Nations Unies

CCPR/C/127/D/2654/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication n o 2654/2015*, **

Communication présentée par :

T. D. J. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

5 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 octobre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

8 novembre 2019

Objet :

Expulsion du Danemark vers le Myanmar ; traitement inhumain et dégradant

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article(s) du Pacte :

7, 13, 18, 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.1L’auteur de la communication est T. D. J., ressortissant du Myanmar, né le 26 janvier 1983. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 13, 18, 19 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 7 octobre 2015, le Comité, agissant en application de l’article 94 de son règlement intérieur et par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires.

Exposé des faits

2.1L’auteur, qui est d’origine ethnique kachin et chrétien, affirme avoir été à maintes reprises contraint d’effectuer des travaux physiques pour des soldats dans sa région d’origine avant de quitter le Myanmar. En septembre 2006, quatre soldats en uniforme sont venus le chercher à son domicile et l’ont forcé à les accompagner jusqu’à leur campement, à l’extérieur de la ville de Sang Gang, où il est né. Là, il a dû transporter les soldats vers un nouveau campement. Le tracteur de l’auteur était lourdement chargé de matériel, le terrain était à peine praticable et il pleuvait à verse ; l’auteur avait du mal à maîtriser son véhicule. Il a fini par en perdre le contrôle, le tracteur s’est renversé et a causé un accident. Les soldats ont reproché l’accident à l’auteur et l’ont frappé à coups de pied et de poing jusqu’à ce qu’il perde connaissance. L’auteur a été admis à l’hôpital Mo Mauk, où il est resté environ treize jours. À sa sortie de l’hôpital, il est rentré chez lui et y est resté quelques jours.

2.2Le 10 novembre 2006, les soldats sont de nouveau venus chercher l’auteur à son domicile. Comme il ne s’y trouvait pas, ils ont dit à ses parents qu’il devait se présenter à eux. Ils sont revenus quelques jours plus tard pour demander où il se trouvait, sans succès. Après ces visites, le père de l’auteur, craignant que les soldats ne fassent du mal à son fils, lui a conseillé de se cacher dans la montagne. L’auteur est parti dans la montagne et y est resté environ un mois. Par la suite, ses parents lui ont envoyé de l’argent pour lui permettre de quitter le pays. En janvier 2007, l’auteur a quitté le Myanmar pour la Malaisie sans documents de voyage valides. En Malaisie, une pièce d’identité de réfugié lui a été délivrée par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) et il a travaillé pendant un certain temps afin d’économiser suffisamment d’argent pour se rendre en Europe. En 2010, l’auteur est arrivé en Roumanie, où il a obtenu le « statut de réfugié » le 28 juin 2010. Il est resté quelque temps en Roumanie mais, comme il était sans emploi et vivait dans la pauvreté, il est parti pour le Danemark. Son permis de séjour en Roumanie a expiré le 6 juillet 2013.

2.3L’auteur est entré au Danemark le 25 août 2011 sans documents de voyage valides et a demandé l’asile le 16 septembre 2011. Le 20 décembre 2011, le Service danois de l’immigration a demandé aux autorités roumaines de réadmettre l’auteur en application du paragraphe 2 de l’article 23 de la Convention d’application de l’accord de Schengen du 14 juin 1985 relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes. Le 28 décembre 2011, les autorités roumaines ont accepté de réadmettre l’auteur et le 22 mars 2012 l’auteur a été renvoyé en Roumanie.

2.4Le 20 septembre 2012, l’auteur est de nouveau entré au Danemark sans documents de voyage valides. Le 3 juillet 2014, le Service danois de l’immigration a décidé que l’auteur devait être expulsé du Danemark et interdit de territoire pendant deux ans en vertu des dispositions pertinentes de la loi danoise sur les étrangers, au motif qu’il avait séjourné et travaillé illégalement au Danemark.

2.5Le 4 juillet 2014, l’auteur a demandé une deuxième fois l’asile au Danemark. Le 17 mars 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande. Le 29 mai 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé cette décision. Au même moment, l’auteur a reçu l’ordre de quitter le Danemark dans les quinze jours. Selon l’auteur, la Commission a admis comme avéré qu’ainsi qu’il le déclarait, il avait été forcé en 2006 d’aider des soldats à déplacer leur campement et avait, à cette occasion, été impliqué dans un accident qui lui avait valu d’être hospitalisé. En revanche, la Commission n’a pas été convaincue que l’auteur se soit effectivement trouvé dans une situation de conflit permanent avec les forces armées en raison de cet accident. Elle a en outre relevé des incohérences dans les déclarations de l’auteur concernant les événements ayant suivi sa sortie de l’hôpital. La Commission, compte tenu également de la situation générale des droits de l’homme au Myanmar, a estimé que l’auteur n’avait pas démontré qu’il était probable que s’il était renvoyé dans son pays d’origine, il courrait un risque d’être persécuté justifiant l’octroi de l’asile en vertu des lois danoises applicables.

2.6Le 9 septembre 2015, le Service danois de l’immigration a décidé que l’auteur devait être expulsé du Danemark et interdit de territoire pendant deux ans parce qu’il n’avait pas quitté le Danemark dans le délai imparti et n’avait pas coopéré en vue d’un retour volontaire.

2.7L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en cas d’expulsion vers le Myanmar, il risquerait d’être torturé ou de subir des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 7 du Pacte. En particulier, il soutient qu’en raison de son origine ethnique kachin, il a été astreint à maintes reprises à un travail forcé par les forces armées au Myanmar et qu’il a obéi aux ordres qui lui étaient donnés pour ne pas être tué ou torturé. Il affirme qu’à son retour la police des frontières l’interrogera pour obtenir des informations sur ses activités et celles des réfugiés kachin à l’étranger. Il affirme également que les autorités le soumettront à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour qu’il leur donne des informations qui les intéressent. Il affirme en outre que, d’une manière générale, les Kachin ne sont pas en sécurité au Myanmar.

3.2Il tire également grief, invoquant les articles 13 et 26 du Pacte, du fait qu’il n’a pas pu faire appel de la décision de la Commission de recours des réfugiés alors que d’autres personnes ont le droit de saisir les tribunaux de droit commun.

3.3En outre, l’auteur allègue la violation des articles 18 et 19 du Pacte, affirmant que les États parties sont tenus de ne pas expulser les personnes qui risquent d’être victimes de violations de leurs droits fondamentaux. Il affirme craindre une violation de ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de pensée, de conscience et de religion.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée d’avril 2016, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que la communication devrait être jugée irrecevable pour défaut de fondement. En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 18 et 19 du Pacte, l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle est incompatible ratione materiae et ratione lociavec le Pacte. Si le Comité devait juger la communication recevable, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son renvoi forcé au Myanmar constituerait une violation des articles 7, 18 et 19 du Pacte. Il affirme en outre que les droits que l’auteur tient des articles 13 et 26 du Pacte n’ont pas été violés dans le cadre de l’examen de sa demande d’asile par les autorités danoises.

4.2L’État partie décrit la procédure devant la Commission de recours des réfugiés.

4.3En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie indique que la Commission de recours des réfugiés a considéré comme avéré qu’ainsi que le déclarait l’auteur, celui-ci avait été forcé d’aider des soldats à déplacer leur campement en 2006 et avait, à cette occasion, été impliqué dans un accident qui lui avait valu d’être hospitalisé. En revanche, la Commission n’a pas admis comme avéré que l’auteur se soit de ce fait retrouvé « en situation de conflit » avec les autorités locales. Dans son évaluation, la Commission a relevé que les déclarations de l’auteur au sujet des événements ayant suivi sa sortie de l’hôpital semblaient incohérentes et contradictoires. En particulier, l’auteur a fait des déclarations incohérentes au sujet du temps qu’il a passé à son domicile avant de partir se cacher dans une hutte dans la nature. Il a fait des déclarations incohérentes à propos du temps qui avait pu s’écouler entre sa sortie de l’hôpital et le moment où les soldats étaient venus le chercher chez lui. Il a également fait des déclarations contradictoires lorsqu’on lui a demandé s’il était encore chez lui lorsque les soldats étaient venus le chercher ou s’il se trouvait alors dans la hutte. L’État partie reconnaît que les incidents allégués se sont produits neuf ans avant l’audition de l’auteur par la Commission et que celui-ci avait été hospitalisé à l’époque, mais il fait valoir que cela ne peut pas expliquer les incohérences majeures que présentent ses déclarations. En outre, la Commission a estimé que l’allégation de l’auteur selon laquelle des soldats étaient venus le chercher à son domicile à la suite de l’accident de la route relevait d’une simple supposition. L’État partie souligne que le statut de réfugié reconnu à l’auteur par le HCR en Malaisie ne saurait conduire à une appréciation différente de l’affaire. Enfin, la Commission a estimé que la situation générale des droits de l’homme au Myanmar pour les personnes d’origine ethnique kachin ne pouvait pas, à elle seule, justifier l’octroi de l’asile.

4.4L’État partie fait observer que l’auteur n’a présenté aucun élément nouveau dans sa requête au Comité, et que toutes les informations générales pertinentes ont été communiquées à la Commission de recours des réfugiés et prises en compte par celle-ci dans le cadre de sa décision du 29 mai 2015. Après un examen approfondi de ces informations et de la situation personnelle de l’auteur, la Commission a conclu que celui-ci ne risquait pas de subir un traitement contraire à l’article 7 du Pacte.

4.5En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 13 du Pacte, l’État partie fait valoir que cet article garantit une partie des droits procéduraux énoncés au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, mais pas le droit de faire appel ni le droit à une audience. Considérant que l’auteur n’a pas donné plus de précisions sur le grief qu’il tire de l’article 13, l’État partie estime que celui-ci n’est pas suffisamment étayé.

4.6En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 18 et 19 du Pacte, l’État partie affirme que les griefs de l’auteur sont sans fondement. L’État partie souligne de plus que l’auteur cherche à obtenir l’application extraterritoriale des articles invoqués alors que les atteintes alléguées n’ont pas eu lieu au Danemark ou dans un lieu où les autorités danoises exerçaient un contrôle effectif et que les mauvais traitements ne sont pas le fait des autorités danoises. Invoquant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’État partie argue que l’application extraterritoriale des droits et libertés consacrés dans le Pacte ne devrait être qu’exceptionnelle. Selon une jurisprudence bien établie du Comité, l’expulsion de personnes par les États parties vers d’autres États peut entraîner une violation des articles 6 ou 7 du Pacte. Toutefois, selon l’État partie, le Comité n’a jamais examiné quant au fond aucune requête concernant le renvoi d’une personne craignant la violation, dans l’État d’accueil, d’autres droits que ceux visés aux articles 6 ou 7. L’État partie renvoie à l’observation générale no 31 (2004) du Comité, sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, qui indique que l’obligation que fait l’article 2 aux États parties de respecter et garantir à toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et à toutes les personnes soumises à leur contrôle les droits énoncés dans le Pacte entraîne l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite. L’État partie considère en revanche que l’expulsion d’une personne craignant la violation des droits qu’elle tient des articles 18 et 19 du Pacte ne comporte aucun risque de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il estime par conséquent que cette partie de la communication devrait être déclarée irrecevable parce qu’elle est incompatible ratione materiae et ratione lociavec le Pacte.

4.7En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 26 du Pacte, l’État partie affirme que les griefs de l’auteur n’ont pas été suffisamment étayés et renvoie aux arguments qu’il a avancés au sujet de la violation alléguée de l’article 7 du Pacte. Il fait en outre observer que l’auteur n’a pas été traité différemment de tout autre demandeur d’asile en raison de sa race, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa langue, de sa religion, de ses opinions politiques ou autres, de son origine nationale ou sociale, de sa fortune, de sa naissance ou de toute autre situation. Par conséquent, l’État partie conclut que les droits que l’auteur tient de l’article 26 du Pacte n’ont pas été violés dans le cadre de la procédure d’asile.

4.8Enfin, l’État partie fait valoir que l’auteur désapprouve l’appréciation qu’a faite la Commission de recours des réfugiés de sa situation particulière et des informations d’ordre général. Cependant, dans sa communication au Comité, l’auteur n’invoque aucune irrégularité dans le processus décisionnel ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte. L’État partie fait valoir également que le Comité doit accorder un poids considérable aux constatations de fait de la Commission, qui est mieux placée pour apprécier les éléments factuels du dossier. Ainsi, de l’avis de l’État partie, il n’y a aucune raison de mettre en doute, et encore moins d’écarter, l’appréciation de la Commission selon laquelle l’auteur n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être tué ou soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé au Myanmar.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 13 septembre 2016, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il transmet au Comité le formulaire d’enregistrement en vue de la réinstallation complété par le bureau du HCR en Malaisie et daté du 9 octobre 2009. Dans ce formulaire, il est indiqué que l’auteur doit être considéré comme un réfugié en vertu du mandat du HCR et de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés et il est recommandé de le réinstaller en raison de besoins de protection juridique et physique et de l’absence de perspectives d’intégration locale en Malaisie.

5.2En ce qui concerne la recevabilité de sa requête, l’auteur réitère les arguments qu’il a déjà avancés. De plus, s’agissant de son allégation de violation de l’article 13, il conteste que les constatations du Comité dans l’affaire Maroufidou c. Suède soientpertinentes en l’espèce. Il conteste également la pertinence des constatations dans l’affaire M. X et M me  X c. Danemark, faisant valoir que, dans cette affaire, le Comité a examiné une allégation de violation de l’article 14, alors qu’en l’espèce, c’est l’article 13 du Pacte qui est en cause.

5.3Sur le fond, l’auteur invoque le formulaire d’enregistrement du HCR et affirme que la Commission de recours des réfugiés a violé la Convention de 1951 et le Pacte en ne respectant pas l’évaluation du HCR. L’auteur soutient également que, non seulement dans ce cas particulier mais aussi dans d’autres affaires concernant des demandes d’asile présentées par des Kachin du Myanmar, la Commission de recours des réfugiés a écarté de façon répétée l’évaluation du HCR reconnaissant le statut de réfugié à ces demandeurs et recommandant leur réinstallation. L’auteur souligne que la Commission a écarté ces évaluations non pas parce que la situation des droits de l’homme au Myanmar avait changé mais simplement parce que, d’après elle, les intéressés « n’avaient jamais été des réfugiés ».

5.4L’auteur ajoute que le raisonnement de la Commission de recours des réfugiés est illogique car, une fois établi que l’auteur avait été astreint à un travail forcé par les forces armées, ce qui en soi est une violation de l’article 8 du Pacte, il n’est pas logique de conclure que l’auteur ne s’est pas retrouvé « en situation de conflit avec les autorités locales » en raison de ces incidents. Il affirme également que, parce que la Commission n’a pris aucune mesure pour consulter le dossier du HCR le concernant, l’État partie a violé les articles 7 (obligations procédurales) et 13 du Pacte. Enfin, l’auteur réitère ses arguments concernant la violation alléguée des articles 18, 19 et 26 du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 3 février 2017, l’État partie a fait valoir que les commentaires de l’auteur en date du 13 septembre 2016 ne semblaient contenir aucune information essentiellement nouvelle ou particulière sur sa situation personnelle.

6.2En ce qui concerne le grief selon lequel il n’a pas respecté l’évaluation concernant l’auteur effectuée par le HCR en 2009, l’État partie affirme qu’il n’a pas méconnu cette évaluation mais a procédé à une évaluation indépendante afin de déterminer si, lorsque la Commission a examiné son cas, l’auteur remplissait les conditions nécessaires à l’octroi de l’asile au regard de la législation danoise applicable.

6.3En ce qui concerne les déclarations de l’auteur relatives aux persécutions que les autorités locales feraient subir aux Kachin, l’État partie, se référant à plusieurs rapports concernant le pays, affirme que la situation générale des droits de l’homme au Myanmar s’est considérablement améliorée depuis 2009.

6.4Par conséquent, l’État partie soutient que la requête devrait être déclarée irrecevable. Si toutefois le Comité devait l’examiner au fond, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation des droits que l’auteur tient des articles 7, 13, 18, 19 et 26 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, le Comité n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont réunies.

7.4Le Comité prend note du grief que l’auteur tire des articles 13 et 26 du Pacte, à savoir qu’il n’a pas pu faire appel de la décision négative de la Commission de recours des réfugiés devant un organe judiciaire et a fait l’objet d’une discrimination dans le cadre de la procédure d’asile. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle l’article 13 offre aux demandeurs d’asile une partie de la protection garantie par l’article 14 mais non le droit de recours devant les tribunaux. Le Comité note également que l’auteur n’a pas exposé les fondements du grief qu’il tire de l’article 26 du Pacte, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles il estime avoir été traité de manière discriminatoire par la Commission. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 13 et 26 du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne la violation des articles 18 et 19 du Pacte alléguée par l’auteur, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs de l’auteur à cet égard sont insuffisamment étayés. Il note également que, selon l’État partie, les griefs que l’auteur tire des articles 18 et 19 du Pacte sont irrecevables ratione materiae et ratione loci parce qu’incompatibles avec les dispositions du Pacte, ces articles n’étant pas d’application extraterritoriale. Le Comité relève que les affirmations de l’auteur sont effectivement vagues et très limitées et qu’il n’avance aucun argument précis pour les étayer. Le Comité rappelle de plus que l’article 2 du Pacte impose aux États parties l’obligation de ne pas expulser une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel qu’elle subisse un préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays où elle doit être renvoyée. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur, dans sa communication, ne démontre pas comment l’État partie, en le renvoyant au Myanmar, violerait les droits qu’il tient des articles 18 et 19 et comment ce renvoi l’exposerait à un risque sérieux de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, parce qu’il est d’origine ethnique kachin, il risquerait d’être torturé ou soumis à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’il était renvoyé au Myanmar. L’auteur affirme que les Kachin sont astreints au travail forcé par les forces armées de son pays d’origine. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, à son retour au Myanmar, la police des frontières l’interrogerait pour obtenir des informations sur les activités des réfugiés kachin à l’étranger et il subirait des mauvais traitements s’il résistait ou refusait de coopérer.

7.7Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31, dans lequel il définit l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer de toute autre manière une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans une affaire donnée pour déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement erronée, ou a représenté un déni de justice.

7.8Le Comité rappelle de plus que l’obligation énoncée dans le Pacte de ne pas expulser une personne s’applique au moment de l’expulsion et que, lorsque celle-ci est imminente, le moment pertinent est celui où il examine l’affaire. En conséquence, dans le cadre de la procédure d’examen des communications présentées en vertu du Protocole facultatif, le Comité doit également, lorsqu’il évalue les faits présentés par les parties, tenir compte des éléments nouveaux susceptibles d’avoir une incidence sur les risques auxquels peut être exposé un auteur devant être expulsé. En l’espèce, d’après des informations qui ont été publiées, la situation s’est détériorée ces derniers temps au Myanmar. Toutefois, sur la base des informations contenues dans le dossier, le Comité ne peut évaluer dans quelle mesure la situation actuelle au Myanmar peut avoir une incidence sur le risque personnel que court l’auteur. Dans ce contexte, le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie d’évaluer constamment le risque auquel une personne serait exposée en cas de renvoi dans un autre pays avant de prendre une décision définitive concernant son expulsion ou son renvoi.

7.9En l’espèce, le Comité note que la Commission de recours des réfugiés a relevé plusieurs contradictions factuelles dans les déclarations de l’auteur et que, bien qu’ayant jugé crédible qu’il avait été blessé dans un accident de la route, elle a estimé que l’auteur n’avait pas pu établir le lien qu’il alléguait entre cet accident et les visites ultérieures des soldats à son domicile. La Commission n’a pas non plus admis que cet accident avait entraîné un conflit permanent entre l’auteur et les forces armées du Myanmar. Le Comité considère que, bien que l’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, les informations dont il dispose n’indiquent pas que ces conclusions sont manifestement déraisonnables. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief selon lequel l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités danoises avait été manifestement arbitraire ou erronée, ou avait constitué un déni de justice. Par conséquent, sans préjudice de la responsabilité qui continue d’incomber à l’État partie de tenir compte de la situation dans le pays vers lequel l’auteur serait expulsé et sans sous‑estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation générale des droits de l’homme dans le nord du Myanmar, le Comité considère que, à la lumière des informations disponibles quant à la situation personnelle de l’auteur, les griefs que celui-ci tire de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.