Nations Unies

CCPR/C/120/D/2237/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

9 octobre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2237/2013 * , ** , ***

Communication présentée par :

Christopher Alger (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

30 janvier 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 mars 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 juillet 2017

Objet :

Vote obligatoire aux élections fédérales

Question(s) de procédure :

Degré de fondement des griefs ; exclusion ratione materiae

Question(s) de fond :

Droit au respect de la vie privée ; liberté de pensée, de conscience et de religion ; liberté d’expression ; droit de professer une opinion ; droit de prendre part à la direction des affaires publiques et droit de vote ; droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi sans discrimination ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2, 17, 18, 19, 25, 26 et 50

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est Christopher William Alger, de nationalité australienne, né le 21 décembre 1965. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 1), 17 et 18, lus séparément et conjointement avec les articles 2 (par. 2 et 3), 19, 26 et 50 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Australie le 25 décembre 1991. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 15 mars 2013, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a pris note du fait que l’auteur n’était pas représenté par un conseil et a invité les parties à faire part de leurs observations et commentaires également en relation avec l’article 25 du Pacte.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur affirme que le vote aux élections fédérales est obligatoire dans l’État partie. Selon l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth de 1918, tout électeur a le devoir de voter à chaque élection, sauf exceptions définies par cette même loi. Les électeurs qui ne votent pas encourent une amende. Le paragraphe 14 de l’article 245 de la loi dispose que sans pour autant constituer l’unique situation offrant une raison valable et suffisante de ne pas voter, le fait qu’un électeur estime qu’il est de son devoir religieux de ne pas voter constitue un motif d’abstention valable et suffisant.

2.2L’auteur a décidé de ne pas voter aux élections fédérales de l’État partie qui ont eu lieu le 21 août 2010. Par la suite, il a reçu un avis de la Commission électorale australienne l’informant de son apparent défaut de vote. Dans cet avis, la Commission demandait à l’auteur de fournir à l’agent électoral local une raison valable et suffisante expliquant son abstention. L’auteur pouvait aussi choisir de payer une amende ou de saisir les tribunaux. Dans sa réponse à l’agent électoral, l’auteur a indiqué que le Premier Ministre de l’époque avait fait une série de promesses à son électorat mais qu’une fois élu, il avait déclaré qu’il ne mettrait pas en œuvre les promesses « non essentielles ». Compte tenu de ces circonstances sans précédent, l’auteur s’était aperçu qu’il n’était pas à même de distinguer les promesses essentielles des promesses non essentielles et de faire la différence entre le vrai et le faux dans ce que disaient les responsables politiques lors des campagnes électorales, qu’il n’avait pas les moyens de vérifier et d’évaluer de manière indépendante les déclarations et les promesses des responsables politiques et que, par conséquent, il ne disposait pas de suffisamment d’informations pour choisir son candidat en connaissance de cause.

2.3Le 24 novembre 2010, l’agent électoral a émis un avis de sanction pour défaut de vote et a informé l’auteur que les raisons qu’il avait fournies n’étaient pas considérées comme valables et suffisantes pour l’exonérer de son devoir électoral. Par conséquent, à titre de sanction, l’auteur devait s’acquitter d’une amende de 20 dollars australiens à payer avant le 20 décembre 2010. Il était également précisé dans l’avis que si l’auteur ne réglait pas l’amende dans les délais, l’affaire pourrait être portée devant un tribunal et donner lieu à l’application d’une peine de 50 dollars australiens au maximum, à laquelle s’ajouteraient tous les frais de justice.

2.4Lorsque l’auteur a reçu l’avis, il a demandé conseil à l’agent électoral par téléphone et a aussi proposé de donner des explications plus détaillées quant aux raisons de son abstention. Cependant, l’agent lui a répondu que si les nouvelles raisons étaient les mêmes que celles qu’il avait données au départ, elles ne seraient toujours pas considérées comme valables et suffisantes. Il a ajouté que si l’auteur avait avancé des raisons religieuses pour justifier son abstention, l’affaire aurait été close et il n’aurait pas reçu d’amende. Ayant été informé par l’agent électoral que le paiement de l’amende ne serait en aucun cas considéré comme une reconnaissance de sa responsabilité, l’auteur s’est acquitté de l’amende en décembre 2010, afin d’éviter que l’affaire ne soit portée devant les tribunaux et ne risque d’aboutir à une condamnation.

2.5Le 25 janvier 2011, l’auteur a déposé une requête auprès du Comité mixte permanent pour les questions électorales. Il a répété l’explication qu’il avait donnée à l’agent électoral et a affirmé que, dans la pratique, l’application de la loi électorale du Commonwealth constituait une immixtion arbitraire dans sa vie privée en ce qu’il lui avait été demandé d’expliquer par écrit pourquoi il n’avait pas voté, alors que ses positions en matière de vote − à savoir les détails de son vote − devaient être considérées comme relevant de la sphère privée et dépendaient de son bon vouloir, y compris s’agissant des raisons qu’il avait de ne pas voter. Cela constituait également une discrimination fondée sur la religion puisque, s’il avait invoqué un motif religieux pour expliquer son apparent défaut de vote, celui-ci aurait été considéré comme valable et suffisant par l’agent électoral. Par conséquent, les droits qu’il tenait des articles 17, 18 et 26 du Pacte avaient été violés. L’auteur a également affirmé que, si le vote était obligatoire, l’électeur pouvait néanmoins remplir toutes les cases du bulletin de vote ou n’en remplir aucune, ce qui dans la pratique revenait à ne pas voter. Dans un tel cas, il n’y avait pas d’infraction et le vote restait secret. L’auteur, lui, avait été obligé d’exposer les raisons de son abstention pour ne pas recevoir d’amende.

2.6Le 30 mars et le 25 avril 2011, l’auteur a déposé des requêtes auprès de la Commission australienne des droits de l’homme, en affirmant que l’amende qui lui avait été infligée pour défaut de vote et l’application de cette sanction étaient discriminatoires et constituaient une violation des droits qu’il tenait des articles 17, 18, 19 et 26 du Pacte.

2.7Le 17 avril 2011, l’auteur a également affirmé auprès de la Commission électorale que les droits qu’il tenait des articles 17, 18 et 19 du Pacte avaient été violés. Il a avancé que la demande qui lui avait été faite par l’agent électoral d’expliquer pourquoi il n’avait pas voté constituait une immixtion arbitraire dans sa vie privée et que les raisons qu’il avait fournies pour expliquer son abstention étaient fondées sur ses convictions et ses opinions. Il a en outre affirmé que l’article 18 du Pacte ne portait pas uniquement sur les croyances religieuses, que les raisons de son abstention devaient être considérées comme relevant des autres convictions protégées par ce même article et que les restrictions imposées à son droit de manifester ces convictions ne pouvaient être justifiées au regard du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. Par conséquent, l’auteur a demandé à la Commission électorale de lui rembourser l’amende versée et de lui présenter des excuses.

2.8Le 4 mai 2011, la Commission électorale a informé l’auteur qu’elle ne considérait pas que l’obligation de voter énoncée à l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth était contraire aux droits garantis par le Pacte, lequel figurait dans l’annexe 2 de la loi de 1986 relative à la Commission australienne des droits de l’homme. La Commission électorale a renvoyé à la jurisprudence de la Haute Cour concernant le concept de religion et de « devoir religieux », qui répondrait aux critères énoncés au paragraphe 14 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth, et concernant la notion de raison valable et suffisante de ne pas voter à une élection. La Commission électorale a conclu que les justifications avancées pour expliquer l’abstention ne faisaient pas apparaître un devoir religieux justifiant l’abstention ni ne révélaient une religion ou des convictions visées par l’article 18 du Pacte. La Commission électorale a aussi indiqué être liée par les dispositions de la loi de 1988 sur le respect de la vie privée, qui étaient conformes à l’article 17 du Pacte.

2.9Le 9 mai 2011, un agent de la Commission des droits de l’homme a examiné la requête de l’auteur et a indiqué que, si la Commission était habilitée à examiner des griefs de violations des droits de l’homme mettant en cause le Commonwealth ou ses agents, tels que définis dans la loi de 1986 relative à la Commission australienne des droits de l’homme, y compris des violations des droits garantis par le Pacte, le pouvoir qu’elle avait d’enquêter sur de tels griefs se limitait à l’examen des plaintes portant sur le pouvoir discrétionnaire exercé par un décideur. Par conséquent, la Commission des droits de l’homme ne pouvait pas enquêter sur des griefs portant sur des actes ou des pratiques découlant de l’application automatique de la législation. À cet égard, la Commission a déclaré que la décision prise par la Commission électorale de demander à l’auteur d’expliquer pourquoi il n’avait pas voté était conforme à la loi électorale du Commonwealth et que, même dans l’éventualité où cette décision ne serait pas conforme à la loi électorale, il était difficile de déterminer si les faits décrits constituaient une immixtion arbitraire dans sa vie privée. L’agent a également indiqué que les raisons que l’auteur avait avancées pour expliquer son abstention, qui n’avaient pas été acceptées par la Commission électorale, semblaient relever de l’opinion et ne correspondaient pas à la définition de « conviction » au sens des articles 18 et 26 du Pacte.

2.10Les 18 et 20 juillet 2011, l’auteur a contesté la décision de la Commission des droits de l’homme auprès de cette même Commission et affirmé que l’article 18 du Pacte protégeait aussi les convictions non religieuses. Le 3 août 2011, un enquêteur de haut rang de la Commission des droits de l’homme a affirmé que, concernant le grief d’immixtion arbitraire dans la vie privée, la décision prise par la Commission électorale de demander à l’auteur des explications concernant les raisons de son abstention n’était pas discrétionnaire, mais fondée sur le paragraphe 5 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth et que, par conséquent, conformément au paragraphe 2 c) ii) de l’article 20 de la loi relative à la Commission des droits de l’homme, la Commission des droits de l’homme pouvait décider de ne pas examiner cette partie de la plainte si elle la jugeait spécieuse. En ce qui concerne le grief de violation de la liberté de pensée, de conscience, de conviction, d’opinion et d’expression, la Commission des droits de l’homme a estimé que l’auteur n’avait pas fourni d’informations suffisantes pour expliquer en quoi la décision de l’agent électoral de lui envoyer un avis de sanction avait porté atteinte à son droit d’avoir une opinion ou des convictions. La Commission des droits de l’homme a indiqué que l’obligation de participer à l’élection était distincte de l’obligation d’exprimer une préférence pour des candidats pour lesquels un électeur ne souhaitait pas voter. Par conséquent, l’auteur a été invité à fournir des informations complémentaires dans un délai de quatorze jours.

2.11Le 9 août 2011, l’auteur a répété ses allégations précédentes devant la Commission des droits de l’homme et a précisé qu’il avait la conviction qu’il ne devait pas voter,  qu’il était inapproprié pour lui de voter, qu’il avait le devoir de ne pas voter en raison de ses convictions  et que la Commission électorale avait porté atteinte à ses droits de l’homme en ce qu’elle ne considérait pas ses convictions comme égales à celles d’autres électeurs qui n’avaient pas été sanctionnés en application du paragraphe 14 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth.

2.12Le 30 septembre 2011, le Représentant du Président de la Commission des droits de l’homme a décidé, conformément au paragraphe 2 c) ii) de l’article 20 de la loi relative à la Commission des droits de l’homme, de ne pas poursuivre l’examen de la plainte de l’auteur au motif qu’elle était spécieuse. L’agent électoral, qui avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas émettre d’avis de sanction à l’encontre d’électeurs qui n’avaient pas voté, ne pouvait faire fi de l’intention de la loi électorale du Commonwealth d’établir l’obligation de vote. Par conséquent, l’agent électoral ne pouvait faire usage de son pouvoir discrétionnaire pour ne pas émettre d’avis de sanction à l’encontre d’électeurs qui ne votaient pas simplement parce qu’ils estimaient qu’ils ne devaient pas le faire. Dans sa décision, la Commission a informé l’auteur qu’il pouvait saisir la Cour fédérale d’Australie ou le Tribunal fédéral de première instance pour demander un réexamen de ses conclusions en vertu de la loi de 1997 sur le contrôle juridictionnel des décisions administratives. Ces juridictions ne pouvaient examiner le fond de l’affaire mais pouvaient renvoyer la question à la Commission si elles estimaient que celle-ci avait commis une erreur de droit ou n’avait pas exercé correctement ses pouvoirs.

2.13Le 11 décembre 2011, l’auteur a adressé à la Commission électorale une lettre dans laquelle il a de nouveau indiqué que la peine qui lui avait été imposée constituait une violation des droits qu’il tenait des articles 17 et 18 du Pacte.

2.14Le 18 janvier 2012, la Commission électorale a de nouveau indiqué que l’auteur avait reconnu avoir enfreint l’obligation de vote énoncée à l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth et a contesté le fait que les mesures qu’elle avait prises en réponse à cette infraction aient constitué une violation du Pacte tel qu’inscrit dans la loi relative à la Commission australienne des droits de l’homme. La Commission électorale a également indiqué que la raison donnée par l’auteur à l’agent électoral pour justifier son abstention n’avait pas de lien avec une conviction au sens de l’article 18 du Pacte. Par conséquent, la Commission électorale a rejeté la demande de remboursement de l’amende payée par l’auteur.

2.15L’auteur fait valoir que les tribunaux australiens ne peuvent examiner le fond de son affaire et que la Commission des droits de l’homme ne peut examiner des plaintes portant sur des violations du Pacte que lorsque les violations présumées résultent d’une action discrétionnaire d’un agent et non d’une application automatique de la loi. Il affirme donc avoir épuisé tous les recours internes en relation avec les allégations contenues dans sa communication.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’amende qui lui a été imposée par la Commission électorale en raison de son abstention lors des élections fédérales de 2010, en application de la loi électorale du Commonwealth, constitue une violation par l’Australie des droits qu’il tient des articles 17 et 18, lus séparément et conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2, et les articles 26 et 50 du Pacte.

3.2L’auteur indique que l’avis l’informant de son apparent défaut de vote lui offrait trois options : payer une amende, saisir les tribunaux ou fournir des explications à la Commission électorale concernant les raisons de son abstention. Ces raisons étant ses pensées, ses convictions et ses opinions, il était tenu, selon l’avis, de les révéler. Or, ces raisons sont privées et il ne devrait pas avoir à les révéler. Par conséquent, dans la pratique, cet avis constitue une immixtion arbitraire dans sa vie privée, en violation de l’article 17 du Pacte.

3.3L’auteur affirme que l’avis de sanction violait les droits qu’il tient de l’article 18 du Pacte car il limitait sa liberté de manifester ses convictions. Une telle limitation ne saurait être justifiée au regard du paragraphe 3 de l’article 18 du Pacte. L’auteur souligne qu’alors qu’il a expliqué à la Commission électorale que sa décision de s’abstenir de voter était fondée sur ses convictions non religieuses, la Commission a considéré que cela ne constituait pas une raison valable et suffisante. Il souligne en outre que l’article 18 du Pacte protège le droit de ne professer aucune religion ou conviction et que, même si ses raisons de ne pas voter peuvent être perçues comme relevant d’une opinion, dans son cas il s’agit avant tout de la manifestation de convictions forgées par des croyances non religieuses profondément ancrées qui se rapportent à des valeurs comme l’honnêteté, la responsabilité, la légitimité, la décence et la mutualité d’obligations entre électeurs et responsables politiques.

3.4L’avis de sanction envoyé par la Commission électorale constituait également une discrimination fondée sur la religion. Alors que le paragraphe 14 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth ne pose pas de limites aux types de convictions qui peuvent constituer une raison valable de ne pas voter, dans la pratique les autorités électorales de l’État partie considèrent uniquement certaines convictions comme des raisons valables. Si l’auteur avait professé une religion ou des convictions religieuses particulières, il n’aurait pas été sanctionné. Par conséquent, dans son cas, l’application du paragraphe 14 de l’article 245 a été discriminatoire au regard de l’article 26 du Pacte.

3.5L’auteur affirme ce qui suit : a) l’État partie n’a pas adopté les lois ou les autres mesures nécessaires pour donner effet aux droits reconnus par le Pacte ; b) l’auteur n’a pas eu effectivement accès à des voies de recours pour les violations des droits qu’il tient des articles 17 et 18 du Pacte, la Commission des droits de l’homme n’ayant pas compétence pour examiner les allégations de violations des droits de l’homme découlant de l’application automatique de la loi ; c) les points a) et b) constituent un manquement de l’État partie aux obligations découlant des paragraphes 2 et 3 de l’article 2.

3.6L’auteur soutient qu’une législation similaire, rendant le vote obligatoire, est appliquée dans les autres États et territoires de l’État partie, ce qui constitue un manquement de l’État partie aux obligations qui lui incombent au titre de l’article 50 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 21 janvier et le 3 octobre 2014, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il soutient que les griefs de violation des articles 2, 17, 18, 26 et 50 du Pacte sont irrecevables en ce qu’ils sont incompatibles avec le Pacte et insuffisamment étayés. Dans le cas où le Comité estimerait que l’une ou l’autre des allégations de l’auteur est recevable, l’État partie soutient que les faits ne font apparaître aucune violation des droits consacrés par le Pacte.

4.2Le système électoral de l’État partie est fondé sur le principe démocratique du suffrage universel des adultes énoncé à l’article 25 b) du Pacte. Ce système fait obligation à tous les Australiens qui ont atteint l’âge de 18 ans de voter. Le paragraphe 1 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth dispose que il est du devoir de chaque électeur de voter à chaque élection, tandis que le paragraphe 15 du même article énonce que le fait pour un électeur de ne pas voter à une élection constitue une infraction. Le paragraphe 5 c) de l’article 245 exonère les citoyens de sanction en cas d’abstention s’ils peuvent démontrer qu’ils avaient une raison valable et suffisante de ne pas voter. Toute personne qui ne peut fournir de raison valable et suffisante pour expliquer pourquoi elle n’a pas voté à une élection fédérale encourt une amende de 20 dollars australiens. Si un électeur qui n’a pas voté choisit de ne pas payer cette amende, l’affaire peut être portée devant les tribunaux et l’intéressé encourt une amende majorée à laquelle s’ajoutent des frais de justice. Si la personne choisit de ne pas payer l’amende décidée par le tribunal, celui-ci prononce une peine.

4.3Tous les États et territoires australiens ont des lois rendant le vote obligatoire. Compte tenu de cette obligation, les électeurs ont à leur disposition plusieurs moyens de voter, à savoir par courrier, en personne dans les missions australiennes à l’étranger ou dans les localités reculées, ou en personne dans un bureau de vote de leur district. Conformément à l’article 25 b) du Pacte, le vote se déroule au scrutin secret. Par conséquent, les citoyens ne sont pas tenus d’exprimer un vote. Leur devoir est de se rendre dans un bureau de vote, de se faire identifier sur la liste d’émargement, de recevoir un bulletin de vote, de se rendre dans un isoloir, de remplir le bulletin, de le plier et de le mettre dans l’urne. Les électeurs peuvent donc exercer leur droit de vote en mettant dans l’urne un bulletin blanc ou nul s’ils le souhaitent.

4.4L’État partie souligne que le Pacte n’impose aux États parties aucun système électoral particulier du moment que leur système est compatible avec les droits protégés à l’article 25 et qu’il garantit la libre expression de la volonté des électeurs et lui donne effet. À cet égard, le système de vote obligatoire, qui fait partie des meilleures pratiques internationales, est une façon optimale de donner effet à la libre expression des citoyens australiens. L’État partie affirme que le vote obligatoire : a) contribue à un système de démocratie représentative dans le cadre duquel, comme le prévoit la Constitution, le Parlement doit être composé de membres directement choisis par le peuple ; b) assure un niveau élevé de participation aux élections (le taux de participation aux élections fédérales australiennes n’a jamais été inférieur à 90 % depuis l’introduction du vote obligatoire en 1924) ; c) encourage les partis politiques à faire appel collectivement à l’ensemble des valeurs des électeurs et à en tenir compte (il renforce aussi les valeurs démocratiques fondamentales, notamment la représentativité, l’égalité politique et la réduction du pouvoir des élites) ; d) permet aux candidats de concentrer leur campagne sur les questions de fond plutôt que d’avoir en plus à encourager les électeurs à aller voter.

4.5Compte tenu de ce qui précède, l’État partie affirme que les électeurs sont libres de voter pour n’importe quel candidat ou pour aucun, sans subir ni influence indue ni coercition d’aucune sorte. Les électeurs n’encourent une amende que s’ils s’abstiennent de déposer un bulletin de vote au moyen de l’une des méthodes disponibles sans fournir de raison valable et suffisante. Le système du vote obligatoire est donc conforme à l’obligation qui découle de l’article 25 du Pacte.

4.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 17 du Pacte, l’État partie affirme qu’il est irrecevable ratione materiae en ce qu’il n’y a eu aucune immixtion dans la vie privée de l’auteur qui porterait atteinte aux droits consacrés par cet article. En outre, l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief selon lequel l’envoi de l’avis l’informant de l’apparent défaut de vote ou la demande qui lui a été faite, dans cet avis, d’expliquer pourquoi il n’a pas voté constitue une immixtion arbitraire dans sa vie privée. Le système d’avis a été conçu précisément pour proposer aux personnes concernées différentes options à la suite d’une apparente abstention. L’auteur n’avait aucunement l’obligation de répondre à l’avis, puisqu’il aurait pu choisir l’une des autres options proposées. Dans le cas où une explication est fournie, la Commission électorale en préserve le caractère confidentiel, sauf si les raisons données ne sont pas valables et suffisantes et que l’affaire est portée devant les tribunaux.

4.7Même si le Comité jugeait recevable le grief de violation de l’article 17 du Pacte, il devrait conclure que les faits ne font pas apparaître de violation du Pacte. Premièrement, la délivrance de l’avis d’apparent défaut de vote et la rédaction du contenu de cet avis ont été assurées par la Commission électorale conformément à la loi électorale du Commonwealth et sont licites au regard du Pacte. Deuxièmement, l’avis et la demande de justification ne sauraient être considérés comme arbitraires car il s’agit de mesures raisonnables, nécessaires et proportionnées destinées à maintenir un système de vote obligatoire en Australie. L’État partie souligne que les tribunaux australiens ont développé une importante jurisprudence sur laquelle la Commission électorale s’appuie pour déterminer si un électeur a une raison « valable et suffisante » de ne pas voter. La jurisprudence montre que les raisons considérées comme valables et suffisantes sont très diverses, allant de la maladie à l’accident en passant par les phénomènes naturels. À cet égard, l’auteur n’a pas démontré que l’interprétation par les tribunaux de l’expression « valable et suffisante » qui figure dans la loi électorale du Commonwealth était manifestement arbitraire ou constituait un déni de justice.

4.8L’État partie affirme que les griefs que tire l’auteur de l’article 18 du Pacte sont irrecevables en ce qu’ils n’ont pas été suffisamment étayés ou sont incompatibles avec le Pacte, ou les deux à la fois, étant donné que l’opinion de l’auteur concernant le système de vote obligatoire ne constitue pas une conviction au sens de l’article 18. Les travaux préparatoires du Pacte montrent que le terme « conviction » renvoie à des systèmes de croyances, à des idéologies et à des philosophies de vie, comme le pacifisme et l’athéisme, et non aux innombrables points de vue individuels sur différentes idées et questions qui peuvent être formés pour des raisons diverses. Les termes « religion » et « conviction » sont décrits dans les travaux préparatoires comme incluant, outre diverses croyances théistes, d’autres convictions comme l’agnosticisme, la libre pensée, l’athéisme et le rationalisme. En l’espèce, les opinions de l’auteur concernant le vote obligatoire ne constituent pas une conviction au sens de l’article 18 du Pacte. Ce qu’il appelle conviction est simplement un point de vue, à savoir qu’il ne devrait pas être obligé d’aller dans un bureau de vote le jour des élections et de mettre un bulletin dans l’urne, ce qui n’est pas la même chose qu’un système de croyances comme le pacifisme ou l’athéisme. Par conséquent, ce grief est irrecevable ratione materiae. En outre, l’auteur n’a pas démontré que sa capacité de former un point de vue concernant le vote a été restreinte de quelque manière que ce soit ou qu’il a été contraint de changer son opinion.

4.9Dans le cas où le Comité jugerait recevable le grief que l’auteur tire de l’article 18, il devrait conclure qu’il n’y a pas de violation du Pacte, puisque l’auteur n’a pas démontré que l’État partie a imposé des restrictions à sa capacité de manifester ce qu’il considère comme ses convictions ou qu’il a subi des contraintes de quelque nature que ce soit. L’auteur n’a pas été obligé d’exprimer un vote lors de l’élection, mais simplement de se rendre dans un bureau de vote, de recevoir un bulletin et de le mettre dans l’urne, pour s’acquitter de ses obligations en application de la loi électorale du Commonwealth. Il était libre d’exercer son droit de vote en mettant dans l’urne un bulletin blanc ou nul. L’État partie souligne que l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme a estimé que le vote obligatoire était conforme au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion consacré par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. De plus, l’obligation faite à l’auteur de se conformer à la loi électorale du Commonwealth et de participer au système de vote obligatoire ne constitue en aucune manière une contrainte au sens du paragraphe 2 de l’article 18 du Pacte. Cette obligation n’oblige pas l’auteur à modifier son opinion concernant des candidats ou le vote obligatoire, ni ne porte atteinte à sa capacité de se forger une telle opinion.

4.10Les griefs que l’auteur tire de l’article 26 et du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte sont irrecevables en ce qu’ils n’ont pas été suffisamment étayés ou sont incompatibles avec le Pacte. En l’absence de violations effectives des articles 17 et 18, le grief de discrimination que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 2 est irrecevable ratione materiae en raison du caractère accessoire de l’article 2. En outre, l’auteur n’a pas étayé les griefs de discrimination qu’il tire de l’article 26 du Pacte. Dans le cas où le Comité jugerait ces griefs recevables, les faits ne font pas apparaître de violation du Pacte. L’auteur n’a fait l’objet d’aucune différence de traitement, puisqu’en application de la loi électorale du Commonwealth tous les électeurs australiens sont tenus de voter. La loi électorale du Commonwealth prévoit une dérogation pour les personnes qui peuvent fournir une raison valable et suffisante de ne pas voter, dérogation qui s’applique à tous les électeurs, y compris l’auteur. Le fait que la décision de la Commission électorale ait été défavorable à l’auteur ne signifie pas que celui-ci a subi une différence de traitement. Par ailleurs, le fait que la Commission électorale reconnaisse expressément que les personnes qui ont des devoirs religieux peuvent avoir des raisons valables de ne pas voter constitue une différence de traitement légitime et ne représente pas une violation de l’article 26 ou du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte. Ainsi, l’expression « raison valable et suffisante », au sens du paragraphe 14 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth, reconnaît précisément qu’il peut y avoir conflit entre le principe du vote obligatoire et les devoirs religieux. En outre, la mise en place d’une dérogation pour les devoirs religieux constitue une mesure proportionnée, fondée sur des critères raisonnables et objectifs, qui vise à réaliser l’objectif légitime de permettre aux personnes de manifester et de pratiquer leur religion, et elle est donc conforme aux obligations de l’État partie au titre du paragraphe 1 de l’article 18 du Pacte.

4.11Les griefs de violation des paragraphes 2 et 3 de l’article 2 sont irrecevables en ce qu’ils sont incompatibles avec les dispositions du Pacte. Ces paragraphes ne confèrent pas en eux-mêmes de droit substantiel, à l’exception des cas dans lesquels le Comité constate une violation d’un autre droit consacré par le Pacte. Si l’auteur souhaite dénoncer une violation des droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2, il doit d’abord fournir suffisamment d’éléments pour étayer ses allégations de violation des droits substantiels qu’il tient des articles 17, 18 ou 26, puis démontrer qu’il n’a pas eu accès à un recours utile.

4.12L’État partie soutient que le grief de violation de l’article 50 du Pacte est irrecevable ratione materiae, car il n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans des lettres datées du 31 mars 2014, des 10 et 17 novembre 2014 et du 28 mai 2015, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a fourni aucune justification raisonnable et objective concernant la distinction qui est faite entre les pensées, convictions et opinions de l’auteur et celles d’autres Australiens qui ont été dispensés de sanction pour n’avoir pas voté. Par conséquent, il affirme avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire concernant les droits qu’il tient de l’article 18, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte.

5.2En ce qui concerne les observations de l’État partie au sujet de l’article 25 du Pacte, l’auteur affirme que la libre expression de sa volonté en tant qu’électeur était de s’abstenir de voter. La délivrance d’un avis de sanction était une attaque contre la libre expression de sa volonté et de ses opinions politiques. Elle était également discriminatoire, au regard de l’article 25 en général et de l’article 25 b) en particulier, en ce que les électeurs qui ne faisaient pas l’objet de sanctions bénéficiaient d’une meilleure protection de leurs droits que celle qui lui était accordée.

5.3Le vote obligatoire ne donne pas effet au droit des individus de prendre part à la direction des affaires publiques. Tel qu’il est appliqué en Australie, il ne peut pas être considéré comme nécessaire ou même utile pour faciliter le droit de vote. D’autres démocraties semblables à l’Australie, comme le Canada, les États-Unis d’Amérique, le Japon, la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, n’ont pas rendu le vote obligatoire. À cet égard, l’État partie n’a pas expliqué de manière objective en quoi son système de vote obligatoire est meilleur que les autres.

5.4L’auteur affirme que, d’après les observations de l’État partie concernant son système de vote et le devoir des électeurs, l’électeur qui ne souhaite voter pour aucun candidat doit remettre un bulletin nul non comptabilisable. Toutefois, un tel vote nul a un statut ambigu d’un point de vue juridique et l’État partie ne peut attendre d’un électeur qui souhaite choisir de ne pas voter qu’il soumette un bulletin de vote rempli mais nul pour s’acquitter de son devoir électoral. En outre, les électeurs qui sont exonérés de vote en application du paragraphe 14 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth n’ont pas à envisager cette ambiguïté ou à s’y heurter, et ils n’ont pas besoin de se rendre dans un bureau de vote s’ils ne veulent pas voter.

5.5L’auteur affirme que la raison qu’il a donnée à la Commission électorale pour justifier son abstention est le reflet de la volonté et de l’opinion politiques qu’il s’est librement forgées, et qui dans son cas sont des convictions. Dans la pratique, l’amende qui lui a été imposée constitue une contrainte, une incitation ou une intervention manipulatrice, en particulier s’agissant des élections futures, à l’occasion desquelles il sera également sanctionné pour avoir exprimé sa volonté politique.

5.6L’auteur répète que l’avis d’apparent défaut de vote puis l’avis de sanction constituaient dans la pratique une immixtion arbitraire dans sa vie privée et étaient contraires à l’article 17 du Pacte en ce qu’il a été obligé, sous la contrainte de la loi, de révéler ses opinions politiques à la Commission électorale pour ne pas recevoir d’amende. Sa situation est matériellement identique à celle des personnes qui n’ont pas voté pour des raisons religieuses et son abstention comme la leur sont également sans préjudice pour l’ordre public, la morale et la sécurité, ainsi que pour les droits fondamentaux d’autrui. Enfin, il appartient aux électeurs eux-mêmes de déterminer individuellement la validité de leurs propres convictions et opinions politiques.

5.7En ce qui concerne l’article 18 du Pacte, l’auteur répète ses allégations précédentes et souligne que la délivrance de l’avis d’apparent défaut de vote l’a obligé à révéler ses pensées et ses convictions, en violation du droit consacré par cet article.

5.8L’auteur affirme que, si la raison qu’il a donnée à la Commission électorale pour justifier son abstention était considérée comme une « opinion », la délivrance de l’avis de sanction constituerait une violation de son droit de professer une opinion sans être inquiété et sans subir d’intimidation. L’évaluation des raisons de son abstention par la Commission électorale, qui a conclu que ces raisons n’étaient pas valables et suffisantes, a constitué dans la pratique une forme de contrainte empêchant l’auteur d’avoir une opinion politique donnée.

5.9Même si, dans ses observations, l’État partie affirme que les électeurs sont libres de voter pour n’importe quel candidat ou de ne voter pour aucun candidat, les instructions officielles énoncées dans l’article 240 de la loi électorale du Commonwealth imposent aux électeurs d’établir un ordre de préférence pour tous les candidats. Il n’y a pas de vote préférentiel facultatif et aucun moyen d’exclure du bulletin de vote un ou plusieurs candidats pour lesquels l’électeur n’a pas de préférence ou ne souhaite pas voter. Le bulletin est, dans ce cas, mis de côté et n’est pas pris en considération. L’auteur affirme que cela déforme et contraint la libre expression de sa volonté en tant qu’électeur, ce qui est contraire à l’article 25 du Pacte.

5.10L’auteur répète ses allégations de violation de l’article 26 du Pacte et affirme que l’État partie n’a pas fourni de raison objective et raisonnable expliquant le traitement différent que reçoivent les électeurs qui invoquent des motifs religieux pour expliquer pourquoi ils n’ont pas voté. Selon lui, l’État partie n’a pas non plus expliqué pourquoi les raisons données par l’auteur ne sont pas valables. Dans ce contexte, la sanction imposée par la Commission électorale et les décisions prises par la suite constituent une discrimination fondée sur son opinion politique et sur ses convictions.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur a, sans succès, saisi la Commission électorale et la Commission des droits de l’homme à propos de l’amende qui lui a été imposée par la Commission électorale pour ne pas avoir voté aux élections fédérales de 2010 ; il note également que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours utiles disponibles dans l’État partie en relation avec les allégations contenues dans sa communication. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité note que l’auteur affirme que la sanction qui lui a été imposée par la Commission électorale portait atteinte aux droits qui lui sont reconnus par l’article 18 du Pacte, puisque sa décision de ne pas voter aux élections fédérales de 2010 était une manifestation de ses convictions, fondées sur des croyances non religieuses profondément ancrées, et que ces convictions ne pouvaient faire l’objet que des seules restrictions prévues au paragraphe 3 de l’article 18. L’auteur ajoute que si les raisons de son abstention devaient être considérées comme reflétant une opinion et non des convictions, la délivrance de l’avis de sanction constituerait une violation de son droit de professer une opinion sans être inquiété et sans faire l’objet d’intimidation, et que l’évaluation faite par la Commission électorale des raisons qu’il avait de s’abstenir de voter imposait une forme de contrainte à l’expression de ses opinions politiques. Le Comité note également que l’État partie estime que le grief que tire l’auteur de l’article 18 est irrecevable car insuffisamment fondé ou incompatible avec le Pacte. L’État partie soutient en particulier que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations selon lesquelles sa capacité de se forger un point de vue concernant le vote a été soumise à des restrictions ou selon lesquelles il a été contraint de changer d’avis.

6.5Le Comité rappelle que l’article 18 protège les convictions théistes, non théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune religion ou conviction. Les termes « conviction » et « religion » doivent être interprétés au sens large. L’article 18 n’est pas limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux religions et croyances comportant des caractéristiques ou des pratiques institutionnelles analogues à celles des religions traditionnelles. Bien qu’il appartienne aux fidèles eux-mêmes de définir les contenus d’une religion ou d’une conviction, en général les convictions sont formées d’un système de principes ou de considérations philosophiques sur la vie. Le Comité prend acte des points de vue de l’auteur concernant les élections fédérales de 2010 (voir par. 2.2 ci‑dessus) et le système de vote obligatoire en général. Toutefois, il considère que toutes les opinions ou idées ne constituent pas des convictions. En l’espèce, l’auteur n’a pas donné d’arguments convaincants montrant que son souhait de ne pas voter aux élections fédérales de 2010 était fondé sur des convictions au sens de l’article 18 du Pacte. En ce qui concerne le droit de l’auteur de professer une opinion, reconnu à l’article 19 du Pacte, le Comité estime que le but de la sanction imposée à l’auteur n’était pas de l’intimider ou de le punir pour avoir professé une opinion donnée concernant le comportement des responsables politiques, mais de mettre en œuvre l’obligation légale générale de vote qui s’impose à tous les électeurs. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 18 et du paragraphe 1 de l’article 19 n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Étant parvenu à cette conclusion, le Comité considère que le grief que tire l’auteur du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 18, est également irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité note l’affirmation de l’auteur selon laquelle, en concluant que la raison qu’il avait donnée n’était pas valable et suffisante pour l’exonérer de sanction en application du paragraphe 14 de l’article 245 de la loi électorale du Commonwealth, la Commission électorale lui a fait subir une discrimination fondée sur ses opinions politiques et ses convictions, en violation des droits qu’il tient des articles 26 et 18, lus conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, par comparaison avec les électeurs qui n’ont pas voté aux élections fédérales de 2010 en raison de devoirs religieux et qui n’ont pas été sanctionnés. Le Comité note également que l’État partie affirme que ces griefs sont irrecevables parce qu’insuffisamment étayés ou incompatibles avec le Pacte. Ayant conclu que l’auteur n’a pas étayé ses allégations concernant la violation des droits reconnus au paragraphe 1 de l’article 18 et au paragraphe 1 de l’article 19, comme indiqué plus haut, le Comité considère qu’aucune question relative à la discrimination ne peut être soulevée au titre de l’article 26 concernant les dispositions susmentionnées. En outre, l’auteur n’a pas exposé de motif distinct pour lequel il aurait été victime de discrimination au sens de l’article 26. Le Comité conclut par conséquent que l’auteur n’a pas étayé ses allégations et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité note que l’auteur soutient que l’avis d’apparent défaut de vote et la procédure qui a suivi auprès des autorités électorales ont constitué une immixtion arbitraire dans sa vie privée, au sens de l’article 17 du Pacte, puisqu’il a été forcé de révéler ses opinions politiques à propos des élections fédérales de 2010 pour contester l’imposition d’une amende. Toutefois, le Comité note également que l’auteur affirme que l’avis en question lui imposait de fournir à l’agent électoral une raison valable et suffisante pour justifier son abstention afin de ne pas recevoir d’amende. De l’avis du Comité, le contenu de l’avis ne peut être interprété comme obligeant l’auteur à révéler ses opinions politiques, mais seulement comme l’invitant à démontrer qu’il remplissait les conditions prévues par la loi pour être dispensé de vote. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ses griefs au titre de l’article 17, lu séparément et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité note que l’auteur se dit également victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte en lien avec les griefs qu’il tire des articles 17 et 18. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que le paragraphe 2 de l’article 2 ne saurait être invoqué conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose le paragraphe 2 de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. En l’espèce, le Comité ne pense pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie a manqué aux obligations générales que lui impose le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte soit distinct de l’examen d’une violation des droits que l’auteur tient des articles 17 et 18. Il considère par conséquent que les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 17 et 18, lus conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2, sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9En ce qui concerne le grief que l’auteur soulève au titre de l’article 50 du Pacte, le Comité renvoie à sa jurisprudence dont il ressort qu’une communication ne peut lui être présentée qu’en rapport avec les articles de la troisième partie du Pacte, interprétés comme il convient à la lumière des articles des première et deuxième parties du Pacte. En conséquence, l’article 50 ne peut pas donner lieu à un grief distinct, indépendant d’une violation d’un droit consacré par le Pacte. Le Comité conclut donc que ce grief est irrecevable ratione materiae au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité note que l’auteur affirme que le système de vote obligatoire déforme et contraint la libre expression de sa volonté en tant qu’électeur et qu’il est contraire à l’article 25 du Pacte. Il prend note des arguments de l’État partie à cet égard, mais considère que la communication soulève la question de savoir si la sanction imposée à l’auteur pour ne pas avoir voté aux élections fédérales de 2010 constitue une violation de son droit au titre de l’article 25 b) du Pacte. Il considère que le grief a été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité, et le déclare recevable.

6.11Tous les critères de recevabilité étant remplis, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 25 b) du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur affirme que le système de vote obligatoire et l’amende qui lui a été imposée parce qu’il n’a pas voté déforment et contraignent la libre expression de sa volonté en tant qu’électeur, constituent une contrainte, une incitation ou une intervention manipulatrice, en particulier s’agissant des élections futures, et sont par conséquent contraires à l’article 25 du Pacte. En outre, l’auteur soutient que le vote obligatoire ne donne pas effet au droit des individus de prendre part à la direction des affaires publiques. Le Comité note également que l’État partie affirme (voir par. 4.4 ci‑dessus), entre autres choses, que son système électoral est fondé sur le principe démocratique du suffrage universel des adultes et qu’il est conforme aux obligations découlant du Pacte, que le Pacte n’impose pas de système électoral particulier et que les électeurs sont libres de voter pour n’importe quel candidat à une élection ou pour aucun candidat, sans subir ni influence indue ni coercition d’aucune sorte.

7.3Le Comité observe que les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 25, en particulier en ce qui concerne la nature coercitive de l’amende qui lui a été imposée, mettent finalement en cause la compatibilité du système de vote obligatoire en vigueur dans l’État partie, tel qu’appliqué à l’auteur lors des élections fédérales de 2010, avec le Pacte. À cet égard, le Comité renvoie à son observation générale no25 et rappelle que, bien que le Pacte n’impose aucun système électoral particulier, tout système adopté par un État partie doit être compatible avec les droits protégés par l’article 25 et doit garantir effectivement la libre expression du choix des électeurs. Il doit notamment garantir que les personnes ayant le droit de vote sont libres de voter pour tout candidat à une élection et d’apporter leur appui ou de s’opposer au gouvernement, et garantir le secret du processus électoral. Le Comité considère par conséquent qu’un système électoral doit permettre aux électeurs de voter pour n’importe quel candidat ou pour aucun des candidats, y compris en soumettant un bulletin blanc ou nul, et garantir le secret du scrutin. Il estime également qu’une sanction pour défaut de vote, quelle qu’elle soit, doit être prévue par la loi, raisonnable et proportionnée, et ne pas entraver la jouissance ou l’exercice des droits consacrés par le Pacte.

7.4Le Comité note à cet égard les observations de l’État partie (voir par. 4.2 et 4.3 ci‑dessus), selon lesquelles dans le cadre de son système de vote obligatoire, les électeurs sont libres de voter pour n’importe quel candidat à une élection ou pour aucun candidat, notamment de soumettre un bulletin blanc ou nul, sans subir ni influence indue ni coercition d’aucune sorte, que le vote se fait à bulletin secret et que les électeurs n’encourent qu’une amende de 20 dollars australiens s’ils s’abstiennent de remettre un bulletin au moyen de l’une des méthodes disponibles sans raison valable et suffisante.

7.5En l’espèce, le Comité observe que, pour s’acquitter de son devoir électoral lors des élections fédérales de 2010, l’auteur était obligé de se rendre dans un bureau de vote et de mettre son bulletin dans l’urne, selon le principe du scrutin secret. Selon l’auteur, si un électeur souhaite ne voter pour aucun des candidats, comme c’est son cas, il doit mettre dans l’urne un bulletin nul, qui a un statut juridique ambigu. Toutefois, le Comité observe que l’article 268 de la loi électorale du Commonwealth prévoit la possibilité du vote blanc. Il observe aussi que l’auteur n’a pas expliqué en quoi un vote blanc ne lui aurait pas permis de véritablement exprimer sa volonté en tant qu’électeur de n’apporter son soutien à aucun des candidats aux élections fédérales de 2010. En outre, l’auteur n’a pas non plus présenté au Comité d’arguments convaincants montrant que l’amende qui lui a été imposée était déraisonnable ou disproportionnée. Par conséquent, le Comité constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’article 25 b) du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des droits garantis à l’auteur par le Pacte.

Annexe

Opinion individuelle d’Ahmad Amin Fathalla (dissidente)

1.Le vote obligatoire est contraire aux obligations qui incombent aux États parties en vertu des articles 18 et 19 du Pacte et constitue une violation des droits à la liberté de pensée, à la liberté d’expression et à la liberté de professer une opinion.

2.Le choix d’une personne de ne pas voter à des élections politiques constitue en soi une manifestation de son opinion sur la question mise aux voix, ou représente son opinion sur l’ensemble du processus de vote, ou les deux à la fois. Dans ces conditions, un vote blanc ne peut en aucun cas remplacer la décision de ne pas participer à une élection donnée.

3.Un système de vote obligatoire à des élections politiques constitue une contrainte à l’égard de l’exercice et de la jouissance des droits consacrés par les articles 18 et 19 du Pacte, en particulier lorsqu’une amende est imposée aux personnes qui ne votent pas. La question de savoir si une amende est déraisonnable ou disproportionnée n’est pas pertinente puisque c’est le système de vote obligatoire en tant que tel qui est contraire au Pacte. Les amendes pour abstention devraient uniquement être considérées comme une sanction qui aggrave les violations de ces droits.

4.Par conséquent, je considère que l’imposition d’un système de vote obligatoire aux élections politiques, ainsi que les amendes appliquées en cas d’abstention, constituent une violation des articles 18 et 19 du Pacte.