Nations Unies

CCPR/C/121/D/2585/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 décembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2585/2015 * , ** , ***

Communication présentée par:

M. A. S. et L. B. H. (représentés par le Conseil danois pour les réfugiés, puis par Hannah Krog)

Au nom de:

Les auteurs et leurs trois enfants

État partie:

Danemark

Date de la communication:

9 mars 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 mars 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

8 novembre 2017

Objet:

Expulsion vers la Bulgarie

Question(s) de procédure:

Griefs non étayés

Question(s) de fond:

Risque de torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; principe du non‑refoulement

Article(s) du Pacte:

7

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.1Les auteurs de la communication sont M. A. S., né le 1er décembre 1973, et son épouse, L. B. H., née le 1er octobre 1976. Ils présentent la communication en leur nom propre et au nom de leurs trois enfants mineurs : X, né le 15 janvier 2000, Y, né le 13 mars 2003 et Z, née le 25 juillet 2012. Les auteurs sont des nationaux de la République arabe syrienne qui ont demandé l’asile au Danemark et qui sont en attente d’expulsion vers la Bulgarie à la suite du rejet par les autorités danoises de leur demande de statut de réfugié. Ils affirment que, en les renvoyant de force avec leurs enfants en Bulgarie, le Danemark commettrait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après « le Pacte »). Ils ont d’abord été représentés par le Conseil danois pour les réfugiés et le sont à présent par Mme Hannah Krog. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976.

1.2Le 10 mars 2015, en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs et leurs enfants vers la Bulgarie tant que la communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont des Kurdes de la République arabe syrienne. Ils ont fui leur pays pour chercher asile en Europe en raison de la guerre civile. Ils sont d’abord allés au Liban, puis en Turquie et en Bulgarie, et sont arrivés au Danemark en janvier 2014.

2.2Les auteurs affirment qu’ils avaient donné de l’argent pour aller au Danemark mais que le passeur les avait laissés près de la frontière bulgare, leur avait dit qu’ils étaient arrivés au Danemark et avait disparu immédiatement. Les auteurs et leurs enfants ont marché pendant environ sept heures. Le 13 juillet 2013, ils sont arrivés en Bulgarie. Les gardes frontière les ont arrêtés pour entrée illégale sur le territoire, ont pris leurs empreintes digitales et les ont enregistrés comme demandeurs d’asile. Les auteurs ont été placés en détention et sont restés vingt-trois jours dans une pièce de 40 mètres carrés où se trouvaient aussi cinq ou six autres familles. Ils affirment que quelque 400 personnes, dont 14 mineurs, étaient détenues dans cette prison. Comme la nourriture n’était pas adaptée aux enfants, et à cause du harcèlement et des traitements dégradants qu’ils subissaient en prison, les auteurs ont décidé avec trois autres familles de faire une grève de la faim de trois jours, pendant lesquels on ne leur avait pas donné d’eau. Ils avaient continué la grève de la faim jusqu’à leur remise en liberté, qui a eu lieu après la visite d’une organisation humanitaire et à la suite de la pression médiatique.

2.3Après leur remise en liberté, les auteurs ont été conduits dans un camp de réfugiés à Sofia, où ils sont restés environ trois mois. Ils ne pouvaient pas se déplacer librement parce que la police était présente en permanence et qu’ils en avaient peur, car les demandeurs d’asile étaient maltraités et ne se sentaient pas en sécurité. Leur fils Y aurait été frappé plusieurs fois par des policiers parce qu’il était trop bruyant. Le 14 octobre 2013, les auteurs ont reçu des permis de séjour en Bulgarie, valables jusqu’au 21 octobre 2016 pour L. B. H. et jusqu’au 31 octobre 2016 pour M. A. S. Le même jour, on leur a demandé de quitter le centre d’accueil. Les auteurs n’ont reçu aucune aide et ils se sont heurtés à beaucoup de difficultés lorsqu’ils ont cherché à se loger, à travailler et à scolariser leurs enfants; ils n’avaient pas accès aux soins médicaux dont ils avaient besoin.

2.4Les auteurs ont réussi à louer une pièce de 30 mètres carrés à Sofia, dont ils payaient le loyer avec l’argent envoyé par des membres de la famille qui vivaient en Turquie et en Iraq. Ils sont restés dans cette pièce pendant deux mois. Ils craignaient pour la sécurité de la famille à cause de la vague de racisme en Bulgarie ; seul M. A. S. sortait de la pièce de temps en temps pour acheter des provisions ou récupérer l’argent envoyé.

2.5Une série de faits se sont produits, qui expliquent pourquoi les auteurs ne se sentaient pas en sécurité en Bulgarie. En décembre 2013, M. A. S. avait vu un Iraquien se faire tuer par des Bulgares dans un parc de Sofia. Craignant pour sa vie, il s’était enfui. Une autre fois, alors qu’il faisait des achats pour la famille, trois hommes bulgares étaient entrés dans le magasin et l’avaient obligé à scander « la Bulgarie n’est pas un endroit pour moi ». Ils lui avaient crié de retourner chez lui et l’avaient frappé à coups de poing et de pied. À la suite de ces faits, craignant pour leur sécurité et comme les conditions de vie étaient très difficiles en Bulgarie en l’absence de réel programme d’intégration, les auteurs ont quitté le pays pour se rendre au Danemark. Ils y ont été conduits par un chauffeur de camion que L. B. H. avait contacté. Munis de leur permis de séjour bulgare, ils ont pu franchir la frontière. Après trois jours de voyage ils sont arrivés dans une ville dont ils ignorent le nom et de là se sont rendus à Aarhus.

2.6La famille a demandé l’asile à Aarhus le jour de son arrivée, le 6 janvier 2014. M. A. S. a déclaré que le motif de la demande était sa crainte d’être enrôlé par l’armée syrienne en tant que réserviste s’il retournait en République arabe syrienne. Il a expliqué qu’avant de quitter le pays en juillet 2013, il avait été rappelé pour reprendre du service mais qu’au lieu de se présenter, il était parti. L. B. H. a renvoyé aux motifs de la demande d’asile de son époux. Les auteurs ont également fait état des mauvaises conditions en Bulgarie, de l’impossibilité de trouver un travail, de la discrimination générale dont les réfugiés étaient l’objet et des menaces proférées par des inconnus bulgares. Les 6 et 7 août 2014, le Service danois de l’immigration a rendu des décisions distinctes pour chacun des auteurs et de leurs enfants, refusant de leur accorder l’asile parce que la Bulgarie était leur premier pays d’asile et qu’ils avaient déjà reçu des permis de séjour qui étaient encore valables. Le Service de l’immigration a considéré que les déclarations des auteurs concernant les mauvaises conditions en Bulgarie, notamment l’impossibilité de trouver un travail et la discrimination à l’égard des réfugiés, relevaient de facteurs socioéconomiques qui n’entraient pas dans le champ d’application de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Il a indiqué également que le grief des auteurs, qui disaient avoir reçu des menaces de la part d’individus bulgares et de la police pendant leur arrestation et leur détention, ne pouvait pas infléchir sa conclusion parce que les auteurs avaient la possibilité de demander une protection aux autorités bulgares et de déposer une plainte. Il a relevé que les auteurs n’avaient jamais porté plainte auprès des autorités bulgares pour dénoncer les menaces proférées par des particuliers ou les mauvais traitements qu’ils disaient avoir subis pendant leur arrestation et leur détention. Enfin, il considérait comme un élément de poids le fait que les auteurs n’avaient pas été parties à des conflits de nature à les mettre en danger s’ils retournaient en Bulgarie.

2.7Les auteurs affirment qu’ils présentent des symptômes de plus en plus marqués de troubles post-traumatiques − notamment insomnies, pensées négatives obsessionnelles, comportement dépressif et nervosité ainsi qu’une tendance accrue à l’isolement. En particulier, depuis son arrivée au Danemark, leur fils Y faisait l’objet d’une prise en charge psychologique intensive à cause de ce qu’il avait vécu en Bulgarie et parce qu’en République arabe syrienne, il avait vu des amis tués par une bombe tombée sur son école. M. A. S. souffre d’hypertension et d’une affection cardiaque qui exigent un traitement médical et il montre également des symptômes de troubles post‑traumatiques qui seraient dus à la torture subie pendant son emprisonnement en République arabe syrienne. L. B. H. a des problèmes de métabolisme, pour lesquels elle suit un traitement médical, et doit prendre des analgésiques pour ses douleurs de dos causées par une hernie discale.

2.8Le 8 décembre 2014, la Commission danoise de recours des réfugiés a confirmé la décision du Service danois de l’immigration et ordonné aux auteurs de quitter le Danemark dans les quinze jours. La Commission a estimé que, si les auteurs relevaient du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, la Bulgarie était le pays de premier asile qui leur avait accordé une protection, de sorte que les auteurs devaient y être renvoyés. Elle a ajouté que, d’après les informations d’ordre général disponibles, les auteurs ne courraient pas le risque d’être expulsés une fois qu’ils se trouveraient en Bulgarie, que la sécurité de leur personne serait assurée dans la mesure nécessaire et qu’ils devaient demander aux autorités bulgares une protection concernant les menaces proférées par des inconnus bulgares. La Commission indiquait également que, d’après un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les réfugiés et les personnes bénéficiant d’une protection avaient en Bulgarie les mêmes droits que les nationaux et que, si la situation générale était difficile, notamment sur le plan socioéconomique, elle n’était pas telle que la Bulgarie ne puisse pas être un pays de premier asile. Pour parvenir à cette conclusion, la Commission avait pris en considération les griefs des auteurs qui affirmaient qu’ils avaient été placés en détention et avaient subi des mauvais traitements en prison. En particulier, elle avait noté que les autorités avaient confisqué les médicaments de L. B. H., qu’elles n’avaient pas procuré de lait pour la plus jeune fille des requérants, que M. A. S. avait été harcelé par des particuliers, et que les enfants avaient tous été sérieusement affectés psychologiquement par ce qu’ils avaient vécu en République arabe syrienne et en Bulgarie et avaient commencé à se sentir mieux seulement après être arrivés au Danemark. Les enfants pouvaient aller à l’école, alors qu’en Bulgarie, où ils n’avaient connu que la peur et les agressions, ils craignaient d’aller où que ce soit.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que, si elles les renvoyaient de force avec leurs enfants en Bulgarie, les autorités danoises commettraient une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte. Étant donné ce qu’ils ont vécu en Bulgarie, ils affirment que, s’ils sont renvoyés dans ce pays, eux-mêmes et leurs trois enfants seront exposés à des traitements inhumains ou dégradants contraires aux intérêts supérieurs de l’enfant car ils se retrouveraient sans abri, dans un dénuement total, sans pouvoir accéder aux soins de santé ni garantie quant à la sécurité de leur personne. Les trois enfants mineurs ont déjà été profondément atteints et traumatisés par la guerre civile en République arabe syrienne et par leur séjour en Bulgarie, et manifestent un comportement antisocial et une stagnation de leur développement. Ils ont donc besoin de stabilité et doivent pouvoir bénéficier d’un suivi psychosocial et médical continu. Les auteurs font en conséquence valoir qu’ils doivent être considérés comme extrêmement vulnérables et que le pays de premier asile, la Bulgarie, ne peut pas répondre à leurs besoins.

3.2Les auteurs ajoutent que la Bulgarie n’a pas de programme d’intégration pour les demandeurs d’asile et les réfugiés. Le dernier programme national d’intégration s’est terminé en 2013 et il n’existe actuellement aucun véritable programme d’intégration pour les personnes qui ont le statut de réfugié ou qui bénéficient d’une protection subsidiaire. Alors que, d’après la législation bulgare, ces personnes peuvent accéder au marché du travail, au système de santé et aux services sociaux et obtenir une aide pour trouver un logement, dans la pratique il leur est quasiment impossible de trouver un emploi ou un endroit où vivre. L’accès aux soins de santé est très difficile car il faut donner une adresse, presque impossible à obtenir pour la majorité des demandeurs d’asile et des personnes nécessitant une protection internationale. Le HCR a qualifié les conditions de vie pour les enfants, notamment, de particulièrement problématiques et a souligné qu’il était « urgent d’assurer sans plus tarder aux enfants demandeurs d’asile et aux enfants qui ont besoin d’une protection internationale l’accès à l’éducation dans le système scolaire bulgare ».

3.3Les auteurs indiquent de plus que l’intégration dans la société bulgare est quasiment impossible parce que, une fois qu’ils obtiennent le statut de réfugié ou une protection subsidiaire, les demandeurs d’asile cessent de recevoir l’allocation mensuelle de 65 leva (36 dollars É.-U.) qui leur est versée pendant la procédure d’examen de leur demande. Les intéressés se retrouvent donc dans une extrême pauvreté et sont contraints de vivre dans des bâtiments inachevés ou abandonnés situés près des centres pour demandeurs d’asile. Les auteurs citent également un rapport du HCR selon lequel il y a des lacunes dans la protection assurée à ces personnes une fois qu’elles ont obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire. En particulier, celles-ci doivent, comme les nationaux, payer un forfait mensuel d’environ 17 leva (environ 9 dollars É.-U.) pour accéder aux services médicaux alors qu’elles n’ont en général pas de revenu. De plus, les médicaments et la prise en charge psychologique ne sont pas couverts par le système de santé.

3.4Les auteurs soulignent que ceux qui obtiennent le statut de réfugié ou une protection subsidiaire sont obligés de quitter le centre d’accueil en quelques jours. De plus, alors que les réfugiés ont droit à une aide au logement, l’Agence nationale pour les réfugiés a cessé de verser cette allocation parce qu’elle n’a plus de fonds, et de nombreuses familles ont ainsi été obligées de vivre dans la rue. Les auteurs citent également un rapport du Conseil danois pour les réfugiés selon lequel les solutions à court terme proposées aux familles qui demandent l’asile en Bulgarie ne sont pas durables.

3.5Les auteurs ajoutent que, d’après des informations d’ordre général, la Bulgarie connaît actuellement de graves problèmes de harcèlement et de violence xénophobes dont les autorités ne s’occupent pas. Ils citent à ce sujet un rapport indiquant qu’il existe en Bulgarie un « racisme institutionnel », qui prend la forme de déclarations racistes faites par des personnalités politiques haut placées, ce qui attise les agressions physiques violentes contre les demandeurs d’asile et les réfugiés. En conséquence, le nombre de ces agressions est en hausse. Les auteurs renvoient également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, en particulier à l’arrêt rendu en l’affaire Abdu c. Bulgarie, dans lequel la Cour a conclu que les autorités bulgares avaient failli à leur obligation de mener une enquête diligente sur l’agression raciste qu’aurait subie un ressortissant soudanais.

3.6Les auteurs font référence à l’observation générale no 20 (1992) sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle le Comité a indiqué que l’État partie a le devoir d’assurer à toute personne une protection contre les actes prohibés par l’article 7 du Pacte, et que les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. Les auteurs citent aussi la conclusion no 58 (XL) adoptée par le Comité exécutif du Programme du HCR, dans laquelle il est énoncé que le principe du pays de premier asile ne devrait s’appliquer que si les demandeurs d’asile, lorsqu’ils sont renvoyés dans ce pays, sont autorisés à y rester et s’ils y sont traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues jusqu’à ce qu’une solution durable leur soit offerte.

3.7Les auteurs renvoient également à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui impose à tout État prévoyant de procéder à une expulsion l’obligation de vérifier dans chaque cas si l’intéressé court un risque réel d’être victime de torture ou de traitements inhumains ou dégradants dans le pays de destination, y compris quand il est généralement considéré que les droits de l’homme y sont respectés. Ils citent l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce , dans laquelle la Grande Chambre a conclu qu’il était de la responsabilité des autorités belges de ne pas se contenter de présumer que le requérant recevrait un traitement conforme aux exigences de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « la Convention européenne des droits de l’homme ») dans le pays de premier asile, la Grèce, mais au contraire de s’enquérir, au préalable, de la manière dont les autorités grecques appliquaient la législation en matière d’asile dans la pratique. Ce faisant, elles auraient pu constater que les risques encourus par le requérant étaient suffisamment réels et individualisés pour relever de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Les auteurs citent également l’arrêt rendu en l’affaire Tarakhel c. Suisse, dans lequel la Cour a considéré que les enfants avaient des « besoins particuliers » et une « extrême vulnérabilité » et que les structures d’accueil devaient « être adaptées à leur âge, de sorte qu’elles ne puissent “engendrer pour eux une situation de stress et d’angoisse et avoir des conséquences particulièrement traumatisantes” ».

3.8Les auteurs concluent que, dans les circonstances actuelles, à savoir, le fait qu’ils ont fui la guerre civile en République arabe syrienne et les conditions de vie déplorables des personnes qui obtiennent le statut de réfugié ou une protection subsidiaire en Bulgarie, ils courent, ainsi que leurs enfants, un risque réel d’être soumis à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant s’ils sont renvoyés en Bulgarie. Ils constituent un groupe extrêmement vulnérable et de ce fait courent un risque réel et grave de se retrouver sans abri, dans le dénuement, et de n’avoir qu’un accès limité aux soins médicaux et à la scolarité. De plus, les informations d’ordre général portent à croire qu’ils pourraient courir un autre risque, celui d’être l’objet d’une violence xénophobe qui s’exerce sans que les autorités réagissent. Par conséquent, les auteurs estiment que la Bulgarie n’est pas un pays de premier accueil approprié pour leur famille.

3.9Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes étant donné que les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne sont pas susceptibles d’appel devant les tribunaux danois.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 9 septembre 2015, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que la communication n’est pas étayée parce que les auteurs n’ont pas démontré que leur expulsion vers la Bulgarie pourrait entraîner une violation quelconque du Pacte.

4.2L’État partie décrit la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, ainsi que la législation applicable aux procédures d’asile. En ce qui concerne la recevabilité de la communication, il fait valoir que les auteurs n’ont pas démontré que leur communication était à première vue recevable au titre de l’article 7 du Pacte, car il n’a pas été établi qu’il y avait de sérieux motifs de croire qu’ils risqueraient d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient renvoyés en Bulgarie. L’État partie considère par conséquent que la communication est manifestement dénuée de fondement et devrait être déclarée irrecevable.

4.3Pour ce qui est du fond, l’État partie avance que les auteurs n’ont pas montré en quoi leur retour en Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, qui a établi que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne de leur territoire ou la transférer par d’autres moyens si cette mesure a pour conséquence nécessaire et prévisible d’exposer la personne concernée à un risque réel de préjudice irréparable, tel que les traitements visés à l’article 7 du Pacte, que ce soit dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout autre pays vers lequel la personne pourrait être renvoyée par la suite. Le Comité a également établi qu’un tel risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. L’État partie indique que les obligations que lui impose l’article 7 du Pacte sont reprises dans le paragraphe 2 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’un permis de séjour doit être délivré à un étranger si celui-ci risque la peine capitale ou risque d’être victime de torture ou de mauvais traitements s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

4.4L’État partie souligne que les auteurs n’ont apporté au Comité aucun élément nouveau qui n’ait pas déjà été examiné par la Commission de recours des réfugiés. Il rappelle que celle-ci a estimé que les auteurs relevaient du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers mais que c’est la Bulgarie, étant donné qu’elle leur avait déjà accordé le statut de réfugié, qui devait être considérée comme le pays de premier asile. L’État partie ajoute que la Commission de recours des réfugiés exige comme garantie minimale absolue que le demandeur d’asile ou le réfugié soit protégé contre le refoulement. Il faut aussi qu’il lui soit possible d’entrer légalement dans le pays de premier asile et d’y avoir sa résidence légale et la protection de l’intégrité et de la sécurité de sa personne doit être assurée. Cette notion de protection a également une dimension sociale et économique puisque les demandeurs d’asile doivent être traités conformément aux principes fondamentaux des droits de l’homme. On ne saurait toutefois exiger que les demandeurs d’asile concernés aient exactement le même niveau de vie que les nationaux. Ce qui est essentiel dans la notion de protection, c’est que la sécurité personnelle des intéressés doit être assurée, aussi bien quand ils entrent dans le pays de premier asile que quand ils y demeurent.

4.5De plus, l’État partie rappelle que la Commission de recours des réfugiés, se fondant sur les récits détaillés faits par les auteurs de leur séjour et de leurs conditions de vie en Bulgarie, sur les informations d’ordre général disponibles et sur la jurisprudence internationale applicable, a considéré que les auteurs ne courraient pas de risque d’être expulsés de Bulgarie, que la sécurité de leur personne y serait assurée dans la mesure nécessaire et que les conditions financières et sociales seraient appropriées. La Commission de recours des réfugiés a pris en considération un rapport publié par le HCR en décembre 2013 et a estimé que les conditions socioéconomiques en Bulgarie étaient suffisantes pour permettre aux auteurs d’obtenir l’aide et l’appui nécessaires, et qu’ils auraient les mêmes droits que les nationaux. De plus, elle a indiqué que, même si elles étaient difficiles, ces conditions n’étaient pas de nature à empêcher que la Bulgarie soit le pays de premier asile.

4.6En ce qui concerne l’argument des auteurs, selon qui, il n’y a pas de programme d’intégration en Bulgarie, l’État partie signale que, le 25 juin 2014, les autorités bulgares ont rendu public un nouveau programme d’intégration, qui devait être mis en œuvre en 2015 et dont un plus grand nombre de personnes bénéficieraient ; ce programme prévoit des cours de langue pour un plus grand nombre de bénéficiaires que le programme précédent. L’État partie souligne que, dans le plan d’action national de 2014 en faveur de l’intégration des réfugiés, les autorités bulgares ont défini huit domaines de priorité, dont l’accès à la formation, à l’emploi, aux soins de santé et au logement ainsi que l’aide aux personnes ayant des besoins particuliers et aux mineurs non accompagnés. Il ajoute que l’éventualité que les auteurs ne bénéficient pas d’un programme d’intégration effectif ne suffit pas pour conclure que la Bulgarie ne peut pas être leur pays de premier asile.

4.7En ce qui concerne le rapport de Human Rights Watch cité par les auteurs, l’État partie fait observer que, même si cette organisation indique que les autorités bulgares cessent de verser l’allocation mensuelle accordée aux demandeurs d’asile quand ceux-ci ont obtenu un titre de séjour, elle relève aussi que les conditions de vie dans les centres d’hébergement se sont améliorées et que beaucoup de résidents sont autorisés à y rester plus longtemps après avoir obtenu le statut de réfugié ou une protection humanitaire s’ils n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins. L’État partie se réfère aussi aux informations d’ordre général disponibles, dont il ressort que la qualité de l’hébergement fourni aux demandeurs d’asile et aux bénéficiaires d’une protection lorsqu’ils quittent les centres pour demandeurs d’asile dépend de leur emploi et de leurs revenus, mais aussi de leur situation de famille. Il fait observer que, en général, les logeurs se montrent mieux disposés à l’égard des familles avec de jeunes enfants. Il souligne qu’aucun cas de famille qui aurait été obligée de quitter un centre pour demandeurs d’asile sans qu’un logement ou de l’argent pour payer un loyer leur ait été procuré n’a jamais été signalé.

4.8En ce qui concerne les allégations des auteurs, qui affirment qu’en Bulgarie ils n’auraient pas accès aux soins de santé, l’État partie répond que les réfugiés ont accès aux services de santé dans les mêmes conditions que les nationaux et qu’ils sont soignés gratuitement s’ils sont inscrits auprès d’un médecin généraliste. Au vu des informations d’ordre général disponibles, l’État partie considère donc comme un fait que les auteurs auront accès en Bulgarie aux services de santé et aux traitements médicaux dont ils ont besoin.

4.9À l’argument des auteurs, qui affirment que leurs enfants ne pourront pas être scolarisés en Bulgarie, l’État partie répond que les demandeurs d’asile âgés de moins de 18 ans ont accès à l’école gratuite dans les mêmes conditions que les nationaux, après avoir suivi avec succès un cours de langue.

4.10En ce qui concerne le risque d’être exposés à des agressions racistes, l’État partie indique que les auteurs peuvent solliciter la protection des autorités bulgares, qui ont déjà pris des mesures pour lutter contre de tels faits. Il renvoie à un rapport du HCR qui signale que, en février 2014, à la suite d’une attaque contre une mosquée, les autorités bulgares ont arrêté 120 individus, preuve qu’elles s’occupent des agressions et discours racistes et les condamnent.

4.11En ce qui concerne l’allégation des auteurs qui prétendent que, s’ils sont expulsés vers la Bulgarie, ils n’auront pas accès à un logement et devront probablement vivre dans la rue sans pouvoir bénéficier d’un niveau de vie minimum, l’État partie renvoie à l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie. Danscet arrêt, la Cour a déclaré que, pour apprécier le risque d’une violation éventuelle de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle se devait d’appliquer des critères rigoureux et d’analyser la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de cette disposition de la Convention. Elle a aussi rappelé que le simple renvoi d’une personne vers un pays où sa situation économique serait pire que dans l’État partie qui l’expulse ne suffit pas à atteindre le seuil des mauvais traitements prohibés par l’article 3. Elle a affirmé que l’article 3 ne saurait être interprété comme obligeant les États parties à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction et que l’on ne saurait en tirer un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie. En outre, la Cour a indiqué que, en l’absence de considérations humanitaires exceptionnellement impérieuses militant contre l’expulsion, le fait qu’en cas d’expulsion de l’État contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de ses conditions de vie matérielles et sociales n’était pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3. De plus, l’État partie considère que l’on ne peut inférer de l’arrêt rendu par la Cour en l’affaire Tarakhel c. Suisse qu’il devrait obtenir des garanties individuelles de la part des autorités bulgares dans la présente affaire, puisque celle-ci concerne le transfert d’une famille qui a obtenu une protection subsidiaire en Bulgarie alors que, dans l’affaire Tarakhel, la demande d’asile des requérants était encore en instance en Italie quand leur requête avait été examinée par la Cour.

4.12L’État partie fait en conséquence valoir que, pour rendre sa décision, la Commission de recours des réfugiés avait tenu compte de tous les éléments pertinents, et que la communication ne contient aucun nouvel élément d’information précis au sujet de la situation des auteurs. Il rappelle la jurisprudence constante du Comité, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation qu’a faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Dans le cas d’espèce, les auteurs cherchent à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel et procède à un nouvel examen des éléments de fait invoqués à l’appui de leur demande d’asile. Il n’y a pas matière à remettre en cause l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés, qui a conclu que les auteurs n’avaient pas montré qu’il existait des motifs sérieux de croire qu’ils risqueraient d’être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie. Dans ces conditions, l’État partie affirme que l’expulsion des auteurs vers la Bulgarie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans leurs commentaires en date du 25 novembre 2015, les auteurs ont soutenu que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Ils estiment que leurs griefs sont dûment étayés et affirment qu’ils seraient exposés à des traitements inhumains et dégradants car ils seraient contraints de vivre dans la rue, sans possibilité d’avoir un logement et de quoi manger, sans accès à des services de santé et sans aucune perspective de trouver une solution humanitaire à long terme.

5.2Les auteurs considèrent que la Bulgarie ne peut pas être leur pays de premier asile. Ils font valoir que certaines conditions doivent être réunies pour pouvoir être un pays de premier asile : les auteurs doivent être protégés contre le refoulement ; ils doivent pouvoir se déplacer à l’intérieur du pays et y séjourner légalement, et leur droit à l’intégrité de leur personne doit être protégé. Ils soulignent que la notion de protection comporte une dimension sociale et financière et que leurs droits fondamentaux doivent être garantis. Ils se réfèrent à la Convention relative au statut des réfugiés − chapitres II à V − et à la conclusion no 58 (XL) du HCR, dans laquelle celui-ci a souligné que, avant de renvoyer des demandeurs d’asile ou des réfugiés dans un pays où ils ont obtenu une protection, il faut s’assurer qu’ils y seront « traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues » (par. f) ii)). Ils font valoir que les réfugiés doivent au minimum obtenir un logement et pouvoir accéder à un travail rémunéré ou recevoir une allocation jusqu’à ce qu’ils trouvent un emploi. Ils ajoutent que les informations d’ordre général les plus récentes concernant les réfugiés qui disposent d’un titre de séjour temporaire en Bulgarie portent à croire qu’ils ne bénéficieraient pas de la protection nécessaire.

5.3Les auteurs relèvent que l’État partie n’a pas contesté le fait qu’ils sont restés dans un centre de détention pendant environ vingt-trois jours, puis qu’ils ont été transférés dans un centre pour demandeurs d’asile où ils sont restés environ trois mois, vivant dans des conditions déplorables. Ils rappellent que, quand ils ont quitté le centre d’accueil, personne ne leur a expliqué où ils devaient aller ni comment ils devaient faire pour se loger et se nourrir ; ils ont réussi à trouver une chambre temporaire avec une petite cuisine et payaient le loyer avec l’argent que leur famille leur envoyait, car ils ne recevaient aucune aide financière des autorités bulgares. D’autres réfugiés avec lesquels ils étaient en contact leur avaient dit qu’il était impossible de trouver un travail. Les deux auteurs ont des problèmes de santé mais n’ont jamais reçu de traitement médical en Bulgarie.

5.4Les auteurs affirment de nouveau que, en Bulgarie, les réfugiés n’ont pas accès au logement, au travail ni aux prestations sociales, et pas davantage aux soins de santé et à l’éducation. Ils citent un rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, qui indique que le dispositif d’appui à l’intégration des réfugiés et des autres bénéficiaires d’une protection internationale souffre toujours de lacunes graves et inquiétantes, tenant principalement à l’insuffisance du financement prévu. En conséquence, les réfugiés et autres bénéficiaires d’une protection internationale ont de graves problèmes d’intégration qui menacent leur jouissance des droits économiques et sociaux. Ils courent un risque élevé de se retrouver sans abri et d’avoir des difficultés pour accéder aux services de soins de santé ; leur taux de chômage est élevé et ils n’ont pas de réelles possibilités d’accéder à l’éducation. Ils sont également exposés à des infractions motivées par la haine. Dans son rapport, le Commissaire indique également que, même si elles ont apparemment la possibilité de rester dans les centres d’accueil tant qu’elles n’ont pas les moyens de subvenir à leurs besoins, les personnes ayant obtenu le statut de réfugié ne peuvent en réalité y rester que six mois. Il y a des allégations de corruption du personnel des centres d’accueil, dont on dit qu’il extorque de l’argent aux familles en échange du droit de rester. Les auteurs estiment que ces problèmes vont persister longtemps. Ils citent également un rapport d’Amnesty International où il est indiqué que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile restent préoccupantes, bien que les conditions de vie dans les centres d’accueil se soient en partie améliorées, notamment en ce qui concerne l’alimentation, l’hébergement et l’accès aux soins de santé et aux produits sanitaires. Il est en outre indiqué que les mesures de prévention et d’investigation des infractions motivées par la haine étaient insuffisantes.

5.5Les auteurs soutiennent en outre que les conditions de vie en Bulgarie sont plus mauvaises pour les bénéficiaires d’une protection internationale qui sont renvoyés dans le pays car ils semblent être exclus des centres d’accueil parce qu’ils y ont séjourné à leur arrivée et qu’ils en sont partis. Par conséquent, les auteurs n’auront pas de logement adéquat et ne pourront pas recevoir les traitements médicaux nécessaires. Eux-mêmes et leurs enfants seront exposés à des conditions de vie précaires, ne bénéficieront pas de l’aide sociale et n’auront aucune perspective de solution humanitaire à long terme. Ils se retrouveront dans un état de privation et de marginalisation du fait du « degré zéro de la politique d’intégration des réfugiés » en Bulgarie.

5.6En ce qui concerne le renvoi par l’État partie à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. Pays-Bas et Italie, citée par l’État partie, les auteurs font valoir que la question en l’espèce n’est pas le fait que les réfugiés en Bulgarie connaissent une dégradation importante de leurs conditions de vie matérielles et sociales, mais que les conditions de vie actuelles dans ce pays ne sont pas conformes aux normes humanitaires de base requises dans la conclusion no 58 (XL) du Comité exécutif du HCR. Les auteurs font aussi valoir que, compte tenu de leur expérience en Bulgarie, il n’y a aucune raison de supposer que les autorités bulgares se prépareront en vue de leur retour dans le respect des normes humanitaires de base. Ils réaffirment que la décision rendue par la Cour européenne en l’affaire Tarakhel c. Suisse est applicable à leur cas, car les conditions de vie des bénéficiaires d’une protection internationale en Bulgarie peuvent être considérées comme semblables à celles des demandeurs d’asile en Italie, et que le principe énoncé en l’affaire Samsam  Mohammed Hussein ne suffit plus : la Cour européenne des droits de l’homme exige maintenant des garanties individuelles, en particulier pour préserver les enfants expulsés de la misère et de conditions d’hébergement éprouvantes. Ils soutiennent que le raisonnement de la Cour dans l’affaire Tarakhel à propos de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme peut être considéré comme applicable à l’article 7 du Pacte.

5.7Les auteurs renvoient aussi aux constatations adoptées dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark, dans laquelle le Comité a souligné qu’il convient d’accorder une attention suffisante au risque réel et personnel qu’encourt une personne si elle est expulsée. Ils affirment que cela suppose de procéder à une évaluation individualisée du risque encouru et non de se fonder sur des informations d’ordre général et sur l’hypothèse que, puisqu’ils avaient bénéficié d’une protection subsidiaire par le passé, les auteurs auraient en principe le droit de travailler et de recevoir des prestations sociales.

5.8Enfin, les auteurs soutiennent que, en tant que réfugiés nouvellement reconnus, ils ont besoin d’un appui supplémentaire pour s’établir dans un pays d’asile, car ils n’ont pas de réseaux culturels ou sociaux. Ils ajoutent qu’une attention particulière doit être accordée au fait qu’ils ont trois enfants mineurs, qu’ils souffrent de pathologies graves et ont besoin de médicaments, et qu’ils n’ont jamais reçu la moindre aide de la part des autorités pendant leur premier séjour en Bulgarie, où ils n’ont aucune possibilité d’exercer les droits économiques et sociaux les plus élémentaires. Ils ajoutent qu’il se peut, en conséquence, qu’ils n’aient d’autre choix que celui de retourner en République arabe syrienne, ce qui rendrait illusoire leur droit au non-refoulement prévu par le droit international des réfugiés. Ils font valoir également que, indépendamment de la législation bulgare relative à l’accès officiel aux prestations sociales, aux soins de santé et à l’éducation, des informations d’ordre général pertinentes indiquent que les réfugiés risquent de se retrouver sans abri et dans la misère. Ils affirment en outre que la Commission de recours des réfugiés n’a pas accordé l’attention voulue au risque réel et personnel qu’ils encourraient s’ils étaient renvoyés en Bulgarie, et qu’elle n’a pas tenu compte du fait qu’ils n’ont reçu aucune assistance des autorités bulgares et que, s’ils ne s’étaient pas retrouvés à vivre dans la rue, c’est uniquement parce qu’ils avaient reçu de l’argent de leur famille. De plus, ladite Commission n’a pas pris contact avec les autorités bulgares pour s’assurer que les auteurs et leurs enfants seraient reçus dans des conditions propres à garantir la protection de leurs droits.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1En date du 27 avril 2016, l’État partie a fait parvenir des observations complémentaires, dans lesquelles il se réfère d’une manière générale à ses observations du 9 septembre 2015. Il réaffirme que les auteurs n’ont pas apporté d’éléments suffisants pour étayer leur plainte aux fins de la recevabilité et que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il réaffirme également que, si le Comité devait déclarer la communication recevable, il devrait conclure qu’elle n’est pas étayée car les auteurs n’ont pas montré qu’il y avait violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

6.2L’État partie considère que la jurisprudence du Comité dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark ne s’applique pas à la présente affaire parce que les circonstances sont différentes. L’affaire Jasin portait sur l’expulsion vers l’Italie d’une mère seule et de ses enfants mineurs dont le permis de séjour en Italie avait expiré, alors que la présente affaire concerne l’expulsion vers la Bulgarie d’un couple marié et de leurs enfants mineurs, tous en possession de permis de séjour valables quand ils ont demandé l’asile.

6.3L’État partie indique aussi que la Commission de recours des réfugiés a tenu compte de tous les renseignements apportés par les auteurs, qui étaient fondés sur ce qu’ils avaient vécu. De plus, la documentation générale consultée par la Commission provient d’une grande diversité de sources et elle est examinée au regard des déclarations faites par les demandeurs d’asile, y compris le récit de leur vécu. L’État partie souligne que, en l’espèce, les auteurs avaient eu la possibilité de faire des déclarations oralement et par écrit devant les autorités danoises et que la Commission de recours des réfugiés a examiné leur cas de façon approfondie en se fondant sur ces déclarations.

6.4L’État partie note en outre que rien n’indique que les auteurs aient jamais essayé de demander de l’aide aux autorités bulgares ; au contraire, ils sont parvenus à trouver eux‑mêmes un logement à Sofia ainsi qu’à subvenir à leurs besoins avant de quitter la Bulgarie. En ce qui concerne le fait que les auteurs n’aient pas pu trouver de travail pendant les deux mois où ils sont restés en Bulgarie après avoir obtenu un permis de séjour, l’État partie estime qu’il ne s’agit pas non plus d’un facteur qui pourrait conduire à une évaluation différente. D’après les renseignements qu’ils ont donnés, les auteurs n’ont pas sollicité les autorités pour obtenir une aide dans ce domaine non plus. En outre, il n’est pas raisonnable d’exiger que qui que ce soit obtienne un emploi dans un délai aussi bref. L’État partie note aussi que les auteurs mentionnent les difficultés rencontrées par d’autres réfugiés pour trouver du travail mais qu’eux‑mêmes n’ont pas recherché un emploi. Quant à l’allégation des auteurs, selon qui M. A. S. avait été menacé par des individus qui lui avaient dit qu’il devait quitter le pays, l’État partie note que les auteurs ne se sont pas adressés aux autorités pour demander une protection.

6.5Pour ce qui est de l’affaire Tarakhel invoquée par les auteurs, l’État partie considère que l’on ne peut en inférer que des garanties individuelles doivent être obtenues des autorités bulgares avant de procéder à un renvoi. L’affaire en questionconcernait une famille ayant sollicité l’asile en Italie et n’est pas comparable avec le cas d’espèce, car les auteurs ont déjà obtenu une protection subsidiaire en Bulgarie. L’État partie estime en outre que l’affaire Tarakhel, qui portait spécifiquement sur les conditions d’accueil et d’hébergement de familles avec de jeunes enfants en Italie, ne peut être invoquée pour exiger d’autres États qu’ils apportent des garanties individuelles à des familles lorsque celles-ci ont déjà obtenu une protection subsidiaire et lorsque la documentation disponible ne permet pas de supposer que des étrangers risquent de subir des mauvais traitements contraires à l’article 7 du Pacte, du fait des conditions générales dans le pays.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief de violation de l’article 7 du Pacte n’est pas étayé. Il considère toutefois qu’aux fins de la recevabilité, les auteurs ont suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles ils craignent que leur renvoi de force en Bulgarie ne les expose au risque de subir des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief des auteurs, qui affirment que leur expulsion avec leurs trois enfants vers la Bulgarie, en vertu du principe du pays de premier asile énoncé dans le Règlement de Dublin, les exposerait à un préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte. Leur argumentation repose notamment sur le traitement qu’ils ont reçu quand ils sont arrivés en Bulgarie et après avoir obtenu un permis de séjour ainsi que sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie. Le Comité prend note de l’argument des auteurs, qui affirment qu’ils se retrouveraient sans abri, dans la misère, sans accès aux soins de santé et sans que la sécurité de leur personne soit garantie, comme le démontre ce qu’ils ont vécu après avoir obtenu une protection subsidiaire en octobre 2013. Le Comité note en outre que les auteurs affirment que, étant donné qu’ils ont déjà bénéficié du système d’accueil quand ils sont arrivés en Bulgarie et qu’ils ont obtenu une certaine forme de protection, ils ne pourraient plus être hébergés dans les centres d’accueil.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il est fait référence à l’obligation faite aux États parties de ne pas « extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable », tel que le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants (par. 12). Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour établir qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les éléments de preuve en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

8.4Le Comité note que la Commission de recours des réfugiés a conclu que la Bulgarie devrait être considérée comme pays de premier asile des auteurs, et que l’État partie fait valoir que, si le pays de premier asile est tenu de garantir aux demandeurs d’asile le respect des droits fondamentaux, il n’est pas exigé que ces personnes jouissent des mêmes conditions sociales et du même niveau de vie que les nationaux du pays. Il note aussi que l’État partie renvoie à une décision de la Cour européenne des droits de l’homme indiquant que le fait que, en cas d’expulsion de l’État contractant − le Danemark −, le requérant connaîtrait une dégradation importante de ses conditions de vie matérielles et sociales, n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

8.5Le Comité prend également note du fait que les auteurs affirment avoir été placés en détention à leur arrivée en Bulgarie et y être restés pendant vingt-trois jours environ, pendant lesquels ils ont subi des violences et des traitements dégradants, et qu’ils ont été transférés dans un centre d’accueil où ils ont vécu pendant environ trois mois, dans des conditions déplorables. Il note aussi que les auteurs affirment que leur fils, Y, a été maltraité par la police dans le centre d’accueil et qu’ils ne recevaient pas l’alimentation adaptée à l’âge de leur plus jeune enfant. Le Comité note en outre que les auteurs ont ensuite été transférés dans un autre centre d’accueil à Sofia, où ils sont restés environ trois mois jusqu’à ce qu’ils reçoivent un permis de séjour, après quoi on leur a dit de partir sans leur offrir d’autre mode d’hébergement.

8.6Cela étant, le Comité relève que, étant donné que les auteurs ont à présent un permis de séjour, il est peu probable qu’ils soient placés en détention à leur arrivée, comme cela avait été le cas lorsqu’ils sont entrés sans autorisation en Bulgarie en juillet 2013. Les auteurs ne seraient pas non plus tenus de résider dans une structure d’accueil gérée par l’État. Aussi, le Comité ne juge pas probable que les auteurs subissent de nouveau le même traitement très dur que celui que leur avaient infligé les autorités chargées de la détention lorsqu’ils sont entrés en Bulgarie la première fois. Il est plus pertinent de tenir compte, aux fins de la présente analyse des risques, des conditions dans lesquelles les auteurs ont vécu à Sofia après avoir reçu leur permis de séjour, le 14 octobre 2013, car les auteurs se trouveront probablement, à leur retour en Bulgarie, dans une situation similaire sur le plan juridique et dans les faits.

8.7Le Comité note à cet égard que les auteurs affirment avoir réussi à trouver un logement à Sofia dont ils payaient le loyer avec de l’argent envoyé par leur famille. Il note aussi que les auteurs affirment qu’ils ne se sentaient pas en sécurité en Bulgarie, que M. A. S. avait été harcelé et menacé par des inconnus et que les auteurs et leurs enfants souffrent d’angoisse à cause de ce qu’ils ont vécu dans ce pays. Il prend note en outre de l’allégation des auteurs, qui affirment avoir quitté la Bulgarie et être allés au Danemark parce qu’ils craignaient pour leur sécurité et à cause des conditions de vie difficiles en Bulgarie.

8.8Le Comité prend également note de l’allégation des auteurs, qui affirment que, puisqu’ils ont obtenu le statut de réfugié, ils n’auraient pas accès, à leur retour en Bulgarie, aux centres d’accueil dont ils ont déjà bénéficié lorsqu’ils sont arrivés dans le pays, ni à un logement social ou un hébergement provisoire en foyer. Il note que, selon les auteurs, ceux‑ci : a) se trouveraient dans une situation socioéconomique précaire parce qu’ils n’auraient pas accès à une aide financière ou sociale ni à des programmes d’intégration pour réfugiés ; b) n’auraient pas accès à l’emploi ; c) ne seraient pas en mesure de trouver un logement faute de ressources et de revenus ; d) en conséquence, se retrouveraient sans abri et seraient obligés de vivre dans la rue avec leurs enfants.

8.9Le Comité prend également note des différents rapports cités par les auteurs qui mettent en évidence l’absence de programme d’intégration effectif pour les réfugiés en Bulgarie et les grandes difficultés d’ordre pratique auxquelles ceux-ci se heurtent pour avoir accès à un logement, à un travail et à des prestations sociales, y compris aux soins de santé et à l’éducation. Il prend note en outre des informations d’ordre général indiquant qu’il manque des places dans les centres d’accueil pour les demandeurs d’asile et les personnes renvoyées en application du Règlement de Dublin, et que les conditions sanitaires y sont souvent mauvaises. Il relève que les personnes renvoyées qui, comme les auteurs, ont déjà obtenu une forme de protection et sont passées par un centre d’accueil en Bulgarie peuvent prétendre à un hébergement dans les centres pour demandeurs d’asile pendant six mois seulement après leur admission au bénéfice d’une protection et que, bien que les bénéficiaires d’une protection aient le droit de travailler et jouissent de droit sociaux en Bulgarie, le système social du pays ne permet en général pas de répondre aux besoins de toutes les personnes nécessitant une assistance, compte tenu en particulier de la situation socioéconomique actuelle.

8.10Cela étant, le Comité note que, d’après l’État partie, la législation bulgare garantit aux personnes ayant le statut de réfugié ou ayant obtenu une protection en Bulgarie les mêmes droits que les Bulgares d’accéder à plusieurs services sociaux importants, dans les mêmes conditions, et, bien que des difficultés se posent dans la mise en œuvre de ces droits, la Bulgarie prend des mesures pour améliorer ses politiques relatives à l’intégration des réfugiés. Il prend note aussi de l’argument de l’État partie qui soutient que, quand ils étaient en Bulgarie, les auteurs n’ont pas demandé d’aide pour trouver un logement et un emploi. En ce qui concerne les allégations des auteurs, qui affirment n’avoir reçu aucune assistance médicale, le Comité note que, d’après les informations communiquées par l’État partie, les réfugiés ont accès aux services de soins de santé dans les mêmes conditions que les Bulgares et peuvent être soignés gratuitement si, moyennant une somme modique, ils s’inscrivent auprès d’un médecin généraliste. Il relève que les auteurs n’ont apporté aucune information ou explication quant au point de savoir s’ils se sont inscrits auprès d’un médecin généraliste, et qu’ils n’ont pas fait valoir aux autorités danoises de l’immigration que leur état de santé devrait interdire leur expulsion.

8.11Pour ce qui est des allégations de violences xénophobes, le Comité note que l’État partie affirme, en se fondant sur la décision de la Commission de recours des réfugiés, que les auteurs n’ont pas, après leur départ du centre d’accueil, été traités de manière agressive par les autorités bulgares, dont ils n’ont pas sollicité la protection lorsque M. A. S. a été victime d’actes de racisme commis par des particuliers. Il note également que les auteurs n’ont pas porté plainte auprès des autorités pour les mauvais traitements qu’ils disent avoir subis pendant leur arrestation et en détention. Il considère donc que, s’ils ne font pas confiance aux autorités bulgares, les auteurs n’ont pas démontré que celles-ci ne sont ni capables de leur assurer une protection appropriée ni disposées à le faire.

8.12Le Comité observe que, s’il est certes difficile dans la pratique pour les réfugiés et les bénéficiaires d’une protection subsidiaire d’avoir accès au marché du travail ou à un logement, les auteurs n’ont pas apporté d’élément étayant l’existence d’un risque réel et personnel qu’ils encourront s’ils retournent en Bulgarie. À ce sujet, ils n’ont pas démontré qu’ils étaient sans abri avant de quitter la Bulgarie ; ils ne vivaient pas dans la rue et leur situation de parents de trois enfants doit être distinguée de celle de l’auteure dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark, laquelle concernait une mère célibataire qui souffrait d’une maladie, avait trois enfants mineurs, et dont le permis de séjour avait expiré. Le fait qu’ils puissent rencontrer de grandes difficultés à leur retour, eu égard aux traumatismes subis par le passé par tous les membres de la famille, en particulier les enfants, ne signifie pas nécessairement, en soi, qu’ils se trouveraient dans une situation de vulnérabilité particulière − et notablement différente de celle de nombreuses autres familles − telle qu’il faudrait conclure que leur renvoi en Bulgarie constituerait un manquement aux obligations qui incombent à l’État partie au regard de l’article 7 du Pacte.

8.13Le Comité considère en outre que, même s’ils contestent la décision des autorités de l’État partie de les renvoyer en Bulgarie, pays de premier asile, les auteurs n’ont pas expliqué en quoi cette décision était manifestement déraisonnable ou arbitraire. Ils n’ont pas non plus fait valoir une quelconque irrégularité dans les procédures engagées devant le Service danois de l’immigration et par la Commission de recours des réfugiés. En conséquence, le Comité ne saurait conclure que le renvoi des auteurs en Bulgarie constituerait un violation de l’article 7 du Pacte.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi des auteurs en Bulgarie ne constituerait pas une violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte. Il veut croire que l’État partie informera dûment les autorités bulgares du renvoi des auteurs, de sorte que ceux-ci et leurs enfants soient pris en charge d’une manière adaptée à leurs besoins, compte tenu notamment de l’âge des enfants.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Mauro Politi et José Santos Pais

1.Nous regrettons de ne pas pouvoir souscrire à la décision à laquelle est parvenue la majorité du Comité selon qui, le renvoi des auteurs et de leurs trois enfants en Bulgarie ne constituerait pas une violation des droits garantis par l’article 7 du Pacte.

2.Dans le cas d’espèce, les auteurs et leurs enfants ont vécu une expérience des plus traumatisante en 2013 lorsqu’ils sont arrivés en Bulgarie (par. 2.2), où ils ont été placés en détention et ont subi faim, harcèlement et traitements dégradants − ils ont même été contraints de faire une grève de la faim pour être remis en liberté. Ils ont ensuite été transférés dans un camp de réfugiés, où ils ne pouvaient pas se déplacer librement parce que la police était présente en permanence et qu’ils en avaient peur, car elle aurait frappé l’un des enfants des auteurs à plusieurs reprises (par. 2.3). L’un des auteurs a même été témoin du meurtre d’un Iraquien et a été harcelé par des Bulgares parce qu’il était étranger (par. 2.5).

3.En conséquence, les auteurs présentent maintenant des symptômes de plus en plus marqués de troubles post-traumatiques et tous deux reçoivent un traitement médical pour plusieurs affections (hypertension artérielle, maladie cardiaque, troubles du métabolisme et hernie discale). Les enfants des auteurs, déjà profondément marqués et traumatisés par la guerre civile en République arabe syrienne, ont aussi été très affectés par ce qu’ils ont vécu en Bulgarie. L’un d’eux a même fait l’objet d’une prise en charge psychologique intensive pour surmonter le traumatisme qu’il a subi en conséquence (par. 2.7). L’État partie a admis toutes ces allégations (par. 2.8).

4.Et maintenant, les auteurs et leurs enfants devront déménager une nouvelle fois, du Danemark vers la Bulgarie, soit le troisième changement de pays en très peu de temps.

5.Outre que les auteurs, et en particulier leurs enfants, devront faire face à des conditions économiques et sociales difficiles à leur retour en Bulgarie, il est peu probable que leur soit garanti, dans la pratique, l’accès à l’assistance médicale dont eux-mêmes, et tout particulièrement leurs enfants, ont tant besoin − sans compter que, alors qu’ils sont déjà extrêmement vulnérables, ils se retrouveront certainement tous sans abri, dans la misère et sans que la sécurité de leur personne soit garantie. De plus, les enfants devront faire face à des conditions d’intégration difficiles, notamment en ce qui concerne l’accès à l’éducation, comme l’a reconnu à juste titre le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (par. 3.2).

6.Il ne semble pas, de surcroît, que l’État partie ait accordé un poids suffisant au risque réel et personnel auquel les auteurs et leurs enfants seront exposés une fois qu’ils auront été expulsés. En particulier, pour apprécier s’il est ou non probable que les personnes expulsées subissent des conditions de vie équivalant à des traitements cruels, inhumains ou dégradants contraires à l’article 7 du Pacte, l’État partie aurait dû s’appuyer non seulement sur une évaluation de la situation générale dans le pays d’accueil, mais aussi sur la situation personnelle des intéressés. Cela inclut des facteurs d’accroissement de la vulnérabilité propres à ces personnes, qui peuvent transformer une situation générale tolérable pour la plupart des personnes expulsées en une situation intolérable pour certaines d’entre elles.

7.Dans son appréciation, l’État partie aurait également dû tenir compte d’éléments relatifs à l’expérience qu’ont déjà vécue les auteurs et leurs enfants en Bulgarie, éléments qui mettent en évidence les risques particuliers auxquels ils sont susceptibles d’être exposés et qui feront de leur retour dans ce pays une expérience particulièrement traumatisante et, malheureusement, pas nouvelle pour eux.

8.Enfin, l’État partie n’a pas tenu dûment compte dans son appréciation de la protection de l’intérêt supérieur des enfants des auteurs, qui aurait dû être d’une importance capitale en l’espèce.

9.En conséquence, nous estimons que le renvoi des auteurs et de leurs enfants en Bulgarie constitue une violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte.