Nations Unies

CCPR/C/128/D/2815/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 mai 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2815/2016 * , **

Communication présentée par :

Y.Sh. (représenté par un conseil, Sergey Poduzov).

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie.

Date de la communication :

15 avril 2016 (date de la lettre initiale).

Références :

Décision prise par le Rapporteur en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 septembre 2016 (non publiée sous forme de document).

Date de la décision :

13 mars 2020.

Objet :

Absence d’enquête efficace sur le meurtre de la fille de l’auteur ; impossibilité de consulter le dossier de l’enquête.

Questions de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs.

Questions de fond :

Droit à la vie ; immixtion illégale dans la vie privée et la vie de famille ; droit d’accès à l’information.

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 17 et 19 (par. 2).

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b)).

1.L’auteur de la communication est Y.Sh., père de la défunte N.Sh.. Il affirme que la Fédération de Russie a violé les droits que sa fille tenait de l’article 6, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, ainsi que les droits qu’elle tenait des articles 17 et 19 (par. 2) du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil, Sergey Poduzov. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 1er mars 2009, dans la ville de Novy Urengoy, lors d’une fusillade entre groupes criminels, la fille de l’auteur a accidentellement reçu une balle dans la poitrine. Elle est décédée des suites de cette blessure le jour même, à l’hôpital municipal central. L’auteur soutient que cet événement a découlé directement de l’incapacité des autorités locales de contrôler les groupes criminels qui sévissaient dans la ville. Cette situation était bien connue en 2009. Les activités illégales se sont poursuivies pendant une bonne partie de 2010. L’auteur affirme également que le personnel médical a mis dix minutes à admettre sa fille blessée à l’hôpital, alors que selon la réglementation nationale, il aurait dû réagir immédiatement dans un cas aussi grave. L’auteur soutient que le retard dans la prise en charge a été l’une des causes du décès de sa fille.

2.2Le 1er mars 2009, une enquête pénale a été ouverte au sujet du décès de Mme Sh. Elle a été suspendue à trois reprises en 2009 et 2010, en raison de l’impossibilité d’identifier un suspect, mais elle a chaque fois repris par la suite. Après avoir repris le 15 avril 2010, elle a été suspendue le 20 février 2011 et l’est encore à ce jour.

2.3En décembre 2013, sur la base de l’article 125 du Code de procédure pénale, l’auteur a saisi le tribunal municipal de Novy Urengoy pour se plaindre de l’inaction du service d’enquête de la ville et de la durée très longue de l’enquête. L’auteur alléguait qu’il n’avait pas été informé de la suspension de l’enquête le 20 février 2011 et qu’un certain nombre de devoirs d’enquête n’avaient pas été réalisés. Le 21 février 2014, le tribunal municipal a débouté l’auteur, jugeant que toutes les actions possibles dans le cadre d’une enquête en l’absence de suspect avaient été dûment menées et que les autorités n’avaient pas fait traîner l’enquête. Il a rejeté les propositions de l’auteur quant aux devoirs d’enquête car un juge ne saurait dicter aux autorités chargées d’une enquête les mesures qu’elles doivent prendre.

2.4À une date non précisée, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal municipal de Novy Urengoy devant le tribunal du district autonome de Iamalo-Nénétsie. Son appel a été rejeté le 5 mai 2014. Toujours à une date non précisée, l’auteur a formé un recours en cassation devant le même tribunal. Le 27 octobre 2014, un juge du tribunal du district autonome de Iamalo-Nénétsie a refusé de soumettre le recours à l’examen du tribunal. Il a fait observer que les autorités chargées de l’enquête n’avaient pas enfreint les règles de procédure pendant l’enquête et que le fait qu’elles n’avaient pas informé l’auteur de la suspension de l’enquête le 20 février 2011 ne pouvait pas, en soi, conduire à conclure à l’illégalité de la décision de suspension. Le juge a en outre conclu que le tribunal ne pouvait pas imposer sa volonté aux autorités chargées de l’enquête s’agissant des mesures et décisions à prendre. À une date non précisée, l’auteur a saisi la Cour suprême d’un recours en cassation. Le 20 mars 2015, un juge de la Cour suprême a refusé de soumettre le recours à l’examen de la Cour.

2.5Le 9 avril 2015, conformément à l’article 42 du Code de procédure pénale, l’auteur a demandé au service d’enquête de la ville de Novy Urengoy de lui fournir des copies de tous les examens médico-légaux concernant la mort de sa fille, des copies de tous les interrogatoires et auditions et des copies de toutes les perquisitions et saisies relatives aux faits.

2.6Le 18 mai 2015, le service d’enquête a répondu que l’auteur avait le droit d’étudier en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant le dossier des devoirs d’enquête auxquels il avait participé, ainsi que d’étudier la demande d’expertise et les rapports des experts, et de faire des copies des documents sur ses appareils électroniques personnels. Le 9 juillet 2015, l’auteur, sur la base de l’article 125 du Code de procédure pénale, a fait appel devant le tribunal municipal de Novy Urengoy de la décision du service d’enquête. Il a fait valoir que son lieu de résidence habituel se situait à 3 000 kilomètres du bureau du service d’enquête, et qu’il était de ce fait impossible qu’il vienne en personne étudier les pièces du dossier et faire des copies des documents. Il n’était pas non plus en mesure d’engager un représentant.

2.7Le 26 août 2015, le tribunal municipal de Novy Urengoy a débouté l’auteur. Il a jugé que l’article 161 du Code de procédure pénale interdisait aux parties à une procédure judiciaire de divulguer des données relatives à une enquête préliminaire. Il a considéré que, puisque l’auteur n’avait pas signé d’accord de non-divulgation conformément à l’article 310 du Code pénal, le fait de lui envoyer les documents par courrier postal ordinaire pouvait conduire à la divulgation d’informations concernant l’enquête. Le 18 octobre 2015, l’auteur a fait appel devant le tribunal du district autonome de Iamalo-Nénétsie ; il a été débouté le 25 novembre 2015. Ce tribunal a jugé que le droit de la procédure pénale n’obligeait pas les autorités chargées de l’enquête à envoyer à l’auteur par la poste les informations demandées par celui-ci et que leur refus d’envoyer ces informations n’empêchait pas l’auteur d’exercer son droit d’obtenir les informations en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant directement au bureau du service chargé de l’enquête.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits que sa fille tenait de l’article 6, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et ce, pour différentes raisons. Premièrement, l’État partie avait les moyens et la possibilité de protéger sa fille, mais ne l’a pas fait. Deuxièmement, le personnel médical de l’hôpital public n’a pas réagi assez rapidement quand sa fille a été amenée en urgence après la fusillade. Troisièmement, l’État partie n’a pas mené d’enquête efficace sur la mort de sa fille.

3.2L’auteur soutient que le refus de l’État partie de lui fournir des informations sur l’enquête l’a empêché de se familiariser avec la procédure d’enquête et de savoir ce qui était arrivé à sa fille. Ce refus a ainsi constitué une immixtion illégale dans sa vie privée et sa vie de famille, en violation de l’article 17 du Pacte. Il a aussi constitué une violation du droit de recevoir des informations qui lui est garanti par l’article 19 (par. 2).

3.3Sur la base de ces arguments, l’auteur demande qu’une enquête efficace soit menée et qu’il soit indemnisé pour les violations dont il a été victime.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par note verbale datée du 8 décembre 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication. Il a indiqué que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes et que ses griefs étaient dès lors irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.2L’État partie fait valoir qu’en vertu de l’article 401 (par. 2) du Code de procédure pénale, l’auteur pouvait saisir la Cour suprême d’un recours en cassation. L’auteur n’a pas utilisé ce recours contre la décision rendue par le tribunal municipal de Novy Urengoy le 26 août 2015.

4.3En vertu de l’article 401 (par. 3) du Code de procédure pénale, l’auteur pouvait interjeter appel auprès du Président ou du Vice-Président de la Cour suprême de la décision par laquelle un juge de cette même cour avait refusé, le 20 mars 2015, de soumettre son recours en cassation à l’examen de la Cour. L’auteur ne l’a pas fait et n’a donc pas épuisé tous les recours internes dont il disposait.

4.4L’État partie affirme en outre que le refus des autorités chargées de l’enquête d’envoyer par la poste les documents d’enquête demandés ne constitue ni une immixtion illégale dans la vie privée et la vie de famille de l’auteur, ni une violation de sa liberté d’expression. Les griefs que soulève l’auteur sont incompatibles avec les dispositions du Pacte et sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. En outre, l’auteur n’a pas soulevé ces griefs devant les juridictions internes et n’a donc pas épuisé les recours internes comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 27 février 2017, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il soutient que le recours en cassation prévu à l’article 401 (par. 2 et 3) du Code de procédure pénale n’est pas un recours utile qui doit être épuisé avant la saisine du Comité. Il renvoie à la décision par laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a jugé, dans l’affaire Kashlan c. Russie, que le recours en cassation ne constituait pas un recours utile. Il s’appuie également sur sa propre expérience concernant sa plainte pour absence d’enquête efficace, dans le cadre de laquelle il a introduit un recours en cassation auprès de la Cour suprême mais l’un des juges de la Cour a refusé de soumettre son recours à l’examen. Il argue que, même si le recours en cassation devait être examiné par la Cour, celle-ci ne réexamine pas les décisions des juridictions inférieures sur le fond.

5.2L’auteur soutient en outre qu’il a invoqué le droit à la vie privée et à la vie de famille qu’il tient de l’article 17 et le droit de recevoir des informations qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte dans la demande d’informations qu’il a adressée au service d’enquête puis devant les juridictions, et qu’il a par conséquent bien étayé ses allégations et épuisé les recours internes y relatifs.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 18 avril 2017, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication. Selon l’État partie, la fille de l’auteur a été blessée au cours d’une fusillade liée au partage de zones d’influence entre groupes criminels alors qu’elle se déplaçait dans un véhicule avec B. et M., deux hommes membres d’un groupe criminel ethnique. Elle est morte à l’hôpital la nuit même, des suites de ses blessures.

6.2Une enquête pénale a révélé 30 impacts de balles à l’arrière de la voiture. Les balles prélevées sur le corps de la fille de l’auteur ont été analysées et enregistrées au centre d’expertise criminelle du Ministère de l’intérieur. Une autopsie du corps de Mme Sh. a été réalisée. Des essais techniques explosifs ainsi que des tests balistiques, tracéologiques, médico-légaux, dactyloscopiques, biologiques et génétiques ont été effectués. Les enregistrements vidéo des caméras de surveillance d’un café où la fille de l’auteur, B. et M. s’étaient trouvés avant l’accident ont été visionnés. Un grand nombre de perquisitions ont été menées et ont abouti à la saisie d’armes à feu, de munitions et d’une grenade F-1.

6.3Au cours de l’enquête, 90 personnes environ ont été interrogées et des perquisitions ont été menées dans six immeubles des environs. Des témoins ont été identifiés. Des propriétaires de voitures semblables à la voiture de l’accident ont été entendus et leur lien éventuel avec le crime a été vérifié. Les autorités chargées de l’enquête ont envoyé au service de police de Novy Urengoy plus de 20 instructions concernant des mesures d’enquête à effectuer. Des renseignements fournis par les opérateurs téléphoniques concernant tous les abonnés présents sur les lieux du crime ont été obtenus et analysés. D’autres actions liées à l’enquête ont été menées. L’auteur a obtenu le statut de victime dans cette affaire.

6.4 Malgré ces démarches, les responsables du crime n’ont pas été identifiés. Le 20 février 2011, tous les devoirs d’enquête possibles en l’absence de suspect ayant été effectués, le service de Novy Urengoy chargé de l’enquête a décidé de la suspendre. Cette décision a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. L’auteur a demandé aux juridictions d’ordonner l’exécution d’un certain nombre de mesures d’enquête, mais ses recours en cassation ont été rejetés. Dans ces conditions, aucune action ne s’impose aujourd’hui pour les autorités chargées des poursuites. La décision de suspendre l’enquête, prise le 20 février 2011, pourrait être revue si de nouvelles informations importantes apparaissaient. Et ce, parce que l’enquête n’a pas été clôturée (simplement suspendue) et qu’un certain nombre de mesures d’enquête se poursuivent en vue d’identifier les suspects. La supervision de l’enquête est assurée par un procureur.

6.5L’État partie rappelle que l’auteur n’a pas formé de recours en cassation contre le refus de lui transmettre le dossier de l’enquête. Il conclut qu’il n’y a pas eu violation des droits de l’auteur dans la présente communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 5 juin 2017, l’auteur a présenté ses observations sur le fond. Il fait remarquer que les observations de l’État partie ne concernent que ses griefs au regard de l’article 6, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et il ne partage pas la conclusion de l’État partie selon laquelle il n’y a pas eu violation de ses droits.

7.2L’auteur rappelle le grief qu’il tire de l’article 6 du Pacte, à savoir que l’État partie disposait des moyens nécessaires pour empêcher la mort de sa fille en créant un environnement sûr dans la ville et en protégeant tous les citoyens des groupes criminels, ce qu’il n’a pas fait. L’auteur soutient aussi qu’une enquête qui a duré vingt-quatre mois, de mars 2009 à février 2011, sans aboutir à un résultat ne saurait être qualifiée d’efficace. Il allègue que sans les demandes qu’il a adressées au bureau du procureur, aux autorités chargées de l’enquête et au tribunal, de nombreuses mesures d’enquête n’auraient pas été prises.

7.3L’auteur constate que l’État partie n’a pas présenté d’observations concernant les griefs qu’il soulève au titre des articles 17 et 19 (par. 2) du Pacte et rappelle lesdits griefs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes concernant les griefs qu’il soulève au titre de l’article 6, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, au sujet de l’efficacité de l’enquête menée sur le meurtre de sa fille, car il n’a pas interjeté appel auprès du Président ou du Vice‑président de la Cour suprême de la décision rendue le 20 mars 2015 par un juge de cette même cour. Selon l’État partie, l’auteur n’a pas non plus épuisé les recours internes concernant sa demande d’obtenir le dossier de l’enquête parce qu’il n’a pas formé de recours en cassation. Le Comité relève par ailleurs l’argument de l’auteur selon lequel les recours en cassation ne sont pas considérés comme des recours internes devant être épuisés aux fins de la recevabilité.

8.4Le Comité observe que la procédure de recours en cassation prévue à l’article 401 (par. 2) du Code de procédure pénale concerne le réexamen, sur des points de droit uniquement, de décisions judiciaires passées en force de chose jugée. La décision de renvoyer ou non une affaire devant la cour de cassation est de nature discrétionnaire et est prise par un juge unique. Le Comité déduit de cet élément que le recours en cassation revêt les aspects d’un recours extraordinaire. L’État partie doit donc montrer qu’il y a des chances raisonnables qu’une telle demande assurerait un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’absence de toute clarification de l’État partie sur l’efficacité de la procédure de recours en cassation dans des affaires semblables, le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 6, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui soutient que l’État partie a violé les droits de sa fille parce qu’il n’a pas été en mesure d’assurer une situation générale de sécurité dans la ville et d’empêcher qu’elle soit tuée. Le Comité renvoie à son observation générale no 36 (2018) sur le droit à la vie et observe que les États parties ont l’obligation de respecter ce droit. Non seulement ils ont l’obligation de s’abstenir de tout comportement qui aboutirait à une privation arbitraire de la vie du fait de représentants de l’État, mais ils doivent également exercer la diligence voulue pour protéger la vie humaine contre toute atteinte de la part de particuliers ou d’entités dont le comportement n’est pas imputable à l’État. Cependant, le Comité observe que cette disposition ne peut imposer une charge irréaliste ou disproportionnée aux autorités. Ainsi, l’on ne peut s’attendre à ce que l’obligation positive d’un État partie de prévenir la privation de la vie du fait d’un particulier aille au-delà de l’adoption d’un indispensable cadre de droit pénal que dans le cas de « menaces et situations mettant la vie en danger raisonnablement prévisibles qui peuvent aboutir à la perte de la vie » (par. 7). En l’espèce, le Comité remarque que l’auteur ne dit pas que les autorités détenaient des informations précises sur une fusillade prévue, qui aurait accidentellement causé la mort de sa fille ; il n’a pas non plus montré que l’anarchie et la violence dans la ville atteignaient de tels niveaux qu’ils exposaient tous les habitants à un risque réel pour leur vie. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les griefs que l’auteur tire de l’article 6 ne sont pas étayés et sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle le personnel de l’hôpital municipal a violé l’article 6 du Pacte en ne prenant pas sa fille en charge avec l’urgence nécessaire. Il observe que l’auteur n’a pas donné suffisamment de précisions sur cette partie de son grief et la juge insuffisamment étayée et donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité observe que, selon l’auteur, l’enquête sur la mort de sa fille a été inefficace et contraire aux droits garantis par l’article 6, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Il remarque aussi que l’enquête a été ouverte le jour de l’accident, le 1er mars 2009, et que de nombreuses mesures d’enquête ont été mises en œuvre avant que la décision de suspendre l’enquête en l’absence de suspect ne soit finalement prise, le 20 février 2011. Le Comité constate que l’auteur a obtenu le statut de victime dans cette affaire et qu’il a participé à l’enquête. Il constate également que le grief de l’auteur selon lequel l’enquête était inefficace a été examiné par les tribunaux, qui ont conclu que tous les actes de procédure possibles en l’absence de suspect avaient été réalisés. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités et aux tribunaux de l’État partie d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. En l’espèce, le Comité fait observer que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’enquête a été exceptionnellement longue ni qu’elle a manqué de transparence, d’indépendance ou d’impartialité. Il déclare donc cette partie de la communication insuffisamment étayée et irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité prend note du grief de l’auteur selon qui l’État partie, en refusant de lui envoyer le dossier de l’enquête, l’a privé d’informations au sujet de l’enquête relative au meurtre de sa fille, ce qui constitue une immixtion illégale dans sa vie de famille et sa vie privée, en violation de l’article 17 du Pacte. En l’absence d’autres renseignements pertinents pour expliquer le lien entre les faits de l’enquête et les intérêts juridiques protégés par l’article 17, le Comité juge ce grief insuffisamment étayé et irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 19 (par. 2) du Pacte, le Comité note que l’État partie considère qu’il est sans rapport avec le Pacte. Le Comité observe toutefois que l’auteur invoque l’article 19 (par. 2) en lien avec son droit de recevoir des informations, qui est protégé par le Pacte. Il constate cependant que le refus des autorités chargées de l’enquête d’envoyer le dossier à l’auteur était accompagné d’informations selon lesquelles l’auteur pouvait faire des copies électroniques du dossier en personne ou par l’intermédiaire d’un représentant. L’auteur a répondu qu’il habitait à 3 000 kilomètres et n’était pas en mesure de venir en personne, et qu’il ne pouvait pas non plus désigner un représentant. Sur ce point, le Comité remarque que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi il ne pouvait pas désigner un représentant. Compte tenu du fait que l’accès au dossier de l’enquête n’a pas été refusé à l’auteur, mais qu’il était soumis à ce qui semble être des limitations raisonnables, le Comité considère que le grief que l’auteur tire de l’article 19 (par. 2) est insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité et est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.