Nations Unies

CCPR/C/126/D/2683/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

3 octobre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2683/2015 * , ** , ***

Communication présentée par:

S. A., en son nom et au nom de sa fille mineure, Z (représentée par un conseil, W. G. Fischer)

Victime(s) présumée(s)  :

L’auteure et Z

État partie:

Pays-Bas

Date de la communication:

4 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

R éférences:

Décision prise en application de l’article 97 du Règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 20 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

17 juillet 2019

Objet:

Accès aux prestations pour enfant à charge

Question(s) de procédure:

Recevabilité − épuisement des recours internes ; recevabilité − défaut manifeste de fondement

Question(s) de fond:

Intérêt supérieur de l’enfant ; droits de l’enfant ; discrimination ; discrimination fondée sur d’autres motifs ; droits de la famille ; mesures de protection ; personne apatride

Article(s) du Pacte:

23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26, lu conjointement avec les articles 23 (par. 1) et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est S. A., apatride d’origine rom née le 6 mars 1987 en ex-Yougoslavie. Elle présente la communication en son nom et au nom de sa fille mineure, Z, de nationalité néerlandaise, née le 15 février 2012. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 23 (par. 1) et de l’article 26, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1). Elle affirme en outre que l’État partie a violé les droits que Z tient des articles 23 (par. 1) et 24 (par. 1) et de l’article 26, lu conjointement avec les articles 23 (par. 1) et 24 (par. 1), du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 11 mars 1979. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est apatride et ne peut prétendre à aucune nationalité. Elle est née dans l’actuelle Macédoine du Nord et, à l’âge de 14 ans, est arrivée avec ses parents aux Pays‑Bas, où elle est considérée comme une migrante en situation irrégulière. Elle a souffert de problèmes de santé mentale, notamment du syndrome de stress post-traumatique et de trouble de la personnalité limite, et a commencé à vivre seule dans la ville de Groningue en 2009. La fille de l’auteure, Z, a la nationalité néerlandaise parce que son père est Néerlandais. Peu après la naissance de Z en 2012, le père est devenu violent. En conséquence, le 3 avril 2012, l’auteure s’est enfuie avec Z, qui avait 2 mois, et s’est rendue au centre d’accueil où vivaient ses parents, car elle n’avait nulle part ailleurs où aller. Ce centre d’accueil, situé à Katwijk, est administré par l’Agence centrale pour l’accueil des demandeurs d’asile.

2.2À son arrivée, l’auteure a déclaré au personnel du centre d’accueil qu’elle souhaitait séjourner temporairement dans le centre avec Z. Toutefois, le personnel les a expulsées le soir même à 23 heures après leur avoir remis une note manuscrite contenant les adresses d’un hôtel et d’un centre d’accueil pour usagers de drogues. Le personnel n’a rien tenté d’autre pour leur fournir un hébergement d’urgence ni pour prendre contact avec les services de protection de l’enfance ou les centres d’accueil d’urgence locaux. Une personne dont l’auteure ignore le nom a appelé un centre d’accueil privé pour femmes à Leyde pour informer le personnel de la situation de l’auteure. Des membres du personnel de ce centre sont venus chercher l’auteure et Z et leur ont offert un hébergement d’urgence temporaire. L’auteure et Z sont restées dans ce centre sans aucun revenu pour survivre.

2.3Afin d’obtenir des allocations de subsistance minimales, l’auteure a sollicité une assistance juridique en vue de déposer diverses demandes administratives. Aux Pays-Bas, le niveau de vie minimum des familles est fixé selon les différents systèmes de prestations. Les prestations générales peuvent être complétées à la fois par des indemnités pour enfant à charge et par les allocations pour enfant à charge. Les allocations pour enfant à charge sont versées aux parents à faible revenu qui remplissent les conditions requises et sont destinées à compenser les coûts qu’induit le fait d’élever des enfants. Or, l’auteure ne peut obtenir ni permis de travail ni prestations sociales en raison de la loi établissant le « principe du lien », en vertu duquel l’accès aux services sociaux est subordonné à la détention d’un permis de séjour.

2.4Conformément au droit néerlandais, l’un ou l’autre parent peut demander les indemnités pour enfant à charge, mais un seul parent peut les percevoir. Le 3 mai 2012, l’auteure a demandé les indemnités pour enfant à charge. Le 11 mai 2012, la Banque d’assurance sociale a rejeté sa demande au motif qu’elle ne résidait pas légalement dans le pays. Le 5 septembre 2014, le tribunal de district de Hollande-Septentrionale a rejeté pour le même motif le recours que l’auteure avait formé contre cette décision. Par la suite, le père de Z a demandé et obtenu les indemnités pour enfant à charge. Toutefois, il ne pourvoyait pas aux besoins de Z, et l’auteure ne souhaitait pas engager d’action contre lui.

2.5Le père de Z n’a pas demandé et ne percevait pas les allocations pour enfant à charge.Le 20 avril 2012, l’auteure a demandé à percevoir cette prestation, déclarant dans sa demande qu’elle n’avait aucun revenu et vivait temporairement dans un foyer pour femmes, et que Z avait la nationalité néerlandaise.Le 2 août 2012, l’administration fiscale a rejeté sa demande au motif qu’elle ne résidait pas légalement aux Pays-Bas et qu’elle n’avait pas démontré l’existence des « circonstances très spéciales » nécessaires pour permettre le versement des allocations pour enfant à charge à un étranger en situation irrégulière. Le 15 octobre 2012, l’administration fiscale a rejeté l’objection formelle de l’auteure à la décision.Le 21 février 2014, le tribunal de district de Hollande-Septentrionale a rejeté pour défaut de fondement le recours formé par l’auteure contre la décision de rejet de son objection. Le 14 mai 2014, l’administration fiscale a rejeté le recours formé par l’auteure contre la décision du tribunal de district. Le 17 septembre 2014, la Division du contentieux du Conseil d’État a rejeté le nouveau recours formé par l’auteure pour défaut de fondement.

2.6Le 16 octobre 2012, la municipalité de Groningue a commencé à verser à l’auteure et à sa fille certaines prestations générales pour leur permettre de survivre. Toutefois, ces prestations n’étant pas suffisantes, l’auteure et sa fille, qui est un enfant vulnérable, vivent dans une pauvreté extrême, bien en deçà du niveau de vie minimum.

2.7Le 21 mars 2013, l’auteure a demandé un permis de séjour ordinaire temporaire au titre du « Children’s pardon», mécanisme transitoire visant à régulariser le statut en matière de résidence des enfants et des familles qui résident aux Pays-Bas depuis longtemps. Le 18 juin 2013, le Ministre de la justice et de la sécurité a rejeté la demande de l’auteure. Le 26 mars 2014, le Service de l’immigration et de la naturalisation a déclaré que l’objection de l’auteure à la décision du 18 juin 2013 n’était pas fondée. Le 28 mai 2014, le tribunal de district a déclaré irrecevable la demande de contrôle juridictionnel de la décision relative à l’objection de l’auteure.

2.8Le 14 juillet 2014, l’auteure a été informée par le Service de l’immigration et de la naturalisation qu’un permis de séjour lui avait été accordé pour des « raisons humanitaires non temporaires » en raison de circonstances personnelles exceptionnelles. Ce permis est valable du 6 juin 2014 au 6 juin 2019.

2.9L’auteure affirme qu’elle a épuisé les recours internes et qu’elle n’a pas soumis la même question à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que, en rejetant sa demande d’allocations pour enfant à charge au motif qu’elle était apatride, l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 23 (par. 1) et de l’article 26, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte. L’État partie a également violé les droits que Z tient de l’article 23 (par. 1), de l’article 24 (par. 1) et de l’article 26, lu conjointement avec les articles 23 (par. 1) et 24 (par. 1), du Pacte.

3.2En ce qui concerne l’article 23 (par. 1), l’auteure affirme que, conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les tribunaux néerlandais ont estimé que le versement des allocations pour enfant à charge peut être considéré comme une manière pour l’État de s’acquitter de l’obligation positive qui lui incombe de protéger la vie familiale conformément à l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Ainsi, les allocations pour enfant à charge sont protégées de la même manière en vertu de l’article 23 (par. 1) du Pacte, et le rejet de la demande de l’auteur constitue une violation du droit à la vie de famille. Le principe du lien ne devrait pas être appliqué de manière rigide aux apatrides, en particulier lorsqu’il s’agit de mineurs, comme c’est le cas en l’espèce. Il est bien établi dans le droit national que ce principe n’est pas figé et ne peut pas prévaloir lorsque des violations des droits de l’homme sont en jeu. Une appréciation des circonstances individuelles de chaque cas est requise. L’auteure est une mère apatride, et les autorités de l’État partie ont fait à tort peser le fardeau de son apatridie sur les épaules de sa fille, qui est ressortissante de l’État partie. Dans la présente affaire, l’application du principe du lien porte préjudice à un enfant qui est ressortissant de l’État partie sur la base de facteurs indépendants de la volonté de la mère et de l’enfant. Étant donné que l’auteure et Z n’ont aucune possibilité réelle ou effective de modifier leur situation, l’application du principe du lien s’est traduite par des difficultés équivalant à une violation de leur droit à la vie de famille.

3.3En ce qui concerne le grief tiré du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, alors que l’État partie soutient que les enfants n’ont pas qualité pour agir en ce qui concerne les allocations pour enfant à charge parce que celles-ci sont versées au parent, cette prestation devrait en fait être considérée comme une mesure de protection requise par la condition de mineur de Z. Les enfants bénéficient d’une protection parce qu’ils sont considérés comme vulnérables en raison de leur âge. Par conséquent, s’agissant d’une demande d’allocations pour enfant à charge, l’intérêt et les droits de l’enfant doivent être pris en compte. En effet, la Cour suprême a reconnu que les prestations familiales telles que les prestations générales pour enfant à charge sont destinées à améliorer la situation de l’enfant. Ce raisonnement devrait aussi s’appliquer aux allocations pour enfant à charge, et, en estimant que celles-ci était accordées à l’auteure et non à Z, les autorités néerlandaises n’ont pas tenu compte des droits de Z en tant qu’enfant ayant la nationalité de l’État partie et n’ayant aucune influence sur le statut migratoire de sa mère. L’intérêt supérieur de Z aurait dû primer dans l’appréciation de la demande.

3.4En ce qui concerne le grief tiré de l’article 26, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte, le refus d’allouer les allocations pour enfant à charge est discriminatoire en ce qui concerne la vie de famille de l’auteure et de Z. En raison de la situation de l’auteure, migrante en situation irrégulière, l’État partie a traité celle-ci et Z différemment de ses propres nationaux. Or, Z n’a pas le choix quant à l’apatridie de l’auteure, et celle-ci n’est fondée à demander aucune nationalité. Il n’y a donc pas de « motif grave » qui pourrait justifier leur traitement différent.

3.5En violation de l’article 26, lu conjointement avec l’article 24 (par. 1) du Pacte, le refus d’allouer les allocations pour enfant à charge au motif que l’auteure n’a pas de permis de séjour est discriminatoire à l’égard de Z, car les autorités de l’État partie n’ont fait aucune distinction entre la situation de l’auteure et celle de Z. Cette distinction est cruciale car l’intérêt du parent est différent de celui de l’enfant. Les enfants, en particulier les très jeunes enfants, ne sont pas en mesure d’influer sur les choix de leurs parents. Au moment où l’auteure a demandé à bénéficier des allocations pour enfant à charge, Z n’était pas assez âgée pour influer sur la décision de son père d’avoir un comportement violent ou sur la décision ultérieure de sa mère de quitter son partenaire violent.

3.6Les décisions pertinentes prises par les autorités de l’État partie étaient entachées d’erreurs car elles aboutissaient à ce que l’auteure et Z vivent dans l’extrême pauvreté, bien en deçà du seuil minimal de pauvreté pour les mères seules et leurs enfants. Les autorités administratives et judiciaires n’auraient pas dû accepter le raisonnement de l’administration fiscale selon lequel l’auteure et Z, parce qu’elles recevaient certaines prestations, n’étaient pas privées de moyens d’existence et n’avaient pas été forcées de facto de quitter le territoire de l’État partie. En outre, les autorités de l’État partie n’ont pas examiné la question du point de vue des droits de l’enfant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations sur la recevabilité datées du 19 janvier 2016, l’État partie considère que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes. Plus précisément, l’auteure n’a pas fait appel du jugement du tribunal de district de Hollande‑Septentrionale en date du 5 septembre 2014.

4.2En outre, la communication est irrecevable parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée et ne fait à l’évidence apparaître aucune violation des articles 23, 24 ou 26 du Pacte. Les indemnités pour enfant à charge ne sont accordées qu’une fois aux parents qui s’occupent d’un enfant mineur, quel que soit l’état civil des parents. D’après les observations de l’auteure, le père de Z a perçu les indemnités pour enfant à charge pendant les deuxième, troisième et quatrième trimestres de 2012. Selon le jugement du tribunal de district, cette prestation a été versée sur le compte bancaire indiqué par l’auteure dans ses formulaires de demande. L’auteure a donc obtenu la contribution qu’elle a demandée pour couvrir les frais d’éducation de sa fille.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans ses commentaires en date du 15 février 2016, l’auteure soutient que la décision rendue le 17 septembre 2014 par la Division du contentieux du Conseil d’État est définitive. Elle a donc épuisé tous les recours internes concernant les allocations pour enfant à charge. C’est à tort que l’État partie renvoie aux faits relatifs à sa demande d’indemnités pour enfant à charge, qui ne fait pas l’objet de la présente communication. La décision rendue par le tribunal de district le 5 septembre 2014 ne concerne pas les allocations pour enfant à charge. La procédure relative aux indemnités pour enfants à charge est distincte de celle relative aux allocations pour enfant à charge et relève de tribunaux différents.

5.2En ce qui concerne l’observation de l’État partie qui prétend que la communication n’est pas étayée, l’auteure fait valoir que les allocations pour enfant à charge n’ont pas été versées au père de Z. Le père ne pouvait pas en faire la demande et n’a pas engagé de procédure à ce sujet. Les observations de l’État partie concernant la demande d’indemnités pour enfant à charge de l’auteure sont donc sans objet.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans des observations datées du 17 mai 2016, l’État partie donne des informations complémentaires sur les deux types de prestations pour enfant à charge prévues par la législation nationale : 1) les allocations pour enfant à charge, qui sont versées sous conditions de ressources ; et 2) les indemnités pour enfant à charge. Aucun de ces deux types de prestations n’a vocation à servir de système général de complément de revenu. Les indemnités pour enfant à charge ont été établies par la loi de 1963 relatives aux prestations générales pour enfant à charge. En vertu de cette loi, les personnes assurées qui ont la charge d’enfants mineurs ont droit à des indemnités pour enfant à charge. Ces indemnités sont versées aux ménages et représentent une contribution aux coûts induits par le fait d’élever des enfants ; elles ne sont pas destinées à rembourser intégralement ces coûts. Les indemnités pour enfants à charge ne sont pas accordées en fonction du revenu des parents.

6.2De leur côté, les allocations pour enfant à charge, qui ont été établies par la loi de 2007 relative aux allocations pour enfant à charge, sont versées sous conditions de ressources, ce qui signifie que leur montant est inversement proportionnel à la capacité des parents d’assumer les frais induits par le fait d’élever des enfants et de leur prodiguer des soins. Elles peuvent être versées aux parents ayant un faible revenu annuel. Le montant des allocations pour enfant à charge dépend également du nombre d’enfants et de leur âge. Ces prestations sont accordées au parent et non à l’enfant. Elle ont été introduites dans le cadre d’une prestation de sécurité sociale après qu’il est apparu que de nombreuses familles à faible revenu n’étaient pas redevables de l’impôt minimum requis pour bénéficier du crédit d’impôt pour enfants qui était en vigueur. Les étrangers qui n’ont pas été admis aux Pays‑Bas n’ont droit ni aux indemnités pour enfant à charge ni aux allocations pour enfant à charge en raison du principe qui lie les droits sociaux au statut en matière de résidence.

6.3Ce principe du lien, établi en vertu de la loi relative aux droits sociaux (statut de résident), vise principalement à garantir qu’un étranger qui n’est pas titulaire d’un permis de séjour non soumis à conditions ne puisse prétendre au bénéfice de prestations versées par l’État. Contrairement à ce que l’auteure affirme, l’application du principe du lien n’est pas rigide, « puisque des étrangers qui n’ont pas (ou n’ont pas encore) été admis aux Pays‑Bas ne se voient pas refuser de prestations, services, autorisations ou exemptions, quelles que soient les circonstances ». En règle générale, toutefois, les droits sont déterminés par le statut en matière de résidence. La loi prévoit trois exceptions à cette règle, en ce sens que les prestations versées par l’État relatives à l’éducation, aux soins de santé et à l’aide juridique sont accessibles à tous les étrangers, y compris ceux qui n’ont pas de permis de séjour.

6.4L’État partie donne de nouveaux éléments factuels concernant la plainte et indique que, le 29 septembre 2001, les parents de l’auteure ont déposé en son nom une demande d’asile, qui a été rejetée. Depuis lors, l’auteure est restée aux Pays-Bas et a engagé plusieurs actions en justice. Le Service de l’immigration et de la naturalisation a établi que l’auteure n’avait pas droit à un permis de séjour pour demandeurs d’asile ni à un permis de séjour ordinaire, que ce soit au titre de la politique de « non-responsabilité » ou en raison d’un besoin humanitaire impérieux. Cette décision a été confirmée par un tribunal de district et par la Division du contentieux du Conseil d’État.

6.5L’État partie reconnaît que Z a la nationalité néerlandaise parce qu’elle est née d’un père ayant cette nationalité. Le père a reconnu Z comme étant sa fille. L’État partie affirme également que la relation entre l’auteure et le père de Z a pris fin peu après la naissance de Z en raison de violences familiales.

6.6Le père de Z a perçu les allocations pour enfant à charge pour les mois de novembre et décembre 2012. L’État partie suppose donc que la communication porte sur le refus d’allouer à l’auteure cette prestation pour la période allant de mars 2012 à octobre 2012 inclus.

6.7La communication est dénuée de fondement. L’article 23 (par. 1) du Pacte n’exige pas que des allocations pour enfant à charge soient prévues. Étant donné que le refus d’allouer cette prestation ne constitue pas un obstacle à la vie de famille, la question de l’ingérence de l’État dans la vie de l’auteure et de Z en tant qu’unité familiale ou de son inaction à cet égard ne se pose pas. Contrairement à ce que soutient l’auteure, le Pacte ne crée pas d’obligation positive de protéger l’unité familiale en fournissant une aide financière, sans parler d’allocations pour enfant à charge ou d’indemnités pour enfant à charge spécifiques. Ni les indemnités pour enfant à charge ni les allocations pour enfant à charge ne constituent un système général de complément de revenu versé aux familles ayant des enfants à titre de revenu minimum de subsistance. L’article 23 du Pacte porte davantage sur les mesures de protection de l’unité familiale et de regroupement familial que sur une quelconque obligation de fournir une aide financière.

6.8Il ressort clairement de l’observation générale no 17 (1989) du Comité sur les droits de l’enfant que l’article 24 du Pacte concerne la protection des enfants contre les atteintes à leur bien-être physique ou psychologique, et que c’est aux parents qu’incombe la responsabilité principale, y compris la responsabilité financière, de leurs enfants. Il convient de souligner qu’aucun des deux types de prestations pour enfant à charge ne constitue un droit de l’enfant. L’État partie met en œuvre d’autres programmes pour satisfaire aux besoins fondamentaux.

6.9En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, les distinctions fondées sur le statut en matière de résidence ne sont nullement inhabituelles dans le contexte des traités relatifs aux droits de l’homme. En outre, l’article 26 a sensiblement la même portée et la même teneur que l’article 14 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces dispositions n’interdisent pas toutes les formes d’inégalité de traitement, mais seulement celles qui constituent une discrimination. La discrimination se produit en l’absence de justification suffisamment objective et raisonnable, de but légitime et de moyens raisonnables et proportionnés pour atteindre ce but.

6.10Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ce n’est que dans les situations où la discrimination est fondée exclusivement sur la nationalité qu’il doit exister des « motifs graves » pour établir une justification objective et raisonnable. Dans le cas de l’auteure, la distinction se fonde sur le statut en matière de résidence et est suffisamment justifiée, compte tenu du caractère objectif et raisonnable de l’argument justifiant qu’un traitement différent soit réservé en matière de droits sociaux aux nationaux d’un pays et aux étrangers en situation irrégulière. En effet, l’obligation absolue de traiter les étrangers en situation irrégulière de la même façon que les nationaux et les résidents légaux d’un pays priverait un État de la possibilité de mener une politique d’immigration visant à protéger le bien-être économique du pays. Le principe du lien vise à empêcher les étrangers en situation irrégulière de prolonger leur séjour aux Pays-Bas en percevant, notamment, les allocations pour enfant à charge, et d’établir un semblant de résidence légale et une position juridique si forte qu’il devient pratiquement impossible de les expulser. Il est donc à la fois objectif et raisonnable que l’État partie restreigne aux résidents en situation régulière le droit aux indemnités pour enfant à charge et aux allocations pour enfant à charge. Selon la Cour européenne des droits de l’homme, les États ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers, et les mesures visant à assurer un contrôle efficace de l’immigration peuvent servir l’objectif légitime de la préservation du bien-être économique d’un pays.

6.11En ce qui concerne l’argument selon lequel, en raison de l’apatridie de l’auteure, la distinction faite dans les critères d’attribution des indemnités pour enfant à charge ne sert aucun objectif légitime, l’État partie fait observer que la législation nationale autorise la délivrance de permis de séjour aux personnes ayant démontré qu’elles sont devenues apatrides sans que ce soit de leur faute. L’auteure ne disposait pas d’un tel permis lorsqu’elle a fait, en 2012, une demande d’allocations pour enfant à charge. En conséquence, à l’époque, sa situation ne différait pas de celle d’autres étrangers en situation irrégulière.

6.12En réponse à l’argument de l’auteure, selon qui Z a subi une discrimination indirecte parce que les allocations pour enfant à charge, bien que versées à ses parents, lui sont destinées, l’État partie rappelle que cette prestation est allouée aux parents. Le système social national ne permet pas aux enfants de solliciter des prestations sociales. En outre, les Pays-Bas ont fait une réserve à l’article 26 de la Convention relative aux droits de l’enfant, aux termes de laquelle ces dispositions n’impliquent pas un droit indépendant des enfants à la sécurité sociale, y compris les assurances sociales. Les indemnités pour enfant à charge, comme les allocations pour enfant à charge relèvent du champ d’application de cette réserve.

6.13Dans de nouvelles observations en date du 14 septembre 2016, l’État partie a fait savoir que sa position demeurait inchangée.

6.14Dans d’autres observations en date du 21 février 2018, l’État partie commente un arrêt rendu récemment par la Cour de justice de l’Union européenne qui a été invoqué par l’auteure à l’appui de ses arguments. Il fait observer que l’arrêt de la Cour porte sur la manière de déterminer si un droit de séjour peut être refusé dans une situation donnée. Plus précisément, il s’agit de la situation dans laquelle un enfant à charge est un ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, alors que le parent de l’enfant ne l’est pas. Selon la Cour, si l’enfant était obligé de quitter le territoire de l’Union européenne pris dans son ensemble, il serait privé de la jouissance effective de l’essentiel des droits que lui confère la citoyenneté de l’Union européenne. À la suite de cet arrêt, l’État partie a modifié sa politique. Désormais, un droit de séjour est accordé à un parent qui n’est pas ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, mais dont l’enfant est ressortissant d’un tel État, si le refus du droit de séjour oblige l’enfant à quitter le territoire de l’Union européenne en raison de sa dépendance à l’égard de son parent. L’État partie considère que les détails fournis dans la communication, ainsi que ceux dont il dispose, ne lui permettent pas de comprendre suffisamment clairement les faits et circonstances pertinents pour déterminer si la situation de l’auteure est semblable à celle mentionnée dans l’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires en date du 17 juin 2016, l’auteure affirme que le versement des allocations pour enfant à charge est un élément essentiel pour atteindre le minimum vital nécessaire pour élever un enfant dans la société. Ce minimum est plus élevé pour une mère et son enfant que pour une femme seule, et ces différences se reflètent dans la différence entre les indemnités pour enfant à charge et les allocations pour enfant à charge soumises à des conditions de ressources. L’auteure conteste l’affirmation de l’État partie, selon qui la nécessité n’est pas un critère pour l’attribution des allocations pour enfant à charge ; au contraire, cette prestation est évaluée en fonction du revenu des parents de l’enfant. En ce qui concerne les indemnités pour enfant à charge, le besoin est présumé. L’auteure fait en outre valoir que l’État partie ne tient pas compte de la nationalité de Z.

7.2Dans des commentaires complémentaires en date des 14 août et 29 septembre 2017, l’auteure indique que, dans l’arrêt susmentionné, la Cour de justice de l’Union européenne a estimé que les enfants, aux Pays-Bas, devaient être traités dans des conditions d’égalité, quel que soit le statut de leurs parents en matière de résidence. À la suite de cette décision, la pratique de l’État partie a changé. Aujourd’hui, dans les affaires concernant les enfants aux Pays-Bas, le Gouvernement délivre un permis de séjour au parent qui s’occupe de l’enfant. Étant donné que ce type de résidence est établi dans les faits plutôt que par la loi, les prestations peuvent être (et sont) accordées rétroactivement, à partir du moment où la résidence a été établie pour la première fois. L’auteure fait valoir que, étant donné que la décision de la Cour porte sur ce qui est au cœur de la présente communication, et étant donné que l’État partie a déjà modifié sa pratique en conséquence, l’État partie devrait modifier sa position sur le cas de l’auteure.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il n’est donc pas empêché d’examiner la communication.

8.3Le Comité note que l’État partie considère que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles car elle n’a pas fait appel du jugement du tribunal de district de Hollande-Septentrionale en date du 5 septembre 2014. Il note cependant que cette décision avait trait à la demande de l’auteure concernant les indemnités pour enfant à charge, qui n’est pas en cause dans la présente communication. L’État partie affirme qu’il a déjà pourvu à la réparation que l’auteure cherche à obtenir dans la présente communication en faisant droit à sa demande d’indemnités pour enfant à charge, mais le Comité note que les indemnités pour enfant à charge et les allocations pour enfant à charge sont des prestations sociales distinctes et sont déterminées selon des procédures différentes. Il note également que l’État partie n’a pas contesté l’affirmation de l’auteure selon laquelle le rejet de sa demande d’allocations pour enfant à charge est devenu définitif lorsque la Division du contentieux du Conseil d’État a rejeté son recours le 17 septembre 2014. En conséquence, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

8.4Le Comité prend aussi note de la position de l’État partie qui affirme que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée. Il note que l’auteure fait valoir que, en tant que mère apatride d’un enfant néerlandais, le refus de sa demande d’allocations pour enfant à charge était discriminatoire, portait atteinte à son droit à la vie de famille et était contraire à l’intérêt supérieur de Z. Selon l’auteure, ce refus constitue une violation des droits qu’elle tient des articles 23 (par. 1) et 26, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1), et une violation des droits que Z tient des articles 23 (par. 1), 24 (par. 1) et 26, lu conjointement avec les article 23 (par. 1) et 24 (par. 1), du Pacte. Le Comité note que l’auteure, qui est née dans l’actuelle Macédoine du Nord, n’a pas étayé son affirmation selon laquelle, au moment de l’examen de sa demande d’allocations pour enfant à charge, elle ne pouvait prétendre à aucune nationalité ni à aucun statut en matière de résidence ailleurs, et n’a pas fourni à l’État partie la preuve qu’elle ne pouvait pas modifier sa situation d’apatridie afin de bénéficier de l’aide financière à laquelle elle aurait droit en tant que ressortissante ou résidente d’un autre pays. À cet égard, le Comité note que l’auteure n’a pas répondu à l’assertion de l’État partie selon qui sa demande de permis de séjour au titre de la politique de « non-responsabilité » avait été rejetée. Il note également que l’auteure n’a pas montré qu’elle n’avait pas accès à une aide financière pour Z par l’intermédiaire du père de Z, qui est Néerlandais. Sur cette question, le Comité prend note de la déclaration de l’auteure indiquant qu’elle n’a pas tenté d’engager une action en justice contre le père pour non‑versement d’une aide à l’entretien de l’enfant. Il relève que, conformément à la décision du Service de l’immigration et de la naturalisation en date du 26 mars 2014, l’auteure et le père de Z exerçaient tous les deux l’autorité parentale. Prenant note de la position de l’État partie, selon qui l’observation générale no 17 du Comité limite les garanties prévues par l’article 24 à la protection du bien‑être physique et psychologique des enfants, le Comité rappelle que l’absence de protection sociale des enfants peut, dans certaines circonstances, porter atteinte à leur bien‑être physique et psychologique. Toutefois, il note que, si l’auteure fait valoir essentiellement que le versement des allocations pour enfant à charge était une mesure nécessaire pour protéger Z et pour garantir son droit à la vie de famille, elle n’a pas étayé ses allégations de besoins financiers pendant la période considérée. À ce sujet, le Comité prend note de l’affirmation non contestée de l’État partie selon qui, pendant trois trimestres de 2012, le père de Z a reçu des indemnités pour enfant à charge, qui ont été versées sur le compte bancaire indiqué par l’auteure. En outre, le Comité constate que, si elle affirme que le père de Z n’a pas demandé les allocations pour enfant à charge, auquel un seul parent a droit, l’auteure n’a pas répondu à l’assertion concurrente de l’État partie, qui indique que le père de Z a demandé et obtenu cette prestation en novembre et décembre 2012. En outre, l’auteure n’a pas précisé si elle avait demandé et reçu d’autres prestations sociales qui auraient pu, par rapport aux allocations pour enfant à charge, constituer un soutien similaire pour sa vie de famille et pour la protection de Z. Le Comité estime donc que, aux fins de la recevabilité, l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation de ses droits et des droits de Z garantis par les articles du Pacte qu’elle a invoqués.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Tania María Abdo Rocholl, José Manuel Santos Pais, Hélène Tigroudja et Gentian Zyberi

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir souscrire à l’avis de la majorité des membres du Comité qui a conclu que la communication était irrecevable au regard du Protocole facultatif.

2.Le Comité a récemment pris des décisions quant au fond dans deux communications(CCPR/C/125/D/2498/2014 et CCPR/C/125/2489/2014) qui, si elles ne sont pas nécessairement identiques en tous points à la présente communication, ont comme contexte le même cadre législatif général. Dans l’une de ces communications, le Comité a conclu qu’il y a avait eu violation de certains droits garantis par le Pacte, alors que, dans l’autre, il a conclu à l’absence de violation, même si une opinion dissidente a été formulée. Nous pensons que le Comité aurait dû examiner la communication au fond également et conclure à une violation des articles du Pacte invoqués par l’auteure.

3.La communication concerne le non-versement, pendant une certaine période (de mars 2012 à octobre 2012 inclus − par. 6.6), de prestations sociales, à savoir les allocations pour enfants à charge, versées sous conditions de ressources, ce qui signifie que le montant des allocations est inversement proportionnel à la capacité des parents de s’acquitter des frais induits par le fait d’élever des enfants et de leur prodiguer des soins (par. 6.2). Toutefois, l’État partie considère que, les prestations étant versées aux parents, elles ne constituent pas un droit de l’enfant (par. 6.2, 6.8 et 6.10). Nous estimons au contraire que ces prestations reviennent à l’enfant, qui est le détenteur final de ce droit, ce que ne sont pas les parents, qui n’ont que le droit de recevoir les prestations et de les utiliser pour élever leurs enfants.

4.La communication concerne une plainte formulée par une mère (apatride) en son nom et au nom de sa fille (de nationalité néerlandaise − par. 6.5). Toutefois, le Comité n’a pas évalué, dans ses constatations, la valeur monétaire des prestations réclamées par l’auteure au nom de sa fille, ni d’ailleurs la valeur monétaire des autres prestations sociales ou générales qu’elles auraient autrement pu recevoir. Nous n’avons donc aucune possibilité d’apprécier la mesure dans laquelle l’examen des ressources permettant de déterminer si les allocations pour enfant à charge doivent être accordées a été correctement effectué par l’État partie. Le fait d’en rejeter la responsabilité exclusivement sur les auteures, qui sont déjà dans une situation de vulnérabilité, alors que l’État partie a soigneusement évité de donner des détails précis sur le sujet, soulève de graves préoccupations, en particulier à la lumière du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant − principe fondamental qui semble absent des constatations adoptées par le Comité. De plus, nous devons aussi tenir compte du fait que l’État partie a finalement accordé les allocations pour enfant à charge (par. 6.6), reconnaissant ainsi les besoins essentiels invoqués par les auteures.

5.L’une des raisons de la décision d’irrecevabilité est le fait que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’affirmation selon laquelle, lorsqu’elle a déposé une demande d’allocations pour enfant à charge, elle ne pouvait prétendre aucune nationalité ni à aucun statut en matière de résidence ailleurs. Nous devons toutefois comprendre qu’elle est née dans l’actuelle Macédoine du Nord, qu’elle n’avait pas de papiers lorsqu’elle est arrivée aux Pays-Bas alors qu’elle était mineure et qu’elle ne pouvait pas retourner dans son pays sans papiers. C’est pour ces mêmes raisons qu’elle n’a pas pu obtenir de titre de séjour aux Pays-Bas. En conséquence, l’auteure n’avait pas accès à un permis de travail ou à des prestations sociales en raison d’une loi établissant le « principe du lien », puisque, en vertu de ce principe, l’accès aux services sociaux est subordonné à la possession d’un titre de séjour (par. 2.3). Il semble disproportionné de demander à une personne qui se trouve dans une telle situation d’étayer l’affirmation selon laquelle elle est apatride, en particulier puisque l’État partie reconnaît volontiers le fait que l’auteure n’avait pas droit à un permis de séjour pour demandeurs d’asile ou à un permis de séjour ordinaire, que ce soit au titre de la politique de la « non-responsabilité » ou en raison d’un besoin humanitaire impérieux (par. 6.4).

6.Le Comité note aussi que l’auteure n’a pas montré qu’elle n’avait pas accès à une aide financière pour sa fille par l’intermédiaire du père de l’enfant, qui est ressortissant de l’État partie. Il note aussi que l’auteure n’a pas tenté d’engager une action en justice contre lui pour non-versement d’une aide à l’entretien de l’enfant. Toutefois, l’auteure dit bien que, peu après la naissance de l’enfant en 2012, le père est devenu violent et qu’en conséquence, le 3 avril 2012, elle a dû fuir avec sa fille, qui avait 2 mois à l’époque, et s’était rendue dans un centre d’accueil où vivaient ses parents (par. 2.1). La situation de violence familiale a été reconnue par l’État partie (par. 6.5). En outre, bien qu’il ait demandé et obtenu les indemnités pour enfant à charge, le père ne pourvoyait pas aux besoins de sa fille (par. 2.4) et n’a pas demandé les allocations pour enfant à charge (par. 2.5). Dans ces circonstances, étant donné que l’auteure était victime de violence familiale, il n’aurait fallu tirer aucune conclusion négative de sa réticence initiale à prendre contact avec son mari pour lui demander d’aider sa fille. La majorité des membres du Comité n’a pas étudié la question du préjudice physique ou économique subi par l’auteure (voir l’article 3 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique) et, au lieu de prêter attention à la situation réelle de peur et de dépendance qui existait entre la mère et le père, a tiré des conséquences juridiques importantes du fait que le père, bien que violent, avait reçu une aide financière pour l’enfant. Même si le père et la mère ont plus tard exercé conjointement l’autorité parentale, ce fait n’a été reconnu par les autorités de l’État partie qu’en 2014, deux ans après le dépôt par l’auteure de la demande d’allocations pour enfant à charge.

7.Enfin, le Comité a considéré que l’auteure n’avait pas étayé son affirmation selon laquelle elle était dans le besoin à cette époque. Mais, comme cela a été dit auparavant, aucune des parties n’a fourni d’informations précises à ce sujet. Dans le même temps, il faut noter que l’auteure n’avait pas accès à un permis de travail ou à des prestations sociales en raison du principe du lien. Alors même qu’elle s’occupait seule de sa fille, elle ne pouvait pas travailler, n’avait pas de revenu et vivait temporairement dans un centre d’accueil pour femmes lorsqu’elle a déposé sa demande d’allocations pour enfant à charge, en avril 2012 (par. 2.5). La municipalité de Groningue n’a commencé à lui accorder quelques prestations générales lui permettant de survivre qu’en octobre 2012 (par. 2.6). Les indemnités pour enfant à charge n’ont été accordées à son mari qu’après septembre 2014 (par. 2.4). Nous pouvons par conséquent conclure avec certitude que l’auteure et sa fille vivaient réellement dans une pauvreté extrême, bien en deçà du niveau de vie minimum, lorsque l’auteure a demandé les allocations pour enfant à charge, en avril 2012.

8.Selon l’observation générale no 17 (1989) sur les droits de l’enfant, l’article 24 du Pacte protège les enfants contre toute atteinte à leur bien-être physique ou psychologique et c’est aux parents qu’incombe la responsabilité principale, y compris la responsabilité financière, de leurs enfants. Toutefois, contrairement à la position adoptée par l’État partie (par. 6.7 et 6.8), c’est à la société et à l’État qu’il incombe d’intervenir lorsque les parents ne s’acquittent pas de cette responsabilité principale, en particulier lorsqu’ils ne sont pas en mesure d’assurer à leurs enfants un soutien financier minimum (observation générale no 17, par. 6). Cela suppose la nécessité pour les États d’adopter les mesures de protection nécessaires, y compris des mesures économiques, sociales et culturelles (ibid., par. 1 et 3) et d’éviter tout type de discrimination (ibid., par. 5).

9.La relation entre l’intérêt supérieur de l’enfant et les devoirs des États, en particulier lorsque l’enfant a la nationalité d’un État membre de l’Union européenne et, partant, est un citoyen européen, a été confirmée récemment par la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt marquant portant sur des questions juridiques qui, si elles n’étaient exactement similaires, étaient très semblables (Chavez-Vilchez et autres c. Raad van bestuur van de Sociale verzekeringsbank et autres, affaire C-133/15, arrêt du 10 mai 2017). L’auteure a mentionné cet arrêt dans sa réponse aux arguments de l’État partie (par. 6.14 et 7.2) et nous regrettons que la majorité des membres du Comité n’y ait même pas fait référence dans sa décision concernant la recevabilité. En particulier, il aurait été utile de se fonder sur l’analyse donnée par la Cour de justice concernant la « charge quotidienne » de l’enfant (par. 71) pour examiner de façon appropriée les relations entre le père violent qui a pu demander une aide financière (qu’il a effectivement reçue), la mère, qui est le parent assumant la charge quotidienne de l’enfant, et l’enfant. Bien qu’elle soit ressortissante de l’État partie et soit par conséquent une citoyenne de l’Union européenne, la fille de l’auteure a effectivement été victime d’une discrimination fondée sur le fait qu’elle a pour mère une apatride, ce qui l’a empêchée d’avoir accès, pendant la période considérée, aux allocations pour enfant à charge.

10.Pour ces raisons, nous aurions considéré la communication comme recevable et conclu à une violation des droits que l’auteure tient des articles23 (par.1) et 26, lu conjointement avec l’article23 (par.1), et des droits que sa fille tient des articles23(par.1), 24 (par.1)et 26, lu conjointement avec les articles 23 (par.1) et 24 (par.1), duPacte.