Nations Unies

CCPR/C/121/D/2487/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 mars 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2487/2014 * , **

Communication présentée par :

N. D. J. M. D (représenté par un conseil, Joseph W. Allen)

Au nom de :

L’auteur

État partie:

Canada

Date de la communication:

27 novembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 décembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

8 novembre 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de procédure :

Recevabilité ; épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5

1.1L’auteur est N. D. J. M. D., de nationalité sri-lankaise, né le 17 février 1982 et résidant actuellement au Canada. Il est sous le coup d’une mesure d’expulsion vers Sri Lanka, sa demande visant à obtenir le statut de réfugié au Canada ayant été rejetée. Son renvoi à Sri Lanka était prévu pour le 5 décembre 2014. L’auteur affirme que les droits qu’il tient des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte seraient violés si le Canada procédait à son renvoi forcé. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteur est représenté par un conseil, Joseph W. Allen.

1.2Le 2 décembre 2014, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers Sri Lanka tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 3 juillet 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie tendant à la levée des mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur avance qu’il travaillait comme cuisinier et marin à Sri Lanka. Le 30 mai 2011, il a assisté à une manifestation organisée dans la « zone franche », avec sa compagne et son cousin R. C., qui travaillaient dans le secteur. La police s’est soudain mise à tirer sur les manifestants. L’auteur a vu son cousin tomber sous les balles. Il a appelé une ambulance pour qu’elle emmène l’intéressé à l’hôpital, mais il était trop tard et celui-ci est décédé.

2.2L’auteur, en tant que témoin oculaire, a fourni des informations aux dirigeants syndicaux des sociétés de la zone franche, qui avaient décidé d’engager une action en justice contre la police pour cette attaque meurtrière. Le prêtre catholique de la zone a également saisi la Commission asiatique des droits de l’homme.

2.3Le 10 juin 2011, l’auteur a commencé à recevoir des menaces téléphoniques de personnes qui lui disaient de cesser d’agir contre le Gouvernement et la police. Il n’a pas fait cas de ces menaces car il voulait voir les meurtriers de son cousin traduits en justice.

2.4Le 28 juin 2011, quatre hommes ont fait irruption au domicile de l’auteur, ont frappé et ligoté ce dernier, lui ont bandé les yeux, puis l’ont emmené dans un lieu où ils l’ont interrogé sur les informations qu’il avait données aux avocats du syndicat. Pendant sa détention, l’auteur a été insulté et battu jusqu’à en perdre connaissance. Lorsqu’il est revenu à lui, il était dans un taxi à trois roues. Le chauffeur, qui l’avait trouvé au bord de la route, l’a ramené chez lui.

2.5Le lendemain, les parents de l’auteur ont conduit ce dernier à l’hôpital de Negombo. On leur a dit que leur fils aurait dû déposer plainte auprès de la police avant d’aller à l’hôpital. L’auteur a alors décidé de consulter un médecin autochtone.

2.6Le père de l’auteur a engagé un avocat pour représenter son fils. Lorsque l’avocat en question a pris contact avec la police sri-lankaise, celle-ci lui a dit que l’auteur risquait sa vie s’il restait à Sri Lanka. Le père de l’auteur a décidé d’envoyer son fils à Kandi chez des membres de la famille, puis a affrété un « navire privé » pour qu’il l’emmène en Algérie, où il s’est embarqué pour le Canada.

2.7Le 27 novembre 2011, l’auteur est arrivé au Canada, et le 1er décembre, il a débarqué avec l’intention de présenter une demande d’asile. Il a attendu que le navire quitte le port, de crainte d’être forcé à remonter à bord. Le 16 décembre 2011, il a présenté une demande de protection internationale. Toutefois, le capitaine du navire avait déjà informé les autorités canadiennes de la disparition de l’auteur, et une mesure d’exclusion a été prononcée par défaut le 13 décembre 2011, ce qui a privé l’intéressé du droit de demander l’asile. Le 6 mars 2012, l’auteur a été informé par un fonctionnaire de l’Agence des services frontaliers du Canada que sa demande d’asile était irrecevable.

2.8L’auteur a sollicité l’autorisation de saisir la Cour fédérale d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue à son encontre. Le 20 septembre 2012, l’autorisation a été accordée et une audience a été fixée au 11 décembre.

2.9Le 3 janvier 2013, la Cour fédérale a accepté d’examiner la demande de contrôle judiciaire, annulé la mesure d’exclusion et renvoyé le dossier devant un autre agent pour réexamen. Cette décision a été contestée par le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration et le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile du Canada. Le 10 janvier 2014, la Cour d’appel fédérale a débouté l’auteur de sa demande de contrôle judiciaire et annulé la décision rendue par la Cour fédérale en janvier 2013.

2.10Le 12 mars 2014, l’auteur a demandé l’autorisation de se pourvoir contre la décision de la Cour fédérale d’appel devant la Cour suprême du Canada. Le 12 juin, sa demande a été rejetée.

2.11Le 29 août 2014, la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par l’auteur a été rejetée. L’auteur allègue qu’elle a été examinée sur la seule base de documents écrits et que l’agent chargé de la traiter ne l’a pas entendu en personne aux fins de l’appréciation de la crédibilité et de la véracité de son récit. C’est un fonctionnaire du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration, et non un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui s’est penché sur la question de savoir si ses craintes étaient fondées. L’auteur explique que l’agent qui a rendu la décision négative a argué de l’absence de documents originaux. Il soutient qu’il avait certains des originaux et aurait pu les présenter s’il avait eu la possibilité de participer à un examen oral de sa requête.

2.12Le 26 novembre 2014, l’auteur a prié la Cour fédérale de l’autoriser à présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de rejeter la demande d’examen des risques avant renvoi et d’ordonner qu’il soit sursis à son expulsion. L’auteur soutient que la Cour fédérale n’avait pas encore statué sur ses demandes au moment où il a soumis sa requête au Comité, mais qu’il pouvait être expulsé à tout moment. Les recours internes ont par la suite été épuisés.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte et l’exposerait à un grave danger. Se référant à divers rapports et directives, il fait valoir que la situation à Sri Lanka est extrêmement dangereuse pour les personnes manifestant toute forme d’opposition aux autorités gouvernementales. Il a déjà été pris pour cible et battu jusqu’à perdre connaissance parce qu’il avait témoigné contre la police sri-lankaise. Seul témoin oculaire du meurtre de son cousin, il a été persécuté pour avoir voulu déposer plainte contre la police. En outre, l’auteur avance que même après son départ, sa famille a continué de recevoir des appels téléphoniques de personnes qui menaçaient de le tuer si jamais il réapparaissait.

3.2Selon l’auteur, un rapport publié en 2012 par l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés corrobore ses dires en ce qu’on peut y lire ce qui suit :

« [À] Sri Lanka, les médecins refusent souvent de soigner les victimes de la torture. Craignant d’autres mauvais traitements, celles-ci hésitent à se rendre dans des hôpitaux publics. C’est pourquoi beaucoup consultent des médecins privés. [À] Sri Lanka il est rare que les victimes de la torture portent plainte, car cela nécessiterait une attestation émise par des médecins de l’État. Celles qui le font sont mises sous pression par les procureurs qui s’emploient à les faire retirer leur plainte » .

D’après le même rapport, « [s]elon les dires de plusieurs observateurs, les personnes de retour [à] Sri Lanka sont considérées comme des traîtres qui jettent le discrédit sur […] Sri Lanka à l’étranger. On peut donc partir du principe qu’elles constituent un groupe à risque. Il n’y a certes pas d’indices que toutes les personnes de retour sont enlevées, arrêtées et torturées de manière systématique. Cependant, il y a plusieurs rapports qui documentent des cas et montrent le risque ».

3.3Enfin, l’auteur soutient que l’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada a déclaré sa demande d’asile irrecevable alors qu’il avait pourtant expliqué sa situation et les raisons pour lesquelles il n’avait demandé l’asile que vingt jours après son arrivée au Canada. Il soutient qu’il n’a jamais eu l’occasion d’expliquer en audience pourquoi il craignait d’être persécuté et donc de démontrer en personne la crédibilité et la véracité de ses allégations. Il avance que l’Agence a commis une erreur en prononçant une mesure d’exclusion à son encontre si rapidement et par défaut, et a ainsi porté atteinte au principe de la justice naturelle étant donné les graves conséquences que le renvoi a eu sur sa capacité de demander l’asile.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 6 novembre 2015, l’État partie a fait part de ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie soutient que la communication de l’auteur est irrecevable au motif que les recours internes disponibles et utiles n’ont pas été épuisés et qu’elle est dénuée de fondement. En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’État partie soutient qu’ils sont irrecevables pour défaut de compétence ratione materiae.

4.2 L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné qu’il n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, sans fournir d’explication et alors que ce recours lui offrait une perspective raisonnable de réparation.

4.3L’État partie explique que la procédure de demande pour considérations d’ordre humanitaire est un recours interne important, et regrette que dans ses constatations concernant certaines affaires récentes, le Comité ait estimé que c’était un recours inutile qui n’avait pas à être épuisé aux fins de la recevabilité. Il fait valoir que cette procédure administrative est équitable et susceptible de contrôle judiciaire et qu’elle peut aboutir à une autorisation de résider au Canada. L’auteur n’a pas soulevé d’objections quant à cette procédure, ni fourni d’éléments de nature à démontrer qu’elle serait inutile ou inéquitable dans son cas particulier.

4.4En ce qui concerne les allégations selon lesquelles le renvoi de l’auteur à Sri Lanka constituerait une violation des obligations mises à sa charge par l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’État partie fait observer que l’auteur ne précise pas en quoi les droits garantis par cet article seraient violés s’il était renvoyé dans son pays. L’État partie estime en outre que ces allégations ne sont pas compatibles avec la teneur des obligations découlant du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, qui n’impose pas à l’État partie de ne pas renvoyer des personnes courant un risque réel de détention arbitraire dans l’État de destination.

4.5L’État partie fait de surcroît valoir que l’auteur n’a pas étayé, ne fût-ce que par un commencement de preuve, les allégations selon lesquelles il serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi à Sri Lanka. L’État partie fait observer que l’auteur affirme qu’il serait exposé à un risque de préjudice irréparable à Sri Lanka pour deux raisons : a) il a été le témoin de violations des droits de l’homme commises par les autorités sri-lankaises lorsque, en 2011, il a assisté au meurtre de son cousin, R. C., par la police sri-lankaise, et a fourni des renseignements à ce sujet ; b) s’il revenait à Sri Lanka après une longue période à l’étranger, il serait considéré comme un traître ayant discrédité son pays. L’auteur tire argument des informations sur les profils à risque contenues dans deux rapports.

4.6L’État partie fait valoir que les griefs de l’auteur ont été rejetés par les autorités compétentes. Après examen de la demande d’examen des risques avant renvoi et des pièces justificatives présentées par l’auteur, l’agent compétent a conclu que ce dernier n’avait pas fourni d’éléments suffisant à prouver l’existence d’un risque en ce qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves permettant d’établir un lien entre l’auteur et R. C., ni la participation du premier à la manifestation au cours de laquelle le second avait été tué et aux actions en justice engagées par la suite. L’État partie signale que la Cour fédérale a confirmé la décision de l’agent chargé de statuer sur la demande après avoir procédé à un examen approfondi des éléments de preuve et des arguments présentés par l’auteur.

4.7L’État partie, rappelant la jurisprudence constante du Comité selon laquelle « il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie », soutient que le Comité devrait suivre les conclusions de l’agent chargé d’examiner la demande d’examen des risques avant renvoi et de la Cour fédérale. Il ajoute que l’auteur n’a pas fourni d’éléments démontrant que la procédure ou l’appréciation des faits et des preuves ont manifestement été arbitraires ou ont représenté un déni de justice.

4.8L’État partie estime que les récits que l’auteur a faits au fil des ans de son expérience avant son départ de Sri Lanka en 2011 présentent de nombreuses contradictions et que le Comité ne devrait donc pas s’y fier, ou devrait considérer que les allégations de l’auteur ne sont pas suffisamment étayées. À cet égard, il soutient que les lettres et les articles de presse fournis par l’auteur ne permettent pas d’étayer les allégations de ce dernier. En effet, aucune des lettres ne mentionne que l’auteur était présent à la manifestation organisée dans la zone franche de Katunayake ou qu’il a assisté à la mort de R. C. ou a témoigné à ce sujet. De même, aucun des articles de presse ne mentionne l’auteur, pas même celui publié sur le World Socialist Web Site le 23 juin 2011, qui fournit pourtant des informations détaillées sur une enquête judiciaire et une enquête de police qui étaient en cours à l’époque et cite le nom d’un certain nombre de personnes ayant participé à la manifestation et témoigné devant le Tribunal de première instance de Negombo, chargé de l’enquête.

4.9L’État partie soutient que, dans sa déclaration sous serment de mai 2012, la première qu’il ait faite devant les autorités de l’État partie sur ce qui lui était arrivé à Sri Lanka, l’auteur n’a pas dit qu’il avait assisté à la manifestation organisée dans la zone franche de Katunayake et avait été témoin du meurtre de son cousin, ni qu’il avait fourni des éléments de preuve concernant ce meurtre. Ce qu’il a déclaré, c’est que lui et d’autres personnes avaient signé une pétition qu’ils avaient remise au prêtre de leur paroisse pour qu’il la dépose auprès de la Commission asiatique des droits de l’homme, en protestation contre les agissements de la police, qui avait tué un de ses proches parents, après quoi lui-même et les autres pétitionnaires avaient été pris pour cible par des hommes de main du Gouvernement et par la police. L’auteur n’a pas identifié le « proche parent » comme étant R. C., ni précisé qu’il s’agissait d’un cousin.

4.10En ce qui concerne la thèse selon laquelle l’auteur a assisté à la mort de R. C, tombé sous les tirs de la police, et a appelé une ambulance pour qu’elle conduise R. C. à l’hôpital, mais il était trop tard et R. C. n’a pas survécu, l’État partie soutient que, dans l’article du 23 juin 2011, on peut lire qu’un dénommé S. F. et un autre collègue ont emmené R. C. à l’usine, puis que la police est arrivée et l’a embarqué dans une jeep. R. C. aurait passé deux heures à se vider de son sang dans les locaux de la police, sans être soigné, avant d’être conduit à l’hôpital, où il est mort deux jours plus tard. Un autre article publié sur le World Socialist Web Site, daté du 6 juin 2011, donne les mêmes détails.

4.11En ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’auteur est le seul témoin oculaire du meurtre, l’État partie signale que, dans la version des faits qu’il a donnée dans le cadre de sa demande d’examen des risques avant renvoi de 2012, l’intéressé s’est décrit comme « l’un des rares témoins oculaires ». De l’avis de l’État partie, même si l’auteur avait assisté au meurtre de R. C., il n’en serait pas le seul témoin : étaient aussi présents, au moins, la compagne de la victime, ainsi que S. F. et son collègue, et les autres personnes mentionnées dans l’article du 23 juin 2011. Étant donné que la manifestation a apparemment rassemblé de nombreuses personnes, l’État partie soutient qu’il est probable que de nombreuses personnes aient assisté à la fusillade. Se référant à un article paru le 4 juillet 2012 dans The Island, l’État partie signale que 270 manifestants ont été hospitalisés et 11 actions pour violation des droits fondamentaux ont été engagées contre la police devant la Cour suprême de Sri Lanka.

4.12L’État partie indique que l’auteur n’a jamais fourni de copie des preuves qu’il aurait communiquées au dirigeant syndical qui a décidé d’intenter une action en justice contre la police. L’État partie soutient en outre que l’auteur ne semble pas avoir contribué à l’enquête judiciaire ou à l’enquête de police, qui ont pourtant été ouvertes avant son départ de Sri Lanka, et n’a pas avancé, dans sa déclaration sous serment de mai 2012, qu’il avait fourni des éléments de preuve aux avocats du syndicat ou témoigné à l’appui d’une plainte.

4.13En ce qui concerne l’allégation selon laquelle, le 10 juin 2011, l’auteur a commencé à recevoir des coups de téléphone menaçants à son domicile, l’État partie fait observer que, dans les déclarations fournies à l’appui de sa demande d’examen des risques avant renvoi, l’intéressé a seulement indiqué que sa mère avait reçu un appel menaçant ce jour-là et n’a fait état d’aucun autre incident. En outre, dans sa déclaration sous serment de mai 2012, l’auteur n’a mentionné aucun appel téléphonique menaçant.

4.14L’État partie soutient que l’auteur a fourni des renseignements contradictoires en ce qui concerne le traitement médical reçu le lendemain du jour où il a été enlevé et battu. Dans sa communication au Comité, il soutient que ses parents l’ont emmené à l’hôpital de Negombo, qui a refusé de le prendre en charge, et l’ont donc ensuite conduit à la clinique de Keraminiya. Selon le document qu’il présente comme un rapport médical, il a été traité du 1er au 7 juillet 2011 pour des lésions corporelles liées à des tuméfactions. Toutefois, dans sa déclaration sous serment de mai 2012, l’auteur a avancé qu’après l’attaque du 28 juin 2011, il avait passé une nuit à l’hôpital, et n’a pas mentionné que cet établissement avait refusé de le prendre en charge ni qu’il était allé à la clinique de Keraminiya.

4.15L’État partie soutient également que l’auteur a donné des renseignements contradictoires au sujet de la façon dont il avait été embauché sur le navire à bord duquel il s’était rendu au Canada. Dans sa communication au Comité, l’auteur allègue que son père l’a emmené chez des proches, à Kandi, puis a affrété un navire privé pour l’emmener en Algérie, d’où il a embarqué sur un navire partant pour le Canada. Or, dans le formulaire de demande d’examen des risques avant renvoi, il a déclaré avoir pris l’avion pour l’Algérie à Sri Lanka le 11 juillet 2011, en possession d’un passeport sri-lankais valable et d’autres documents d’identité. D’après son livret professionnel maritime, l’auteur a trouvé un emploi sur le M/V Lake Ontario, le 13 juin 2011, à Colombo. Or, selon le contrat de travail qu’il a signé le 8 juillet 2011, il a accepté de prendre ses fonctions à bord du M/V Lake Ontario le 11 juillet 2011. L’État partie avance que, bien qu’une demande d’examen des risques avant renvoi ne soit pas une déclaration sous serment, l’auteur a signé une attestation confirmant que les renseignements fournis dans le formulaire à l’appui de sa demande étaient véridiques, complets et exacts.

4.16Même si le Comité considérait le récit de l’auteur comme véridique, ce que l’État partie l’engage à ne pas faire, les éléments de preuve fournis par l’intéressé ne suffisent pas à établir que les responsables présumés des événements des 10 et 28 juin 2011 sont des agents du Gouvernement ou des membres de la police de Sri Lanka. En effet, l’auteur n’identifie jamais ces personnes, qu’il désigne simplement comme « l’auteur des appels » et « quatre hommes ». De plus, l’auteur n’a jamais dit qu’il craignait d’être persécuté par les autorités sri-lankaises, se bornant à avancer qu’il serait exposé à un grave danger s’il était renvoyé à Sri Lanka étant donné les violations flagrantes des droits fondamentaux qui continuaient de se produire dans le pays.

4.17L’État partie soutient que l’auteur veut amener le Comité à conclure que ses persécuteurs présumés étaient des agents des autorités sri-lankaises ou agissaient au nom de ces dernières alors qu’il ne fournit pas le moindre élément de preuve à cet effet. Selon l’État partie, les menaces qui auraient pesé sur l’auteur en 2011 émanaient d’acteurs locaux. Il est donc probable qu’à son retour à Sri Lanka, l’auteur aurait la possibilité de se réfugier dans une autre région du pays, comme en témoigne le fait qu’il a séjourné à Kandi pendant plusieurs semaines sans incident avant son départ pour l’Algérie et que ses parents et ses sœurs se sont réinstallés. L’État partie avance que, conformément aux lignes directrices publiées par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) en 2012 et à la nouvelle législation visant à protéger les témoins de violations des droits de l’homme, l’auteur pourrait bénéficier de la protection de l’État contre toutes les entités non étatiques susceptibles de chercher à le retrouver à son retour.

4.18L’État partie affirme en outre que, selon les lignes directrices du HCR, les personnes présentant des caractéristiques correspondant aux profils à risque n’ont pas nécessairement toutes droit à une protection internationale. La plupart des cas mentionnés dans ce document concernent des personnes qui ont été victimes des autorités sri-lankaises et demandent réparation pour le préjudice subi, ou des témoins ayant déposé devant la Commission des enseignements et de la réconciliation. Selon les lignes directrices, les opinions politiques et la race présumées sont également des caractéristiques dont il importe de tenir compte.

4.19L’État partie soutient que ces considérations s’inscrivent dans le droit fil des conclusions rendues par la chambre chargée des affaires relatives à l’immigration et à l’asile du Upper Tribunal du Royaume-Uni dans l’affaire GJ and others, dont il ressort que les priorités du Gouvernement sri-lankais ont changé depuis la fin de la guerre civile et les autorités s’intéressent maintenant aux individus qui menacent la stabilité et l’unité de Sri Lanka, en particulier aux membres des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et d’autres organisations séparatistes tamoules. L’« opinion politique présumée » mentionnée dans les lignes directrices du HCR fait référence aux opinions favorables à la déstabilisation de Sri Lanka ou au séparatisme. L’auteur n’entre donc pas dans la catégorie des témoins de violations des droits de l’homme définie dans lesdites lignes directrices.

4.20En outre, l’État partie indique que le 19 février 2015, le Gouvernement sri-lankais a adopté des dispositions législatives visant à fournir protection et assistance aux témoins et aux victimes. Il soutient que la situation à Sri Lanka s’est améliorée depuis 2015, le Président Maithripala Sirisena ayant entrepris d’œuvrer à la réconciliation de toutes les ethnies et religions conformément aux recommandations de la Commission des enseignements et de la réconciliation. Depuis que le nouveau Gouvernement est en place, les journalistes, les professionnels des médias et les militants des droits de l’homme peuvent s’exprimer plus librement et parler en public dans un environnement de travail sûr.

4.21L’État partie soutient que, selon les articles de presse mentionnés par l’auteur, les actions de la police qui ont causé la mort de R. C. ont été abondamment commentées et sévèrement critiquées. Il estime que le simple fait que l’auteur puisse avoir été témoin du meurtre de R. C. en 2011 et avoir fourni des informations à ce sujet n’est pas suffisant pour démontrer qu’il courrait un risque réel et personnel de préjudice irréparable à son retour à Sri Lanka.

4.22En ce qui concerne l’argument selon lequel l’auteur risque de subir un préjudice irréparable s’il est renvoyé à Sri Lanka car il serait considéré comme un traître ayant discrédité son pays à l’étranger, l’État partie fait observer que selon le rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés sur lequel l’intéressé se fonde, il n’existe « pas d’indices que toutes les personnes de retour sont enlevées, arrêtées et torturées de façon systématique ».

4.23L’État partie fait valoir que si des rapports objectifs indiquent qu’à leur arrivée sur place, de nombreuses personnes de retour à Sri Lanka sont soumises à un contrôle de sécurité par des agents de l’immigration ou des membres des services de renseignement de l’État, il n’en reste pas moins que pour celles qui n’ont pas de véritable lien avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou d’autres groupes d’opposition au Gouvernement, ne tombent pas sous le coup d’une décision de justice ou d’un mandat d’arrêt ou ne figurent pas sur une liste de personnes à exclure ou à surveiller, ces vérifications n’entraînent pas, en principe, un risque réel et personnel de préjudice irréparable. Selon l’intéressé lui-même, les autorités sri‑lankaises n’ont pas tenté de l’empêcher de quitter le pays en 2011 et il est parti avec un passeport valable. De surcroît, rien n’indique que l’auteur tombe sous le coup d’une décision de justice ou d’un mandat d’arrêt ou qu’il figure sur une liste de personnes à exclure ou à surveiller.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une lettre datée du 25 janvier 2016, l’auteur fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il déclare que, le 9 décembre 2015, il a présenté une demande de résidence permanente au Canada pour considérations d’ordre humanitaire, et allègue que l’examen de la demande de sursis dont il avait saisi la Cour fédérale a été suspendu du fait du dépôt d’une requête présentée le 4 décembre 2014 comme suite à la demande du Comité tendant à ce que l’État partie s’abstienne d’expulser l’auteur vers Sri Lanka tant que la communication serait à l’examen.

5.2En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle les griefs qu’il tire de l’article 9 (par. 1) n’entrent pas dans le champ d’application du Pacte, l’auteur soutient que l’État partie a l’obligation de ne pas expulser ou renvoyer un individu vers un pays ou une région où il courrait un risque réel de préjudice irréparable.

5.3L’auteur avance qu’il n’a pas pu présenter de demande d’asile avant son arrivée dans l’État partie. Il explique que, comme indiqué dans sa déclaration sous serment de mai 2012, le navire sur lequel il travaillait n’a fait que de très courtes escales avant d’arriver au Canada, et ses occupations professionnelles ne lui ont pas permis de descendre à terre avant l’arrivée dans ce pays.

5.4En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle l’agent chargé de traiter la demande d’examen des risques avant renvoi a estimé que les éléments fournis ne suffisaient pas à démontrer que l’auteur avait été détenu et torturé par les autorités sri-lankaises, l’intéressé explique qu’il n’avait aucun moyen de démontrer ce fait par des preuves documentaires, sachant que les autorités sri-lankaises ne sont à l’évidence pas disposées à établir un document confirmant qu’elles se livrent à la détention illégale et à la torture de civils. Il avance qu’il ne voit pas par quels moyens il aurait pu prouver les faits autrement qu’au cours d’un interrogatoire approfondi, à l’occasion duquel la véracité de ses propos aurait pu être dûment appréciée, les audiences consacrées aux demandes d’asile visant précisément à vérifier la crédibilité du demandeur, en particulier sur les principaux points pris en considération aux fins de la décision.

5.5L’auteur se réfère aux constatations adoptées dans l’affaire Choudhary c. Canada, dans lesquelles le Comité a fait observer ce qui suit :

« […] l’auteur n’ayant apparemment pas réussi à prouver son identité au stade initial de la procédure, il ne lui a été fourni aucune autre occasion, dans le cadre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de faire examiner sa demande d’octroi de l’asile bien que son identité ait été ultérieurement confirmée. Si l’affirmation de l’auteur concernant le risque d’être torturé et menacé de mort a été examinée au cours de la procédure d’[examen des risques avant renvoi], un examen aussi limité ne saurait remplacer l’évaluation approfondie à laquelle aurait dû procéder la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Malgré tout le respect dû aux autorités d’immigration en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve dont elles étaient saisies, le Comité considère que cette affaire méritait un examen plus approfondi ».

5.6Quant à l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur bénéficierait de la protection de l’État étant donné que le Gouvernement sri-lankais a récemment adopté des dispositions législatives visant à fournir protection et assistance aux témoins et aux victimes de crimes, l’intéressé fait valoir que l’adoption d’une loi ne signifie pas que celle-ci sera suivie d’effet. Même si le Gouvernement sri-lankais a les meilleures intentions, la loi promulguée ne garantit pas l’indépendance de la nouvelle autorité chargée de la faire appliquer.

5.7Enfin, l’auteur indique qu’il cherche à obtenir des preuves documentaires de Sri Lanka pour étayer ses allégations.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note du 18 août 2016, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication et renouvelle sa demande de levée des mesures provisoires. Il indique qu’après avoir fait l’objet d’un examen approfondi, la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire présentée par l’auteur a été rejetée le 15 juillet 2016. L’agent chargé d’examiner cette demande a félicité l’auteur des efforts qu’il avait déployés pour s’établir au Canada, mais a néanmoins constaté qu’il n’était pas plus établi que la normale pour une personne qui résidait dans le pays depuis près de cinq ans.

6.2L’État partie explique que l’agent qui a examiné la demande n’a pas souscrit à l’argument selon lequel l’auteur se retrouverait dans une situation difficile à Sri Lanka en raison des événements qui avaient eu lieu en mai et juin 2011. L’agent a réaffirmé que les preuves documentaires fournies, composées de divers articles de presse, n’étayaient pas les allégations selon lesquelles l’auteur avait été le seul témoin du meurtre de R. C. et avait témoigné sur ce qu’il avait vu. En conséquence, l’agent n’a accordé aucun poids à l’argument selon lequel les autorités sri-lankaises s’en prendraient à l’intéressé en raison de son témoignage. De plus, il a noté que l’auteur n’avait fourni aucune preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle il serait victime de discrimination à l’embauche à Sri Lanka du fait qu’il était un jeune sans relations familiales ou politiques, constatant qu’il avait d’ailleurs déjà occupé plusieurs emplois dans ce pays.

6.3L’agent a conclu que, malgré une nécessaire période d’ajustement, l’auteur pourrait se réinstaller à Sri Lanka avec l’aide et le soutien de sa famille et de ses amis. Il a déclaré qu’il n’était pas convaincu que les considérations d’ordre humanitaire concernant l’auteur justifient une dérogation aux règles énoncées dans la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

6.4L’État partie avance que, le 5 août 2016, l’auteur a saisi la Cour fédérale en vue d’être autorisé à demander un contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande pour considérations d’ordre humanitaire.

6.5L’État partie relève que l’auteur n’a pas encore précisé en quoi les droits qu’il tient de l’article 9 (par. 1) seraient violés s’il était expulsé vers Sri Lanka et n’a fourni aucun élément de nature à établir une violation présumée. L’État partie avance de surcroît que l’auteur n’a pas étayé, ne fût-ce que par un commencement de preuve, la thèse selon laquelle il courrait un risque réel de violation de l’article 9 (par. 1) à son retour à Sri Lanka, ni établi que la conséquence nécessaire et prévisible de cette violation serait une violation des articles 6 (par. 1) ou 7.

6.6En ce qui concerne les articles 6 (par. 1) et 7, l’État partie explique que, contrairement à ce que soutient l’auteur, l’agent chargé de traiter la demande d’examen des risques avant renvoi n’a pas demandé à ce dernier de fournir des preuves documentaires « directes » émanant des autorités sri-lankaises et permettant d’établir qu’il avait été détenu et torturé par ces autorités. L’agent a toutefois conclu que l’auteur n’avait pas fourni d’éléments suffisant à démontrer qu’il était présent à la manifestation organisée dans la zone franche de Katunayake, qu’il avait un lien de parenté avec R. C., qu’il était le seul témoin oculaire de la fusillade et qu’il avait témoigné dans le cadre des actions engagées en justice contre les autorités sri-lankaises.

6.7L’État partie avance que l’interprétation erronée que fait l’auteur des conclusions de l’agent chargé de traiter sa demande d’examen des risques avant renvoi va dans le sens de ses tentatives répétées pour que le Comité agisse comme une quatrième juridiction et que sa demande fasse l’objet d’une audience. La question de savoir si l’auteur avait droit à une audience a été soigneusement examinée par les autorités nationales, qui ont jugé que ce n’était pas le cas. L’État partie estime que l’argument selon lequel l’auteur ne peut pas démontrer la véracité de ses allégations autrement que dans le cadre d’un interrogatoire direct n’est pas fondé. On ne saurait conclure que des allégations de détention et de torture (ou des allégations selon lesquelles il existe un risque de détention et de torture) ne peuvent être prouvées qu’au moyen d’un interrogatoire direct mené dans le cadre d’une audience.

6.8L’État partie soutient que la difficulté de l’auteur à fournir suffisamment d’éléments probants et crédibles à l’appui de ses allégations pourrait être due au fait que les éléments dont il a saisi ou pourrait saisir le Comité ne sont pas de nature à étayer ses dires. Ainsi, si l’auteur avait joué le rôle qu’il prétend dans les événements du 30 mai 2011, son nom devrait apparaître dans quelques-uns au moins des articles de presse publiés, et il aurait dû être en mesure d’obtenir un compte rendu de son témoignage ou, à tout le moins, un document des avocats du syndicat confirmant sa coopération. L’État partie soutient en outre que, si l’auteur avait été torturé comme il l’affirme, il aurait été en mesure de produire des dossiers médicaux attestant de ses blessures et du type de soins reçus. Or, l’intéressé n’a fourni au Comité qu’un document manuscrit non daté, sur papier libre, qu’il présente comme un certificat médical.

6.9L’État partie estime que la référence de l’auteur à Choudhary c. Canada n’est pas pertinente en l’espèce. Si le Comité devait estimer le contraire, l’État partie serait en désaccord avec l’avis de la majorité, qui selon lui serait contraire à la jurisprudence constante du Comité et ne devrait donc pas être suivi.

6.10En ce qui concerne les doutes exprimés par l’auteur quant à l’efficacité des nouvelles dispositions de la législation sri-lankaise visant à protéger et aider les témoins et les victimes d’infractions, l’État partie demande au Comité d’envisager comme lui la situation sous une optique plus large et de tenir compte du fait que la situation politique à Sri Lanka semble s’être améliorée depuis les élections de janvier 2015, comme le montre l’adoption de la loi sur la protection des témoins.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Dans ses commentaires du 19 septembre 2016 et du 24 octobre 2016, l’auteur maintient que sa demande d’examen des risques avant renvoi aurait dû faire l’objet d’une audience étant donné que les éléments de preuve qu’il avait présentés soulevaient des questions quant à sa crédibilité, point déterminant aux fins de la décision, et qu’une décision favorable aurait été rendue si une valeur probante suffisante avait été accordée auxdits éléments.

7.2L’auteur convient que, comme le fait valoir l’État partie, les allégations de torture et de persécution ne peuvent dans certaines situations être prouvées qu’au moyen de pièces documentaires. Toutefois, il soutient qu’il n’a pas été en mesure d’obtenir pareilles pièces et qu’il aurait donc dû avoir la possibilité de présenter ses arguments en personne et de témoigner de ce qu’il avait vu et subi depuis le décès de son cousin.

7.3L’auteur fournit une lettre dans laquelle M. N., membre du syndicat des employés des zones franches et des services généraux, avance qu’il a joué un rôle déterminant dans l’action en justice engagée par le syndicat contre la police. M. N. soutient que le syndicat a eu du mal à trouver des témoins oculaires prêts à déposer en raison des menaces émanant de la police et de forces non identifiées, mais l’auteur s’est porté volontaire pour aider à faire la lumière sur la mort d’un collègue et, sans son soutien, il n’aurait pas été possible de constituer un dossier. M. N. indique également que le rapport contenant des éléments de preuve concernant la mort de R. C. n’a pas encore été rendu public. L’auteur fournit en outre un article paru récemment en ligne, dans lequel on peut lire que le syndicat interentreprises Inter Company Employees Union a demandé au Gouvernement de rendre public le rapport sur la mort de R. C., ainsi qu’une copie de la page Facebook du syndicat.

7.4L’auteur fournit également une lettre dans laquelle le prêtre de sa paroisse, qui a célébré les obsèques de R. C., atteste qu’il était présent lorsque R. S., un de ses cousins du côté maternel, a été abattu par la police en mai 2011 ; qu’il a assisté à cet incident, qui a donné lieu à de graves troubles politiques dans la région ; que des membres de forces gouvernementales non identifiées et de la police avaient menacé de mort de nombreuses personnes ; qu’il fait partie des jeunes gens qui ont été directement mêlés aux événements ; que ce qui s’est passé a bouleversé sa vie au point qu’il a dû quitter Sri Lanka ; et qu’il essayait d’obtenir les documents nécessaires pour prouver qu’il avait été témoin de l’incident, mais cela était vraiment difficile car les pouvoirs publics eux-mêmes en dissimulaient une grande partie.

7.5Enfin, l’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle la situation à Sri Lanka semble s’être améliorée. Il renvoie à un rapport de 2015-2016 publié par Amnesty International dont il ressort que de nombreuses violations des droits de l’homme continuent d’être signalées, notamment de nombreux cas d’arrestation et de détention arbitraires, de torture et autres mauvais traitements, de disparition forcée et de décès en détention, le tout dans un climat d’impunité installé depuis longtemps.

Observations complémentaires

Observations de l’État partie

8.1Dans ses observations complémentaires du 16 mars 2017, l’État partie signale que, le 18 novembre 2016, la Cour fédérale a fait droit à la requête de l’auteur tendant à obtenir l’autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision portant rejet de sa demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. L’auteur avait fourni à la Cour fédérale une déclaration sous serment faite le 2 septembre 2016 à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire.

8.2L’État partie indique que l’audience a eu lieu le 13 février 2017. Le 22 février 2017, la Cour fédérale a conclu que les arguments de l’auteur selon lesquels l’agent chargé d’examiner sa demande pour considérations d’ordre humanitaire avait commis une erreur d’appréciation concernant les difficultés auxquelles il serait confronté s’il était renvoyé à Sri Lanka et son degré d’établissement au Canada n’étaient fondés ni en fait ni en droit. Elle a donc rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par l’auteur. En ce qui concerne le degré d’établissement de ce dernier au Canada, la Cour a conclu que le raisonnement de l’agent chargé d’examiner la demande pour considérations d’ordre humanitaire était clair, transparent et manifestement étayé par les éléments de preuve disponibles. En ce qui concerne la question des circonstances adverses, elle a constaté que le principal argument avancé par l’auteur concernait les risques et difficultés auxquels il serait exposé en cas de retour à Sri Lanka en raison des événements survenus en 2011. La Cour a noté que l’agent chargé d’examiner la demande pour considérations d’ordre humanitaire avait constaté que l’auteur manquait de crédibilité au motif que ses propos présentaient des incohérences et des contradictions et qu’aucun élément ne venait démontrer qu’il avait participé aux actions en justice engagées à la suite de l’attaque de la police, qu’il avait fourni une déclaration aux avocats du syndicat et qu’il avait déposé plainte auprès de la police après les faits.

8.3La Cour fédérale a conclu que dans la déclaration sous serment présentée à l’appui de sa requête tendant à obtenir l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire, l’auteur s’était efforcé de donner de nouvelles explications concernant ce qu’il avait fait après la fusillade dont avait été victime son prétendu cousin, mais ces explications contredisaient ses déclarations antérieures. Elle a également constaté que rien dans le dossier ne venait corroborer la thèse selon laquelle l’auteur avait participé aux actions en justice engagées à la suite de la fusillade.

8.4L’État partie soutient que l’argument selon lequel l’auteur serait exposé à un risque a été examiné de manière approfondie par plusieurs décideurs indépendants et impartiaux, qui ont tous conclu qu’il n’était pas étayé et était dénué de crédibilité. L’État partie estime que les incohérences et les contradictions relevées dans le dossier de l’auteur donnent au Comité de sérieuses raisons de douter de la crédibilité de l’intéressé.

Observations de l’auteur

9.1Dans des observations complémentaires du 21 avril 2017, l’auteur avance que les éléments soumis au Comité le 24 octobre 2016 (les lettres d’un membre du syndicat et du prêtre de sa paroisse) sont déterminants car ils montrent qu’il a joué un rôle clef dans l’action en justice engagée par le syndicat contre la police. Il soutient que ces éléments n’ont pas été pris en compte par les agents chargés d’examiner sa demande pour considérations d’ordre humanitaire et sa demande d’examen des risques avant renvoi, non plus que par la Cour fédérale étant donné que, dans le cadre du contrôle judiciaire, celle-ci ne peut être saisie d’aucun élément nouveau n’ayant pas été précédemment examiné.

9.2L’auteur réaffirme qu’il est difficile d’obtenir des preuves documentaires et fait observer que, comme il est indiqué dans la lettre du syndicat, le Gouvernement n’a pas encore rendu public le rapport du Comité contenant des éléments de preuve concernant le décès de son cousin, R. C.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, comme l’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire de l’article 9 (par. 1) sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. À cet égard, il constate que l’auteur n’a pas fourni de renseignement, d’élément de preuve ou d’explication permettant de comprendre en quoi son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 9 et lui ferait courir un risque important de subir un préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés. Toutefois, il estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a fourni des renseignements suffisants en ce qui concerne le risque de préjudice irréparable auquel il serait exposé s’il était renvoyé à Sri Lanka. Par conséquent, le Comité déclare ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il est fait référence à l’obligation des États de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a également établi que ce risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de dommage irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

11.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer si un risque existe.

11.4Le Comité note que l’auteur soutient que son renvoi à Sri Lanka l’exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, au motif que : a) en tant que témoin oculaire, il a fourni des preuves aux dirigeants syndicaux dans le cadre de l’action en justice engagée contre les policiers qui, le 30 mai 2011, au cours d’une manifestation qui a eu lieu dans la zone franche, avaient tiré sur les manifestants et tué son cousin R. C. ; b) en raison de son témoignage contre la police, il a reçu des appels téléphoniques menaçants et a été battu jusqu’à perdre connaissance par quatre hommes ayant fait irruption chez lui ; c) sa famille a continué de recevoir des appels téléphoniques menaçants après son départ ; d) s’il retournait à Sri Lanka, il serait perçu comme un traître ayant discrédité le pays à l’étranger.

11.5Le Comité note également que l’État partie avance que les allégations selon lesquelles l’auteur serait exposé à un risque ont été examinées de manière approfondie par plusieurs décideurs indépendants et impartiaux, qui ont tous conclu qu’elles n’étaient pas étayées. Il note en particulier que l’agent chargé de traiter la demande d’examen des risques avant renvoi a conclu que l’auteur n’avait pas fourni suffisamment de preuves pour les corroborer. Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles le nom de l’auteur ne figure dans aucun des articles de presse concernant la mort de R. C. et l’enquête judiciaire s’y rapportant, l’intéressé n’a fourni aucun élément permettant d’établir que les auteurs présumés des actes commis les 10 et 28 juin 2011 étaient des agents du Gouvernement ou des membres de la police sri-lankaise, et il n’a pas fourni d’éléments de preuve aux dirigeants syndicaux qui ont intenté une action en justice contre la police.

11.6À cet égard, le Comité note que, le 24 octobre 2016, l’auteur lui a fourni une lettre dans laquelle un membre du syndicat des employés des zones franches et des services généraux déclarait que les informations qu’il avait fournies en tant que témoin oculaire du meurtre de R. C. étaient un élément clef de l’action en justice engagée par le syndicat contre la police. L’auteur a également fourni une lettre dans laquelle le prêtre qui a célébré les obsèques de R. C. confirme que l’intéressé a vu R. C. être assassiné et que des forces gouvernementales non identifiées et des membres de la police avaient menacé de mort de nombreuses personnes. Le Comité note que ces éléments n’ont pas été communiqués aux agents chargés de la demande d’examen des risques avant renvoi et de la demande pour considérations d’ordre humanitaire parce qu’ils ont été obtenus après coup. Il note également que, selon l’auteur, ces éléments n’ont pas non plus été examinés par la Cour fédérale, aucun élément nouveau n’ayant pas été précédemment examiné ne pouvant être pris en compte dans le cadre du contrôle judiciaire.

11.7Le Comité note que, si les lettres mentionnent que l’auteur a été témoin du meurtre de son cousin R. C. par la police et a fourni un témoignage au syndicat dans le cadre de l’action engagée en justice contre la police, elles ne contiennent néanmoins aucune information concernant l’agression que l’intéressé aurait subie en raison de sa présence sur les lieux du crime au moment de la mort de son cousin et ne permettent pas de conclure qu’il courrait un risque réel de préjudice irréparable s’il était renvoyé à Sri Lanka. Le Comité constate en outre que l’auteur a fourni un rapport médical selon lequel il aurait reçu des soins médicaux du 1er au 7 juillet 2011 pour des lésions corporelles liées à des tuméfactions, mais estime toutefois que ce document ne démontre pas que les lésions ont nécessairement été provoquées par l’agression dont l’auteur soutient avoir été victime le 28 juin 2011 lorsqu’il a été attaqué par quatre inconnus. Le Comité estime donc que l’auteur n’a pas fourni de preuves concluantes à l’appui des allégations selon lesquelles il serait soumis à un risque en cas de retour au Sri Lanka.

11.8Le Comité constate que les autorités de l’État partie ont estimé que l’auteur manquait de crédibilité au motif qu’il avait fourni des informations incohérentes et contradictoires. Il note en particulier que l’État partie fait observer que dans sa déclaration sous serment de mai 2012, l’intéressé n’a pas mentionné avoir assisté à la manifestation organisée dans la zone franche de Karunyake, avoir été témoin du meurtre de son cousin, ou avoir fourni des preuves sur le meurtre. Il constate également que, d’après l’État partie, la thèse selon laquelle l’auteur a vu R. C. tomber sous les balles de la police et a appelé une ambulance pour qu’elle l’emmène à l’hôpital, mais il était trop tard pour le sauver, n’est pas compatible avec les informations rapportées dans les médias, les articles de presse fournis par l’auteur indiquant que R. C. a été emmené par la police dans une jeep, mais n’a pas été soigné et s’est vidé de son sang pendant deux heures dans les locaux de la police avant d’être emmené à l’hôpital, où il est mort deux jours plus tard.

11.9Le Comité note que la déclaration de l’auteur n’est pas non plus compatible avec les informations fournies par la Commission asiatique des droits de l’homme en réponse à un appel urgent concernant la mort de R. C. La Commission a déclaré qu’après la fusillade, les travailleurs blessés avaient été emmenés au poste de police de Kesselwatte. Ces personnes, parmi lesquelles R. C., sont restées dans les locaux de la police sans se voir fournir une assistance médicale. Le déni d’assistance médicale à un détenu ou un suspect blessé est constitutif de torture au regard de la législation du pays. Selon la Commission, malgré plusieurs interventions chirurgicales pratiquées pour tenter de lui sauver la vie, R. C. a succombé à ses blessures le 1er juin 2011 à 19 h 30.

11.10Pour ce qui est de l’allégation selon laquelle l’auteur serait en danger s’il retournait à Sri Lanka parce qu’il y serait perçu comme un traître ayant discrédité le pays à l’étranger, le Comité, sans sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation des droits de l’homme à Sri Lanka, constate que les autorités de l’État partie ont examiné ce risque dans le cadre des procédures internes, et estime qu’en l’espèce, elles ont dûment pris en considération les allégations de l’auteur.

11.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne peut conclure que les informations dont il dispose montrent que l’auteur serait exposé à un risque réel de traitement contraire aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte s’il était expulsé vers Sri Lanka.

12.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka ne constituerait pas une violation des droits qu’il tient des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte.