Nations Unies

CCPR/C/123/D/2785/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2785/2016*,**

Communication présentée par :

Ahmed Khaleel (représenté par un conseil, M. Ahmed Shaheed)

Au nom de :

Hussain Humaam Ahmed

État partie :

Maldives

Date de la communication :

11 juillet 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 juillet2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27juillet 2018

Objet :

Peine capitale, prononcée à l’issue d’un procès inéquitable

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; examen par une autre instance internationale

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; procès équitable

Article(s) du Pacte :

6, 7 et 14

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5

1.1L’auteur de la communication, reçue le 11 juillet 2016, est Ahmed Khaleel, ressortissant des Maldives. Il présente la communication au nom de son fils, Humaam Ahmed, également ressortissant maldivien, qui est actuellement en détention après une condamnation à la peine capitale. La peine de mort prononcée contre M. Humaam a été confirmée par la Cour suprême des Maldives le 24 juin 2016 et l’exécution devait avoir lieu dans les trente jours suivant cette confirmation. L’auteur soutient que l’État partie violerait les droits que M. Humaam tient des articles 6, 7 et 14 du Pacte s’il était procédé à l’exécution. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 septembre 2006. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Lorsqu’il a soumis la communication, l’auteur a prié le Comité de formuler une demande de mesures provisoires de protection tendant à ce que l’État partie sursoie à l’exécution de M. Humaam tant que la présente affaire serait à l’examen. Le 12 juillet 2016, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de M. Humaam. Le 12 septembre 2016, l’État partie a accepté de surseoir à l’exécution tant que le Comité resterait saisi de l’affaire.

1.3Le 12 septembre 2016, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication. Le 19 novembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial, a décidé d’examiner conjointement la recevabilité et le fond de l’affaire.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 2 octobre 2012, le corps du député Afrasheem Ali a été découvert par sa femme dans leur appartement à Malé. Quelques minutes plus tard, la police a arrêté M. Humaam, qui se trouvait à proximité. La police a tout d’abord déclaré que le meurtre avait un caractère politique et a aussi arrêté quatre autres personnes. Toutes ont été libérées, à l’exception de M. Humaam.

2.2M. Humaam a été reconnu coupable de meurtre par le tribunal pénal de Malé le 16 janvier 2014 et condamné à mort. Son avocat a fait appel de cette décision devant la Haute Cour, qui a confirmé la décision de première instance le 7 septembre 2015. Le 24 juin 2016, la Cour suprême a confirmé l’arrêt de la Haute Cour.

2.3L’auteur soutient que l’enquête sur le meurtre n’a pas été menée correctement, les autorités n’ayant jamais déterminé le mobile qui aurait incité M. Humaam à tuer M. Ali ni expliqué pourquoi elles avaient initialement déclaré qu’il s’agissait d’un meurtre à caractère politique. La police avait au départ annoncé publiquement que d’importantes sommes d’argent avaient été versées pour le meurtre, affirmation qui n’a été ni réfutée ni corroborée. Le mobile du meurtre n’a donc pas été établi. La famille de M. Ali a même demandé à la Cour suprême que l’exécution de la décision du 24 juin 2016 confirmant la condamnation à mort soit suspendue tant que le meurtre n’aurait pas fait l’objet d’une enquête rigoureuse. La Cour a toutefois refusé d’examiner cette demande au motif qu’elle avait été déposée en dehors des heures de travail.

2.4L’auteur soutient que le procès de M. Humaam a été entaché de plusieurs irrégularités. Tout d’abord, l’avocat de M. Humaam n’était pas présent lorsque celui-ci a avoué avoir commis le crime. Il s’est ensuite rétracté, expliquant qu’il avait avoué parce que des membres de sa famille avaient été menacés, mais le tribunal n’a pas accepté sa rétractation. Aucune enquête n’a été menée sur l’allégation de recours à la contrainte.

2.5M. Humaam n’a pas non plus été autorisé à faire citer des témoins à décharge. Un témoin essentiel, Ahmed Nazeef Shaukath, qui était en compagnie de M. Humaam lorsque celui-ci a été arrêté, a été retrouvé mort le 7 février 2013 avant d’avoir pu déposer devant le tribunal. Un autre témoin, Azlif Rauf, avec qui M. Humaam aurait planifié l’assassinat, a été autorisé à quitter le pays en janvier 2015, bien que son passeport eût été confisqué.

2.6La famille de M. Humaam a demandé que la santé mentale de celui-ci fasse l’objet d’une expertise médicale et psychiatrique indépendante en raison de signes de déséquilibre mental toujours plus fréquents, notamment un comportement imprévisible et des revirements dans les moyens de défense, comportement qui a également empêché son avocat d’assurer une représentation véritablement efficace. Aucune expertise n’a jamais été effectuée.

2.7En outre, l’actuelle loi sur la grâce donne au Président le pouvoir de gracier les condamnés ou de commuer leur peine dans toutes les affaires, y compris les affaires de meurtre. Cependant, après le procès de M. Humaam, le pouvoir judiciaire a interprété la loi relative à la grâce comme énonçant que, lorsqu’il exerce son droit de grâce, le Président doit tenir compte de facteurs tels que la charia, en particulier le droit de la famille du défunt de se prévaloir du qisas (loi du talion), ce qui a pour effet de soustraire le droit de grâce au pouvoir discrétionnaire du Président. Selon l’auteur, cette interprétation visait M. Humaam et a porté atteinte à son droit d’obtenir une grâce.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie violerait les droits que M. Humaam tient de l’article 6 du Pacte si la peine de mort prononcée à son encontre était exécutée, compte tenu des allégations de violation des droits garantis à l’intéressé par l’article 14 du Pacte.

3.2L’auteur ajoute que les déclarations répétées des autorités et les modifications législatives récentes visant à la reprise des exécutions ont plongé M. Humaam dans une profonde détresse, en violation de l’interdiction d’infliger des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants énoncée à l’article 7 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 12 septembre 2016, l’État partie a présenté des observations sur la communication et en a contesté la recevabilité. Il affirme que les critères de recevabilité ne sont pas remplis et, partant, que la communication constitue un abus du droit de saisir le Comité.

4.2Dans ses observations datées du 12 septembre 2016, l’État partie relève qu’avant la soumission de la présente communication, le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, le Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats et le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ont été saisis de la même requête. Il fait donc valoir qu’étant déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête, la communication devrait être déclarée irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie ajoute que les recours internes n’ont pas été épuisés au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait observer qu’à ce stade de la procédure, la famille de M. Ali et M. Humaam ont entamé un processus de médiation obligatoire qui permet aux proches d’exercer le droit au qisas ou d’y renoncer. Étant donné que, selon l’auteur, des membres de la famille de M. Ali ont déjà exprimé dans une lettre leur intention de ne pas exercer ce droit, il est probable qu’ils ne chercheront pas à le faire appliquer. L’État partie soutient qu’il s’ensuit que cette voie de recours n’est pas épuisée à ce stade. La médiation prévue par la réglementation étant obligatoire, la peine capitale ne saurait être appliquée si ce processus n’est pas engagé.

4.3Les allégations de procès inéquitable sont insuffisamment étayées. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les aveux ont été obtenus par la contrainte, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a produit aucun élément de preuve sur lequel elle pourrait se fonder. Les aveux ayant été recueillis au cours d’un procès public, il semble illogique de laisser penser qu’ils ont été obtenus par la contrainte.

4.4L’allégation selon laquelle M. Humaam montrait des signes de maladie mentale et aurait dû subir un examen psychiatrique n’est étayée par aucune preuve ni aucune explication, de sorte qu’elle est dénuée de fondement. L’argument relatif à la santé mentale de M. Humaam n’a été soulevé qu’à un stade très avancé de la procédure, et le juge de première instance a considéré que l’intéressé avait toute sa raison.

4.5En ce qui concerne le grief relatif aux carences de l’enquête, l’affirmation de l’auteur selon laquelle les déclarations publiques de la police concernant d’importantes sommes d’argent versées pour le meurtre n’ont jamais été réfutées ni étayées manque de clarté, n’est pas corroborée par des éléments factuels et ne prouve pas que l’enquête était incomplète. Même lorsqu’une personne a agi sur l’ordre d’un tiers, sa responsabilité pénale ne sera pas atténuée s’il est établi, dans le cadre d’une procédure judiciaire et au-delà de tout doute raisonnable, qu’elle a commis l’acte criminel en question. En l’espèce, M. Humaam a été reconnu coupable de meurtre en première instance, ce qui a été confirmé par deux instances d’appel, et il a été condamné à la peine capitale. Aucun élément de preuve crédible soumis au tribunal ne permet de mettre en doute sa responsabilité pénale. Cette question a fait l’objet d’une enquête complète et approfondie et la procédure s’est déroulée conformément aux normes d’enquête les plus strictes. À tous les stades de l’enquête, les autorités se sont conformées pleinement à leurs obligations professionnelles en matière de communication d’informations. En conséquence, les allégations en question sont dénuées de fondement.

4.6L’État partie fait en outre observer qu’en vertu de l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité, une communication doit normalement être présentée par la victime ou par son représentant désigné. En l’espèce, aucun élément de preuve ni aucune explication n’ont été fournis pour justifier le fait que la communication n’a pas pu être présentée par M. Humaam lui-même ou par son représentant désigné. L’incarcération n’avait pas pour effet d’empêcher M. Humaam ou son représentant désigné de présenter une communication. En conséquence, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 13 novembre 2016, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité.

5.2L’auteur affirme que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Selon la jurisprudence du Comité, les procédures extraconventionnelles mises en place par le Conseil des droits de l’homme ne constituent pas en règle générale une telle procédure d’enquête ou de règlement. En outre, la requête présentée au titre des procédures spéciales a été élaborée par une organisation de défense des droits de l’homme et non par la victime ou sa famille.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, ces recours doivent être utiles, alors que les procédures en vigueur aux Maldives ne garantissent pas l’exercice effectif du droit de solliciter la grâce au sens du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte et n’offrent pas les garanties d’un procès équitable prévues par l’article 14 du Pacte.

5.4Le règlement no 2014/R-33 régissant les enquêtes sur les homicides volontaires et l’application de la peine de mort, adopté en 2014, a supprimé le pouvoir qu’avait le Président d’accorder la grâce ou une commutation de peine aux personnes reconnues coupables d’homicide volontaire qui n’ont plus droit à d’autres voies de recours. En vertu du chapitre 13 du règlement R-33, les héritiers d’une victime d’homicide ont le pouvoir discrétionnaire d’accorder leur pardon à la personne condamnée à mort. Si le pardon est accordé, la peine ne peut être commuée que si la Cour suprême ne rend pas une décision contraire. Au cours de la procédure d’appel devant la Cour suprême, le greffier a refusé de verser au dossier une lettre dans laquelle la famille de M. Ali demandait un sursis en faveur de M. Humaam jusqu’à ce qu’une véritable enquête pour homicide ait été menée à bien. En outre, bien que la Cour suprême ait rendu son arrêt définitif le 24 juin 2016, l’État partie n’a pas facilité le processus de médiation prévu par l’article 9 du règlement R-33. L’État partie n’a pas veillé à ce que le processus de médiation s’achève sans retard déraisonnable une fois la condamnation à la peine capitale prononcée (cinq mois s’étant écoulés lorsqu’il a soumis ses observations). En outre, le règlement ne précise pas les conditions dans lesquelles la Cour suprême peut refuser la commutation de la peine capitale lorsque la famille de la victime accorde son pardon à la personne condamnée. Une discrimination est en outre opérée en fonction du crime commis, étant donné qu’en décembre 2015, la Haute Cour a jugé que le Président ne pouvait pas accorder une commutation de la peine capitale ou la grâce à une personne accusée de meurtre aggravé.

5.5Les aveux forcés ont été faits lors d’une audience de mise en détention, le 7 décembre 2011, mais au procès M. Humaam s’est rétracté au motif qu’il avait fait ces aveux parce que des membres de sa famille avaient été menacés. Cet argument est réfuté par l’État partie, qui fait valoir que les aveux ont été corroborés par les déclarations des témoins. À l’audience, M. Humaam a avoué avoir commis d’autres infractions, mais il a toujours nié catégoriquement le meurtre de M. Ali.

5.6Le rétablissement de la peine de mort, en avril 2014, était une promesse de campagne faite lors des élections présidentielles de 2013. L’État partie et le pouvoir judiciaire semblent s’être entendus pour accélérer le traitement de l’affaire de M. Humaam bien que sa condamnation à mort ait été prononcée en 2014, avant l’adoption du règlement 2014/R-33. Le Président et le Ministre des affaires intérieures n’ont eu de cesse de déclarer publiquement que la peine capitale serait appliquée.

5.7Avant que la Cour suprême ne confirme la condamnation à mort, la famille de M. Ali a sollicité un sursis en faveur de M. Humaam, mais la Cour suprême n’a pas tenu compte de cette demande. Malgré les déclarations publiques de la police, aucune enquête n’a été menée sur les autres personnes qui auraient été impliquées dans le meurtre. Les membres de la famille de M. Ali ont dit publiquement qu’ils ne pensaient pas que les personnes qui avaient organisé le meurtre avaient fait l’objet d’une enquête, ce qui a en partie motivé la lettre par laquelle ils demandaient un sursis.

5.8En ce qui concerne la santé mentale de M. Humaam, l’auteur souligne que, pendant la procédure d’appel devant la Haute Cour, qui s’est déroulée du 21 octobre 2014 au 7 septembre 2015, un médecin de l’administration pénitentiaire a adressé M. Humaam à un psychiatre. De plus, au procès, l’attitude de M. Humaam, qui agissait manifestement contre ses intérêts en modifiant constamment ses moyens de défense, sans compter les comportements observés lors des visites de sa famille et ses antécédents de maladie mentale, montrait clairement la nécessité de le faire examiner par un psychiatre indépendant, en particulier parce qu’il était accusé d’un crime passible de la peine capitale. Or aucun examen n’a été effectué.

5.9En ce qui concerne le fait que la communication a été présentée par une personne autre que M. Humaam ou son représentant dûment autorisé, l’auteur note que la communication a été rédigée avec l’aide de l’avocat de M. Humaam, mais l’urgence de la situation, la crainte de prendre du retard et la crainte de voir le secret des communications entre l’avocat et son client violé en raison de la surveillance exercée par la police dans les affaires à caractère politique ont poussé l’auteur à saisir lui-même le Comité. Toutes les procurations nécessaires ont été produites. Le Comité devrait donc déclarer la communication recevable et l’examiner au fond

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale datée du 12 janvier 2017, l’État partie a répété ses précédents arguments concernant la recevabilité et présenté ses observations sur le fond de la plainte de l’auteur.

6.2Dans ses observations datées du 12 janvier 2017, l’État partie signale qu’un accusé qui comparaît devant un tribunal a normalement l’occasion de produire des preuves à décharge. M. Humaam a toutefois pleinement reconnu les faits devant le tribunal le 7 décembre 2012 et le 22 mai 2013. Le 22 mai 2013, il a été prié de confirmer ses aveux à plusieurs reprises, ce qu’il a fait. Tant le 7 décembre 2012 que le 22 mai 2013, il a reconnu les faits et plaidé coupable. Il a donc aussi choisi de ne pas se prévaloir de la possibilité de faire citer des témoins ou de produire des éléments de preuve. M. Humaam n’a cherché à revenir sur ses aveux initiaux qu’à un stade beaucoup plus avancé de la procédure et, à ce moment-là, sa demande de faire citer des témoins a été rejetée. Comme cela a été noté par la Haute Cour et la Cour suprême, il n’a pas pu démontrer qu’un danger qui l’aurait menacé ou qui aurait menacé sa famille l’avait contraint à faire des aveux. Il ne pouvait donc revenir sur ceux-ci. En outre, il est de jurisprudence constante que, lorsque le droit au qisas est en cause, comme en l’espèce, il n’est pas possible de revenir sur des aveux de meurtre. Cela est conforme à la Constitution, qui dispose en son article 142 que le juge doit prendre en compte la charia pour statuer sur les questions au sujet desquelles la Constitution ou la loi sont muettes. En outre, il est bien établi en droit interne que les principes de la charia doivent s’appliquer dans les affaires concernant le qisas, y compris s’agissant des questions relatives à la rétractation d’aveux.

6.3M. Humaam ayant reconnu les faits qui lui étaient reprochés, c’est à juste titre que le juge a refusé de l’autoriser à faire citer des témoins. En outre, le grief de l’auteur concernant les témoins semble reposer sur le fait que l’un d’eux a été retrouvé mort le 7 février 2013, avant d’avoir pu déposer. Cette question ne relevant absolument pas de la compétence du tribunal, il n’y a pas à en tenir compte.

6.4Un autre témoin aurait été autorisé à quitter le pays. On ne saisit pas en quoi cela démontre que l’accusé a été empêché de défendre sa cause. L’auteur ne précise pas si cet individu a été cité comme témoin avant son départ des Maldives ou si l’autorisation de quitter le pays qui lui a été accordée était entachée d’irrégularités procédurales. En outre, l’auteur ne laisse pas entendre que le témoin, même s’il était resté aux Maldives, aurait pu être contraint de témoigner en faveur de M. Humaam. Il incombe à la défense de veiller à la comparution des témoins qu’elle demande, et le fait qu’elle ne s’acquitte pas de cette tâche n’entraîne en aucune manière une violation du droit à un procès équitable reconnu à l’accusé. Le fait qu’un témoin de la défense soit en voyage à l’étranger ou comparaisse au procès ou autre ne relève pas de la compétence du tribunal. Il n’appartient pas au tribunal, au ministère public ou aux autorités de l’État de fixer les conditions dans lesquelles les témoins à décharge comparaissent, ni de donner à la défense des instructions à cet égard. Cette question est laissée à l’entière appréciation de la défense, qui ne peut demander l’intervention du tribunal que lorsqu’elle fait face à des obstacles insurmontables qui entravent l’administration de la justice. Rien ne donne à penser qu’en l’espèce la défense s’est heurtée à des obstacles disproportionnés. En outre, il est établi en droit qu’un président de tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’autoriser les témoins à comparaître ou d’admettre des éléments de preuve. La question de la pertinence concerne tous les témoins.

6.5Même si l’accusation a supprimé les noms de certains témoins, notamment ceux de deux policiers dont l’identité n’a pas été divulguée afin d’éviter qu’ils ne soient influencés et pour leur propre sécurité, le juge disposait des véritables noms des témoins et a pu confirmer leur identité et la concordance de leurs dépositions, ce qui est une garantie de la crédibilité de leur témoignage. Dans l’affaire Doorson c.  Pays-Bas, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que la décision de ne pas révéler à la défense l’identité de certains témoins « s’inspirait de la nécessité, à laquelle elle avait conclu, d’obtenir leur témoignage tout en les protégeant contre la possibilité de représailles [...]. Il s’agissait là assurément d’un motif pertinent pour les autoriser à conserver l’anonymat ». La Cour a ajouté que « [b]ien qu’au dire du requérant nul n’ait jamais soutenu que [les témoins anonymes] eussent jamais fait l’objet de menaces de sa part, la décision de maintenir leur anonymat ne peut passer pour déraisonnable en soi. ». En outre, bien qu’elle ait joué un rôle important dans la décision du tribunal, la déposition de ces témoins n’a pas été le seul élément déterminant. Elle n’a pas été décisive dans la condamnation de M. Humaam, mais elle a permis de corroborer les aveux qu’il avait faits à deux reprises.

6.6Les décisions du tribunal pénal, de la Haute Cour et de la Cour suprême n’étaient pas fondées uniquement sur les dépositions de témoins anonymes. Des preuves documentaires, des dépositions de témoins non anonymes et des aveux ont également été pris en compte. De plus, des traces de l’acide désoxyribonucléique (ADN) de M. Ali ont été retrouvées sur le jean de M. Humaam et l’équipe de défense de l’auteur a eu la possibilité d’examiner et de remettre en cause les conclusions du rapport d’analyse qui a été établi. Enfin, l’équipe de défense de M. Humaam a pu interroger et contre-interroger tous les témoins à chaque audience à laquelle ceux-ci ont comparu. Même si elle ne connaissait pas le nom exact de certains des témoins, la défense a été informée de tous les détails importants de l’enquête et a pu interroger librement les témoins pour vérifier la fiabilité et la concordance de leurs dépositions.

6.7En outre, M. Humaam a volontairement et intelligemment décidé de plaider coupable, tout en étant pleinement conscient qu’il renonçait à son droit de faire citer des témoins à décharge. L’auteur affirme que les aveux ont été obtenus par la contrainte, mais aucune information précise n’est fournie pour étayer cette affirmation. L’article 52 de la Constitution dispose que les aveux obtenus par la contrainte sont irrecevables. L’accusé a toutefois l’obligation de soulever cette question pour démontrer ensuite que les aveux ont été obtenus par la contrainte. Une fois que l’accusé reconnaît spontanément les faits devant un juge, ses aveux sont considérés comme valables, à moins que la preuve ne soit faite qu’ils lui ont été extorqués. En l’espèce, il n’a pas été démontré que l’accusé souffrait d’une maladie mentale ou avait été contraint de faire des aveux. Par conséquent, le juge de première instance a conclu à juste titre que les aveux étaient recevables au regard de l’article 52 de la Constitution. La Haute Cour a estimé également que l’accusé avait reconnu devant le juge, et donc conformément à la loi, qu’il avait tué la victime de sa propre initiative et en étant en pleine possession de ses facultés mentales. La Haute Cour a conclu que, lorsqu’il déclare des aveux recevables, le juge de première instance est fondé à ne pas autoriser la défense à présenter des témoignages à décharge.

6.8L’idée selon laquelle, d’une manière ou d’une autre, la possibilité d’obtenir une commutation de peine a été réduite est erronée. Selon l’interprétation que l’auteur fait de la loi relative à la grâce, le Président doit tenir compte des principes de la charia, y compris du droit au qisas, ce qui supprime son pouvoir discrétionnaire. La question du droit reconnu au Président de gracier l’auteur d’une infraction, entre autres, a été traitée dans une affaire entièrement distincte. De plus, étant donné que la procédure d’application des condamnations est régie par le règlement concernant les enquêtes en matière de meurtre et l’exécution de la peine de mort, il sera demandé expressément aux membres de la famille de M. Ali s’ils souhaitent pardonner l’auteur. Indépendamment de la question de savoir si la famille de la victime souhaite accorder son pardon, le Ministère des affaires islamiques doit engager le processus de médiation, dont le but général est d’expliquer à la famille de la victime l’importance et le rôle du pardon dans l’islam. Comme le règlement exige absolument que la famille de la victime soit consultée, même le jour de l’exécution, les membres de cette famille ont largement la possibilité de faire savoir ce qu’ils souhaitent.

6.9De plus, dans son arrêt, la Haute Cour souligne que tous les héritiers souhaitaient que le ou les responsables du meurtre de M. Ali soient condamnés à la peine capitale. La famille a donc manifesté son souhait qu’il soit procédé à l’exécution.

6.10Dans son arrêt, la Cour suprême donne des orientations et une analyse plus poussées concernant le qisas, et adopte au sujet des héritiers une position contraire à celle exposée par l’auteur. La famille de la victime a encore largement la possibilité de demander la commutation de la peine capitale, et l’objection soulevée est donc dépourvue de fondement.

6.11En ce qui concerne la maladie mentale dont souffrirait M. Humaam, le fait qu’un rapport soit demandé ne signifie pas qu’il faille procéder à un examen. M. Humaam n’a fourni aucun document attestant qu’il souffre d’une incapacité mentale. En outre, si un rapport « indépendant » est demandé, il ne devrait pas incomber au tribunal ou à l’accusation d’en ordonner l’établissement. Enfin, la question de la santé mentale n’a été soulevée qu’après que M. Humaam eut changé d’avocats, soit à un stade avancé de la procédure, ce qui donne à penser qu’il s’agit là d’un argument « de la dernière chance » avant la déclaration de culpabilité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 12 mars 2017, l’auteur a présenté les commentaires ci-après sur les observations de l’État partie concernant le fond.

7.2L’auteur déclare que, selon le rapport de police annexé aux observations de l’État partie concernant le fond, le 13 octobre 2012 M. Humaam a été interrogé à Feydhoofinolhu, une île éloignée de tout centre de détention de la police, sur laquelle aucun établissement de ce genre n’a jamais été construit et qui n’a jamais été utilisée par la Police maldivienne pour mener des enquêtes ou interroger des suspects. Aucune explication n’a été fournie sur les raisons pour lesquelles ce lieu a été jugé approprié.

7.3En ce qui concerne l’observation selon laquelle M. Humaam a été transféré au poste de police de Villimalé le 30 octobre 2012, on ne sait pas vraiment où M. Humaam était détenu avant ce transfert. En outre, il est très inhabituel que la police transfère un détenu de Malé à Villimalé, qui est une autre île. Normalement, les personnes détenues par la police sont gardées dans les centres de détention de Malé ou de l’île de Dhoonidhoo jusqu’à la fin de leur procès. L’auteur souhaite avoir une explication.

7.4Le 2 novembre 2012, un avocat a été désigné pour assister M. Humaam, et le 16 novembre 2012, M. Humaam a signé une déclaration dans laquelle il niait les faits qui lui étaient reprochés. Le 7 décembre 2012, M. Humaam a été conduit au siège de la police à Malé, où il a fait les prétendus aveux. On ne voit pas bien pourquoi il a dû être transféré de Villimalé au siège de la police à Malé, où il a soudain reconnu les faits qu’il avait niés précédemment et signé une déclaration à cet effet. Immédiatement après, il a été présenté à un juge, à qui il a répété ses aveux. Il ne ressort pas du procès-verbal de l’enquête, ni des minutes des procès en première instance et en appel, que le conseil de M. Humaam était présent lorsque les prétendus aveux ont été recueillis par la police le 7 décembre 2012, et par le juge le lendemain. Il s’agit là d’une violation manifeste des articles 51 f) et 53 de la Constitution, notamment du droit de consulter un avocat et d’être représenté par un avocat de son choix. Le conseil de M. Humaam a quitté les Maldives pour reprendre des études. Comme M. Humaam n’avait pas les moyens de rémunérer un conseil, un avocat lui a été commis d’office. Il a toutefois refusé d’être défendu par cet avocat parce qu’il ne faisait pas confiance au système de justice pénale. Le fait de ne pas avoir pu consulter l’avocat qu’il avait lui-même désigné, ni consulter aucun avocat à certaines périodes, montre que les prétendus « aveux » n’étaient en rien spontanés.

7.5En outre, l’absence d’images vidéo des prétendus « aveux » recueillis au siège de la police le 7 décembre 2012 constitue une violation de l’article 6 du règlement sur les pouvoirs de la police (daté du 2 novembre 2008), qui exige l’enregistrement vidéo de tous les interrogatoires menés dans le cadre des enquêtes policières. Enfin, il ressort des comptes rendus d’audience que M. Humaam a été inculpé le 30 janvier 2013. Aux Maldives, la procédure pénale ordinaire ne prévoit pas l’enregistrement des aveux d’un suspect par le tribunal avant l’inculpation.

7.6Le 6 mai 2013, à l’ouverture du procès et sans la présence d’un avocat de la défense, M. Humaam a nié les faits qui lui étaient reprochés. Toutefois, à l’audience du 22 mai 2013, il a « avoué » le crime, sans être représenté par un avocat. Le 31 mai 2013, alors qu’il était représenté par un conseil, il s’est rétracté.

7.7L’auteur réfute en outre l’argument de l’État partie qui affirme qu’aucun élément de preuve ne permet de penser que M. Humaam souffre de maladie mentale ou a été contraint de faire des aveux. Les tribunaux n’ont pas tenu compte des antécédents de troubles mentaux de M. Humaam et du fait qu’il était soigné en institution quelques mois seulement avant d’être arrêté, ce qui, combiné au comportement observé depuis son arrestation, le 2 octobre 2012, montre que l’intégralité de la procédure en première instance et en appel est entachée d’irrégularités. Il ressort du rapport de la Police maldivienne que les médecins ont prescrit à M. Humaam un traitement pour des troubles mentaux, et que le seul psychiatre du pays a refusé de le soumettre à un examen psychologique en raison d’un conflit d’intérêts. La Commission des droits de l’homme a également écrit à la Police maldivienne au sujet des médicaments psychiatriques administrés à M. Humaam. Il ressort également du rapport de police que les conseils de M. Humaam ont demandé au tribunal de première instance d’ordonner un examen de la santé mentale de l’intéressé et qu’ils se sont heurtés à un refus. En outre, quelques mois avant le meurtre de M. Ali, M. Humaam séjournait dans une institution publique de réadaptation en raison de troubles du comportement. Le tribunal pour mineurs, devant lequel M. Humaam avait comparu dans le cadre d’une affaire antérieure, avait ordonné aux autorités de fournir à M. Humaam des services de conseil psychologique. Ce fait aurait dû être connu du juge de première instance.

7.8L’auteur note que, selon l’État partie, les dépositions des témoins ne présentaient plus d’intérêt en raison des aveux faits par M. Humaam le 22 mai 2013. Toutefois, puisqu’il est revenu sur ses aveux le 31 mai 2013, M. Humaam aurait dû être autorisé à faire citer des témoins. Bien que la Haute Cour et la Cour suprême aient conclu que M. Humaam n’avait pas démontré que lui-même ou sa famille couraient un danger alors qu’il affirmait avoir fait des aveux pour cette raison, M. Humaam a demandé, après s’être rétracté le 31 mai 2013, à faire citer des témoins afin de prouver qu’il avait avoué sous la contrainte. S’étant heurté à un refus, il a été privé de la possibilité de préparer sa défense, en violation de l’article 14 du Pacte. Par conséquent, l’argument de l’État partie selon lequel il était « sans intérêt » de faire citer des témoins à ce stade de la procédure est incorrect.

7.9L’auteur soutient que M. Humaam a perdu deux témoins essentiels. Le premier était le policier chargé de contrôler les caméras de vidéosurveillance situées à proximité du lieu du meurtre. Non seulement ce policier est décédé peu après le meurtre (sa mort inexpliquée n’a jamais fait l’objet d’une enquête), mais aucune caméra de vidéosurveillance située dans le secteur n’a enregistré d’images vidéo au moment des faits. Le deuxième témoin, M. Azlif Rauf, dont le passeport a été confisqué par la Police maldivienne dans le cadre de l’enquête sur le meurtre de M. Ali, a été mystérieusement autorisé à quitter le pays et n’y est pas revenu depuis. De toute évidence, une personne dont le passeport avait été confisqué par la police, et qui s’était vu interdire de quitter le pays par ordonnance judiciaire en lien avec la commission d’une infraction très grave, n’aurait pas pu se rendre à l’étranger si des hauts fonctionnaires de l’État et la Police maldivienne n’avaient pas facilité son départ. L’enquête ouverte par la police pour déterminer qui avait facilité ce départ n’a pas encore abouti. L’auteur soutient que, dans ses observations, l’État partie présente une version erronée des faits lorsqu’il affirme que le deuxième témoin a quitté le pays de son plein gré, car il donne ainsi à penser que celui-ci était libre de partir sans le consentement des autorités.

7.10Les Maldives n’ont pas de code de procédure pénale ni de loi sur la preuve. Leur droit interne contient très peu de dispositions relatives à la preuve. C’est pourquoi la procédure pénale relative à la conduite du procès en première instance et en appel est laissée au pouvoir discrétionnaire du juge, qui procède au cas par cas. Les tribunaux maldiviens ne disposent pas de règles relatives aux témoignages anonymes. Le droit de l’accusé à un procès équitable est violé chaque fois que l’accusation se fonde sur des témoignages anonymes. Comme il est impossible de contre‑interroger un témoin anonyme, l’accusé ne dispose d’aucun moyen de vérifier la véracité de la déposition. Généralement, la déposition d’un témoin anonyme est consignée par écrit, mais étant donné que l’accusation n’en communique pas le texte à la défense, celle-ci n’est pas en mesure de préparer de contre-interrogatoire. En outre, l’accusation se fonde sur des témoignages anonymes uniquement dans les affaires politiques. L’identité des témoins n’est pas divulguée pour des raisons politiques et non pour protéger les intéressés.

7.11L’auteur renvoie en outre à un rapport établi en 2005 par la Faculté de droit de l’Université de Pennsylvanie à l’intention du Gouvernement des Maldives, où il est dit que le système maldivien de justice pénale est inadéquat, au point que les dénis de justice y sont systématiques et qu’il produit régulièrement des injustices. Dans son rapport, la Faculté de droit de l’Université de Pennsylvanie recommande la mise en œuvre de réformes de grande ampleur, soulignant que, sans changement radical, le système risque de se détériorer davantage. Elle recommande notamment de rendre la justice indépendante, de limiter le droit de la police de procéder à des perquisitions, d’instituer le droit du prévenu à l’assistance d’un avocat, et de mettre fin à la pratique actuelle consistant à s’appuyer essentiellement sur les aveux pour établir la responsabilité pénale. À ce jour, ces recommandations n’ont pas été entièrement mises en œuvre et, selon l’auteur, l’influence du pouvoir politique sur la justice s’est accrue depuis 2005.

7.12L’auteur fait observer qu’en vertu du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte, tout condamné à mort a le droit de solliciter une grâce ou la commutation de sa peine, et qu’une amnistie, une grâce ou une commutation de la peine de mort peut être accordée dans tous les cas. Les États parties ont l’obligation de veiller à ce que ce droit soit garanti dans tous les cas. Les juristes sont divisés sur la question de savoir si la charia autorise l’État à commuer les condamnations à mort prononcées contre les personnes reconnues coupables de meurtre. Quoi qu’il en soit, un règlement d’application pris par le Gouvernement en 2015, le « règlement en matière d’exécution », retire à l’État le pouvoir de commuer les peines capitales. Le Gouvernement a donc manifestement violé le paragraphe4 de l’article 6 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité doit s’assurer, conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note que, selon l’État partie, les mêmes questions ont été soulevées dans le cas de M. Humaam devant des titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Il renvoie à sa jurisprudence selon laquelle les procédures ou mécanismes extraconventionnels du Conseil des droits de l’homme dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans un pays ou territoire, ou sur des cas de violations généralisées des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. Par conséquent, il considère que cette disposition ne l’empêche pas d’examiner la présente affaire.

8.3Le Comité prend note de l’objection de l’État partie selon laquelle les recours internes n’ont pas été épuisés étant donné que le processus de médiation est utile et disponible jusqu’au jour de l’exécution. Il prend également note de la réponse de l’auteur qui affirme que, le tribunal n’ayant pas tenu compte de la demande de la famille de M. Ali tendant à surseoir à l’exécution, le processus de médiation est devenu inopérant, et qu’en tout état de cause il a excédé des délais raisonnables, ce qui rend les recours internes inutiles. Le Comité relève également que, selon l’auteur, les nouvelles règles sur la grâce sont opaques en ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire du Président et les pouvoirs de la Cour suprême, et qu’elles sont discriminatoires et, partant, inefficaces. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les règles sur la grâce sont claires et conformes à la charia.

8.4Le Comité considère que la grâce est un recours discrétionnaire qui n’a pas à être épuisé aux fins du Protocole facultatif. Notant en outre que la procédure de recours en grâce s’applique parallèlement à la procédure de médiation obligatoire prévue par la charia, il relève l’absence d’informations claires sur la capacité du Président et de la Cour suprême d’accorder ou de confirmer une mesure de grâce lorsqu’un processus de médiation est engagé dans une affaire d’homicide volontaire, ainsi que le manque d’informations claires sur la nature des modifications réglementaires apportées dans ce domaine. Le Comité considère que, dans ces conditions, l’État partie n’a pas démontré que le processus de médiation constituait un recours disponible et utile, et que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la présente communication quant au fond.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été présentée au Comité par un tiers et non par la personne se prétendant victime elle-même. À cet égard, le Comité rappelle que l’article 96 b) de son règlement intérieur dispose que normalement la communication doit être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais qu’une communication présentée au nom d’une prétendue victime peut toutefois être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. En l’espèce, le Comité relève que la prétendue victime était détenue dans le couloir de la mort, que la communication a été présentée en son nom par son père et son conseil, qui ont présenté une lettre d’autorisation et une procuration dûment signées de sa main afin que son conseil la représente devant le Comité. Le Comité n’est donc pas empêché d’examiner la communication par l’article premier du Protocole facultatif.

8.6En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle l’article 7 du Pacte a été violé, et plus précisément selon laquelle les mentions répétées de la possibilité d’une condamnation à mort ont eu pour M. Humaam un impact psychologique tel que son droit à ne pas être soumis à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant a été violé, le Comité note que l’auteur n’a pas fourni d’informations à l’appui de cette allégation, aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte, le Comité prend en outre note de l’argument de l’État partie qui affirme que les allégations selon lesquelles M. Humaam aurait fait des aveux sous la contrainte et aurait des problèmes de santé mentale sont insuffisamment étayées. Il prend également note de l’affirmation de l’auteur, qui souligne que l’avocat de M. Humaam n’était pas présent lorsque celui-ci a fait des aveux, que M. Humaam a tenté ultérieurement de se rétracter mais que le tribunal ne l’a pas autorisé à démontrer que ses aveux avaient été obtenus par la contrainte, et notamment à faire citer des témoins à cet effet. S’agissant de la demande d’examen psychiatrique, le Comité prend note de l’argument de l’auteur, qui soutient que M. Humaam a des antécédents de maladie mentale et notamment qu’il a été traité dans une institution publique, et que son comportement à l’audience a montré qu’un examen était nécessaire, ce que sa famille a d’ailleurs demandé. Il prend également note de l’argument de l’État partie, qui soutient que la question n’a été soulevée qu’à un stade avancé de la procédure, qu’il ne lui incombait pas de prendre des dispositions pour qu’un examen indépendant soit effectué, que M. Humaam n’avait pas soulevé la question dans le cadre d’instances pénales antérieures, qu’en tout état de cause aucune preuve n’a été produite pour étayer les allégations de l’auteur à ce sujet, et que le tribunal a considéré que M. Humaam avait toute sa raison. Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 14 aux fins de la recevabilité et les considère donc comme recevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8À la lumière des violations alléguées des droits que M. Humaam tient de l’article 14 du Pacte, le Comité considère que le grief de l’auteur alléguant une violation des droits que M. Humaam tient de l’article 6 du Pacte est suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Le Comité déclare donc recevables les griefs que l’auteur tire des articles 6 et 14 et il va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur au titre des articles 6 et 14 du Pacte selon lesquelles M. Humaam a été soumis à des pressions psychologiques visant à lui extorquer des aveux. Le 7 décembre 2012, lorsqu’il a fait des aveux, il était représenté par un conseil mais celui-ci n’était pas présent. Le conseil n’était pas non plus présent le lendemain à l’audience lors de laquelle M. Humaam a confirmé ses aveux. Il n’est pas précisé à quelle date l’avocat de M. Humaam a quitté le pays. M. Humaam n’avait pas d’avocat lors de l’ouverture du procès. Il semble qu’il ait refusé d’être assisté par l’avocat commis d’office. Le 6 mai 2013, il a nié les faits qui lui étaient reprochés, sans la présence d’un conseil. Le 22 mai, il a avoué les faits, toujours sans être représenté. Le 31 mai 2013, il s’est rétracté, cette fois en présence d’un avocat. Il ressort de la chronologie des événements figurant dans le rapport de police que, le 22 avril 2013, M. Humaam s’est vu accorder un délai de dix jours pour s’assurer les services du conseil de son choix, étant donné qu’il avait refusé d’être assisté par le conseil commis d’office. Il semble qu’il ait accepté de comparaître seul à l’ouverture du procès. Le Comité note également qu’aucun enregistrement vidéo de l’interrogatoire de police et des aveux ultérieurs n’a été communiqué, alors même que le droit interne exige qu’il soit procédé à un tel enregistrement ; que M. Humaam a fait des aveux alors qu’il n’était pas assisté par un conseil ; qu’il a confirmé ces aveux devant le tribunal, toujours sans l’assistance d’un conseil et avant d’être officiellement accusé ; que, bien que M. Humaam se soit avoué coupable à l’audience, le fait que sa famille subissait des menaces signifie qu’une contrainte était encore exercée sur lui à ce moment ; que, lorsque M. Humaam s’est rétracté en présence de son conseil et a demandé de faire citer des témoins pour corroborer ses allégations relatives à la contrainte qu’il avait subie, il s’est heurté à un refus, et que l’État partie n’a jamais mené sa propre enquête sur ces allégations. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie, qui soutient que M. Humaam a avoué les faits une fois à la police et à deux reprises devant un juge ; que ce n’est qu’à un stade avancé de la procédure, après avoir changé d’avocats, qu’il a déclaré avoir avoué sous la contrainte ; qu’il incombe à la défense et non à l’État partie d’étayer le grief relatif à la contrainte ; qu’en tout état de cause la charia n’autorise pas un prévenu à se rétracter lorsqu’il est jugé sain d’esprit, et que le tribunal a jugé que M. Humaam l’était en l’absence de preuve contraire ; et que M. Humaam n’a pas été reconnu coupable sur le seul fondement de ses aveux, lesquels n’ont fait que corroborer de très nombreux éléments de preuve.

9.3Le Comité rappelle tout d’abord que, lorsqu’une plainte dénonçant des mauvais traitements contraires à l’article 7 du Pacte est formulée, notamment des pressions psychologiques exercées pour obtenir des aveux, l’État partie concerné est tenu d’ouvrir immédiatement une enquête impartiale sur les allégations qu’elle contient. Il rappelle en outre son observation générale no 32 (2007), relative à l’article 14 (droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable), dans laquelle il indique que la garantie énoncée au paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte doit être comprise comme l’obligation pour les autorités chargées de l’enquête de s’abstenir de toute pression physique ou psychologique directe ou indirecte sur l’accusé, en vue d’obtenir une reconnaissance de culpabilité. Le Comité note que, bien que M. Humaam ait affirmé, à de nombreuses reprises, qu’il avait été forcé de reconnaître sa culpabilité sous la contrainte, l’État partie ne lui a pas permis de produire des preuves ou de faire entendre des témoins pour étayer ces allégations et n’a mené aucune enquête pour les vérifier. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il incombait à M. Humaam de prouver que ses aveux avaient été obtenus par la contrainte et n’étaient pas spontanés, le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 3 g) de l’article 14 que, lorsqu’un prévenu soutient de manière crédible que ses aveux ont été obtenus par la contrainte, il appartient à l’accusation d’établir que ces aveux ont été spontanés. Le Comité relève à cet égard que le refus de l’État partie d’autoriser M. Humaam à produire des preuves à l’appui de ses allégations ou d’enquêter de manière indépendante sur celles-ci montre qu’il n’a pas été satisfait à ce critère, d’autant plus que l’intéressé était incarcéré à cette époque et que l’État partie n’a pas fourni d’enregistrement de l’interrogatoire comme l’exige le droit interne. Le Comité conclut qu’en imposant à M. Humaam la charge d’établir que ses aveux ont été obtenus par la contrainte et en ne l’autorisant pas à produire des preuves pour ce faire, l’État partie a violé le paragraphe 3 g) de l’article 14. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que M. Humaam tient du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte.

9.4En ce qui concerne l’argument de l’auteur selon lequel les aveux de M. Humaam ont été obtenus en l’absence de son avocat, le Comité note que, selon l’État partie, M. Humaam a refusé les services de l’avocat qui avait été commis d’office pour le représenter. Le Comité rappelle que, selon son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle il est établi, dans les affaires où l’accusé risque la peine capitale, il va de soi qu’il doit bénéficier de l’assistance effective d’un avocat à tous les stades de la procédure, et que l’intérêt de la justice peut, dans certaines circonstances, nécessiter la commission d’office d’un avocat contre le gré de l’accusé, en particulier si celui-ci doit répondre d’une accusation grave mais est manifestement incapable d’agir dans son propre intérêt. En l’espèce, le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle les procédures initiales ont été menées dans des conditions qui n’étaient pas propices à la protection des droits procéduraux de M. Humaam, et notamment des allégations non réfutées de l’auteur selon lesquelles M. Humaam a été interrogé dans un endroit éloigné, sans que son interrogatoire fasse l’objet d’un enregistrement vidéo comme l’exige le droit interne, et l’État partie n’a pas veillé à ce que M. Humaam bénéficie effectivement de l’assistance d’un conseil aux stades initiaux de la procédure (voir par. 7.2 à 7.5). Il relève de plus que l’État partie n’a accordé à M. Humaam que dix jours pour obtenir l’assistance d’un conseil de son choix ; qu’il n’a pas commis d’avocat pour le défendre, même contre son gré, alors qu’il n’avait pu obtenir l’assistance d’un conseil de son choix ; qu’il n’a pas veillé à ce que M. Humaam soit capable d’agir dans son propre intérêt, comme il est conclu au paragraphe 9.5 ci-après ; et qu’il a enregistré les aveux faits à l’audience hors la présence d’un conseil et avant que M. Humaam ait été officiellement accusé. Dans ces conditions, le Comité conclut que les faits dont il est saisi par l’auteur font apparaître une violation du droit à l’assistance d’un conseil que M. Humaam tient de l’article 14 3) d) du Pacte.

9.5En ce qui concerne, de manière plus générale, la possibilité de produire un témoignage, le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel M. Humaam n’a pas été autorisé à faire citer des témoins à décharge, y compris des témoins susceptibles d’établir qu’il avait avoué sous la contrainte. Il prend en outre note du grief selon lequel l’un des témoins que M. Humaam souhaitait faire entendre est décédé dans des circonstances encore inexpliquées qui n’ont jamais fait l’objet d’une enquête, et que les preuves enregistrées par les caméras de vidéosurveillance auxquelles le témoin décédé faisait référence n’ont jamais été mises à disposition. Le Comité note en outre qu’un autre témoin que M. Humaam souhaitait appeler à la barre s’est vu confisquer son passeport par les autorités après le meurtre afin qu’il ne puisse pas quitter le pays mais que ce témoin a tout de même été autorisé à partir à l’étranger. L’auteur soutient en outre que le fait qu’aux Maldives les juges aient toute latitude pour choisir les preuves qui peuvent être produites, y compris les témoins qui peuvent être entendus, le cas échéant, et qu’il soit possible d’utiliser des témoignages anonymes au procès, a privé la défense de la possibilité de contre-interroger les témoins. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel M. Humaam n’a pas été autorisé à faire citer des témoins à décharge parce qu’il avait d’emblée fait des aveux ; que les griefs concernant l’absence de témoins n’ont pas été étayés ; que ces questions échappent au contrôle de l’État ; que, tout comme dans d’autres États, l’admission des preuves est laissée à l’appréciation des juges ; que M. Humaam a eu la possibilité de contre-interroger les témoins de l’accusation, même s’ils étaient anonymes, puisque toutes les informations essentielles lui ont été fournies ; et qu’il a eu l’occasion de contre-examiner les éléments de preuves provenant de l’analyse de l’ADN puisqu’il a pu consulter le rapport correspondant. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle le droit d’obtenir la comparution de tout témoin demandé par l’accusé ou par son conseil n’est pas illimité, mais qu’il devrait y avoir une possibilité adéquate d’interroger les témoins à charge et de les soumettre à un contre-interrogatoire à un stade ou un autre de la procédure. Le Comité prend également note de l’irrégularité de la représentation légale de M. Humaam durant son procès alors qu’il encourait la peine capitale. Le Comité considère que le fait de ne pas avoir accordé au prévenu la possibilité de citer des témoins à décharge alors qu’il encourait la peine capitale, notamment des témoins susceptibles de confirmer le caractère involontaire de ses aveux, et le fait de ne pas avoir fourni en temps voulu les informations nécessaires pour permettre un contre‑interrogatoire des témoins à charge, ont constitué une violation des droits que M. Humaam tient des paragraphes 3 b) et e) de l’article 14 du Pacte.

9.6En ce qui concerne la santé mentale de M. Humaam, le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que la question a été soulevée à cause des antécédents psychiatriques et du comportement erratique et incohérent de M. Humaam dès le début du procès, qui a notamment refusé l’assistance de l’avocat commis d’office par l’État et insisté pour se représenter lui-même, a modifié ses moyens de défense à plusieurs reprises et qui, de manière générale, agissait contre ses propres intérêts, et que l’État partie n’a pas fait en sorte qu’il soit procédé à un examen psychiatrique indépendant malgré les demandes de la famille, de la police et d’un médecin de l’administration pénitentiaire. Il prend de plus note de l’argument de l’auteur selon lequel le seul psychiatre du pays a refusé de procéder à l’évaluation psychologique de M. Humaam en raison d’un conflit d’intérêts. Il prend également note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que le tribunal a considéré que M. Humaam était apte à être jugé, qu’il n’avait pas connaissance d’antécédents de maladie mentale, que la question a été soulevée à un stade avancé de la procédure après un changement de représentation, et qu’il incombe à la défense de rapporter la preuve de ce qu’elle affirme. Le Comité considère que, en particulier parce que l’accusé encourait la peine capitale, étant donné que M. Humaam faisait des déclarations incohérentes, insistait pour se représenter lui-même et était par ailleurs irrégulièrement représenté par un conseil ; qu’une évaluation psychiatrique avait été demandée par sa famille et par un médecin de l’administration pénitentiaire ; qu’il était attesté qu’il avait séjourné dans un établissement public pour des troubles mentaux et que des demandes d’expertise avaient été présentées lors de procédures antérieures ; et étant donné que l’État partie n’a pas rapporté la preuve qu’il avait procédé à une enquête approfondie pour déterminer si M. Humaam était apte à être jugé, l’État partie n’a pas procédé à l’évaluation de la santé mentale de M. Humaam qui s’imposait et ainsi ne s’est donc pas assuré que celui-ci était apte à être jugé et avait la capacité d’agir dans son propre intérêt. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’État partie a violé ses obligations au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.7L’auteur dénonce en outre une violation du droit de M. Humaam à la vie, garanti par le paragraphe 1) de l’article 6 du Pacte, puisqu’il a été condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable, en violation de l’article 14 du Pacte. Le Comité note que l’État partie fait valoir, se référant au paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, que M. Humaam a été condamné à mort pour un crime grave en vertu d’un jugement rendu par les tribunaux, conformément à la Constitution et aux lois maldiviennes et à la charia, et que la condamnation à la peine capitale n’est pas contraire au Pacte. Le Comité rappelle son observation générale no 6 (1982), relative à l’article 6 (droit à la vie), dans laquelle il a souligné que la peine de mort ne peut être prononcée que conformément à la législation et ne doit pas être en contradiction avec les dispositions du Pacte, ce qui implique que les garanties d’ordre procédural prescrites dans le Pacte doivent être observées, y compris le droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant, la présomption d’innocence, les garanties minima de la défense et le droit de recourir à une instance supérieure. Il rappelle en outre sa jurisprudence selon laquelle une condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Ayant constaté une violation par l’État partie des droits garantis à M. Humaam par l’article 14 comme indiqué plus haut, le Comité considère que, en condamnant M. Humaam à mort à l’issue d’un procès entaché de telles irrégularités, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1) de l’article 6 du Pacte.

9.8En ce qui concerne l’exercice du droit de grâce, le Comité prend note de la déclaration de l’auteur qui soutient qu’en dépit d’une médiation prétendument obligatoire avec la famille de l’accusé, l’État partie n’a pas donné suite à une demande de la famille de M. Ali tendant à ce que la peine de mort ne soit pas appliquée tant que l’enquête n’aurait pas été menée à bien, que les nouvelles règles relatives à la grâce ont en fait privé le Président du pouvoir discrétionnaire d’accorder une grâce dans les circonstances de l’espèce et ne contiennent pas de dispositions claires sur lesquelles la Cour suprême puisse se fonder pour empêcher une exécution, même si la famille en fait la demande et, partant, que ce processus porte atteinte aux droits que M. Humaam tient du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Comité prend note des arguments de l’État partie à cet égard, qui affirme que la médiation avec la famille de la victime est obligatoire, que l’auteur a mal interprété les dispositions relatives à la grâce et leur interaction avec la charia, et que l’interprétation jurisprudentielle mentionnée par l’auteur a trait à une affaire particulière et n’a pas d’incidence en l’espèce.

9.9Le Comité rappelle que le paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte exige des États parties qu’ils autorisent tout condamné à mort à solliciter une grâce ou la commutation de sa peine, qu’ils veillent à ce que l’amnistie, la grâce ou la commutation lui soit accordée dans les circonstances appropriées et qu’ils s’assurent que la peine ne soit pas exécutée avant que les demandes de grâce ou de commutation n’aient été véritablement examinées et dûment tranchées. Aucune catégorie de condamnés ne peut être a priori privée de ces mesures de clémence et les conditions à remplir pour en bénéficier ne devraient pas les rendre inopérantes ni être inutilement contraignantes, de nature discriminatoire ou imposées de manière arbitraire. Le paragraphe 4 de l’article 6 ne prévoit pas de procédure particulière pour l’exercice du droit de solliciter une grâce ou une commutation de peine, et les États parties conservent donc une certaine latitude en la matière. Cependant, ces procédures devraient être définies dans la législation nationale. En outre, elles ne doivent pas conférer aux familles des victimes d’infractions criminelles un rôle prépondérant pour ce qui est de déterminer si la peine de mort doit être appliquée. De surcroît, les procédures relatives à la grâce ou la commutation de peine doivent offrir certaines garanties essentielles, notamment la transparence au sujet des modalités suivies et des critères de fond retenus ; le droit des personnes condamnées à mort d’engager une procédure de demande de grâce ou de commutation et d’exposer leur situation personnelle ou d’autres circonstances pertinentes, le droit d’être informé à l’avance de la date à laquelle la demande sera examinée, et le droit d’être informé sans délai de l’issue de la procédure. Compte tenu du manque de certitude juridique en ce qui concerne la procédure de recours en grâce et son efficacité, le Comité considère que l’État partie n’a pas rempli l’obligation qui lui incombe d’assurer la certitude juridique, en violation du paragraphe 4 de l’article 6 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que M. Humaam tient des articles 6 (par. 1 et 4), et 14 (par. 1 et 3 b), d), e) et g)) du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : de prendre des mesures immédiates pour annuler la déclaration de culpabilité et la condamnation à mort de M. Humaam et de remettre immédiatement celui-ci en liberté ; s’il y a lieu, d’ordonner un nouveau procès en veillant à ce que la procédure appliquée en garantisse pleinement l’équité, conformément aux obligations qui lui incombent au titre des articles 6 et 14 du Pacte, y compris en faisant procéder à une expertise psychiatrique pour s’assurer que M. Humaam est apte à être jugé ; et d’indemniser M. Humaam de manière adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations similaires se produisent à l’avenir. À cet égard, le Comité rappelle à l’État partie qu’il doit s’abstenir d’imposer la peine de mort à une personne qui présente un grave handicap psychosocial ou intellectuel, et s’abstenir d’exécuter une personne qui a une moindre aptitude à comprendre les raisons de sa condamnation.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.