Nations Unies

CCPR/C/128/D/3133/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 novembre 2020

Original : français

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant lacommunication no 3133/2018 * , **

Communication présentée par :

E. F.(représenté par un conseil, Dilbadi Gasimov)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

11 août 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 mars 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

13 mars 2020

Objet :

Accès aux recours internes

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes; défaut de fondement des griefs; incompatibilité avec le Pacte

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; droit à un procès équitable

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3) et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est E.F., citoyen français, né en 1984. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article14 du Pacte. Aux fins de la présente communication, l’auteur est représenté par un conseil, Dilbadi Gasimov. La France a adhéré au Protocole facultatif se rapportant au Pacte le 17février 1984.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique qu’en octobre 2000, alors qu’il était âgé de 16 ans, il a été coincé, puis sexuellement agressé par deux camarades à sa sortie de l’école, en présence de plusieurs autres élèves. Tandis que l’un de ses deux camarades le retenait, l’autre introduisait son majeur dans son anus, à travers son sous-vêtement.

2.2Le 4octobre 2010, l’auteur a porté plainte pour viol à la Brigade de protection des mineurs. Le 1erjuin 2011, la plainte de l’auteur a été classée sans suite pour insuffisance de preuves. Devant ce revers, le 17janvier 2012, l’auteur a déposé une autre plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction pour les mêmes faits contre ses deux camarades.

2.3Le 4décembre 2012, le juge d’instruction a ordonné une confrontation entre l’auteur et les deux individus mis en cause. Toutefois, l’auteur n’a pas pu y assister pour cause de maladie. Il n’a pas pu non plus assister aux deux autres confrontations prévues le 11décembre 2012 et le 9janvier 2013, pour raisons médicales. L’auteur a informé le juge d’instruction des raisons de son absence et a sollicité le report des confrontations pour pouvoir y être présent. Ce report devait aussi permettre au juge d’instruction d’entendre d’autres témoins que l’auteur avait désignés et qui n’avaient pas été entendus.

2.4Par ordonnance du 20mars 2013, le juge d’instruction a refusé de prolonger l’instruction, expliquant sa décision par la non-comparution de l’auteur aux audiences et l’insuffisance des informations collectées à partir des déclarations des individus mis en cause et des témoins. Le juge d’instruction a estimé que les éléments dont il disposait ne justifiaient pas la planification d’une nouvelle confrontation, a fortiori en l’absence d’élément étayant les accusations. Dans la même ordonnance, le juge d’instruction répondait à la demande de l’auteur que d’autres témoins soient entendus, motivant les raisons pour lesquelles il ne les convoquait pas. Pour certains de ces témoins, le juged’instruction expliquait que leurs témoignages avaient déjà été apportés par la partie civile et versés au dossier, et qu’ils n’apportaient aucun renseignement utile concernant le viol présumé de l’auteur. Pour d’autres, le juged’instruction signalait qu’ils avaient déjà été entendus, mais n’avaient pas apporté de renseignements utiles. Enfin, un témoin n’avait pas pu être localisé. L’auteur a fait appel auprès de la cour d’appel de Paris, qui a rejeté l’ordonnance le 25avril 2013.

2.5Par ordonnance de non-lieu du 20juin 2013, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a clos l’instruction, considérant qu’il ressortait de l’intégralité de ces investigations, largement menées à partir des éléments et des noms cités par E.F., qu’aucun élément ne venait corroborer sa dénonciation, et que l’existence même de la bousculade et de la lutte ne ressortait d’aucune des investigations réalisées. Le juge d’instruction a aussi ordonné le dépôt du dossier au greffe, pour y être repris s’il survenait des charges nouvelles.

2.6Le 27juin 2013, l’auteur a interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Paris, qui l’a rejeté le 26novembre 2013. L’auteur s’est pourvu en cassation contre cette ordonnance de la cour d’appel. La Cour de cassation l’a débouté de sa demande par un arrêt rendu le 4mars 2015, au motif que l’instruction était complète et qu’il n’existait pas de charges suffisantes montrant que quiconque aurait commis le crime reproché ou toute autre infraction.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce une violation du paragraphe 3 de l’article2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte par la France, pour un manquement d’équité dans la procédure devant le juge d’instruction. Il estime que seul l’un des témoins qu’il avait désignés dans sa plainte a été entendu, sans aucune explication de ce choix de la part du magistrat instructeur. L’auteur affirme que le laps de temps écoulé depuis son viol, survenu au cours de sa minorité, engendre une obligation pour la justice d’exploiter tous les éléments qui lui sont soumis, y compris ses déclarations qui, dit-il, n’ont pas été minutieusement examinées.

3.2L’auteur considère que la décision de refus de prolongation de l’instruction, en dépit de son absence aux confrontations pour des raisons de santé, constitue une violation de son droit d’être entendu équitablement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 4mai 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il estime que le Comité doit déclarer la communication irrecevable pour deux raisons majeures : d’une part,le paragraphe 1 de l’article14 du Pacte soulevé par l’auteur n’est pas applicable en l’espèce ; d’autre part, en n’ayant pas utilisé les dispositions de l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire, l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes disponibles.

4.2En ce qui concerne l’irrecevabilité ratione materiae de la communication au regard du paragraphe 1 de l’article14 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas pris la peine de montrer le lien entre cet article et la procédure menée par le juge d’instruction dans le cadre d’une plainte avec constitution de partie civile, ni précisé quelle garantie procédurale aurait été méconnue. L’État partie reconnaît toutefois que, dans son volet civil, le paragraphe 1 de l’article14 du Pacte, qui est le pendant du paragraphe 1 de l’article6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales(Convention européenne des droits de l’homme), est applicable à la conduite de l’information par le juge d’instruction, dans le cadre d’une plainte avec constitution de partie civile, comme l’a déjà admis la Cour européenne des droits de l’homme. L’État partie reconnaît également que certaines des garanties procédurales prévues au paragraphe 1 de l’article6 de la Convention européenne des droits de l’homme− correspondant au paragraphe 1 de l’article14 du Pacte −liées notamment aux exigences du droit à un procès équitable, s’appliquent au stade de l’instruction menée par le juge d’instruction dans la mesure où ce magistrat instruit à charge et à décharge.

4.3L’État partie estime néanmoins que dans la majeure partie de ses allégations,l’auteur entend se prévaloir des garanties prévues au paragraphe 3 de l’article14 du Pacte, au lieu de développer ses moyens au regard du paragraphe 1 dudit article. L’État partie indique que, dans sa communication, l’auteur critique l’absence de confrontation avec les individus mis en cause et affirme que cette situation était contradictoire avec le principe posé par la Cour de cassation sur le droit de tout accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et à décharge dans les mêmes conditions. Selon l’État partie,cela correspond au paragraphe 3 e) de l’article14 du Pacte, que l’auteur voudrait voir le Comité appliquer à son cas. À cet égard, l’État partie souligne que l’auteur ne saisit pas le Comité en tant qu’accuséet que le paragraphe 3 de l’article14 du Pacte est réservé aux seules personnes accusées. De plus, l’État partie estime que l’auteur ne développe pas en quoi le défaut de confrontation avec les personnes accusées, l’absence d’interrogatoire de certains témoins du viol présumé ainsi que l’absence d’enquête dans son entourage pourraient constituer une violation du paragraphe 1 de l’article14 du Pacte. En conséquence, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable ratione materiae.

4.4En ce qui concerne l’irrecevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours internes, l’État partie fait valoir que l’auteur a omis d’utiliser la voie de recours prévue par l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire, qui permet d’engager la responsabilité de l’État pour cause de dysfonctionnement du service public de la justice pour faute lourde ou déni de justice. L’État partie affirme qu’une faute commise par un magistrat instructeur au cours de l’instruction peut être qualifiée de faute lourde au sens de l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire et, en conséquence, engager la responsabilité de l’État. L’État partie avance que la Cour européenne des droits de l’homme estime que le recours offert par l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire est un recours effectif. L’État partie fait valoir que le Comité lui-même a déjà reconnu, dans le cadre d’une communication évoquant des griefs similaires, que celle-ci était irrecevable pour non-épuisement des voies de recours en raison du fait que l’auteur n’avait pas utilisé les dispositions de l’articleL781-1 − devenu depuis l’articleL141-1 − du Code de l’organisation judiciaire. L’État partie demande au Comité de constater que le recours offert par l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire est un recours interne disponible et effectif au sens de l’article2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, et en conséquence, de déclarer l’irrecevabilité de la communication pour non-épuisement des voies de recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 25 juillet 2018, l’auteur a soumis au Comité ses commentaires sur les observations de l’État partie. Concernant l’irrecevabilité ratione materiae de la communication, il fait valoir que cette dernière vise à faire constater par le Comité la violation de son droit à un procès équitable. Il avance que l’État partie ne conteste pas le fait que les exigences d’un procès équitable s’appliquent à la procédure d’instruction française. Il ajoute qu’en dépit du fait qu’il n’est pas poursuivi par une juridiction pénale, les résultats auxquels est parvenu le juge d’instruction ont un effet direct et réel sur ses droits dans leur volet civil. L’auteur explique que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, il n’a jamais invoqué le paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Il avance que le Comité, dans son observation générale no 13 (1984), note que les dispositions générales de cet article visent à assurer la bonne administration de la justice et s’appliquent à tous les tribunaux et autres organes juridictionnels de droit commun ou d’exception inclus dans son champ d’application. L’auteur rappelle que l’absence de confrontation entre les personnes mises en cause et lui ainsi que l’absence d’interrogatoire d’autres témoins sont contraires au principe du procès équitable dans sa globalité. Il affirme en outre que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme cités par l’État partie, à savoir Perez c. France et Vera Fernández-Huidobro c. Espagne, ne traitent pas du paragraphe 3 de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme en ce qui a trait à la procédure d’instruction.

5.2Concernant l’argument fondé sur le non-épuisement des voies de recours internes,l’auteur souligne que, contrairement à ce qu’avance l’État partie, la saisine du juge national en vertu de l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire ne constitue une voie de recours interne à épuiser dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que lorsqu’une affaire a trait à la question du délai raisonnable et de la durée de la procédure devant le juge national, notamment depuis l’arrêt Mifsud c. France, sous l’angle de l’article6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’auteur estime que la règle de la saisine préalable du juge national en application de l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire avant toute saisine internationale n’est pas automatique et ne s’applique pas dans tous les cas. Tout en reconnaissant que l’articleL141-1 du Code de l’organisation judiciaire entre en jeu dès lors qu’il y a une faute lourde de l’État, l’auteur avance néanmoins qu’en 2015, au moment de la saisine du Comité, la notion de faute lourde − clarifiée depuis par la jurisprudence − prévue au paragraphe1 de l’article781-1 du Code de l’organisation judiciaire de l’époque n’était pas encore précisée. L’auteur estime qu’en ayant saisi unecour d’appel et la Cour de cassation, il a épuisé toutes les voies de recours internes.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et le fond

6.1Le 13 septembre 2018, l’État partie a soumis au Comité ses observations complémentaires sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie souligne que les différentes personnes interrogées, y compris des camarades et des professeurs de l’auteur, ont déclaré n’avoir aucun souvenir des faits de viol soumis par l’auteur. L’État partie affirme que c’est en raison de l’absence d’indices sérieux sur les faits de viol allégués par l’auteur que le Procureur de la République a décidé de classer l’affaire sans suite, le 1er juin 2011. Il ajoute que le 2 avril 2012, une information judiciaire a été ouverte et que tous les éléments recueillis au cours de l’enquête préliminaire ont été remis au juge d’instruction.

6.2L’État partie estime que les enquêteurs ont pris le soin d’auditionner non seulement des personnes qui résidaient encore dans le pays, mais également celles qui résidaient à l’étranger,lesquelles ont répondu à leurs questions par courriel ou par téléphone. Le psychiatre de l’auteur, ayant fait valoir le secret médical, n’a pas voulu répondre aux questions des enquêteurs. L’État partie indique qu’à cet effet, le juge d’instruction a désigné le 16avril 2012 un expert aux fins de procéder à une expertise médico-psychologique de l’auteur.

6.3L’État partie indique que l’auteur a omis de répondre à deux convocations du juge d’instruction ainsi qu’à deux confrontations, évoquant des problèmes de santé, certificats médicaux à l’appui. À la suite de ces absences de l’auteur et considérant que les informations déjà collectées ne constituaient pas des éléments suffisants pour continuer l’information, le 10janvier 2013, le juge d’instruction a notifié aux parties la fin de l’information. L’État partie avance que c’est sur cette base que, le 28janvier 2013, l’auteur a déposé une demande d’acte afin qu’il soit procédé à de nouvelles auditions de ceux qu’il avait désignés comme témoins. Il avance également que, le 20mars 2013, le juge d’instruction a refusé de faire droit aux nouvelles demandes de l’auteur, au motif que les investigations menées à partir des éléments et des noms cités par l’auteur n’avaient rien révélé. L’État partie rappelle que le Code de procédure pénale ne précise pas la liste des actes d’instruction indispensables à réaliser en cas d’infractions sexuelles et en particulier de viol, et qu’il est loisible au juge d’instruction de déterminer les actes qu’il juge nécessaires à la manifestation de la vérité.

6.4Concernant l’irrecevabilité ratione materiae de la communication au regard du paragraphe 1 de l’article14 du Pacte, l’État partie affirme que l’auteur tente, par sa communication, de demander au Comité d’apprécier des éléments de fait et de preuve sans qu’il soit en mesure de montrer le caractère manifestement arbitraire de l’appréciation des juridictions nationales ou l’existence d’un déni de justice. L’État partie réitère que les prétentions de l’auteur s’apparentent de préférence aux droits garantis par le paragraphe3 e) de l’article14 du Pacte, qui n’est applicable qu’aux accusés.

6.5Quant au fond de la communication, l’État partie souligne que les faits de violence dénoncés par l’auteur devant le Comité étaient prescrits au moment de la soumission de la communication, et que c’est sur le chef de viol commis en réunion que le cabinet d’instruction a été saisi, par suite du dépôt de la plainte par l’auteur avec constitution de partie civile. L’État partie souligne que le juge d’instruction, dans le souci de faire jaillir la vérité, est allé au-delà de la liste de six personnes soumise par l’auteur en interrogeant également celles qui étaient susceptibles d’avoir été témoins des faits. L’État partie réitère qu’à toutes les phases des enquêtes préliminaires ou de l’instruction, les 14 personnes interrogées ont nié les faits de viol que soumet l’auteur. Il souligne par ailleurs que les deux individus mis en cause reconnaissent avoir été à l’origine de moqueries à l’endroit de l’auteur, tout en rejetant les faits de viol ou la possibilité que ces moqueries aient pu avoir un caractère tel qu’elles auraient pu être qualifiées de harcèlement sexuel. L’État partie réitère que l’information menée par le juge d’instruction était approfondie et tenait compte de l’ancienneté des faits, survenus dix ans avant la première plainte de l’auteur. Il ajoute que le fait que l’auteur n’a parlé à personne au moment des faits présumés et qu’il n’y a eu aucun constat médical sont des facteurs de complexification de l’enquête, et que,de ce fait, le service spécialisé de la Brigade de protection des mineursa été mobilisé pour mener les enquêtes préliminaires appropriées en lien avec le caractère des faits allégués. L’État partie fait valoir qu’aucune des juridictions de révision saisies n’a relevé une quelconque anomalie dans la décision du juge d’instruction et, en conséquence, demande au Comité, à titre principal, de déclarer la communication irrecevable et, à titre subsidiaire, de la rejeter en raison de son caractère infondé.

Commentaires additionnels de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 13 décembre 2018, l’auteur a soumis au Comité ses commentaires additionnels. Il y indique que les surnoms qui lui ont été donnés par ses camarades ont une connotation sexiste et sont révélateurs d’une ambiance de harcèlement moral, voire sexuel. L’auteur insiste sur le fait que, contrairement à ce que prétend l’État partie, il n’a jamais invoqué le paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte. L’auteur réitère que ses prétentions sont fondées sur la violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 14, notamment en ce qui concerne le volet relatif à ses droits et obligations à caractère civil. Néanmoins, l’auteur souligne que si le paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte reconnaît un droit aux accusés, il ne précise pas si ce droit leur est exclusif, à l’exception des requérants. L’auteur ajoute que le Comité a déjà reconnu qu’il avait compétence pour agir quand l’appréciation des autorités nationales allait à l’encontre des principes du Pacte. En ce sens, l’auteur estime qu’il y a eu un manque d’équité dans la conduite de la procédure, dû notamment à l’interrogatoire à distance de certains témoins qui n’ont pas eu la même spontanéité et la même attitude que s’ils faisaient face aux enquêteurs.

7.2L’auteur affirme qu’à la différence de ce qu’avance l’État partie, il y a eu plusieurs contradictions dans les déclarations des élèves interrogés, qui témoignent d’une situation d’acharnement et de moquerie contre lui ; d’ailleurs, l’une des personnes mises en cause a affirmé avoir proféré des injures homophobes à son égard. L’auteur ajoute que les témoignages de certaines personnes interrogées révèlent qu’il y a eu collusion et concertation entre elles, afin de donner les mêmes réponses aux enquêteurs. Il insiste sur le fait que les moqueries et harcèlements à connotation sexuelle dont il a fait l’objet étaient de nature à porter atteinte à son honneur et à sa réputation, et que l’appréciation des éléments de preuve relève de la compétence du Comité au regard de l’article 17, du paragraphe 3 de l’article 19 et de l’article 26 du Pacte.L’auteur ajoute que la cour d’appel de Paris a affirmé dans son arrêt du 26novembre 2013 que certains témoignages confortaient le fait qu’il avait été l’objet de quolibets à connotation sexuelle. L’auteur estime de ce fait que le juge d’instruction aurait dû ordonner une nouvelle confrontation.

7.3L’auteur fait valoir également que l’État partie, en ayant relevé dans sa soumission que l’expertise médico-psychologique indiquait qu’il était possible qu’il existe un lien entre les troubles psychiques du requérant, que l’expertise a constatés, et les faits allégués, aurait dû adopter une attitude beaucoup plus conciliante en sa faveur. Il estime que le rejet de sa demande de confrontation allait à l’encontre de son droit à un procès équitable, nonobstant son état de santé dégradé au moment des précédentes convocations du juge, qui ne saurait le priver de son droit d’être confronté aux personnes qu’il accuse.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme que l’État partie viole les droits qu’il tient du paragraphe 3 de l’article 2 et du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, vu que le juge d’instruction de l’État partie a décidé de ne pas convoquer de nouvelles confrontations et de nouveaux interrogatoires dans le cadre de sa plainte pour viol.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel, en ayant omis d’utiliser les dispositions de l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire, l’auteur n’avait pas épuisé les voies de recours internes. Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel cette procédure n’est valable que dans le cas d’une affaire ayant trait à la question du délai raisonnable et à la durée de la procédure. Au regard de l’imprécision dans l’utilisation de l’article L141-1 du Code de l’organisation judiciaire, le Comité considère en l’espèce qu’il n’y a pas lieu pour l’auteur d’épuiser la voie de recours prévue par cet article, et qu’en conséquence, les voies de recours internes ont été épuisées.

8.5Le Comité prend note des observations de l’État partie, qui affirme que la communication est irrecevable ratione materiae au regard du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dans la mesure où l’auteur n’a pas su démontrer comment le défaut d’interrogatoire de témoins additionnels ou l’absence de confrontation constituaient une violation de son droit à un procès équitable. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel la communication semble de préférence se référer au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, alors que l’auteur saisit le Comité en tant que victime et non en tant qu’accusé. Il note en outre l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur demande au Comité de substituer son appréciation des faits et des preuves à celle du juge interne, lequel est souverain dans l’appréciation des mesures d’instruction à ordonner ainsi que des résultats de celles-ci.

8.6Le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui fait valoir que la communication vise à dénoncer le caractère inéquitable de la procédure d’instruction, en particulier ses conséquences sur le plan civil. Il note également que l’auteur fait valoir qu’il y a eu un manque d’équité dans l’appréciation des preuves par les autorités nationales, et que des éléments dans les déclarations des personnes mises en cause révèlent des quolibets de nature homophobe qui auraient dû exiger du juge d’instruction qu’il approfondisse les enquêtes, notamment en permettant une nouvelle confrontation.

8.7Le Comité rappelle que les dispositions du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, de façon générale, visent une saine administration de la justice y compris en ce qui concerne des obligations à caractère civil. Le Comité considère néanmoins, en l’espèce, qu’il ne lui appartient pas de se substituer au juge d’instruction en évaluant les faits de la cause, et qu’il ne pouvait être saisi qu’à la condition que l’auteur montre que l’attitude du juge révélait un comportement arbitraire ou un déni de justice, ou qu’il avait par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité.Le Comité estime qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas valablement démontré en quoi l’appréciation de toutes les informations recueillies au cours de l’instruction était arbitraire ou relevait d’un déni de justice. Pour ce qui est des griefs tirés du paragraphe 3 de l’article2 du Pacte, le Comité rappelle que les dispositions dudit article, qui énoncent des obligations générales à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément et par elles-mêmes dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité estime que l’auteur n’a pas su démontrer en quoi l’État partie n’avait pas mis à sa disposition un recours utile. Le Comité constate que les griefs formulés par l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article2 et du paragraphe 1 de l’article 14du Pacte,lus conjointement, ne sont pas suffisamment étayés pour être recevables.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.