que de nouvelles demandes d’inscription sur les listes électorales émanant de la population générale finlandaise seront soumises en se prévalant de l’« appréciation globale ».

6.9Les auteurs invitent le Comité à dire que les 93 décisions en date du 30 septembre 2015 de la Cour administrative suprême et la décision du 13 janvier 2016 de la même instance ont violé les articles 1er et 5 (al. a), c) et e)) de la Convention, et à prévoir les éléments ci‑après dans les suggestions et recommandations qu’il adressera à l’État partie conformément à l’article 14 (par. 7 b)) de la Convention :

a)Des excuses publiques de la part de l’État partie pour les violations de la Convention qui auront été constatées par le Comité ;

b)L’arrêt immédiat des processus législatifs ou administratifs et procédures de conclusion de traités en cours qui auraient des incidences majeures sur les droits et intérêts des Sâmes, lorsque le consentement libre et éclairé des Sâmes n’a pas été obtenu au préalable ;

c)La mise en train immédiate et urgente d’une modification de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, qui soit applicable dès les élections de septembre 2019 de celui-ci, et définisse les critères à remplir pour être admis à voter pour l’élection du Parlement sâme d’une manière qui respecte le droit des Sâmes à l’autodétermination et qui limite la faculté des tribunaux nationaux d’exercer un contrôle juridictionnel sur les décisions des organes du Parlement sâme aux seuls cas où il a été établi que la décision est arbitraire ou discriminatoire.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 24 avril 2019 et le 9 août 2019, l’État partie a présenté des observations complémentaires et actualisé certains des renseignements relatifs à l’affaire considérée.

7.2L’État partie note que le Parlement sâme a décidé le 25 septembre 2018 de ne pas accepter la proposition de modification de la loi relative au Parlement sâme. D’après l’État partie, cette modification aurait permis des changements essentiels sur le plan de l’autonomie linguistique et culturelle des Sâmes.

7.3L’État partie note également que le Comité des droits de l’homme a estimé, dans ses constatations relatives aux communications Sanila-Aikio c. Finlande et Käkkäläjärvi et consorts c. Finlande, que les faits de l’espèce font apparaître une violation de l’article 25, lu seul et conjointement avec l’article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, interprété à la lumière de l’article premier du même instrument. Le Comité des droits de l’homme a expressément recommandé de revoir l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme. L’État partie fait observer que quatre des membres du Parlement sâme ont publié pendant la session plénière une déclaration dans laquelle ils faisaient valoir que le Comité des droits de l’homme avait rendu une décision partiale et fondée sur des renseignements erronés et que la Cour administrative suprême avait jugé que les décisions de la Commission électorale et du Conseil exécutif étaient illégales, d’où la nécessité de continuer de s’en remettre à la Cour.

7.4Pour ce qui est des constatations en question du Comité des droits de l’homme, l’État partie souligne que la Cour administrative suprême a accepté ces constatations, mais il note que le principe de « l’appréciation globale » est surtout entré en ligne de compte dans les décisions de la Cour administrative suprême si la personne considérée, en principe, répondait aux critères énoncés à l’article 3 (par. 2) de la loi relative au Parlement sâme, par exemple si elle semblait remplir un des critères mais si les éléments d’appréciation pour l’établir étaient en partie incomplets. La Cour administrative suprême estime donc qu’elle n’a pas méconnu les critères objectifs, mais qu’elle a interprété la loi en s’efforçant de tenir compte des recommandations du Comité ainsi que des travaux préparatoires de la loi relative au Parlement sâme, des positions adoptées par la Commission du droit constitutionnel du Parlement finlandais et d’autres textes pertinents − lois nationales et instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme − ainsi que d’une interprétation du droit favorisant le respect des droits de l’homme et des droits fondamentaux.

7.5L’État partie indique également que le 3 avril 2019, le Comité exécutif du Parlement sâme a saisi la Cour administrative suprême pour demander l’annulation de ses décisions du 26 novembre 2011 et du 30 septembre 2015 au vu des constatations du Comité des droits de l’homme. La Cour administrative suprême a estimé que si les questions d’application de la loi sont ouvertes à l’interprétation, cela ne justifie pas d’annuler la décision définitive d’une instance, aux termes de la loi sur la procédure administrative judiciaire. La Cour a évalué s’il existait un motif d’annuler les décisions en cause en raison d’une application manifestement erronée de la loi. Elle a fait observer que le Comité des droits de l’homme avait adopté ses constatations après les décisions en question, et qu’avant les constatations du Comité, il n’existait pas de jurisprudence claire ou, à tout le moins, de jurisprudence antérieure qui incline vers le critère, non pas de l’identification du groupe mais de la manière dont les individus s’identifient eux‑mêmes. Partant, on ne pouvait pas considérer que la Cour administrative suprême, au moment où elle a rendu les décisions en cause, ait mal appliqué la loi au regard de la jurisprudence existante. Il n’existait donc pas de motif qui justifierait l’annulation.

7.6L’État partie rappelle que le 1er juillet 2019, la Commission électorale du Parlement sâme a retiré des listes électorales les 93 personnes qui y avaient été ajoutées à la suite des décisions de la Cour. Cette décision a été annulée par la Cour administrative suprême à l’égard d’une personne qui en avait fait appel. L’État partie fait valoir que certaines de ces 93 personnes ont pris contact avec le Gouvernement, y compris des membres du groupe plénier du Parlement sâme, pour s’inquiéter de la protection juridique à laquelle la procédure engagée auprès du Comité des droits de l’homme leur donne droit, car elles n’avaient pas été entendues. L’État partie rappelle qu’il y a eu 182 recours, dont 93 seulement ont abouti, et qu’il est dans l’ordre des choses que l’issue d’une procédure judiciaire ne donne pas satisfaction à toutes les parties, ni à tous les tiers non participants.

7.7L’État partie se dit résolu à promouvoir la réalisation des droits linguistiques et culturels de tous les Sâmes d’une manière qui tienne compte des instruments internationaux applicables.

7.8En ce qui concerne les conséquences défavorables que selon les auteurs, l’État partie aurait provoquées en intervenant dans les élections, l’État partie considère que ces allégations sont sans fondement et partiellement erronées. En ce qui concerne le projet de ligne ferroviaire dans l’Arctique, l’État partie fait valoir qu’aucune décision n’a encore été adoptée quant à sa construction ou au choix du tracé ; et que le projet évoqué par les auteurs ne concerne que deux sociétés privées qui n’ont aucune autorité sur les zones concernées et ne sont pas habilitées à prendre des décisions quant à la construction de cette ligne ferroviaire. Il réaffirme qu’il n’y a pas de lien de causalité entre les décisions de la Cour administrative suprême et ces éléments présumés. Les auteurs se contentent de mettre en avant une violation indirecte et hypothétique des droits des Sâmes en général, d’après leurs propres suppositions quant au comportement futur de certaines personnes.

7.9L’État partie estime que les auteurs n’ont apporté aucun élément pour montrer en quoi les droits qu’ils tiennent de l’article 5 (al. a)) de la Convention ont été violés, autrement dit en quoi ils n’ont pas bénéficié d’un traitement égal de la part des tribunaux. L’État partie souligne que la première auteure, Mme Nuorgam, a bénéficié récemment, le 6 mars 2019, d’un jugement du tribunal de district de Laponie dans lequel elle a obtenu gain de cause. Le tribunal a estimé dans cette décision que les défendeurs (dont Mme Nuorgam) avaient à bon droit pratiqué la pêche dans un cours d’eau local sâme, selon le type de pêche dont la Constitution leur reconnaît le droit. L’accusation a fait appel de cette décision.

7.10L’État partie fait observer que le Comité n’a pas demandé de déclarations aux parties à la procédure interne en instance devant la Cour administrative suprême, et que la situation de celles qui ont été admises sur les listes électorales n’a pas été abordée par le Comité des droits de l’homme dans ses constatations.

7.11Concernant les allégations qui sont avancées par les auteurs à propos d’une violation des droits protégés par l’article 5 (al. c)) de la Convention à leur égard, l’État partie considère que les auteurs n’ont pas étayé en quoi il y aurait eu violation de leur droit de participer aux élections − de voter et d’être candidat − selon le système du suffrage universel et égal.

7.12Pour ce qui est des allégations des auteurs qui concernent l’article 5 (al. e)), l’État partie estime que les auteurs n’ont pas établi non plus qu’un des droits prévus à cet article ait été violé, car ils n’arguent pas d’une violation précise.

Observations complémentaires des auteurs

8.1Le 24 juillet et le 16 décembre 2019, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie.

8.2Pour ce qui est de la modification de la loi relative au Parlement sâme, les auteurs font valoir que les Sâmes étaient favorables à la proposition de modification actuelle, élaborée conjointement avec eux dans le cadre d’un groupe de travail constitué par le Gouvernement. Néanmoins, ils se sont sentis obligés d’accepter que les élections de 2019 du Parlement sâme se déroulent encore conformément à l’interprétation actuellement faite de l’article 3, ce qui risquait d’aboutir aux mêmes violations de la Convention et des autres obligations internationales de l’État partie en matière de droits de l’homme que lors des élections de 2015. Les auteurs précisent cependant que leur plainte se rapporte aux événements liés aux élections de 2015, et non à des faits qui auraient pu se produire à l’occasion des élections de 2019.

8.3En outre, les auteurs font valoir que cette mesure législative ne serait pas nécessaire pour appliquer les constatations du Comité des droits de l’homme si la Cour administrative suprême avait accepté d’annuler ses décisions de 2011 et 2015.

8.4Les auteurs relèvent que, dans sa décision du 6 juillet 2019, la Cour administrative suprême n’a pas contesté les constatations du Comité des droits de l’homme, mais s’est montrée légèrement critique de l’interprétation faite par le Comité de la jurisprudence de la Cour. Le Comité des droits de l’homme ayant constaté que cette juridiction avait inscrit sur les listes électorales du Parlement sâme des personnes qui ne remplissaient aucun des trois critères objectifs possibles indiqués par l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, la Cour administrative suprême estime à présent qu’il s’agit d’une appréciation « simpliste » et donne de longues explications en cherchant à justifier et défendre sa propre jurisprudence. Pourtant, le nouveau résumé publié par la Cour elle-même sur une affaire antérieure (KHO 1999:55) qu’elle a jugée fait clairement apparaître que les décisions contestées ultérieures de 2011 et 2015 se sont écartées de ce que la Cour elle-même avait fixé comme étant l’interprétation correcte de l’article 3, à laquelle les Sâmes avaient adhéré. Les auteurs évoquent l’interprétation « consensuelle » dont les décisions contestées s’écartaient.

8.5Les auteurs estiment que l’interprétation que le Gouvernement donne des décisions de 2011 et 2015 de la Cour administrative suprême, en faisant valoir que le principe de l’« appréciation globale » n’est utilisé que dans le cas où l’un des trois critères objectifs possibles paraît rempli à première vue, ne représente pas davantage qu’une interprétation rétrospective des jugements de la Cour, cet élément ayant été manifestement absent des décisions de l’époque. Les auteurs admettent toutefois que la Cour administrative suprême a recours à ce raisonnement dans ses jugements récents de juillet 2019 concernant la même question. Les auteurs estiment que l’État partie confirme dans ses explications que la Cour administrative suprême a fait le choix conscient de donner un poids indu aux observations finales de 2009 du Comité (concernant l’identification par les individus eux-mêmes), au détriment des observations finales de 2012 (qui mettent l’accent sur l’autodétermination des Sâmes et les critères objectifs).

8.6En ce qui concerne la lettre émanant de quatre membres élus du Parlement sâme que l’État communique, les auteurs considèrent que l’État partie cherche à donner au Comité l’impression que les auteurs ne bénéficieraient pas d’un large soutien parmi la société sâme en ce qui concerne la plainte dont le Comité est saisi. Ils font valoir que si le fait que quatre membres du Parlement sâme aient publié une lettre pour dénoncer le Parlement sâme et les actes de personnes qui se sont plaintes à des organes internationaux chargés des droits de l’homme, est regrettable, ce n’est que la résultante naturelle du fait que les ingérences répétées de l’État partie dans le droit des Sâmes à l’autodétermination, principalement dans le contexte des élections de 2011 et 2015 du Parlement sâme, comme c’était prévisible, vont finir, conséquence d’une stratégie consistant à diviser pour mieux régner, par inciter certains Sâmes, de façon compréhensible, à adopter des méthodes moins déterminées pour défendre les droits du peuple sâme, et à se tourner plutôt vers la collaboration avec la population dominante (finlandaise) locale.

8.7Sur la question de savoir pourquoi les 93 citoyens admis sur les listes électorales ne se sont pas associés à la procédure, les auteurs soulignent qu’ils n’ont jamais prétendu parler au nom des personnes qui ont été inscrites sur les listes électorales à rebours des décisions rendues en connaissance de cause par les organes du Parlement sâme, ni au nom de celles dont la demande d’inscription sur les listes électorales a été rejetée par les organes de l’État partie.

8.8En ce qui concerne la procédure pénale qui vise Mme Nuorgam, les auteurs précisent, tout d’abord, que ce n’est pas l’objet de la communication et qu’ils l’ont simplement mentionnée pour illustrer les conséquences de l’affaiblissement du Parlement sâme pour la situation en matière de discrimination. Ils soulignent que l’État partie n’a pas abandonné les poursuites à l’égard de l’intéressée, dans le cadre de l’appel.

8.9Concernant le projet de ligne ferroviaire dans l’Arctique, les auteurs tiennent à préciser que ce n’est là qu’un exemple de la discrimination dont les Sâmes font de plus en plus l’objet. Ils font valoir cependant que si les autorités centrales ne participent pas directement au projet, des administrations locales et régionales, qui relèvent de la responsabilité de l’État partie, continuent de préparer ce projet, qui aurait des effets dévastateurs sur la culture et le mode de vie des Sâmes.

Délibérations du Comité

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 14 (par. 7 a)) de la Convention et à l’article 95 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations et de tous les éléments de preuve que lui ont communiqués les parties.

9.2Le Comité note que les auteurs affirment que, dans au moins 53 de ces 93 décisions, la Cour administrative suprême a inscrit un nouvel électeur sur les listes électorales en se fondant sur une « appréciation globale » des faits, sans avoir démontré que l’intéressé remplissait un des trois critères objectifs prévus à l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme. Les auteurs considèrent également que les décisions constituent une violation des obligations faites à l’État partie par l’article 5 (al. a), c) et e)) de la Convention. Ils soutiennent que l’État partie a violé le droit des auteurs et des autres Sâmes à un traitement égal devant les tribunaux en raison du caractère arbitraire des décisions rendues ; est intervenu dans le droit des Sâmes de déterminer librement la composition de leur organe représentatif et a donc compromis la reconnaissance, la jouissance et l’exercice par les auteurs et les autres Sâmes de Finlande de leurs droits de l’homme et de leurs libertés fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel et dans d’autres domaines de la vie publique ; a violé le droit des auteurs et des autres Sâmes à la participation politique en compromettant et en délégitimant la représentativité du Parlement sâme qui a été élu ; et a provoqué, en affaiblissant l’autorité du Parlement sâme élu, des effets préjudiciables à l’exercice et la jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, y compris linguistiques, des auteurs et des autres Sâmes.

9.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas établi en quoi il y a eu violation du droit, garanti par l’article 5 (al. c)) de la Convention, de participer aux élections − de voter et d’être candidat − selon le système du suffrage universel et égal, de prendre part au gouvernement ainsi qu’à la direction des affaires publiques, à tous les échelons, et d’accéder aux fonctions publiques dans des conditions d’égalité, étant donné que leur droit de vote n’a pas été compromis.

9.4Le Comité rappelle tout d’abord que les dispositions de la Convention s’appliquent aux peuples autochtones. Comme il l’a fait observer dans sa recommandation générale no 23 (1997), le Comité estime qu’aujourd’hui comme par le passé, la culture et l’identité historique des peuples autochtones sont menacées. Il y demande aux États parties de veiller à ce que les membres des peuples autochtones jouissent de droits égaux en ce qui concerne la participation effective à la vie publique et qu’aucune décision directement liée à leurs droits et à leurs intérêts ne soit prise sans leur consentement éclairé. Le Comité a réaffirmé à maintes reprises l’interprétation selon laquelle l’absence de consultation appropriée des peuples autochtones peut constituer une forme de discrimination raciale et relever du champ d’application de la Convention. Le Comité adhère à l’approche fondée sur les droits de l’homme du consentement libre, préalable et éclairé en tant que norme découlant de l’interdiction de la discrimination raciale, principale cause profonde de l’essentiel de la discrimination subie par les peuples autochtones. Conscient de la dimension collective des droits des peuples autochtones, le Comité a invité les États parties à offrir aux peuples autochtones un environnement se prêtant à un développement économique et social durable, qui soit compatible avec leurs caractéristiques culturelles et à veiller à ce que les communautés autochtones puissent exercer leurs droits d’observer et de revitaliser leurs traditions culturelles et leurs coutumes, ainsi que de préserver et d’utiliser leurs langues. En ce qui concerne les peuples autochtones, la réalisation de ce droit peut inclure ou même exiger la création d’un organe distinct représentant les intérêts et les positions des membres de la communauté autochtone. Un tel organe est important pour assurer une participation adéquate de la communauté autochtone aux processus décisionnels de l’État qui ont une incidence sur les droits et les intérêts de la communauté autochtone. Il s’agit également d’un moyen de faciliter et de rendre possible les processus consultatifs requis par le droit international. Le Comité souligne en outre l’importance du droit à la participation politique prévu à l’article 5 (al. c)) de la Convention pour la jouissance et la pleine réalisation des autres droits des communautés autochtones, en particulier leurs droits économiques, sociaux et culturels garantis à l’article 5 (al. e)).

9.5Le Comité note que les pouvoirs et les attributions du Parlement sâme concernent notamment la préservation de la langue et de la culture sâmes, la gestion des questions relatives au statut de peuple autochtone du peuple sâme, la représentation des Sâmes sur les scènes nationale et internationale dans les domaines qui relèvent de sa compétence, et la formulation d’avis à l’intention des autorités au sujet d’une longue liste de questions ayant trait aux Sâmes en leur qualité de peuple autochtone ou aux projets qu’il est envisagé de mener sur le territoire sâme. Il est donc d’avis que le Parlement sâme est l’institution de droit finlandais qui permet aux Sâmes de participer véritablement à la vie publique en tant que peuple autochtone. C’est aussi l’institution chargée de veiller à ce que toutes les décisions concernant les Sâmes soient soumises au consentement libre, préalable et informé des intéressés. Le Comité estime que ses fonctions sont déterminantes aux fins de la jouissance des droits politiques que l’article 5 (al. c)) de la Convention garantit aux membres des peuples autochtones, sans préjudice des autres droits politiques que chaque Sâme de Finlande peut avoir au même titre que tout autre citoyen finlandais. Par conséquent, les élections du Parlement sâme doivent avoir lieu avec la participation effective des personnes concernées et conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation concernée, afin de garantir tant la pérennité et le bien-être de la communauté autochtone dans son ensemble que sa protection contre la discrimination. Le Comité rappelle la décision sur la recevabilité qu’il a rendue dans la présente affaire, dans laquelle il a estimé que les décisions des institutions de l’État partie qui ont une incidence sur la composition du Parlement sâme et sur l’égale représentation des Sâmes peuvent avoir des conséquences directes sur les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels de personnes et de groupes de personnes appartenant à la communauté sâme et donc déclencher l’application de l’article 14 (par. 1) de la Convention. Partant, il réaffirme que la composition du Parlement sâme, le fonctionnement de cette institution et sa capacité de représenter adéquatement les Sâmes ont des conséquences tant individuelles que collectives sur les droits que les auteurs tiennent de l’article 5 (al. c)) de la Convention en tant que membres du peuple sâme et en tant que Sâmes inscrits sur les listes électorales.

9.6Le Comité note que le droit de voter aux élections du Parlement sâme est régi par l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, qui le subordonne à la satisfaction d’un critère subjectif (l’auto-identification en tant que Sâme) et d’un critère objectif (la langue maternelle ou l’ascendance). L’État partie soutient que le Comité a recommandé que les lois nationales interdisent expressément la discrimination fondée sur l’ascendance. Le Comité rappelle que l’interdiction de la discrimination raciale, qui est au cœur de la Convention, suppose que les États parties garantissent à toute personne se trouvant sous leur juridiction la jouissance des mêmes droits, en droit et en fait. Aux termes de l’article 2 (par. 1 c)) de la Convention, chaque État partie doit prendre des mesures efficaces pour revoir les politiques gouvernementales nationales et locales et pour modifier, abroger ou annuler toute loi et toute disposition réglementaire ayant pour effet de créer la discrimination raciale ou de la perpétuer là où elle existe. Les États parties doivent prendre des mesures positives pour permettre la réalisation des droits humains des peuples autochtones, c’est-à-dire soit éliminer les obstacles restants, soit adopter des mesures législatives et administratives leur permettant de s’acquitter des obligations que leur impose la Convention. Le Comité fait observer que c’est notamment parce que les membres du peuple sâme doivent pouvoir préserver leur culture et leurs moyens de subsistance que les États parties sont tenus de prendre des mesures concrètes pour qu’ils soient consultés aux fins de la prise de décisions et puissent participer au processus. Il rappelle que, dans sa recommandation générale no 32 (2009), il a expliqué que les mesures spéciales ne devaient pas avoir pour effet de créer des droits distincts pour différents groupes raciaux et qu’il fallait faire la différence entre la création de droits distincts et le respect de droits acceptés et reconnus par la communauté internationale et visant à préserver l’existence et l’identité de groupes tels que les minorités, les peuples autochtones et les autres catégories de personnes ayant aussi des droits acceptés et reconnus dans le cadre des droits de l’homme universels.

9.7En l’espèce, le Comité note que, comme il est mentionné plus haut, le Parlement sâme a été créé pour que les membres du peuple autochtone sâme puissent véritablement participer à la vie publique et pour que les décisions les concernant soient prises à l’issue de consultations et avec leur consentement libre, préalable et éclairé, conformément aux droits que l’article 5 (al. c)) de la Convention garantit aux membres des peuples autochtones. L’établissement du Parlement sâme est une mesure spéciale qui n’a pas pour effet de créer des droits distincts pour différents groupes raciaux étant donné que tant les citoyens qui figurent sur la liste électorale que ceux qui n’y figurent pas participent sur un pied d’égalité aux processus démocratiques de la Finlande.

9.8Le Comité note également que la définition qui figure à l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme sert uniquement à déterminer qui a le droit de figurer sur les listes électorales pour le Parlement et n’a aucune influence sur la jouissance d’autres droits. Il note en outre que les critères objectifs et subjectifs énoncés à l’article 3 visent à garantir que le Parlement sâme représente effectivement le peuple autochtone sâme. Partant, dans les circonstances de l’espèce, utiliser l’ascendance comme critère objectif semble raisonnable, justifié et compatible avec les obligations découlant du droit des droits de l’homme.

9.9Le Comité note que, dans ses dernières observations, l’État partie a fait valoir que le principe de « l’appréciation globale » jouait un rôle important dans les décisions de la Cour administrative suprême de savoir si telle ou telle personne répondait, en théorie, aux critères objectifs énoncés à l’article 3 (par. 1 ou 2) de la loi relative au Parlement sâme et que, partant, dans ses décisions de 2015, la Cour n’avait pas méconnu les critères objectifs et avait simplement tenu compte des observations finales du Comité dans lequel celui-ci recommandait d’accorder davantage de poids à l’auto-identification, des travaux préparatoires de la loi relative au Parlement sâme, des avis formulés par la Commission du droit constitutionnel du Parlement finlandais, des instruments pertinents du droit interne et du droit international des droits de l’homme et de la nécessité d’interpréter la loi dans une perspective favorable aux droits de l’homme et aux droits fondamentaux. Le Comité rappelle que, dans l’affaire Käkkäläjärvi et consorts c. Finlande citée par les deux parties dans la présente communication, le Comité des droits de l’homme a noté qu’il n’était pas contesté par les parties que, dans une majorité de cas, la Cour administrative suprême avait déclaré expressément que la personne ne répondait à aucun des critères objectifs énoncés à l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme.

9.10Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, ces peuples ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, et le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures. L’article 9 de la Déclaration prévoit que les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée, et qu’aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit. En outre, à l’article 8 (par. 1) de la Déclaration, il est dit que les autochtones, peuples et individus, ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture. Dans ce contexte, le Comité prend note du processus de modification de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme à la suite de négociations entre les autorités de l’État partie et les représentants du Parlement sâme et du fait que, selon l’État partie, le Parlement sâme n’a pas accepté la proposition de modification de ladite loi.

9.11Le Comité rappelle qu’en 2012 et 2013, il s’est inquiété de ce que la définition adoptée par la Cour administrative suprême (dans ses jugements de 2012) ne prend pas suffisamment en considération les droits reconnus au peuple sâme dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, à savoir le droit à l’autodétermination (art. 3), en particulier le droit de décider de sa propre identité ou appartenance conformément à ses coutumes et traditions (art. 33), ainsi que leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture. Le Comité souhaite en outre préciser que la recommandation qu’il a formulée dans ses observations finales de 2009 faisait référence à la formule « faire davantage de place », alors que dans des observations finales ultérieures, il a recommandé que, lorsqu’il s’agit de déterminer qui est habilité à voter pour élire les membres du Parlement sâme, il soit dûment tenu compte du droit des Sâmes à l’autodétermination concernant leur statut en Finlande, de leur droit de décider eux-mêmes de leur appartenance au peuple sâme et de leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée.

9.12Le Comité constate que les États parties ont le droit et l’obligation de veiller à la légalité de toutes les décisions administratives adoptées par les autorités nationales ou d’autres institutions publiques. Il tient à souligner que, si le principe d’autodétermination accorde aux communautés autochtones le droit de déterminer librement leur propre composition conformément à l’article 33 (par. 1) de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les décisions concernant la participation à des organes représentatifs et à des élections ne peuvent être prises de manière arbitraire ou dans le but ou avec l’effet d’exclure des membres ou des électeurs, en violation du droit international des droits de l’homme. À cet égard, le contrôle judiciaire exercé par les tribunaux des États peut jouer un rôle important et légitime. Il souligne que, dans le contexte des droits des peuples autochtones, cela doit être fait de manière compatible avec le droit de ces peuples de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions, et sans arbitraire. Bien qu’il relève de la compétence du pouvoir judiciaire d’interpréter la loi applicable, lorsqu’ils statuent sur les droits des peuples autochtones et en particulier sur les critères d’appartenance de telle ou telle personne à un peuple, les tribunaux nationaux doivent toutefois tenir dûment compte du droit à l’autodétermination des communautés autochtones, en particulier lorsque les tribunaux s’écartent des critères d’appartenance généralement établis et de l’évaluation des organes représentatifs de la communauté à cet égard.

9.13Le Comité a examiné les informations que lui ont communiquées les parties, y compris le rapport fourni par l’État partie, et note que, à plusieurs reprises, la Cour administrative suprême a conclu qu’il n’était pas possible de déterminer si les critères objectifs étaient ou non satisfaits, mais a néanmoins procédé à une « appréciation générale » qui reposait principalement sur le critère subjectif et à l’issue de laquelle elle a conclu que l’appelant devait figurer sur les listes électorales. Le Comité note que même si, comme le soutient l’État partie, la Cour n’a fait d’« appréciation générale » que lorsqu’il y avait lieu de penser que les critères objectifs étaient satisfaits, sa démarche a au fond consisté à estimer que l’appelant qui satisfaisait pleinement le critère subjectif n’avait pas besoin de démontrer qu’il satisfaisait aussi les critères objectifs. Partant, il apparaît que, dans ses décisions, la Cour administrative suprême n’a pas appliqué les critères objectifs prévus par la loi applicable, à savoir la loi relative au Parlement sâme.

9.14Dans ce contexte, le Comité estime que les décisions étaient susceptibles de modifier artificiellement l’électorat du Parlement sâme et d’empêcher celui-ci de véritablement représenter le peuple sâme et ses intérêts. Partant, les décisions dans lesquelles la Cour administrative suprême s’est écartée sans justification apparente de la juste interprétation de la loi applicable, interprétation qu’elle avait dégagée en commun avec le Parlement sâme ont porté atteinte aux droits des auteurs, membres du peuple autochtone sâme, de déterminer collectivement la composition du Parlement sâme et de prendre part à la direction des affaires publiques, droits qui sont garantis par l’article 5 (al. c)) de la Convention.

9.15En ce qui concerne la violation de l’article 5 (al. e)) de la Convention, les auteurs n’ont pas suffisamment établi qu’un effet négatif sur la jouissance de leurs droits économiques, sociaux et culturels s’était déjà produit.

9.16Le Comité a pris note également des griefs que les auteurs tirent de l’article 5 (al. a)) de la Convention, selon lesquels, en s’écartant de la lettre de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, la Cour administrative suprême a ignoré les dispositions obligatoires relatives à la légalité, à la prévisibilité, au non-arbitraire et à la non‑discrimination, et selon lesquels des affaires identiques ont eu une issue différente. Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels les auteurs n’ont pas pris part à la procédure en question, et n’ont pas établi en quoi leur droit à un traitement égal devant les tribunaux et tout autre organe administrant la justice avait été violé. Le Comité note qu’il est sans conteste que les auteurs n’ont pas pris part à la procédure nationale, et qu’il n’existe pas d’autre élément au dossier qui autorise à penser que leur droit à l’égalité devant la justice ait été violé. Le Comité considère donc qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de violation de l’article 5 (al. a)) de la Convention.

10.Vu les circonstances de l’espèce, le Comité, agissant en vertu de l’article 14 (par. 7 a)) de la Convention, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 5 (al. c)) de la Convention.

11.Le Comité recommande à l’État partie d’offrir un recours utile aux auteurs en engageant d’urgence des négociations véritables en vue de la révision de l’article 3 de la loi relative au Parlement sâme, pour faire en sorte que les conditions d’exercice du droit de vote aux élections du Parlement sâme soient définies de façon à respecter le droit du peuple sâme d’exprimer son consentement libre, préalable et éclairé sur les questions relatives à sa propre appartenance et à sa participation politique pour la jouissance et la pleine réalisation des autres droits des communautés autochtones, en particulier leurs droits économiques, sociaux et culturels, conformément à l’article 5 (al. c) et e)) de la Convention. L’État partie est également prié de diffuser le présent avis du Comité et de le faire traduire dans la langue officielle de l’État partie ainsi que dans la langue ou les langues des auteurs.

12.Le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet au présent avis.