Nations Unies

CCPR/C/121/D/2764/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 décembre 2017

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2764/2016 * , **

Communication présentée par:Cyrille Gervais Moutono Zogo

Au nom de:Achille Benoit Zogo Andela (père de l’auteur)

État partie:Cameroun

Date de la communication:28 octobre 2014 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 avril 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations:8 novembre 2017

Objet:Procédure pénale pour détournement de fonds publics ; détention prolongée

Question(s) de procédureGriefs non étayés ; épuisement des recours internes ; incompatibilité avec les dispositions du Pacte

Question ( s ) de fond:Droit à un recours utile ; traitements inhumains et dégradants ; détention arbitraire ; emprisonnement pour non-exécution d’une obligation contractuelle ; non-rétroactivité de la loi pénale ; droit à la reconnaissance de la personnalité juridique ; discrimination

Article ( s ) du Pacte:2 (par. 3), 7, 9 (par. 1, 3, 4 et 5), 11, 14 (par. 1, 2, 3 c) et 5),15 (par. 1), 16 et 26

Article ( s ) du Protocole facultatif:2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication datée du 28 octobre 2014 est Cyrille Gervais Moutono Zogo, ressortissant camerounais résidant en France, qui présente la communication au nom de son père, Achille Benoit Zogo Andela, ressortissant camerounais né le 10 avril 1956 à Yaoundé, et actuellement détenu à la prison centrale de Yaoundé. L’auteur invoque, pour le compte de son père, la violation par le Cameroun des droits qu’il tire des articles 2 (par. 3), 7, 9 (par. 1, 3, 4 et 5), 11, 14 (par. 1, 2, 3 c) et 5), 15 (par. 1), 16 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Cameroun le 27 septembre 1984. L’auteur n’est pas représenté.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteur

2.1M. Zogo Andela est âgé de 59 ans. Il est détenu à la prison centrale de Yaoundé (Kondengui) depuis le 29 mars 2011, date à laquelle il a été interpelé par la police judiciaire.

2.2Les faits reprochés à M. Zogo Andela relèvent de l’inexécution d’un contrat entre la Société camerounaise de leasing maritime (SCLM), dont l’intéressé était Président-Directeur général, et la Caisse autonome d’amortissement de l’État camerounais. Est imputée à M. Zogo Andela la détention frauduleuse de biens appartenant à l’État camerounais, suite à un détournement de 20 navires acquis par l’État au prix de 30 milliards de francs CFA. Il serait également mis en examen pour le non-versement au trésor public des recettes d’exploitation des chalutiers susvisés, dont la gestion lui incombait.

2.3L’affaire s’inscrit dans le cadre d’un accord de crédit de 40 millions de dollars des États-Unis octroyés le 30 octobre 1996 au Cameroun par l’Instituto commercial official de l’Espagne pour la construction de 20 bateaux de pêche par les chantiers navals espagnols et destinés au secteur privé camerounais. Le même jour, le Ministre camerounais délégué aux finances et la société SCLM, représentée par M. Zogo Andela, ont signé un accord de rétrocession. Par ce contrat de leasing, le Gouvernement camerounais mettait à la disposition de la SCLM les bateaux crevettiers objets du projet, contre paiement d’un loyer, jusqu’à couverture complète des charges relatives aux financements reçus de l’Instituto commercial official, le loyer devant correspondre aux échéances de la dette vis-à-vis de cet institut. La durée prévue des paiements était de quinze ans à compter du douzième mois après la date de livraison du dernier bateau, en ce qui concerne le crédit A, et de huit ans et demi à compter de la date de livraison de chaque bateau pour le crédit B.

2.4Selon l’auteur, l’exploitation des bateaux fut régulièrement perturbée par des interférences de l’administration camerounaise, notamment de multiples arraisonnements sans fondement légal, et des refus de licences de pêche et d’autorisations de navigabilité, ce qui a nui à la gestion efficace de la SCLM et l’a empêchée d’honorer les trois premières échéances de loyer, soit un montant, principal et intérêts inclus, d’environ un milliard huit cents millions de francs CFA. La SCLM suggéra alors le rééchelonnement de ces arriérés de loyer à son co-contractant, l’État camerounais. Cette proposition resta sans suite.

2.5Dès le 4 octobre 2002, des instructions gouvernementales furent données pour la résiliation, le recouvrement des arriérés de loyer et la récupération des bateaux. Ainsi, dès le mois de mars 2003, les bateaux furent mis sous séquestre, gérés par divers fonctionnaires, et des contrats opaques d’affrètement furent signés à tour de bras, sans qu’un seul centime soit reversé dans les caisses du trésor public camerounais. Une lettre de résiliation du Chef du Gouvernement du 23 juin 2003 vint officialiser la dépossession de la SCLM des bateaux.

2.6Le 10 octobre 2008, la Caisse autonome d’amortissement du Cameroun déposait plainte contre M. Zogo Andela pour détournement de deniers publics et rétention sans droit de la chose d’autrui. Le 29 mars 2011, il était interpelé à son domicile à Douala par la police judiciaire et transféré à la Direction de la police judiciaire à Yaoundé.

2.7Le 30 mars 2011, M. Zogo Andela était présenté au Procureur de la République du tribunal de grande instance du Mfoundi, à Yaoundé. Le même jour, il était inculpé par un juge d’instruction du crime de « détournement de deniers publics » et de « rétention sans droit de la chose d’autrui », et placé en détention provisoire. Le 31 mars 2011, le juge d’instruction ordonnait le gel de tous les comptes bancaires de M. Zogo Andela, et ceux de toutes ses entreprises. Le 14 novembre 2011, une perquisition et une saisie étaient effectuées à son domicile, suite à une commission rogatoire.

2.8La détention provisoire de l’intéressé était initialement d’une durée de six mois puis sera prorogée par deux fois, conformément à l’article 221 du Code de procédure pénale camerounais, pour une durée totale et légale de dix-huit mois.

2.9Bien avant l’écoulement de la durée légale de cette détention provisoire, M. Zogo Andela, assisté de ses conseils, avait, le 14 septembre 2011, adressé au juge d’instruction en charge de la cause une demande de mainlevée du mandat de détention provisoire décerné le 30 mars 2011, en soulevant en premier lieu, in limine litis, la prescription des faits en cause (les faits s’étant déroulés en 1996 et l’enquête préliminaire ne s’étant ouverte qu’en 2008, soit douze ans après ; or, en droit pénal camerounais, la prescription est de dix ans pour les crimes). D’autre part, il a fait valoir l’incompétence ratione loci et ratione materiae du tribunal de céans, du Procureur de la République et du juge d’instruction, et ce, en vertu de l’article 294 du Code de procédure pénale camerounais, qui stipule :

« Est compétent le tribunal :

a)Soit du lieu de la commission de l’infraction

b)Soit du lieu du domicile du prévenu

c)Soit du lieu de l’arrestation du prévenu. »

2.10Selon l’auteur, les infractions dont M. Zogo Andela est accusé ne pourraient avoir été commises à Yaoundé, car les deniers supposément détournés proviennent exclusivement de bateaux de pêche opérant au large des côtes de Douala et non de Yaoundé, qui n’a pas de façade maritime. En outre, l’inculpé a été interpelé à son domicile à Douala et n’a jamais eu d’adresse ni de domicile à Yaoundé. Dès lors, l’auteur soutient que le tribunal de grande instance du Mfoundi était incompétent territorialement pour connaître cette cause.

2.11M. Zogo Andela a en outre demandé la mainlevée du mandat de détention provisoire, au motif que le juge d’instruction était matériellement incompétent, dès lors qu’il s’agissait d’un litige à caractère civil et commercial – et non d’une affaire pénale – entre deux personnes morales, à savoir l’État camerounais et la Société camerounaise de leasing maritime, société anonyme, qui, le 30 octobre 1996, avaient signé un contrat de crédit-bail (leasing). L’inexécution de ce contrat est à l’origine des poursuites judiciaires à l’encontre de M. Zogo Andela qui a, comme personne physique, été mis en cause en lieu et place de la SCLM.

2.12Le 10 octobre 2011, le juge d’instruction rejetait les prétentions de M. Zogo Andela, tirées de la prescription des faits et de l’incompétence de la juridiction et du juge. Le 13 octobre 2011, ce dernier interjetait appel de cette décision devant la chambre de contrôle de l’instruction de la cour d’appel du Centre à Yaoundé, en réitérant ses prétentions principales. Le 24 juillet 2012, cette juridiction déclarait l’appel irrecevable au titre de l’article 269 du Code de procédure pénale, décision qui, selon l’auteur, manque de fondement juridique et, de surcroît, a été rendue plus de dix mois après les délais légaux, qui sont de dix jours en vertu de l’article 275 (2) du Code de procédure pénale. En outre, M. Zogo Andela n’a été notifié de cette décision que le 17 septembre 2012, raison pour laquelle il a formé un nouveau pourvoi le 20 septembre 2012 devant la Cour suprême du Cameroun.

2.13Selon l’auteur, la Cour suprême n’a jamais entendu ce pourvoi. Pourtant, en vertu de l’article 474 (3) et (4) du Code de procédure pénale, la Cour suprême dispose de vingt jours pour se prononcer sur un pourvoi.Elle aurait donc dû statuer sur le pourvoi au plus tard le 10 octobre 2012. Or, à ce jour, la Cour suprême n’a toujours pas statué.

2.14Le 21 septembre 2012, M. Zogo Andela apprenait qu’une ordonnance de renvoi devant le « Tribunal criminel spécial » – nouvellement créé – avait été rendue le 12 septembre 2012, soit avant la notification de l’arrêt du 24 juillet 2012 de la cour d’appel du Centre. C’est sur la base de cette ordonnance que M. Zogo Andela aurait été maintenu en détention préventive. L’auteur soutient que cette procédure est illicite et que l’affaire n’a jamais fait l’objet d’une information judiciaire depuis son renvoi devant le Tribunal criminel spécial. De surcroît, l’ordonnance de renvoi n’a jamais été formellement notifiée à M. Zogo Andela.

2.15Le 22 novembre 2012, M. Zogo Andela saisissait le Président de la Cour suprême pour contester l’ordonnance de renvoi devant le Tribunal criminel spécial du 12 septembre 2012, invoquant, entre autres, une violation des droits de la défense, la litispendance, un conflit de compétence et un excès de pouvoir. L’auteur soutient qu’à l’instar des autres recours engagés, ce recours devant la Cour suprême s’est révélé vain et inutile.

2.16Constatant que son mandat de détention provisoire était échu le 30 septembre 2012, après deux prorogations de six mois, M. Zogo Andela saisissait le Président du tribunal de grande instance du Mfoundi, juge de l’habeas corpus, d’une requête aux fins de mise en liberté immédiate, conformément aux dispositions de l’article 584 et suivants du Code de procédure pénale. Le 18 octobre 2012, cette requête était rejetée, sur la base de l’ordonnance de renvoi du 12 septembre 2012.

2.17Le 24 octobre 2012, M. Zogo Andela saisissait le Président de la cour d’appel du Centre pour dénoncer une atteinte à sa présomption d’innocence et le caractère partisan et illégal de l’ordonnance de renvoi précitée adoptée à son encontre. À sa connaissance, aucune suite n’a été réservée à ce recours.

2.18Le 30 octobre 2012, M. Zogo Andela interjetait appel contre l’ordonnance du 18 octobre 2012 du juge de l’habeas corpus. Le 26 novembre 2012, le Président de la cour d’appel du Centre, agissant en matière d’habeas corpus, ordonnait par « décision avant-dire droit » un sursis à statuer sur la demande de libération immédiate de M. Zogo Andela, jusqu’à ce que la Cour suprême se soit prononcée sur ses recours pendants depuis plus de trois ans. Cette décision ne fût notifiée à l’intéressé que le 14 février 2014, soit plus de quinze mois après son adoption. En conséquence, M. Zogo Andela a été empêché d’exercer son droit de recours contre cette décision.

2.19Le 13 avril 2015, M. Zogo Andela a de nouveau saisi le Président du tribunal du Mfoundi, au titre de l’article 584 (1) du Code de procédure pénale, d’une requête en libération immédiate, fondée sur l’illégalité de son arrestation et de sa détention. L’affaire a été entendue lors d’une première audience le 12 mai 2015, puis ajournée au 19 mai 2015. La cause a alors été de nouveau ajournée au 26 mai 2015 « pour cause de préparatifs de la fête nationale du 20 mai 2015 », puis de nouveau renvoyée au 9 juin 2015 sans débat, au seul motif que le représentant du ministère public avait déjà requis le rejet de la demande, invoquant le renvoi en jugement devant le Tribunal criminel spécial suite à l’ordonnance du 12 septembre 2012.

2.20Le 21 mai 2015, M. Zogo Andela était conduit au Cabinet du Président du Tribunal criminel spécial pour y être informé que son affaire avait bien été enrôlée et lui notifier la date de la première audience. L’intéressé a fait valoir que l’ordonnance de renvoi à cette juridiction avait été contestée devant la Cour suprême, à travers un recours qui demeurait pendant. Après de longs débats et le refus catégorique de M. Zogo Andela de signer les notifications de rigueur, le Président du Tribunal a consenti à suspendre l’enrôlement de l’affaire jusqu’à ce que la Cour suprême se soit prononcée sur la demande en annulation de l’ordonnance de renvoi et de ses autres demandes.

2.21M. Zogo Andela a également adressé un recours au Président de la République le 7 août 2014, resté sans suite. Le 27 avril 2015, il a également adressé un recours à la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés, qui est aussi resté sans suite.

2.22L’auteur soutient que son père, M. Zogo Andela, n’a toujours pas été entendu sur les faits qui lui sont reprochés depuis sa mise en examen en 2011. Il a été placé en détention provisoire il y a cinq ans, et aucun acte d’instruction n’a été diligenté depuis.

2.23Depuis son incarcération, M. Zogo Andela a développé plusieurs pathologies, à savoir une cardiopathie, une hypertension artérielle, un diabète et des problèmes ophtalmologiques et dentaires. Faute de moyens financiers, il n’a pas eu accès à une assistance médicale depuis le 27 novembre 2013, et ceci en dépit de la dégradation avancée de son état de santé.

2.24Par ailleurs, tous les avoirs personnels et professionnels de M. Zogo Andela ont été bloqués depuis le 31 mars 2011, ce qui l’empêche d’avoir recours à tout service légal ou médical payant. De plus, son domicile a été perquisitionné le 14 novembre 2011 et ses biens ont été saisis ce même jour.

2.25Le 14 octobre 2016, l’auteur a informé le Comité qu’à la suite de la notification de la première audience du 12 octobre 2016 devant le Tribunal criminel spécial, il a présenté à la Cour suprême une nouvelle demande d’annulation des actes juridictionnels et de l’enrôlement de l’affaire par le Tribunal. M. Zogo Andela a été forcé de sortir de sa cellule pour se rendre à l’audience, mais a refusé de s’y rendre pour participer à ce qu’il qualifie de parodie de justice.

Teneur de la plainte

3.1Au titre de l’article 2 (par. 3) du Pacte, l’auteur estime que M. Zogo Andela a été privé du droit à un recours utile, au vu des nombreuses démarches infructueuses entreprises pour obtenir justice.

3.2L’auteur allègue que l’État camerounais a commis une violation de l’article 9 (par. 1, 3, 4 et 5) du Pacte à l’égard de M. Zogo Andela, en ce qu’il estime que l’arrestation et la détention de l’intéressé sont arbitraires. En effet, il demeure en détention préventive depuis le 30 mars 2011, alors que le mandat légal maximum de détention prévu par le Code de procédure pénale a expiré depuis le 30 septembre 2012. Cela fait maintenant plus de cinq ans que M. Zogo Andela se trouve en détention sous le statut d’inculpé sans avoir été jugé.

3.3L’auteur allègue une violation de l’article 11 du Pacte, en ce qu’il considère que le litige opposant M. Zogo Andela à l’État camerounais est de nature contractuelle et que, de ce fait, son emprisonnement serait illicite.

3.4L’auteur affirme qu’il y a eu violation des dispositions de l’article 14 (par. 1) du Pacte à l’égard de M. Zogo Andela, en ce que sa cause n’a pas été entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent et impartial. Il allègue en outre que le principe de l’effet dévolutif des recours a été violé, en ce que le renvoi de l’affaire devant le Tribunal criminel spécial a empêché la juridiction d’appel d’entendre son recours et a ainsi violé son droit à un procès équitable. Selon lui, le juge d’instruction aurait frauduleusement fabriqué en catimini une ordonnance de renvoi sans avoir mené d’information judiciaire, ce qui constitue une tactique dolosive et dilatoire, qui révèle le caractère partisan et illégal de l’ordonnance de renvoi. Il estime également ne pas avoir bénéficié de la présomption d’innocence, en violation de l’article 14 (par. 2).

3.5De plus, eu égard aux nombreux délais excessifs dans l’examen de la cause de M. Zogo Andela et au fait qu’il n’a toujours pas été jugé, l’auteur estime qu’un retard excessif de la procédure doit être constaté, en violation de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte.

3.6Par ailleurs, selon l’auteur, le Tribunal criminel spécial est une juridiction d’exception nouvellement créée, qui ne reconnaît pas le double degré de juridiction, en violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

3.7Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale aurait également été méconnu en ce que M. Zogo Andela a été incarcéré antérieurement à la création du Tribunal chargé de le juger, en violation de l’article 15 (par. 1) du Pacte. Par ailleurs, le droit pénal des affaires est régi au Cameroun par la loi no 2003/008 du 10 juillet 2003, qui sanctionne les délits d’affaire à une peine maximale de cinq ans. Cette loi est postérieure au Code pénal de novembre 1965, qui prévoit la prison à perpétuité pour le crime de détournement de deniers publics. Dès lors, le principe d’application de la loi la plus douce aurait eu lieu d’être appliqué.

3.8Selon l’auteur, l’article 16 du Pacte a été violé dans la mesure où il y a eu une confusion, dans la procédure pénale engagée, entre la personnalité juridique de la société SCLM, qui est une personne morale, et celle de M. Zogo Andela, comme personne physique, engendrant ainsi un déni de sa personnalité juridique.

3.9M. Zogo Andela estime également avoir été discriminé en violation de l’article 26, en ce qu’il a été le seul inculpé dans le litige alors que de hauts fonctionnaires n’auraient pas été inquiétés, bien qu’ils gèrent et détiennent illégalement depuis 2003 les bateaux litigieux.

3.10L’auteur demande donc au Comité de reconnaître que la détention de M. Zogo Andela est arbitraire ; de recommander au Gouvernement camerounais de procéder à sa libération immédiate ; et de l’indemniser pour les préjudices professionnels, matériels, physiques, moraux et psychologiques subis pour un montant total de 200 millions de dollars des États-Unis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations du 19 décembre 2016, l’État partie conteste la recevabilité de la communication en soulignant que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes au titre du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Subsidiairement, l’État partie soutient que les griefs de l’auteur sont mal fondés.

4.2L’État partie revient en premier lieu sur les faits, y compris le contexte dans lequel le Cameroun, pour développer et moderniser les activités de pêche maritime, a souhaité contracter un emprunt direct avec l’Espagne, pour un montant de 40 millions de dollars, remboursable sur quinze années, moyennant 30 versements semestriels d’égale valeur. Pour l’exploitation des bateaux, une société a été créée, la Société camerounaise de leasing maritime, à la tête de laquelle M. Zogo Andela a été porté. Un accord de rétrocession a donc été signé le 30 octobre 1996 entre l’État camerounais et la SCLM, et l’État a mis à disposition de la société les 20 bateaux de pêche sous forme de location-vente. Le produit de l’exploitation des bateaux devait à son tour être affecté au service de la dette à travers un mécanisme d’approvisionnement d’un compte tampon (escrow account), ouvert pour garantir le paiement à la bonne date des échéances du prêt. Ce compte devait afficher, avant la mise en exécution de l’échéancier du prêt, un solde créditeur d’au moins 2 milliards de francs CFA. L’État gardait ainsi la propriété des 20 bateaux jusqu’à l’apurement complet de la dette ainsi contractée. Au demeurant, l’accord reconnaissait à l’État, en cas de manquement de la SCLM à l’une quelconque de ses obligations, le droit de retirer les navires sans préavis, ni préjudice de toutes actions prévues dans les lois et règlements.

4.3Selon l’État partie, le schéma prévu n’a malheureusement pas fonctionné. Dans l’exploitation des navires, M. Zogo Andela s’est au contraire illustré par des actes d’appropriation manifestes. Il a ainsi pris le contrôle exclusif de la SCLM, écartant de fait les autres armateurs qui s’étaient impliqués dans le projet ; certains bateaux ont été baptisés de son patronyme (Andela) ; et, sous le prétexte de recherche de nouveaux marchés, et pour faire échapper l’exploitation au contrôle de l’État, il a expatrié 12 bateaux de la flotte au Congo, au Mozambique, au Sénégal et en Mauritanie. Par ailleurs, l’actionnaire majoritaire et principal dirigeant toutes ces sociétés était M. Zogo Andela. Ces sociétés ont signé des contrats d’affrètement de navires de pêche avec la SCLM, moyennant le paiement de loyers. Un avenant a ainsi été signé le 1er juillet 2000 à Dakar, modifiant le contrat d’affrètement signé en 1999 et portant à 15 millions de francs CFA le montant de la rémunération forfaitaire par bateau. Dans les contrats signés dans ces pays avec divers opérateurs, les sociétés ainsi créées étaient présentées comme propriétaires des bateaux de pêche.

4.4En dépit de l’exploitation effective des bateaux, aucune somme n’a jamais été versée sur le compte tampon. L’État a ainsi supporté la charge du remboursement de la dette, soit 40 millions de dollars. De surcroît, aucune des obligations en vertu de l’accord de rétrocession n’a été respectée par l’intéressé. Malgré plusieurs rappels à l’ordre, aucune évolution favorable n’a été notée. Le Ministre des finances et du budget, conformément à l’article 19 de l’accord de rétrocession, a donc, par courrier du 20 juin 2003, dénoncé l’accord, en invitant le gérant de la SCLM à prendre toutes les dispositions nécessaires pour parquer les bateaux de pêche à Douala. Cette injonction n’a été suivie d’aucun effet. L’État a donc dû intenter des actions pour récupérer les bateaux. C’est ainsi que les huit bateaux qui mouillaient dans les eaux territoriales camerounaises ont été arraisonnés et ramenés au port de Douala. Parmi les 12 autres bateaux expatriés dans cinq pays, à savoir l’Espagne, le Sénégal, le Mozambique, la Mauritanie et le Congo, certains ont été détruits, et d’autres saisis et vendus par des créanciers étrangers. Les opérations de récupération des six bateaux localisés au Congo ont été marquées par des actes systématiques d’entrave de collaborateurs de M. Zogo Andela. Un bateau a subi un incendie (Andela VII) ; un autre a coulé (Andela X).

4.5L’État partie réitère que le Gouvernement a dû supporter le service de la dette contractée, engager des procédures pour faire prévaloir son droit de propriété sur les bateaux déplacés à l’étranger et intervenir parfois à titre humanitaire pour gérer les situations de détresse de marins abandonnés à l’étranger.

4.6En ce qui concerne la procédure, l’État partie relève que l’affirmation de l’auteur, selon laquelle une demande de mainlevée du mandat de détention a été introduite in limine litis le 14 septembre 2011 devant le juge d’instruction, est incorrecte. En effet, le dossier révèle que l’interrogatoire a débuté le 28 juillet 2011. À cette date, l’inculpé n’a soulevé aucune exception. Interpelé, il a nié les faits. Il ne peut donc soutenir que sa demande a été introduite in limine litis. La demande du 14 septembre 2011 portait principalement sur une exception d’incompétence et une fin de non-recevoir de prescription. L’objet principal de cette demande ne portait donc pas sur la mise en liberté mais sur le fond de l’affaire.

4.7Selon l’État partie, la législation camerounaise contient pourtant des mécanismes permettant de solliciter une mise en liberté, notamment les articles 222 à 235 du Code de procédure pénale, qui n’ont pas été utilisés par M. Zogo Andela.

4.8En ce qui concerne la détention préventive, le juge d’instruction s’est conformé aux dispositions de l’article 218 (al. 2) du Code de procédure pénale, qui lui prescrit de prendre une ordonnance motivant sa décision de mise en détention provisoire. Cette ordonnance du 30 mars 2011 a été notifiée le même jour à M. Zogo Andela, qui n’a exercé aucune voie de recours à l’encontre de cette décision. Dans la suite de la procédure, il n’a pas davantage introduit de demande de mise en liberté conformément aux dispositions précitées. Les exceptions et fin de non-recevoir soulevées ne peuvent être constitutives de recours contre la décision de privation de liberté prise par le juge d’instruction et l’auteur tente malicieusement, selon l’État partie, de changer l’objet de son recours.

4.9Selon l’État partie, contrairement aux prétentions de l’auteur, la cour d’appel du Centre a, dans sa décision de rejet du pourvoi formé par M. Zogo Andela du 24 juillet 2012, fait une interprétation correcte de l’article 269 du Code de procédure pénale, puisque l’objet de la demande portée devant le juge d’instruction était relatif à une exception et à une fin de non-recevoir, alors que l’article 269 dispose que l’inculpé ne peut relever appel que des ordonnances relatives à la détention provisoire. La limitation du champ des actes du juge d’instruction contre lesquels l’inculpé peut exercer recours vise notamment à éviter la paralysie des procédures à l’information à visée dilatoire. Ainsi, le recours de l’inculpé est exclu contre une ordonnance de renvoi du juge d’instruction, d’autant qu’une telle démarche doit être analysée en refus de l’intéressé d’être jugé. La Cour suprême a confirmé cette analyse dans son arrêt du 1er juillet 2015, en retenant qu’« en soulevant des exceptions in limine litis avant l’interrogatoire au fond, alors qu’il n’a pas interjeté appel de l’ordonnance qui motive nécessairement la mise en détention provisoire de sa personne conformément aux dispositions de l’article 218 (2) du Code de procédure pénale qui est relative à la détention provisoire au sens de l’article 269 du Code de procédure pénale, le demandeur au pourvoi ne saurait prétendre avoir fait appel conformément aux exigences dudit article 269 du Code de procédure pénale ».

4.10L’État partie conclut que le recours intenté par M. Zogo Andela contre les actes du juge d’instruction n’était pas une demande de mise en liberté au sens des articles 222 à 235 du Code de procédure pénale. Et qu’il n’a pas épuisé les recours permettant une mise en liberté, avec ou sans caution.

4.11L’État partie revient ensuite sur les recours intentés par M. Zogo Andela en habeas corpus pour contester la légalité de sa détention, dans lesquels il a contesté la conduite de l’information judiciaire. L’auteur a argué que la poursuite de l’information par le juge d’instruction après le recours exercé contre l’ordonnance de rejet de l’exception soulevée a constitué une violation du principe de l’effet dévolutif de l’appel et d’autres principes du droit à un procès équitable. L’État partie rétorque que le juge d’instruction pouvait légitimement, en vertu du droit applicable, poursuivre l’information judiciaire après l’introduction du recours par M. Zogo Andela. En effet, l’article 287 du Code de procédure pénale dispose, sans ambiguïté, que « l’appel interjeté contre les actes d’instruction autres que les ordonnances de renvoi ou de non-lieu ne suspend pas l’information judiciaire ». L’État partie ajoute que le dossier et le sommier d’instruction – soit le registre dans lequel sont consignés de manière chronologique les actes du juge d’instruction – révèlent de manière non équivoque qu’une information judiciaire a bel et bien été menée dans cette affaire. Sans discontinuer, le juge a, du 30 avril 2011 au 12 septembre 2012, posé des actes d’instruction, dont des auditions de la partie civile, des auditions de témoins et l’émission de commissions rogatoires, internationales et nationales.

4.12L’État partie ajoute que, tout au long de la procédure, M. Zogo Andela a été invité à s’exprimer. Le dossier de procédure a été à chaque fois mis à la disposition de ses conseils, comme le veut l’article 171 (al. 1 à 4) du Code de procédure pénale. La première fois, le 28 juillet 2011, dans le cadre de son interrogatoire au fond, M. Zogo Andela a nié les faits et déclaré ensuite refuser de s’exprimer. La deuxième fois, le 14 septembre 2011, ses conseils ont soulevé une exception (prescription des faits et incompétence territoriale du juge d’instruction, et incompétence matérielle du juge pénal). La troisième fois, le 2 août 2012, arguant l’absence de ses conseils, M. Zogo Andela a refusé d’honorer la convocation du juge d’instruction. L’État partie ajoute que, bien que le droit de l’accusé de garder le silence soit consacré à l’article 170 du Code de procédure pénale, ce qui peut être une stratégie de défense, une telle stratégie ne saurait entraver le cours de l’information judiciaire. Les recours formés par M. Zogo Andela en contestation de légalité fondés sur le dépassement du délai de détention et sur la poursuite de l’information judiciaire après l’exercice d’une voie de recours contre l’ordonnance du juge d’instruction – rejetant l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir pour prescription – ne sont que des recours dilatoires.

4.13L’État partie ajoute, concernant la question des délais, que la prétention de l’auteur relative à la notification tardive de ladite ordonnance (par. 2.14) ne saurait être retenue, dans la mesure où, dès le 21 septembre 2012, M. Zogo Andela a refusé de prendre copie et de signer le procès-verbal, comme il est attesté dans le procès-verbal.

4.14Pour ce qui est de la compétence du Tribunal criminel spécial, l’État partie note que cette juridiction est seule compétente pour connaître de litiges relatifs à des détournements de deniers publics dont le montant excède 50 millions de francs CFA. La Cour suprême a dès lors vidé sa saisine sur le recours introduit par M. Zogo Andela et l’affaire pendante devant le Tribunal est examinée dans le respect strict des droits de la défense. La date de la première audience de l’intéressé devant le Tribunal criminel spécial a été fixée au 12 octobre 2016.

4.15Le Tribunal criminel spécial est une juridiction créée par la loi no 2011/028 du 14 décembre 2011 (modifiée par la loi no 2012/11 du 16 juillet 2012). L’article 2 de cette loi dispose que le Tribunal est compétent « pour connaître, lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50 millions de francs CFA, des infractions de détournements de deniers publics et des infractions connexes prévues par le Code pénal et les conventions internationales ratifiées par le Cameroun ». Il s’agit donc d’une juridiction à compétence spéciale, et non d’une juridiction d’exception comme le soutient l’auteur. Le principe du double degré de juridiction n’a pas été supprimé. L’article 11 de la loi prévoit que les décisions du Tribunal criminel spécial peuvent faire l’objet d’un pourvoi.

4.16En ce qui concerne la saisine du Tribunal criminel spécial à la lumière du principe de non-rétroactivité prescrit par le Pacte, l’État partie fait valoir que la loi no 2011/028 est une loi de procédure, d’application immédiate. L’article 15 de la loi stipule que :

« 1) Les juridictions saisies des procédures se rapportant aux faits visés à l’article 2 de la présente loi, soit à l’information judiciaire, soit en cours de jugement vident leur saisine.

2) Dès la promulgation de la présente loi, les ordonnances de renvoi ou de non-lieu partiel et de renvoi du juge d’instruction du tribunal de grande instance rendues dans les procédures se rapportant aux faits visés à l’article 2 ci-dessus sont portés devant le tribunal. »

4.17Ainsi, dans le cas d’espèce, le juge d’instruction du tribunal de grande instance du Mfoundi a clôturé l’information judiciaire par une ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel le 12 septembre 2012, c’est-à-dire après la promulgation de la loi susvisée. Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale la plus sévère n’a donc pas été violé.

4.18En ce qui concerne la détention continue de M. Zogo Andela et le grief de l’auteur tiré de l’article 9, l’État partie relève qu’un mandat de justice dans le cadre d’une information judiciaire a légitimé cette détention, l’article 262 du Code de procédure pénale disposant qu’« en cas de renvoi devant le tribunal pour des faits constitutifs d’un délit, l’ordonnance de renvoi ne met pas fin à la détention provisoire ou à la mesure de surveillance judiciaire, lorsque le maximum de la peine encourue est supérieur à la durée de la détention ». C’est donc dans l’intérêt de la justice que la détention a été poursuivie.

4.19À propos du grief que l’auteur tire de l’article 11 du Pacte et de son argument selon lequel les faits relèvent de litiges commerciaux et ne sont pas des infractions pénales, l’État partie note qu’il s’agit d’un problème d’appréciation et de qualification des faits qui est actuellement devant ses juridictions, lesquelles n’ont pas encore pris position, et qu’il n’appartient donc pas au Comité de se prononcer sur cette question. En outre, le Comité a, de manière constante, considéré que l’interdiction d’emprisonnement pour dette consacrée à l’article 11 ne s’appliquait pas aux infractions pénales liées à des dettes civiles. En l’espèce, M. Zogo Andela est poursuivi pour détournements de biens publics, infraction prévue et réprimée par l’article 184 du Code pénal. Pour ces raisons, l’article 11 du Pacte n’a pas lieu de s’appliquer.

4.20Pour ce qui est de l’article 2 (par. 3), l’État partie soutient que, dans la mesure où il n’a pas épuisé les recours internes pour solliciter sa mise en liberté alors que des recours existaient, M. Zogo Andela ne saurait arguer qu’il a été privé d’un recours utile.

4.21Pour ce qui est de ses arguments au titre de l’article 16, l’État partie relève que la responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas la responsabilité individuelle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits. M. Zogo Andela ne saurait tenter de se cacher derrière la personnalité morale de la société qu’il représentait pour échapper à des poursuites.

4.22Enfin, selon l’État partie, les allégations de l’auteur au titre de l’article 26 sont sans fondement, en ce que l’auteur n’a pas démontré en quoi la situation des autres personnes poursuivies pour détournement de biens publics était identique à celle de M. Zogo Andela ou établi de différence indue de traitement.

4.23L’État partie invite le Comité à rejeter les prétentions de l’auteur comme non fondées et à constater qu’il n’est pas du ressort du Comité de prononcer des sanctions pécuniaires à l’encontre d’États.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 2 mars 2017, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il a également ajouté un grief supplémentaire au titre de l’article 7 du Pacte, arguant que les conditions de vie et de détention exécrables auxquelles était exposé M. Zogo Andela avait eu un impact sur sa santé. En outre, tous ses biens et avoirs ont été gelés injustement. Dès lors, M. Zogo Andela n’est pas en mesure de se soigner décemment, ni de se nourrir convenablement, ni d’honorer ses engagements financiers courants, notamment les honoraires d’avocat. L’auteur allègue en conséquence que la décision de bloquer les comptes, de vendre illégalement les biens ou de sceller les meubles du domicile de M. Zogo Andela en sus de sa détention et le refus de le soigner et de le nourrir en respectant le régime alimentaire prescrit par ses médecins constituent une atteinte à son intégrité physique et un traitement inhumain et dégradant.

5.2En ce qui concerne le droit, l’auteur maintient et réitère ses prétentions à l’effet que les recours sont vains, et que M. Zogo Andela n’était pas tenu de faire une demande de mise en liberté sous caution, dès lors qu’il a soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de la cause, qui aurait dû obliger le juge d’instruction à ne pas examiner la cause et à ordonner la mainlevée d’office du mandat de détention provisoire décerné le 30 mars 2011.

5.3L’auteur conteste les conclusions de la Cour suprême du 1er juillet 2015 ; il nie qu’il y ait eu une quelconque information judiciaire dans le procès de M. Zogo Andela, accusant l’État partie d’avoir fabriqué de fausses pièces pour les circonstances, et réitère que la détention de M. Zogo Andela depuis le 30 mars 2011 sans qu’il ait été jugé est excessive.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4À cet effet, le Comité prend note des griefs de l’auteur tirés de l’article 9 (par. 1, 3, 4 et 5) du Pacte concernant la détention prétendument arbitraire de M. Zogo Andela. Le Comité note l’argument avancé par l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, dans la mesure où il n’a pas fait usage des mécanismes permettant de solliciter une mise en liberté, en particulier les articles 222 à 235 du Code de procédure pénale (relatifs à des demandes de mise en liberté avec ou sans caution).

6.5Le Comité note le grief que l’auteur tire de l’article 9 (par. 5) du Pacte, à travers lequel il cherche à obtenir réparation pour la détention de M. Zogo Andela, qu’il qualifie d’arbitraire. Toutefois, le Comité observe que cette allégation n’a pas été présentée devant les juridictions de l’État partie. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’auteur doit se prévaloir de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription énoncée dans le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles et ouverts à l’auteur. En conséquence, cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 5, par. 2 b), du Protocole facultatif.

6.6Le Comité observe que, le 14 septembre 2011, M. Zogo Andela a sollicité auprès du juge d’instruction la mainlevée de sa mise en détention préventive, en soulevant l’incompétence ratione loci et ratione materiae du juge, et la prescription des faits. Sa demande a été rejetée par le juge d’instruction le 10 octobre 2011. M. Zogo Andela a alors interjeté appel de cette décision devant la chambre de contrôle de l’instruction de la cour d’appel du Centre à Yaoundé, qui a déclaré l’appel irrecevable. L’intéressé a alors formé un pourvoi, le 20 septembre 2012, devant la Cour suprême du Cameroun, qui a également été rejeté.

6.7Le Comité note en outre qu’après la prolongation par deux fois de son mandat de détention et dès lors que sa détention provisoire n’avait plus, à partir du 30 septembre 2012, de fondement juridique, en ce qu’elle excédait les dix-huit mois permis par le Code de procédure pénale, M. Zogo Andela a, le 5 octobre 2012, saisi le Président du tribunal de grande instance du Mfoundi, juge de l’habeas corpus, d’une demande en vue de sa libération immédiate, comme l’y autorise l’article 584 du Code de procédure pénale (par. 2.16). Le 18 octobre 2012, sa demande était rejetée. Le 30 octobre 2012, M. Zogo Andela a formé un recours contre cette décision, qui a été rejeté. Le 13 avril 2015, il a formulé une nouvelle demande d’habeas corpus (par. 2.19), qui a également été rejetée.

6.8Au vu de ces circonstances, le Comité ne peut conclure que les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne la détention de M. Zogo Andela après le 30 septembre 2012. Le Comité déclare donc le grief tiré de la violation de l’article 9 (par. 1, 3 et 4) du Pacte recevable en vertu de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.9Le Comité note l’argument de l’auteur, selon lequel M. Zogo Andela a été privé d’un recours utile, en violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte ne peut être invoqué par les particuliers qu’en relation avec d’autres dispositions du Pacte et estime que les prétentions de l’auteur à cet égard doivent être déclarées irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Au titre de l’article 7 du Pacte, le Comité prend note, en premier lieu, des allégations de l’auteur concernant les conditions de vie de M. Zogo Andela, liées à sa détention et au gel de ses avoirs, en relation avec la procédure judiciaire dont il fait l’objet. Il a également fait état de conditions de santé préoccupantes, ainsi que du refus des autorités pénitentiaires de lui fournir des soins et une alimentation compatible avec son état de santé. Le Comité observe que, selon les éléments versés au dossier, l’auteur n’a pas fait état de ces allégations devant les juridictions internes. De plus, il n’a pas suffisamment étayé ce grief devant le Comité, mis à part la production d’un certificat médical daté du 26 août 2016, qui décrit les antécédents médicaux de M. Zogo Andela. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication doit également être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 et de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.11Le Comité prend note des allégations de l’auteur concernant la violation des droits qu’il tire de l’article 11 dans la mesure où M. Zogo Andela considère avoir été emprisonné pour manquement à une obligation contractuelle. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, l’interdiction de la détention pour dette, consacrée à l’article 11 du Pacte, ne s’applique pas aux infractions pénales liées à des dettes civiles et qu’en cas de fraude ou de banqueroute simple ou frauduleuse, l’intéressé est passible d’une peine d’emprisonnement même s’il n’est plus à même de rembourser ses dettes. Le Comité relève qu’en l’espèce, M. Zogo Andela fait l’objet de poursuites pénales pour détournement de biens publics, infraction prévue et réprimée par l’article 184 du Code pénal, et qu’il ne peut donc être soutenu que les faits reprochés portent sur le défaut de s’acquitter d’une obligation contractuelle. Par conséquent, les faits entrant bien dans le champ d’application d’une infraction pénale et ne portant pas sur l’incapacité à exécuter une obligation contractuelle, le Comité estime que ce grief est incompatible ratione materiae avec l’article 11 du Pacte et, par conséquent, doit être déclaré irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.12Le Comité prend note du grief tiré par l’auteur de l’article 14 (par. 1 et 2) à l’égard de M. Zogo Andela, selon lequel sa cause n’aurait pas été entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent et impartial, et le renvoi de l’affaire devant le Tribunal criminel spécial aurait violé son droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence. L’auteur a également argué que la poursuite de l’information par le juge d’instruction après le recours exercé contre l’ordonnance de rejet de l’exception soulevée a constitué une violation du principe de l’effet dévolutif de l’appel et d’autres principes du droit à un procès équitable.

6.13Le Comité relève que la plupart des griefs formulés par l’auteur, au titre de l’article 14 (par. 1), ont trait à l’application du droit national par les tribunaux de l’État partie. L’État partie a rétorqué que le juge d’instruction pouvait légitimement poursuivre l’information judiciaire après l’introduction du recours par M. Zogo Andela, comme l’y autorisait l’article 287 du Code de procédure pénale. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.14Le Comité note l’allégation de l’auteur au titre de l’article 14 (par. 5), selon laquelle le Tribunal criminel spécial est une juridiction d’exception, qui ne reconnaît pas le double degré de juridiction. Le Comité rappelle que l’article 14 (par. 5) du Pacte stipule que toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Or, le Comité note, en l’espèce, que M. Zogo Andela est accusé des crimes de détournement de deniers publics et de rétention sans droit de la chose d’autrui, faits prévus et punis par le Code pénal camerounais, pour lesquels il n’a pas encore été jugé. Dès lors, il n’a pas la qualité de victime, ratione personae, de sorte que le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 5) du Pacte doit être rejeté au stade de la recevabilité en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

6.15Le Comité a pris note de l’allégation de l’auteur, selon laquelle l’article 15 du Pacte aurait été violé, en ce que M. Zogo Andela aurait été incarcéré antérieurement à la création du Tribunal criminel spécial chargé de le juger. Le Comité relève que l’intéressé est poursuivi pour détournement de deniers publics, ce qui est réprimé par l’article 184 du Code pénal camerounais de 1965, pour des faits ayant été commis entre 1996 et 2003, et que le changement de juridiction n’a pas modifié la caractérisation juridique du crime, ni de la peine encourue. Le Comité conclut par conséquent que le grief que l’auteur tire de l’article 15 est incompatible ratione materiae avec les droits consacrés par le Pacte et est donc irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.16En ce qui concerne l’argument de l’auteur au titre de l’article 16, selon lequel la responsabilité pénale de M. Zogo Andela n’est pas engagée, dans la mesure où c’est la personne morale de l’entreprise SCLM, dont il était le Président-Directeur général, qui devait être engagée, le Comité considère que cette allégation doit également être rejetée dans la mesure où M. Zogo Andela est personnellement accusé de certains crimes qu’il aurait commis lorsqu’il dirigeait la société SCLM, et poursuivi ès qualité. Cette allégation est donc incompatible ratione materiae avec l’article 16 et doit être déclarée irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.17En ce qui concerne le grief tiré de l’article 26, le Comité note que l’auteur ne semble pas avoir porté ce grief devant les juridictions internes. Par ailleurs, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief, en ce qu’il a manqué de démontrer une différence de traitement par rapport à d’autres personnes placées sous la juridiction de l’État partie, qui aurait été fondée sur la base d’un quelconque motif énuméré dans l’article 26 du Pacte. Le Comité déclare donc cette partie de la communication irrecevable en vertu des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.18Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 9 (par. 1, 3 et 4) du Pacte et de l’article 14 (par. 2 et 3 c)) du Pacte, et procède donc à leur examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 9 du Pacte, « [n]ul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraires ». Le Comité rappelle en outre qu’après l’évaluation initiale déterminant que la détention avant jugement est nécessaire, il faut réexaminer périodiquement la mesure pour savoir si elle continue d’être raisonnable et nécessaire, eu égard à d’autres solutions possibles. Dans son paragraphe 3, l’article 9 dispose que « [t]out individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale […] devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré ». Le Comité note qu’à la suite de son inculpation, M. Zogo Andela est en détention préventive depuis le 30 mars 2011. Il relève en outre que les tribunaux de l’État partie ont justifié le maintien en détention de l’intéressé sur la base de motifs purement procéduraux, l’affaire ayant été transférée devant le Tribunal criminel spécial, sans qu’il ne soit procédé à un examen en substance de sa détention. Le Comité note qu’aucun examen de la licéité de la détention n’a été effectué. Dès lors, et considérant que l’État partie n’a pas avancé de motifs susceptibles de justifier la détention continue de M. Zogo Andela, le Comité conclut à une violation de l’article 9 (par. 1, 3 et 4).

7.3En ce qui concerne le grief de retard excessif dans la procédure, le Comité prend note de l’allégation de l’auteur, selon laquelle M. Zogo Andela n’a toujours pas été entendu sur les faits qui lui sont reprochés depuis sa mise en examen en 2011 et son placement en détention provisoire il y a aujourd’hui plus de six ans. Le Comité relève en outre les autres délais de procédure dénoncés par l’auteur, notamment la décision du 24 juillet 2012, suite au pourvoi intenté par M. Zogo Andela, décision rendue par la cour d’appel du Centre plus de dix mois après le délai prescrit par le droit camerounais (par. 2.12). Par ailleurs, le Comité relève que ce n’est que le 1er juillet 2015 que la Cour suprême a statué sur le pourvoi introduit par l’intéressé le 20 septembre 2012 (par. 2.12 et 2.13), soit près de trois ans plus tard.

7.4Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 3 c) de l’article 14, toute personne a droit « à être jugée sans retard excessif ». Le Comité rappelle en outre que le 29 mars 2011, M. Zogo Andela était interpelé ; le 30 mars 2011, il était présenté au Procureur de la République du tribunal de grande instance du Mfoundi ; le même jour, il était inculpé du crime de détournement de deniers publics et de rétention sans droit de la chose d’autrui, et placé en détention provisoire. L’État partie a argué que le juge d’instruction avait procédé à de nombreux actes d’instruction entre avril 2011 et septembre 2012 ; l’affaire a ensuite été renvoyée par ordonnance au Tribunal criminel spécial. Il ressort également du matériel à la disposition du Comité qu’une première audience a été conduite devant le Tribunal criminel spécial le 12 octobre 2016 (par. 2.25). Le Comité a pris note des renseignements de l’État partie sur les accusations portées contre M. Zogo Andela, de la complexité de l’affaire, ainsi que des exigences en matière de procédure découlant du Code de procédure pénale. Toutefois, l’État partie n’a pas avancé de raison particulière de nature à justifier le long délai entre l’inculpation de M. Zogo Andela, le 30 mars 2011, et la première audience, le 12 octobre 2016. Par ailleurs, l’État partie n’a soumis aucune information au Comité quant à l’avancée éventuelle du procès depuis cette première audience. Le Comité est d’avis qu’un tel délai est d’autant plus grave que M. Zogo Andela se trouve en détention préventive sans discontinuité depuis son arrestation en 2011.

7.5Au vu des informations soumises au Comité, et en l’absence d’explications satisfaisantes de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 3 c) de l’article 14. Étant parvenu à cette conclusion, le Comité décide de ne pas considérer séparément le grief que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 9 (par. 1, 2, 3 et 4) et de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte à l’égard de M. Zogo Andela.

9.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Celaexige que les États parties accordent réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, entre autres, de : a) procéder à la libération immédiate de M. Zogo Andela en attendant son jugement ; b) juger M. Zogo Andela promptement ; et c) indemniser M. Zogo Andela de manière appropriée pour les violations subies. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.