Nations Unies

CCPR/C/122/D/2715/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 juin 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2715/2016 * , ** , ***

Communication présentée par :

Oleg Vanteev (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

2 décembre 2010 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 janvier 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

4 avril 2018

Objet :

Détention illégale et torture ; violation du droit à un procès équitable

Question(s) de procédure:

Griefs non étayés ; non-épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication

Question(s) de fond :

Arrestation et détention arbitraires ; conditions de détention ; torture ; procès équitable ; procès équitable (assistance d’un avocat) ; procès équitable (retards excessifs) ; procès équitable (témoins) ; droits de la famille ; discrimination

Article(s) du Pacte:

2 (par. 2 et 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 3 c), e) et g)), 23 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Oleg Vanteev, de nationalité russe, né le 29 avril 1966. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 2 et 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1 et 3 c), e) et g)), 23 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 26 mai 1999, l’auteur a été grièvement blessé par balle ; sa blessure a nécessité une intervention chirurgicale, qui a été pratiquée dans le service de soins intensifs d’un hôpital. Pendant son séjour à l’hôpital, l’auteur ne pouvait pas se déplacer librement car il était menotté à son lit. Un policier était chargé de le garder jour et nuit. L’auteur était constamment soumis par les enquêteurs à des pressions psychologiques et à des mauvais traitements, dans le but de le forcer à signer des déclarations par lesquelles il renonçait à l’assistance d’un avocat. L’auteur affirme, par exemple, que les policiers ont refusé de lui retirer les menottes ou même de les desserrer malgré son état de santé. On l’a également poussé à signer des protocoles et d’autres documents, ainsi qu’à s’avouer coupable de plusieurs crimes.

2.2L’auteur a été contraint de signer la déclaration par laquelle il renonçait à l’assistance d’un avocat car, alors qu’il se trouvait à l’hôpital, les autorités ont arrêté sa femme et l’ont mise en détention sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces. La femme de l’auteur a été arrêtée à l’hôpital alors qu’elle lui rendait visite et tandis qu’il subissait une intervention chirurgicale. L’auteur affirme que les médecins et le chirurgien peuvent prouver qu’elle se trouvait à l’hôpital. Elle a été déclarée coupable d’avoir proféré des insultes en public et a été condamnée à une peine de détention administrative.

2.3Le 3 juin 1999, l’auteur a été arrêté officiellement à l’hôpital, car on le soupçonnait d’avoir commis, avec d’autres personnes, des vols et vols qualifiés, entre autres infractions. Le 8 juin 1999, malgré son mauvais état de santé, l’auteur a été conduit dans un centre de détention provisoire situé dans la ville de Cheremkhovo. L’auteur ne pouvait pas se déplacer sans aide et ses blessures n’étaient pas complètement guéries. Dans ce centre, il a été détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes : l’établissement était insalubre et surpeuplé, infesté de punaises de lit et d’autres insectes et sans lumière naturelle, et les détenus n’avaient ni vêtements chauds ni linge de lit. L’auteur s’est constamment vu refuser toute assistance médicale.

2.4À une date non précisée, l’auteur a été conduit au centre de détention provisoire no 1 de la ville d’Irkoutsk. Pendant sa détention dans cet établissement, il a changé plus de 15 fois de cellule, ce qui a aggravé son état de santé. Il a commencé à vomir du sang et a nécessité des soins d’urgence. Il a alors été hospitalisé durant une courte période, mais a ensuite été ramené au centre de détention provisoire. Les conditions de détention y étaient semblables à celles du centre de Cheremkhovo. Elles ont valu à l’auteur de développer une infection fongique de la peau.

2.5À une date non précisée, l’auteur a été transféré dans un centre de détention provisoire dans le village de Kutulik, dans le cadre de l’enquête. Il y a subi des mauvais traitements plusieurs jours durant. Il a été gravement battu et on l’a étouffé en lui mettant un sac en plastique sur la tête, dans le but de le forcer à s’avouer coupable. En conséquence de ce traitement, il a fini par s’avouer coupable des crimes dont il était accusé. L’auteur affirme que tous les comptes rendus médicaux qui attestaient des soins qu’il a reçus pour soigner les blessures que lui ont valu ces mauvais traitements ont disparu de son dossier pénal.

2.6Le 10 décembre 2002, le tribunal régional d’Irkoutsk a déclaré l’auteur coupable des infractions visées aux articles du Code pénal nos 158 (par. 2) (vol en réunion répété), 162 (par. 3) (vol avec violence en bande organisée), 209 (par. 1) (constitution d’un groupe armé dans le but d’attaquer des individus ou des organisations), 222 (par. 1) (acquisition, transfert, vente, stockage, transport ou port illégaux d’armes à feu, de munitions ou d’explosifs) et 317 (mise en danger de la vie d’un agent de la force publique), et l’a condamné à vingt-cinq ans d’emprisonnement et à la confiscation de ses biens. Le tribunal régional d’Irkoutsk était composé d’un juge et de deux assesseurs non professionnels, en violation, selon l’auteur, de la législation nationale en vigueur à l’époque.

2.7À une date non précisée, l’auteur a fait appel du jugement du tribunal régional d’Irkoutsk devant la chambre pénale de la Cour suprême. Le 22 janvier 2004, la Cour suprême a décidé d’annuler le jugement de la juridiction inférieure, décidant, de son propre chef, que celle-ci aurait dû, entre autres choses, expliquer pour quelles raisons l’auteur n’était pas condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. La Cour suprême a ordonné au tribunal régional d’Irkoutsk de statuer à nouveau sur l’affaire.

2.8Le 18 septembre 2004, le tribunal régional d’Irkoutsk, siégeant en formation de juge unique, a réexaminé l’affaire et a condamné l’auteur, sur le fondement des articles du Code pénal nos 158 (par. 2), 162 (par. 3), 209 (par. 1), 222 (par. 1) et 317, à la réclusion criminelle à perpétuité en raison du cumul des peines. L’auteur affirme qu’à nouveau, la composition du tribunal n’était pas conforme à la loi.

2.9À une date non précisée, l’auteur a de nouveau fait appel devant la chambre pénale de la Cour suprême. Le 10 mars 2005, la Cour suprême a confirmé le jugement de la juridiction inférieure en partie (elle a modifié la référence de la juridiction inférieure aux infractions cumulées à l’article 69 (par. 3 à 5) du Code pénal). Les arrêts de la Cour suprême du 22 janvier 2004 et du 10 mars 2005 ont été rendus par les mêmes juges, ce qui, de l’avis de l’auteur, constitue une violation de la législation nationale.

2.10Le 15 mai 2006, puis le 9 mars 2011, le 5 mai 2011 et le 28 février 2012, l’auteur a fait appel de la décision du 10 mars 2005 auprès du Président de la Cour suprême dans le cadre de la procédure de contrôle, mais tous ces recours ont été rejetés.

2.11L’auteur est actuellement détenu dans le centre de détention no 18 de la localité de Kharp, dans l’arrondissement autonome des lamalo-Nenets. L’auteur et sa famille ont demandé à maintes reprises le transfert de l’auteur vers un centre de détention à Irkoutsk, car pour ses proches, le long voyage d’Irkoutsk à Kharp pour lui rendre visite est à la fois difficile et trop coûteux. Le 14 août 2012 par exemple, l’auteur a fait une demande en ce sens au tribunal du district Zamoskvoretsk, qui l’a rejetée le 27 novembre 2012. Le tribunal de district a déclaré que la possibilité de voir les membres de la famille ne dépendait pas de l’emplacement de l’établissement de détention.

2.12Le 27 mai 2013, l’auteur a formé un recours auprès du tribunal municipal de Moscou, mais celui-ci est resté sans réponse malgré les plaintes qu’il a adressées par la suite à la Cour suprême. Le 8 août 2014, l’auteur a finalement reçu une décision du tribunal du district Zamoskvoretsk, datée du 28 mars 2014, l’informant que son recours avait été rejeté. L’auteur souligne que les condamnés à la réclusion à perpétuité ont le droit, après dix ans d’emprisonnement, de passer des appels téléphoniques, à condition d’être transféré d’un centre de détention à régime strict à un établissement pénitentiaire à régime général. Cependant, bien qu’il ait déjà purgé seize ans de sa peine, il est toujours détenu dans un centre à régime strict et demeure privé de son droit de passer des appels téléphoniques.

2.13L’auteur indique également que, lors de l’audience de la chambre pénale de la Cour suprême le 22 janvier 2004, il n’a pas été autorisé à se faire représenter par un avocat. Le 12 décembre 2011, l’auteur a formé un recours auprès de la Cour suprême, faisant valoir que la décision que celle-ci avait rendue le 22 janvier 2004 devrait être annulée en raison de la violation de son droit d’être représenté par un avocat commise lors de cette audience. Le 28 février 2012, la Cour suprême a rejeté le recours de l’auteur, au motif qu’un accusé devait demander à bénéficier d’une telle représentation avant l’audience. Le 7 octobre 2013, l’auteur a de nouveau fait appel de la décision de la Cour suprême mais il a été débouté. Il a également saisi le Bureau du Procureur général, qui a rejeté sa plainte le 14 octobre 2013, estimant qu’il appartenait à la Cour constitutionnelle de l’examiner quant au fond. Le 24 septembre 2013, l’auteur a donc saisi la Cour constitutionnelle, se plaignant que son droit constitutionnel à la défense avait été violé lors de l’audience de la chambre pénale de la Cour suprême du 22 janvier 2004. Le 21 novembre 2013, la Cour constitutionnelle a rejeté la plainte de l’auteur, au motif que le jugement avait été rendu et la condamnation prononcée avant le 8 février 2007.

2.14L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles. Il fait également valoir qu’il serait vain et inutile de saisir une instance administrative ou judiciaire quelle qu’elle soit.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte ont été violés en ce qu’il n’a pas été représenté par un avocat durant la procédure de cassation. Ce grief soulève également des questions au titre de l’article 14 (par. 3 d)).

3.2L’auteur affirme également que l’État partie a violé les droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte car, malgré le grave état de santé dans lequel il se trouvait et l’intervention chirurgicale complexe qu’il a subie, il a fait l’objet de pressions psychologiques et des mauvais traitements de la part de policiers alors qu’il se trouvait à l’hôpital, en 1999. En outre, pendant qu’il était incarcéré dans les centres de détention provisoire de Cheremkhovo, d’Irkoutsk et de Kutulik, l’auteur a été détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes. De plus, au centre de détention de Cheremkhovo, l’administration l’a privé de traitement médical.

3.3L’auteur prétend en outre qu’il y a eu violation de ses droits au titre de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il affirme que son arrestation à l’hôpital le 26 mai 1999 était illégale car les policiers n’ont pas présenté de mandat d’arrêt et ne l’ont pas informé de la durée de sa détention. Durant son séjour à l’hôpital, il était menotté à son lit et constamment sous la garde de policiers, qui l’ont forcé à signer des documents de procédure et des protocoles importants et à renoncer à son droit d’être assisté d’un avocat.

3.4En ce qui concerne l’article 14 (par. 1 et 3 c), e) et g)) du Pacte, l’auteur fait valoir que l’enquête a été prolongée de manière injustifiée et qu’il a été traduit en justice trois ans après le jour de son arrestation. Les audiences ont toutes été entachées de violations des règles de procédure (le même collège de juges a siégé en première et deuxième instance et, à chacune des audiences, la composition du tribunal était contraire à la loi). L’enquêteur chargé de l’affaire pénale concernant l’auteur, E. V., était un proche parent de l’une des victimes. Toutes les requêtes et demandes faites par l’auteur aux différentes instances ont été rejetées de manière injustifiée, et sa demande d’expertise médico-légale et ses demandes visant à ce que certains témoins soient cités à comparaître ont été rejetées. Par exemple, un examen médico-légal de sa blessure par balle aurait permis d’écarter les accusations fondées sur l’article 317 du Code pénal. En outre, l’auteur affirme que, pendant la poursuite, il ignorait que ceux qui tiraient sur lui étaient des policiers, car les véhicules étaient banalisés, et que le tribunal aurait donc dû écarter les accusations fondées sur l’article 317 du Code pénal.

3.5L’auteur prétend également que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 23 du Pacte car il est privé de la possibilité de passer des appels téléphoniques et de voir les membres de sa famille, et la séparation est également source de souffrances pour ces derniers.

3.6L’auteur prétend qu’il a été l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe et l’âge, en violation de l’article 26 du Pacte, car les femmes, les mineurs et les personnes âgées de plus de 65 ans, par exemple, bénéficient d’un certain nombre de privilèges en cas de condamnation pénale ; ils ne peuvent pas être condamnés à la réclusion à perpétuité, par exemple.

3.7Enfin, l’auteur prie le Comité de demander à l’État partie d’annuler les « décisions de justice illégales » prises à son encontre et de l’indemniser à hauteur de 3 millions de dollars des États-Unis pour le préjudice moral qu’il a subi de son fait.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 6 mai 2016, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Il fait observer que, conformément à l’article 96 c) de son règlement intérieur, le Comité doit s’assurer que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. Il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

4.2L’État partie prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles ses conditions de détention dans les différents centres de détention provisoire où il a séjourné ont constitué une violation de ses droits au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte. Toutefois, l’auteur a saisi le Comité au sujet de ses conditions de détention en décembre 2010, soit six ans après les événements relatés dans la communication, et il n’explique pas les raisons de ce retard. La communication de l’auteur doit donc être considérée comme un abus du droit de présenter une communication pour ce qui est des griefs qu’il soulève au titre des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

4.3En outre, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que l’auteur a épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts. L’auteur se plaint que l’État partie a violé son droit à être entendu par un tribunal établi par la loi, conformément à l’article 14 du Pacte (en ce qui concerne le jugement rendu le 10 décembre 2002). Ce grief n’a toutefois pas été soulevé dans le recours en cassation formé par l’auteur. Celui-ci n’a donc pas épuisé les voies de recours internes. L’auteur dénonce également des violations de son droit à être entendu par un tribunal établi par la loi concernant le jugement du 18 septembre 2004, mais, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 10 mars 2005 de la Cour suprême, il n’en a pas fait état dans son recours en cassation.

4.4Concernant le grief selon lequel la composition des tribunaux était contraire à la loi, l’État partie relève également que l’auteur a saisi le Comité huit ans après le jugement de 2002 et six ans après le jugement de 2004, et qu’il n’a pas expliqué ce retard. Les allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie a violé son droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal établi par la loi devraient être déclarées irrecevables.

4.5L’article 14 (par. 7) du Pacte dispose qu’il est interdit de poursuivre et de punir une personne deux fois à raison de la même infraction. Ce principe s’applique, par exemple, lorsqu’une affaire est examinée par un tribunal civil ; la même affaire ne peut être ensuite examinée par un tribunal militaire ou un tribunal spécial. L’article 14 (par. 7) n’interdit cependant pas la tenue d’un nouveau procès lorsque l’intéressé a été condamné par contumace ou lorsqu’il a demandé la tenue d’un nouveau procès. Le Comité considère lui aussi, au paragraphe 56 de son observation générale no 32 (2007), que l’interdiction énoncée à l’article 14 (par. 7) ne s’applique pas dans le cas où une juridiction supérieure annule la déclaration de culpabilité et ordonne un nouveau procès.

4.6Le 22 janvier 2004, la chambre pénale de la Cour suprême a décidé d’annuler une partie de la décision du tribunal régional d’Irkoutsk. L’affaire a été renvoyée devant le même tribunal mais devait être examinée par un collège de juges distinct. Le 18 septembre 2004, le tribunal régional d’Irkoutsk a déclaré l’auteur coupable et l’a condamné à la réclusion à perpétuité. Par conséquent, le grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 7) est infondé et devrait être déclaré irrecevable.

4.7Par ailleurs, l’article 14 garantit les droits à l’égalité procédurale et à un procès équitable. En règle générale, on considère que les juridictions des États procèdent à une appréciation appropriée des faits et des éléments de preuve, ou de la bonne application de la législation nationale, à moins qu’il ne soit prouvé que cette appréciation est manifestement arbitraire, qu’elle a entraîné un déni de justice ou a abouti à une erreur manifeste, ou que les tribunaux ont manqué d’une autre manière à leur obligation de demeurer indépendants et impartiaux. Dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’affaire Mostipan v. Russia, la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré qu’elle ne pouvait pas apprécier si les preuves en question avaient été obtenues en violation des règles de procédure et si elles auraient dû être admises devant un tribunal. Selon l’État partie, la Cour européenne des droits de l’homme doit uniquement répondre à la question de savoir si le procès, de manière générale, a été mené de manière équitable.

4.8Rien dans la communication n’indique que l’appréciation des éléments de preuve ait été arbitraire ou que les tribunaux aient manifestement commis une erreur ou encore que le procès ait été inéquitable. La communication doit donc être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.9Le 11 juillet 2016, l’État partie a également présenté ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que, dans les procédures de cassation et de contrôle, les tribunaux ont examiné avec soin les éléments de preuve et l’application des dispositions du Code de procédure pénale, et n’ont constaté aucune violation. Dans sa communication, l’auteur se plaint que l’enquêteur chargé de l’affaire, E. V., était parent avec l’une des victimes, O. R. Il a été établi qu’E. V. était effectivement cousin au deuxième degré d’O. R., mais on n’a découvert que plus tard que E. V. n’avait pas enquêté sur l’affaire concernant O. R.

4.10Il ressort des archives que l’auteur a été arrêté le 3 juin 1999 parce qu’il était soupçonné d’avoir pris part à la tentative de meurtre sur la personne de trois policiers : A. B., D. G. et O. R. L’auteur a été informé de ses droits en garde à vue, ce que confirme sa signature. Le jugement du tribunal en date du 10 décembre 2002 confirme qu’il n’y a pas eu de violations substantielles des droits de l’auteur pendant les interrogatoires. L’auteur a notamment été informé de son droit à la défense. Il a signé un document dans lequel il renonçait à être assisté d’un avocat. Selon les dispositions du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque, la participation d’un avocat de la défense n’était pas obligatoire.

4.11Comme l’a confirmé la chambre pénale de la Cour suprême le 22 janvier 2004, le collège de juges a convenablement apprécié les déclarations des témoins et des accusés. La Cour suprême a conclu que ces déclarations devaient être admises car les interrogatoires avaient été menés conformément aux dispositions du Code de procédure pénale et une série d’actes d’enquête avaient été réalisés en présence d’avocats. La Cour a estimé qu’il n’y avait pas eu de violations susceptibles d’entraîner l’annulation de la déclaration de culpabilité.

4.12L’auteur prétend que l’arrestation de sa femme était un moyen de faire pression sur lui pour qu’il contresigne les procès-verbaux de l’enquête, ce qu’il a fait. Toutefois, dans son jugement du 10 décembre 2002, le tribunal a rejeté l’affirmation de l’auteur selon laquelle il avait subi des pressions physiques ou autres et qu’il s’était avoué coupable parce que les autorités avaient arrêté sa femme, G. A. V., et qu’il craignait pour la santé et le bien-être de celle-ci. G. A. V. a été condamnée à une peine de détention administrative, qu’elle a purgée du 27 au 31 mai 1999, alors que l’auteur a été arrêté le 3 juin 1999 seulement et a été interrogé le même jour, c’est-à-dire après que sa femme avait été libérée.

4.13En outre, la chambre pénale de la Cour suprême a confirmé, le 10 mars 2005, les conclusions de la juridiction inférieure en date du 18 septembre 2004.

4.14En ce qui concerne les conditions de détention, il ressort du jugement du tribunal du 10 décembre 2002 que le collège de juges n’a pas accordé foi à l’argument selon lequel les accusés avaient subi des pressions physiques. Plusieurs enquêteurs ont attesté que les accusés n’avaient subi aucune pression au cours de l’enquête et qu’ils avaient répondu à toutes les questions de leur plein gré. Le tribunal a également examiné les archives du centre de détention de Cheremkhovo et n’a pas trouvé trace d’une plainte quelconque de l’auteur. Dans son jugement du 18 septembre 2004, le tribunal a jugé sans fondement les allégations de l’auteur et de ses coaccusés selon lesquelles certains éléments de preuve auraient dû être déclarés irrecevables. Cela a également été confirmé le 15 mai 2006 dans la réponse du tribunal au recours formé par l’auteur dans le cadre de la procédure de contrôle.

4.15En ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles la composition du collège de juges était contraire à la loi, l’État partie fait valoir que l’affaire concernant l’auteur a été examinée par un juge professionnel et deux assesseurs non professionnels, ainsi que l’exigeait l’article 15 du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque. Comme il ressort de l’examen du dossier, les audiences concernant Oleg Vanteev et ses coaccusés ont commencé le 18 juin 2001 et le 26 juin 2002. L’article 15 du Code de procédure pénale prévoyait que les personnes accusées de crimes passibles d’une peine pouvant atteindre quinze ans ou plus, d’une peine de réclusion à perpétuité ou de la peine de mort devaient être examinées par un collège de trois juges professionnels. Conformément à la loi fédérale du 9 juillet 1998, cette disposition particulière du Code de procédure pénale relative à la composition des tribunaux était suspendue et n’était pas appliquée.

4.16L’affaire concernant l’auteur a donc été convenablement examinée par un juge professionnel et deux assesseurs non professionnels. Les assesseurs non professionnels ont participé aux audiences en vertu de l’ordonnance du Président de la Fédération de Russie du 25 janvier 2001 sur la prolongation du mandat des assesseurs non professionnels des tribunaux fédéraux de compétence générale de la Fédération de Russie. De plus, la Cour suprême, lorsqu’elle a examiné l’affaire le 22 janvier 2004, n’a pas constaté de violations des dispositions du Code de procédure pénale.

4.17L’État partie fait valoir en outre que la culpabilité de l’auteur a été établie par un tribunal, bien que l’auteur affirme le contraire. L’alibi de l’auteur a été examiné et il a été démontré qu’il n’était pas valable. Ces conclusions ont été corroborées par les déclarations des victimes et de témoins. L’auteur affirme que les véhicules de police qui les ont pris en chasse, ses coaccusés et lui, étaient banalisés et qu’ils ne pouvaient donc pas savoir qu’ils avaient affaire aux forces de l’ordre. Les déclarations des témoins et d’autres éléments de preuve montrent à l’évidence que l’auteur savait que le groupe avait été arrêté par des agents de la police de la route et qu’il avait tiré sur eux, ce qui constituait une infraction à l’article 317 du Code pénal.

4.18Le tribunal a également conclu que les agents des forces de l’ordre avaient fait un usage approprié de leurs armes de service car ils poursuivaient une bande armée et devaient assurer leur propre sécurité pendant la poursuite. Au cours de l’enquête, l’auteur et ses coaccusés ont déclaré qu’ils avaient prévu de voler du bétail et qu’ils avaient donc pris des armes avec eux. L’auteur a entendu que l’on chargeait une arme et, craignant qu’on lui tire dessus, a tiré deux coups de feu en direction des policiers. Le lendemain matin, plusieurs officiers ont reçu l’ordre de se rendre sur le lieu de l’accident, où ils ont retrouvé plusieurs corps ainsi que la voiture de police, gyrophare allumé.

4.19Conformément à l’article 378 du Code de procédure pénale, la chambre pénale de la Cour suprême a décidé, le 22 janvier 2004, d’annuler le jugement du 10 décembre 2002 et de renvoyer l’affaire devant le tribunal régional d’Irkoutsk afin que celle-ci soit réexaminée par un nouveau collège de juges. Cette décision concernait uniquement la déclaration de culpabilité de l’auteur concernant les accusations fondées sur l’article 317 du Code pénal. Il est incorrect d’affirmer qu’en raison de l’annulation partielle du jugement, l’auteur a été poursuivi une nouvelle fois.

4.20Le 5 mai 2004, le tribunal régional d’Irkoutsk a tenu une audience préliminaire afin d’examiner certaines questions de procédure, notamment la question de savoir si les accusés souhaitaient que l’affaire soit examinée par un juge professionnel et deux assesseurs non professionnels ou seulement par un juge. Il ressort clairement des archives que l’auteur et ses coaccusés, après avoir consulté leurs avocats, ont décidé d’opter pour la formation à juge unique, prévue à l’article 30 du Code de procédure pénale. D’autres griefs soulevés à ce sujet ont été rejetés dans le cadre de l’examen du recours en cassation le 10 mai 2005 ainsi que de la procédure de contrôle les 15 mai 2006, 7 avril 2011 et 28 février 2012.

4.21L’auteur se plaint également de ce que la déclaration de culpabilité et la condamnation du 18 septembre 2004 étaient plus sévères que celles du 10 décembre 2002 et ont aggravé sa situation. En effet, le jugement du 18 septembre 2004 fait référence au jugement du 10 décembre 2002 en ce que l’auteur avait déjà été déclaré coupable des infractions visées aux articles du Code pénal nos 162 (par. 3) (vol qualifié) et 209 (par. 1) (banditisme, appartenance à une bande), ainsi que d’autres infractions, pour lesquelles il avait été condamné à une peine d’emprisonnement. Lorsqu’il a examiné les accusations fondées sur l’article 317 du Code pénal, le tribunal a estimé que la mort de trois agents des forces de l’ordre constituait une circonstance aggravante, et a condamné l’auteur à la réclusion à perpétuité.

4.22En ce qui concerne les allégations formulées par l’auteur dans sa communication au sujet des conditions de sa détention durant l’enquête et au début de sa peine, l’État partie fait valoir que les droits et libertés des détenus sont protégés par les articles 45, 46 et 52 de la Constitution de la Fédération de Russie. L’auteur aurait pu porter plainte en vertu des dispositions de la loi no 103-FZ du 15 juillet 1995, mais il ne l’a pas fait. Il avait également le droit de saisir un tribunal. Il n’a pas fait mention de ces griefs dans les appels qu’il a formés contre les jugements du 10 décembre 2002 et du 18 septembre 2004. L’État partie conclut donc qu’il n’y a pas eu violation des droits que l’auteur tient du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1L’auteur a communiqué des réponses aux observations de l’État partie les 10 juillet, 9 août et 12 septembre 2016 et le 24 mai 2017. Pour expliquer la présentation tardive de sa communication, l’auteur indique que la décision de justice définitive concernant son affaire a été rendue le 10 mars 2005. La même année, l’auteur a déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme, mais celle-ci ne l’a informé de son irrecevabilité qu’au bout de trois ans. Après quoi, il a fallu à l’auteur plus d’un an pour réunir des documents supplémentaires et être en mesure de présenter la communication qui fait l’objet des présentes constatations.

5.2L’auteur dit que les autorités ont tout fait pour l’empêcher d’obtenir des copies des documents dont il avait besoin pour présenter sa communication. Cela explique qu’il ait eu du mal à fournir des documents complémentaires au Comité, notamment une copie de la décision de justice du 28 août 2014.

5.3L’État partie signale que, dans son recours en cassation, l’auteur n’a pas dénoncé de violation du droit, consacré par l’article 14 du Pacte, de faire entendre sa cause par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi. L’auteur répond à cela qu’il n’est pas juriste et qu’il n’a compris que tardivement l’existence de violations, une fois qu’il a pu étudier le Code de procédure pénale. En outre, l’auteur affirme que la Cour suprême, qui a examiné son recours en cassation, aurait dû désigner un avocat pour l’assister, conformément aux articles 50 à 52 du Code de procédure pénale. Selon l’auteur, un avocat l’aurait informé que la composition du tribunal était contraire à la loi. La participation d’un avocat est obligatoire dans de telles affaires. Pourtant, la Cour suprême ne lui a pas fourni d’assistance juridique.

5.4La chambre pénale de la Cour suprême, qui savait bien que la juridiction inférieure avait violé la loi, n’a pris aucune mesure pour remédier à la situation. Par conséquent, ni le jugement du 10 décembre 2002 ni celui du 18 septembre 2004 n’ont été rendus par un tribunal établi par la loi ainsi que l’exige la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. La Cour suprême n’a pas tenu compte de ces violations, ce qui explique pourquoi tout nouveau recours aurait été vain. À cet égard, la loi est claire : le cas de l’auteur aurait dû être examiné par un collège de trois juges professionnels, par un juge ou par un collège de 12 jurés. Par conséquent, un collège composé d’un juge professionnel et de deux assesseurs non professionnels n’était pas conforme.

5.5En outre, les jugements du 10 décembre 2002 et du 18 septembre 2004 concernent la même affaire pénale, ce qui constitue une violation des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 7) du Pacte. Dans le premier jugement, du 10 décembre 2002, l’auteur n’est pas considéré comme quelqu’un qui a déjà fait l’objet de condamnations, alors que dans le deuxième, datant du 18 septembre 2004, il est considéré comme une personne condamnée antérieurement, ce qui peut entraîner une condamnation plus lourde. L’auteur estime que cela constitue une violation de l’interdiction de punir deux fois une personne pour la même infraction. Le premier appel formé par l’auteur a entraîné l’annulation d’une partie seulement du jugement, et la condamnation de l’auteur à vingt-cinq ans d’emprisonnement a été confirmée. Lors de l’examen du second appel, les mêmes éléments de preuve ont été examinés et l’auteur a été considéré comme ayant déjà fait l’objet d’une condamnation, ce qui lui a valu d’être condamné à la réclusion à perpétuité. Les deux appels ont été examinés par le même collège de juges, ce qui est contraire à l’article 63 (par. 2) du Code de procédure pénale.

5.6L’auteur répète qu’il n’est pas coupable des crimes dont il a été accusé. Pour le prouver, il a réclamé le relevé de ses périodes d’emploi, afin de démontrer qu’il travaillait au moment où le crime a été commis. L’auteur ajoute qu’il est prouvé que la voiture de police impliquée dans la poursuite circulait sans gyrophare allumé.

5.7L’auteur affirme que les autorités, y compris les tribunaux, n’ont pas pris de mesures pour remédier au conflit d’intérêts tenant au fait que l’enquêteur, E. V., avait un lien de parenté avec une des victimes.

5.8Comme indiqué dans la lettre initiale, l’auteur affirme qu’il a été détenu de facto le 26 mai 1999, puisqu’il était menotté à son lit et qu’un policier montait la garde à tout moment. L’auteur affirme que sa femme a été arrêtée alors qu’elle était venue lui rendre visite à l’hôpital, et que son arrestation avait pour but de faire pression sur lui afin qu’il s’avoue coupable. L’auteur a soulevé ce grief devant le tribunal, mais celui-ci n’en a pas tenu compte. C’est à cause de ces pressions physiques et psychologiques que l’auteur a refusé l’assistance d’un avocat.

5.9L’auteur répète qu’il a été torturé pendant sa détention. Il en a fait état devant le tribunal en 2002 et a demandé que ses compagnons de cellule puissent témoigner des hématomes et autres lésions corporelles dont ils avaient été témoin, mais ses demandes ont été rejetées.

5.10L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours disponibles car il ne s’est pas plaint de ses conditions de détention et d’incarcération. L’auteur prétend que de telles plaintes auraient été vaines.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles en ce qui concerne le grief de violation de son droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi car il n’a pas soulevé ce grief dans son recours en cassation. Le Comité rappelle que l’article 5 (par. 2 b)) du Pacte lui interdit d’examiner une communication si tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, à moins que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. À cet égard, le Comité note que l’auteur affirme qu’il n’a pas été représenté lors des audiences en cassation et que les recours auraient été inutiles, comme il l’a montré en saisissant la Cour suprême et la Cour constitutionnelle de plusieurs plaintes sur ces questions par la suite. Eu égard à ces circonstances, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.4L’État partie prétend également que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes pour ce qui est de ses conditions de détention, notamment ses conditions d’incarcération, en violation de l’article 10 (par. 1) du Pacte, car il affirme qu’il n’a pas reçu de soins médicaux appropriés, que ses conditions de détention étaient mauvaises et qu’il est privé du droit de passer des appels téléphoniques aux membres de sa famille. Le Comité note que l’auteur se contente d’affirmer qu’il aurait été vain de soulever de tels griefs. Il rappelle sa jurisprudence, selon laquelle de simples doutes quant à l’utilité d’un recours interne ne dispensent pas l’auteur de l’obligation de l’épuiser. Dans les circonstances décrites, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes concernant les griefs relatifs à ses conditions de détention et d’emprisonnement, comme l’exige l’article 5 (par. 2 b)), et il les juge donc irrecevables.

6.5Le Comité note que l’État partie estime que la présente communication devrait être considérée comme un abus du droit de plainte au regard des dispositions du règlement intérieur. Il rappelle qu’il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard, compte tenu de toutes les circonstances de l’espèce. Le Comité note par ailleurs que l’auteur explique qu’il a d’abord soumis une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, et que ce n’est qu’après que celle-ci a rendu sa décision, le 16 novembre 2007, qu’il a saisi le Comité. En outre, le Comité note que l’auteur a déposé plusieurs plaintes, sur lesquelles la Cour suprême et la Cour constitutionnelle ont statué respectivement le 28 février 2012 et le 21 novembre 2013, examinant l’affaire au fond mais sans donner gain de cause à l’auteur. Compte tenu de toutes les circonstances de la communication, et considérant que l’article 96 c) du règlement intérieur s’applique aux communications reçues par le Comité à compter du 1er janvier 2012 et que la communication a été initialement reçue en 2010, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par l’article 3 du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.6Le Comité a pris note des griefs que l’auteur tire des articles 2 (par. 2 et 3), 7, 14 (par. 3 c) à e) et g)), 23 et 26 du Pacte. Toutefois, compte tenu de l’absence dans le dossier de tout autre renseignement pertinent, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. En outre, le Comité estime que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 14 (par. 1) concernant la composition des tribunaux, la participation d’assesseurs non professionnels aux audiences et la composition des collèges de juges dans le cadre de la procédure de recours en cassation. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les autres griefs qu’il tire des articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1 et 7) ; il les déclare recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief que l’auteur soulève au titre de l’article 9 (par. 1), à savoir qu’il a été détenu arbitrairement du 29 mai au 3 juin 1999, date à laquelle il a été officiellement arrêté en tant que suspect. Le Comité prend note des affirmations de l’auteur selon lesquelles il était menotté à son lit et un policier montait la garde en permanence. Le Comité rappelle qu’il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale. L’article 9 du Pacte dispose que nul ne peut être privé de liberté si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Compte tenu de la description que l’auteur a fait de sa détention à l’hôpital, du fait que ses déplacements étaient limités à l’intérieur de l’hôpital et qu’il n’était pas libre d’en sortir, et en l’absence de toute explication pertinente de la part de l’État partie, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 1) du Pacte ont été violés.

7.3Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel la deuxième audience du tribunal, qui a débouché sur le jugement du 18 septembre 2004, a sensiblement alourdi sa peine par rapport à celle prononcée initialement le 10 décembre 2002. Le Comité note qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce. Dans la présente affaire, le Comité observe que, le 22 janvier 2004, la Cour suprême a décidé d’annuler une partie du jugement rendu à l’encontre de l’auteur et de renvoyer l’affaire pour un nouvel examen, notant que la juridiction inférieure n’avait pas envisagé la réclusion à perpétuité comme une peine applicable. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la peine prononcée contre l’auteur a été alourdie parce que le tribunal a considéré que la mort de trois policiers constituait une circonstance aggravante (voir par. 4.21 ci‑dessus). Le Comité estime que ces procédures étaient conformes à la législation nationale, qui prévoit la possibilité d’un réexamen des décisions d’un tribunal par une juridiction supérieure. Le Comité conclut donc que les faits exposés par l’auteur ne font pas apparaître de violations des droits garantis par l’article 14 (par. 1 et 7), pour ce qui est de l’aggravation de sa peine.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteur une réparation appropriée pour les violations qu’il a subies. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir partager le raisonnement du Comité qui l’a amené à constater une violation par l’État partie des droits de l’auteur au titre de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

2.Le Comité est arrivé à cette conclusion en s’appuyant principalement sur les griefs que tire l’auteur du fait qu’il a été détenu arbitrairement du 29 mai au 3 juin 1999, date à laquelle il a été arrêté officiellement en tant que suspect, qu’il était menotté à son lit et qu’un policier montait la garde à tout moment, en conséquence de quoi ses déplacements étaient limités à l’intérieur de l’hôpital et il n’était pas libre d’en sortir (par. 7.2). Au bout du compte, le Comité a estimé que l’État partie n’avait pas répondu à ces allégations.

3.L’auteur n’est pas représenté par un conseil dans la procédure devant le Comité. La plupart de ses allégations ont été jugées irrecevables, soit, en ce qui concerne ses conditions de détention et d’emprisonnement, pour non-épuisement des recours internes (par. 6.4), soit, en ce qui concerne les violations alléguées des articles 2 (par. 2 et 3), 7, 14 (par. 1 et 3 c) à e) et g)), 23 et 26 du Pacte, parce que ses griefs n’étaient pas suffisamment étayés (par. 6.5). En outre, le Comité n’a pas considéré que les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1 et 7) du Pacte, concernant la peine plus sévère prononcée à son encontre le 18 septembre 2004, faisaient apparaître une violation de ses droits (par. 7.3). La question qui se pose est donc de savoir si les allégations de l’auteur au titre de l’article 9 (par. 1) sont crédibles. Bien que le Comité le pense, je ne suis pas du même avis.

4.Le 10 décembre 2002 et le 18 septembre 2004, le tribunal régional d’Irkoutsk a déclaré l’auteur coupable des infractions graves visées aux articles du Code pénal nos 158 (par. 2) (vol répété en réunion), 162 (par. 3) (vol avec violence en bande organisée), 209 (par. 1) (constitution d’un groupe armé dans le but d’attaquer des individus ou des organisations), 222 (par. 1) (acquisition, transfert, vente, stockage, transport ou port illégaux d’armes à feu, de munitions ou d’explosifs) et 317 (mise en danger de la vie d’un agent de la force publique) (par. 2.6 et 2.8), et l’a condamné à la réclusion à perpétuité (par. 4.21). La Cour suprême a confirmé le jugement de la juridiction inférieure le 10 mars 2005 (par. 2.9 et 4.13).

5.La culpabilité de l’auteur, bien qu’il prétende le contraire, a été établie par un tribunal, et il a été démontré que l’alibi que l’auteur dit avoir n’était pas valable. Ces conclusions ont été corroborées par les déclarations des victimes et de témoins. Les témoignages et d’autres éléments de preuve montrent clairement que l’auteur savait qu’il était pourchassé par un véhicule de police, lequel était identifiable en tant que tel (son gyrophare était encore allumé le lendemain matin de la fusillade), qu’il a été arrêté par des agents de la police de la route et il a donc tiré sur eux en toute connaissance de cause (par. 4.17 et 4.18).

6.L’auteur prétend avoir été détenu arbitrairement à l’hôpital du 26 mai au 3 juin 1999. Toutefois, il venait d’être blessé par balle et souffrait d’une blessure grave, qui a nécessité une intervention chirurgicale, pratiquée dans le service de soins intensifs d’un hôpital (par. 2.1). Il n’était donc pas officiellement détenu par les forces de l’ordre à ce moment-là, mais avait simplement été admis à l’hôpital pour des raisons médicales, et était sous surveillance policière en raison de la gravité des infractions qu’il était soupçonné d’avoir commises. En outre, son état de santé, du fait de l’opération délicate qu’il avait subie, l’empêchait de se déplacer librement dans l’hôpital. L’auteur lui-même indique que, le 8 juin 1999, lorsqu’il a été conduit dans un centre de détention provisoire de la ville de Cheremkhovo, il était encore en mauvais état de santé (par. 2.3).

7.L’auteur n’a donc été arrêté officiellement que le 3 juin 1999, lorsque son état de santé a permis qu’il soit officiellement placé en détention. Ce raisonnement semble être la base implicite des observations de l’État partie sur le fond concernant cette question (voir en particulier les paragraphes 4.10 et 4.12), et celui-ci indique systématiquement que l’arrestation de l’auteur a eu lieu le 3 juin 1999, et qu’avant cette date, l’auteur séjournait à l’hôpital en tant que patient.

8.L’auteur est seul à avoir indiqué qu’il avait été menotté à son lit, et cette déclaration doit être prise avec précaution, puisque, comme indiqué précédemment, il se remettait d’une opération délicate (il venait d’être grièvement blessé par balle) et faisait l’objet d’une surveillance médicale constante. À cet égard, l’État partie a systématiquement renvoyé aux conclusions des juridictions nationales, qui ont chaque fois confirmé l’absence de violation des droits de l’auteur ou des garanties d’une procédure régulière (par. 4.8 à 4.14). L’État partie a également noté que les griefs soulevés par l’auteur au sujet de ses conditions de détention ne figuraient pas parmi les griefs examinés dans les jugements du 10 décembre 2002 et du 18 septembre 2004 (par. 4.22).

9.Il semble donc que l’auteur n’ait pas été détenu arbitrairement du 29 mai au 3 juin 1999, car il se trouvait alors à l’hôpital, où il avait été admis et avait subi une opération chirurgicale, et il n’était pas sous la garde officielle des forces de l’ordre, mais seulement sous leur surveillance. L’arrestation officielle a eu lieu le 3 juin 1999, comme l’indique l’État partie. J’aurais donc conclu à l’absence de violation des droits reconnus à l’auteur par l’article 9 (par. 1) du Pacte.