Nations Unies

CCPR/C/122/D/2166/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 mai 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2166/2012*, **

Communication présentée par :

V. P. (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

27 mai 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 juillet 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

6 avril 2018

Objet :

Droit d’être représenté par un conseil de son choix ; recours utile

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Procès équitable − assistance d’un avocat ; recours utile

Article(s) du Pacte :

14 (par. 3 b) et d)), lu conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3 b))

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est V. P., de nationalité bélarussienne, né en 1969. Il affirme que le Bélarus a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 b) et d)), lu conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3 b)) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 16 mars 2011, l’auteur a été convoqué dans un poste de police du district Sovetsky de Gomel, où la police a demandé que ses empreintes digitales soient relevées à l’aide d’une encre spéciale. Le relevé d’empreintes était nécessaire car la loi relative à l’enregistrement officiel des empreintes dispose que tous les citoyens soumis à l’obligation d’accomplir le service militaire sont tenus de faire enregistrer leurs empreintes digitales dans un poste de police local. L’auteur a refusé que ses empreintes soient prises par cette méthode, tout en précisant qu’il ne s’opposerait pas à ce que la police les relève par capture numérique. Il a été inculpé en vertu de l’article 23.4 du Code des infractions administratives, qui réprime le refus d’obtempérer aux injonctions légales d’un policier.

2.2Le 13 avril 2011, le tribunal du district Sovetsky a déclaré l’auteur coupable de refus d’obtempérer aux injonctions légales d’un policier (art. 23.4 du Code des infractions administratives) et lui a ordonné de verser une amende de 875 000 roubles bélarussiens.

2.3Lors de l’audience, l’auteur a déclaré qu’il souhaitait être représenté par S., qui était avocat de profession mais n’était pas membre du barreau (avocat assermenté). Le tribunal a rejeté sa requête sur le fondement du paragraphe 2 de l’article 4.5 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives, selon lequel les personnes faisant l’objet de poursuites administratives ne peuvent être représentées en justice que par des proches ou par des avocats assermentés. L’auteur souligne dans sa lettre qu’il n’avait pas les moyens d’engager un avocat qui assurerait sa défense à l’audience devant le tribunal administratif et qu’il avait choisi S. pour le représenter car celui-ci avait accepté de le faire gratuitement.

2.4Le 20 avril 2011, l’auteur a saisi le tribunal régional de Gomel d’un recours en cassation dans lequel il contestait notamment la décision du tribunal du district Sovetsky de ne pas autoriser le conseil de son choix à le représenter en justice. Il faisait valoir que l’article 62 de la Constitution garantissait le droit de se faire représenter devant les tribunaux par d’autres personnes que des avocats assermentés et que, même si le Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives ne prévoyait pas la possibilité d’être défendu par d’autres personnes que des avocats devant les juridictions administratives, le tribunal devait trancher cette question à la lumière de la Constitution. L’auteur a été débouté le 11 mai 2011. Il a ensuite présenté des demandes de procédure de contrôle au Président du tribunal régional de Gomel et au Président de la Cour suprême, mais elles ont été rejetées le 26 août et le 31 octobre 2011.

2.5L’auteur indique qu’il n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une demande de procédure de contrôle car, selon lui, cette procédure ne constitue pas un recours utile. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que les recours internes doivent être non seulement disponibles, mais aussi utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le paragraphe 2 de l’article 4.5 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives est à l’origine d’une violation de ses droits d’être défendu par un conseil de son choix, de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix.

3.2L’auteur affirme également qu’en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte, le Bélarus est tenu de garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statuera sur les droits de la personne qui se dit victime d’une violation d’un droit consacré par le Pacte, et de développer les possibilités de recours juridictionnel. Il affirme que le Bélarus ne s’est pas acquitté de l’obligation découlant de cet article car il ne lui a pas assuré un recours lui permettant de demander réparation pour les violations des droits qu’il tient des alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1L’État partie fait part de ses observations dans une note verbale datée du 25 juillet 2012. Il y affirme que la communication de l’auteur n’est pas suffisamment fondée en droit pour justifier un examen, que ce soit sur la recevabilité ou sur le fond. Il soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles vu qu’il n’a pas saisi le Procureur général d’un recours au titre de la procédure de contrôle afin de contester le jugement rendu à son égard. En outre, l’auteur aurait pu saisir le Président de la Cour suprême après le rejet de son recours par le Vice‑Président de cet organe. En conséquence, sa communication a été enregistrée en violation de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.2L’État partie fait savoir en outre que la procédure interne concernant les faits décrits dans la communication est close et qu’il se dissociera des constatations que le Comité pourrait adopter à ce sujet.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 28 août 2012, l’auteur répond aux observations de l’État partie. Il souligne que, d’après les critères appliqués par le Comité, les recours doivent être non seulement disponibles, mais aussi utiles. Il répète que, s’il n’a pas formé de recours au titre de la procédure de contrôle devant le Bureau du Procureur général ou le Président de la Cour suprême, c’est parce que, selon lui, ce type de recours n’est pas utile. Il ajoute que, d’après la jurisprudence du Comité, un recours peut être considéré comme utile lorsqu’il est susceptible d’assurer une indemnisation à l’auteur et qu’il lui offre des perspectives raisonnables d’obtenir réparation. L’auteur renvoie à la jurisprudence constante du Comité, laquelle a établi que la procédure de contrôle est une procédure de réexamen discrétionnaire dont la portée se limite à des points de droit et dont le Comité considère qu’elle ne fait pas partie des recours utiles qui doivent être épuisés.

5.2De plus, en ce qui concerne la possibilité qu’il aurait eue de saisir le Président de la Cour suprême, l’auteur souligne que c’est justement à ce magistrat qu’il avait adressé son premier recours et que le fait que c’est le Vice-Président de la Cour qui a examiné son affaire montre bien que la procédure de contrôle ne constitue pas un recours interne utile.

5.3L’auteur fait valoir en outre que les décisions administratives peuvent uniquement être contestées dans les six mois qui suivent leur prononcé et qu’il est pratiquement impossible de soumettre des recours à tous les organes judiciaires et au Bureau du Procureur général dans ce délai.

5.4En ce qui concerne les arguments portant sur la compétence du Comité s’agissant d’examiner la communication, l’auteur souligne qu’en devenant partie au Protocole facultatif le Bélarus a reconnu que le Comité avait compétence non seulement pour déterminer l’existence de violations du Pacte, mais aussi, en vertu du paragraphe 4 de l’article 40, pour adresser aux États parties ses propres rapports, ainsi que toutes observations générales qu’il juge appropriées. En vertu de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu en outre de garantir que tout individu se trouvant sur son territoire et relevant de sa compétence dispose d’un recours utile s’il est victime de violation des droits qu’il tient de cet instrument. Le rôle du Comité consiste fondamentalement à interpréter les dispositions du Pacte et à développer une jurisprudence. En refusant de reconnaître la pratique établie du Comité, ses méthodes de travail et sa jurisprudence, le Bélarus refuse en somme de reconnaître sa compétence s’agissant d’interpréter le Pacte, ce qui va à l’encontre des buts et objectifs visés par cet instrument.

5.5L’auteur fait valoir que, ayant reconnu de son plein gré la compétence du Comité, l’État partie n’est pas en droit d’empiéter sur ses compétences et de ne pas tenir compte de son opinion. L’État partie est tenu non seulement de mettre en œuvre les décisions du Comité, mais aussi de reconnaître ses critères, ses pratiques, ses méthodes de travail et sa jurisprudence. Cet argument est fondé sur un principe cardinal du droit international, pacta sunt servanda, selon lequel tout traité en vigueur lie les parties et doit être respecté par celles-ci de bonne foi.

Délibérations du Comité

Absence de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note des arguments de l’État partie qui affirme qu’il n’existe pas de fondement juridique justifiant l’examen de la communication de l’auteur puisque celle-ci a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif et qui indique que, si le Comité devait se prononcer sur la communication, les autorités bélarussiennes se « dissocieraient » de ses constatations.

6.2Le Comité fait observer que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1 du Protocole facultatif). Ce faisant, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et aux particuliers concernés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ces obligations. Il appartient au Comité de décider si une communication doit être enregistrée. Le Comité estime qu’en n’acceptant pas sa compétence pour décider de l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas sa décision concernant la recevabilité et le fond de cette communication, l’État partie manque aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur n’a pas demandé au Président de la Cour suprême ni au Bureau du Procureur général d’engager une procédure de contrôle des décisions rendues par les juridictions internes. Il relève également que l’auteur dit avoir demandé au Président de la Cour suprême d’engager une procédure de contrôle des décisions des juridictions inférieures, mais que cette demande a été traitée par le Vice-Président de la Cour. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la soumission au Bureau du Procureur d’une demande de contrôle d’une décision judiciaire passée en force de chose jugée ne fait pas partie des recours qui doivent être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il renvoie également à sa jurisprudence dont il ressort que le dépôt auprès du président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. S’agissant de la communication à l’examen, le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucune nouvelle information concernant le caractère utile de la procédure de contrôle. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Il considère que dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées en conjonction avec d’autres articles du Pacte, sauf lorsque le non-respect par l’État partie des obligations mises à sa charge par l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement préjudice à la personne qui se dit victime. Le Comité considère en l’espèce que l’auteur n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel l’examen de la question de savoir si l’État partie a manqué à ses obligations générales au titre du paragraphe 2 de l’article 2, lu conjointement avec le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14, serait différent de l’examen d’une violation des droits de l’auteur au titre du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que les griefs de l’auteur à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5Le Comité doit dès lors déterminer si le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte est applicable en l’espèce, c’est-à-dire si les sanctions imposées à l’auteur pour son refus d’obtempérer à des injonctions légales d’un policier se rapportent à « une infraction pénale » au sens du Pacte. À ce propos, le Comité relève que l’une des sanctions prévues à l’article 23.4 du Code des infractions administratives est la détention administrative. Il relève également que les dispositions légales qui ont été enfreintes par l’auteur visent non pas un groupe précis jouissant d’un statut particulier − ce qui serait le cas par exemple d’un règlement disciplinaire − mais toute personne qui, en sa qualité de particulier, refuse d’obtempérer à des injonctions légales de la police. Ces dispositions prescrivent un certain type de comportement, dont le non-respect entraîne une déclaration de culpabilité et est passible de sanctions à caractère punitif. Dans sa jurisprudence, le Comité a renvoyé au paragraphe 15 de son observation générale no 32 (2007) relative au droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans lequel il a indiqué que la notion d’accusation en matière pénale pouvait être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Par conséquent, le caractère général des dispositions et la finalité de la sanction, qui est à la fois dissuasive et punitive, montrent que l’infraction en question avait, au sens du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, un caractère pénal.

7.6Pour ce qui est du grief de l’auteur qui considère que l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte en ce que l’auteur n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et n’a pas pu s’entretenir avec le conseil de son choix, le Comité fait observer que l’auteur n’était pas en détention et qu’il n’a pas fourni d’informations indiquant qu’il était empêché d’une autre manière de préparer son audience avec le conseil de son choix. L’auteur n’ayant pas montré en quoi exactement les droits qu’il tient du paragraphe 3 b) de l’article 14 ont été violés, et en l’absence de toute autre information utile dans le dossier, le Comité conclut que son grief de violation du paragraphe3b) de l’article14 est insuffisamment étayé et donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Pour ce qui est du grief de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé son droit de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix, le Comité note que l’auteur affirme que le Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives est incompatible avec le droit qu’il tient du paragraphe 3 d) de l’article 14 du Pacte en ce qu’il limite son droit à l’assistance d’un défenseur, en cas de poursuites administratives, en ne laissant la possibilité d’être défendu que par des avocats ou des proches alors que la Constitution du Bélarus prévoit la possibilité d’avoir recours à un avocat ou à d’autres représentants pour se faire représenter devant les tribunaux. Toutefois, le Comité fait observer que l’auteur n’a pas démontré que cette restriction était déraisonnable. En l’absence de toute autre information utile dans le dossier, le Comité considère que le grief soulevé par l’auteur au titre du paragraphe 3 d) de l’article 14 est insuffisamment étayé et donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur et à l’État partie.