Nations Unies

CCPR/C/120/D/2171/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 août 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2171/2012*,**

Communication présentée par:

Petr Gatilov (non représenté par un conseil)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Fédération de Russie

Date de la communication:

7 avril 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 juillet 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 juillet 2017

Objet:

Expulsion forcée du domicile et perte de ses biens par l’auteur

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Respect de la vie privée ; protection de la loi

Article(s) du Pacte:

2 (par. 1 et 3), 6, 12, 14, 17 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Petr Gatilov, de nationalité russe, né en 1951. Il affirme être victime de violations par la Fédération de Russie des droits qu’il tient des articles 2 (par. 1 et 3), 6, 12, 14, 17 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour la Fédération de Russie le 1er janvier 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 27 janvier 2005, l’appartement no 5 de l’immeuble no 48 du microdistrict Borisovka, dans la ville de Iakoutsk, qui était vacant depuis le 12 septembre 2001 et appartenait à la municipalité, a été attribué à l’auteur à titre de logement social, par décision du Service des logements municipaux de la ville de Iakoutsk. L’auteur et sa famille y ont habité jusqu’en 2007.

2.2Le 9 décembre 2005, des employés du service des huissiers de justice ont demandé oralement à l’auteur de quitter son appartement parce que ce logement faisait l’objet d’un litige en matière de propriété. L’auteur a refusé de quitter les lieux au motif qu’aucune décision de justice l’y obligeant n’avait été rendue. Le 27 juillet 2007, le tribunal municipal de Iakoutsk a résilié le bail de l’auteur, rendu une ordonnance d’expulsion et ordonné au Service des logements municipaux de reloger l’auteur dans un logement équivalent. L’auteur soutient qu’il n’a pas été informé de cette procédure, raison pour laquelle l’audience s’est déroulée en son absence. Le 16 septembre, une procédure d’expulsion a été engagée par le service des huissiers de justice. L’auteur relève qu’aucun acte de procédure ni aucun avis concernant l’exécution de cette mesure ne lui ont été notifiés et qu’il n’a donc pas été informé de la date et de l’heure de l’expulsion.

2.3Le 19 septembre 2007, en l’absence de l’auteur, des agents du service des huissiers de justice, armés, ont fait irruption dans son appartement et ont emporté tous ses effets personnels, à savoir ses vêtements, ses meubles, ses documents, ses bijoux et son argent. L’auteur n’a pas été informé de l’endroit où ses biens avaient été emportés. Le jour même, le service des huissiers de justice a constaté officiellement que la mesure d’exécution avait été appliquée. Le 9 octobre, l’auteur a été informé qu’un logement de remplacement lui serait fourni lorsque le Service des logements municipaux disposerait des ressources nécessaires.

2.4L’auteur affirme que le service des huissiers de justice a violé les droits qu’il tient du paragraphe 1 de l’article 40 de la Constitution de la Fédération de Russie, des articles 3 et 89 du Code du logement de la Fédération de Russie ainsi que d’autres lois nationales, et qu’il n’a pas respecté la décision du 27 juillet 2007 du tribunal qui ordonnait aux autorités de le reloger avant de l’expulser de l’appartement en question.

2.5Le 29 octobre 2007, l’auteur a saisi le Bureau du Procureur d’une plainte destinée à déclencher l’ouverture de poursuites pénales contre les huissiers de justice qui l’avaient expulsé sans lui attribuer un logement de remplacement. Il a été débouté le 12 novembre. Le 7 avril 2008, le Bureau du Procureur a annulé sa décision du 12 novembre 2007 au motif qu’elle avait été rendue en violation de la loi. Toutefois, le 17 avril 2008, le Bureau du Procureur a rejeté une nouvelle fois la requête de l’auteur, considérant que les huissiers de justice avaient agi sur la base de la décision du tribunal du 27 juillet 2007.

2.6À une date non précisée, l’auteur a saisi le tribunal municipal de Iakoutsk, affirmant que les agents du service des huissiers de justice avaient fait irruption illégalement à son domicile et avaient emporté ses effets personnel. L’auteur a demandé au tribunal d’engager des poursuites pénales et d’ordonner une indemnisation pour le préjudice moral résultant des actes illégaux des agents de l’État. Le 30 mai 2008, le tribunal municipal de Iakoutsk a débouté l’auteur au motif qu’il n’avait pas apporté la preuve de la responsabilité pénale des huissiers de justice.

2.7Le 29 juillet 2008, l’auteur a demandé à nouveau au Bureau du Procureur d’engager des poursuites pénales pour les actes commis par les huissiers de justice. Le 26 février 2009, le Bureau du Procureur a débouté l’auteur au motif qu’il n’avait pas démontré qu’une infraction avait été commise.

2.8Le 5 novembre 2008, l’auteur a reçu une lettre du Service des logements municipaux indiquant que, dans l’exécution de la décision du tribunal en date du 27 juillet 2007, les huissiers de justice avaient outrepassé leurs fonctions en ce qui concernait l’expulsion, mais pas parce qu’ils ne lui avaient pas fourni un logement de remplacement. Le 5 mars 2009, l’auteur a reçu 47 000 euros de la municipalité à titre d’indemnité pour son expulsion. Il affirme que cette somme ne suffit pas à compenser la diminution de son niveau de vie résultant de la violation de ses droits.

2.9Le 3 mars 2010, l’auteur a été informé que ses effets personnels étaient entreposés dans des locaux du service des huissiers de justice. À une date non précisée, il a de nouveau saisi le Bureau du Procureur pour demander l’ouverture de poursuites pénales contre le service des huissiers de justice, en lien avec son expulsion et la non-fourniture d’un logement de remplacement, mais il a été débouté le 16 août.

2.10Le 17 septembre 2010, l’auteur a de nouveau saisi le tribunal municipal de Iakoutsk, alléguant qu’on ne lui avait pas communiqué la date et l’heure de l’expulsion, et qu’il n’avait pas été informé à temps du lieu où ses effets personnels avaient été emportés. Le 11 octobre, le tribunal municipal de Iakoutsk a rejeté la demande de l’auteur au motif que celui-ci n’avait pas produit de documents établissant la responsabilité pénale des huissiers. À une date non précisée, l’auteur a saisi la Cour suprême de la République de Sakha (Iakoutie), laquelle, le 17 mars 2011, a rejeté son appel pour défaut de compétence en la matière.

2.11Le 23 septembre 2011, l’auteur a saisi le tribunal municipal de Iakoutsk, affirmant que la décision de ce même tribunal en date du 27 juillet 2007 n’avait pas été pleinement appliquée étant donné qu’aucun logement de remplacement ne lui avait été proposé. Il a été débouté le 28 septembre au motif qu’il aurait dû engager une procédure différente. Le 13 octobre, l’auteur a interjeté appel devant la Cour suprême de la République de Sakha (Iakoutie), qui l’a débouté le 9 novembre.

2.12Le 12 octobre 2011, le Bureau du Procureur a annulé sa décision du 26 février 2009 sans fournir de motivation sur le fond et a réorienté la plainte de l’auteur en vue d’un réexamen. Au vu de toutes les plaintes qu’il a déposées, l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.L’auteur se déclare victime de violations par l’État partie des droits qu’il tient des articles 2 (par. 1 et 3), 6, 12, 14, 17, et 26 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 21 novembre 2012, répondant aux allégations de l’auteur, l’État partie a fait valoir qu’en février 2007, à la demande du chef du Département régional du Service fédéral de sécurité, le Bureau du Procureur avait estimé que l’appartement en question avait été attribué à M. Gatilov illégalement, vu que celui‑ci n’était pas considéré comme une personne ayant besoin d’un logement social.

4.2L’appartement avait été auparavant occupé par R. A. I. et deux de ses filles mineures. En 1996, R. A. I. est décédé et les deux filles ont été placées dans un orphelinat. L’appartement ne leur avait pas été pas attribué, en violation de l’article 8 de la loi fédérale no 159-FZ. Pour remédier à cette situation, le tribunal municipal de Iakoutsk a décidé, les 10 mars et 27 juillet 2007, de résilier le bail de l’auteur et d’attribuer l’appartement à l’une des orphelines, R. E. L. Par ailleurs, le tribunal a ordonné aux services administratifs de la ville de Iakoutsk de reloger l’auteur.

4.3Ces deux décisions ont pris effet conformément aux délais de procédure et n’ont pas été contestées par l’auteur. Le 16 septembre 2007, le service des huissiers de justice a entamé la procédure d’expulsion de l’auteur. L’expulsion a été menée par P. E. A., huissier de justice, le 19 septembre, en l’absence de l’auteur. Les effets personnels de celui-ci ont été sortis de l’appartement et remis à K. M. C.. Plus tard, tous ces biens ont été perdus.

4.4Par décision du 8 juin 2012, le tribunal municipal de Iakoutsk a déclaré que les huissiers de justice avaient agi illégalement en ce qui concerne la mise en sécurité des biens. Les autres griefs soulevés par M. Gatilov ont été rejetés pour défaut de fondement. M. Gatilov a également demandé au tribunal d’engager des poursuites pénales contre les huissiers de justice. Le 30 mai 2008, cette plainte a été renvoyée à l’auteur pour des motifs de procédure et, le 16 juin, elle a été rejetée pour défaut de fondement. L’auteur n’a pas fait appel de cette décision.

4.5L’auteur a également déposé plainte auprès du Bureau du Procureur. Le Bureau du Procureur de la ville de Iakoutsk a procédé à divers examens mais a refusé à plusieurs reprises d’engager des poursuites pénales, le dernier refus remontant au 4 août 2012, lorsqu’il a considéré que les huissiers de justice n’avaient commis aucune infraction.

4.6En ce qui concerne la décision du 27 juillet 2007 dans laquelle le tribunal a ordonné qu’un autre appartement soit mis à la disposition de l’auteur, l’État partie affirme que c’est l’auteur lui-même, par l’intermédiaire d’un représentant, E. O. A., qui a demandé que la décision du tribunal soit modifiée. Par décision du 21 novembre 2008, le tribunal a remplacé la solution du relogement par le versement d’une indemnité de 1 980 000 roubles, que l’auteur a reçue le 27 février 2009.

4.7L’État partie affirme donc que les griefs de l’auteur ne sont pas étayés et sont irrecevables, étant donné que les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Les 28 janvier 2012 et 23 avril 2013, l’auteur a formulé à nouveau ses griefs contre l’État partie. Il fait valoir que l’inviolabilité de la propriété privée est consacrée par la Constitution de la Fédération de Russie. Le Bureau du Procureur a saisi le bien de l’auteur en alléguant que deux orphelines en avaient besoin. Les orphelines en question n’avaient pas besoin d’un appartement, car elles vivaient déjà dans un logement que leur avaient attribué les autorités.

5.2L’auteur affirme en outre que, conformément à la législation nationale, les autorités auraient dû lui proposer un logement de remplacement avant de l’expulser. Le tribunal aurait dû mentionner dans sa décision relative à l’expulsion qu’une solution de relogement lui était offerte. L’auteur affirme que les autorités ne lui ont pas fourni un logement de remplacement et qu’elles n’avaient pas le droit de pénétrer dans son appartement en son absence.

5.3L’auteur fait valoir en outre que ses effets personnels lui ont été retirés en son absence, et qu’en dépit de ses nombreuses requêtes, ils ne lui ont jamais été restitués. Les autorités n’ont pas été en mesure de lui dire précisément ce qu’il était advenu de ses biens et de ses effets personnels, que l’auteur n’a jamais revus.

Observations complémentaires des parties

Réponse de l’État partie

6.1Les 19 juin 2013, 19 décembre 2013, 29 janvier 2014 et 16 juillet 2014, l’État partie a avancé à nouveau ses arguments relatifs à la légalité des décisions rendues contre l’auteur par le tribunal municipal de Iakoutsk les 10 mai et 27 juillet 2007. Il indique en outre que l’auteur a reçu une indemnité de 1 980 000 roubles en lieu et place de l’attribution d’un autre logement.

6.2Le 17 septembre 2010, l’auteur a saisi le tribunal municipal de Iakoutsk, réclamant une indemnité pour les dommages causés par les huissiers de justice et pour le « préjudice moral » subi. Étant donné que les actes des huissiers de justice n’ont jamais été jugés illégaux, la plainte a été renvoyée à l’auteur sans avoir été examinée. Le 27 mars 2011, l’auteur a été débouté par la Cour suprême de la République de Sakha (Iakoutie). En outre, le 28 septembre, le tribunal municipal de Iakoutsk a rejeté ses griefs, et cette décision a été confirmée par la Cour suprême de la République de Sakha (Iakoutie) le 9 novembre.

6.3L’auteur a déposé une autre plainte au sujet de la perte de ses effets personnels, qui a été rejetée par la Cour suprême de la Fédération de Russie le 14 décembre 2012. Dans ces décisions de justice, il est dit que les droits et libertés de l’auteur n’ont pas été violés. Par conséquent, l’auteur n’a pas établi son statut de victime, ce qui rend sa plainte irrecevable au regard des articles 1 et 2 du Protocole facultatif.

6.4Le 19 décembre 2013, l’État partie a indiqué que les griefs de l’auteur avaient également été rejetés par le tribunal municipal de Iakoutsk, le 14 mai, et par la Cour suprême de la République de Sakha (Iakoutie), le 25 juillet. Il ajoute que ces décisions n’ont pas fait l’objet d’un recours en annulation ni d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle.

6.5Le 16 juillet 2014, l’État partie a indiqué que l’auteur avait formé un recours en annulation contre les décisions précitées mais n’avait pas demandé leur réexamen au titre de la procédure de contrôle.

Observations de l’auteur

7.1L’auteur a fourni des observations complémentaires les 28 août et 16 décembre 2013 ainsi que les 20 février, 15 mai et 18 septembre 2014. Il maintient sa position, à savoir que les autorités n’avaient aucun droit de l’expulser, sans lui proposer une solution de relogement.

7.2L’auteur fait valoir en outre que l’État partie ne l’a pas indemnisé pour la perte de ses effets personnels, qu’il estime à 762 125 roubles et 80 kopecks. Il a présenté au tribunal une demande d’indemnisation à hauteur de 120 000 roubles pour le « préjudice moral » subi et pour le temps perdu à rechercher ses biens. Il affirme qu’il a produit une estimation détaillée du préjudice subi. Toutefois, ses plaintes ont toutes été rejetées par les tribunaux et le Bureau du Procureur, comme indiqué plus haut.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. En particulier, l’État partie affirme que l’auteur n’a pas demandé le contrôle de la légalité de décisions judiciaires, tout en reconnaissant qu’il a formé des recours en annulation. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité réaffirme que les demandes de contrôle de la légalité de décisions judiciaires devenues exécutoires adressées au président d’un tribunal et subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge constituent un recours extraordinaire, et que l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables que ces demandes constituent un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Or l’État partie n’a pas montré que les demandes au titre de la procédure de contrôle adressées au Président de la Cour suprême étaient accueillies dans des affaires civiles concernant une expulsion et une indemnisation pour la perte de biens et n’a pas indiqué, le cas échéant, dans combien d’affaires elles avaient abouti. En conséquence, le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

8.4Le Comité a pris note des griefs que l’auteur tire des articles 2 (par. 1 et 3), 6, 12 et 26 du Pacte. Cependant, en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a suffisamment étayé ses autres griefs, qu’il tire du paragraphe 1 de l’article 14 concernant son absence aux audiences relatives à son expulsion, et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte. Le Comité déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note que l’auteur affirme qu’il n’a pas été convoqué aux audiences relatives à son expulsion, raison pour laquelle il n’était pas présent. L’État partie, dans ses observations, ne conteste pas le fait que l’auteur était absent à ces audiences. Il ne suggère pas non plus qu’une convocation lui a été dûment adressée et qu’il n’y a pas répondu. Le Comité rappelle son observation générale no32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il est indiqué que l’article 14 « s’entend du droit d’accès aux tribunaux » de toute personne « dont les droits et obligations de caractère civil sont contestés ». Il y est indiqué en outre que « [l]’accès à l’administration de la justice doit être garanti effectivement dans tous les cas afin que personne ne soit privé, en termes procéduraux, de son droit de se pourvoir en justice ». En l’espèce, l’auteur n’a pas pu accéder aux tribunaux pour la simple raison qu’il n’a pas été informé et qu’il n’était donc pas présent lors des audiences relatives à son expulsion. Dans les circonstances de l’espèce, et compte tenu du fait que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’auteur n’avait pas été informé de la date et de l’heure des audiences, le Comité considère que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.3Le Comité note également que l’auteur affirme avoir été expulsé illégalement de l’appartement où il vivait avec sa famille, qu’au cours de cette opération leurs biens ont été confiés à un particulier et que, par la suite, ils ont été égarés et n’ont pas pu être récupérés. L’État partie affirme que l’expulsion était fondée sur une décision judiciaire et, en outre, s’exonère de toute responsabilité dans la perte des biens de l’auteur. En conséquence, le Comité doit déterminer si l’immixtion de l’État partie dans l’intimité du domicile de l’auteur était arbitraire ou illégale. Le Comité rappelle son observation générale no16 (1988) sur le droit au respect de la vie privée, qui précise que l’adjectif illégal signifie qu’« aucune immixtion ne peut avoir lieu, sauf dans les cas envisagés par la loi ». La loi « doit elle‑même être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte [...] et, dans tous les cas, [être] raisonnable eu égard aux circonstances particulières ».

9.4À cet égard, le Comité relève que l’auteur affirme que la législation nationale interdit l’expulsion en l’absence de solution de relogement. Le Comité note que, dans sa décision du 27 juillet 2007, le tribunal municipal de Iakoutsk donne une interprétation semblable de l’interdiction d’expulser en l’absence de solution de relogement. Le Comité relève également que l’auteur n’a pas été convoqué aux audiences concernant son expulsion, qu’il n’était même pas présent lors de l’exécution de cette mesure, et que sa demande d’indemnisation pour la perte de ses effets personnels a été rejetée. Il n’est pas non plus contesté que les biens de l’auteur ont été confiés à un particulier et, qu’en définitive, ils n’ont jamais été récupérés, et que l’auteur n’a jamais été indemnisé, même s’il a reçu une compensation financière en lieu et place de l’attribution d’un autre logement. Compte tenu du fait que l’auteur a été expulsé sans qu’on lui propose une solution de relogement et que l’expulsion s’est déroulée de manière contraire à la législation nationale et à la décision du tribunal en date du 27 juillet 2007, le Comité considère que, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’immixtion de l’État partie dans l’intimité du domicile de l’auteur était arbitraire et illégale, ce qui constitue une violation du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient du paragraphe 1 de l’article 14 et du paragraphe 1 de l’article 17 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela suppose d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour accorder à l’auteur une indemnisation adéquate, notamment pour la perte de ses effets personnels, les amendes infligées par le tribunal, les frais de justice et autres frais connexes, ainsi que tout autre préjudice qui n’aurait pas été réparé. Il a également l’obligation de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles‑ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.