Nations Unies

CCPR/C/127/D/2920/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2920/2016*,**

Communication présentée par :

Zinaida Mukhortova (représentée par un conseil, Anara Ibrayeva)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

23 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

28 octobre 2019

Objet :

Détention illégale et arbitraire ; traitement inhumain et dégradant ; liberté d’expression

Questions de procédure :

Fondement des griefs

Questions de fond :

Détention illégale et arbitraire ; traitements inhumains et dégradants ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

7, 9 et 14, lus seuls et conjointement avec l’article 2, et 18 et 19

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Zinaida Mukhortova, de nationalité kazakhe, née en 1957. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 7, 9 et 14, lus seuls et conjointement avec l’article 2, et 18 et 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 juin 2009. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure, qui exerce la profession d’avocate, est une défenseure des droits de l’homme. Dans l’intérêt d’un client qu’elle représentait dans une procédure, elle a adressé une requête au Président du Kazakhstan afin de lui signaler que la partie adverse était protégée par un membre du majlis (la chambre basse) du Parlement du Kazakhstan, Yerlan Nigmatullin. M. Nigmatullin ayant porté plainte le 25 septembre 2009, l’auteure a été accusée de « dénonciation calomnieuse » en application de l’article 351 du Code pénal.

2.2L’auteure a été soumise à une interdiction de voyager à titre de mesure préventive. Le 9 février 2010, le bureau du procureur de Balkhash a demandé au tribunal de remplacer cette mesure par une arrestation. Le 12 février 2010, l’auteure a été arrêtée sur décision du tribunal municipal de Balkhash. Le même jour, elle a fait appel de cette décision devant le tribunal régional de Karaganda. Le 16 février 2010, son appel a été rejeté au motif qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 403 du Code de procédure pénale, la décision ordonnant son arrestation n’était pas susceptible d’appel. Le 20 avril 2010, l’auteure a soumis une requête au Président de la Cour suprême qui lui a répondu que la décision n’ayant pas fait l’objet d’un appel, la Cour suprême ne pouvait donner suite à sa requête.

Première hospitalisation forcée

2.3En dépit des objections de l’auteure, le 26 février 2010, le tribunal municipal de Balkhash a ordonné qu’elle soit soumise à un examen psychiatrique. Le 2 avril 2010 et le 7 juillet 2010, les experts psychiatres ont conclu que l’auteure souffrait de « trouble délirant chronique ». Le 5 août 2010, le tribunal municipal de Balkhash a déclaré l’auteure « mentalement inapte » à être jugée et ordonné son hospitalisation sous contrainte en soins psychiatriques. Le 2 novembre 2010, le tribunal régional de Karaganda a confirmé cette décision en appel. Du 12 janvier au 22 septembre 2011, l’auteure est restée internée à l’hôpital psychiatrique d’Aktas.

2.4Par décision du tribunal de district de Talgar en date du 6 septembre 2011, l’auteure a été autorisée à quitter l’hôpital et a été enregistrée au centre de soins psychiatriques de Balkhash avec obligation de « suivi dynamique » et de traitement ambulatoire à compter du 27 septembre 2011.

Deuxième hospitalisation forcée

2.5Après une visite effectuée par l’auteure au centre de soins psychiatriques de Balkhash avec sa sœur le 12 décembre 2011, une commission médicale a décidé de faire hospitaliser et traiter l’auteure contre son gré au motif qu’elle n’avait pas pris les médicaments qui lui avaient été prescrits, que sa santé mentale s’était détériorée et que, de l’avis de la commission, elle pouvait représenter un danger pour autrui. L’auteure a été internée pendant deux semaines et a quitté l’établissement psychiatrique le 29 décembre 2011. Le 4 janvier 2012, l’auteure a déposé plainte auprès du bureau du procureur de Balkhash contre le Médecin-chef adjoint, faisant valoir que celui-ci l’avait forcée à rédiger une déclaration déclarant qu’elle était restée de son plein gré dans l’établissement psychiatrique pour y recevoir un traitement. L’auteure a contesté son hospitalisation psychiatrique forcée devant le tribunal municipal de Balkhash, mais en vain. Ses recours ultérieurs n’ont pas non plus abouti.

Troisième hospitalisation forcée

2.6Le 31 janvier 2012, dans le cadre de la procédure de contrôle, la Cour suprême, estimant notamment que l’auteure n’avait commis aucun acte de violence et ne représentait pas une menace pour elle-même ou pour autrui, a annulé la décision du tribunal municipal de Balkhash du 5 août 2010 et celle du tribunal régional de Karaganda du 2 novembre 2010 et ordonné le réexamen de l’affaire.

2.7Du 8 mai au 6 juin 2012, l’auteure a été réhospitalisée contre son gré à Almaty où elle a fait l’objet d’un nouvel examen psychiatrique sur décision du tribunal municipal de Balkhash en date du 27 mars 2012. Les médecins ont conclu que l’auteure souffrait d’un trouble délirant chronique mais qu’elle ne représentait pas une menace pour elle-même ni pour autrui.

2.8Le 26 juillet 2012, le tribunal municipal de Balkhash a jugé que l’auteure n’était pas pénalement responsable des infractions visées au paragraphe 2 de l’article 351 du Code pénal et il a annulé l’ordonnance de traitement psychiatrique sans consentement. Il a estimé que l’examen psychiatrique avait été mené en violation de la loi et qu’en concluant à la nécessité d’hospitaliser l’auteure, le tribunal avait rendu une décision illégale. Le 3 août 2012, l’auteure a formé un recours contre la décision du tribunal municipal de Balkhash du 26 juillet 2012 afin que soit rendue une nouvelle décision mettant fin à la procédure en l’absence de preuves et de corpus delicti et reconnaissant son droit de bénéficier de mesures de réadaptation. Le 16 octobre 2012, statuant en appel, le tribunal régional de Karaganda a réformé la décision du 26 juillet 2012 compte tenu des arguments de l’auteure. Le procureur de la région de Karaganda s’est pourvu en cassation contre la décision ainsi réformée. Le 25 décembre 2012, statuant en cassation, le tribunal régional de Karaganda a fait droit aux réquisitions du ministère public et réformé la décision du 16 octobre 2012, indiquant que les actes de l’auteure étaient constitutifs d’une infraction. Le 27 mai 2013, la Cour suprême a rejeté la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle soumise par l’auteure.

2.9Le 13 septembre 2012, sur pourvoi en cassation de l’auteure, le tribunal régional d’Almaty a annulé la décision du tribunal de district de Talgar en date du 6 septembre 2011 imposant à l’auteure une obligation de suivi et de traitement psychiatriques au motif que la décision du tribunal municipal de Balkhash du 26 juillet 2012 était entrée en vigueur. Le 27 septembre 2012, l’auteure a demandé que son nom soit radié du registre du centre psychiatrique de Balkhash, sans succès.

2.10Le 5 juin 2013, l’auteure a formé un recours auprès du procureur de Balkhash contre son hospitalisation forcée puisque les mesures de traitement sans consentement avaient été levées le 13 septembre 2012.

Quatrième hospitalisation forcée

2.11Le 9 août 2013, deux infirmiers et deux policiers ont emmené l’auteure de force dans une clinique de Balkhash, où un traitement lui a été administré. À cette occasion, l’auteure a reçu des coups à la jambe et à la tête. Ses voisins l’ont vue contrainte de monter dans une voiture à demi-nue. Le 20 août 2013, sur requête du procureur de Balkhash en date du 12 août 2013 fondée sur l’avis de la commission médicale du 9 août 2013, le tribunal municipal de Balkhash a ordonné que l’auteure soit hospitalisée de force en soins psychiatriques. Le 17 septembre 2013, l’auteure a été contrainte de subir contre son gré un nouvel examen psychiatrique. Le 19 septembre 2013, le procureur de Balkhash a ordonné un autre examen psychiatrique.L’auteure a porté plainte pour torture et traitement inhumain et dégradant devant les tribunaux et auprès du ministère public, en vain. La décision en date du 20 août 2013 du tribunal municipal de Balkhash a été confirmée par le tribunal régional de Karaganda en appel le 3 décembre 2013 et en cassation le 14 février 2014. Le 22 mai 2014, la Cour suprême a rejeté la demande de l’auteure tendant à ce que son hospitalisation forcée du 9 août 2013 fasse l’objet d’un réexamen au titre de la procédure de contrôle. Les requêtes du conseil de l’auteure tendant à ce que celle-ci soit présente à l’audience ont été rejetées par toutes les instances. L’auteure a été autorisée à quitter la clinique le 1er novembre 2013.

2.12L’auteure affirme que le 2 septembre 2013, suite à une plainte déposée en son nom, une inspection inopinée de la Commission de contrôle de l’exercice de la médecine et de la pharmacie a permis d’établir que l’auteure n’avait pas besoin d’un traitement psychiatrique sous contrainte.

Cinquième hospitalisation forcée

2.13Le 2 juillet 2014, l’auteure, qui se trouvait à son domicile, a été emmenée de force par six hommes en civil qui se sont montrés agressifs à son égard ainsi qu’à l’égard de ses deux petits-enfants. Ne sachant pas où elle avait été emmenée, les membres de sa famille ont dû s’adresser au bureau du procureur de Balkhash pour savoir où elle se trouvait. On leur a dit que l’auteure avait été hospitalisée dans un établissement psychiatrique à Balkhash. Le 1er août 2014, la commission médicale de cet établissement a décidé de prolonger l’hospitalisation de l’auteure. Celle-ci a été soumise à un traitement intensif. La sœur de l’auteure a déposé plainte en son nom auprès du procureur, alléguant des actes de torture et un traitement inhumain et dégradant, mais cette plainte a été rejetée au motif que la commission d’actes de torture n’était pas établie. L’auteure a été autorisée à quitter l’établissement le 16 décembre 2014. Elle n’a pas attaqué la décision de l’hospitaliser de force parce qu’on l’a menacée de ne pas la laisser sortir si elle portait plainte.

2.14Après sa sortie le 16 décembre 2014, l’auteure a continué d’être soumise à l’obligation de se rendre quotidiennement à l’hôpital pour des consultations de suivi. L’auteure soutient que toutes les hospitalisations en établissement psychiatrique qui lui ont été imposées étaient illégales et qu’à deux occasions, en mai 2012 et en août 2013, elle n’a pas été autorisée à voir son avocat pendant son hospitalisation. Chaque fois qu’elle a porté plainte pour contester la légalité de son hospitalisation forcée, celle-ci a été prolongée.

2.15Au total, l’auteure a été internée contre son gré dans un établissement psychiatrique et contrainte de suivre un traitement psychiatrique pour un prétendu « trouble délirant » à cinq reprises : du 12 janvier au 22 septembre 2011 ( soit pendant huit mois et dix jours) ; du 12 au 29 décembre 2011 (soit pendant dix-sept jours) ; du 8 mai au 6 juin 2012 (soit pendant trente jours) ; du 9 août au 1er novembre 2013 (soit pendant deux mois et vingt‑deux jours) ; et du 2 juillet au 16 décembre 2014 (soit pendant cinq mois et quatorze jours). À deux de ces reprises, elle n’a pu recevoir ni visites ni colis. En outre, l’auteure a été harcelée par le personnel médical, qui n’a cessé de lui téléphoner et de venir inopinément à son domicile.

2.16L’auteure indique qu’en tout, elle a été soumise à six examens psychiatriques dont deux ont été effectués à sa demande par des psychiatres indépendants du 25 au 27 septembre 2012 et le 30 novembre 2013, et ont montré qu’elle était « mentalement apte » et qu’elle avait été soumise à la torture et à un traitement dégradant. Les tribunaux n’ont toutefois tenu aucun compte des avis de ces experts indépendants.

2.17L’auteure a contesté les conclusions figurant dans les rapports des autres psychiatres mais les tribunaux ont refusé d’examiner son recours, à chaque fois pour des raisons différentes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 7, 9 et 14, lus seuls et conjointement avec l’article 2, et des articles 18 et 19, du Pacte. Selon elle, les cinq hospitalisations forcées en soins psychiatriques dont elle a fait l’objet, qui visaient à l’empêcher de déposer plainte et à la punir d’avoir fait appel au Président et d’avoir défendu ses droits ; le traitement humiliant et cruel qu’elle a subi lors de son arrestation à son domicile ; les violences physiques qui lui ont été infligées le 9 août 2013 et le 2 juillet 2014 ; l’interdiction de recevoir des visites et des colis dont elle a fait l’objet pendant son internement ; les menaces et les pressions qu’elle a subies aux mains du personnel médical des établissements psychiatriques ; et le fait qu’on lui ait refusé la possibilité de faire constater par écrit les lésions consécutives à son arrestation violente à son domicile constituent des violations de l’article 7 du Pacte.

3.2L’auteure affirme qu’elle n’a pas pu contester la légalité de son arrestation en 2010, qu’elle a été privée de liberté pendant cinq mois (du 12 août 2010 au 12 janvier 2011) sans l’aval d’un tribunal et qu’elle a été hospitalisée sans son consentement pendant onze jours (du 9 au 20 août 2013) sans être présentée dans le plus court délai à un juge, en violation de l’article 9 du Pacte. Elle affirme que son arrestation illégale le 9 août 2013 et son hospitalisation forcée en soins psychiatriques à cinq reprises, dont l’objectif était de la punir d’avoir défendu ses droits et d’avoir fait appel au Président, constituent des violations des droits qu’elle tient de l’article 9 du Pacte.

3.3L’auteure affirme également que les garanties d’un procès équitable et d’une procédure régulière ainsi que les droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés, notamment parce que lors de son procès, le président du tribunal ne s’est pas récusé alors que son épouse était un témoin de l’accusation ; qu’elle n’a pas reçu de nouvel acte d’inculpation lorsque les faits qui lui étaient reprochés ont été requalifiés d’infractions prévues au paragraphe 1 de l’article 351 du Code pénal en infractions prévues au paragraphe 2 du même texte ; que le tribunal n’a pas tenu compte de l’avis des deux psychiatres indépendants sur son état de « santé mentale » ; et que le tribunal a rejeté sa demande tendant à ce que son procès fasse l’objet d’un enregistrement vidéo pour garantir que sa cause soit entendue équitablement et publiquement. Elle considère que son hospitalisation psychiatrique forcée a également constitué une violation du droit à la présomption d’innocence qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. L’auteure a été contrainte de renoncer à se défendre et en deux occasions son conseil n’a pas été autorisé à l’assister, en violation du paragraphe 3 d) de l’article 14.

3.4L’impossibilité pour l’auteure de contester la légalité de son arrestation, le rejet arbitraire de son pourvoi en cassation et de sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle concernant les actes illégaux du Médecin-chef adjoint et l’impossibilité pour elle de contester les actes des médecins experts et leur diagnostic de trouble délirant chronique constituent des violations des droits qu’elle tient de l’article 14, lu conjointement avec l’article 2, du Pacte.

3.5L’auteure affirme en outre que les droits qu’elle tient des articles 18 et 19 du Pacte ont été violés puisque son internement en établissement psychiatrique visait à la réduire au silence et à l’empêcher de défendre ses droits et ceux d’autres personnes.

3.6L’auteure demande au Comité de prier instamment l’État partie de garantir sa liberté et sa sécurité ; de faire en sorte que les décisions du 25 décembre et du 16 octobre 2012 du tribunal régional de Karaganda et la décision du 1er février 2012 du tribunal municipal d’Almaty soient réexaminées ; de veiller à ce qu’une indemnisation adéquate et des moyens de réadaptation lui soient accordés ; de faire en sorte qu’une enquête approfondie soit menée sur toutes ses allégations de torture ; de veiller à ce que chacun puisse jouir des droits consacrés aux articles 2, 7, 9, 14, 18 et 19 du Pacte ; et d’interdire l’hospitalisation forcée fondée sur des motifs discriminatoires et arbitraires.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 3 juillet 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond et a demandé que la communication soit déclarée irrecevable pour défaut de fondement.

4.2L’État partie rappelle les faits ayant motivé les poursuites pénales engagées contre l’auteure et indique que celle-ci a été accusée de « dénonciation calomnieuse » en application du paragraphe 2 de l’article 351 du Code pénal. Le 12 février 2010, le tribunal a remplacé l’interdiction de quitter la ville imposée à l’auteure par une mesure d’arrestation au motif que l’intéressée faisait obstruction à la procédure pénale, qu’elle refusait de lui remettre ses documents d’identité, qu’elle avait commis un outrage au tribunal en menaçant d’entamer une grève de la faim et de déclencher une émeute, et qu’elle exerçait une influence néfaste sur les autres parties à la procédure.

4.3L’État partie indique que le tribunal a ordonné que l’auteure soit soumise à un examen psychiatrique le 26 février 2010. Dans le rapport issu de cet examen, daté du 2 avril 2010, il a été recommandé, afin que les psychiatres puissent répondre à toutes les questions qui leur avaient été posées, de placer l’auteure en observation psychiatrique médico-légale dans un établissement psychiatrique d’Almaty. Le 7 mai 2010, le tribunal a ordonné que l’auteure fasse l’objet dans cet établissement d’un examen psychiatrique. Dans le rapport du 7 juillet 2010 issu de cet examen, les experts concluaient que l’auteure souffrait d’une « maladie mentale » chronique, qualifiée de trouble délirant chronique, et ils recommandaient un traitement psychiatrique sans consentement. Le 5 août 2010, le tribunal municipal de Balkhash a déclaré l’auteure « mentalement inapte » à être jugée et a ordonné son hospitalisation forcée en soins psychiatriques. Le 2 novembre 2010, le tribunal régional de Karaganda a confirmé cette décision en appel. Le 6 septembre 2011, le tribunal de district de Talgar a remplacé l’obligation de traitement psychiatrique imposée à l’auteure par une obligation de suivi et de soins ambulatoires dans la ville où elle vivait, à savoir Balkhash. Cette décision n’a pas été contestée.

4.4Le 27 septembre 2011, l’auteure a été enregistrée au centre médico-psychiatrique de Balkhash pour qu’un médecin la suive régulièrement et lui administre son traitement. Or elle ne s’y est présentée pour examen que le 12 décembre 2011. La commission médicale, composée de quatre médecins, a conclu que son état de santé mentale s’était détérioré et qu’une hospitalisation sous contrainte était nécessaire. L’État partie soutient que la légalité de l’internement de l’auteure dans un établissement psychiatrique a été examinée par la Commission de surveillance de l’exercice de la médecine et de la pharmacie du Ministère de la santé pour la région de Karaganda, qui n’a constaté aucune violation. Le 5 janvier 2012, l’auteure a été autorisée à quitter l’établissement psychiatrique sous condition de suivi et de traitement ultérieurs par un psychiatre local. L’auteure a vu ce psychiatre trois fois (les 17 et 27 janvier 2012 et le 7 février 2012).

4.5L’État partie relève que, le 12 octobre 2012, le tribunal municipal de Balkhash a rejeté la plainte déposée par l’auteure contre le Médecin-chef adjoint concernant son hospitalisation forcée du 12 au 29 décembre 2011. L’appel et le pourvoi en cassation de l’auteure ont également été rejetés au motif que son hospitalisation avait été légale et médicalement justifiée et que le Médecin-chef adjoint avait agi conformément à la loi.

4.6L’État partie fait valoir qu’aux termes de l’article 124 du Code de la santé publique et des soins de santé (le Code de la santé), le « suivi dynamique » d’une personne souffrant d’un trouble mental peut être ordonné sans le consentement de celle-ci et prend la forme d’examens réguliers par un psychiatre et d’un accompagnement psychosocial. Compte tenu du diagnostic posé sur l’auteure, le centre médico-psychiatrique tenait un registre des consultations régulières que l’auteure devait effectuer chez un psychiatre et de son traitement. Or, à partir du 7 février 2012, l’auteure n’a plus respecté ses obligations à cet égard.

4.7L’État partie indique qu’après avoir en vain tenté de contacter l’auteure à de nombreuses reprises, le personnel de l’établissement psychiatrique a supposé que son état de santé s’était détérioré et a donc décidé de la faire appréhender. Le 9 août 2013, l’auteure a été amenée à l’établissement psychiatrique pour examen avec l’assistance de deux policiers. La commission médicale a décidé qu’elle devait être hospitalisée parce qu’elle souffrait d’un délire de persécution attesté par ses actions et plaintes en justice incessantes. L’État partie indique que, aux termes du paragraphe 1.1 de l’article 125 du Code de la santé, l’internement forcé dans un établissement psychiatrique en l’absence de décision judiciaire n’est possible que si la personne concernée est atteinte d’une « maladie mentale » grave. Dans un tel cas, l’établissement psychiatrique est tenu d’informer le procureur dans les quarante-huit heures qui suivent l’internement forcé. Le bureau du procureur de Balkhash a été informé le 9 août 2013, et une demande d’hospitalisation forcée concernant l’auteure a été déposée devant le tribunal municipal de Balkhash, qui l’a approuvée le 20 août 2013. Tous les recours de l’auteure ont été rejetés par les tribunaux. En outre, à la demande de la sœur de l’auteure, la Commission de surveillance de l’exercice de la médecine et de la pharmacie du Ministère de la santé pour la région de Karaganda a examiné la décision d’internement et conclu que l’hospitalisation de l’auteure était conforme à la loi. En outre, le 19 septembre 2013, dans le cadre des vérifications auxquelles le bureau du procureur de Balkhash a procédé, une autre expertise psychiatrique effectuée avec la participation d’un psychologue du centre médical pour la santé mentale d’Astana a été ordonnée afin de déterminer si l’hospitalisation de l’auteure avait été légale. Dans leur rapport daté du 1er novembre 2013, les experts ont conclu que cette hospitalisation avait été nécessaire et légale. Le 5 novembre 2013, l’auteure a été autorisée à quitter l’établissement psychiatrique d’Astana, mais elle n’est pas retournée au centre médico-psychiatrique de Balkhash pour poursuivre son traitement ambulatoire.

4.8L’État partie souligne que, bien que la décision du tribunal municipal de Balkhash en date du 20 août 2013 concernant l’hospitalisation forcée de l’auteure et son traitement n’ait pas été annulée, l’auteure s’est cachée et n’a pas satisfait à ses obligations de traitement. Le 2 juillet 2014, elle a été amenée dans un établissement psychiatrique par des membres du personnel de cet établissement et des policiers. Le même jour, elle a fait l’objet d’un examen psychiatrique sans son consentement en vertu du paragraphe 5 (al. 3) de l’article 123 du Code de la santé. Il a été décidé de l’hospitaliser sous la contrainte en vertu du paragraphe 1 (al. 1) de l’article 125 du Code de la santé.

4.9L’État partie fait valoir qu’en réponse aux nombreuses demandes de l’auteure et de plusieurs associations, la Commission de surveillance de l’exercice de la médecine et de la pharmacie du Ministère de la santé pour la région de Karaganda a procédé à un examen des modalités de l’hospitalisation de l’auteure à l’hôpital psychiatrique de Balkhash avec un expert indépendant, N.A. Negay, et les experts du Ministère et a conclu que cette hospitalisation avait été légale.

4.10En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie souligne qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 41 de la loi sur l’expertise judiciaire scientifique et technique, les parties à un procès ne sont pas autorisées à participer à une expertise psychiatrique médico-légale portant sur une personne vivante car cette expertise doit être réalisée de manière confidentielle. C’est pourquoi les représentants de l’auteure n’ont pas été autorisés à assister à l’expertise psychiatrique médico-légale à laquelle l’auteure a été soumise.

4.11L’État partie affirme que les examens psychiatriques menés en milieu hospitalier le 7 juillet 2010, le 5 juin 2012 et le 1er novembre 2013 se sont déroulés conformément à la loi et avaient pour but d’évaluer l’état de santé mentale de l’auteure, d’en assurer le suivi et de poser un diagnostic.

4.12L’État partie affirme que les avis des deux experts indépendants que l’auteure a produits (avis de K.A. Idrisov du 27 septembre 2012 et avis de S.N. Molchanov du 30 novembre 2013) ont été examinés par tous les tribunaux compétents mais que ceux-ci ont considéré que ces avis, dont ils avaient reçu copie, manquaient d’objectivité parce que tous deux avaient été établis par un seul expert et non par une commission d’experts. En outre, la preuve des qualifications d’expert psychiatre de M. Molchanov n’avait pas été rapportée.

4.13L’État partie affirme que la police de Balkhash a enquêté sur les allégations de l’auteure selon lesquelles, le 9 août 2013, deux infirmiers et deux policiers l’avaient enlevée avec violence à son domicile, mais qu’aucun motif susceptible de justifier l’ouverture d’une procédure pénale n’a été trouvé. Les allégations de l’auteure ont également été examinées dans le cadre de la procédure civile engagée par le bureau du procureur de Balkhash. Ça n’est pas l’auteure qui a allégué avoir été brutalisée par les infirmiers ou les policiers mais sa sœur, qui a affirmé que celle-ci avait subi des mauvais traitements. Or la sœur de l’auteure n’a pas assisté à l’arrestation parce qu’elle n’était pas présente. Les allégations de l’auteure à ce sujet ne sont donc pas étayées.

4.14L’État partie indique que la décision judiciaire du 12 février 2010 remplaçant l’interdiction faite à l’auteure de quitter la ville par une mesure d’arrestation n’a pas été examinée par la cour d’appel.

4.15Le 5 août 2010, le tribunal municipal de Balkhash a abandonné les poursuites pénales contre l’auteure et celle-ci a été remise en liberté. Dans le même temps, le tribunal a ordonné son internement en soins psychiatriques et elle est demeurée hospitalisée jusqu’au 22 septembre 2011. Le 6 septembre 2011, le tribunal de district de Talgar a remplacé le traitement forcé en établissement psychiatrique par une obligation de suivi ambulatoire à Balkhash. Cette décision n’a pas été contestée et est entrée en vigueur. L’auteure a donc été enregistrée au centre psychiatrique de Balkhash le 27 septembre 2011 pour observation et traitement. L’État partie fait valoir que tous les examens médicaux et hospitalisations ultérieurs se sont déroulés conformément au Code de la santé et aux décisions des tribunaux.

4.16L’État partie soutient que l’auteure n’a pas étayé son affirmation selon laquelle le juge Bashanov n’avait pas le droit d’examiner son affaire parce que son épouse était un témoin à charge. En outre, si tel était réellement le cas, l’auteure aurait pu demander au juge de se récuser, or elle ne l’a pas fait.

4.17L’État partie considère comme dénuée de fondement l’allégation de l’auteure selon laquelle elle n’a pas pu se pourvoir en cassation contre les actes du Médecin-chef adjoint puisque le 27 septembre 2013, le tribunal régional de Karaganda a examiné son pourvoi visant l’intéressé. Cette juridiction a confirmé les décisions rendues en première instance et en appel et a rejeté le pourvoi.

4.18En ce qui concerne l’allégation de l’auteure selon laquelle elle n’a pas eu la possibilité de contester les rapports d’experts, l’État partie fait valoir que les rapports issus de toutes les expertises psychiatriques ont été examinés par les tribunaux ainsi que par la Commission de surveillance de l’exercice de la médecine et de la pharmacie du Ministère de la santé pour la région de Karaganda.

4.19En ce qui concerne la violation qu’allègue l’auteure des droits qu’elle tient des articles 18 et 19 du Pacte, l’État partie fait observer que tous les citoyens du Kazakhstan, y compris les défenseurs des droits de l’homme, jouissent de leurs droits dans des conditions d’égalité. D’après les informations disponibles, l’auteure n’est pas présente sur la scène publique et ne mène pas d’activités de défense ou de promotion des droits de l’homme. Elle exerce la profession d’avocate civiliste. Ainsi, ses allégations selon lesquelles elle aurait été contrainte de suivre un traitement en raison de ses activités de défense des droits de l’homme ne sont pas étayées. Elle a fait l’objet d’hospitalisations forcées en soins psychiatriques sur la recommandation de médecins experts et en exécution de décisions des tribunaux. L’État partie fait ainsi valoir que la communication de l’auteure n’est pas étayée.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 14 septembre 2017, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. L’auteure rappelle les faits ayant motivé les poursuites pénales engagées à son encontre.

5.2Elle affirme que le trouble délirant chronique ne relève pas de la catégorie « schizophrénie » et que pour cette raison le diagnostic dont elle a fait l’objet est contestable. Elle ajoute que les personnes atteintes d’une maladie aussi grave bénéficient du statut de personne handicapée, ce qui n’est pas son cas. Elle soutient en outre qu’elle n’a pas pu obtenir copie de la décision de la commission médicale concernant son enregistrement pour observation et traitement au centre psychiatrique de Balkhash et qu’elle n’a donc pu contester cette décision.

5.3L’auteure explique que, si elle n’a pas contesté la décision du tribunal de district de Talgar du 6 septembre 2011, c’est parce qu’elle n’en a pas eu copie. Elle s’est toutefois pourvue en cassation. Le tribunal régional d’Almaty a annulé cette décision parce qu’une autre décision, rendue le 26 juillet 2012 par le tribunal municipal de Balkhash, était entrée en vigueur. Cette décision avait pour effet d’annuler l’ordonnance relative à l’obligation de traitement de l’auteure mais, malgré cela, elle a été hospitalisée de force en 2013 et 2014. L’auteure souligne qu’elle a continué à être hospitalisée de force alors même que des décisions judiciaires établissaient qu’elle ne représentait pas un danger pour elle-même ou pour autrui.

5.4L’auteure fait valoir qu’à l’audience du 20 août 2013 du tribunal municipal de Balkhash, elle a exposé ses griefs concernant les violences qu’elle avait subies le 9 août 2013. Elle conteste en outre l’affirmation de l’État partie selon laquelle les événements du 9 août 2013 ont fait l’objet d’une enquête, puisque l’enquête en question a été ouverte sur plainte d’une autre personne.

5.5L’auteure fait également valoir qu’elle a demandé la récusation du juge Bashanov, mais que sa requête a été purement et simplement ignorée.

5.6L’auteure affirme qu’elle n’a pas pu contester la façon dont s’est déroulée l’expertise psychiatrique mais uniquement son résultat, à savoir le diagnostic. Tous ses recours ont été rejetés.

5.7L’auteure affirme qu’elle est avocate et défenseure des droits de l’homme, ce qu’attestent ses plaintes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité relève que l’État partie ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés. Il estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte ont été violés du fait, notamment, qu’à deux reprises elle n’a pu recevoir la visite de son avocat ni recevoir de colis alors qu’elle était hospitalisée ; qu’elle a subi des menaces et des pressions de la part du personnel des établissements psychiatriques ; et qu’on lui a refusé la possibilité de faire constater par écrit les lésions consécutives à son arrestation. Toutefois, en l’absence de toute autre information pertinente à l’appui de ce grief, le Comité considère que l’auteure ne l’a pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient de l’article 9 du Pacte ont été violés du fait, notamment, qu’elle n’a pas eu la possibilité de contester la décision de remplacer l’interdiction de voyager par une mesure d’arrestation ; qu’elle a été privée de liberté pendant cinq mois (du 12 août 2010 au 12 janvier 2011) sans l’aval d’un tribunal ; et qu’elle a été hospitalisée sans son consentement le 8 mai 2012 et le 2 juillet 2014. En l’absence de preuves corroborant ces allégations et d’explications complémentaires, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces aspects particuliers de son grief de violation de l’article 9 aux fins de la recevabilité. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend de plus note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de contester la légalité de son arrestation ; que son pourvoi en cassation et sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle concernant les actes illégaux du Médecin-chef adjoint ont été arbitrairement rejetés ; et qu’elle n’a pas pu contester les actes des experts cités comme témoins et le diagnostic de trouble délirant chronique. Le Comité prend en outre note des griefs de l’auteure selon lesquels les droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés parce que, lors d’une audience, le juge avait refusé de se récuser comme l’auteure le demandait alors que son épouse était un témoin de l’accusation ; que les tribunaux n’ont pas tenu compte des rapports des experts indépendants ; que les tribunaux n’ont fait droit qu’aux requêtes de l’accusation ; et que l’un des tribunaux a refusé qu’un enregistrement vidéo du procès tenu dans un établissement psychiatrique soit réalisé. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité considère qu’en l’espèce, l’auteure n’a pas réussi à démontrer que l’« absence d’accès à un recours », la « partialité » et la méconnaissance du principe de l’« égalité des armes » qu’elle allègue étaient telles qu’elles relevaient de l’arbitraire ou représentaient un déni de justice. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, il considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient du paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’elle n’a pas reçu de nouvel acte d’inculpation lorsque les faits qui lui étaient reprochés ont été requalifiés d’infractions prévues au paragraphe 1 l’article 351 du Code pénal en infractions prévues au paragraphe 2 du même texte. Il prend également note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’elle a été empêchée de présenter elle-même sa défense ; et que, en deux occasions, son conseil n’a pas été autorisé à assister à son examen médical ni à lui rendre visite dans l’établissement psychiatrique où elle était internée. Le Comité estime que la communication ne contient pas suffisamment de preuves factuelles et d’arguments juridiques pour étayer ces griefs. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, il considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’elle a été hospitalisée de force alors qu’il n’était pas établi qu’elle avait commis une infraction. Il considère que ce grief est incompatible avec les dispositions du Pacte puisqu’il n’entre pas dans le champ d’application du paragraphe 2 de l’article 14 et que les faits décrits par l’auteure soulèvent des questions de fond au regard de l’article 9 du Pacte. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel les droits qu’elle tient des articles 18 et 19 du Pacte ont été violés parce que les hospitalisations et les traitements qui lui ont été imposés visaient à l’empêcher d’exercer les droits qui lui sont reconnus par ces articles. Toutefois, en l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel l’État partie a manqué aux obligations que lui imposaient les articles 7 et 9, lus seuls et conjointement avec l’article 2, du Pacte. Il considère que les dispositions de l’article 2 ne peuvent être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le non-respect par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement l’individu qui se dit victime. Or l’auteure n’a pas démontré l’existence d’un lien direct entre la violation des droits qu’elle tient des articles 7 et 9 et le non-respect de l’article 2 du Pacte. En l’absence de toute autre information pertinente à cet égard, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.11Le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a suffisamment étayé les griefs qu’elle tire des articles 7 et 9 du Pacte, en particulier en ce qui concerne son arrestation ainsi que ses hospitalisations forcées et traitements médicaux sous contrainte du 12 janvier au 22 septembre 2011, du 12 au 29 décembre 2011 et du 9 août au 1er novembre 2013. En conséquence, il déclare ces griefs recevables et va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité relève que l’auteure affirme que son hospitalisation forcée et sa détention dans un hôpital psychiatrique à trois reprises (le 12 janvier 2011, le 12 décembre 2011 et le 9 août 2013) ont violé les droits qu’elle tient de l’article 9 du Pacte.

7.3Le Comité rappelle qu’un internement et un traitement en établissement psychiatrique contre la volonté du patient constituent une forme de privation de liberté qui tombe sous le coup de l’article 9 du Pacte. Il rappelle également qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 9, la privation de liberté ne doit pas être arbitraire et s’effectuer conformément à la loi. La deuxième phrase du paragraphe 1 interdit l’arrestation et la détention arbitraires et la troisième interdit la privation de liberté illégale, c’est-à-dire la privation de liberté qui n’est pas imposée pour les motifs et selon la procédure prévus par la loi. Les deux interdictions se chevauchent en ce qu’une arrestation ou une détention peut être à la fois arbitraire et illégale. Le Comité rappelle également que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » mais doit recevoir une interprétation plus large qui englobe le caractère inapproprié, l’injustice, l’absence de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires.

7.4Le Comité est conscient que les autorités d’un État peuvent estimer que l’altération de la santé mentale d’une personne est telle que la délivrance d’un ordre d’internement est indispensable pour éviter tout danger pour la personne elle-même et pour autrui, mais il considère que l’hospitalisation sans consentement est une mesure qui ne doit être appliquée qu’en dernier ressort et pour la période la plus courte possible, et qui doit être accompagnée des garanties procédurales et matérielles adéquates prévues par la loi. Les procédures doivent être de nature à garantir le respect des opinions des individus et permettre une représentation et une défense effectives de leurs souhaits et de leurs intérêts par un représentant.

7.5Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles les autorités l’ont arrêtée et hospitalisée contre son gré (en trois occasions, pendant plus de quinze mois au total) pour la punir d’avoir défendu ses droits et alerté le Président du Kazakhstan, en violation du droit interne et en l’absence d’ordonnance judiciaire d’internement.

7.6Le Comité note que l’auteure affirme que le 25 septembre 2009 elle a été accusée de « dénonciation calomnieuse » en application de l’article 351 du Code pénal. Malgré ses objections, elle a été soumise contre son gré à deux examens psychiatriques ordonnés par le tribunal municipal de Balkhash, à l’issue desquels un trouble délirant chronique a été diagnostiqué. Le Comité relève que, le 5 août 2010, le tribunal municipal de Balkhash a déclaré l’auteure « mentalement inapte » à être jugée et ordonné son hospitalisation forcée en soins psychiatriques. Le 2 novembre 2010, le tribunal régional de Karaganda a confirmé cette décision en appel.

7.7Le Comité note que l’auteure indique que le 31 janvier 2012 la Cour suprême a annulé les décisions judiciaires susmentionnées au motif que les juridictions concernées avaient violé la législation régissant l’imposition de mesures médicales contraignantes, et elle a renvoyé l’affaire pour réexamen. Lorsqu’il a réexaminé l’affaire, le tribunal municipal de Balkhash a ordonné que l’auteure soit soumise à un nouvel examen psychiatrique, lequel a confirmé le diagnostic antérieur et établi que l’auteure était mentalement inapte à être jugée mais non qu’elle avait commis des actes de violence et constituait une menace pour elle-même ou pour autrui. Le 26 juillet 2012, le tribunal municipal de Balkhash a constaté que l’expertise psychiatrique du 7 juillet 2010 avait été effectuée en violation de la loi et que les experts n’avaient pas conclu que l’auteure représentait une menace pour elle-même ou pour autrui. En conséquence, se fondant sur ce diagnostic, le tribunal a jugé que l’auteure était inapte à être jugée mais a décidé de ne pas lui imposer de mesures médicales sans son consentement.

7.8Le Comité prend également note de l’observation de l’État partie selon laquelle le tribunal municipal de Balkhash, se fondant sur les conclusions des deux expertises psychiatriques, a ordonné que l’auteure fasse l’objet d’un traitement sans consentement dans un établissement psychiatrique. Cette décision a toutefois été annulée le 31 janvier 2012 par la Cour suprême et, le 26 juillet 2012, à l’issue d’un nouvel examen de l’affaire, le tribunal municipal de Balkhash, s’appuyant sur la nouvelle expertise psychiatrique, a déclaré l’auteure mentalement inapte à être jugée mais a également décidé de ne pas lui imposer de mesures médicales sans son consentement.

7.9Le Comité note que l’auteure affirme que le 12 décembre 2011, lorsqu’elle s’est présentée à la clinique psychiatrique de Balkhash pour un entretien, elle a immédiatement été appréhendée et hospitalisée de force au motif que la commission médicale avait conclu qu’elle constituait une menace pour autrui. Elle est restée internée deux semaines en l’absence de décision judiciaire à cet effet.

7.10Le Comité prend également note de la réponse de l’État partie, à savoir que l’hospitalisation forcée de l’auteure pour traitement du 12 décembre 2011 au 5 janvier 2012 était fondée sur la décision judiciaire du 6 septembre 2011 lui imposant une obligation de soins ambulatoires ainsi que sur les résultats de l’évaluation de son état de santé mentale à laquelle avait procédé la commission médicale. Lorsque son état de santé s’est amélioré, on l’a autorisée à quitter l’hôpital.

7.11Le Comité note en outre que l’auteure déclare que le 9 août 2013 elle a été brutalement appréhendée à son domicile et hospitalisée de force. Cet internement a ultérieurement été approuvé par le tribunal de Balkhash le 20 août 2013. L’auteure a en vain contesté cette décision.

7.12Le Comité prend note de l’observation de l’État partie selon laquelle, bien que sous le coup d’une ordonnance de « suivi dynamique », l’auteure n’était pas allée voir son médecin et n’avait pas pris le traitement qui lui avait été prescrit. Parce qu’on pouvait de ce fait supposer que son état de santé s’était détérioré, elle a été appréhendée et soumise à un examen médical à l’issue duquel il est apparu qu’elle devait être hospitalisée. Toutes les conditions prévues par le Code de la santé auraient été respectées et le procureur a été informé des mesures prises. Le 20 août 2013, le tribunal a fait droit à la requête du procureur tendant à ce que l’auteure soit hospitalisée de force. Cette décision a été maintenue en appel et en cassation. Une nouvelle expertise psychiatrique, effectuée le 1er novembre 2013, a confirmé le diagnostic. Le 5 novembre 2013, l’auteure a été autorisée à quitter l’établissement psychiatrique.

7.13Le Comité relève que l’auteure conteste la validité du diagnostic médical dont elle a fait l’objet, tandis que l’État partie soutient qu’il est exact. Il constate toutefois qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas présenté suffisamment de preuves attestant que toutes les hospitalisations imposées à l’auteure sans son consentement étaient nécessaires pour la protéger contre un préjudice grave ou prévenir les atteintes à autrui. Le Comité fait observer que, même si le diagnostic de l’État partie devait être accepté, l’existence d’un handicap intellectuel et psychosocial ne justifie pas en soi une privation de liberté. Qui plus est, dans les États parties qui ont recours à l’hospitalisation forcée, toute privation de liberté doit être nécessaire et proportionnée, afin de protéger l’intéressé de tout préjudice grave ou de prévenir des atteintes à autrui.

7.14Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime que les informations et éléments de preuve présentés par les parties ne démontrent pas que l’auteure constituait une menace pour elle-même ou pour autrui. En outre, le Comité juge préoccupant que l’auteure ait été internée plusieurs fois dans un établissement psychiatrique alors même qu’elle ne présentait aucun danger pour elle-même ou pour autrui et que, bien que cela ait été établi par le tribunal de Balkhash dans sa décision du 26 juillet 2012, elle ait de nouveau été hospitalisée contre son gré. Le Comité fait observer que, même si le droit à la liberté n’est pas absolu, la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne peut être justifiée qu’après que d’autres mesures, moins graves, ont été envisagées et jugées insuffisantes pour assurer la protection de l’intérêt individuel ou général, qui peut nécessiter le placement en détention de la personne concernée. Pour ces raisons, le Comité conclut que l’internement de l’auteure dans un hôpital psychiatrique du 12 janvier au 22 septembre 2011, du 12 au 29 décembre 2011 et du 9 août au 1er novembre 2013, qui a duré plus de quinze mois au total, a été arbitraire au sens de l’article 9 du Pacte.

7.15En ce qui concerne le grief que l’auteure tire de l’article 7, le Comité doit déterminer si l’appréhension et les hospitalisations forcées dont elle a fait l’objet ont constitué une peine ou un traitement inhumain et dégradant. Il fait observer que, si l’hospitalisation sans consentement peut être une mesure de dernier recours et, parfois, être justifiée pour protéger la vie et la santé des personnes, l’hospitalisation illégale et arbitraire peut causer des souffrances mentales et physiques et, de ce fait, constituer une peine ou un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 7 du Pacte.

7.16Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, en l’espèce, l’auteure a été internée en soins psychiatriques parce que son délire de persécution et ses actions en justice attestaient que son état de santé s’était détérioré et qu’elle risquait de représenter un danger pour autrui, et parce qu’elle refusait de suivre un traitement médical ambulatoire, auquel elle s’opposait. Le Comité prend également note du fait incontesté que l’auteure a déposé de nombreuses plaintes et de son argument selon lequel le traitement psychiatrique qui lui a été imposé était un moyen de la punir pour ces actions en justice. Le Comité prend de plus note de la décision rendue le 26 juillet 2012 par le tribunal municipal de Balkhash, dans laquelle celui-ci a jugé que l’auteure n’était dangereuse ni pour elle‑même ni pour autrui et ordonné de ne pas lui imposer de mesures médicales sans son consentement. Le Comité réitère en l’occurrence sa conclusion selon laquelle les trois internements de l’auteure en hôpital psychiatrique (les 12 janvier 2011, 12 décembre 2011 et 9 août 2013) ont résulté de décisions arbitraires et n’étaient pas médicalement justifiés (voir supra par. 7.13 et 7.14). Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité conclut également que les décisions d’internement de l’auteure en hôpital psychiatrique et son arrestation à son domicile lui ont causé des angoisses et des souffrances psychologiques considérables, notamment parce qu’elle craignait en permanence pour sa santé et sa liberté.

7.17En conséquence, le Comité est d’avis qu’en l’espèce, les arrestations de l’auteure et ses hospitalisations sans consentement pendant plus de quinze mois au total ainsi que les traitements médicaux qui lui ont été administrés contre son gré alors qu’elle ne présentait aucun danger pour elle-même ni pour autrui ont constitué des peines ou traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 7 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les informations dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7 et 9 du Pacte.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, notamment, de prendre les mesures voulues pour assurer à l’auteure une réparation effective, y compris une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues se produisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.