Nations Unies

CCPR/C/126/D/2213/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 octobre 2019

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2213/2012 * , **

Communication présentée par :

Ernest Fondjio et consorts (représentés par un conseil, Charles Taku)

Au nom de :

Les auteurs

État partie :

Cameroun

Date de la communication :

8 mai 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (article 92 du nouveau règlement), communiquée à l’État partie le 24 septembre 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

17 juillet 2019

Objet :

Refus d’accorder les avantages légaux liés à la fonction publique ; non-exécution de décisions de justice contraignantes

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; justification des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à un procès équitable ; droit de participer à la vie publique ; égalité devant la loi

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3), 3, 5, 8 (par. 3 a)), 14, 25 (al. c))et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont Ernest Fondjio (Wandjio), Théophile Zega, Amadou Mouiche, Herman Njoh Maka, Félix Mbah Eloundou, Théodore Mbouguela, Pulcherie Tsogo Mbala, Thomas Eyambe, Jean Mekongo (remplacé à son décès par Benedicta Mekongo), Marie Rose Beyokol, Vincent Zoa, Angèle Okala et Pierre Akoa Alega, tous de nationalité camerounaise et fonctionnaires dans l’administration publique camerounaise. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 5, 8 (par. 3 a)), 14, 25 (al. c)) et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 juin 1984. Les auteurs sont représentés par un conseil, Charles Taku.

1.2Les auteurs ont sollicité la jonction de la présente communication à la communication Ngapna et consorts c. Cameroun(CCPR/C/126/D/2035/2011), étant donné qu’elles concernent les mêmes faits et les mêmes demandes. Le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté cette demande. Le 22 décembre 2012, 19 auteurs supplémentaires ont présenté des mandats de représentation pour se joindre à la présente communication.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont des fonctionnaires du Ministère des finances du Cameroun. Ils ont reçu une bourse de l’État partie pour étudier à l’École nationale des impôts de Clermont-Ferrand et à l’École nationale du Trésor de Noisiel, en France, entre 1984 et 1991. Leurs études terminées et de retour au pays, ils ont été déployés dans divers services du Ministère des finances.

2.2Les auteurs font noter que le décret no 74/611 du 1er juillet 1974 fixant les conditions de recrutement des licenciés titulaires des diplômes des écoles financières spécialisées étrangères prévoit dans son article premier que « les titulaires d’une licence ou d’un diplôme académique équivalent, titulaires du diplôme de fin de stage des écoles financières spécialisées étrangères bénéficient, à compter de la date de prise de service, d’une mesure d’intégration au 1er échelon de la 2e classe, catégorie “A”, premier grade de la fonction publique ». Or, en pratique, les autorités de l’État partie n’ont pas appliqué ces dispositions légales aux auteurs. En effet, les autorités camerounaises ont refusé d’intégrer les auteurs dans la catégorie en question, au motif que le décret no 74/611 avait été abrogé par le décret no 75/776 du 18 décembre 1975 portant statut particulier du corps des fonctionnaires des régies financières, en vigueur à l’époque où les auteurs ont été affectés au Ministère des finances et qui ne prévoyait pas les mêmes avantages que le décret no 74/611. Les auteurs ont contesté cette décision, faisant valoir que le décret no 74/611 était encore en vigueur.

2.3À la suite des recours intentés par trois des auteurs de la communication Ngapna et consorts c. Cameroun, soit Robert Tchamba, Emmanuel Wandji et Michelin Libam, la Cour suprême du Cameroun s’est prononcée le 14 novembre 2002 (arrêts no 10/A et no 09/A) et le 27 mars 2003 (arrêt no 17/A). Dans ces décisions, la Cour suprême a conclu que le décret no 74/611 n’avait pas été abrogé par le décret no 75/776. La Cour a décidé que les auteurs devaient être intégrés, reclassés et rémunérés dans la catégorie spécifiée à l’article premier du décret no 74/611 à compter de la date de leur entrée en fonction dans les services du Ministère des finances, soit le 16 janvier 1990 pour Robert Tchamba, le 3 janvier 1989 pour Emmanuel Wandji et le 5 janvier 1988 pour Michelin Libam. Malgré le caractère juridiquement contraignant des arrêts de la Cour suprême et les demandes répétées des auteurs, l’État partie n’a pas exécuté ces décisions.

2.4Le 16 février 2009, le Vice-Premier Ministre et Ministre de la justice camerounais a donné pour instruction au Secrétaire général des services du Premier Ministre d’exécuter la décision de la Cour suprême rendue en faveur de Michelin Libam, mais cette instruction est restée sans suite. À cet égard, les auteurs expliquent que le 31 mai 1995, le Secrétaire général des services du Premier Ministre avait déjà reçu l’instruction, de la part du Secrétaire général de la présidence camerounaise, d’intégrer et de reclasser les diplômés des « écoles françaises d’application financière », mais sans résultat. Les auteurs font observer que le Secrétaire général des services du Premier Ministre était issu de l’École nationale d’administration et de magistrature, qui a selon eux une grande influence sur l’administration de l’État partie et dont les responsables ont été à l’origine du « blocage » qui a empêché l’intégration des auteurs conformément à l’article premier du décret no 74/611.

2.5Les auteurs affirment que l’État partie a intégré dans la catégorie prévue par le décret no 74/611, avec les avantages qui y sont liés, au moins une personne, soit Teniu Lezuitikong Joseph, un diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature dont la situation est identique à la leur. Par conséquent, les auteurs devraient avoir bénéficié du même traitement.

2.6Les auteurs disent avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Ils soutiennent aussi que puisque l’État partie n’a pas donné suite aux arrêts de la Cour suprême qui réglaient leur cas, ils ne disposent d’aucun autre recours utile. Ils indiquent enfin que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment être victimes de violations par l’État partie des droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1 et 3), 3, 5, 8 (par. 3 a)), 14, 25 (al. c)) et 26 du Pacte.

3.2Les auteurs considèrent que l’État partie, en refusant de leur accorder la catégorie et les avantages légaux auxquels ils ont droit, et en n’exécutant pas les arrêts contraignants de la Cour suprême, a violé les dispositions susvisées du Pacte. Ils ajoutent que dans leur cas, il n’existe aucun recours interne utile et disponible. Ils considèrent en outre que le fait d’accorder les avantages prévus à l’article premier du décret no 74/611 à Teniu Lezuitikong Joseph et de les leur refuser constitue un traitement discriminatoire.

3.3Les auteurs font aussi valoir que la raison d’être du décret no 74/611 était précisément de corriger l’inégalité existant entre des fonctionnaires qui, alors qu’ils avaient des qualifications identiques ou équivalentes, qu’ils travaillaient dans la même profession et qu’ils effectuaient le même travail, étaient rémunérés de manière inégale. Ils soutiennent qu’en refusant d’appliquer la législation pertinente dans leur cas et en appliquant cette législation de manière inégale en fonction du parcours de chacun, l’État partie a établi une discrimination à leur encontre et accordé un traitement préférentiel aux agents qui ont étudié à l’École nationale d’administration et de magistrature.

3.4Les auteurs maintiennent que le traitement discriminatoire dont eux-mêmes et leur famille ont été victimes a été à l’origine de graves difficultés et d’une stigmatisation, et qu’ils ont dû faire face à un environnement économique et professionnel « très dur ». Ils considèrent en outre que leur niveau de formation en tant qu’inspecteurs de l’administration financière n’a pas été dûment reconnu, puisqu’ils ne peuvent travailler que comme contrôleurs. De plus, en raison des manœuvres dilatoires de l’État partie, certains des fonctionnaires qui se trouvaient dans la même situation que les auteurs et qui auraient dû bénéficier du décret en question sont décédés, à la retraite ou désormais trop découragés, appauvris ou intimidés pour faire valoir leurs droits.

3.5Les auteurs demandent au Comité de conclure à une violation de leurs droits et d’engager instamment l’État partie à accorder à chaque auteur une indemnité de 100 millions de francs CFA (environ 170 000 dollars des États-Unis) par année de retard dans l’application du décret no 74/611 jusqu’à la date du paiement. Ils prient aussi le Comité de demander à l’État partie de veiller à l’avenir à l’application du décret no 74/611.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Le 1er avril 2014, l’État partie a informé le Comité que, depuis le 29 mai 2013, le processus de régularisation de la plupart des auteurs avait été enclenché.Certains avaient commencé à intégrer la fonction publique,plusieurs dossiers étaient en cours de traitement et d’autres auteursavaient obtenu une augmentation d’échelon et de grade. L’État partie précisait que la réintégration des diplômés des écoles françaises d’administration financière était effective avant même la soumission de la présente communication et qu’en conséquence, le Comité devrait déclarer cette dernière irrecevable. Dans ses observations supplémentaires du 17 juillet 2014, l’État partie a indiqué que tous les auteurs de la communication Ngapna et consorts c. Cameroun avaient reçu la décision relative à leur intégration dans la fonction publique ainsi que le versement d’une indemnité de 12,5 millions de francs CFA (environ 20000 dollars) en moyenne par personne.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.Le 10 juin 2014, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils ont réfuté l’argument de non-épuisement des voies de recours internes, faisant valoir quel’État partie n’avait pas appliqué la décision de la Cour suprême en faveur de leurs pairs et que cette décision établissait un précédent applicable àla situation des autres auteurs. Dans leur soumission additionnelle du 19 novembre 2014, les auteurs ont fait valoir qu’aucun règlement amiable n’avait été conclu avec l’État partie. Ilsont aussi indiqué que leurs prétendues régularisation et reconstitution de carrière n’avaient pas eu lieu, et que leurs réclamations faisaient suite à près de trois décennies de violations constantes et systématiques de leurs droits. Les auteurs ont aussi excipé quela simple reconstitution sans indemnisation adéquate ne constituait pas un recours utile. Ils ont affirmé que l’application du décret no 74/611 n’exigeait aucune négociation comme préalable,et ajouté que la régularisation ultérieure de leur carrière dans la fonction publique ne saurait être un recours utile pour les violations alléguées.Le 4 octobre 2015, les auteurs ont fait valoir que dès lors que les recours internes n’étaient ni disponibles ni utiles, car excédant des délais raisonnables, leur communication devrait être déclarée recevable par le Comitéau regard de l’article 5(par. 2) du Protocole facultatif.

Décision du Comité sur la recevabilité

6.1Au cours de sa 116e session, le Comité a considéré la recevabilité de la présente communication, que l’État partie contestait pour deux motifs : a) seulement trois des auteurs de la communication Ngapna et consorts c. Cameroun avaient formé un recours auprès de la Cour suprême, qui a rendu des arrêts en leur faveur le 14 novembre 2002 et le 27 mars 2003 ; et b) les autres auteurs – y compris tous les auteurs de la présente communication – n’avaient pas engagé de procédure judiciaire, et n’avaient donc pas épuisé tous les recours internes disponibles.

6.2Le Comité a noté que l’État partie contestait la recevabilité de la présente communication au motif que la réintégration des diplômés des écoles françaises d’administration financière avait débuté le 19 avril 2012, c’est-à-dire avant la soumission de la présente communication, et qu’elle concernait notamment les auteurs. En proposant que la présente communication soit examinée conjointement avec la communication Ngapna et consorts c. Cameroun, l’État partie en a de facto contesté aussi la recevabilité pour les motifs cités au paragraphe 6.1.

6.3Le Comité a pris note de l’argument des auteurs, qui affirmaient que, compte tenu de l’absence d’accord entre les parties au différend, la reconstitution et l’indemnisation qui leur étaient proposées par l’État partie ne constituaient pas un recours utile, puisqu’elles n’entraînaient pas la reconnaissance de leurs droits au regard du décret no 74/611. Le Comité a aussi noté qu’il n’avait pas été donné suite aux arrêts de la Cour suprême reconnaissant la violation des droits de certains des auteurs de la communication Ngapna et consorts c. Cameroun.

6.4Le Comité a rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle seuls doivent être épuisés les recours internes qui ont une chance raisonnable d’aboutir, sans excéder des délais raisonnables. En l’occurrence, le Comité a conclu que les auteurs qui n’avaient pas saisi la Cour suprême avaient des raisons suffisantes de croire qu’un recours portant sur la même question que celle soulevée par certains de leurs collègues n’aurait aucune chance d’aboutir. Dans ces circonstances, le Comité a considéré que les conditions de recevabilité énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif étaient remplies pour tous les auteurs de la présente communication.

6.5Le Comité a noté le grief des auteurs selon lequelils ont été victimes de l’application discriminatoire du décret no 74/611. Il a noté aussi que l’État partie avait indiqué avoir fait une distinction entre les diplômés des écoles françaises d’administration financière et ceux de la section d’administration financière de l’École nationale d’administration et de magistrature du Cameroun, mais que le Chef de l’État avait décidé de réintégrer les agents concernés dans la fonction publique et d’allouer à chacun d’eux un dédommagement financier d’environ 20000 dollars. Le Comité a noté en outre que les auteurs s’étaient opposés à la tentative de l’État partie de considérer les arrêts de la Cour suprême comme constituant une réparation adéquate pour les violations qu’ils avaient subies, puisqu’il n’a été donné aucune suite aux conclusions de la Cour. Au vu des renseignements communiqués, le Comité a estimé que les faits dont il avait été saisi soulevaient des questions au titre des articles 25 (al.c))et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 25 (al.c)) lu conjointement avec l’article 2 (par.1 et 3) du Pacte, et que cette partie de la communication était en conséquence recevable.

6.6En ce qui concerne les griefs tirés des articles 3, 8 (par 3 a)) et 14 du Pacte, le Comité a noté que les auteurs n’avaient pas fourni de renseignements précis à cet égard. Il a donc considéré que les auteurs n’avaient pas suffisamment étayé leurs griefs, et a déclaré cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 5 du Pacte, le Comité a constaté que cette disposition ne créait aucun droit individuel distinct. Ainsi, il a déclaré le grief incompatible avec le Pacte et irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7En conséquence, le Comité a décidé que la communication était recevable en ce qu’elle soulevait des questions au regard des articles 25 (al. c)) et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 25 (al. c)) lu conjointement avec l’article 2 (par. 1 et 3) du Pacte.

Observations de l’État partie sur le fond

7.Le 1er avril 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la présente communication. En ce qui concerne la demande de dédommagement de 50 millions de francs CFA par personne et par année de retard, présentée par les auteurs, l’État partie insiste sur le fait que la détermination du montant définitif de l’indemnité versée aux auteurs devrait être laissée à son appréciation, et que le Comité devrait s’abstenir de se prononcer sur les demandes financières présentées par les auteurs. L’État partie soutient en outre que le processus de réintégration a été conduit conformément au décret no 74/611 et que, au 29 mai 2013, des versements d’un montant de 12,5 millions de francs CFA (environ 20 000 dollars) par personne en moyenne avaient été effectués. Il ajoute que le Comité devrait se conformer à sa jurisprudence en la matière et ne pas donner suite aux prétentions financières des auteurs.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur le fond

8.Le 10 juin 2014, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent que ce dernier n’a pas donné suffisamment de détails sur l’affaire Ngapna et consorts c. Cameroun et que si celle-ci n’est pas traitée, le Comité pourrait être amené à se tromper sur les délibérations dans les deux cas. Les auteurs demandent au Comité de ne pas faire droit à la demande de l’État partie quant à la connaissance du fond de la présente communication. Ils prient le Comité de demander à l’État partie de reconstituer la carrière des auteurs, tout en rappelant que les premières démarches de compensation entreprises par l’État partie ne constituent pas des recours et des réparations adéquats. Les auteurs soutiennent également que le jugement définitif de la Cour suprême est intervenu avant la décision de la présidence de la République. Ils ajoutent que le décret no 74/611 leur accorde le droit à la régularisation de leur carrière, que sa mise en œuvre ne nécessite aucune négociation préalable et que seuls les dommages subis par les auteurs peuvent constituer des bases de discussion avec l’État partie. Les auteurs signalent que ce dernier n’a pas utilisé la discrétion qui lui est laissée de leur accorder les réparations nécessaires. Ils soutiennent que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, la jurisprudence du Comité inclut la compensation parmi les recours effectifs. Les auteurs demandent par ailleurs la mise en œuvre par l’État partie d’un mécanisme de suivi des mesures de réparation qui seront décidées.

Observations supplémentaires des parties

9.1Dans ses observations supplémentaires du 17 juillet 2014, l’État partie rappelle les différentes mesures qui ont été adoptées relativement à la communication Ngapna et consorts c. Cameroun en vue d’un règlement amiable. Il souligne que les auteurs de cette dernière ont bénéficié de leur intégration, de l’avancement de grade et de classe nécessaire ainsi que d’une indemnité financière de 12,5 millions de francs CFA (environ 20 000 dollars) par personne bien qu’aucun accord officiel n’ait été conclu, et que, dès lors, les revendications des auteurs étaient en cours de traitement. L’État partie signale aussi la création d’un groupe de travail réunissant les autorités concernées et des représentants des auteurs, en vue d’accélérer le règlement de l’affaire, et se réfère à la décision du Comité de suspendre l’examen de la communication Ngapna et consorts c. Cameroun en vue de parvenir à un règlement amiable entre les parties. L’État partie réaffirme aussi que le Comité ne devrait pas participer à la détermination des sommes à verser aux auteurs dans le cadre de l’indemnisation finale.

9.2Le 19 novembre 2014, les auteurs ont contesté la bonne foi de l’État partie en ce qui concerne le processus de règlement amiable. Ils demandent au Comité de considérer les dommages qu’ils ont subis ainsi que la reconstitution de leur carrière.

9.3Dans ses observations supplémentaires du 29 mai 2015, l’État partie défend la distinction établie entre les diplômés des écoles françaises d’administration financière et ceux de la section d’administration financière de l’École nationale d’administration et de magistrature du Cameroun. À cet égard, ilaffirme que la priorité accordée aux diplômés de l’institution camerounaise visait à privilégier la formation interne des ressources humaines, ainsi qu’à réduire les coûts, étant donné que la formation des précédents diplômés des écoles françaises d’administration financière était à la charge de l’État partie. L’État partie excipe que, dès lors que la distinction avait un caractère raisonnable et objectif de même qu’un but légitime, elle ne constituait pas une discrimination. Ilajoute que cette procédure était conforme au décret no 75/776, lequel prévoit qu’il est procédé au recrutement des inspecteurs de l’administration financière, compte tenu du caractère et des besoins du service, parmi les licenciés et titulaires d’un diplôme du cycle A de la section d’administration financière de l’École nationale d’administration et de magistrature, et que l’objectif du décret no 74/611 avait été de répondre aux besoins particuliers de l’administration qui ne pouvaient pas être satisfaits par des candidats issus de l’institution camerounaise, et non d’accorder à tous ceux précédemment issus des écoles françaises d’administration financière le droit d’être recrutés en tant qu’inspecteurs.

9.4L’État partie indique que les intéressés étaient cependant recrutés dans la fonction publique en tant que contrôleurs, sans restriction injustifiée ni discrimination, conformément à l’article 25 (al.c)) du Pacte. Ilajoute que c’est pour répondre aux allégations de discrimination soulevées par les auteurs que le Chef de l’État a décidé de réintégrer les fonctionnaires concernés dans la fonction publique et de leur verser une indemnité d’environ 20000 dollars par personne.

9.5L’État partie prie le Comité, malgré l’absence d’accord formel entre les parties, de mettre fin à l’examen de la communication afin de tenir compte du consensus intervenu entre les parties sur la réparation. Si le Comité décide de poursuivre l’examen, l’État partie lui demande de constater l’absence de violation des articles 2, 25 et 26 du Pacte, et de conclure que les auteurs ont déjà reçu une réparation pour les violations alléguées. L’État partie ajoute que l’indemnité demandée de 100 millions de francs CFA par personne et par année (soit un total de 2,5 milliards de francs CFA) n’est ni raisonnable ni objective.

9.6Dans ses observations supplémentaires du 18 août 2015, l’État partie réfute les allégations des auteurs, qui affirmaient que le cabinet du Premier Ministre avait bloqué le règlement de la question de leur reconstitution de carrière. L’État partie soutient que tous les auteurs de la présente communication sont vivants et que les dires des auteurs concernant les fonctionnaires décédés ne devraient pas être pris en considération,au cas où le Comité déciderait d’examiner la communication no 2035/2011sur le fond.

9.7.Le 4 octobre 2015, les auteurs ont présenté d’autres commentaires. Ils prient le Comité de conclure à la violation des articles 25 (al. c)) et 26 du Pacte, et de leur accorder des recours appropriés, conformément à l’article 2 (par. 3 a) du Pacte. Ils considèrent que, outre la reconstitution de leur carrière, l’État partie devrait les indemniser pour les graves préjudices qu’ils ont subis et leur accorder un dédommagement adéquat pour la violation de leurs droits durant toute leur carrière. Ils demandent que le dédommagement soit calculé à partir de 1985, année de leur retour après leurs études à l’étranger, et qu’il tienne compte des niveaux de salaire, des taux d’inflation, de la dévaluation du franc CFA, de la perte d’avantages ainsi que du traumatisme psychologique subi. Ils demandent aussi que l’État partie collabore avec cinq des auteurs, chargés de les représenter, afin de parvenir à un consensus sur l’indemnisation et les autres réparations pour tous les auteurs.

Délibérations du Comité sur le fond

10.1Conformément à sa décision sur la recevabilité de la présente communication, le Comité doit statuer sur le fond des allégations des auteurs, basées sur les articles 25 (al.c))et 26 du Pacte, ainsi que sur l’article 25 (al.c)) lu conjointement avec l’article 2 (par.1 et 3) du Pacte, conformément à l’article 5(par.1) du Protocole facultatif.

10.2Le Comité prend note des allégations des auteurs,lesquels prétendent qu’en leur ayant refusé pendant trente ans leur intégration dans la fonction publique, au grade prévu par l’article premier du décretno 74/611, et les avantages liésà ces grades,l’État partie a violé leurs droits au titre des articles 25 et 26 du Pacte. Le Comité prend également note de l’argument des auteurs selon lequella reconstitution de leur carrière n’équivaut pas à une réparation adéquate. Il note par ailleurs l’argument de l’État partie selon lequel le placement des auteurs dans la fonction publique à titre de contrôleurs était justifié, en raison de la nécessité de privilégier la formation interne des ressources humaines et de réduire les dépenses de formation engendrées par des précédents diplômés des écoles françaises d’administration financière, dépenses qui étaient à la charge de l’État partie.

10.3Le Comité prend note des réclamations des auteurs, qui affirment que la réparation proposée par l’État partie ne reconnaît pas leurs droits au titre du décret no 74/611, et qu’il n’y a donc pas lieu de parler de recours utile, dans la mesure où un recours extraordinaire fondé sur une décision discrétionnaire devrait rétablir les droits violés. Le Comité note néanmoins les efforts de l’État partie quant à la réparation des torts subis par les auteurs, à savoir la décision du Chef de l’État de réintégrer les fonctionnaires concernés dans la fonction publique et de leur verser une indemnité d’environ 20000 dollarspar personne.

10.4Le Comité prend aussi note de l’affirmation des auteurs selon laquelle l’État partie, malgré le versement de ces indemnités, a failli à son obligation de réparer le préjudice qu’ils ont subi et de leur garantir un recours adéquat et effectif, en violation de l’article 2 (par.3) du Pacte. Le Comité prend note de la position de l’État partie qui, malgré l’absence d’accord formel entre les parties, lui demande de mettre fin à la communication ou de constater l’absence de violation des articles 2, 25 et 26 du Pacte, et de conclure que les auteurs ont déjà reçu réparation pour les violations alléguées. Le Comité souligne que l’État partie a fait valoir le caractère déraisonnable de l’indemnité de 100 millions de francs CFA réclamée par auteur et par année.

10.5Quant à l’argument des auteurs faisant valoir que la différence de traitement entre euxet des diplômés de l’École nationale d’administration et de magistraturen’est pas fondée sur des critères raisonnables et objectifs, le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel le placement des auteurs dans la fonction publique à titre de contrôleurs était justifié par la nécessité de privilégier la formation des ressources humaines dans l’État partie et de réduire les dépenses de formation engendrées par les Camerounais issus des écoles françaises d’administration financière. Le Comité note également que les auteurs n’ont fourni aucune information ou preuve pour contrer les arguments avancés par l’État partie concernant l’objectif légitime poursuivi, ni justifié de toute autre manière que le traitement différencié constituait une discrimination. À cet égard, le Comité note que les auteurs ont simplement identifié un diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature qui se trouverait dans la même situation et qui a été nommé dans la catégorie supérieure prévue par le décret no74/611. Le Comité estime qu’une simple différenciation de traitement entre individus liée à l’avancement ou à la promotion dans la fonction publique, en l’absence d’éléments supplémentaires démontrant en quoi ce traitement n’est pas fondé sur des critères raisonnables et objectifsou ne poursuit pas un but légitime, ne suffit pas pour constater une discrimination au sens de l’article 26 du Pacte.

10.6Le Comité prend note des allégations soulevées par les auteurs sur cette différence de traitement entre les deux catégories de fonctionnaires, qui engendrerait une violation de l’article 25(al.c)) du Pacte, en ce sens qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’accéder dans des conditions d’égalité à la fonction publique de leur pays. Le Comité observe néanmoins que, bien qu’ils aient été affectés à une catégorie inférieure à celle à laquelle ils prétendent avoir droit en vertu du droit national, les auteurs ont toutefois bien été recrutés en tant que fonctionnaires. En conséquence, ayant par ailleurs déterminé que le traitement discriminatoire n’était pas établi dans le cas présent, le Comité est d’avis que les informations fournies ne lui permettent pas de conclure que les droits des auteursau titre de l’article 25 (al.c)) du Pacte ont été violés.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5(par. 4) du Protocole facultatif, constate que les griefs présentés par les auteurs n’ont pas donné lieu à une violation par l’État partie des droits qu’ils tiennent des articles 25 (al.c))et 26 du Pacte, ainsi que de l’article 25 (al.c)) lu conjointement avec l’article 2(par.1 et 3) du Pacte.