Nations Unies

CCPR/C/126/D/2410/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 septembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2410/2014*, **, ***

Communication présentée par :

Yury Orkin (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Fédération de Russie

Date de la communication :

16 décembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 (désormais l’article 92) du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

24 juillet 2019

Objet :

Traitement cruel et inhumain ; détention arbitraire

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Traitement cruel et inhumain ; détention arbitraire

Article(s) du Pacte :

7, 9, 14 (par. 1, 2, 3 b), d) et e) et 5) et 15 ; et 2 (par. 2 et 3 a)), lu conjointement avec l’article 14 (par. 5)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Yury Orkin, de nationalité russe, né en 1964. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9, 14 (par. 1, 2, 3 b), d) et e) et 5) et 15, de l’article 2 (par. 2 et 3 a)), lu conjointement avec l’article 14 (par. 5), du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 13 septembre 2005, à 2 heures du matin, alors que l’auteur passait la nuit chez un ami à Bogotol, plusieurs hommes en civil ont fait irruption dans l’appartement sans décliner leur identité. Dès qu’ils sont entrés, ils se sont mis à rouer l’auteur et son ami de coups. L’auteur a ensuite été conduit, menotté, jusqu’à une rivière voisine où il a été soumis durant plus de trois heures à des violences physiques, notamment des simulacres de noyade, ainsi qu’à des pressions psychologiques. Les hommes, qui ont alors révélé à l’auteur qu’ils étaient de la police, voulaient lui faire avouer qu’il avait tué quatre personnes et en avait blessé une cinquième deux jours auparavant. L’auteur souligne que le fait qu’il a été conduit jusqu’à la rivière et qu’il y a été soumis à des violences physiques a été confirmé par un témoin lors de son procès.

2.2Ayant refusé de passer aux aveux, à 5 heures l’auteur a été conduit au commissariat de police local, où il a de nouveau été roué de coups et où il a été gardé à vue pendant quinze heures, menotté et dans ses vêtements mouillés, sans recevoir d’eau ni de nourriture. À 19 h 30, il a finalement été présenté à l’enquêteur du Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk pour un interrogatoire officiel. Il a demandé à avoir accès à un conseil et à être informé des motifs de son arrestation. Il s’est également plaint des blessures infligées par les policiers, clairement visibles sur son visage, mais l’enquêteur les a ignorées et il lui a signifié son arrestation sans lui en communiquer les motifs.

2.3Le conseil contacté et désigné par l’enquêteur n’a rien voulu savoir de la garde à vue de l’auteur et n’a fait aucun cas de ses blessures. Le 15 septembre 2005, l’auteur a été déclaré suspect dans une autre affaire criminelle et le même jour, à 10 heures, il a été déféré au Tribunal de district de Bogotol, qui a sanctionné son arrestation. L’avocat désigné d’office ne s’est pas présenté à l’audience. Un nouvel avocat n’a été attribué à l’auteur que le 20 septembre, date à laquelle le délai de trois jours dont il disposait pour contester son arrestation était déjà écoulé.

2.4Le 20 septembre 2005, l’auteur a déposé plainte au Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk au sujet des blessures qui lui avaient été infligées lors de son arrestation. Le 21 septembre 2005, l’auteur a subi un examen médico-légal qui a permis de constater des lésions au visage, aux bras et aux jambes, causées au moins trois à cinq jours auparavant. Sur la base du rapport établi à l’issue de cet examen, l’auteur a déposé une nouvelle plainte au Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk en affirmant que les lésions en question lui avaient été infligées par des policiers, mais cette plainte a été examinée par l’enquêteur qui l’avait déjà interrogé et n’avait fait aucun cas de ses blessures lorsqu’il les avait mentionnées pour la première fois le soir de son arrestation. Le 14 octobre 2005, le Bureau du procureur interdistrict de Bogotol a refusé d’engager des poursuites contre la police faute d’éléments matériels. Il a estimé que les policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs lors de l’arrestation de l’auteur dans la mesure où celui-ci leur avait opposé une résistance et où il avait fallu le maîtriser, ce qui expliquait ses blessures.

2.5Le 13 décembre 2005, une évaluation psychiatrique réalisée à la demande de l’enquêteur a établi que l’auteur souffrait d’une maladie mentale (trouble schizotypique) et il a été immédiatement placé dans une unité psychiatrique pénitentiaire en l’absence de décision officielle d’un tribunal ou d’un enquêteur. Ce n’est que le 17 février 2006 que le Tribunal du district de Jeleznodorojny de la ville de Krasnoïarsk a officiellement sanctionné le placement de l’auteur en unité psychiatrique. Eu égard au diagnostic posé, un tuteur a été désigné pour représenter l’auteur, en plus de son avocat. Ni l’un ni l’autre n’ont rendu visite à l’auteur pendant toute la période où celui-ci a été interné. De même, pour des raisons principalement liées à la maladie diagnostiquée, les requêtes et plaintes qu’il a déposées auprès de l’enquêteur chargé de son dossier ont été rejetées ou ignorées, et l’auteur n’était même pas présent lors de son inculpation.

2.6Le 22 février 2006, l’affaire de l’auteur a été renvoyée devant la Cour régionale de Krasnoïarsk. Le 3 juillet 2006, celle-ci a ordonné une nouvelle expertise psychiatrique à la demande du Procureur. Cette seconde évaluation a révélé que l’auteur n’avait jamais souffert d’aucune maladie mentale et qu’il était donc apte à être poursuivi pénalement. Le 30 août 2006, son dossier a été renvoyé au Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk pour un complément d’information, lequel a donné lieu à une nouvelle inculpation pour une autre infraction.

2.7Le 20 novembre 2006, l’instruction complémentaire étant achevée, l’affaire a été renvoyée devant un jury, comme l’auteur l’avait demandé. Le 19 avril 2007, le jury a déclaré l’auteur coupable de plusieurs meurtres, d’extorsion, de hooliganisme, d’acquisition illégale d’armes à feu et de coups et blessures. Le 3 mai 2007, la Cour régionale de Krasnoïarsk l’a condamné à la réclusion à perpétuité.

2.8Le 25 décembre 2007, la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation formé par l’auteur. Avant l’examen de ce pourvoi, l’auteur avait saisi la Cour suprême d’une requête afin de pouvoir s’entretenir confidentiellement avec son conseil, mais il n’a été autorisé à s’entretenir avec celui-ci que par vidéoconférence depuis la salle d’audience le jour du procès, alors que d’autres personnes étaient également présentes.

2.9Le 29 octobre 2008, le vice-président de la Cour suprême a débouté l’auteur de son recours au titre de la procédure de contrôle. L’auteur a présenté plusieurs requêtes au titre de cette procédure au Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk et du Procureur général pour obtenir la réouverture de son dossier en invoquant des circonstances nouvelles, mais toutes ont été rejetées.

2.10Le 15 janvier 2008, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le 4 avril 2013, la Cour, siégeant en formation de juge unique, a déclaré sa requête irrecevable au regard de l’article 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme).

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il a été roué de coups et soumis à des pressions psychologiques par des policiers en plusieurs occasions, notamment la nuit de son arrestation. En outre, il est resté en garde à vue pendant plus de quinze heures dans des conditions inhumaines et dégradantes, menotté et sans recevoir ni eau ni de nourriture.

3.2L’auteur considère également que les droits qu’il tient de de l’article 9 du Pacte ont été violés. Il affirme avoir été arrêté illégalement par plusieurs hommes qui n’ont pas décliné leur identité de policier et ne lui ont pas présenté de mandat d’arrêt. Avant son interrogatoire officiel, il a été détenu illégalement pendant dix-huit heures, dont trois pendant lesquelles il a été roué de coups près de la rivière. De plus, il est resté cinquante‑trois heures en garde à vue avant d’être présenté à un juge, alors que le droit interne exige que toute arrestation soit sanctionnée par un juge dans les quarante-huit heures.

3.3L’auteur affirme en outre que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce qu’il a été déclaré coupable alors qu’il n’y avait pas de preuve directe le rattachant aux infractions et qu’il avait un alibi corroboré par deux témoins. Selon l’auteur, la juridiction de première instance a refusé d’admettre certains éléments de preuve et le procureur a illégalement influencé le jury, compromettant ainsi l’équité du procès. L’auteur affirme que les conclusions de la première évaluation psychiatrique à laquelle il a été soumis n’ont pas été officiellement invalidées par la seconde évaluation. Il a en effet été débouté de l’action qu’il a intentée contre l’établissement médical concerné au motif que les médecins n’avaient pas commis de faute, ce qui signifie que ces conclusions étaient correctes. L’évaluation aurait donc dû être traitée par le juge de première instance comme un élément de preuve scientifique et prise en considération à ce titre.

3.4L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, car après son procès mais avant son pourvoi en cassation et avant que le jugement le condamnant soit devenu exécutoire, la Cour régionale de Krasnoïarsk a publié sur son site Web officiel un communiqué de presse indiquant que l’auteur était un récidiviste, qu’il était coupable de toutes les infractions dont il était accusé et qu’il avait simulé une maladie mentale, ce qui peut avoir influencé la décision de la juridiction de cassation.

3.5L’auteur affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient des alinéas b) et e) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte car pendant l’enquête préliminaire, après qu’il a été déclaré, à tort, atteint d’une maladie mentale et placé en établissement psychiatrique, aucune information ne lui a été communiquée sur son affaire, pas même la nature des charges retenues contre lui, il n’a reçu aucune visite de son conseil ou de son représentant légal et les requêtes et plaintes qu’il a déposées ont été rejetées en raison, notamment, du diagnostic dont il avait fait l’objet. L’enquêteur ne l’a pas informé des expertises médico‑légales qu’il avait demandées ni de leurs résultats, le privant ainsi de la possibilité de poser ses propres questions aux experts avant ces examens. En outre, la Cour suprême ne lui a pas permis d’avoir un entretien confidentiel avec son avocat avant l’examen de son pourvoi en cassation. Il n’a donc pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, ni été en mesure de communiquer avec le conseil de son choix.

3.6L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des paragraphes 2 et 3 a) de l’article 2 lu conjointement avec le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, car il n’a pas pu faire appel de la décision du jury. En effet, la juridiction de cassation a rejeté son pourvoi, arguant que le droit interne n’autorisait pas un condamné à demander le réexamen du verdict d’un jury au motif que celui-ci n’aurait pas correctement apprécié les faits et les preuves.

3.7L’auteur affirme qu’étant donné que chacune des infractions dont il a été déclaré coupable est passible d’une peine de prison d’une durée déterminée, la peine totale prononcée contre lui n’aurait pas dû excéder vingt-cinq ans d’emprisonnement, comme le prévoit le paragraphe 4 de l’article 56 du Code pénal. Par conséquent, sa condamnation à la réclusion à perpétuité constitue une violation des droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans une note verbale en date du 31 juillet 2014, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication. Il fait valoir qu’étant donné que l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme en 2008, sa communication au Comité devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 de l’article 5 du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.Dans une lettre datée du 23 octobre 2014, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il affirme que les griefs formulés dans sa requête à la Cour européenne des droits de l’homme sont différents de ceux formulés dans sa communication. En tout état de cause, la Cour n’a pas examiné sa requête, l’ayant jugée irrecevable.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale en date du 9 septembre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

Sur le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte

6.2L’État partie fait valoir que le Code pénal prévoit deux types de privation de liberté − à temps et à perpétuité. Il indique qu’en l’espèce le paragraphe 4 de l’article 56 du Code pénal n’était pas applicable, car l’auteur a été condamné, entre autres, à la réclusion à perpétuité du chef de plusieurs infractions distinctes. Par conséquent, la sentence définitive a été prononcée conformément à l’article 57 du Code pénal, qui prévoit la réclusion à perpétuité pour certains crimes.

6.3L’État partie fait observer qu’une personne condamnée à la réclusion à perpétuité peut bénéficier d’une libération conditionnelle anticipée en application du paragraphe 5 de l’article 79 du Code pénal, si le tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire que l’intéressé purge le reliquat de sa peine et qu’il en a déjà purgé vingt-cinq années au moins.

Sur le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte

6.4L’État partie conteste l’argument de l’auteur selon lequel le fait d’organiser un entretien avec son avocat par vidéoconférence à l’occasion de son pourvoi en cassation constitue une violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. Il fait observer que la Cour suprême a mené une étude sur la façon dont le droit à l’assistance d’un conseil est exercé devant les juridictions de cassation et dans le cadre de la procédure de contrôle, lorsque les prévenus participent à ces procédures par vidéoconférence. Cette étude a montré que les appels vidéo sont effectués avant les audiences en la seule présence des avocats de la défense. Le personnel du tribunal chargé d’établir la communication vidéo reste en dehors de la salle d’audience, et le personnel pénitentiaire en sort lorsque les prévenus s’entretiennent avec leur conseil. Au cours de l’audience, si un avocat ou un prévenu demande un entretien confidentiel, le juge suspend l’audience et donne la possibilité au prévenu de consulter son conseil en privé. Lorsque l’audience reprend, il est demandé au prévenu s’il a disposé de suffisamment de temps pour consulter son avocat. Ces informations sont consignées dans le procès-verbal d’audience.

Sur le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte

6.5L’État partie indique qu’à l’époque où l’auteur a été jugé, le verdict d’un jury ne pouvait être annulé ou modifié en appel qu’en cas de violation des règles de la procédure pénale, de mauvaise application de la loi pénale ou d’injustice caractérisée. Par conséquent, la juridiction de cassation n’était pas en mesure de réexaminer le jugement rendu contre l’auteur au motif que les conclusions de la juridiction de première instance n’étaient pas conformes aux faits de la cause établis par celle-ci. Ainsi que l’a confirmé la Cour régionale de Krasnoïarsk, avant le procès le juge de première instance a expliqué à l’auteur les particularités des procès avec jury, notamment les possibilités d’appel. L’auteur a confirmé au juge de première instance qu’il avait compris ces explications, qu’il n’avait pas besoin de consulter de nouveau son avocat à ce sujet et qu’il acceptait d’être jugé par un jury.

Sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

6.6L’État partie fait valoir que la juridiction de cassation a confirmé que le procès s’était déroulé conformément à la loi et que la présentation et l’examen des preuves par les parties n’avaient fait l’objet d’aucune restriction. Il estime que c’est à bon droit que la juridiction de première instance n’a pas admis certaines preuves, car elles étaient inadmissibles ou dénuées de pertinence.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une lettre en date du 16 octobre 2014, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication.

Sur le paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte

7.2L’auteur admet avoir été condamné à la réclusion à perpétuité pour certains des crimes dont il était accusé mais il réitère sa position, à savoir que le paragraphe 4 de l’article 56 du Code pénal aurait dû être appliqué et que la peine définitive n’aurait pas dû excéder vingt‑cinq ans d’emprisonnement.

Sur le paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte

7.3L’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’entretien par vidéoconférence qu’il a eu avec son avocat a été confidentiel. Il affirme avoir vu le procureur et un employé du tribunal dans la salle d’audience pendant l’appel. De plus, la pièce de la prison depuis laquelle il s’est entretenu avec son avocat ne garantissait pas non plus la confidentialité, car un surveillant et un informaticien s’y tenaient derrière une cloison à claire-voie d’où ils pouvaient le voir et l’entendre. En outre, l’auteur fait valoir que, le 22 octobre 2007, il a saisi la Cour suprême d’une requête tendant à ce qu’elle désigne un conseil pour le représenter lors de l’audience d’examen de son pourvoi et lui permette d’avoir au préalable un entretien confidentiel avec ce conseil. Or, alors que la Cour suprême disposait d’un délai suffisant pour désigner un avocat et organiser un entretien, celui-ci n’a eu lieu que le jour de l’audience par vidéoconférence.

Sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

7.4L’auteur affirme que lors de son procès certaines preuves ont été manipulées et que, notamment, les rapports d’expertise biologique et balistique concernant le pistolet qui aurait été utilisé pour tuer les victimes comportaient des incohérences au vu desquelles ils n’auraient pas dû être admis comme preuves. L’auteur affirme que ses requêtes visant à les faire écarter ont pourtant été rejetées par le juge de première instance et que l’accusation les a présentés au jury. Bien que l’auteur ait par la suite demandé au Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk la réouverture de son dossier pénal en invoquant la découverte de nouveaux éléments de preuve et en mentionnant ces rapports d’expertise, ses requêtes ont été rejetées.

7.5L’auteur note qu’au procès, six témoins sont revenus sur les dépositions qu’ils avaient faites lors de l’enquête préliminaire. Ils ont indiqué que ces dépositions contenaient des déclarations qu’ils n’avaient pas faites lors des interrogatoires, ce à quoi le procureur a réagi en déclarant au jury que les témoins concernés faisaient tous partie de la même bande et qu’ils essayaient d’aider l’auteur à se soustraire à sa responsabilité pour les crimes qu’il avait commis.

7.6L’auteur fait en outre observer qu’on l’a empêché de présenter au jury des preuves susceptibles d’établir que l’un des crimes dont il était accusé avait pu être commis par quelqu’un d’autre. Il avait demandé à ce que le rapport d’expertise des vêtements du mari de l’une des victimes soit porté à la connaissance du jury mais sa requête a été rejetée par le juge de première instance au motif que ce rapport était dénué de pertinence. Selon l’auteur, ce rapport aurait montré au jury que le crime pouvait avoir été commis par le mari de la victime, ou aurait à tout le moins jeté le doute sur sa culpabilité.

7.7L’auteur affirme qu’au procès, le procureur a tenté d’influencer illégalement le jury en expliquant qu’il était responsable de la mort d’un nourrisson, alors que celui-ci était en réalité décédé d’une maladie cardiaque. Le procureur a en effet fait valoir que cette maladie avait pu être causée par des agissements de l’auteur à l’encontre des parents avant la naissance de l’enfant.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note verbale datée du 13 février 2015 et une autre datée du 23 février 2015, l’État partie a présenté des observations additionnelles sur la recevabilité et le fond de la communication.

Sur la recevabilité

8.2L’État partie note qu’en 2014 l’auteur s’est plaint auprès du Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk que certaines preuves à charge avaient été manipulées lors des expertises, notamment lors de l’examen balistique du pistolet, et il a demandé l’ouverture d’une enquête pénale contre les responsables de ces actes, ainsi que la réouverture de son dossier au motif que de nouveaux éléments de preuve avaient été découverts. Le 25 février 2014, le Procureur adjoint de la région de Krasnoïarsk a informé l’auteur qu’aucune information crédible ne venait étayer ses allégations. Il a rendu le même jour une décision par laquelle il rejetait officiellement la requête de l’auteur aux fins de réouverture de son dossier, faisant observer que tous les éléments de preuve scientifique avaient déjà été examinés par le tribunal et déclarés admissibles, et que la requête de l’auteur ne contenait aucun élément nouveau justifiant une décision différente.

8.3L’auteur a contesté la première lettre du Procureur régional adjoint devant le Tribunal central de district de Krasnoïarsk, qui l’a débouté le 5 mai 2014. Le 1er juillet 2014, la Cour régionale de Krasnoïarsk a confirmé cette décision en expliquant à l’auteur que la lettre du Procureur adjoint ne pouvait être attaquée que devant une juridiction civile parce qu’il ne s’agissait pas d’une décision de procédure, mais qu’il pouvait contester devant la juridiction pénale la décision par laquelle le Procureur adjoint avait rejeté sa demande de réouverture de son dossier fondée sur l’existence de nouveaux éléments de preuve. L’État partie affirme qu’à ce jour, aucun recours n’a été introduit contre cette décision du Procureur adjoint. L’auteur n’a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles.

Sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

8.4Pour ce qui est de l’allégation de l’auteur selon laquelle, pendant le procès, l’accusation aurait illégalement influencé les membres du jury en leur disant qu’il avait causé la mort d’un nourrisson, l’État partie fait observer que, bien que l’auteur n’ait pas été accusé de la mort de l’enfant, l’accusation a mentionné les circonstances entourant ce décès dans ses observations finales parce que la défense avait posé des questions concernant le certificat de décès de la fillette au cours du procès.

8.5En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il aurait été empêché de présenter au jury des éléments de preuve susceptibles d’établir que l’un des crimes dont il était accusé avait pu être commis par quelqu’un d’autre, l’État partie fait valoir que la police avait enquêté sur l’éventualité d’un lien entre cette personne et l’une des infractions, et que l’enquête avait été officiellement clause le 24 novembre 2005. Au procès, le juge a partiellement accueilli la requête de l’auteur tendant à présenter au jury certaines preuves contre la personne concernée, mais il a refusé la production d’autres preuves estimant qu’elles étaient sans pertinence.

Sur l’article 7 du Pacte

8.6L’État partie note également que le 22 avril 2013, le Tribunal de district de Bogotol a rejeté une plainte de l’auteur alléguant que la police avait commis des actes illégaux la nuit de son arrestation, faute de motifs justifiant l’ouverture d’une enquête pénale contre les policiers concernés.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

9.1Dans des courriers en date des 2 avril, 14 avril, 25 mai, 15 juin et 18 septembre 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie.

Sur l’article 7 du Pacte

9.2L’auteur fait valoir que dans le cadre de l’enquête sur sa plainte contre la police, le Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk n’a, à aucun moment, cherché à savoir où il avait été détenu de 5 h à 19 h 30, moment où son interrogatoire officiel a eu lieu. Il fait également observer que le Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk n’a pas interrogé l’ami dans l’appartement duquel il avait été arrêté. D’après l’auteur, cet ami a témoigné au procès avoir lui aussi été roué de coups lorsque la police était venue le chercher, mais il n’en a plus jamais parlé par la suite par crainte de représailles. Dans leurs dépositions, les policiers qui ont arrêté l’auteur ont délibérément omis de mentionner la présence de cet ami, afin que celui-ci ne puisse être interrogé comme témoin lors de l’enquête qui les visait.

Sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

9.3L’auteur réaffirme que son droit à un procès équitable a été violé par : a) le rejet de sa requête tendant à ce que les rapports d’expertise concernant les vêtements du mari de l’une des victimes soient portés à la connaissance du jury, car ces rapports auraient pu influencer le verdict ; b) l’accusation, qui a tenté de convaincre le jury que l’auteur était responsable de la mort d’un nourrisson, alors que celui‑ci était mort de causes naturelles.

Observations complémentaires

De l’État partie

10.1Par une note verbale en date du 12 octobre 2015, l’État partie a présenté des observations complémentaires sur le fond de la communication.

Sur l’article 9 du Pacte

10.2L’État partie conteste l’allégation de l’auteur selon laquelle il a été victime d’une arrestation arbitraire. Il fait valoir que l’auteur a été arrêté le 13 septembre 2005 à 5 heures parce qu’il était soupçonné du meurtre d’un couple, qu’il a été emmené au commissariat de police local et que ses parents ont été informés de son arrestation par téléphone. Il a le même jour été placé en garde à vue dans un centre de détention provisoire parce qu’il avait tenté de s’enfuir. L’auteur ne s’est pas plaint d’avoir été frappé par la police au cours de sa détention dans ce centre. Le 14 septembre 2005, il a été interrogé en présence d’un avocat, mais il a refusé de répondre aux questions. Il n’a pas non plus demandé la désignation d’un autre avocat parce qu’il estimait qu’il était mal défendu. Le 15 septembre 2005 à 4 h 50, l’auteur a de nouveau été placé en état d’arrestation comme suspect dans une affaire de tentative de meurtre. Cette seconde arrestation était motivée par le fait qu’il y avait des « raisons de croire qu’il essayait de fuir et que des témoins l’avaient identifié comme l’auteur » des actes en cause. Le 15 septembre 2005, l’auteur a été interrogé sans qu’un avocat soit présent, mais il a de nouveau refusé de répondre.

Sur l’article 7 du Pacte

10.3En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle la police l’aurait roué de coups, l’État partie note que la plainte de l’intéressé n’a pas été examinée par l’enquêteur chargé de son dossier mais par un autre enquêteur du Bureau du procureur interdistrict deBogotol. Lors de l’enquête ouverte sur cette plainte en octobre2005, l’auteur a refusé de témoigner. L’enquêteur a interrogé trois policiers qui ont expliqué que l’auteur leur avait opposé une résistance active lors de son arrestation en brandissant un fer dans leur direction et en se dirigeant vers la porte, ce qui les avait amenés à recourir à la force pour l’appréhender. Il a été constaté lors d’un examen médical que l’auteur avait été légèrement blessé au visage. Le 14 octobre 2005, l’enquêteur a conclu que les policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs et il a refusé d’engager des poursuites contre eux. L’auteur a contesté cette décision en invoquant l’existence d’un conflit d’intérêts touchant l’enquêteur chargé du dossier, mais un complément d’enquête n’a pas confirmé l’existence d’un tel conflit.

10.4En 2008, un autre enquêteur du Bureau du procureur interdistrict de Bogotol a mené une nouvelle enquête sur la plainte de l’auteur concernant les brutalités dont il alléguait avoir été victime. Le 14 avril 2008, ce second enquêteur a refusé d’engager des poursuites contre les policiers en l’absence d’éléments matériels attestant de leurs actes. Cette fois l’auteur a contesté la décision de l’enquêteur en arguant qu’à la date où il avait été arrêté, les policiers en cause n’étaient pas officiellement employés par la police, le dossier de l’enquête montrant qu’ils n’occupaient leurs postes respectifs que depuis 2006, et qu’ils n’avaient donc pas le pouvoir de l’arrêter ou de recourir à la force contre lui. Le Tribunal de district de Bogotol a rejeté le recours formé par l’auteur le 22 avril 2013 et la Cour régionale de Krasnoïarsk a confirmé cette décision le 19 septembre 2013. Les deux juridictions ont jugé que les policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs en arrêtant l’auteur et que le rapport d’enquête dans lequel il était mentionné que les intéressés occupaient leurs postes respectifs depuis 2006 ne visait que leurs postes actuels et ne signifiait donc pas qu’ils ne faisaient pas partie des forces de police avant 2006.

Sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

10.5En ce qui concerne l’évaluation psychiatrique de l’auteur, l’État partie relève qu’en appel l’auteur a fait notamment valoir que la première évaluation psychiatrique qui concluait qu’il souffrait d’une maladie mentale était illégale. La juridiction d’appel a estimé que cet argument ne pouvait être considéré comme un motif d’annulation du verdict initial parce que le tribunal ne s’était pas fondé sur les résultats de cette première évaluation pour rendre ce verdict.

10.6L’État partie indique que, le 28 octobre 2005, l’enquêteur chargé du dossier a ordonné que l’auteur soit soumis à une évaluation psychiatrique. Cette ordonnance a été communiquée à l’avocat de l’auteur et à son représentant légal les 19 décembre 2005 et 16 janvier 2006, respectivement. Ceux-ci ont pris connaissance des résultats de cette évaluation les 22 décembre 2005 et 16 janvier 2006. Ils n’ont formulé ni plainte ni commentaire quant à la décision de procéder à une évaluation ou aux résultats de celle-ci. Le 28 mars 2006, la Cour régionale de Krasnoïarsk a ouvert une procédure en vue de déterminer si l’auteur avait besoin d’un traitement médical d’office dans un établissement psychiatrique. Lors de l’audience, le frère de l’auteur, en sa qualité de représentant légal de celui-ci, a déclaré qu’il n’avait jamais rien remarqué d’anormal dans le comportement de son frère, qu’il n’y avait pas de maladie mentale dans la famille et que son frère avait fréquenté des établissements scolaires secondaires et professionnels ordinaires. Au cours de la même audience, le procureur a demandé au juge d’ordonner une nouvelle expertise psychiatrique de l’auteur dans un établissement médical spécialisé de Moscou, et l’avocat de l’auteur a appuyé cette requête.

10.7Le 3 juillet 2006, la seconde évaluation psychiatrique a permis d’établir que l’auteur ne souffrait d’aucune maladie mentale qui l’empêcherait d’être conscient de la nature de ses actes et du danger qu’ils représentaient pour la collectivité. Le 30 août 2006, la Cour a communiqué les résultats de cette évaluation au représentant légal et à l’avocat de l’auteur, qui les ont tous deux approuvés.

10.8L’État partie fait valoir que la première évaluation psychiatrique a été effectuée là où était détenu l’auteur, qui n’a donc pas été placé dans un établissement psychiatrique. La seconde évaluation devant être réalisée dans un hôpital spécialisé de Moscou, l’auteur a été transféré temporairement du centre de détention provisoire où il se trouvait vers cet établissement pour la durée de cette seconde évaluation.

De l’auteur

11.1Dans des lettres en date des 12 février, 4 août, 3 octobre, 17 octobre, 14 novembre et 28 novembre 2015 et des 12 février et 22 juin 2018 ainsi que des 4 février et 11 mars 2019, l’auteur a présenté des commentaires complémentaires.

Sur la recevabilité

11.2L’auteur souligne que le 25 février 2014 le Procureur adjoint de la région de Krasnoïarsk a rejeté une demande de réouverture de son dossier fondée sur la découverte de nouvelles preuves (par. 8.2). Le 18 septembre 2015, le Tribunal central de district de Krasnoïarsk l’a débouté du recours qu’il avait formé contre cette décision. L’auteur a interjeté appel de la décision du Tribunal central de district devant la Cour régionale de Krasnoïarsk, demandant à celle-ci de l’autoriser à assister à l’audience en personne ou par vidéoconférence. Cette demande a été rejetée le 22 janvier 2016. Le 18 février 2016, l’audience d’appel a eu lieu en l’absence de l’auteur, dont seule l’avocate était présente, et l’auteur a été débouté. Il soutient que, bien que son avocate ait assisté à l’audience, elle n’a pu le représenter adéquatement puisqu’ils n’avaient pu s’entretenir au préalable de son appel et des questions juridiques y afférentes.

Sur l’article 9 du Pacte

11.3L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel il avait été arrêté le 15 septembre 2005 parce qu’il tentait de fuir et des témoins l’avaient identifié comme l’auteur des faits en cause. Il affirme qu’au moment de son arrestation, la victime avait désigné son mari comme unique suspect et qu’il n’y avait pas d’autre témoin, de sorte qu’il n’a pu être désigné comme suspect. Quant à sa tentative de fuite, il fait observer que depuis le 13 septembre 2005, date à laquelle il a été placé en état d’arrestation comme suspect dans une autre affaire criminelle, il était détenu, de sorte qu’il n’a pas pu tenter de s’enfuir. Cela montre, d’après l’auteur, que le Tribunal de district de Bogotol a motivé son arrestation de manière purement formelle sans examiner les véritables éléments de preuve et qu’ainsi cette arrestation est dépourvue de fondement juridique et a un caractère arbitraire.

Sur le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte

11.4En ce qui concerne la première évaluation psychiatrique à laquelle il a été soumis, l’auteur note que si elle a bien été réalisée au centre de détention provisoire, la cellule dans laquelle il a été placé aux fins de cette évaluation entre septembre 2005 et juillet 2006 était utilisée pour les évaluations psychiatriques et le traitement de tous les détenus. Pendant son séjour dans cette cellule, il l’a partagée avec un détenu souffrant de schizophrénie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

12.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

12.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’en 2008 l’auteur a introduit, devant la Cour européenne des droits de l’homme, une requête que celle-ci a rejetée le 4 avril 2013, estimant qu’elle ne satisfaisait pas aux conditions énoncées à l’article 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Comité constate que l’affaire n’est plus pendante devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Par conséquent, les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

12.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas fait appel de la décision du Procureur adjoint de la région de Krasnoïarsk de refuser de rouvrir son dossier pénal sur le fondement de la découverte de nouveaux éléments de preuve (par. 8.2). Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le Tribunal central de district de Krasnoïarsk l’a débouté de son recours contre la décision du Procureur le 18 septembre 2015. L’auteur a interjeté appel de cette décision du Tribunal central de district et, le 18 février 2016, la Cour régionale de Krasnoïarsk l’a débouté (par. 11.2). Cela étant, le Comité considère que les dispositions de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

12.4Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ont été violés parce qu’il a été déclaré coupable malgré l’absence de preuves directes le rattachant aux infractions en cause et l’existence d’un alibi corroboré par deux témoins. Selon l’auteur, la juridiction de première instance n’a pas traité les conclusions de la première évaluation psychiatrique comme un élément de preuve scientifique et ne l’a pas autorisé à présenter certains éléments de preuve, et le Procureur a illégalement influencé le jury, compromettant ainsi l’équité du procès. Le Comité note toutefois que les griefs de l’auteur portent principalement sur l’appréciation des faits et des preuves et sur l’application de la législation interne par les tribunaux de l’État partie. Il rappelle que selon sa jurisprudence, c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée, et d’appliquer la législation interne, sauf s’il peut être établi que cette appréciation ou cette application a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité constate que l’auteur conteste l’appréciation des faits et les conclusions du jury, mais qu’il n’a pu démontrer que les décisions des tribunaux internes, qui reposaient sur des preuves matérielles, des rapports d’expert et des dépositions de témoins, ont été de toute évidence arbitraires ou manifestement entachées d’erreur, ou ont représenté un déni de justice. Le Comité considère par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 14 aux fins de la recevabilité et que celui-ci est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.5De même, le Comité estime irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif le grief tiré des paragraphes 2 et 3 a) de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, car il repose sur l’appréciation des faits et des preuves et l’application du droit interne par les tribunaux de l’État partie. Le Comité considère également que les dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 ne sauraient être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte qui affecte directement la personne qui se dit lésée. Le Comité considère en conséquence, pour cette raison également, que les griefs que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 2 sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

12.6Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son droit d’être présumé innocent a été violé au motif qu’après son procès mais avant son pourvoi en cassation et avant que le verdict prononcé à son encontre devienne exécutoire, la Cour régionale de Krasnoïarsk a publié sur son site Web officiel un communiqué de presse indiquant que l’auteur était un récidiviste, qu’il était coupable de toutes les infractions dont il était accusé et qu’il avait simulé une maladie mentale, une publication qui peut avoir influencé la décision de la juridiction de cassation. Sur la base des éléments dont il est saisi, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son argument selon lequel cette publication a influencé la Cour suprême et entraîné une violation des droits qu’il tenait du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte. En conséquence, il considère que cette partie de la communication est insuffisamment étayée et donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.7Le Comité prend en outre note du grief de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tenait du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte en le condamnant à la réclusion à perpétuité, alors que le paragraphe 4 de l’article 56 du Code pénal ne prévoyait dans un cas comme le sien qu’une peine d’emprisonnement à temps. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été condamné, entre autres, à la réclusion à perpétuité du chef de plusieurs infractions distinctes, de sorte que la sentence définitive a été prononcée en application de l’article 57 du Code pénal, qui prévoit la réclusion à perpétuité. En l’absence de toute autre information à l’appui de ce grief, le Comité estime qu’il n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

12.8Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel le conseil désigné pour le représenter n’a pas assisté à l’audience du 15 septembre 2005 lors de laquelle le Tribunal de district de Bogotol a sanctionné son arrestation. Il considère que les allégations de l’auteur à cet égard soulèvent également des questions au regard du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte. De l’avis du Comité, l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 7, 9 et 14 (par. 2 et 3 b), d) et e)) du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

13.2Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, le 13 septembre 2005 à 2 heures du matin, il a été appréhendé par plusieurs hommes en civil qui ont fait irruption dans l’appartement de son ami sans décliner leur identité de policiers et l’ont conduit jusqu’à une rivière voisine où il a été soumis à des violences physiques, notamment des simulacres de noyade, ainsi qu’à des pressions psychologiques, le but étant de lui faire avouer plusieurs crimes commis au cours des deux jours précédents (par. 2.1). À 5 heures, l’auteur a été conduit au commissariat de police local, où il a de nouveau été roué de coups et a été gardé à vue pendant quinze heures, menotté et dans ses vêtements mouillés, sans recevoir d’eau ni de nourriture. Le Comité prend de plus note du grief de l’auteur selon lequel, lorsqu’il a été interrogé par l’enquêteur chargé de son dossier plus tard dans la journée, il s’est plaint des blessures, clairement visibles sur son visage, infligées par les policiers, mais l’enquêteur n’en a fait aucun cas (par. 2.2), de sorte qu’elles n’ont été examinées par un expert médico-légal que le 21 septembre 2005, à la suite du dépôt officiel par son nouveau conseil d’une plainte au Bureau du procureur. Il a été constaté lors de cet examen que l’auteur avait été légèrement blessé au visage, aux bras et aux jambes (par. 2.4). Le Comité note également que l’État partie affirme que l’auteur a été arrêté le 13 septembre 2005 à 5 heures du matin, puis conduit dans un centre de détention provisoire et qu’il ne s’est pas plaint d’avoir été frappé par des policiers (par. 10.2). Une enquête a été ouverte par le Bureau du procureur interdistrict de Bogotol après que l’avocat de l’auteur a déposé plainte, mais lors de cette enquête l’auteur a refusé de témoigner. L’enquêteur a interrogé trois policiers qui ont expliqué que l’auteur leur avait opposé une résistance active lors de son arrestation en brandissant un fer dans leur direction et en se dirigeant vers la porte, ce qui les avait amenés à recourir à la force pour l’appréhender. L’enquêteur a donc conclu que les policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs et il a refusé d’engager des poursuites contre eux (par. 10.3). Le Comité note en outre qu’une nouvelle enquête a été diligentée en 2008 et qu’elle s’est également conclue par le refus d’engager des poursuites contre les policiers en l’absence d’éléments matériels (par. 10.4). Cette décision a été confirmée par le Tribunal de district de Bogotol comme par la Cour régionale de Krasnoïarsk, qui ont estimé que les policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs lors de l’arrestation de l’auteur. Enfin, en 2013, le Tribunal de district de Bogotol a rejeté une nouvelle plainte de l’auteur alléguant des actes illégaux qu’aurait commis la police la nuit de son arrestation, faute de motifs justifiant l’ouverture d’une enquête pénale contre les policiers concernés (par. 8.6).

13.3Le Comité relève que, si l’État partie affirme avoir mené plusieurs enquêtes sur les allégations de l’auteur, il n’a pas été démontré que ces enquêtes aient été ouvertes promptement ni menées de manière efficace. Il souligne que l’auteur a formulé ses premières allégations de mauvais traitements le jour de son arrestation, le 13 septembre 2005, alors que des blessures étaient clairement visibles sur son visage, mais que la première enquête sur ces allégations n’a été ouverte qu’après que son avocat eut déposé plainte le 20 septembre 2005. De plus, comme l’indiquent les écritures des parties, un témoin clef, l’ami chez qui l’auteur se trouvait lorsqu’il a été arrêté, n’a pas été interrogé par les autorités dans le but d’éclaircir les circonstances de l’arrestation de l’auteur ou de déterminer si celui-ci avait bien été arrêté à 2 heures du matin, comme il l’affirmait, ou à 5 heures, comme l’indiquait le procès-verbal.

13.4Le Comité, renvoyant à sa jurisprudence, rappelle que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des allégations de violations pourrait en soi constituer une violation distincte du Pacte. Il réaffirme que le Pacte ne reconnaît pas le droit d’un particulier de demander à l’État partie d’engager des poursuites pénales contre un autre particulier. Il considère néanmoins que l’État partie a l’obligation d’ouvrir sans délai une enquête impartiale et approfondie lorsque des violations des droits de l’homme sont alléguées, de poursuivre les suspects, de punir les personnes tenues pour responsables de ces violations et d’accorder en outre aux victimes une réparation sous d’autres formes, notamment de les indemniser. Le Comité constate que rien dans les pièces versées au dossier ne lui permet de conclure que l’enquête sur les allégations de traitements cruels et inhumains formulées par l’auteur a été ouverte sans délai et menée avec l’efficacité voulue par les autorités. Il conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, du Pacte.

13.5Le Comité rappelle qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 9, nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire et nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Il rappelle également qu’aux termes du paragraphe 2 de l’article 9, tout individu arrêté doit être informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation et recevoir notification, dans le plus court délai, de toute accusation portée contre lui. Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, le 13 septembre 2005 à 2 heures, plusieurs hommes en civil ont fait irruption dans l’appartement de son ami sans décliner leur identité de policiers et les ont immédiatement roués de coups lui et son ami. L’auteur affirme qu’il a ensuite été conduit, menotté, jusqu’à une rivière voisine où il a été soumis à d’autres mauvais traitements, notamment des simulacres de noyade. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été appréhendé le 13 septembre 2005 à 5 heures parce qu’il était soupçonné du meurtre d’un couple et a été conduit au commissariat de police local. Le Comité relève que bien qu’il ait présenté de nombreuses observations, l’État partie n’en a formulé aucune pour répondre en détail aux arguments précis formulés par l’auteur quant au caractère arbitraire de son arrestation (par. 2.1). Le Comité décide en conséquence qu’il convient d’accorder le poids voulu aux allégations de l’auteur. Il conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte. Eu égard à cette conclusion, le Comité n’examinera pas séparément les allégations de l’auteur au titre des paragraphes 3 et 4 de l’article 9 du Pacte.

13.6Le Comité prend note du grief que l’auteur tire du paragraphe 3 b) de l’article 14, à savoir que la Cour suprême ne lui a pas permis de s’entretenir confidentiellement avec son avocat avant l’audience du 25 décembre 2007 lors de laquelle son pourvoi en cassation devait être examiné (par. 2.8 et 3.5), alors même que le 22 octobre 2007 il l’avait saisie d’une requête tendant à ce qu’elle désigne un conseil pour le représenter à cette audience et lui permette d’avoir au préalable un entretien confidentiel avec ce conseil (par. 7.3). À cet égard, l’auteur se plaint de n’avoir pu s’entretenir avec celui-ci que par vidéoconférence depuis la salle d’audience le jour du procès alors que d’autres personnes auraient été présentes (par. 2.8). Toutefois, l’auteur reconnaît également que ces personnes étaient le procureur et un employé du tribunal − qui avaient le droit de se trouver dans la salle d’audience − ainsi qu’un surveillant du centre de détention et un informaticien qui se tenaient derrière une cloison à claire‑voie d’où ils « pouvaient le voir et l’entendre » (par. 7.3). Le Comité prend note à ce propos de l’argument de l’État partie selon lequel la Cour suprême a mené une étude sur la façon dont le droit à l’assistance d’un conseil est exercé devant les juridictions de cassation et dans le cadre de la procédure de contrôle, lorsque les prévenus participent à ces procédures par vidéoconférence, étude qui a montré que les appels vidéo sont effectués avant les audiences en la seule présence des avocats de la défense (par. 6.4). Le Comité rappelle que le paragraphe 3 b) de l’article 14 est un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Le droit de l’accusé de communiquer avec son conseil suppose que l’accusé ait accès à un conseil dans le plus court délai. En outre, les conseils doivent pouvoir rencontrer leurs clients en privé et communiquer avec eux dans des conditions qui respectent intégralement le caractère confidentiel de leurs communications. Eu égard à la gravité des accusations retenues en l’espèce, le Comité estime qu’en ne permettant pas à l’auteur de s’entretenir en privé avec l’avocat désigné pour le représenter bien avant l’examen de son pourvoi, que ce soit par vidéoconférence ou en personne, la Cour suprême a méconnu les prescriptions de l’article 14. Cela étant, il conclut qu’il y a eu violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte.

13.7En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle l’avocat commis d’office pour le représenter n’a pas assisté à l’audience tenue le 15 septembre 2005 par le Tribunal de district de Bogotol, qui a sanctionné son arrestation (par. 2.3), le Comité relève qu’un avocat a été désigné par l’enquêteur chargé du dossier et qu’il était présent lors de l’interrogatoire du 14 septembre 2005. Cet avocat n’a toutefois pas assisté à l’interrogatoire du 15 septembre 2005 (par. 10.2) ni à l’audience tenue le même jour lors de laquelle l’arrestation de l’auteur a été sanctionnée. En outre, selon l’auteur, un nouvel avocat ne lui a été assigné que le 20 septembre, alors que le délai de trois jours ouvert pour contester son arrestation était déjà écoulé. Le Comité rappelle qu’en cas de faute ou d’incompétence flagrante d’un conseil commis d’office, l’État concerné peut être considéré comme responsable d’une violation du paragraphe 3 d) de l’article 14 s’il apparaît manifestement au juge que le comportement du conseil était incompatible avec les intérêts de la justice. Cela étant et en l’absence d’autres observations pertinentes de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les droits que l’auteur tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte ont été violés.

13.8Ayant conclu en l’espèce à une violation des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément le grief que l’auteur tire de l’alinéa e) du même paragraphe.

14.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7, lu conjointement avec les articles 2 (par. 3), 9 (par. 1 et 2) et 14 (par. 3 b) et d)), du Pacte.

15.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour indemniser l’auteur pour les violations dont il a été victime. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

16.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de José Manuel Santos Pais, membre du Comité

1.Je me joins aux autres membres du Comité pour constater que les droits que l’auteur tenait des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ont été violés et décider de ne pas examiner séparément le grief de l’auteur au titre de l’alinéa e) du même paragraphe. Je regrette toutefois de ne pouvoir souscrire à la décision du Comité de conclure à une violation des droits que l’auteur tenait de l’article 7, lu conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 9 (par. 1 et 2), du Pacte.

2.Selon la jurisprudence constante du Comité, c’est aux tribunaux des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée et d’appliquer la législation interne, sauf s’il peut être établi que cette appréciation ou cette application a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice (par. 12.4). Or le Comité semble n’avoir pas suivi cette jurisprudence dans ses constatations.

3.S’agissant de la violation de l’article 7, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), du Pacte, le Comité a constaté que rien dans les pièces versées au dossier ne lui permettait de conclure que l’enquête sur les allégations de traitements cruels et inhumains formulées par l’auteur avait été ouverte sans délai et menée avec l’efficacité voulue par les autorités (par. 13.4). Or le Comité renvoie lui-même à plusieurs arguments de l’État partie qui réfutent clairement cette conclusion (par. 13.2).

4.Selon l’État partie, l’auteur a été arrêté le 13 septembre 2005 à 5 heures du matin parce qu’il était soupçonné du meurtre d’un couple et a été placé en garde à vue mais ne s’est pas plaint d’avoir été frappé par les policiers à cette occasion. Ses parents ont été informés de son arrestation par téléphone. Le même jour, il a été placé dans un centre de détention provisoire parce qu’il avait tenté de s’enfuir. L’auteur ne s’est pas non plus plaint d’avoir été frappé par la police pendant qu’il était détenu dans ce centre. Le 14 septembre 2005, l’auteur a été interrogé en présence d’un avocat mais il a refusé de répondre aux questions. Il n’a pas non plus demandé qu’un autre avocat soit désigné pour le représenter parce qu’il aurait été mal défendu. À 4 h 50 du matin le 15 septembre 2005, l’auteur a de nouveau été placé en état d’arrestation en tant que suspect dans la tentative de meurtre d’une vendeuse (par. 10.2).

5.Une seconde enquête, confiée à un autre enquêteur, a été ouverte par le Bureau du procureur interdistrict de Bogotol en octobre 2005 sur plainte de l’avocat de l’auteur, mais lors de cette enquête également, celui-ci a refusé de témoigner. L’enquêteur a interrogé trois policiers, qui ont expliqué que l’auteur leur avait opposé une résistance active en brandissant un fer dans leur direction et en se dirigeant vers la porte, ce qui les avait amenés à recourir à la force pour l’appréhender. Il a été constaté lors d’un examen médical que l’auteur avait été légèrement blessé au visage, ce qui pouvait donner à penser qu’il avait peut-être effectivement opposé une résistance aux policiers venus l’arrêter. L’enquêteur a donc conclu que ces policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs et a refusé d’engager des poursuites contre eux (par. 10.3).

6.Une nouvelle enquête a été ouverte en 2008 et l’enquêteur qui en était chargé a également refusé d’engager des poursuites contre les policiers en cause en l’absence d’éléments matériels (par. 10.4). Cette décision a été confirmée tant par le Tribunal de district de Bogotol que par la Cour régionale de Krasnoïarsk, qui ont considéré que les policiers n’avaient pas outrepassé leurs pouvoirs en arrêtant l’auteur (par. 10.4). En 2013, le Tribunal de district de Bogotol a rejeté une autre plainte de l’auteur, qui alléguait que la police avait commis des actes illégaux la nuit de son arrestation, une fois encore faute de motifs justifiant l’ouverture d’une enquête pénale contre les policiers concernés (par. 8.6 et 10.4). Enfin, le 1er juillet 2014, la Cour régionale de Krasnoïarsk a confirmé la décision du Tribunal central de district de Krasnoïarsk, qui avait débouté l’auteur du recours qu’il avait formé le 25 février 2014 contre la décision du Procureur adjoint de la région de Krasnoïarsk. Le procureur avait par cette décision rejeté la requête de l’auteur tendant à ce que son dossier soit rouvert au motif que des preuves à charge avaient été manipulées lors des expertises médico-légales (par. 8.2 et 8.3). Il y a donc eu plusieurs enquêtes successives, menées par les autorités compétentes de l’État partie, qui toutes réfutent les allégations de l’auteur étant donné l’absence d’éléments matériels.

7.Le Comité souligne en particulier qu’un témoin clef, l’ami chez qui l’auteur se trouvait lorsqu’il a été arrêté, n’a pas été interrogé par les autorités dans le but d’éclaircir les circonstances de l’arrestation de l’auteur (par. 13.3). Or cela ne semble pas totalement exact. En effets, selon l’auteur (par. 9.2), son ami a témoigné au procès avoir lui aussi été roué de coups lorsque la police est venue chercher l’auteur. Il ressort toutefois du procès‑verbal d’audience que sa déposition au procès a été très vague, de sorte qu’on ne peut même pas dire avec certitude que l’intéressé était avec l’auteur dans son appartement la nuit de l’arrestation. Il en va de même de l’allégation de l’auteur (par. 2.1) selon laquelle un des témoins avait lors de son procès confirmé que l’auteur avait été conduit jusqu’à la rivière et y avait été soumis à des violences physiques. Ce témoin a en effet seulement déclaré qu’il avait été roué de coups et menacé par les policiers « d’être conduit à l’endroit où ils avaient maintenu la tête de l’auteur sous l’eau » (note de bas de page 2), ce qui en soi n’est pas une preuve directe mais seulement une preuve par ouï-dire. Sortir des éléments de preuve de leur contexte, alors que les tribunaux internes ont enquêté à de multiples reprises et, dans des jugements successifs, évalué tous les éléments de preuve disponibles, peut être très problématique, sauf s’il existe suffisamment de preuves contraires, ce qui, à mon avis, n’est pas le cas en l’espèce. Finalement, le 19 avril 2007, un jury a déclaré l’auteur coupable de plusieurs meurtres, d’extorsion, de hooliganisme, d’acquisition illégale d’armes à feu et de coups et blessures et, le 3 mai 2007, la Cour régionale de Krasnoïarsk l’a condamné à la réclusion à perpétuité. J’aurais en conséquence conclu qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 du Pacte.

8.En ce qui concerne la violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte, le Comité est particulièrement laconique, se contentant de relever que l’État partie n’a pas présenté d’observations détaillées au sujet des arguments précis formulés par l’auteur quant au caractère arbitraire de son arrestation et qu’il convenait en conséquence d’accorder le poids voulu aux allégations de celui-ci. Or, selon moi, cela n’est pas non plus exact et ne rend pas compte des faits de la cause.

9.L’auteur fait valoir à cet égard (par. 3.2) qu’il a été illégalement arrêté par plusieurs hommes qui n’ont pas décliné leur identité de policiers et ne lui ont pas présenté de mandat d’arrêt. Il aurait été illégalement gardé à vue avant d’être interrogé pendant dix-huit heures, dont trois près de la rivière, où il aurait été roué de coups. Il serait de plus resté cinquante‑trois heures en garde à vue avant d’être présenté à un juge, alors que le droit interne exige que toute arrestation soit sanctionnée par un juge dans les quarante-huit heures.

10.S’agissant du premier argument, comme l’auteur le reconnaît lui-même (par. 2.1), les hommes qui l’ont arrêté se sont identifiés comme étant des policiers et lui ont demandé d’avouer avoir tué quatre personnes et en avoir blessé une autre deux jours auparavant. Il a, le même jour (par. 2.2), été présenté à l’enquêteur du Bureau du procureur de la région de Krasnoïarsk pour un interrogatoire officiel. L’État partie déclare que le 13 septembre 2005, à 5 heures, l’auteur a été arrêté parce qu’il était soupçonné du meurtre d’un couple, après quoi il a été emmené au commissariat de police local puis placé en garde à vue dans un centre de détention provisoire parce qu’il avait tenté de s’enfuir (par. 10.2 et supra par. 4). Le 14 septembre 2005, l’auteur a été interrogé en présence d’un avocat mais il a refusé de répondre aux questions. Le 15 septembre 2005, selon l’auteur (par. 2.3), il a été déclaré suspect dans une autre affaire criminelle et, à 10 heures le même jour, a été déféré au Tribunal de district de Bogotol, qui a sanctionné son arrestation mais pour la seconde infraction seulement.

11.L’auteur a donc été privé de sa liberté pour des motifs et conformément à la procédure prévus par le droit interne, et son arrestation n’était donc ni illégale ni arbitraire. En fait, un juge a sanctionné cette arrestation après en avoir examiné toutes les circonstances et les avoir jugées conformes au droit interne. Le fait que l’auteur ait été présenté à un juge cinquante-trois heures après son arrestation (par. 3.2) et non dans les quarante-huit heures s’explique facilement, puisque l’auteur a été arrêté au petit matin du 13 septembre 2005 et présenté au tribunal à 10 heures le 15 septembre. Ainsi, le fait qu’il ait été présenté à un juge cinq heures après l’expiration du délai de quarante-huit heures semble justifié étant donné les circonstances. J’aurais donc conclu qu’il n’y a pas eu violation des paragraphes 1 et 2 de l’article 9 du Pacte.