nation s Unies

CCPR/C/129/D/2930/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 décembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2930/2017 * , **

Communication présentée par :

Sabas Eduardo Pretelt de la Vega (représenté par un conseil, Víctor Javier Mosquera Marín)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Colombie

Date de la communication :

1er août 2016

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 janvier 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

21 juillet 2020

Objet :

Condamnation en premier et dernier ressort d’un ancien ministre par la plus haute instance juridictionnelle

Question(s) de procédure :

Examen de la même question par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à une procédure régulière ; droit d’être entendu par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; droit à la présomption d’innocence ; droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure ; égalité devant la loi ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; principe de non-discrimination

Article(s) du Pacte :

2, 3, 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 a), b), c) et e), 5 et 7) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Sabas Eduardo Pretelt de la Vega, de nationalité colombienne, né en 1946. Il se dit victime d’une violation par l’État partie des droits qui lui sont reconnus par les articles 2, 3, 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 a), b), c) et e), 5 et 7) et 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 29 octobre 1969.

1.2Le 1er août 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires en faveur de l’auteur au titre de l’article 94 de son règlement intérieur.

Exposé des faits

2.1Entre 2002 et 2006, l’auteur de la communication a été Ministre de l’intérieur et de la justice pendant le premier mandat du Président Álvaro Uribe.

2.2La Première Commission de la Chambre du Congrès de la République, réunie du 2 au 4 juin 2004, a adopté le projet de loi no 267, qui a rendu possible la réélection du Président de l’époque, Álvaro Uribe. Le 7 juin 2004, Germán Navas Talero, membre du Congrès, a saisi la Cour suprême de justice d’une plainte pour corruption visant Yidis Medina Padilla, également membre du Congrès. Le 23 février 2005, la Cour suprême a rendu une ordonnance de non-information mettant fin à l’enquête préliminaire menée sur les faits.

2.3En mars et avril 2008, la presse a fait paraître deux articles dans lesquels Mme Medina Padilla reconnaissait avoir accepté des avantages bureaucratiques qui lui avaient été proposés par l’auteur de la communication et d’autres hauts fonctionnaires en contrepartie de son vote en faveur de l’adoption de la loi no 267 de 2004. Le 10 avril 2008, comme suite à la parution de ces articles, la Cour suprême de justice a décidé d’annuler l’ordonnance de non‑information du 23 février 2005 et a ouvert une procédure pénale contre l’ancienne membre du Congrès Mme Medina Padilla. Le 26 juin 2008, celle-ci a finalement été condamnée sur reconnaissance préalable de culpabilité pour corruption publique passive en vue d’un acte illicite, après qu’elle eut avoué avoir accepté une promesse de rémunération de la part de l’auteur de la communication et d’autres hauts fonctionnaires en contrepartie de son vote en faveur du projet de loi no 267, lequel prévoyait la possibilité d’une réélection du Président.

2.4Le 23 juin 2004, à la suite d’une plainte disciplinaire, les services du Procureur général de la nation ont, quant à eux, ouvert une enquête sur l’auteur de la communication, à l’issue de laquelle celui-ci a été mis hors de cause le 16 mars 2009. Par une décision du 20 octobre 2010, le Bureau du Procureur général a prononcé des sanctions administratives contre l’auteur, ordonnant sa révocation ainsi qu’une interdiction de mandat d’une durée de douze ans pour avoir offert à l’ancien membre du Congrès Teodolino Avendaño de lui obtenir certains avantages bureaucratiques en contrepartie de son vote en faveur du projet de loi no 267. Le 30 juin 2016, le Conseil d’État a annulé cette décision, considérant qu’elle était illégale et avait été rendue hors délai.

2.5Le 8 mai 2008, la Cour suprême de justice a transmis au ministère public les pièces versées au dossier de Mme Medina Padilla, pour que celui-ci ouvre une enquête pénale contre l’auteur de la communication, s’il le jugeait utile. Le 9 mai 2008, le Procureur général de la nation s’est déclaré empêché pour connaître de l’affaire. Le 28 mai 2008, la Cour suprême de justice a entériné la récusation du Procureur général et confié l’affaire au bureau du Vice‑Procureur général. Le 23 juin 2008, le Vice-Procureur général a pris la direction de l’enquête pénale visant l’auteur et d’autres hauts fonctionnaires.

2.6Le 19 janvier 2011, le Vice-Procureur général a à son tour déclaré qu’il était empêché de se saisir du dossier et, le 6 avril 2011, la Cour suprême de justice l’a autorisé à se récuser et a ordonné à la Procureure générale de poursuivre la procédure. Le 29 juillet 2011, la Cour suprême de justice a prononcé la nullité de l’acte d’accusation établi par le Vice‑Procureur contre l’auteur et le 23 août 2011, le Procureur général de la nation a déclaré nulles toutes les mesures prises après la clôture de l’enquête, considérant que le Vice‑Procureur général n’était pas compétent en l’espèce.

2.7Le 7 février 2012, en vertu de la loi no 06 du 24 novembre 2011, la Procureure générale a confié au Sixième Procureur près la Cour suprême de justice la tâche d’enquêter sur l’affaire, de poursuivre les intéressés et de plaider au procès.

2.8Le 6 mars 2012, le Sixième Procureur délégué a de nouveau examiné les éléments de fond du dossier et inculpé l’auteur de corruption active en concours homogène d’infractions, avec circonstances aggravantes du fait qu’il occupait le poste de Ministre de l’intérieur et de la justice et qu’il avait agi en complicité avec d’autres, et circonstances atténuantes étant donné qu’il n’avait pas de casier judiciaire. L’affaire a ensuite été renvoyée devant la Cour suprême de justice.

2.9Lors d’une audience tenue le 7 décembre 2012, le Sixième Procureur délégué a exprimé sa préoccupation quant à un possible conflit d’intérêts concernant l’avocate de l’auteur, qui faisait l’objet d’une enquête pour les mêmes faits dans une autre procédure et qui de plus avait été proposée comme témoin dans la procédure engagée contre l’auteur. Le 9 décembre 2012, l’avocate de l’auteur a annoncé qu’elle se retirait de l’affaire.

2.10Le 5 juillet 2013, l’auteur a introduit un recours en protection constitutionnelle devant la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice et le ministère public, invoquant son droit à une procédure régulière et son droit à ce que l’enquête et les poursuites soient menées par l’autorité compétente en application des lois en vigueur au moment des faits. Le 21 mai 2015, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours en protection constitutionnelle, estimant qu’il n’avait pas été démontré que l’irrégularité dénoncée avait été portée à la connaissance de l’autorité visée dans les délais fixés.

2.11Le 15 avril 2015, la Chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice, statuant en premier et dernier ressort, a déclaré l’auteur de la communication pénalement responsable en tant que « coauteur de l’infraction de corruption active en concours homogène » d’infractions et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de quatre-vingts mois, assortie d’une amende de 167 fois le salaire minimum mensuel légal, de la déchéance de certains droits et d’une interdiction d’exercer une fonction publique pour une période de cent douze mois.

2.12L’auteur affirme que les recours internes ont été épuisés puisque la déclaration de culpabilité prononcée contre lui en premier et dernier ressort par la chambre pénale de la Cour suprême de justice n’est susceptible d’aucun recours. Il indique en outre que le 4 septembre 2015, il a introduit un recours en protection constitutionnelle (amparo) au motif que le jugement de condamnation violait son droit à un procès équitable et au respect de la présomption d’innocence. Le 17 septembre, la chambre de cassation civile de la Cour suprême a rejeté le recours en protection. Cette décision a été contestée le 23 septembre 2015, et le 9 novembre 2015 la Chambre de cassation en matière prud’homale de la Cour suprême a décidé de rejeter à nouveau ledit recours.

2.13L’auteur indique également que, dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour constitutionnelle a ordonné au Congrès de réglementer de façon exhaustive, dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision, le droit de contester toutes les condamnations, faute de quoi toute condamnation serait considérée comme susceptible de recours devant une instance supérieure compétente. Le 25 avril 2016, au terme du délai fixé, le Congrès ne s’était pas conformé à l’injonction de la Cour constitutionnelle, ce qui avait entraîné la conséquence juridique mentionnée dans l’arrêt. Le 28 avril 2016, la Cour suprême de justice, dans le communiqué de presse no 08/16, a souligné que la conséquence prévue dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle était « irréalisable » : la Cour étant la plus haute juridiction de droit commun, statuant en dernier ressort, elle n’était pas en mesure de créer un organe hiérarchiquement supérieur chargé de réexaminer les décisions rendues par ses chambres spécialisées. Le même jour, la Cour constitutionnelle a rendu une nouvelle décision d’unification (SU215/16) dont il ressortait que le droit de contester une condamnation prononcée en premier et dernier ressort ne pouvait être exercé que pour les affaires jugées à compter du 24 avril 2016. Le 18 mai 2016, conformément à ce qu’elle avait déclaré dans son communiqué de presse, la chambre de cassation pénale de la Cour suprême a rejeté comme irrecevable le recours formé par l’auteur contre sa condamnation du 15 avril 2015.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se dit victime d’une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 2, 3, 9, 14 et 26 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 2 et 3 du Pacte étant donné que son statut de haut fonctionnaire n’a pas garanti, mais au contraire entravé l’exercice effectif de ses droits garantis par le Pacte, en particulier par l’article 14 (par. 5).

3.3En ce qui concerne la violation de l’article 9, l’auteur affirme que sa liberté a été restreinte du fait d’une condamnation pénale qui ne satisfaisait pas aux conditions minimales énoncées à l’article 14 du Pacte. Il ajoute que cette violation a été d’autant plus flagrante qu’il n’a pas pu bénéficier de l’assignation à résidence alors qu’il remplissait les conditions légales applicables à cette modalité.

3.4L’auteur affirme également que, dans le cadre de la procédure judiciaire engagée contre lui, il s’est trouvé dans une situation d’inégalité judiciaire du fait de l’application d’une loi postérieure à la commission des faits, laquelle a permis qu’un fonctionnaire délégué, incompétent en l’espèce, soit chargé de l’instruction et des poursuites. Il affirme en outre qu’il a été porté atteinte à son droit d’être jugé par un tribunal compétent, énoncé à l’article 14 (par. 1) du Pacte, puisqu’au regard du droit interne, seul le Procureur général avait compétence pour instruire l’affaire et le poursuivre pénalement. Or celui-ci a transféré sa compétence à un subalterne. L’auteur ajoute qu’on ne lui a pas permis d’être jugé individuellement, ce qui a porté atteinte à son droit à un procès équitable, en violation de l’article 14 (par. 1).

3.5L’auteur considère que l’État partie a violé son droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial puisque, d’une part, les juges qui ont eu à connaître de l’affaire ont influencé le choix du Procureur chargé d’enquêter sur lui au stade de l’instruction pénale, et que, d’autre part, les juges, qui avaient des idées préconçues sur l’affaire, ont statué en se laissant influencer par des préjugés personnels. L’auteur affirme que l’indépendance de la justice a été compromise en ce que, dans la décision de condamnation, les juges ont mentionné les implications politiques de leurs décisions. De même, il fait savoir que le juge rapporteur avait été l’assesseur d’un des juges qui avaient condamné Mme Medina Padilla ; enfin, le Sixième Procureur délégué est devenu juge auxiliaire auprès d’un des juges saisis de l’affaire. L’auteur avance que les magistrats qui se sont prononcés sur l’affaire avaient déjà exprimé une opinion sur les faits.

3.6L’auteur estime que son droit à la présomption d’innocence, tel qu’il est énoncé à l’article 14 (par. 2), a été violé puisque tout au long de la procédure judiciaire il a été présumé coupable, la condamnation de Mme Medina Padilla impliquant également sa condamnation informelle ; il en veut pour preuve que la plupart des éléments à charge étaient issus d’autres procédures judiciaires.

3.7L’auteur affirme que les garanties énoncées à l’article 14 (par. 3) n’ont pas été respectées, pour les raisons suivantes : a) lui-même et les autres fonctionnaires mis en cause par Mme Medina Padilla ont été privés de la possibilité d’être entendus dans le cadre du procès et de discuter les arguments à charge, et n’ont pas davantage pu discuter les preuves issues d’autres procédures ; b) le nouvel avocat de l’auteur n’a pas disposé du temps nécessaire pour étudier le dossier ; c) l’auteur a dû endurer une enquête pénale et un procès qui ont duré près de sept ans ; le délai écoulé entre la mise en accusation formelle et l’ouverture du procès était donc excessif.

3.8L’auteur affirme que l’État partie a violé le droit qui lui est reconnu par l’article 14 (par. 5) de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité, puisque, selon la législation interne, c’est la Cour suprême de justice qui est compétente pour connaître de l’affaire et statuer sur celle-ci en premier et dernier ressort, et sa décision n’est susceptible d’aucun recours.

3.9Enfin, l’auteur affirme qu’il y a eu violation du principe non bis in idem consacré à l’article 14 (par. 7), parce que la décision rendue à l’issue de la procédure disciplinaire devant le Bureau du Procureur général n’a pas été prise en compte.

3.10En ce qui concerne l’article 26, l’auteur affirme que l’État partie a exercé une discrimination à son égard tout au long de la procédure, comme le montre en particulier le fait qu’il n’a pas pu exercer son droit de faire appel devant une juridiction supérieure.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 20 février 2017, l’État partie affirme que la communication est irrecevable au regard l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif, la question ayant déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.2L’État partie indique que le Conseil des droits de l’homme, par les notes verbales G/SO 215/1 COL 222 du 22 septembre 2015 et G/SO 215/1 COL 222 du 22 mai 2016, lui a transmis deux communications qui lui avaient été soumises par le Centre démocratique, parti politique colombien, et dans lesquelles celui-ci accusait l’État de persécution contre le parti et ses membres et présentaient des arguments qui concernaient expressément l’auteur de la présente communication. Dans la note verbale G/SO 215/1 COL 222 du 22 août 2016, le Conseil des droits de l’homme a déclaré recevables les arguments avancés par l’État partie sur les éléments présentés par le Centre démocratique et ses membres, estimant que ceux-ci semblaient motivés par des considérations politiques.

4.3L’État partie affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Le 15 avril 2015, les neuf juges de la Chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice ont déclaré l’intéressé pénalement responsable en tant que coauteur des faits de corruption publique active, en concours homogène d’infractions. L’auteur a certes été condamné en premier et dernier ressort, du fait de son statut de fonctionnaire jouissant de l’immunité politique, mais il n’a pas épuisé toutes les voies de recours qui lui étaient ouvertes puisque, s’il est vrai que la décision rendue en l’espèce ne peut être contestée en deuxième instance, il aurait la possibilité de former un pourvoi en révision conformément aux dispositions du Code de procédure pénale.

4.4L’État partie fait en outre valoir que la Cour constitutionnelle elle-même a souligné que « dans la tradition du droit pénal, le pourvoi en révision a été conçu comme un instrument de protection des droits fondamentaux du condamné, compte tenu de la nature des droits auxquels il pouvait être porté atteinte − en particulier le droit à la liberté de la personne ».

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des lettres du 27 mars et du 12 juin 2017, l’auteur affirme que sa communication satisfait aux critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif et reprend les griefs de violation formulés dans sa lettre initiale.

5.2Pour ce qui est des objections de l’État partie à la recevabilité de la communication, l’auteur affirme que le Conseil des droits de l’homme n’est pas compétent pour connaître des contentieux, que ses décisions ne sont pas contraignantes, et que l’on ne saurait donc considérer qu’il s’agit là d’un recours international épuisé. Ni le Conseil des droits de l’homme, ni les rapporteurs spéciaux ou les groupes de travail des Nations Unies ne sont considérés comme des organes internationaux quasi judiciaires ; on ne saurait donc affirmer que la communication est irrecevable au motif que ces entités ont été saisies.

5.3L’auteur répète que la procédure pénale intentée contre lui a constitué une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte. Les recours mentionnés par l’État partie ne permettraient pas de faire réexaminer au fond la déclaration de culpabilité et la condamnation. L’auteur soutient que l’État partie se fonde sur une règle de procédure pénale qui n’a pas été appliquée dans le cadre de la procédure intentée contre lui. Le recours en révision est un recours extraordinaire : il permet donc de tenir un débat contradictoire non pas pendant le procès, mais à l’issue de celui-ci, lorsqu’un nouvel élément de preuve peut être produit ou que la jurisprudence évolue, ou bien encore lorsqu’un élément nouveau permet la réouverture du débat ; il ne permet pas, en revanche, de soumettre au contradictoire les éléments qui ont déjà fait l’objet d’un jugement définitif. La juridiction en question a elle-même déclaré, au surplus, qu’elle avait statué en premier et dernier ressort. On ne saurait donc considérer qu’il s’agit là d’un moyen adéquat.

5.4L’auteur souligne que, dans son arrêt, la Cour suprême de justice elle-même précise que sa décision n’est susceptible d’aucun recours. Il ne dispose donc d’aucun recours adéquat et utile qui lui permettrait de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui par la Cour en premier et dernier ressort. Le recours auquel fait référence l’État partie n’est pas adéquat et n’aurait aucune chance d’aboutir. L’auteur répète que les lois qui prévoient que les hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité sont jugés en matière pénale par la Cour suprême de justice en premier et dernier ressort, et ne peuvent pas faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre eux par une juridiction supérieure, sont contraires à l’article 26 du Pacte, puisqu’elles privent certains fonctionnaires du droit reconnu par cette disposition.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le Conseil des droits de l’homme a souscrit à ses observations concernant les arguments avancés par le Centre démocratique et ses membres, estimant que ceux-ci semblaient motivés par des considérations politiques. Il prend également note des allégations de l’auteur qui affirme que le Conseil des droits de l’homme n’est pas compétent pour connaître des contentieux, que ses décisions ne sont pas contraignantes et que l’on ne saurait donc considérer qu’il s’agit là d’un recours international épuisé. Le Comité observe que le Conseil des droits de l’homme n’est pas une instance juridictionnelle ni un organe de règlement des différends au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif et qu’en tout état de cause, la procédure devant le Conseil était close. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché par les dispositions de l’article 5 (par. 2 a)) de déclarer la communication recevable.

6.3Le Comité note que l’État partie affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, puisqu’il avait la possibilité d’introduire un recours en révision qui lui aurait permis de contester la condamnation prononcée contre lui par la Cour suprême de justice le 15 avril 2015. Il prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles le recours en question n’est pas adapté ni n’aurait de chance d’aboutir, et la Cour suprême de justice a elle-même déclaré dans sa décision de condamnation que celle-ci n’était susceptible d’aucun recours. Il observe que l’État partie n’a pas expliqué en quoi les recours mentionnés dans ses observations seraient utiles dans le cas de l’auteur en ce qu’ils lui permettraient d’obtenir le réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui. En conséquence, le Comité estime que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Le Comité note que l’auteur dénonce une violation des articles 2, 3 et 26 du Pacte sans donner aucune justification ni aucune argumentation appropriée expliquant en quoi d’autres personnes auraient été traitées différemment dans des circonstances analogues. Il déclare donc ces griefs irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, pour défaut de fondement.

6.5Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, selon lequel sa liberté a été restreinte puisqu’on l’a obligé à supporter une condamnation arbitraire due à une mauvaise qualification des faits et au prononcé d’une peine abusive, et parce qu’on ne lui a pas reconnu la prérogative qui était la sienne de bénéficier de manière effective d’une assignation à résidence du fait de son statut d’ancien haut fonctionnaire. Le Comité note toutefois que ce grief était présenté de manière générale, sans être suffisamment fondé. À cet égard, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles : l’État partie a violé son droit à l’égalité devant les tribunaux et la loi et à un procès équitable, énoncé à l’article 14 (par. 1) du Pacte, étant donné que l’auteur n’a pas bénéficié de l’égalité de moyens ; les autorités ayant appliqué une loi postérieure aux faits en cause, le Procureur qui l’a poursuivi n’était pas compétent pour se saisir de l’affaire, ce qui a porté atteinte à son droit au juge naturel ; les magistrats qui l’ont jugé avaient un avis sur l’affaire, et le Procureur qui l’a poursuivi a fini par endosser le rôle de juge. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels : l’auteur s’est vu appliquer la procédure pénale prévue pour les citoyens qui jouissent d’une immunité en raison des fonctions qu’ils occupent en leur qualité de hauts fonctionnaires ; on ne saurait invoquer un quelconque fondement juridique pour remettre en question l’autorité ou l’impartialité de la Cour suprême de justice, et l’auteur a été poursuivi par le Procureur compétent. Le Comité observe que l’auteur n’a pas expliqué en quoi il avait été porté atteinte à son droit à l’égalité devant les tribunaux, ni en quoi la désignation du Procureur chargé de l’enquête et des poursuites avait entraîné une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial, compte tenu en particulier du fait que l’auteur a eu la possibilité d’exposer ces faits devant les tribunaux. Le Comité estime par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles : son droit à la présomption d’innocence et son droit au contradictoire ont été violés ; il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et les autorités l’ont privé d’accès aux preuves ; la Cour suprême de justice a jugé irrecevables certaines preuves essentielles à sa défense ; il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable. S’agissant des griefs de l’auteur concernant l’examen des preuves par la Cour suprême, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que c’est aux juridictions des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation ou cette application a été clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité note que l’auteur n’a pas précisé quels éléments de preuve essentiels à sa défense auraient été déclarés irrecevables, ni à quels éléments de preuve il n’a pas eu la possibilité d’accéder. Ces informations ne ressortent pas non plus de l’arrêt de la Cour suprême de justice, qui a été transmis au Comité. Le Comité estime par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le grief de violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 2 et 3 a), b), c) et e)) du Pacte et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité note que l’auteur affirme avoir été jugé deux fois pour les mêmes faits, en violation de l’article 14 (par. 7) du Pacte. Il constate toutefois que les informations dont il dispose ne permettent pas de conclure que la mise hors de cause de l’auteur par le Bureau du Procureur général de la nation ou la sanction administrative qui a par la suite été infligée à l’auteur par la même autorité dans le cadre d’une procédure administrative disciplinaire équivalaient à une mise hors de cause ou à une sanction de nature pénale. Le Comité rappelle que la garantie prévue par la disposition précitée du Pacte s’applique aux infractions pénales uniquement et ne s’applique pas aux mesures disciplinaires qui ne sont pas une condamnation pour une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte. Le Comité estime donc que ce grief n’a pas non plus été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité estime toutefois que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire de l’article 14 (par. 5) du Pacte selon lesquels il a été jugé en premier et dernier ressort sans possibilité de révision de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui. Par conséquent, il déclare la plainte recevable au regard de l’article 14 (par. 5) du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que, selon l’auteur, la procédure pénale intentée contre lui a constitué une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte, puisqu’il n’existait pas de mécanisme effectif lui permettant de faire appel de sa condamnation et de demander le réexamen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui par la chambre pénale de la Cour suprême de justice le 15 avril 2015.

7.3Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels il ressortait de la jurisprudence constitutionnelle en vigueur au moment de la décision que le fait de traduire les hauts fonctionnaires devant la Cour suprême de justice représentait la meilleure garantie d’une procédure régulière, et que la suppression du second degré de juridiction était légitime dans la mesure où les intéressés étaient jugés par la plus haute juridiction, siégeant en formation collégiale, et présentait des avantages, comme celui de permettre une économie de procédure ou d’éviter d’éventuelles erreurs qu’auraient pu commettre des juges ou des juridictions inférieurs. Le Comité note en outre que, selon l’État partie, le fait de traduire ces personnes, en leur qualité de hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité politique, devant la plus haute juridiction pénale, était en soi une manière de garantir pleinement le respect des formes régulières.

7.4Le Comité rappelle que l’article 14 (par. 5) du Pacte consacre le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de sa culpabilité et sa condamnation, conformément à la loi. Il rappelle également que l’expression « conformément à la loi » ne signifie pas qu’il faille laisser l’existence même du droit de révision par une juridiction supérieure à la discrétion des États parties. Si la législation d’un État partie peut prévoir certains cas où une personne doit être jugée, du fait de sa charge, par une juridiction plus élevée que celle qui aurait été naturellement saisie, cette circonstance ne saurait à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui. Le Comité observe également que si la Cour constitutionnelle a ordonné au Congrès de réglementer de façon exhaustive le droit de contester toutes les condamnations, au terme du délai fixé le Congrès ne s’était pas conformé à l’injonction de la Cour constitutionnelle. En outre, le 28 avril 2016, la Cour suprême de justice a souligné, dans un communiqué de presse, que la conséquence prévue dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle était « irréalisable » ; la Cour étant la plus haute juridiction de droit commun, statuant en dernier ressort, elle n’était pas en mesure de créer un organe hiérarchiquement supérieur chargé de réexaminer les décisions rendues par ses chambres spécialisées. Plus tard, le 18 mai 2016, la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice a rejeté comme irrecevable le recours formé par l’auteur contre sa condamnation du 15 avril 2015, en se basant sur les arguments avancés dans le communiqué de presse. Le Comité prend note également de la décision d’uniformisation (SU215/16) de la Cour constitutionnelle en date du 28 avril 2016 dont il ressortait que le droit de contester une condamnation prononcée en premier et dernier ressort ne pouvait être exercé que pour les affaires jugées à compter du 24 avril 2016, ce qui avait pour conséquence d’empêcher l’auteur d’introduire un quelconque recours en contestation devant la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice, étant donné que la condamnation avait été prononcée antérieurement à cette date, le 15 avril 2015. En l’espèce, le Comité note que l’auteur ne disposait pas d’un recours utile pour demander que la déclaration de culpabilité et la condamnation soient réexaminées par une instance supérieure. Il conclut donc que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. L’État partie est tenu d’offrir une indemnisation appropriée à l’auteur et de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. Sur ce point, le Comité note qu’avec l’adoption de la loi no 01 de 2018, le 18 janvier 2018, la Constitution a été modifiée de façon à garantir aux hauts fonctionnaires le droit au double degré de juridiction pénale, mesure que le Comité considère comme une garantie de non-répétition.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.