Nations Unies

CCPR/C/128/D/3012/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 juin 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3012/2017* , **

Communication présentée par :

D. A. M.

Victime(s) présumée(s):

L’auteure

État partie :

Suède

Date de la communication :

4 juillet 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 juillet 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

13 mars 2020

Objet :

Expulsion de la Suède vers la Somalie

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; non-refoulement

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteure de la communication est D. A. M., de nationalité somalienne, née le 11 septembre 1982 à Mogadiscio. Elle est sous le coup d’un arrêté d’expulsion vers la Somalie, qui fait suite au rejet de sa demande d’asile par les autorités suédoises. Elle soutient que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte. Elle n’est pas représentée par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976.

1.2Le 27 juillet 2017, le Comité, en application de l’article 94 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteure vers la Somalie tant que son cas serait à l’examen devant le Comité.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure résidait à Masagaway(Somalie). Son mari travaillait comme chauffeur pour une organisation humanitaire étrangère. En 2012, Al-Shabaab a commencé à proférer des menaces contre lui au sujet de son travail. Au début, celui-ci n’a pas pris ces menaces au sérieux. En mars 2013, le beau-frère de l’auteure, qui avait emprunté la voiture du mari de celle-ci, a été arrêté et tué par Al-Shabaab. L’auteure et son mari ont alors décidé de quitter la région. L’auteure était alors enceinte de six mois. En chemin, elle s’est rendu compte qu’elle avait oublié d’emporter un médicament dont elle avait besoin pendant sa grossesse. Elle est retournée à son domicile où des membres d’Al-Shabaab l’attendaient. Ils l’ont emmenée dans un lieu inconnu où ils l’ont détenue pendant une semaine. Ils ont menacé de la tuer et lui ont dit qu’elle serait forcée d’épouser un membre d’Al-Shabaab. Un jour, après avoir reçu un appel, les gardes ont quitté le lieu où l’auteure était détenue. Lorsque l’auteure a crié à l’aide, des bergers l’ont libérée et lui ont indiqué la route la plus proche. Elle a donné 600 shillings à un chauffeur de camion pour qu’il la conduise chez son oncle à Mogadiscio. Une fois arrivée à destination, elle a été conduite à l’hôpital où elle a appris qu’elle avait fait une fausse couche. Le fils de son oncle était membre d’Al-Shabaab et il a fait pression sur son père pour qu’il révèle où se trouvaient l’auteure et son mari. L’oncle de l’auteure a donc organisé son départ de Somalie et l’auteure a quitté le pays en mars 2013. Elle est arrivée en Turquie où elle a travaillé jusqu’en septembre 2014 afin d’économiser l’argent nécessaire pour payer un passeur. Par la suite, elle a quitté la Turquie pour la Grèce, d’où elle s’est rendue au Danemark. En novembre 2014, elle est arrivée en Suède où elle a présenté une demande d’asile.

2.2Le 29 novembre 2016, l’Office suédois des migrations a rejeté la demande d’asile de l’auteure, estimant que, si elle ne pouvait pas retourner à Masagaway en raison de la présence d’Al-Shabaab, elle pouvait encore résider à Mogadiscio. L’auteure a présenté devant le Tribunal administratif de l’immigration (ci-après « le Tribunal de l’immigration ») et devant la Cour administrative d’appel de l’immigration (ci-après « la Cour d’appel ») des recours qui ont été rejetés. Elle affirme donc avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

2.3L’auteure affirme qu’elle a une infection à la gorge qui nécessite une opération. Elle affirme également qu’elle ne peut être opérée ni être soignée puisqu’elle ne réside pas légalement dans l’État partie.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que son renvoi en Somalie lui ferait courir un risque important de subir un préjudice de la part d’Al-Shabaab, en violation des droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte, sachant qu’elle a déjà été enlevée par Al-Shabaab à cause du travail de son mari.

3.2L’auteure affirme qu’elle ne dispose pas de la protection d’un réseau masculin à Mogadiscio et qu’elle ignore si son oncle est encore en vie. Elle ajoute que si, comme l’ont affirmé les autorités suédoises, Mogadiscio était un lieu sûr pour elle, son oncle ne lui aurait pas conseillé de quitter la Somalie.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 2 mars 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication.

4.2L’État partie indique que l’auteure a demandé l’asile à la Suède le 19 novembre 2014. Le 29 novembre 2016, l’Office suédois des migrations a rejeté sa demande. L’auteure a formé un recours auprès du Tribunal de l’immigration, qui l’a déboutée le 26 avril 2017. Le 14 juin 2017, la Cour d’appel a refusé de lui accorder l’autorisation de former recours et la décision d’expulsion prononcée à son encontre est devenue définitive et non susceptible d’appel.

4.3L’État partie explique en outre qu’en vue de déterminer l’identité de l’auteure et son lieu de résidence habituelle, il a été procédé à une analyse linguistique le 12 septembre 2016. Les résultats de cette analyse, qui ont également été communiqués à l’auteure le 19 septembre 2016, corroborent les déclarations de l’intéressée concernant son origine et son lieu de résidence habituelle, à savoir qu’elle est née à Mogadiscio et résidait à Masagaway dans la province de Shabelle Dhexe, au centre de la Somalie. L’Office des migrations a donc examiné le dossier de l’auteure au regard des conditions régnant à Masagaway et à Mogadiscio.

4.4Le 27 juin 2017, après que la décision d’expulsion est devenue définitive, l’auteure a affirmé devant l’Office des migrations qu’elle était malade et avait une tumeur à la gorge. Toutefois, elle n’a présenté aucun certificat médical à l’appui de cette affirmation. Elle a par la suite soumis au Comité des attestations médicales dont il ressort qu’elle présente une tumeur bénigne du côté droit de la gorge et qu’aucun traitement médical ni aucun examen de suivi n’a été jugé nécessaire.

4.5L’État partie fait valoir que l’affirmation de l’auteure qui fait valoir qu’elle risque d’être soumise à un traitement contraire aux dispositions du Pacte ne présente pas le degré de preuve minimum requis. Il considère que la communication est manifestement infondée et devrait donc être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 b) du Règlement intérieur du Comité.

4.6Quant au fond, l’État partie fait observer que pour pouvoir conclure à une violation de l’article 7 du Pacte, il doit être établi qu’en cas de renvoi, la personne concernée courrait un risque réel d’être soumise à un traitement semblable à ceux qu’interdit l’article 7. Le risque doit également être la conséquence nécessaire et prévisible du retour forcé. Il ressort de la jurisprudence du Comité qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable envisagé à l’article 7. Tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de la personne concernée. L’État partie rappelle qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, il revient aux tribunaux nationaux d’évaluer les faits et les éléments de preuve, sauf si cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il explique en outre que, comme la loi suédoise sur les étrangers établit les mêmes principes que ceux énoncés à l’article 7 du Pacte, les autorités suédoises chargées des migrations appliquent le même type de critères que le Comité lorsqu’elles examinent une demande d’asile. Il ajoute que les autorités en question sont particulièrement bien placées pour évaluer les renseignements soumis par les demandeurs d’asile et apprécier la crédibilité de leurs affirmations.

4.7L’État partie signale qu’en l’espèce, l’Office des migrations et le Tribunal de l’immigration ont examiné attentivement les griefs de l’auteure. L’Office a eu un entretien préliminaire avec elle le 19 novembre 2014. Le procès-verbal de cet entretien a été communiqué au conseil de l’auteure le 19 mars 2015. Le 29 juin 2015, l’auteure a une nouvelle fois été entendue pendant environ deux heures, en présence de son conseil. Le procès-verbal de cet entretien a été communiqué au conseil de l’auteure le 1er juillet 2015. Des interprètes étaient présents au cours de ces deux entretiens, et l’auteure a confirmé qu’elle les comprenait bien. Par l’intermédiaire de son conseil, l’auteure a été invitée à soumettre des observations écrites sur les procès-verbaux susmentionnés et à faire appel par écrit. L’auteure a eu plusieurs fois l’occasion d’expliquer les faits et circonstances pertinents à l’appui de sa demande et de plaider sa cause devant l’Office des migrations et devant le Tribunal de l’immigration. L’Office des migrations et le Tribunal de l’immigration disposaient de renseignements suffisants pour procéder à une évaluation fondée, transparente et raisonnable du risque et du besoin de protection de l’auteure. Compte tenu de ce qui précède et du fait que l’Office des migrations et le Tribunal de l’immigration sont des organes spécialisés possédant des connaissances spécialisées de l’asile, en droit et en pratique, l’État partie ne voit aucune raison de considérer que leurs conclusions étaient inadéquates ou arbitraires, ou constituaient un déni de justice.

4.8En ce qui concerne le risque de torture ou d’autres mauvais traitements encouru par l’auteure en cas de renvoi en Somalie, l’État partie fait valoir que ce risque doit être évalué sur la base de motifs qui vont au-delà de la simple théorie ou du soupçon. L’auteure devrait étayer sa plainte en présentant des arguments défendables et en démontrant qu’elle court un risque personnel, prévisible et réel d’être soumise à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. À l’issue d’une évaluation individuelle, les autorités migratoires ont estimé que la demande d’asile de l’auteure reposait sur plusieurs éléments contradictoires et que les circonstances décrites n’étaient pas vraisemblables. L’Office a relevé qu’en dépit des possibilités qu’elle avait eues de s’exprimer librement, l’auteure avait fait un récit vague et peu détaillé des faits qui se seraient produits en Somalie. Il a considéré en particulier que l’auteure n’avait pas expliqué les circonstances de sa détention par Al-Shabaab ni celles de son évasion. Il a donc conclu qu’elle n’avait pas étayé les motifs de sa demande d’asile et que ses déclarations n’étaient pas crédibles. Cette conclusion a été corroborée par des informations sur le pays dont il ressortait que les Somaliens travaillant pour des organisations humanitaires n’étaient pas considérés comme des opposants à Al‑Shabaab alors que le personnel local de la Mission de l’Union africaine en Somalie et celui de l’Organisation des Nations Unies étaient notoirement la cible du groupe. Bien qu’il ait rendu une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations de l’auteure, l’Office a constaté que l’intéressée ne serait pas en mesure de retourner en toute sécurité à Masagaway, en raison des conditions de sécurité qui y régnaient, et a examiné s’il existait une solution convenable et réaliste de réinstallation ailleurs sur le territoire somalien.

4.9L’État partie affirme que, parce que la situation en matière de sécurité en Somalie varie d’une région à l’autre du pays, une menace d’un certain niveau peut ne concerner qu’un endroit donné et ne pas exclure une possibilité de fuite interne. Il fait observer que lorsqu’il s’agit de déterminer si une telle possibilité est pertinente, il faut tenir compte de circonstances telles que le sexe, l’âge, la santé et l’existence de réseaux de soutien. Il considère que la situation n’est pas telle que quiconque, dans quelque partie que ce soit de la Somalie, court le risque d’être traité d’une manière qui entraînerait une violation du Pacte. Il relève également que si la possibilité de fuite à Mogadiscio est jugée pertinente, le caractère raisonnable de la solution proposée doit être évalué.

4.10En l’espèce, les autorités de l’État partie ont d’abord évalué la situation des droits de l’homme et de la sécurité dans le lieu de résidence habituelle de l’auteure, à savoir Masagaway, dans la province de Shabelle Dhexe. Elles ont conclu qu’Al-Shabaab contrôlait la zone et que l’auteure ne pourrait donc pas emprunter un itinéraire sûr pour s’y rendre. En conséquence, Mogadiscio, où l’auteure est née et a grandi, a été considérée comme une solution de fuite interne. Sur ce point, l’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui, en référence à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), considère que « l’article 3 n’empêche pas en soi les États contractants de prendre en considération l’existence d’une possibilité de fuite interne lorsqu’un individu allègue qu’un renvoi vers son pays d’origine l’exposerait à un risque réel de subir des traitements proscrits par cette disposition ». L’État partie rappelle également que la Cour européenne a conclu que pour pouvoir invoquer l’existence d’une possibilité de fuite interne, les États doivent s’assurer que « la personne dont l’expulsion est envisagée [soit] en mesure d’effectuer le voyage vers la zone concernée et d’obtenir l’autorisation d’y pénétrer et de s’y établir ». Il renvoie en outre à la jurisprudence pertinente du Comité contre la torture.

4.11En ce qui concerne la situation à Mogadiscio, l’État partie fait observer qu’elle n’est pas telle que quiconque s’y trouve court un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour ce qui est de la situation personnelle de l’auteure, l’État partie fait observer qu’elle est née à Mogadiscio et a grandi dans le clan Hawiye Abgaal, qui est également celui de son mari, alors qu’elle appartient au clan arabe Rer Saleh. La mère de l’auteure a vécu à Mogadiscio jusqu’à son décès. D’après les informations disponibles sur le pays, si tous les clans sont représentés à Mogadiscio, la majorité de la population appartient au clan Abgaal Hawiye par lequel l’auteure a été élevée. En outre, l’auteure a un parent de sexe masculin installé à Mogadiscio, à savoir son oncle, qui a payé ses soins médicaux et organisé son départ de Somalie, notamment en vendant la maison de la mère de l’auteure et en trouvant un passeur. Les autorités de l’État partie ont donc estimé que l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle ne disposait pas sur place de la protection d’un réseau masculin n’était ni fondée ni crédible et ont considéré qu’elle n’avait pas prouvé l’existence d’un risque de persécution à son retour à Mogadiscio. L’État partie considère qu’il n’y a aucune raison de remettre cette évaluation en question. En outre, bien que l’auteure n’ait fourni aucune information sur son mari et ses enfants, l’État partie considère qu’il est peu probable qu’elle ignore où se trouve sa famille ou qu’elle soit incapable d’obtenir des informations sur sa famille ou, pour le moins, de rendre compte des contacts pris à cette fin avec ses proches et les membres de son clan en Somalie.

4.12L’État partie relève que l’auteure a soulevé un nouveau grief devant le Comité, à savoir qu’elle ne pouvait pas retourner chez son oncle à Mogadiscio parce que le fils de celui-ci est membre d’Al‑Shabaab. Il souligne qu’elle n’a aucunement expliqué pourquoi elle n’avait pas soulevé ce point au cours de la procédure d’asile. Il considère raisonnable de penser que l’auteure n’aurait pas omis un élément aussi fondamental de sa demande pendant la procédure d’asile. Il considère donc que la nouvelle affirmation de l’auteure est une « surenchère » et met fortement en doute sa crédibilité.

4.13Compte tenu de ce qui précède, l’État partie considère que les autorités nationales chargées de la question des migrations ont examiné attentivement les griefs de l’auteure et que les motifs de sa demande de protection ne sont pas crédibles. Il affirme qu’en ne présentant des informations et des détails supplémentaires qu’à un stade avancé de la procédure, devant le Comité, l’auteure s’est livrée à une surenchère de son récit qui nuit à sa crédibilité. Il affirme en outre que les autorités en question ont apporté la preuve que Mogadiscio constitue pour l’auteure une possibilité appropriée et raisonnable de fuite interne. De plus, il fait observer que l’auteure n’a fait état d’aucun risque de persécution de la part de l’État somalien ou de ses agents, qui pourrait faire douter du caractère approprié et raisonnable de la fuite interne à Mogadiscio. Il affirme qu’il a été dûment tenu compte de la situation personnelle de l’auteure, notamment de son sexe, de son âge, de son état de santé et de l’existence de réseaux de soutien à Mogadiscio. Il a été considéré qu’elle disposait de réseaux de soutien suffisants auprès des clans Darod et Hawiye Abgaal, des deux côtés de sa famille, et également d’un soutien masculin, son oncle. Enfin, l’État partie fait observer que, puisqu’il existe un aéroport international à Mogadiscio, l’auteure peut retourner dans cette ville sans avoir à se déplacer seule en Somalie et qu’elle n’a pas apporté la preuve d’un risque réel d’être soumise à la torture ou autres mauvais traitements à son retour à Mogadiscio.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.Les 8 mars et 31 août 2019, l’auteure a fait valoir que sa situation était difficile car sa famille, en particulier ses enfants, lui manquait. Elle a également déclaré qu’elle n’avait pas d’autres commentaires à faire sur les observations de l’État partie.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Par une lettre en date du 13 novembre 2019, l’État partie a fourni des observations complémentaires. Il relève que les communications de l’auteure datées des 8 mars et 31 août 2019 montrent qu’il s’agit d’une mère vivant seule en Suède, que ses enfants lui manquent et qu’elle ne peut plus attendre sans sa famille. Il relève également que, dans sa plainte initiale devant l’Office des migrations, l’auteure a fait valoir qu’elle avait un fils et trois filles dont le lieu de résidence semblait être Masagaway où elle vivait avec sa famille. L’auteure a ensuite rempli un formulaire dans lequel elle a mentionné qu’elle ne savait pas où se trouvaient ses enfants. Au cours de la procédure d’asile, elle a déclaré qu’elle ignorait le sort de son mari et de ses enfants. Dans une communication, datée du 10 septembre 2015, adressée aux autorités nationales, elle a indiqué que son mari et sa famille étaient en fuite et qu’elle ne savait pas où ils se trouvaient. Elle a également déclaré que son seul parent était un cousin installé à Mogadiscio, qu’elle avait quatre frères et une sœur cadette avec lesquels elle avait perdu contact depuis qu’ils avaient fui la guerre entre 1999 et 2000, qu’elle avait également une tante plus âgée qui vivait encore à Masagaway et une cousine du côté paternel résidant à Karan, où son père avait vécu jusqu’à sa mort.

6.2Compte tenu de ce qui précède, l’État partie réaffirme que les récits de l’auteure contiennent un certain nombre d’éléments contradictoires et de circonstances invraisemblables et que l’auteure a fait un récit vague et peu détaillé de ce qui est arrivé à elle-même et à sa famille en Somalie. Il relève en outre que l’auteure n’a donné aucune information sur ce qui est arrivé à son mari et à ses enfants, même si ceux-ci semblent être en contact avec elle dans le but ultime de la rejoindre en Suède.

6.3L’État partie insiste sur le fait que Mogadiscio représente pour l’auteure une solution adéquate et raisonnable de fuite interne puisqu’il a été établi qu’elle y dispose de réseaux de soutien suffisants qui consistent en un soutien clanique. Il fait valoir que l’auteure devrait pouvoir bénéficier du soutien de son mari et de ses enfants avec lesquels elle semble avoir des contacts. En renvoyant l’auteure à Mogadiscio, la Suède ne violerait donc pas l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité relève que l’auteure dit avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. L’État partie n’ayant pas formulé d’objection à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

7.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure selon laquelle elle risquerait d’être soumise à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par Al‑Shabaab si elle était renvoyée en Somalie, du fait que son mari avait travaillé pour une organisation humanitaire. Elle fait valoir qu’elle a été menacée, enlevée et détenue par Al‑Shabaab, ce qui l’a poussée à quitter la Somalie. Le Comité relève également que l’auteure affirme qu’elle ne dispose d’aucun réseau masculin en Somalie et que cette situation lui fait courir un risque encore plus grand d’être soumise à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte en cas de renvoi dans son pays d’origine.

7.5Le Comité note que, selon l’Office suédois des migrations, le récit que l’auteure a fait des événements qui auraient eu lieu en Somalie était vague, peu détaillé et empreint de contradictions. L’Office a considéré en particulier que l’auteure n’avait pas pu expliquer les circonstances de sa détention par Al-Shabaabni celles de son évasion. Il n’a donc pas accordé crédit au fait qu’elle aurait été enlevée par Al‑Shabaab parce que son mari travaillait pour une organisation humanitaire. Le Comité constate que, malgré une conclusion défavorable quant à la crédibilité des allégations de l’auteure, l’Office a examiné s’il existait une solution pertinente et réaliste de fuite interne. Le Comité constate que l’Office a évalué la situation en matière de sécurité dans deux lieux de résidence habituelle de l’auteure, à savoir Mogadiscio et Masagaway, et a conclu que Mogadiscio offrait à l’auteure une possibilité de fuite interne. L’Office a également tenu compte du fait que les clans de ses parents et de son mari étaient représentés à Mogadiscio. Il a également constaté que l’auteure avait à Mogadiscio un oncle qui l’avait activement soutenue, notamment en payant ses soins médicaux et en vendant la maison de sa mère pour financer son départ de Somalie, et que ses allégations selon lesquelles elle ne disposait pas d’un réseau masculin en Somalie étaient donc sans fondement. Le Comité constate en outre que, dans les observations complémentaires qu’elle lui a soumises, l’auteure n’a fourni aucun renseignement nouveau concernant son oncle. De plus, il relève que selon l’État partie, pendant la procédure d’asile, l’auteure n’a pas fait valoir que le fils de son oncle était membre d’Al-Shabaab et avait demandé à son père de révéler où elle se trouvait, et que cette situation l’empêchait de retourner chez son oncle à Mogadiscio. Il relève également que toujours selon l’État partie, l’auteure n’a aucunement expliqué pourquoi elle n’avait pas soulevé ce point central au cours de la procédure d’asile, ce qui a nui à sa crédibilité. À cet égard, le Comité constate que l’auteure n’a pas étayé son argument selon lequel son oncle pourrait ne plus être en vie. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les informations dont il dispose montrent que les autorités de l’État partie ont procédé à un examen approfondi de la demande d’asile de l’auteure. En outre, les informations dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure qu’en cas de retour, l’auteure courrait un risque grave de violation des droits qu’elle tient de l’article 7 du Pacte.

7.6Le Comité considère que, bien que l’auteure conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, les informations dont il dispose ne permettent pas d’établir que ces conclusions sont manifestement déraisonnables. Il considère également que l’auteure n’a pas suffisamment démontré que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités suédoises était manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou constitutive d’un déni de justice.

7.7Le Comité rappelle que l’obligation pour un État partie de ne pas renvoyer une personne lorsque cela serait contraire aux obligations qui incombent à cet État au titre du Pacte s’applique au moment du renvoi et que, quand l’expulsion est imminente, le moment auquel il convient de se placer est celui de l’examen de l’affaire par le Comité. En conséquence, dans le cadre de la procédure d’examen des communications présentées en vertu du Protocole facultatif, lorsqu’il évalue les faits qui lui sont soumis par les parties, le Comité doit aussi tenir compte des faits nouveaux qui peuvent avoir une incidence sur les risques que peut courir un auteur faisant l’objet d’une mesure de renvoi. En l’espèce, les informations relevant du domaine public indiquent que les violations des droits de l’homme sont courantes en Somalie. Toutefois, sur la base des informations contenues dans le dossier, le Comité n’est pas en mesure d’évaluer dans quelle mesure la situation actuelle dans le pays d’origine de l’auteure peut avoir une incidence sur le risque personnel que celle-ci court. À cet égard, le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie d’évaluer continuellement le risque que pourrait courir une personne en cas de renvoi dans un autre pays avant de rendre une décision définitive concernant l’expulsion ou le renvoi de cette personne.

7.8Par conséquent, sans préjudice de la responsabilité qui incombe en permanence à l’État partie de tenir compte de la situation actuelle du pays vers lequel l’auteure serait expulsée, le Comité considère qu’à la lumière des informations disponibles quant à la situation personnelle de l’auteure, les griefs que celle-ci tire de l’article 7 du Pacte sont insuffisamment étayés et donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.