Nations Unies

CRPD/C/23/D/60/2019

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

22 octobre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 du Protocole facultatif, concernant la communication no 60/2019 * , ** , ***

Communication présentée par :

N. L. (représentée par un conseil, Linnea Midtsian)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Suède

Date de la communication :

10 mai 2019 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 64 et 70 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 mai 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

28 août 2020

Objet:

Expulsion vers l’Iraq

Question(s) de procédure:

Fondement des griefs ; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond:

Droit à la vie ; droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; discrimination fondée sur le genre ; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité

Article(s) de la Convention:

6, 10, 12 et 15

Article(s) du Protocole facultatif:

1 et 2 e)

1.1L’auteure de la communication est N. L., de nationalité iraquienne, née en 1961. Sa demande d’asile a été rejetée par l’État partie. Elle affirme que son expulsion vers l’Iraq constituerait une violation par l’État partie des droits qu’elle tient des articles 6, 10, 12 et 15 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 janvier 2009. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 21 mai 2019, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a adressé à l’État partie une demande de mesures provisoires en vertu de l’article 4 du Protocole facultatif et l’a prié de surseoir à l’expulsion de l’auteure vers l’Iraq tant que sa communication serait à l’examen.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure fait savoir qu’on lui a diagnostiqué une dépression avec des caractéristiques psychotiques. Elle a été internée deux fois en application de la loi suédoise sur les soins psychiatriques obligatoires, après avoir eu des hallucinations et des idées suicidaires. Elle affirme que sa vie et sa santé seraient gravement menacées si elle était renvoyée en Iraq, où elle n’aurait pas accès à des soins médicaux essentiels. Elle ajoute qu’on lui a diagnostiqué un diabète et de l’hypertension artérielle.

2.2L’auteure est arrivée en Suède le 13 mars 2013. Dans sa demande d’asile, elle a déclaré qu’elle avait besoin d’une protection internationale, parce qu’elle avait eu, en Iraq, une relation avec un homme que sa famille rejetait et qu’à cause de cette relation, elle avait reçu des menaces de mort de la part de ses proches. L’Office des migrations a rejeté sa demande d’asile le 14 février 2017, au motif que ses déclarations manquaient de crédibilité. L’auteure a saisi le Tribunal administratif de l’immigration, qui l’a déboutée le 28 avril 2017. La Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté sa demande d’autorisation de former recours, le 29 juin 2017.

2.3Après que la décision d’expulsion la visant est devenue définitive, l’auteure a présenté une nouvelle demande à l’Office des migrations en faisant valoir l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté. Elle a déclaré que sa santé s’était détériorée et qu’on lui avait diagnostiqué un diabète et de l’hypertension. Elle a également affirmé qu’elle souffrait de troubles du sommeil et d’anxiété et qu’elle commençait à penser que la mort était la seule solution envisageable. Le 15 janvier 2018, l’Office des migrations a rejeté sa demande. L’Office a estimé qu’il n’avait pas été prouvé que l’auteure souffrait d’une maladie mentale ou physique grave et potentiellement mortelle. L’auteure a saisi le Tribunal administratif de l’immigration, qui l’a déboutée le 12 février 2018. Le 16 mars 2018, la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté sa demande d’autorisation de former recours.

2.4Le 25 avril 2018, l’auteure a présenté à l’Office des migrations une deuxième demande fondée sur l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion la visant. Elle a déclaré que sa santé mentale s’était encore détériorée. Elle a présenté un certificat médical établi par un psychologue et daté du 29 janvier 2018, dans lequel il était inscrit qu’elle suivait un traitement pour de graves problèmes de dépression et d’anxiété, des troubles du sommeil, des cauchemars, des reviviscences, des tendances suicidaires et des signes d’apathie naissante. Il était signalé dans le rapport médical que le facteur déclenchant de la grave détérioration de la santé mentale de l’auteure était le rejet de ses demandes d’asile par l’Office des migrations. L’auteure a déclaré qu’à son arrivée en Suède, elle était parvenue à gérer les traumatismes sous-jacents liés aux expériences vécues en Iraq, parce qu’elle s’était sentie soulagée d’être dans un environnement plus sûr. Elle avait appris le suédois rapidement et avait pour projet de travailler comme enseignante. Cependant, après l’annonce des arrêtés d’expulsion pris à son égard, sa maladie mentale s’est aggravée. Selon un certificat médical daté du 31 janvier 2018, son état de santé s’était encore détérioré et cette détérioration risquait d’entraîner de graves complications mettant sa vie en danger, si elle devait être renvoyée en Iraq. Dans un certificat médical supplémentaire daté du 4 avril 2018, il était indiqué que l’auteure avait été diagnostiquée comme atteinte d’une grave dépression avec des caractéristiques psychotiques, diagnostic à la suite duquel elle avait reçu des soins psychiatriques en application de la loi sur les soins psychiatriques obligatoires, le 2 mars 2018, au motif qu’elle souffrait vraisemblablement de dépression avec un risque élevé de suicide.

2.5Le 16 octobre 2018, l’Office des migrations a rejeté la deuxième demande de l’auteure fondée sur l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion la visant. Il a fait valoir qu’un permis de séjour pour raisons médicales ne pouvait être octroyé à un adulte que si l’état de santé de celui-ci était suffisamment grave et attesté de manière satisfaisante. Lorsqu’un risque de suicide est signalé, il convient d’examiner si ce signalement est fondé sur des actes ou des déclarations à caractère autodestructeur dus à une maladie mentale grave mise en évidence par un examen psychiatrique. Les actes ou déclarations à caractère autodestructeur et grave peuvent conduire à l’octroi d’un permis de séjour. Cependant, de tels actes ou de telles déclarations peuvent parfois être considérés comme l’expression d’une déception ou d’un désespoir liés l’annonce d’une décision d’expulsion, plutôt que comme le signe d’une maladie mentale grave. En pareil cas, ils n’ont pas le même poids au moment de l’évaluation d’une demande de permis de séjour. L’Office a fait observer que l’auteure n’avait pas fait mention de sa maladie mentale au moment de l’évaluation de son cas dans le cadre de la procédure d’asile initiale, mais seulement après que la décision d’expulsion prise à son égard est devenue définitive. Il a également fait observer que l’auteure elle-même avait établi un lien entre sa maladie mentale et sa peur de retourner en Iraq. Il a estimé que l’auteure n’était pas parvenue à démontrer que son état de santé était dû à une maladie mentale grave qui n’était pas de nature temporaire. Il n’a pas mis en doute le fait que l’auteure avait une maladie mentale, mais a estimé que les certificats et rapports médicaux qu’elle avait présentés ne permettaient pas de conclure que sa maladie était suffisamment grave pour lui accorder un permis de séjour.

2.6L’auteure a fait appel de la décision de l’Office auprès du Tribunal administratif de l’immigration. Elle s’est appuyée sur des certificats médicaux supplémentaires, datés du 31 octobre et du 11 novembre 2018, dans lesquels était posé un diagnostic de diabète et d’hypertension artérielle. Elle a eu son premier contact avec des services psychiatriques suédois en 2017 et a fait l’objet d’une enquête psychiatrique pour dépression, ouverte en janvier 2018. Il a été constaté qu’elle était atteinte d’une profonde dépression ayant donné lieu à de graves tentatives de suicide. L’auteure a été hospitalisée pendant près de deux mois. Pendant son internement, elle a fait une nouvelle tentative de suicide. Il est également noté dans les certificats mentionnés que l’auteure avait montré des signes graves de dépression profonde avec des hallucinations visuelles, auditives et tactiles et était devenue un cas limite psychotique. Après sa sortie de l’hôpital, l’auteure a reçu un traitement composé de 13 médicaments différents, dont cinq substances psychotropes. Il est noté dans le certificat médical daté du 11 novembre 2018 que, compte tenu de l’état de santé de l’auteure, l’arrêt du traitement prescrit mettrait directement sa vie en danger. Il est précisé que l’auteure a des hallucinations auditives depuis l’âge de 25 ans, mais n’a pas reçu de soins médicaux adaptés à son état de santé en Iraq. Il a été estimé qu’elle n’était ni favorable ni opposée à un traitement et elle a donc été internée en application de la loi sur les soins psychiatriques obligatoires. L’état de santé de l’auteure a été décrit comme mettant sa vie en danger, et il a été noté que le traitement administré était nécessaire pour la maintenir en vie, le risque de rechute étant jugé grave en l’absence de soins adéquats. Dans son recours devant le Tribunal administratif de l’immigration, l’auteure a fait valoir que son état de santé mettait sa vie en danger et qu’elle ne pourrait pas recevoir un traitement adéquat en Iraq.

2.7Le 21 décembre 2018, le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté l’appel de l’auteure. Il n’a pas contesté qu’on avait diagnostiqué à l’auteure une maladie physique et mentale mais a relevé que l’état de celle-ci semblait s’être détérioré après une réaction de crise survenue à l’annonce de la décision négative rendue par l’Office des migrations. Il a estimé que pour obtenir la réévaluation d’une décision d’asile fondée sur l’état de santé, il devait être démontré de façon plausible que le problème de santé en question était grave et durable. Il a conclu que les documents présentés en l’espèce ne permettaient pas d’établir que l’état de santé mentale de l’auteure était durable. L’auteure affirme que le Tribunal n’a pas évalué s’il lui serait possible de recevoir un traitement médical en Iraq. En ce qui concerne l’état diabétique de l’auteure, le Tribunal a conclu que celle-ci n’avait pas démontré qu’elle ne pourrait pas recevoir de soins adaptés à cette pathologie en Iraq. La décision du Tribunal a été confirmée par la Cour administrative d’appel de l’immigration, le 21 janvier 2019.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme qu’en l’expulsant vers l’Iraq, l’État partie violerait les droits qu’elle tient des articles 10 et 15 de la Convention, puisque son renvoi entraînerait un risque grave de suicide et d’autres risques pour sa vie et sa santé. Elle affirme également que les certificats médicaux qu’elle a présentés aux autorités nationales établissent qu’elle est atteinte d’une maladie mentale de longue durée, et soutient qu’il est très peu probable qu’elle puisse recevoir en Iraq un traitement adapté à ses handicaps. Elle affirme en outre que sa maladie mentale constitue une déficience mentale de longue durée et que sa santé mentale s’est détériorée pendant son séjour dans l’État partie. Elle fait observer que son état de santé a été décrit comme mettant sa vie en danger dans les certificats médicaux qu’elle a présentés aux autorités de l’État partie. Elle ajoute qu’on lui a également diagnostiqué un diabète et une hypertension artérielle, ce qui aggrave les risques pour sa vie et sa santé.

3.2L’auteure avance que, comme la procédure engagée auprès de l’État partie a davantage porté sur les causes sous-jacentes de son état de santé que sur le risque réel que, du fait de son handicap, elle reçoive un traitement contraire aux dispositions de la Convention, on peut se demander si elle a bénéficié d’une reconnaissance de sa personnalité juridique dans des conditions d’égalité, conformément aux droits qu’elle tient de l’article 12 de la Convention. Elle avance également que, compte tenu de sa situation de femme sans réseau familial en Iraq, sa vulnérabilité particulière en tant que femme handicapée doit être reconnue en vertu de l’article 6 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 14 février 2020, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement au regard de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif, l’auteure n’ayant pas démontré qu’elle est atteinte d’une déficience mentale de longue durée pour laquelle elle ne pourrait pas bénéficier de soins en Iraq. Il affirme également que la partie de la communication relative aux griefs que l’auteure tire des articles 6 et 12 de la Convention devrait être déclarée irrecevable ratione materiae et ratione lociau regard de l’article premier du Protocole facultatif. L’État partie affirme en outre que le Comité devrait examiner si les griefs que l’auteure tire des articles 10 et 15 de la Convention sont irrecevables ratione materiae au regard de l’article premier du Protocole facultatif. Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie affirme que celle-ci est dénuée de fondement.

4.2L’État partie fait observer que lorsque l’auteure a initialement demandé l’asile en Suède, l’Office des migrations a recherché ses empreintes digitales dans la base de données du Système d’information sur les visas et a découvert ainsi qu’elle avait obtenu un visa français avant d’entrer en Suède. Le 13 mars 2013, l’Office a informé l’auteure qu’il demanderait aux autorités françaises d’assumer la responsabilité de l’examen de sa demande d’asile en application du Règlement Dublin. Après acceptation par les autorités françaises de la demande de l’Office, celui-ci a donc décidé, le 5 juin 2013, de rejeter la demande d’asile et de transférer l’auteure vers la France conformément aux dispositions du Règlement Dublin. Cependant, le délai prévu pour l’exécution de l’arrêté de transfert a expiré le 7 novembre 2014 sans que l’auteure ait été transférée vers la France. Une fois l’arrêté de transfert prescrit, l’auteure a demandé l’asile dans l’État partie le 27 février 2015. Cette demande a été rejetée par un arrêt définitif le 29 juin 2017.

4.3Après que la décision d’expulsion rendue contre l’auteure est devenue définitive, elle a présenté successivement trois demandes de permis de séjour en faisant valoir des obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion. L’Office des migrations a rejeté la première demande le 15 janvier 2018, concluant qu’il ne contestait pas la description donnée de l’état de santé de l’auteure mais estimait que celle-ci n’avait pas démontré qu’elle était atteinte d’une maladie mentale ou physique grave ou mettant sa vie en danger. La décision de l’Office a été confirmée le 12 février 2018 par le Tribunal administratif de l’immigration et le 16 mars 2018 par la Cour administrative d’appel de l’immigration. L’auteure a par la suite introduit une deuxième demande en faisant valoir l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, demande que l’Office des migrations a rejetée le 16 octobre 2018. L’Office a constaté que l’auteure n’avait pas fait mention, avant que l’arrêté d’expulsion devienne définitif, de sa mauvaise santé mentale. Il a également constaté que l’auteure elle‑même établissait un lien entre les problèmes de santé dont elle faisait mention et sa peur de retourner en Iraq. L’Office a estimé qu’il n’avait pas été démontré que la mauvaise santé de l’auteure était due à une maladie mentale grave qui n’était pas de nature temporaire. En appel devant le Tribunal administratif de l’immigration, l’auteure a présenté trois nouveaux certificats médicaux à l’appui de ses déclarations concernant son état de santé, et elle a affirmé que le traitement médical qu’elle recevait dans l’État partie était vital pour elle et qu’elle ne recevrait pas de soins adéquats en Iraq. Ces certificats médicaux montraient que son état de santé mentale s’était détérioré et signalaient des symptômes psychotiques et une augmentation des pensées et projets suicidaires. Sans soins adéquats, l’auteure risquait de subir une grave détérioration de son état de santé, susceptible de mettre sa vie en danger. L’état de santé de l’auteure était considéré comme constituant une menace pour sa vie en raison d’un risque élevé de suicide. Le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté l’appel de l’auteure le 21 décembre 2018, estimant que les preuves médicales soumises n’étayaient pas suffisamment l’hypothèse selon laquelle l’état de santé mentale de l’auteure était de nature permanente et qu’il n’y avait donc aucune raison d’évaluer plus avant les possibilités que celle-ci avait de recevoir des soins psychiatriques en Iraq. En ce qui concerne l’état de santé physique de l’auteure, le Tribunal a conclu qu’aucune des circonstances mises en avant ne laissaient supposer que l’auteure ne pourrait pas recevoir de soins de santé psychiatriques en Iraq. La décision du Tribunal a été confirmée par la Cour administrative d’appel de l’immigration, le 21 janvier 2019.

4.4L’auteure a présenté une troisième demande de permis de séjour en mettant en avant l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion dus à sa mauvaise santé. L’Office des migrations a rejeté cette demande le 7 août 2019 et a déclaré que les certificats médicaux soumis montraient que l’auteure était mentalement malade et qu’elle avait besoin d’un traitement médical et d’un suivi psychiatrique assuré par des professionnels. Il a toutefois conclu que les certificats médicaux soumis ne permettaient pas de conclure qu’il serait pratiquement impossible pour l’auteure de voyager et donc de retourner dans son pays d’origine. Il a en outre conclu que, selon ces certificats médicaux, l’état de santé de l’auteure s’était amélioré grâce aux médicaments et aux soins psychiatriques qu’elle avait reçus, et qu’elle n’avait donc pas démontré de façon plausible que son état de santé était dû à une maladie mentale grave pouvant être considérée comme durable. Il a estimé que sa mauvaise santé et ses idées suicidaires étaient principalement liées à sa déception concernant sa demande d’asile, à sa situation incertaine et à sa peur d’être expulsée, et que les documents soumis ne permettaient pas de conclure qu’elle avait besoin de soins qui ne lui seraient pas accessibles en Iraq.

4.5L’État partie fournit également des informations sur la législation nationale applicable et souligne qu’un permis de séjour peut être délivré au titre de l’article 6 du chapitre 5 de la loi sur les étrangers dans les cas où une évaluation globale de la situation de l’intéressé(e) révèle des circonstances exceptionnellement pénibles et telles que la personne devrait être autorisée à rester dans l’État partie. Au cours de cette évaluation, une attention particulière doit être accordée à l’état de santé de la personne, à son adaptation à l’État partie et à la situation dans son pays d’origine. En pareils cas, l’un des motifs de délivrance d’un permis de séjour est la présence d’une maladie somatique ou mentale mettant en danger la vie de l’intéressé(e) ou d’un handicap particulièrement grave. L’État partie fait observer qu’un permis de séjour pour cause de maladie mentale n’est délivré que si un examen médical a permis d’établir que l’état de santé mentale de l’intéressé(e) est suffisamment grave pour être considéré comme mettant sa vie en danger. En ce qui concerne l’examen du risque de suicide, le postulat est que chaque individu est responsable au premier chef de sa vie et de ses actes. Cependant, un permis de séjour a pu être accordé à des personnes ayant des problèmes de santé mentale graves et non temporaires, qui avaient commis, ou avaient déclaré l’intention de commettre, des actes autodestructeurs graves. L’Office des migrations a alors évalué dans quelle mesure ces actes ou déclarations d’intention étaient imputables à une grave maladie mentale mise en évidence par un examen psychiatrique.

4.6L’État partie prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles son renvoi en Iraq constituerait une violation des droits qu’elle tient des articles 10 et 15 de la Convention, car son expulsion entraînerait un risque grave de suicide, ainsi que d’autres risques pour sa vie et sa santé. Il constate que l’auteure affirme que sa vulnérabilité, en tant que femme handicapée sans réseau masculin en Iraq, doit être reconnue au titre de l’article 6 de la Convention. L’État partie fait valoir que l’engagement de sa responsabilité pour des actes ou des omissions contraires aux dispositions de la Convention survenus sur le territoire d’un autre État doit être considéré comme une exception à la règle principale selon laquelle la responsabilité d’un État partie concernant les obligations qui découlent de la Convention est limitée à son territoire, et souligne qu’une telle exception suppose l’existence de circonstances exceptionnelles. Il fait observer que si un traitement contraire aux articles 10 et 15 de la Convention dans un autre État peut donner lieu à de telles circonstances exceptionnelles, ce n’est pas le cas des actes ou omissions contraires à d’autres articles. En conséquence, l’État partie affirme que les griefs que l’auteure tire des articles 6 et 12 devraient être déclarés irrecevables ratione materiae et ratione loci.

4.7L’État partie conteste l’argument selon lequel les articles 10 et 15 de la Convention, invoqués par l’auteure, englobent le principe de non-refoulement. Il invite le Comité, lorsqu’il examinera la question, à tenir compte du fait que les plaintes relatives au principe de non-refoulement peuvent déjà être déposées auprès de plusieurs institutions internationales des droits de l’homme, dont le Comité des droits de l’homme, le Comité contre la torture et la Cour européenne des droits de l’homme. Si le Comité devait estimer que l’article 15 de la Convention comporte l’obligation de respecter le principe de non‑refoulement, le Gouvernement suédois considère que cette obligation ne devrait s’appliquer qu’aux griefs relatifs à un risque allégué de torture.

4.8En ce qui concerne l’accès de l’auteure à des soins de santé en Iraq, l’État partie note que la Fédération internationale du diabète a déclaré en 2017 que le diabète était répandu dans 7,5 % de la population adulte iraquienne et qu’il existait des centres de traitement du diabète en Iraq. Dans un rapport de 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq ont constaté que le secteur de la santé psychosociale en particulier semblait manquer de ressources et de personnel spécialisé et dûment formé. Cette situation était le résultat d’une aggravation de la pauvreté, due au conflit, au régime de sanctions internationales imposé durant les années 1990 et aux attaques qui ont visé les professionnels des secteurs médical et paramédical pendant la période 2003-2008 et qui ont entraîné un « exode des cerveaux » parmi le personnel spécialisé, y compris dans le domaine psychosocial. Les services de soutien psychosocial semblent très limités et sont pour la plupart proposés par des instituts privés, à un coût prohibitif pour de nombreuses familles. L’État partie fait cependant observer qu’il est possible de trouver des exemples d’hôpitaux et de cliniques qui fournissent des traitements et des médicaments pour des problèmes de santé mentale, sur le site Web du service d’information sur les prestations médicales dans les pays d’origine (MedCOI).

4.9L’État partie affirme que le retour de l’auteure en Iraq n’entraînerait pas de violation des droits qu’elle tient des articles 10 et 15 de la Convention. Il estime que rien ne permet de conclure que les décisions prises par les institutions nationales étaient inadéquates ou que l’issue de la procédure était arbitraire de quelque façon que ce soit ou qu’elle constituait un déni de justice. Il fait observer que les autorités nationales ont procédé à un examen approfondi du cas de l’auteure et ont évalué les obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion qu’elle a cités à trois reprises, examens au cours desquels, par l’intermédiaire de son conseil commis d’office, l’auteure a été invitée à présenter des documents et des recours. Il affirme que l’auteure n’a pas démontré que son état de santé est d’une nature si exceptionnelle que son renvoi en Iraq violerait les droits que lui confère l’article 15, et qu’aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 10 de la Convention.

4.10L’État partie fait observer que la question de savoir si une expulsion peut être considérée comme contrevenant aux articles 2 ou 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) sur la base de la mauvaise santé d’une personne a été examinée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme. Il renvoie à l’arrêt rendu dans l’affaire Paposhvilic. Belgique,dans lequel la Cour a estimé que seules des circonstances très exceptionnelles pouvaient soulever une question sous l’angle de l’article 3 dans ce contexte. En l’espèce, l’État partie affirme que les autorités nationales chargées des migrations se sont penchées, à plusieurs reprises, sur la question de savoir si, compte tenu des problèmes de santé mis en avant, l’exécution de l’arrêté d’expulsion visant l’auteure violerait les droits que lui garantit l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et ont conclu que ce ne serait pas le cas, puisqu’il avait été établi que l’état de santé mentale de l’intéressée n’était pas permanent.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 27 avril 2020, l’auteure a communiqué ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. Elle affirme que la communication est recevable.

5.2L’auteure prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités chargées des migrations ont estimé dans leurs décisions qu’elle n’avait pas prouvé qu’elle souffrait d’une déficience mentale de longue durée ou qu’elle ne pourrait pas bénéficier de soins de santé en Iraq. Elle affirme qu’elle a présenté plusieurs certificats médicaux qui prouvent qu’elle souffre d’une déficience mentale de longue durée. Elle relève que, dans le cadre de la procédure nationale, les autorités migratoires n’ont pas évalué si elle pourrait avoir accès à des soins de santé en cas de renvoi en Iraq. Elle renvoie à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvilic. Belgique et fait observer que la Cour a estimé que si un requérant a apporté des preuves montrant qu’il y a des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, il incombe aux autorités de l’État de renvoi de dissiper les doutes éventuellement soulevés par le requérant. Elle fait en outre observer que dans l’affaire Paposhvilic. Belgique, la Cour a conclu que, comme le requérant avait pu démontrer les graves conséquences qu’aurait sur sa santé un renvoi vers son pays d’origine, il incombait à l’État de prouver qu’il aurait effectivement accès à des soins de santé.

B.Examen de la recevabilité et examen au fond

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, qu’il n’avait pas déjà examiné la même question et que la question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des arguments de l’État partie, selon lesquels :

a)La communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement au regard de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)La partie de la communication relative aux griefs que l’auteure tire des articles 6 et 12 de la Convention devrait être déclarée irrecevable ratione materiae et ratione loci au regard de l’article premier du Protocole facultatif ;

c)Le Comité devrait considérer que les griefs que l’auteure tire des articles 10 et 15 de la Convention sont irrecevables ratione materiae au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

6.4Le Comité renvoie à sa jurisprudence dans l’affaire O. O. J. c. Suèdedans laquelle il a estimé que l’expulsion par un État partie d’une personne vers un pays où elle risque d’être victime de violations de la Convention peut, dans certaines circonstances, engager la responsabilité de l’État de renvoi au titre de la Convention. Il considère que le principe de non-refoulement impose à un État partie l’obligation de s’abstenir d’éloigner une personne de son territoire lorsqu’il existe un risque réel que cette personne soit soumise à des violations graves des droits énoncés dans la Convention, y compris, mais sans s’y limiter, ceux qui sont consacrés aux articles 10 et 15 de la Convention, qui équivaudrait à un risque de préjudice irréparable. Il considère donc que le principe de l’effet extraterritorial ne l’empêche pas d’examiner la présente communication en vertu de l’article premier du Protocole facultatif. À cet égard, il constate que l’auteure affirme que son renvoi en Iraq entraînerait un risque grave pour sa vie et sa santé, puisqu’elle ne pourrait pas avoir accès, dans ce pays, à des soins médicaux nécessaires et vitaux. Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire des articles 10 et 15 de la Convention.

6.5Le Comité note que l’auteure affirme que son droit à une reconnaissance égale devant la loi en vertu de l’article 12 de la Convention a été violé car la procédure devant les autorités internes de l’État partie était axée sur les raisons de son état de santé, plutôt que sur le risque que son renvoi en Iraq entraînerait. Il prend note de l’argument de l’auteure selon lequel sa vulnérabilité particulière en tant que femme handicapée et sans réseau familial en Iraq n’a pas été reconnue par les autorités de l’État partie, en violation des droits qu’elle tient de l’article 6 de la Convention. Le Comité constate toutefois que l’auteure n’a pas fourni d’informations ou d’arguments supplémentaires à l’appui des griefs qu’elle tire des articles 6 et 12 de la Convention, et qu’elle n’a pas non plus expliqué en quoi ces griefs constitueraient un risque réel et personnel de préjudice irréparable si elle était renvoyée en Iraq. Il estime donc que l’auteure n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs de violation des articles 6 et 12 de la Convention et conclut que ces griefs sont irrecevables au regard de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6En l’absence d’autres contestations de la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qui concerne les griefs que l’auteure tire des articles 10 et 15 de la Convention, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et au paragraphe 1 de l’article 73 de son règlement intérieur, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées.

7.2Le Comité rappelle que l’article 10 de la Convention dispose que les États parties réaffirment que le droit à la vie est inhérent à la personne humaine et prennent toutes mesures nécessaires pour en assurer aux personnes handicapées la jouissance effective, sur la base de l’égalité avec les autres. Il rappelle également qu’aux termes de l’article 15 de la Convention, les États parties prennent toutes mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher, sur la base de l’égalité avec les autres, que des personnes handicapées ne soient soumises à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.3Le Comité rappelle que, dans son observation générale no 31 (2004), le Comité des droits de l’homme mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il fait observer que le Comité des droits de l’homme considère dans sa jurisprudence que ce risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteure. Le Comité des droits de l’homme souligne dans sa jurisprudence qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie et que c’est généralement aux organes des États parties qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les éléments de preuve aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été clairement arbitraire, manifestement erronée ou a constitué un déni de justice.

7.4Le Comité prend note des conclusions du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Abdilafir Abubakar Ali et Mayul Ali Mohamad c. Danemark. Dans cette affaire, le Comité des droits de l’homme a rappelé que les États parties devaient accorder un poids suffisant au risque réel auquel une personne serait personnellement exposée en cas d’expulsion, et a estimé qu’il incombait à l’État partie de procéder à une évaluation individuelle du risque que les auteurs courraient s’ils étaient expulsés, y compris sur le plan de l’accès à des soins médicaux adéquats. Le Comité prend également note des conclusions du Comité contre la torture dans l’affaire Adam Harunc. Suisse, dans laquelle il a estimé que le fait que les autorités de l’État partie n’aient pas procédé à une évaluation individualisée du risque personnel et réel auquel le requérant serait exposé s’il était expulsé, compte dûment tenu de sa vulnérabilité particulière, notamment de son état de santé, constituait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture.

7.5Le Comité prend note de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvilic. Belgique, dans laquelle la Cour a estimé que l’expulsion d’une personne nécessitant des soins médicaux continus pouvait, dans des cas très exceptionnels, soulever un problème au regard de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a précisé qu’il faut entendre par là les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie. Il appartient aux requérants de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure d’éloignement était mise à exécution, ils seraient exposés à un risque réel de se voir infliger de mauvais traitements. Lorsque de tels éléments sont produits, il incombe aux autorités de l’État de renvoi, dans le cadre des procédures internes, de dissiper les doutes éventuels à leur sujet et d’envisager les conséquences prévisibles du renvoi sur l’intéressé dans l’État de destination, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intéressé. L’évaluation du risque implique donc d’avoir égard à des sources générales telles que les rapports de l’Organisation mondiale de la Santé ou les rapports d’organisations non gouvernementales réputées, ainsi qu’aux attestations médicales établies au sujet de la personne en question. S’agissant des facteurs à prendre en considération, il y a lieu pour les autorités de l’État de renvoi de vérifier au cas par cas si les soins généralement disponibles dans l’État de destination sont suffisants et adéquats en pratique pour traiter la pathologie de l’intéressé. Les autorités doivent aussi s’interroger sur la possibilité effective pour l’intéressé d’avoir accès à ces soins et équipements dans l’État de destination.

7.6En l’espèce, le Comité prend note des griefs de l’auteure qui affirme qu’en la renvoyant en Iraq, l’État partie violerait les droits qu’elle tient des articles 10 et 15 de la Convention, puisque son expulsion entraînerait un risque grave de suicide, ainsi que d’autres risques graves pour sa vie et sa santé. Il note qu’un diagnostic de dépression grave avec des caractéristique psychotiques a été posé et que l’auteure a été internée à deux reprises en application de la loi sur les soins psychiatriques obligatoires, après avoir eu des hallucinations et des pensées suicidaires ayant abouti à des tentatives de suicide. Il prend note de l’argument de l’auteure selon lequel elle a présenté aux autorités nationales plusieurs certificats médicaux indiquant qu’on lui a diagnostiqué une maladie mentale de longue durée pour laquelle elle ne pourrait pas recevoir de traitement si elle était renvoyée en Iraq. Il prend également note de son argument selon lequel, dans les certificats médicaux qu’elle a présentés, il est précisé que son état de santé est tel que, sans traitement, sa vie serait en danger et que, sans soins adéquats, le risque de rechute était grave.

7.7Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités nationales ont procédé à un examen approfondi des griefs de l’auteure, sans qu’il y ait de raison de conclure que les décisions internes étaient inadéquates ou que l’issue de la procédure était, de quelque manière que ce soit, arbitraire ou constituait un déni de justice. Il constate que l’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas démontré que son état de santé est d’une gravité et d’une durée telles que son renvoi en Iraq constituerait une violation des droits qu’elle tient de la Convention.

7.8Le Comité doit donc déterminer en l’espèce, compte tenu des facteurs exposés ci‑dessus, s’il existe des motifs sérieux de croire que l’auteure courrait un risque réel de subir un préjudice irréparable tel qu’envisagé par les articles 10 et 15 si elle était renvoyée en Iraq. Il note que les parties ne contestent pas qu’on a diagnostiqué à l’auteure une dépression. Il constate que dans plusieurs certificats médicaux présentés par l’auteure aux autorités nationales, il est précisé que l’intéressée suit un traitement pour dépression grave, qui a été évaluée comme comportant un risque de complications graves ou mettant sa vie en danger, que le traitement médical suivi est essentiel et qu’en l’absence de soins adéquats, le risque de rechute est grave. Il observe que les parties ne sont pas du même avis quant à la gravité de l’état de santé de l’auteure et au caractère durable de sa maladie, et prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les autorités nationales ont estimé que la mauvaise santé de l’auteure et ses idées suicidaires sont principalement liées à sa déception face à la procédure d’asile, à sa situation incertaine et à sa crainte d’être expulsée. Il considère toutefois que, compte tenu que l’auteure a présenté aux autorités nationales plusieurs certificats médicaux dans lesquels son état de santé est décrit comme grave et mettant sa vie en danger sans le traitement qu’elle reçoit dans l’État partie, les autorités de l’État partie auraient dû, à la lumière des informations disponibles au cours de la procédure interne, déterminer si l’auteure aurait effectivement accès à des soins médicaux adéquats si elle était renvoyée en Iraq. Il observe que les parties ne contestent pas que les autorités nationales n’ont pas examiné la question de savoir si l’auteure aurait accès à des soins médicaux adéquats en Iraq. Le Comité considère donc que le fait que les autorités nationales n’aient pas évalué le risque auquel l’auteure était exposée à la lumière des informations dont elles disposaient concernant son état de santé constitue une violation des droits que l’intéressée tient de l’article 15 de la Convention.

7.9À la lumière de ce qui précède, le Comité considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément les griefs que l’auteure tire de l’article 10 de la Convention.

C.Conclusions et recommandations

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, considère que l’État partie a manqué aux obligations que lui impose l’article 15 de la Convention. En conséquence, il adresse à l’État partie les recommandations suivantes :

a)S’agissant de l’auteure, l’État partie a pour obligation :

i)De lui fournir un recours utile, y compris une indemnisation pour tous frais de justice engagés pour la soumission de la présente communication ;

ii)De réexaminer le cas de l’auteure, en tenant compte des obligations qui incombent à l’État partie au titre de la Convention et des présentes constatations ;

iii)De rendre publiques les présentes constatations et de les diffuser largement, sous des formes accessibles, auprès de tous les secteurs de la population ;

b)De façon générale, l’État partie est tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, le Comité demande à l’État partie de veiller à ce que les droits des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, soient dûment pris en compte dans le contexte des décisions relatives au droit d’asile.

9.Conformément à l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 75 du règlement intérieur du Comité, l’État partie est invité à soumettre au Comité, dans un délai de six mois, une réponse écrite, dans laquelle il indiquera toute mesure qu’il aura prise à la lumière des présentes constatations et recommandations.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de László Gábor Lovászy

1.Je ne peux pas me joindre à la décision du Comité car je ne partage pas sa position selon laquelle il a été démontré que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 15 de la Convention sur la base de l’argument adopté au paragraphe 5.2 de ses constatations.

2.D’un point de vue général, le Comité semble avoir éludé la question de l’application globale et complète de la Convention relative au statut des réfugiés (la Convention de 1951) pour toutes les parties. Il est également problématique que, s’agissant de l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Paposhvilic. Belgique, le Comité ait estimé que la notion de réduction significative de l’espérance de vie devait être appliquée sans restriction claire et raisonnable.

3.En ce qui concerne l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif, s’agissant de la violation du droit de présenter une communication, les documents médicaux soumis par l’auteure ne permettaient pas de conclure que sa maladie était suffisamment grave pour lui accorder un permis de séjour et l’auteure n’a fait mention d’aucun des symptômes de sa maladie au début de la procédure de demande d’asile. L’auteure a fait observer par la suite que son état avait été décrit comme mettant sa vie en danger dans les certificats médicaux qu’elle a présentés aux autorités de l’État partie chargées des migrations. Le Comité n’est pas en mesure d’évaluer si ces certificats médicaux sont professionnellement validés ou pertinents ; cependant, l’État partie ne les a pas non plus remis en question. L’auteure a affirmé qu’elle avait fourni ces documents, mais l’autorité compétente ne les a pas considérés comme décisifs et a rendu ses décisions finales, qui n’ont pas été contestées par l’auteure au moyen de recours internes. En ce qui concerne cette décision finale, il n’y a aucun motif raisonnable de croire que les procédures de recours disponibles excéderaient des délais raisonnables ou qu’il serait peu probable qu’elles donnent satisfaction à l’auteure dans l’État partie. Par conséquent, l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles.

4.En ce qui concerne les alinéas b) et e) de l’article 2 du Protocole facultatif, il est essentiel de noter que l’auteure a obtenu un visa français avant d’entrer en Suède. Le 13 mars 2013, l’Office suédois des migrations a informé l’auteure qu’il demanderait aux autorités françaises d’assumer la responsabilité de l’examen de sa demande d’asile en application du Règlement Dublin, ce que l’auteure n’a pas contesté. Après acceptation par les autorités françaises de la demande de l’Office, celui-ci a donc décidé, le 5 juin 2013, de rejeter la demande d’asile et de transférer l’auteure vers à la France conformément au Règlement Dublin. Cet argument ainsi que les faits rapportés n’ont pas été contestés par l’auteure. Cependant, le délai prévu pour l’exécution de l’ordre de transfert a expiré le 7 novembre 2014 sans que l’auteure se soit rendue en France. La violation et le non-respect par l’auteure des décisions et des dispositions légales prises par les autorités françaises et suédoises, laissent penser qu’elle n’avait pas l’intention de quitter la Suède pour la France, où sa demande d’asile devait être examinée. L’auteure n’a pas expliqué pourquoi elle n’était pas partie, ce qui semble également indiquer qu’elle avait l’intention de rester en Suède, au mépris du Règlement Dublin. Il ressort de cet argument, qui n’a pas été dûment pris en compte, que l’auteure est tenue de coopérer avec l’État partie conformément à la Convention de 1951 − en particulier ses articles 2, 31 et 32 − la Suède n’étant pas le pays par lequel elle est entrée dans l’Union européenne, au sens du Règlement Dublin. L’auteure n’a donc pas respecté la Convention de 1951 et le droit international.

5.En ce qui concerne l’alinéa b) de l’article 2 du Protocole facultatif, s’agissant en particulier de la violation du droit de présenter des communications, et compte tenu du fait que l’auteure avait accepté la décision finale de l’autorité suédoise, il est également crucial de noter qu’au début de la procédure, elle a affirmé qu’elle était apte à enseigner en Suède. Le Comité a observé que les parties étaient en désaccord quant à la gravité de l’état de santé de l’auteure et au caractère durable de sa maladie (par. 7.8), mais l’auteure n’a contesté la procédure d’expulsion qu’en citant des décisions du Conseil des droits de l’homme et de la Cour européenne des droits de l’homme. L’auteure a affirmé que sa maladie s’était aggravée depuis que sa demande avait été rejetée par les autorités suédoises et a également fait savoir que son renvoi lui causerait un « préjudice irréparable » et pourrait éventuellement la pousser à se suicider. Elle n’a donc pas réussi à prouver sa crédibilité au cours de la procédure et a utilisé une menace personnelle pour faire échouer la procédure.

6.Enfin, lorsqu’il s’agit de comprendre l’exposition au risque d’une dégradation grave, rapide et irréversible de l’état de santé d’une personne, qui se traduit par une souffrance intense ou par une réduction significative de l’espérance de vie en particulier, en l’absence de normes claires, on peut imaginer que, théoriquement, même un État partie plus pauvre aux normes de protection sociale et de santé moins strictes pourrait être responsable de la protection des citoyens de pays plus riches et plus développés. Un État partie ne peut pas assumer la responsabilité d’autres États parties en ce qui concerne la qualité des services de protection sociale et de soins de santé en général. À titre de référence, les citoyens de l’Union européenne sont également susceptibles d’être expulsés vers leur pays d’origine, même s’ils ne bénéficient pas d’une couverture sociale parce qu’ils sont sans emploi ou s’ils n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins. Il convient également de souligner que la différence d’espérance de vie moyenne varie jusqu’à sept ans entre les pays de l’Union européenne.