Nations Unies

CCPR/C/120/D/2705/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2705/2015*, **

Communication présentée par :

D. S.

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

17 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

14 juillet 2017

Objet :

Torture ; arrestation et détention arbitraires ; procès équitable

Question(s) de procédure :

Abus du droit de présenter des communications ; retard injustifié dans la soumission de la communication ; non-épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Torture ; arrestation et détention arbitraires ; procès équitable

Article(s) du Pacte :

7, 9 (par. 1, 2, 3 et 4) et 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est D. S., de nationalité russe, né en 1975. Il affirme que la Fédération de Russie a violé les droits qu’il tient de l’article 7, des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article 9 et des paragraphes 1, 2 et 3 b), d), e) et g) de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 30 avril 2016, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond. Le 5 septembre 2016, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a accédé à la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 26 août 2004, l’auteur a été conduit au poste de police de la ville de Sokol pour y être interrogé à propos du meurtre d’un certain M., qui avait eu lieu la veille. Le 27 août, le juge de paix du district no 36 de la région de Vologda a autorisé le placement de l’auteur en détention administrative pour onze jours pour violation du paragraphe 1 de l’article 20.1 du Code des infractions administratives de la Fédération de Russie (troubles à l’ordre public − injures proférées en public). Pendant sa détention, l’auteur a été interrogé par des policiers qui ont fait pression sur lui pour tenter de lui faire avouer le viol d’un mineur le 20 août 2004, un crime qu’il n’a pas commis. Finalement, les policiers lui ayant promis qu’il ne serait poursuivi que pour hooliganisme, l’auteur a signé des aveux selon lesquels il n’avait pas eu de rapports sexuels avec le garçon, mais l’avait seulement « réprimandé ». Le 31 août, la police a informé le bureau du procureur que l’auteur était détenu car il était soupçonné d’un crime visé au paragraphe 3 b) de l’article 132 du Code pénal russe (violences sexuelles). Le 2 septembre, le tribunal de district de Sokol a autorisé le placement en détention de l’auteur, considérant que celui-ci était un suspect dans une enquête criminelle. L’auteur a fait appel de sa détention administrative, et a été débouté par le tribunal régional de Vologda le 26 novembre. L’appel concernant son maintien en détention provisoire a été rejeté par le même tribunal à une date non précisée.

2.2Le 15 décembre 2004, l’auteur a été inculpé au titre du paragraphe 3 b) de l’article 132 du Code pénal. Le tribunal de district de Sokol l’a condamné le 21 février 2005 à huit ans d’emprisonnement. L’auteur a interjeté appel auprès du tribunal régional de Vologda le 28 février, affirmant que l’interrogatoire, l’enquête et le procès étaient entachés de nombreux vices de procédure, et que sa culpabilité n’avait pas été prouvée. Le tribunal l’a débouté le 5 avril. À des dates non précisées, l’auteur a déposé des recours auprès du tribunal régional de Vologda au titre de la procédure de contrôle. Ces recours ont été rejetés le 28 février et le 2 juin 2006. L’auteur a déposé un recours auprès de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle à une date non précisée, un recours auprès du Présidium de la Cour suprême le 19 octobre 2006, et deux recours auprès du Président de la Cour suprême les 13 novembre 2006 et 11 janvier 2007. Ces recours ont été rejetés respectivement le 25 août, le 19 octobre et le 4 décembre 2006 et le 2 février 2007. L’auteur a saisi le bureau du Procureur général au titre de la procédure de contrôle à des dates non précisées. Ses recours ont été rejetés le 28 août 2008. L’auteur a été remis en liberté en août 2012.

2.3L’auteur affirme que les tribunaux étaient partiaux et qu’ils ont manqué à leur devoir d’objectivité. Il était menotté pendant le procès. Il n’a pas eu assez de temps pour préparer sa défense, il n’a eu qu’un accès limité à son avocat, et il n’a pas pu interroger les experts et les témoins.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 7 du Pacte en ce qu’il a fait l’objet de pressions psychologiques et de menaces de la part de la police et qu’il est resté menotté pendant toute la durée du procès.

3.2L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 9 du Pacte en ce qu’il a été détenu illégalement au poste de police et n’a pas été présenté devant un juge dans les meilleurs délais. Il affirme en outre n’avoir pas été dûment informé des raisons de sa détention ni des accusations portées contre lui.

3.3L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte en ce que les tribunaux étaient partiaux et ont manqué à leur devoir d’objectivité.

3.4L’auteur affirme qu’il y a eu violation de ses droits au titre du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte du fait des fausses déclarations de la police concernant sa culpabilité, qui ont influencé les conclusions des experts et le procès.

3.5L’auteur affirme que, faute d’avoir pu prendre contact avec un avocat pendant sa détention, il n’a pas pu avoir accès aux preuves et préparer sa défense, ce qui constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Il affirme également que, pendant sa détention, la police l’a interrogé plusieurs fois sans la présence d’un avocat.

3.6L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte car il n’a pas pu interroger les experts et les témoins.

3.7L’auteur affirme qu’il y a eu violation du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte du fait des aveux que la police lui a extorqués.

3.8L’auteur sollicite l’aide du Comité pour obtenir l’annulation des décisions des tribunaux le concernant. Il demande aussi un dédommagement de 3 millions d’euros pour emprisonnement illégal et préjudice moral, et 1 200 euros au titre des frais de justice.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Par note verbale du 30 avril 2016, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Se référant au paragraphe c) de l’article 96 du règlement intérieur du Comité, il indique que l’auteur a soumis sa communication au Comité neuf ans après avoir épuisé les recours internes et après que son recours au titre de la procédure de contrôle a été rejeté, le 25 août 2006. Selon l’État partie, un tel retard constitue un abus du droit de présenter des communications.

4.2 L’État partie dit que l’auteur ne s’est pas plaint auprès des autorités nationales des pressions psychologiques que la police aurait exercées sur lui. L’auteur ne s’est pas plaint non plus auprès des autorités internes de l’absence d’aide juridictionnelle pendant l’instruction.

4.3L’État partie indique enfin que les griefs de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte ont trait à l’évaluation qui a été faite par les tribunaux nationaux des faits et éléments de preuve, et qu’un réexamen après un si long laps de temps constituerait une violation du principe de sécurité juridique.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité

5.1Le 4 juillet 2016, l’auteur soutient que pendant qu’il était en prison, il ne pouvait pas soumettre de communication au Comité car il n’était pas au courant de cette possibilité et n’avait pas les moyens d’engager un avocat ou de faire des copies des documents requis et de les envoyer.

5.2L’auteur affirme qu’il avait déposé une plainte auprès du bureau du procureur à propos des pressions psychologiques exercées sur lui par la police pendant sa détention, et soumet une copie de la plainte. Il affirme également que, lors des audiences, il s’est plaint de ne pas avoir eu l’assistance d’un avocat au titre de l’aide juridictionnelle.

5.3 L’auteur affirme enfin que, même si ses griefs au titre de l’article 14 du Pacte concernent l’évaluation des faits et des preuves, il a dénoncé dans sa communication de nombreuses violations qui indiquent que la procédure n’était pas équitable.

5.4Le 25 juillet 2016, l’auteur a informé le Comité qu’il avait été convoqué, à une date non précisée, par le comité d’enquête interdistrict de Sokol, qui l’a interrogé sur sa détention en août 2004 et la manière dont il a été traité par la police. Le 4 avril 2016, le comité d’enquête a décidé de ne pas poursuivre les policiers dénoncés par l’auteur, car leurs actes n’étaient pas constitutifs d’une infraction. Le 25 avril, l’auteur a formé un recours devant le bureau du procureur interdistrict de Sokol, qui l’a débouté le 28 avril 2016.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours internes disponibles, ainsi que des observations de l’État partie selon lesquelles la communication aurait été soumise après un délai, déraisonnable, de neuf ans, les recours internes n’auraient pas été épuisés en ce qui concerne les griefs au titre de l’article 7 et du paragraphe 3 b) de l’article 14, et les griefs au titre de l’article 14 du Pacte porteraient sur l’évaluation des faits et des preuves par les tribunaux nationaux.

6.4Le Comité fait observer qu’il n’existe aucune échéance précise pour la présentation de communications en vertu du Protocole facultatif et que le simple fait d’avoir attendu longtemps avant d’adresser la communication ne constitue pas en soi un abus du droit de présenter des communications. Cela étant, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier le retard. En l’espèce, la communication a été soumise au Comité neuf ans après le rejet du premier recours de l’auteur au titre de la procédure de contrôle par la Cour suprême en août 2006 et sept ans après le rejet de son dernier recours par le bureau du Procureur général en août 2008. Le Comité prend note des explications de l’auteur selon lesquelles, pendant son emprisonnement, il n’était pas au courant de l’existence de la procédure de plainte prévue par le Pacte, et n’était pas en mesure de soumettre une communication au Comité. Le Comité note toutefois que rien dans la communication ne laisse supposer que l’auteur n’ait eu que des contacts limités avec le monde extérieur pendant son emprisonnement, notamment si l’on tient compte des plaintes qu’il a déposées auprès des autorités nationales durant cette période. Le Comité note également que, pendant la procédure, l’auteur a été représenté par des avocats engagés par sa famille, y compris pendant qu’il était en prison. Il note encore que l’auteur a soumis sa communication au Comité plus de trois ans après sa libération en 2012. Le Comité considère donc que l’auteur n’a pas expliqué de manière convaincante le retard dans la soumission de sa communication. Faute d’explication, le Comité considère que la présentation de la communication après un délai aussi long doit être considérée comme unabus du droit de présenter une communication, et il conclut à l’irrecevabilité de la communication au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 96 c) de son règlement intérieur.

6.5Étant parvenu à cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner les autres arguments de l’État partie concernant la recevabilité de la communication.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.