Nations Unies

CCPR/C/124/D/2950/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2950/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

Klemetti Käkkäläjärvi et consorts (représentés par l’organisation Saami Arvuut)

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie :

Finlande

Date de la communication :

23 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

2 novembre 2018

Objet :

Droit de voter aux élections du Parlement sâme

Question(s) de procédure :

Qualité de victime ; épuisement des recours ; étaiement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à l’autodétermination ; non-discrimination ; droits politiques ; droits des minorités

Article(s) du Pacte :

1er, 25, 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif :

1er et 2

1.Les auteurs de la communication, datée du 23 mars 2016, sont Klemetti Käkkäläjärvi (auteur principal) et 24 autres personnes, dont deux sont de nationalité norvégienne et les autres de nationalité finlandaise. Ils se présentent tous comme des membres du peuple autochtone sâme. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 1er, 25, 26 et 27 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 2012. Les auteurs sont représentés par l’organisation Sami Arvuut.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les Sâmes sont un peuple autochtone vivant dans les régions septentrionales de la Finlande, de la Norvège et de la Suède et dans le nord-ouest de la Fédération de Russie. À la fin du XVIIe siècle, des chasseurs, des pêcheurs et des agents de la Couronne se sont installés dans les régions du nord de la Finlande et se sont mis à en exploiter les ressources naturelles, sur lesquelles des impôts ont commencé à être prélevés . Bien que leur culture ait considérablement évolué, les Sâmes conservent une identité culturelle propre. Les auteurs soutiennent qu’ils voient cette identité menacée et que nombre de Sâmes ont adopté la culture finlandaise ou ont été victimes de discrimination et de racisme, y compris de la part de leurs employeurs, pour avoir défendu publiquement les droits de leur peuple. Les auteurs sont des membres actifs de la communauté sâme et contribuent, à ce titre, à préserver ses traditions et sa culture.

2.2La Constitution finlandaise contient deux dispositions relatives aux Sâmes. L’article 17 dispose que le peuple autochtone sâme, les Roms et d’autres groupes ont le droit de conserver et de développer leur langue et leur culture. L’article 121 prévoit que les Sâmes disposent sur leur territoire de l’autonomie linguistique et culturelle, dans les conditions fixées par la loi.

2.3La loi no 974/1995 sur le Parlement sâme définit le fonctionnement et les compétences de cet organe. Le paragraphe 1 de l’article 5 dispose que le Parlement est chargé de veiller à la préservation de la langue et de la culture sâmes et de s’occuper des questions se rapportant au statut de peuple autochtone des Sâmes. Le paragraphe 2 de cet article prévoit que, dans les domaines relevant de ses attributions, le Parlement sâme peut prendre des initiatives, formuler des propositions à l’intention des autorités et faire des déclarations. L’article 9 dispose [traduction non officielle] :

1)Les autorités consultent le Parlement sâme au sujet de toutes les mesures importantes susceptibles d’avoir une incidence directe et particulière sur le statut du peuple sâme en tant que peuple autochtone et qui concernent le territoire sâme en ce qu’elles relèvent des domaines ci-après :

1)L’aménagement local ;

2)La gestion, l’utilisation, la location et l’affectation des terres appartenant à l’État, ainsi que des espaces naturels et des espaces protégés ;

3)Le traitement des demandes de licence d’exploitation minière ou de dépôt de brevet concernant l’extraction minière ;

4)La modification des dispositions législatives et administratives régissant les activités propres à la culture sâme ;

5)Le développement de l’enseignement du sâme, et en sâme, dans les écoles, et l’emploi du sâme par les services de santé et les services sociaux ;

6)Toute autre question relative à la langue et la culture sâmes ou au statut des Sâmes en tant que peuple autochtone.

2)Aux fins de s’acquitter de son obligation de consultation, l’autorité compétente dans chacun des domaines susmentionnés donne au Parlement sâme la possibilité d’être entendu et de débattre des questions qui relèvent de son domaine de compétence. Le fait que le Parlement ne se prévale pas cette possibilité n’empêche en aucune manière l’autorité concernée de prendre les mesures qu’elle juge opportunes.

2.4Le Parlement sâme compte 25 membres. Il est élu tous les quatre ans et, aux termes de la loi sur le Parlement sâme, tout Sâme âgé de 18 ans révolus a le droit de voter. La commission électorale du Parlement est chargée d’établir la liste électorale, ce qu’elle fait en se basant sur la liste antérieure et sur les données issues du recensement de la population. Tout Sâme ayant le droit de vote qui n’est pas inscrit sur la liste électorale peut demander à l’être. La loi dispose que toute personne qui présente une ordonnance de la Cour administrative suprême lui reconnaissant le droit de vote, soit à la commission électorale, avant le dépouillement, soit au bureau de vote, le jour des élections, peut obtenir les documents requis pour voter. En outre, elle prévoit le droit de contester en justice les décisions prises par la commission électorale et du comité exécutif du Parlement concernant l’inscription sur la liste électorale, de sorte que c’est la plus haute juridiction de l’ordre administratif, à savoir la Cour administrative suprême, qui statue en dernier ressort sur cette question.

2.5Selon l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme, aux fins du droit de vote aux élections législatives, est Sâme toute personne qui se considère comme telle, pour autant que : 1) le sâme soit sa langue maternelle ou celle d’un au moins de ses parents ou grands‑parents ; 2) elle descende d’une personne inscrite sur les registres fonciers, fiscaux ou démographiques en tant que Lapon des montagnes, Lapon des forêts ou Lapon vivant de la pêche ; ou 3) un de ses parents au moins ait été inscrit sur une liste électorale pour les élections de la délégation sâme ou du Parlement sâme, ou ait pu l’être.

2.6L’article 3 de la loi sur le Parlement sâme est controversé. Il en ressort clairement que l’élément subjectif énoncé dans le chapeau et les éléments objectifs énoncés dans les paragraphes 1 à 3 sont cumulatifs, en ce sens qu’une personne ne peut être inscrite sur la liste électorale que si elle se considère comme Sâme et elle satisfait à au moins un des trois critères objectifs énoncés, ce qui est d’ailleurs confirmé par les arrêts de la Cour administrative suprême antérieurs à 2011. De surcroît, le paragraphe 2 de cet article n’a jamais été accepté par les Sâmes, qui estiment que les registres fiscaux ne sont pas fiables et ne permettent pas de déterminer l’origine ethnique du contribuable car toute personne pratiquant la pêche ou l’élevage des rennes dans la région y est inscrite. De fait, jusqu’en 2011, la Cour et le Parlement sâme ont considéré que le fait de satisfaire au critère énoncé au paragraphe 2 de l’article 3 ne pouvait pas en soi être considéré comme une preuve suffisante de l’appartenance d’une personne au peuple autochtone sâme.

2.7Plusieurs campagnes ont été organisées par des personnes extérieures à la communauté pour que des non-Sâmes puissent s’inscrire sur la liste électorale afin d’influencer la composition et les avis du Parlement. La commission électorale du Parlement a examiné toutes les demandes individuelles d’inscription sur la liste pour veiller à ce que soient respectés à la fois le droit à l’autodétermination du peuple sâme et les droits individuels des demandeurs.

2.8Le 26 septembre 2011, la Cour administrative suprême a prononcé quatre décisions controversées par lesquelles elle infirmait des décisions rendues par la commission électorale du Parlement sâme. La Cour a fait passer la volonté de certaines personnes d’être inscrite sur la liste électorale avant la nécessité de satisfaire aux critères objectifs définis par la loi. Jusqu’en 2011, l’interprétation qu’elle faisait de l’article 3 de la loi sur le Parlement était compatible avec celle de la commission électorale. Face à la controverse soulevée par les décisions en question, le Gouvernement a créé une commission chargée de réviser la loi sur le Parlement sâme de sorte qu’il n’y ait plus d’équivoque possible. En 2013, après avoir consulté les Sâmes, la commission s’est accordée sur une réforme, qu’elle a présentée au Parlement finlandais en 2014. Il est toutefois apparu que le projet de loi portant la réforme n’avait guère de chances d’être adopté et, en mars 2015, le Gouvernement a décidé de le retirer.

2.9Au cours des mois qui ont précédé les élections du Parlement sâme qui se sont tenues en 2015, des centaines de personnes ont demandé à s’inscrire sur la liste électorale. La commission électorale, ainsi que le comité exécutif du Parlement, en sa qualité d’organe d’appel, ont estimé que les intéressés ne satisfaisaient pas aux critères requis pour être considérés comme Sâmes. Cent quatre-vingt-deux demandeurs se sont pourvus auprès de la Cour administrative suprême contre la décision du comité exécutif. Le 30 septembre 2015, la Cour a fait droit aux requêtes de 93 d’entre eux.

2.10Dans la majorité de ses décisions, la Cour administrative suprême a reconnu que l’intéressé ne satisfaisait à aucun des critères objectifs énoncés à l’article 3. Privilégiant l’argument général du « fort sentiment d’appartenance » au peuple sâme, elle a ignoré la nécessité expresse de satisfaire à au moins un des critères objectifs, et a justifié son raisonnement en expliquant que son interprétation de la loi était plus respectueuse des droits constitutionnels et des droits de l’homme. La Cour a aussi estimé que le fait de ne pas inscrire les requérants sur la liste électorale serait constitutif de discrimination à leur égard.

2.11Les arrêts rendus par la Cour administrative suprême montrent que celle-ci ne comprend pas l’identité, la culture et le mode de vie sâmes. Nombre de ces arrêts reposent en effet sur le raisonnement selon lequel le fort sentiment d’appartenance d’une personne au peuple sâme peut être établi par des éléments qui, en réalité, ne sont guère révélateurs des liens que l’intéressé a avec la culture et le mode de vie sâmes. La Cour a estimé que l’appartenance au peuple sâme résultait d’une perception individuelle, alors que le mode de vie sâme se caractérise par l’importance accordée à la collectivité et le partage d’un patrimoine commun. Un Sâme n’existe pas seul ; il constitue un maillon de la chaîne qui relie les générations et les communautés sâmes par‑delà les frontières.

2.12La Cour administrative suprême a aussi fondé ses conclusions sur les observations finales concernant les dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques soumis par la Finlande au titre de la Convention internationale pour l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, dans lesquelles le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale disait que l’approche de l’État partie s’agissant de la définition des personnes susceptibles d’être considérées comme Sâmes au sens de la loi sur le Parlement et selon l’interprétation de la Cour était trop restrictive. Toutefois, dans ses observations finales concernant les vingtième à vingt-deuxième rapports périodiques de la Finlande, le Comité avait constaté que, si les arrêts rendus par la Cour en 2011 tenaient compte de ses précédentes observations finales, ils ne prenaient pas suffisamment en considération les droits du peuple sâme, reconnus dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, notamment le droit à l’autodétermination (art. 3), le droit de décider de sa propre identité ou appartenance conformément à ses coutumes et traditions (art. 33) et le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de sa culture (art. 8). En conséquence, le Comité avait recommandé à l’État partie de prendre dûment en considération, aux fins de la détermination de la composition du corps électoral du Parlement sâme, le droit des Sâmes à l’autodétermination concernant leur statut en Finlande, leur droit de décider eux-mêmes de leur appartenance au peuple sâme et leur droit de ne pas subir d’assimilation forcée.

2.13La Cour administrative suprême s’est arrogé le pouvoir discrétionnaire de réduire à néant la capacité du Parlement sâme d’exercer un droit pourtant fondamental pour l’autonomie et l’autodétermination du peuple sâme, à savoir le droit de participer, dans le cadre défini par la loi, à la détermination de sa composition. En s’écartant de la lettre de la loi, la Cour a créé une situation de non-droit qui est discriminatoire et arbitraire.

2.14Une fois qu’une personne est inscrite sur la liste électorale, tous ses descendants pourront aussi l’être. Par un effet boule de neige, de plus en plus de personnes qui ne partagent pas le mode de vie des Sâmes ni leur identité pourront ainsi prendre part aux élections. Aujourd’hui, 1,5 % environ des personnes inscrites sur la liste électorale l’ont été sur décision de la Cour administrative suprême ou à cause de cet effet boule de neige. Actuellement, le nombre de Sâmes se situe aux alentours de 10 000, mineurs compris. Selon les auteurs, une étude réalisée par un mathématicien a révélé qu’il y avait aujourd’hui quelque 512 000 descendants vivants de contribuables lapons. Conformément à la nouvelle interprétation adoptée par la Cour, toutes ces personnes pourraient demander à être inscrites sur la liste électorale.

2.15À cause des arrêts que la Cour administrative suprême a rendus en 2011, de nombreux Sâmes n’ont pas voté en 2015, notamment l’un des auteurs, qui, le 1er octobre 2015 a demandé à être radié de la liste électorale.

2.16Les résultats des élections ont été annoncés par la commission électorale le 6 octobre 2015. Un des candidats élus a été inscrit sur la liste électorale par l’effet d’un arrêt de la Cour administrative suprême infirmant des décisions rendues par la commission électorale et le comité exécutif du Parlement sâme. Un autre élu n’a recueilli que 81 voix, ce qui montre que, étant donné le petit nombre d’électeurs, les quatre arrêts de 2011 et les 93 arrêts de 2015 ont eu une incidence directe sur la composition du Parlement.

2.17Le 18 novembre 2015, le comité exécutif du Parlement a accueilli des demandes tendant à ce que les résultats des élections soient rectifiés au motif que la Cour administrative suprême avait eu tort d’autoriser les 93 personnes dont il est question plus haut à voter. Il a été décidé d’organiser en 2016 une nouvelle élection à laquelle participeraient les personnes inscrites sur la liste électorale approuvée le 20 août 2015 (avant les arrêts rendus par la Cour le 30 septembre 2015). Plusieurs personnes ont interjeté appel de cette décision devant la Cour. Le 13 janvier 2016, celle-ci a cassée et annulé la décision contestée au motif que le comité exécutif n’était pas compétent pour se saisir d’une affaire ou d’un point de droit qu’elle avait déjà tranchés et était lié par les arrêts qu’elles avait rendus, en conséquence de quoi la décision d’organiser de nouvelles élections était irrégulière.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les arrêts par lesquels la Cour administrative suprême a accordé le droit de vote à des personnes qui n’avaient pas été considérées comme susceptibles d’en bénéficier par les organes compétents du Parlement sâme constituent une intervention directe de l’État partie dans un domaine fondamental ayant trait à la jouissance et à l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple autochtone sâme, droit qui est protégé par l’article premier du Pacte. Les arrêts de la Cour sont en outre constitutifs d’une immixtion dans le droit qu’a le peuple sâme de définir sa propre identité. Or, il est dit au paragraphe 2 de l’observation générale no 12 (1984) du Comité, sur le droit à l’autodétermination, que ce droit est une condition essentielle de la garantie et du respect effectif des droits individuels de l’homme, ainsi que de la promotion et du renforcement de ces droits. En outre, dans l’affaire Mahuika c. Nouvelle-Zélande , le Comité a estimé que le droit à l’autodétermination était intrinsèquement lié à l’article 27 et que les États parties étaient tenus de donner aux peuples autochtones la possibilité de peser davantage sur les décisions concernant les questions touchant à leur environnement naturel, leurs moyens de subsistance et leur culture.

3.2En permettant à des non-Sâmes d’être inscrits sur la liste électorale pour les élections du Parlement sâme, la Cour administrative suprême a altéré la valeur représentative de cet organe, portant ainsi atteinte au droit des Sâmes à la participation effective aux affaires publiques. C’est pourquoi un des auteurs de la communication a demandé à être radié de la liste.

3.3Les arrêts de la Cour administrative suprême traduisent clairement un manque de compréhension de la culture et de l’identité sâmes. Or, pour que les Sâmes jouissent de l’égalité de traitement devant la loi et que la justice prenne des décisions éclairées sur les questions touchant à leur identité, les tribunaux doivent être en mesure de comprendre l’identité sâme. L’ignorance de la Cour empêche le peuple sâme de bénéficier de l’égalité devant la loi garantie à l’article 26 du Pacte.

3.4Des centaines de personnes ayant un lien de parenté avec les nouveaux électeurs pourront invoquer le paragraphe 3 de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme pour demander à être inscrites sur les listes électorales pour les futures élections, ce qui sera un pas de plus vers l’assimilation forcée des Sâmes à la population majoritaire en ce que les Finlandais de souche vivant dans les communes les plus septentrionales du pays, où les Sâmes sont minoritaires, prendront progressivement le contrôle du Parlement. Si des non‑Sâmes entrent au Parlement sâme, celui-ci deviendra un organe représentatif régional et ne représentera plus le peuple autochtone sâme. Cela constituerait une atteinte irréparable aux droits que les Sâmes tiennent du Pacte en ce que le peuple sâme verrait réduite l’autonomie qui lui est garantie par la Constitution dans les domaines se rapportant aux droits internationalement reconnus aux peuples autochtones d’avoir leur propre culture, de prendre part à la direction des affaires publiques et d’exercer leur autodétermination.

3.5L’intervention de la Cour administrative suprême fait obstacle à l’exercice, par les Sâmes, du droit d’employer leur langue et d’avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres de leur groupe. La langue, l’identité et les moyens de subsistance traditionnels des Sâmes sont menacés par la discrimination et l’assimilation forcée. Dans ce contexte, le Parlement sâme est une institution indispensable à la survie et au développement de la culture sâme. L’article 6 de la loi sur le Parlement sâme dispose que celui-ci représente le peuple sâme sur les scènes nationale et internationale. L’article 9 fait obligation à toutes les autorités de consulter le Parlement sâme sur de très nombreuses questions touchant le peuple sâme, y compris les projets qu’il est envisagé de mener sur le territoire sâme. Cela montre à quel point le bon fonctionnement du Parlement sâme et sa capacité à représenter adéquatement le peuple sâme sont essentiels au respect par la Finlande de l’article 27 du Pacte. Permettre l’inscription de non-Sâmes sur la liste électorale empêche le Parlement de s’acquitter adéquatement de son rôle, qui est de représenter les intérêts des Sâmes, et de protéger comme il se doit les droits consacrés à l’article 27 du Pacte.

3.6Dans l’affaire Diergaardt et consorts c. Namibie , le Comité a estimé que, même s’il était vieux de cent vingt-cinq ans, le lien qui rattachait la communauté des Basters de Rehoboth et les terres visées dans la communication n’était pas l’aboutissement d’une relation qui n’avait pas donné naissance à une culture particulière. Les personnes auxquelles la Cour administrative suprême a permis d’être inscrites sur la liste électorale avançaient des arguments similaires à ceux avancés par les auteurs de la communication Diergaardt: elles soutenaient qu’elles devaient être considérées comme Sâmes parce que, comme leurs ancêtres avant elles, elles vivaient dans la même région que les Sâmes.

3.7Il n’existe pas de recours internes efficaces que les auteurs peuvent épuiser. Selon l’article 26 de la loi sur le Parlement sâme, seules les personnes qui estiment qu’elles se vont vu illégalement refuser l’inscription sur la liste électorale ou dont leurs coordonnées telles qu’elles figurent sur la liste sont incorrectes peuvent saisir la Cour administrative suprême. Les arrêts rendus par la Cour sont définitifs et le Parlement sâme est tenu de les exécuter. Le Parlement sâme a invalidé les élections de 2015. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant la Cour, qui l’a annulée. La décision de la Cour étant insusceptible de recours, il n’y a pas d’autre recours utile à épuiser.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans des écritures des 8 février et 28 juillet 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité. Il souligne que l’article 121 de la Constitution garantit aux Sâmes l’autonomie linguistique et culturelle sur leur territoire. Aux fins de l’exercice de cette autonomie, les Sâmes élisent parmi eux les membres de leur parlement. Il y a quelque 10 000 Sâmes en Finlande, dont 6 000 sont inscrits sur la liste électorale. Le Parlement sâme n’est pas une institution de l’État ; c’est une institution indépendante dotée de la personnalité morale qui défend non pas l’intérêt général, mais les intérêts du peuple sâme.

4.2Le 28 mars 2017, le Comité a déclaré irrecevable une communication présentée par Tiina Sanila-Aikio au titre de l’article premier du Pacte. L’État partie estime qu’il devrait également déclarer irrecevable également la communication à l’examen. Au paragraphe 3.1 de son observation générale no 23 (1994) sur les droits des minorités, le Comité a dit que le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes ne pouvait pas être invoqué au regard du Protocole facultatif, principe qu’il a réaffirmé dans les conclusions adoptées concernant la communication Lubicon Lake Band c. Canada. En conséquence, les griefs soulevés au titre de l’article premier ne saurait être examinés seuls.

4.3La communication a été soumise au nom de 25 auteurs, dont 23 Finlandais et 2 Norvégiens. Des 23 auteurs finlandais, 22 sont inscrits sur la liste électorale actuelle, et l’auteur principal s’en est fait radier. Deux des auteurs sont actuellement membres du Parlement sâme. Au nom des membres du peuple autochtone sâme de Finlande et avec l’autorisation du comité exécutif du Parlement sâme, la Présidente en exercice de cette institution, Mme Sanila-Aikio, a présenté une communication (no 2668/2015) ayant le même objet que la communication à l’examen. L’État partie affirme que, si le Comité décide que Mme Sanila-Aikio est autorisée à représenter le peuple autochtone de Finlande, alors les 23 auteurs finlandais de la communication sont également concernés par la communication présentée par Mme Sanila‑Aikio, auquel cas la communication à l’examen est irrecevable à leur égard étant donné qu’ils ne peuvent pas saisir deux fois le même mécanisme des mêmes faits.

4.4Une communication ayant le même objet a été présentée au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale par deux membres du Parlement sâme et d’autres auteurs. L’État partie rappelle que, selon l’article 86 g) du Règlement intérieur du Comité, la communication devrait donc être déclarée irrecevable au motif qu’elle porte sur une question qui est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.5Les auteurs n’ont fait mention d’aucune voie de recours interne qu’ils ont épuisée. En outre, ils n’étaient pas véritablement parties à la procédure qui a abouti aux arrêts rendus par la Cour administrative suprême les 26 septembre 2011, 30 septembre 2015 et 13 janvier 2016. Étant donné que la communication est selon toute apparence soumise au nom du peuple sâme dans son ensemble, elle relève de l’actio popularis. De surcroît, les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes et n’ont donc pas respecté l’obligation prévue au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Comme la Cour administrative suprême constitue la plus haute juridiction d’appel de l’ordre administratif interne, ses arrêts sont insusceptibles d’appel, mais il est toutefois possible, à titre de recours extraordinaire, de lui demander d’annuler une de ses décisions.

4.6Les griefs soulevés dans la communication se rapportent à des violations indirectes, voire hypothétiques, des droits du peuple sâme en général. Les auteurs ne se plaignent pas d’une quelconque violation de leurs droits individuels, ne démontrent pas qu’ils ont été directement touchés par les violations alléguées du Pacte et ne fournissent aucune preuve documentaire à l’appui de leurs allégations. L’État partie estime donc qu’ils n’ont pas étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité.

4.7 La Cour administrative suprême a procédé à un examen approfondi du statut particulier et des droits des Sâmes à la lumière des obligations mises à la charge de la Finlande par le Pacte. Il n ’ appartient pas au Comité de réévaluer les faits qui ont conduit une juridiction nationale à adopter une décision plutôt qu ’ une autre, ni de remettre en cause les constatations et les conclusions des tribunaux internes.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité

5.1Dans des écritures du 19 septembre 2017, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent que Mme Sanila-Aikio ne peut pas agir au nom du Parlement sâme ou du peuple sâme sans autorisation écrite et que, contrairement à ce que soutient l’État partie, leur droit de soumettre une communication au Comité ne peut pas être limité par l’action de tiers. Ils font observer qu’ils n’ont pas accès aux autres communications soumises au Comité des droits de l’homme ou au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et n’ont donc pas connaissance de leur contenu, et qu’aucun d’entre eux n’est partie à l’une des deux autres procédures engagées.

5.2Malgré leur nationalité, les deux auteurs norvégiens remplissent les conditions requises pour être inscrits sur la liste électorale car ils sont domiciliés en Finlande.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, les Sâmes ne peuvent pas intervenir dans les procédures concernant l’inscription de tiers sur la liste électorale, d’autant que ces procédures sont confidentielles. En outre, le recours qui permet de demander l’annulation d’une décision de la Cour administrative suprême est un recours extraordinaire réservé aux parties à l’affaire concernée, et a de surcroît peu de chances d’aboutir car il est très exceptionnel que la Cour reconnaisse qu’elle a commis une erreur. Le Parlement sâme a interjeté appel des arrêts de 2011, mais a été débouté car aucun vice de procédure ne permettait de remettre en question le fond des décisions.

5.4En ce qui concerne l’observation de l’État partie selon laquelle les griefs sont dénués de fondement, le peuple sâme, auquel appartiennent les auteurs, a des droits collectifs. Sa survie à long terme est déjà menacée : 60 % de la population sâme vit en dehors de sa région d’origine, et 26 % seulement parle le sâme comme langue maternelle. Dans ce contexte, et étant donné que le Parlement sâme a le pouvoir d’influencer l’exercice par les Sâmes du droit de préserver et de faire vivre leur culture, les effets négatifs que l’inscription de non-Sâmes sur la liste électorale a sur les droits que les auteurs tiennent de l’article 27 du Pacte ne sont pas hypothétiques.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1L’État partie a présenté des observations sur le fond les 28 juillet et 20 novembre 2017.

6.2Le 6 octobre 2015, la commission électorale du Parlement sâme a confirmé les résultats des élections qui avaient eu lieu entre le 7 septembre et le 4 octobre 2015. Le 18 novembre 2015, le comité exécutif du Parlement sâme a toutefois ordonné la tenue de nouvelles élections sur la base de la liste électorale approuvée le 20 août 2015, estimant que les arrêts rendes par la Cour administrative suprême le 20 septembre 2015 avaient influencé le résultat des élections qui venaient de se tenir et que celles-ci ne pouvaient être considérées comme respectueuses du principe de l’autonomie culturelle garanti dans la loi sur le Parlement sâme. Or, le comité exécutif n’était pas compétent pour se saisir d’une question qui avait déjà fait l’objet d’un arrêt définitif de la Cour administrative suprême. Le 13 janvier 2016, celle-ci a donc annulé la décision qu’il avait prise et, le 23 février 2016, les membres du Parlement sâme récemment élus ont tenu leur première séance, consacrée à des questions d’organisation.

6.3Ainsi qu’il ressort de sa jurisprudence, la Cour administrative suprême s’attache à sauvegarder les droits du peuple autochtone sâme et à respecter les obligations imposées par le Pacte. Le 30 septembre 2015, faisant preuve d’une diligence exceptionnelle et après avoir entendu tant le comité exécutif du Parlement sâme que les appelants, elle a autorisé l’inscription de 93 personnes sur la liste électorale pour les élections du Parlement sâme, s’appuyant entre autres sur les articles 1er, 2 (par. 1) et 25 à 27 du Pacte et la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. L’État partie rappelle que, comme l’indique un rapport du Cabinet du Premier Ministre publié récemment, dans ses arrêts de 2011 et de 2015, la Cour a appliqué la recommandation formulée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans ses observations finales concernant les neuvième, dixième et les dix-septième à dix-neuvième rapports périodiques de la Finlande, à savoir prendre davantage en considération le sentiment d’appartenance à la communauté dans la définition des critères d’appartenance au peuple sâme.

6.4Le 8 novembre 2017 le Ministère de la justice a chargé une commission de rédiger des amendements à la loi sur le Parlement sâme en tenant compte des dispositions de la Constitution finlandaise, des traités internationaux relatifs aux droits de l’homme contraignants pour la Finlande, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de la Convention de 1989 relative aux peuples indigènes et tribaux (no 169) adoptée par l’Organisation internationale du Travail.

6.5L’État partie n’est pas en mesure d’évaluer la mesure dans laquelle les arrêts de la Cour administrative suprême ont eu une influence sur l’intégrité et la légitimité du Parlement sâme et sur le droit à des élections régulières, comme le prétendent les auteurs.

6.6Pour ce qui est de la définition des critères d’appartenance au peuple sâme, le Gouvernement tient compte du critère fondamental qu’est le sentiment d’appartenance pour déterminer si telle ou telle personne ou tel ou tel groupe de personnes est autochtone, comme prévu notamment au paragraphe 2 de l’article premier de la Convention no 169 relative aux peuples indigènes et tribaux (1989). En outre, il respecte le droit du Parlement sâme de déterminer sa composition selon les coutumes et les traditions sâmes. En conséquence, des mesures ont été prises pour protéger l’identité des Sâmes et leur droit d’avoir leur propre vie culturelle et d’employer leur propre langue, en commun avec les autres membres de leur groupe.

6.7Dans son observation générale no 25 (1996) sur le droit de tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, et le droit d’accéder aux fonctions publiques, le Comité a dit que les droits reconnus à l’article 25 étaient liés au droit des peuples de disposer d’eux-mêmes et de déterminer librement leur statut politique, mais en étaient néanmoins distincts.

6.8L’article 25 du Pacte concerne le droit des citoyens de prendre part à la direction des affaires publiques. L’État partie souligne que le droit de voter aux élections du Parlement sâme est inscrit dans la loi, et qu’il a donc pris les mesures voulues pour que toutes les personnes habilitées à voter puissent exercer ce droit.

6.9Les auteurs n’ont pas démontré qu’ils avaient été directement victimes de violations des droits garantis par le Pacte. De manière générale, l’auteur d’une communication doit démontrer en quoi il a été personnellement victime de la violation alléguée, c’est-à-dire qu’il ne lui suffit pas d’établir qu’une disposition de loi ou de politique générale est constitutive d’une violation s’il n’est pas personnellement touché par la violation en question. Or, les auteurs n’étant pas personnellement concernés par les arrêts rendus par la Cour administrative suprême, on ne saurait considérer qu’ils sont concernés par leurs conséquences.

6.10Partant, l’État partie soutient qu’aucune violation du Pacte n’a été commise en l’espèce.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 16 avril 2018, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond.

7.2Les auteurs affirment que les arrêts rendus par la Cour administrative suprême les 26 septembre 2011 et 30 septembre 2015 ont été lourds de conséquences pour le Parlement sâme et ont sérieusement entamé sa légitimité. L’interprétation que la Cour a faite de l’identité sâme est telle que les Sâmes et les Finlandais de souche ne sont plus considérés comme des peuples différents ayant chacun une culture, des origines ethniques et des moyens de subsistance propres.

7.3La Cour administrative suprême n’a pas retenu l’interprétation de l’article 27 adoptée dans l’affaire Kitok c. Suède , dans laquelle le Comité avait estimé que la limitation des droits d’un membre d’une minorité devait reposer sur des motifs raisonnables et objectifs et être nécessaire pour la survie et le bien-être de la minorité dans son ensemble. L’inscription de non-Sâmes sur la liste électorale du Parlement sâme risque de créer un précédent qui pourrait, du moins en théorie, conduire à ce que 512 000 non-Sâmes fassent partie du corps électoral de cette institution. Le Parlement sâme en viendrait ainsi progressivement à représenter les intérêts de non-Sâmes et ne jouerait plus son rôle de gardien du patrimoine linguistique et culturel sâme, ce qui aboutirait à une assimilation forcée progressive des Sâmes de Finlande. Des demandes d’inscription sur la liste électorale sâme ont déjà été présentées en vue des prochaines élections, qui auront lieu en 2019. De nombreuses organisations anti-Sâmes proposent aux Finlandais de souche de les aider dans leurs démarches, jusqu’à la saisine de la Cour administrative suprême. Il pourrait y avoir un intérêt économique à inscrire un grand nombre de non-Sâmes sur la liste électorale du Parlement sâme, en ce que cela permettrait de s’assurer que celui-ci approuve des projets à grande échelle dans les domaines de l’exploitation minière, du tourisme de masse et de la construction d’infrastructures.

7.4Le Parlement sâme est déjà en proie à un différend interne parce qu’un de ses membres n’est pas reconnu comme Sâme par la plupart de ses collègues. L’intéressé a été inscrit sur la liste électorale par l’effet d’un arrêt rendu par la Cour administrative suprême en 2011 et a été élu lors des élections de 2015. Le rôle du Parlement sâme s’en est trouvé dilué, et l’image et la légitimité de cette institution en ont souffert.

7.5Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, les auteurs ne pensent pas que la Cour administrative suprême ait tenu compte des obligations internationales de la Finlande, en particulier celles qui découlent du Pacte. Si la Cour s’est certes appuyée sur les recommandations formulées par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale dans ses observations finales concernant les dixième et dix-septième à dix-neuvième rapports de la Finlande, elle néanmoins a ignoré les recommandations figurant dans les observations finales concernant les vingtième à vingt-deuxième rapports périodiques, dans lesquelles le Comité critiquait son interprétation de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme.

7.6Les auteurs soutiennent que la Cour administrative suprême a admis des témoignages reposant entièrement sur les informations contenues dans les registres administratifs de l’État partie, notamment les registres paroissiaux et les archives publiques provinciales, or, ces registres ne sont pas fiables.

7.7La Cour administrative suprême peut annuler les décisions prises par le Parlement sâme en ce qui concerne l’inscription de non-Sâmes sur la liste électorale, ce qui constitue une violation de l’article premier du Pacte car c’est une immixtion dans l’exercice par le peuple sâme, représenté par le Parlement sâme, de son droit de déterminer lui-même sa composition.

7.8Comme la liste électorale a été compromise, les auteurs ont proposé que les critères d’appartenance au peuple sâme soient redéfinis et que la liste soit reconstituée en conséquence. Toutefois, il est très peu probable que le processus puisse être achevé avant les prochaines élections. Les auteurs font observer que, depuis 1996, neuf commissions différentes ont été chargées de se pencher sur les droits du peuple sâme, sans grands résultats. Ils estiment que, en proposant d’apporter des modifications à la loi sur le Parlement sâme, l’État admet implicitement que l’interprétation que la Cour administrative suprême a fait de l’article 3 de cette loi est contraire au Pacte.

7.9Les menaces qui pèsent aujourd’hui sur les droits que le Pacte garantit aux minorités sont différentes de celles qui existaient dans les années 1960, au moment de la rédaction de cet instrument. Il n’en reste pas moins que le Pacte a encore un rôle à jouer dans la protection de la diversité et de l’héritage culturels des minorités contre l’assimilation structurelle.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel deux membres du Parlement sâme ont soumis une communication portant sur la même question au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale et rappelle que, aux fins du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, « la même question » est une question concernant les mêmes auteurs, les mêmes faits et les mêmes droits garantis par le Pacte. Constatant que la communication qui a été présentée au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale n’émane pas des mêmes auteurs que la communication à l’examen, il conclut que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3Le Comité note que l’État partie fait valoir que l’actuelle Présidente du Parlement sâme, Mme Sanila-Aikio, lui a présenté en son nom propre une autre communication portant sur la même question que la communication à l’examen. Il rappelle que, le 28 mars 2017, il a déclaré la communication en question recevable, l’auteure l’ayant présentée en son nom propre. Cette communication n’a donc pas été présentée par les mêmes auteurs que la communication à l’examen.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, contrairement à ce qu’exige le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les auteurs de la communication n’ont pas épuisé les recours internes. Il note que c’est la Cour administrative suprême, à savoir la plus haute juridiction d’appel de l’ordre administratif, qui a infirmé les décisions par lesquelles la commission électorale avait privé certaines personnes du droit de voter. Il note également que, selon l’État partie, il est possible de former un recours extraordinaire pour demander à la Cour d’annuler une de ses décisions, et que, selon les auteurs, les Sâmes ne peuvent pas intervenir dans une procédure concernant une demande d’inclusion sur la liste électorale présentée par un tiers, le recours extraordinaire devant la Cour administrative suprême étant réservé aux parties à la procédure. Le Comité note également que les auteurs avancent que le Parlement sâme a fait appel des arrêts rendus par la Cour administrative suprême en 2011, mais a été débouté. L’État partie n’a pas contesté cet argument. Le Comité estime que l’État partie n’a pas démontré que les auteurs avaient à leur disposition un recours utile raisonnablement accessible. Partant, il estime que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication participe d’une actio popularis en ce que les auteurs tirent grief de violations indirectes, voire hypothétiques, des droits du peuple autochtone sâme en général. Il rappelle que, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif, seuls les particuliers estimant que l’un quelconque des droits qu’ils tiennent du Pacte a été violé peuvent présenter une communication. En outre, il note que, si les auteurs ont présenté la communication en leur nom propre, c’est néanmoins en tant que membres du peuple autochtone sâme et d’électeurs du Parlement sâme qu’ils ont agi. Enfin, il constate que 22 des auteurs sont inscrits sur la liste électorale, dont deux membres du Parlement sâme, tandis que trois ne le sont pas, parmi lesquels les deux auteurs norvégiens. Étant donné qu’il n’est pas allégué que ces trois auteurs ont été exclus de la liste électorale contre leur volonté et que rien ne vient indiquer que ce soit le cas, le Comité ne peut pas conclure que les intéressés sont concernés par des décisions de la Cour administrative suprême, qui portent sur une liste électorale sur laquelle ils ne figurent pas et n’ont pas demandé à figurer. Quant aux 22 auteurs inscrits sur la liste électorale, le Comité estime qu’ils peuvent être concernés par les questions liées au fonctionnement du Parlement sâme et à l’élection de ses membres. Il estime donc que rien ne s’oppose à ce que ces personnes lui soumettent une communication au titre de l’article premier du Protocole facultatif étant donné qu’elles allèguent des violations de leurs droits.

8.6Pour ce qui est des griefs que les auteurs tirent de l’article premier du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’un auteur ne peut, à titre individuel, invoquer le Protocole facultatif pour se dire victime d’une violation du droit à l’autodétermination consacré à l’article premier du Pacte, qui concerne les droits des peuples dans leur ensemble. Le Comité rappelle également que la procédure prévue par le Protocole facultatif permet aux particuliers de dénoncer des violations de leurs droits individuels, dont les droits énoncés à l’article premier du Pacte ne font pas partie. Par conséquent, il estime que le grief que les auteurs tirent de la violation de l’article premier du Pacte est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif. Cela étant, si le Protocole facultatif ne donne pas au Comité compétence pour examiner une communication concernant une violation alléguée du droit à l’autodétermination protégé par l’article premier du Pacte, le Comité peut néanmoins interpréter cet article, s’il y a lieu, afin de déterminer si des droits garantis dans les deuxième et troisième parties du Pacte ont été violés.

8.7Le Comité note que, d’après l’État partie, les auteurs n’allèguent pas de violation de leurs droits individuels, n’ont pas démontré qu’ils étaient directement concernés par les violations alléguées du Pacte, n’ont produit aucune pièce justificative à l’appui de leurs allégations et n’ont pas étayé leurs griefs. Les 22 auteurs inscrits sur la liste électorale soutiennent quant à eux que, dans la détermination de l’appartenance au peuple autochtone sâme, la Cour administrative suprême s’est écartée de l’interprétation de la loi faisant consensus, que cette démarche a porté atteinte au droit de chacun des membres du peuple sâme à l’égalité devant la loi, garanti à l’article 26 du Pacte, et que les arrêts de la Cour font obstacle à l’exercice par les intéressés des droits qu’ils tiennent de l’article 27 du Pacte d’employer leur langue et d’avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres de leur groupe. Le Comité prend note par ailleurs du grief des auteurs selon lequel les décisions de la Cour d’autoriser certaines personnes à voter aux élections législatives alors que la Commission électorale avait refusé de le faire ont altéré la valeur représentative du Parlement sâme et porté atteinte à leur droit de prendre part à la direction des affaires publiques. Il croit comprendre que les auteurs tirent ainsi grief d’une violation des droits garantis à l’article 25 du Pacte.

8.8Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence, toute personne qui se dit victime d’une violation d’un droit protégé par le Pacte doit démontrer que l’État partie a, par action ou par omission, indûment restreint l’exercice du droit en question, ou est sur le point de le faire, en s’appuyant, par exemple, sur la législation en vigueur ou sur une décision ou une pratique judiciaire ou administrative. Il note que les 22 auteurs inscrits sur la liste électorale sont membres du peuple autochtone sâme et ont donc, en tant que tels, le droit à l’autodétermination et le droit d’avoir leur propre vie culturelle et d’employer leur propre langue, y compris en commun avec les autres membres de leur groupe. En outre, il n’a pas été contesté que le Parlement sâme est l’institution qui a été établie par l’État partie pour garantir aux Sâmes leur autonomie linguistique et culturelle sur les territoires sâmes et qu’il peut prendre des initiatives, proposer des mesures aux autorités et faire des déclarations. En leur qualité de personnes inscrites sur la liste électorale et, pour deux d’entre eux, de membres du Parlement, les auteurs ont cherché à exercer leur droit de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, et leur droit de voter et d’être élus au cours d’élections périodiques et honnêtes pour le Parlement sâme.

8.9Le Comité constate que Parlement sâme est élu tous les quatre ans, que, aux termes de l’article 21 de la loi sur le Parlement sâme, tout Sâme âgé de 18 ans révolus a le droit de vote, et que la liste électorale compte actuellement quelque 6 000 inscrits. Il note que, selon les auteurs, les arrêts que la Cour administrative suprême a rendus depuis 2011 font fi des règles établies concernant les conditions d’inscription sur la liste électorale, portant ainsi atteinte au droit du peuple sâme de disposer de lui-même, et qu’ils pourraient, du moins en théorie, conduire à l’inclusion de 512 000 non-Sâmes sur la liste électorale. Il note également que les auteurs soutiennent, et que l’État partie ne dément pas, que plusieurs demandes d’inscription sur la liste électorale du Parlement sâme ont déjà été présentées en vue des élections de 2019, que de nombreuses organisations anti-Sâmes proposent aux Finlandais de souche de les aider à demander l’inscription sur la liste et, au besoin, à saisir la Cour administrative suprême, et que l’État pourrait trouver un intérêt économique à l’inclusion d’un grand nombre de non-Sâmes sur la liste électorale en ce que cela lui permettrait de s’assurer que le Parlement sâme approuve l’exécution de projets à grande échelle envisagés dans les domaines de l’exploitation minière, du tourisme et de la construction d’infrastructures. Le Comité estime que les 22 auteurs inscrits sur la liste électorale pourraient être personnellement concernés par les questions qui touchent à l’inscription sur la liste électorale pour les élections du Parlement sâme en ce que la composition de cette liste pourrait avoir des conséquences imminentes sur la capacité du Parlement de représenter le peuple autochtone sâme et de protéger le droit des intéressés de prendre part à la direction des affaires publiques en tant que membres de ce peuple. Partant, il est d’avis que, parce qu’ils appartiennent au peuple autochtone sâme et sont inscrits sur la liste électorale pour les élections du Parlement sâme, ces auteurs pourraient être personnellement concernés par les décisions de la Cour administrative suprême concernant la composition de la liste.

8.10Par conséquent, le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, les griefs des 22 auteurs inscrits sur la liste électorale ont été suffisamment étayés, et que rien dans l’article premier du Protocole facultatif ne l’empêche d’examiner la présente communication pour ce qui est des griefs que les auteurs tirent des articles 25, 26 et 27 du Pacte.

8.11Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs que les auteurs tirent des articles 25, 26 et 27 du Pacte sont recevables, et va maintenant procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles la Cour administrative suprême s’est écartée de la loi et n’a pas retenu les critères d’appartenance au peuple sâme généralement acceptés aux fins de l’établissement de la liste électorale, agissant ainsi en violation des articles 25 et 27 du Pacte. Les auteurs allèguent en outre que les arrêts rendus par la Cour ont altéré la valeur représentative du Parlement sâme et ont donc porté atteinte aux droits des Sâmes de prendre part à la direction des affaires publiques, de disposer d’eux-mêmes, et d’employer leur langue et d’avoir leur propre vie culturelle en commun avec les autres membres de leur groupe. Selon les auteurs, ces arrêts ont aggravé les clivages au sein du Parlement, qui est à présent moins à même de promouvoir et de protéger efficacement les droits du peuple sâme, et risquent de diminuer la proportion de Sâmes sur la liste électorale pour les élections du Parlement sâme, à commencer par les prochaines. Les auteurs soutiennent que la Cour a appliqué des critères qui n’étaient ni raisonnables ni objectifs et a ainsi porté atteinte aux droits qui leur sont garantis par le Pacte.

9.3S’agissant de l’article 25 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la loi prévoit la possibilité de former un recours devant la Cour administrative suprême et toutes les mesures voulues ont été prises pour que toutes les personnes ayant le droit de voter puissent exercer ce droit, dans le plein respect de cet article. L’État partie affirme que, conformément aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, il prend dûment en compte le sentiment d’appartenance à une communauté parmi les critères permettant de déterminer si telle ou telle personne ou tel ou tel groupe de personnes est autochtone. Le Comité note en outre que, selon les auteurs, l’État partie passe sous silence le fait que le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale s’est dit préoccupé par les critères retenus par la Cour pour décider qui est sâme et peut voter aux élections pour le Parlement sâme parce que ces critères ne tiennent pas suffisamment compte des droits qu’a le peuple sâme de décider de sa propre identité ou appartenance conformément à ses coutumes et traditions et de ne pas être soumis à l’assimilation forcée ou à la destruction de sa culture, droits qui sont garantis par les articles 8 et 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.

9.4Le Comité note que la loi sur le Parlement sâme fait actuellement l’objet d’une révision visant notamment à modifier les critères permettant de déterminer qui a le droit de voter aux élections législatives. Il note également que, selon les auteurs, il est peu probable que cette révision soit achevée d’ici les prochaines élections, d’autant que c’est la dernière en date de nombreuses démarches dans le même sens qui n’ont pas donné grand-chose.

9.5Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 4 de son observation générale no 25, toutes les conditions s’appliquant à l’exercice des droits de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, de voter et d’être élus au cours d’élections périodiques et honnêtes devraient être fondées sur des critères objectifs et raisonnables. Il rappelle également que, dans l’affaire Lovelace c. Canada, il a estimé que la catégorie des personnes appartenant à un peuple autochtone pouvait dans certains cas devoir être définie de manière à protéger la survie et le bien-être d’une minorité dans son ensemble. Dans l’affaire Kitok c.  Suède, il a estimé que les limitations apportées aux droits d’une personne appartenant à une minorité devaient non seulement reposer sur une justification raisonnable et objective compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, mais aussi faire la preuve de leur nécessité pour la survie et le bien-être de la minorité dans son ensemble.

9.6Le Comité rappelle que, aux termes de l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, les peuples autochtones ont le droit de décider de leur propre identité ou appartenance conformément à leurs coutumes et traditions et le droit de déterminer les structures de leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures. L’article 9 de la Déclaration dispose que les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée, et qu’aucune discrimination quelle qu’elle soit ne saurait résulter de l’exercice de ce droit, et l’article 8 (par. 1) prévoit qu’ils ont le droit de ne pas subir d’assimilation forcée ou de destruction de leur culture.

9.7Dans ce contexte, le Comité note que, conformément à l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme, pour qu’une personne soit considérée comme Sâme aux fins des élections du Parlement, il faut que, en plus de s’estimer elle-même Sâme, a) le sâme soit sa langue maternelle ou celle d’un au moins de ses parents ou grands-parents ; b) elle descende d’une personne inscrite sur les registres fonciers, fiscaux ou démographiques en tant que Lapon des montagnes, Lapon des forêts ou Lapon vivant de la pêche ; ou c) un de ses parents au moins ait été inscrit sur la listes des électeurs de la délégation sâme ou du Parlement sâme. Le Comité note également qu’il n’est pas contesté que, dans la majorité des cas, la Cour administrative suprême a expressément conclu que la personne ne satisfaisait aucun de ces critères objectifs.

9.8Le Comité rappelle son observation générale no 23, en particulier le paragraphe 7, où il a dit que la culture pouvait revêtir de nombreuses formes et s’exprimer notamment par un certain mode de vie associé à l’utilisation des ressources naturelles, en particulier dans le cas des populations autochtones ; que ces droits pouvaient porter sur l’exercice d’activités traditionnelles telles que la pêche ou la chasse et sur la vie dans les réserves protégées par la loi ; et que l’exercice de ces droits pouvait exiger des mesures positives de protection prescrites par la loi et des mesures garantissant la participation effective des membres des communautés minoritaires à la prise des décisions les concernant. Il fait observer que l’article 27 du Pacte, interprété à la lumière de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de l’article premier du Pacte, consacre le droit inaliénable des peuples autochtones de définir librement leur statut politique et d’assurer librement leur développement économique, social et culturel. L’article premier du Pacte et les obligations correspondantes qui ont trait à sa mise en œuvre sont indissociables des autres dispositions du Pacte et des règles de droit international.

9.9Le Comité constate que, selon l’État partie, les auteurs n’ont pas démontré en quoi ils avaient été directement touchés par les arrêts de la Cour administrative suprême. Il constate également que les auteurs lui demandent de prendre en considération les dimensions individuelle et collective de leurs droits. Il rappelle son observation générale no 23 sur les droits de minorités, dans laquelle il a dit que la protection des droits consacrés à l’article 27 du Pacte visait à assurer la survie et le développement permanent de l’identité culturelle, religieuse et sociale des minorités concernées, contribuant ainsi à enrichir l’édifice social dans son ensemble, et a fait observer que, en conséquence, ces droits devaient être protégés en tant que tels et ne devaient pas être confondus avec d’autres droits individuels conférés conformément au Pacte à tous et à chacun. De surcroît, si les droits protégés par l’article 27 du Pacte sont des droits individuels, leur exercice dépend de la capacité du groupe à préserver sa culture, sa langue et sa religion. Le Comité rappelle en outre que le Préambule de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones dispose que les peuples autochtones ont des droits collectifs qui sont indispensables à leur existence, à leur bien-être et à leur développement intégral en tant que peuples. Il estime que, dans le contexte des droits des peuples autochtones, les droits consacrés par les articles 25 et 27 du Pacte ont une dimension collective et certains d’entre eux ne peuvent être exercés qu’en groupe. Les droits des membres des peuples autochtones de participer à la vie politique dans le contexte du droit à l’autodétermination et d’avoir leur propre vie culturelle et d’employer leur propre langue, en commun avec les autres membres de leur groupe, garanti par l’article 27 du Pacte, lu conjointement avec l’article premier, ne peuvent pas être exercés individuellement. Par conséquent, aux fins de l’examen du préjudice subi personnellement par les auteurs de la communication, le Comité doit tenir compte de la dimension collective de ce préjudice. En ce qui concerne la dilution du droit de vote d’une communauté autochtone dans le contexte du droit à l’autodétermination, le préjudice infligé à la communauté collectivement peut toucher chaque membre de celle-ci individuellement. Les auteurs sont membres d’une communauté autochtone et tous leurs griefs concernent les droits qu’ils tiennent de ce statut.

9.10Le Comité prend note de l’argument des auteurs, qui soutiennent que, compte tenu de son mandat, le Parlement sâme doit impérativement pouvoir bien fonctionner et être en mesure de représenter comme il se doit l’opinion des Sâmes si l’on veut que les articles 25 et 27 du Pacte soient respectés, d’autant qu’il joue un rôle important pour ce qui est de permettre aux sâmes d’exercer, individuellement et collectivement, les droits protégés par ces articles. Le Comité note en outre que les pouvoirs et les attributions du Parlement sâme concernent notamment la préservation de la langue et de la culture sâmes, le statut de peuple autochtone du peuple sâme, la représentation des Sâmes sur les scènes nationale et internationale dans les domaines qui relèvent de sa compétence, et la formulation d’avis à l’intention des autorités au sujet d’une longue liste de questions ayant trait aux Sâmes en leur qualité de peuple autochtone ou aux projets qu’il est envisagé de mener sur le territoire sâme. Partant, il estime que le Parlement sâme est une institution qui permet à l’État partie de garantir que les Sâmes peuvent, en tant que peuple autochtone, prendre part aux décisions qui les concernent. Le respect par l’État partie des obligations énoncées à l’article 27 du Pacte dépend donc de l’efficacité du rôle joué par le Parlement dans les décisions susceptibles d’avoir une influence sur le droit des membres de la communauté sâme d’avoir leur propre vie culturelle et d’employer leur propre langue en commun avec les autres membres de leur groupe. En conséquence, les élections du Parlement sâme doivent avoir lieu avec la participation effective de toutes les personnes concernées par l’autodétermination, qui est indispensable à la pérennisation et au bien-être de la communauté dans son ensemble. En outre, s’agissant de l’article 25, le Comité estime que les restrictions à l’exercice par les membres de la communauté autochtone sâme du droit d’être efficacement représentés par le Parlement sâme doivent être motivées par des considérations raisonnables et objectives et être respectueuses des autres dispositions du Pacte, y compris en ce qui concerne le droit des peuples autochtones à l’autodétermination.

9.11En l’espèce, les 22 auteurs inscrits sur la liste électorale appartiennent au peuple sâme et prennent part aux élections. Le Comité constate que ces auteurs soutiennent, et que l’État partie n’a pas contesté, que dans les arrêts qu’elle a rendus depuis 2011, la Cour administrative suprême s’est écartée de l’interprétation consensuelle de l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme, relatif à la détermination de l’électorat de cette institution. Il note en particulier que, dans la majorité des cas, la Cour a ignoré l’obligation pour les électeurs potentiels de satisfaire à au moins un des trois critères objectifs fixés et a préféré procéder à une « appréciation générale » et prendre en compte le fort sentiment d’appartenance de la personne à la communauté sâme. La Cour a donc porté atteinte à la capacité des Sâmes d’exercer, par l’intermédiaire de leur Parlement, un élément fondamental du droit à l’autodétermination, à savoir le droit de décider qui est Sâme et qui ne l’est pas. Le Comité note en outre que, selon les auteurs, la composition de la liste électorale risque de diluer encore, dans un avenir proche, le pouvoir du Parlement sâme de représenter les Sâmes (voir par. 7.3). Le Comité estime que les arrêts de la Cour ont porté atteinte au droit des 22 auteurs inscrits sur la liste électorale et de la communauté sâme à laquelle ils appartiennent de prendre part à l’élection d’une institution établie par l’État partie pour garantir le droit des Sâmes à l’autodétermination et leur droit d’employer leur propre langue et d’avoir leur propre vie culturelle. Il estime également que, en s’écartant comme elle l’a fait de l’interprétation consensuelle de la loi pour déterminer l’électorat du Parlement sâme, la Cour ne s’est pas prononcée sur la base de critères raisonnables et objectifs. Partant, il conclut que les faits dont il est saisi constituent une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 25 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 27, et interprété à la lumière de l’article premier.

9.12Ayant constaté des violations de l’article 25 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 27, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner les griefs que les auteurs tirent d’autres articles du Pacte.

10.Compte tenu de ce qui précède, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 25 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 27.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, notamment, de revoir l’article 3 de la loi sur le Parlement sâme afin que les critères permettant de déterminer qui est autorisé à voter aux élections législatives soient définis et appliqués dans le respect du droit à l’autodétermination que les Sâmes tiennent des articles 25 et 27 du Pacte. L’État partie est également tenu de veiller à ce que le type de violations constatées ici ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles, et notamment à s’assurer qu’elles sont accessibles aux membres de la communauté autochtone sâme.

Annexe

[Original : français]

Opinion individuelle (concordante) d’Olivier de Frouville

1.Je suis en accord avec la conclusion à laquelle parvient le Comité dans cette affaire, à savoir qu’il y a eu violation de l’article 25, lu seul et en conjonction avec l’article 27, interprétés à la lumière de l’article premier du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

2.La décision sur la recevabilité dans cette affaire apporte des précisions importantes par rapport à celle qui a été adoptée antérieurement par le Comité dans l’affaire no 2668/2015, Sanila-Aikio c. Finlande. Dans sa décision du 28 mars 2017, le Comité constatait qu’en présentant la communication en son nom propre, l’auteure le saisissait en sa qualité de membre du peuple autochtone sâme et de membre du Parlement sâme, dont elle était la Présidente. Il était d’avis qu’en tant que telle, elle pourrait être personnellement concernée par tous problèmes relatifs au fonctionnement du Parlement et aux élections législatives. De même, un peu plus loin dans la même décision, le Comité relevait que les décisions des institutions de l’État finlandais qui influaient sur la composition du Parlement sâme et sur l’égalité de représentation des Sâmes pouvaient avoir des répercussions sur le droit des membres de la communauté sâme d’avoir leur propre vie culturelle et d’utiliser leur langue avec les autres membres du groupe, ainsi que sur leur droit à l’égalité devant la loi. La décision de recevabilité reposait donc sur le constat de l’existence d’un double lien de causalité : entre les jugements de la Cour administrative suprême, et la composition et le fonctionnement du Parlement sâme, d’une part ; entre la composition et le fonctionnement du Parlement sâme, et les droits des membres du peuple sâme en vertu de l’article 27 du Pacte, d’autre part. Or les arguments développés par l’auteure ne venaient pas clairement étayer ce double lien de causalité et la décision du Comité restait tout aussi évasive. Elle ne démontrait pas en quoi l’application du principe d’auto-identification avait véritablement affecté de manière significative la composition du corps électoral et encore moins affecté la composition ou le fonctionnement du Parlement sâme. Et aucun exemple concret n’était donné pour démontrer que, dans un cas particulier, ces changements dans la composition du corps électoral avaient eu une incidence sur les droits que les membres du peuple sâme tenaient de l’article 27. Le Comité n’expliquait donc pas clairement en quoi l’auteure pouvait se prétendre « victime » de violations de ses droits tirés des articles 25, 26 ou 27 du Pacte. La présente décision sur la recevabilité vient remédier a posteriori à ce défaut de motivation.

3.D’abord, elle se recentre à juste titre sur les griefs tirés de l’article 25 du Pacte. L’affaire concerne en effet, avant tout, le droit de prendre part à la direction des affaires publiques des membres du peuple sâme, en tant qu’ils appartiennent à un peuple autochtone − ce qui justifie par ailleurs pleinement que l’article 25 soit lu en conjonction avec l’article 27, mais aussi avec l’article premier du Pacte. Ce qui est en cause ici, c’est le droit des Sâmes de décider de leur propre identité ou appartenance, conformément à leurs coutumes et traditions, ainsi que leur droit de déterminer les structures et leurs institutions et d’en choisir les membres selon leurs propres procédures, droits qui sont reconnus par l’article 33 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Les décisions de la Cour administrative suprême ont effectivement eu un impact important sur cette capacité du peuple de régler collectivement sa composition et, par la suite, sur son droit de prendre part à la direction des affaires publiques par l’intermédiaire de représentants élus au sein d’un organe constitué. Et cela d’autant plus qu’avec ces décisions, la Cour n’a pas correctement appliqué la législation nationale, qui mettait pourtant en avant clairement un critère objectif d’appartenance, tel que voulu par les Sâmes eux-mêmes. En n’appliquant pas ce critère et en lui substituant un critère d’auto‑identification, dont elle se faisait elle-même l’interprète au cas par cas, la Cour a restreint les droits des Sâmes d’exercer leur droit de prendre part à la direction des affaires publiques dans le contexte des institutions ayant vocation à garantir leurs droits en tant que membres d’un peuple autochtone tels que garantis à l’article 27 du Pacte.

4.Par ailleurs, la décision sur la recevabilité vient expliciter le lien de causalité existant entre les décisions de la Cour administrative suprême et les droits politiques des Sâmes. Au paragraphe 8.9, le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle l’application du critère d’auto-identification pourrait potentiellement conduire à l’inclusion dans le corps électoral de 512 000 personnes non reconnues comme Sâmes par le Parlement sâme. Le Comité note également l’allégation inquiétante, non contestée par l’État partie, selon laquelle, des organisations anti-Sâmes feraient campagne et aideraient des personnes non‑Sâmes à soumettre des demandes pour être reconnues en tant que Sâmes et incluses dans le corps électoral, compte tenu des enjeux économiques sous-jacents. Ces éléments de faits justifient à mon sens la qualité de « victime », au moins potentielle, des 22 auteurs reconnus comme tels par le Comité.