Nations Unies

CCPR/C/126/D/2560/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 août 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la Communication no 2560/2015 * , **

Communication présentée par :

Tikanath et Ramhari Kandel (représentés par un conseil de TRIAL International)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et Amrit Kandel (respectivement fils et frère des auteurs)

État partie :

Népal

Date de la communication :

11 avril 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 2 février 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

15 juillet 2019

Objet :

Détention arbitraire, torture et disparition forcée ; absence d’enquête diligente et impartiale ; absence de recours judiciaire utile

Question(s) de procédure :

Recevabilité − épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels et inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; reconnaissance de la personnalité juridique ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6, 7, 9, 10 et 16

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont Tikanath Kandel, né le 14 avril 1950, et son fils Ramhari Kandel, né le 28 août 1978. La communication est présentée en leur nom et au nom d’Amrit Kandel, né le 29 mai 1981, également fils de Tikanath Kandel et frère cadet de Ramhari Kandel. Les auteurs sont de nationalité népalaise. Ils affirment que le Népal a violé les droits qu’Amrit Kandel tient du paragraphe 3 de l’article 2 et des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte, ainsi que les droits que MM. Tikanath et Ramhari tiennent de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 mai 1991. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Au moment des faits décrits dans la communication, Amrit Kandel résidait dans un secteur de Katmandou appelé Chabahil et étudiait en vue d’obtenir une licence en lettres au Saraswati Multiple Campus de Katmandou. Il était affilié au Syndicat national indépendant étudiant du Népal (révolutionnaire), la branche étudiante du Parti communiste du Népal (maoïste) d’alors. En 2003, son père, Tikanath Kandel, était fermier (maintenant à la retraite) et son frère, Ramhari Kandel, était vendeur de vitres.

2.2Le 10 octobre 2003, Amrit Kandel déambulait dans les ruelles du quartier de Gangahiti à Chabahil, avec un ami, Dhruba Subedi. Vers 15 h, 11 ou 12 hommes armés en civil ont surgi d’une camionnette de l’Armée royale népalaise et se sont jetés sur Amrit Kandel. Ils l’ont forcé à monter dans la camionnette sous la menace d’une arme et l’ont emmené. Pendant ce temps, l’ami d’Amrit Kandel a pu s’enfuir.

2.3Ramhari Kandel avait lui aussi été enlevé, le 12 septembre 2003, alors qu’il rendait visite à sa sœur dans son appartement à Patan, dans le district de Lalitpur, près de Katmandou. Ce jour-là, un groupe de cinq à sept membres de l’Armée royale népalaise ont pénétré dans l’appartement, l’ont arrêté, l’ont forcé à monter dans une camionnette et l’ont emmené à la prison de Maharajgunj, où il a été détenu au secret, interrogé et roué de coups pendant environ trois mois.

2.4Le 10 octobre 2003, Ramhari Kandel a entendu quelqu’un pleurer dans une tente proche de la sienne et a reconnu la voix de son frère. Cinq jours plus tard, alors qu’il se rendait aux toilettes, il est passé devant son frère et l’a reconnu bien qu’ils avaient tous deux les yeux bandés, car il était parvenu à faire glisser son bandeau. Ils ont pu se parler quelques minutes dans les toilettes et Ramhari Kandel a vu que le corps de son frère était enflé et couvert d’ecchymoses. Ils n’ont pas eu l’occasion de communiquer à nouveau au cours des jours et des semaines qui ont suivi.

2.5Selon RamhariKandel, les conditions de détention à Maharajgunjconstituaient un traitement cruel, inhumain et dégradant. Les détenus étaient souvent contraints de dormir dehors sur du gravier. Ils étaient constamment menottés et avaient la plupart du temps les yeux bandés. L’eau et la nourriture étaient rares et distribuées de façon irrégulière, au gré de l’humeur des gardiens. En outre, les détenus étaient brutalement interrogés, de jour comme de nuit. RamhariKandel était souvent menacé de mort; il a également été battu, traîné sur le sol et forcé de rester à genoux sur des cailloux pendant des heures. Il a indiqué que beaucoup de prisonniers étaient régulièrement soumis à des électrochocs et plongés dans l’eau.

2.6Tikanath Kandel a été informé de l’arrestation de Ramhari Kandal par sa fille le 13 septembre 2003. Il a appris en lisant le journal qu’Amrit Kandel avait été arrêté, un des représentants du Syndicat national indépendant étudiant du Népal (révolutionnaire) ayant évoqué son cas lors d’un entretien accordé au quotidien Hamara Mahanagar. Le 15 octobre 2003, Tikanath Kandel a déposé une plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme pour l’arrestation et la détention au secret de ses deux fils. Il a également signalé les cas au Comité international de la Croix-Rouge. Le 17 octobre 2003, il a essayé de porter plainte auprès de la cellule des droits de l’homme de l’Armée royale népalaise, mais les responsables ont nié toute implication de l’Armée et ont refusé d’enregistrer sa plainte. Le 19 octobre 2003, un ancien soldat de l’Armée, originaire du même district que Tikanath Kandel et qui avait récemment pris sa retraite, a dit à son épouse qu’il avait vu Amrit Kandel dans la prison de Maharajgunj et que celui-ci était toujours en vie. Le 21 octobre 2003, Tikanath Kandel s’est enquis de l’endroit où se trouvaient ses fils auprès de Thakur Prasad Kandel, un de ses parents éloignés qui était à l’époque Ministre de la réforme agraire et de l’aménagement des terres ; celui-ci lui a dit que ses deux fils étaient toujours en vie et qu’ils seraient bientôt libérés. En novembre 2003, Tikanath Kandel a adressé un appel au Premier Ministre et au Ministre de l’intérieur, leur demandant de protéger ses deux fils, mais il n’a jamais reçu de réponse.

2.7Le 10 décembre 2003, Ramhari Kandel a été remis en liberté. Toutefois, des soldats l’ont menacé, lui disant qu’il serait de nouveau arrêté et tué s’il engageait des poursuites concernant sa détention ou celle de son frère. Ramhari Kandel n’a pas osé porter plainte et est rentré dans son village du district de Dhading. Ni Ramhari Kandel ni aucun autre membre de sa famille n’ont jamais revu Amrit Kandel, et on ne sait toujours rien du sort qui lui a été réservé et de l’endroit où il se trouve.

2.8Tikanath Kandel a rejoint l’Association des familles de disparus (Society of the Families of Disappeared) en 2004 en vue de participer à des activités de mobilisation et à des manifestations visant à faire pression sur le Gouvernement et à l’amener à révéler le sort de plusieurs victimes de disparition forcée.

2.9Le 30 novembre 2004, Tikanath Kandel a introduit une requête en habeas corpus devant la Cour suprême du Népal, avec l’aide du barreau népalais. Les défendeurs mentionnés dans la demande étaient le Ministère de l’intérieur, le Ministère de la défense, le bureau de police du district de Katmandou, le Bureau administratif de district de Katmandou, le quartier général de l’Armée royale népalaise et le bataillon de Bhairabnath de l’Armée à Maharajgunj. En décembre 2004, tous ont nié avoir joué quelque rôle que ce soit dans l’arrestation et la détention d’Amrit Kandel. Le 20 décembre 2004, Ramhari Kandel a présenté son témoignage à la Cour suprême. Le 16 mars 2005, la Cour a ordonné à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée qui venait d’être créé de lui faire savoir si le nom d’Amrit Kandel figurait sur leur liste de personnes disparues. Le 30 mars 2005, la Cour a également enjoint à la Commission nationale des droits de l’homme de lui donner des informations sur les mesures qu’elle avait prises pour donner suite à la plainte déposée par les auteurs. Toutefois, le 13 juillet 2005, avant d’avoir reçu les informations demandées, la Cour a décidé de rejeter la requête pour une raison de procédure, le conseil ne s’étant pas présenté à l’une des audiences. Tikanath Kandel ne l’a appris qu’en janvier 2006.

2.10Le 13 février 2006, le cas d’Amrit Kandel figurait parmi ceux sur lesquels portait une action en habeas corpus introduite devant la Cour suprême au nom de 34 personnes disparues. Le 1er juin 2007, la Cour suprême a rendu un arrêt ordonnant au Gouvernement de créer une commission d’enquête de haut niveau, chargée de rendre publiques des informations sur la situation des personnes disparues, d’ériger en infraction la disparition forcée, d’engager des poursuites contre les responsables et d’offrir des réparations aux familles concernées. Cependant, les autorités népalaises n’ont jamais exécuté l’arrêt de la Cour suprême.

2.11La dernière fois que les auteurs ont entendu dire qu’Amrit Kandel était vivant remonte à avril 2006 : un autre soldat retraité de l’Armée royale népalaise de leur district a indiqué qu’Amrit Kandel était détenu dans la caserne de l’Armée royale népalaise à Baireni et qu’il l’y avait vu. Tikanath Kandel s’est immédiatement rendu à Baireni, mais on lui a refusé l’entrée dans la caserne. Il en a informé la Commission nationale des droits de l’homme, qui a dépêché une équipe sur place le 24 mai 2006, mais dont les membres se sont également vu refuser l’accès à la caserne. Le 26 mai 2006, l’équipe de la Commission nationale des droits de l’homme a finalement été admise dans la caserne, mais Amrit Kandel n’y était plus.

2.12 En novembre 2008, en sa qualité de coordonnateur de l’Association des familles de disparus, TikanathKandel a écrit au Premier Ministre et au Ministre de l’intérieur pour leur demander de donner des renseignements surce qu’il était advenu de plusieurs personnes disparues, dont son fils, et de l’endroit où elles se trouvaient. Il a également eu un entretien avec le Ministre de la défense. Il n’a jamais reçu d’informations. À ce jour, la base de données du Comité International de la Croix-Rouge sur les personnes disparues indique que l’on ne sait rien du sort d’AmritKandel et de l’endroit où il se trouve.

2.13Après la mise en place d’un plan d’indemnisation provisoire par le Ministère de la paix et de la reconstruction, les auteurs ont fait une demande d’indemnisation financière. En novembre 2009, ils se sont vu accorder 100 000 roupies népalaises (environ 1 000 dollars des États‑Unis) pour la disparition forcée d’Amrit Kandel. Le 13 novembre 2011, la famille d’Amrit Kandel a reçu 200 000 roupies népalaises supplémentaires.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs de la communication affirment que le Népal a violé les articles 6, 7, 9, 10 et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, du fait de l’arrestation arbitraire d’Amrit Kandel et des actes de torture et de la disparition forcée dont il a été victime, ainsi que du fait que les autorités népalaises n’ont toujours pas ouvert d’office une enquête efficace, indépendante, impartiale et approfondie sur sa disparition ni traduit en justice et punis ceux qui en sont responsables.

3.2Les auteurs invoquent également une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en ce qui concerne TikanathKandel et RamhariKandel, du fait de la détresse et de la profonde angoisse qu’ils endurent depuis onze ans et que continue de leur causer la disparition forcée d’AmritKandel et du fait que les autorités n’ont pas donné d’informationssur le sort qui lui a été réservé et le lieu où il se trouve. Les auteurs soutiennent qu’une telle souffrance constitue un traitement inhumain de la part de l’État partie.

3.3Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles et que la seule possibilité prévue par le droit népalais en cas de disparition forcée est la procédure d’habeas corpus. Ils soutiennent également qu’il n’y a pas de recours utile qui permettrait d’engager des poursuites pénales, puisque la torture et les disparitions forcées n’ont pas été érigées en infraction dans la législation népalaise. Ils ajoutent que les mécanismes de justice transitionnelle existants ne sauraient être considérés comme des recours utiles car ils n’avaient pas encore été mis en place au moment des faits.

3.4Les auteurs font aussi observer que leur communication ne saurait être considérée comme un abus de procédure. Après avoir obtenu un arrêt favorable de la Cour suprême, ils s’attendaient à ce que cette décision soit suivie d’effets. Ils sont restés mobilisés et ont continué d’essayer d’obtenir des informations sur le sort d’Amrit Kandel et l’endroit où il se trouve. Ils expliquent qu’ils n’ont présenté leur communication au Comité que lorsqu’ils se sont rendu compte que les procédures internes ne leur offraient plus aucune possibilité de recours ni de moyen d’obtenir des informations.

3.5Les auteurs demandent des mesures de réparation, sous forme d’indemnisation, de restitution, de réadaptation et de satisfaction, ainsi que des garanties de non-répétition.

3.6En ce qui concerne la restitution, au cas où Amrit Kandel serait décédé, l’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour localiser sa dépouille et la rendre à sa famille. Afin de réparer le préjudice causé aux auteurs et d’éviter que des faits analogues ne se répètent, l’État partie devrait reconnaître sa responsabilité internationale dans le cadre d’une cérémonie publique. Il devrait aussi rendre hommage à Amrit Kandel pour lui restituer sa dignité et fournir aux auteurs, à titre de mesure de réadaptation, des soins médicaux et psychologiques, et leur donner accès à une aide juridictionnelle gratuite pour qu’ils puissent former des recours. En ce qui concerne les garanties de non-répétition, l’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour que la disparition forcée et la torture constituent des infractions autonomes dans son droit pénal et qu’elles soient passibles de peines appropriées, et mettre en place des programmes éducatifs en la matière à l’intention des responsables de l’application des lois. À titre de satisfaction, l’État partie devrait faire traduire les constatations du Comité en népalais et les publier.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note en date du 4 septembre 2015, l’État partie a affirmé que la communication des auteurs n’était pas recevable du fait du non-épuisement des recours internes, ou, subsidiairement, qu’elle était dénuée de fondement.

4.2L’État partie rappelle tout d’abord les principaux faits exposés dans la communication. Le 10 octobre 2003, Amrit Kandel a été arrêté par des membres de ce qui était alors l’Armée royale népalaise et détenu dans la caserne du bataillon de Bhairabanath, à Maharajgunj. Ramhari Kandel, le frère aîné d’Amrit Kandel, a également été arrêté et envoyé dans la même caserne. Ramhari Kandel a constaté qu’Amrit Kandel avait les yeux bandés et avait été torturé. Le 30 novembre 2004, Tikanath Kandel a introduit une action en habeas corpus devant la Cour suprême du Népal pour obtenir qu’il soit mis fin à la détention illégale de son fils, Amrit Kandel, et que celui-ci soit remis en liberté. Le 13 juillet 2005, la Cour suprême a suspendu la procédure au motif que l’avocat du demandeur ne s’était pas présenté à l’audience du 26 mai 2005, et que comme il n’avait pas demandé un délai supplémentaire ou le report de l’audience à une date ultérieure, aucune autre mesure ne devait être prise concernant cette affaire. Le 13 février 2006, une action en habeas corpus distincte a été introduite devant la Cour suprême au nom de 34 personnes disparues, dont Amrit Kandel. Le 1er juin 2007, la Cour suprême a ordonné au Gouvernement de créer une commission d’enquête de haut niveau sur les disparitions forcées en vue de déterminer quel avait été le sort des intéressés et de le rendre public ; d’ériger la disparition forcée en infraction pénale ; d’engager des poursuites contre les auteurs ; de fournir assistance et réparation aux proches des victimes. L’État partie a reconnu qu’il ignorait toujours quel avait été le sort d’Amrit Kandel ainsi que l’endroit où il se trouvait.

4.3L’État partie soutient que les auteurs doivent épuiser les recours internes avant de pouvoir présenter une communication écrite au Comité. Il affirme que les auteurs auraient dûinvoquer les dispositions du droit interne pour accéder à des voies de recours et demander réparation. L’État partie fait valoir qu’étant donné que des mécanismes de justice transitionnelle ont été créés en application de la loi n°2071 relative à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, la vérité et la réconciliation (2014) pour rendre justice aux victimes dans des cas liés au conflit, les auteurs peuvent encore saisir la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée d’une plainte.

4.4L’État partie explique que la Commission a pour mandat de connaître des cas de disparitions forcées liés au conflit, de fournir des informations sur le sort des personnes disparues, de recommander au Gouvernement népalais de traduire en justice les auteurs présumés et d’accorder réparation aux victimes.

4.5L’État partie fait valoir que s’il est vrai que traiter la question de la violation du droit international des droits de l’homme et du droit humanitaire pendant un conflit armé n’est pas une tâche aisée, la Commission peut trouver des réponses aux questions qui se posent s’agissant de savoir comment les individus et les communautés peuvent faire face aux atrocités commises dans le passé, se réconcilier et reconstruire après le conflit. Son objectif est tout à la fois de réparer, afin d’atténuer les souffrances des victimes, et de réprimer, en punissant les auteurs. Le système de justice pénale ordinaire n’est pas efficace s’agissant de rechercher la vérité concernant les atteintes aux droits de l’homme commises pendant le conflit armé, en poursuivre les auteurs, assurer réparation et réadaptation aux victimes, façonner la mémoire collective en vue de faciliter le processus de réconciliation et réformer les institutions pour qu’elles puissent mieux répondre à ce type d’infractions. La recherche de la vérité est au cœur de l’action de la justice transitionnelle, qui a pour tâche d’identifier les auteurs et les victimes et de mettre en évidence des tendances en matière de violations aux fins de réforme des institutions.

4.6Conformément aux dispositions de la Constitution provisoire, à l’Accord de paix global et à l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Rabindra Prasad Dhakal on behalf of Rajendra Prasad Dhakal ( Advocate ) v. Nepal ,notamment l’ordonnance no 3575 du 1er juin 2007, le Parlement a adopté la loi no2071 relative à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, la vérité et la réconciliation (2014). Cette loi vise à promouvoir l’unité et la réconciliation nationales, comme prévu par l’Accord de paix global, sur la base d’un respect renforcé des principes relatifs aux droits de l’homme. Elle a en outre pour objectifs d’établir la vérité, d’assurer la justice, d’accorder réparation, de garantir la reconnaissance publique des victimes, d’empêcher que de telles violations ne se reproduisent et de combattre l’impunité.

4.7L’article 26 de la loi interdit expressément de recommander l’amnistie des auteurs de violations graves. En application de ladite loi, le Gouvernement a créé la Commission vérité et réconciliation et la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, qui est chargée d’enquêter sur les cas de disparition forcée survenus pendant le conflit. Les deux Commissions ont été constituées en février 2015 et avaient pour mandat d’atteindre leurs objectifs dans un délai de deux ans. L’État partie estime que la création des Commissions est un pas important de son processus de justice transitionnelle.

4.8L’État partie ajoute que les Commissions sont des éléments essentiels du processus de paix, qui visent à panser les plaies et à corriger les injustices subies par les victimes du conflit, à aider celles-ci à reconstruire leur vie et leurs relations et à restaurer la confiance sociale. Après avoir consulté les victimes du conflit, les organisations de la société civile, les défenseurs des droits de l’homme et d’autres parties prenantes, la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée a rédigé son règlement intérieur et travaille à l’élaboration de son cadre de référence.

4.9La Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée invitera toutes les victimes du conflit à lui faire part de leurs problèmes et à déposer plainte et à la saisir de leur cas. Elle a pour mandat d’assurer la transparence tout en préservant la vie privée des victimes dans le processus d’enquête et d’établissement des faits.

4.10L’État partie affirme en outre qu’il est légitimement en droit d’attendre de la communauté internationale, et en particulier du Comité des droits de l’homme, qu’ils comprennent la transition et la situation spéciale dans laquelle se trouve le Népal. Sans mécanismes de justice transitionnelle, les victimes de conflits armés ne peuvent obtenir pleinement justice. Le Népal a mis en place son mécanisme de justice transitionnelle dans le respect du droit international et affirme que les cas de violation grave des droits de l’homme seront traités conformément aux normes et aux instruments internationaux. L’État partie indique qu’un projet de loi visant à incriminer la torture et un projet de loi visant à modifier le Code pénal en vue d’ériger la disparition forcée en infraction ont été présentés au Parlement.

4.11Faisant référence au registre officiel fourni par l’Armée népalaise, l’État partie reconnaît que Ramhari Kandel, un des auteurs et frère d’Amrit Kandel, a été arrêté et détenu pour enquête, conformément aux lois applicables au Népal, mais affirme qu’il n’a pas été victime de disparition forcée. Il a été remis en liberté le 10 décembre 2003, comme le confirme le registre officiel. En revanche, aucune trace d’une arrestation ou d’une détention de Amrit Kandel n’a été trouvée.

4.12L’État partie réaffirme qu’il a honoré un certain nombre d’engagements importants relatifs à la transition, notamment la création d’un mécanisme de justice transitionnelle, et qu’il s’emploie activement à remédier aux violations des droits de l’homme. Il affirme que son engagement à promouvoir et à protéger les droits de l’homme est total et inébranlable.

4.13En conclusion, l’État partie soutient que la communication est irrecevablecar les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes. Leur affaire peut être traitée et des réparations offertes au moyen du mécanisme national de justice transitionnelle. Subsidiairement, il affirme que la communication est dénuée de fondement. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de ne pas examiner la communication.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 16 novembre 2015, les auteurs soulignent que l’État partie n’a pas réfuté les faits qu’ils ont décrits. Ils en déduisent que l’État partie reconnaît le bien-fondé de leurs griefs et la véracité des faits qu’ils ont exposés dans leur lettre initiale.

5.2Comme les auteurs l’ont expliqué en détail dans leur lettre initiale du 11 avril 2014, la disparition forcée d’Amrit Kandel a été attestée par plusieurs organismes des droits de l’homme, tant nationaux qu’internationaux. À cet égard : a) en 2006, le Haut‑Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a publié un rapport dans lequel il a fait figurer le nom d’Amrit Kandel au nombre de ceux des personnes qui sont portées disparues depuis qu’elles ont été détenues dans la caserne de Maharajgunj en 2003 ; b) le 1er juin 2007, dans un arrêt fondé sur l’examen de 28 demandes d’habeas corpus concernant des disparitions forcées perpétrées par les forces de sécurité pendant le conflit, parmi lesquelles figurait celle introduite au nom de 34 personnes disparues, dont Amrit Kandel, la Cour suprême du Népal a ordonné au Gouvernement, entre autres choses, de créer une commission d’enquête de haut niveau sur les disparitions forcées et de rendre public le sort des personnes disparues, dont Amrit Kandel ; c) le 4 décembre 2007, la Commission nationale des droits de l’homme a publié un rapport dans lequel elle a indiqué qu’Amrit Kandel était détenu par le bataillon de Bhairabnath » ; d) en 2009 et 2011, la famille d’Amrit Kandel a reçu un total de 300 000 roupies népalaises (environ 3 000 dollars des États-Unis) à raison de la disparition forcée d’Amrit Kandel, dans le cadre du programme d’indemnisation provisoire mis en place par le Ministère de la paix et de la reconstruction, ce qui constitue une reconnaissance indirecte de la part du Gouvernement du fait qu’Amrit Kandel a bien été victime de disparition forcée ; e) la base de données du Comité international de la Croix-Rouge sur les personnes disparues continue d’indiquer que le sort d’Amrit Kandel et l’endroit où il se trouve restent inconnus.

5.3Selon la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, dans les cas de disparition forcée, la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Compte tenu des explications détaillées et des éléments de preuve fournis par les auteurs de la communication et du fait que l’État partie ne les a pas réfutés en produisant la preuve du contraire, les auteurs prient le Comité d’accorder le poids voulu à leurs allégations factuelles, conformément à sa pratique établie.

5.4Les auteurs affirment aussi que l’absence de traces administratives de l’arrestation arbitraire d’Amrit Kandel, de sa détention et de sa disparition constitue, en soi, une violation des droits d’Amrit Kandel, ainsi que de ceux de Tikanath et de Ramhari Kandel, comme ils l’ont souligné dans leur lettre initiale.

5.5Par ailleurs, le Comité des droits de l’homme a indiqué que l’article 9 du Pacte exige aussi le respect des garanties importantes pour les détenus, comme l’établissement d’un procès-verbal d’arrestation. Il a également indiqué, concernant l’article 9 du Pacte, qu’il fallait tenir un registre officiel centralisé sur lequel étaient inscrits les noms des détenus, les lieux de détention, les dates d’entrée et de sortie des détenus ainsi que les noms des responsables de la détention, lequel doit être aisément disponible et accessible à tous les intéressés, notamment aux proches. L’absence de ces données doit être considérée comme une violation du Pacte.

5.6Se référant à la lettre initiale, Ramhari Kandel insiste sur le fait qu’il n’a jamais prétendu avoir été victime d’une disparation forcée. En revanche, il a fait état d’une violation des droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, en raison de la détresse et de l’angoisse profonde qu’il continue d’éprouver en raison de la disparition forcée dont a été victime Amrit Kandel. Ramhari Kandel souffre de dépression depuis qu’il a été libéré de la caserne de Maharajgunj, ne parvenant pas à accepter l’idée qu’il ne peut rien faire pour obtenir la libération de son frère parce qu’il craint pour sa propre vie.

5.7Les auteurs reprennent leurs allégations selon lesquelles Amrit Kandel a été victime de violations des articles 6, 7, 9, 10 et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, du fait de l’arrestation arbitraire d’Amrit Kandel et des actes de torture et de la disparition forcée dont il a été victime, ainsi que du fait que les autorités népalaises n’ont toujours pas ouvert d’office une enquête efficace, indépendante, impartiale et approfondie sur sa disparition ni traduit en justice et puni ceux qui en sont responsables. En outre, les auteurs affirment que les faits de l’espèce font apparaître une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard de Tikanath Kandel et Ramhari Kandel, en raison de la détresse et de l’angoisse profonde qu’ils continuent d’endurer du fait de la disparition forcée d’Amrit Kandel.

5.8Les auteurs de la communication n’ignorent pas que des mécanismes de justice transitionnelle ont été mis en place en février 2015, après plus de neuf ans de négociations. Au moment où ils ont présenté leur complément d’information, ces mécanismes n’étaient pas encore pleinement opérationnels. Les auteurs sont particulièrement préoccupés par le fait que plus de huit mois se sont écoulés depuis la création des mécanismes de justice transitionnelle, sans qu’aucune mesure véritable n’ait été prise, d’autant que, comme l’indique l’État partie, ces mécanismes ont pour mandat d’achever leurs travaux dans les deux ans suivant leur création. De plus, le 21 mai 2015, le Gouvernement népalais a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen de son arrêt du 26 février 2015 concernant la loino2071 relative à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, la vérité et la réconciliation (2014). Enregistrée le 21 mai 2015, cette demande est encore pendante, de sorte qu’on ne sait pas avec certitude de quels pouvoirs sera investie la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée. Dès que la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée deviendra opérationnelle et que ses pouvoirs et méthodes de travail seront clairement établis, les auteurs envisageront de la saisir, même si, après avoir rencontré certains commissaires lors de consultations locales, ils ne sont pas convaincus que la Commission leur apportera des réponses concrètes.

5.9En tout état de cause, on ne saurait considérer que l’enregistrement de leur affaire auprès de la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée constitue un recours utile qu’ils devraient avoir épuisé avant de pouvoir soumettre leur communication au Comité des droits de l’homme, conformément à l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Le Comité a déjà indiqué clairement, précisément au sujet de la Commission et d’autres mécanismes de justice transitionnelle au Népal, qu’il n’était pas nécessaire d’épuiser les voies de recours devant des organes non judiciaires pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. La Commission est un organe non judiciaire, c’est pourquoi Tikanath Kandel et Ramhari Kandel ne sont pas tenus d’attendre que celle-ci commence à recueillir des informations, à enregistrer et à apprécier les cas et, par la suite, déterminer si elle les renvoie devant les autorités nationales pour enquête pénale.

5.10S’agissant de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le système de justice pénale ordinaire n’est pas efficace s’agissant de rechercher la vérité concernant les atteintes aux droits de l’homme commises pendant le conflit armé, en poursuivre les auteurs, assurer réparation et réadaptation aux victimes, façonner la mémoire collective en vue de faciliter le processus de réconciliation et réformer les institutions pour qu’elles puissent mieux répondre à ce type d’infractions, les auteurs font observer qu’en 2014, le Comité des droits de l’homme a souligné que la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle ne saurait dispenser d’engager des poursuites pénales pour les violations graves des droits de l’homme (CCPR/C/NPL/CO/2, par. 5 b)). De plus, le Comité a précisé que, malgré leur importance cruciale pour la réconciliation, les mécanismes de justice transitionnelle ne sauraient se substituer au système de justice pénale pour ce qui est de donner accès à la justice et d’accorder réparation aux victimes de graves atteintes aux droits de l’homme et à leurs proches.

5.11À l’heure actuelle, les mécanismes de justice transitionnelle ne pourraient que recommander au Gouvernement népalais d’engager des poursuites, celui-ci étant, par le truchement du Procureur général, l’autorité suprême en matière de poursuites pénales. Par conséquent, il n’y a aucune raison de renvoyer les auteurs aux mécanismes de justice transitionnelle, puisque ceux-ci ont uniquement le pouvoir de recommander au Bureau du Procureur général d’engager des poursuites pénales. Le Procureur général est déjà tenu de diligenter une enquête indépendante, impartiale, approfondie et efficace sur les crimes commis à l’encontre d’Amrit Kandel. Cette obligation doit être honorée d’office, sans qu’il soit besoin de passer par les mécanismes de justice transitionnelle.

5.12Enfin, les auteurs de la communication accueillent avec satisfaction l’affirmation de l’État parties selon laquelle un projet de loi visant à incriminer la torture et un projet de loi visant à modifier le Code pénal en vue d’incriminer la disparition forcée ont été présentés au Parlement. Cependant, ces projets n’ont pas encore été adoptés et n’ont donc pas force de loi. Même si ces projets de loi étaient adoptés, ils ne s’appliqueraient pas en l’espèce, puisque la disparition forcée d’Amrit Kandel remonte à 2003.

5.13Pour conclure, les auteurs insistent sur le fait qu’ils n’ont pas à saisir les mécanismes de justice transitionnelle pour satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours internes. Même si leur cas était traité par ces mécanismes de justice transitionnelle, les dispositions de la loino2071 relative à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, la vérité et la réconciliation (2014)ne sont pas conformes aux normes internationales, la loi ne garantissant pas le droit d’obtenir réparation et ne prévoyant pas des garanties de non-répétition, que ce soit au moyen de mesures législatives ou de mesures de satisfaction. Les auteurs considèrent donc que les recours offerts par la loino2071 relative à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, la vérité et la réconciliationen matière de réparation ne sauraient être considérés comme utiles en ce qui les concerne. Ils soulignent qu’en cas de violations flagrantes des droits de l’homme comme celles qu’Amrit Kandel et eux-mêmes ont subies, ils devraient avoir droit à une réparation intégrale pour le préjudice souffert, conformément aux Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire. En particulier, ils prient le Comité des droits de l’homme d’énoncer les mesures de réparation auxquelles ils ont droit.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Concernant la règle de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs auraient dû porter l’affaire devant la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée dans le cadre du processus de justice transitionnelle, afin de demander réparation pour les violations commises pendant le conflit armé. Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lesquels, le 1er juin 2007, la Cour suprême du Népal a rendu un arrêt fondé sur son examen d’une action introduite au nom de 34 personnes disparues, dont Amrit Kandel, et a ordonné au Gouvernement d’enquêter sur le sort des disparus. Il note en outre que les auteurs indiquent que la famille d’Amrit Kandel a reçu une indemnisation financière en 2009 et 2011, ce qui constituait une reconnaissance indirecte de la disparition forcée d’Amrit Kandel ; que les mécanismes de justice transitionnelle n’ont été créés qu’en 2015, que leurs enquêtes progressent à un rythme lent et qu’il n’est pas nécessaire qu’ils s’adressent à la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée, qui est un organe non judiciaire, eu égard à l’obligation du Procureur général de procéder d’office à une enquête efficace. De plus, l’État partie n’a pris aucune mesure concrète pour enquêter sur l’endroit où se trouve Amrit Kandel ou pour traduire les responsables en justice depuis que les autorités ont été informées de la disparition, et ce, malgré les instructions de la Cour suprême. L’État partie a au contraire admis qu’il ne savait toujours rien du sort d’Amrit Kandel ni de l’endroit où il se trouve. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les auteurs ont épuisé tous les recours internes disponibles et que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication. En outre, il rappelle que les voies de recours devant des organes non judiciaires ne doivent pas être épuisées pour satisfaire à la condition énoncée par cet article, en particulier lorsque les mécanismes de justice transitionnelle, qui ont pour vocation de renforcer le système de justice ordinaire, ne sont pas efficaces pour ce qui est des affaires de disparition forcée, comme c’est le cas en l’espèce.

6.4Toutes les conditions de recevabilité ayant été remplies, le Comité déclare la communication recevable et procède à l’examen quant au fond des griefs relatifs à la violation du paragraphe 1 de l’article 6 et des articles 7, 9, 10 et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, pour ce qui est d’Amrit Kandel, ainsi que les griefs relatifs à la violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, pour ce qui est de Tikanath Kandel et Ramhari Kandel.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles Amrit Kandel a été arbitrairement arrêté, détenu et victime de disparition forcée depuis le 10 octobre 2003, et qu’il n’y a eu aucune enquête effective visant à déterminer quel avait été son sort et l’endroit où il se trouve. Il constate en outre que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations. Il relève que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a inscrit le nom d’Amrit Kandel dans la liste des personnes disparues après avoir été détenues dans la caserne de Maharajgunj en 2003.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel il n’y a aucune trace administrative indiquant qu’Amrit Kandel avait été arrêté ou détenu.

7.4Le Comité réaffirme sa position selon laquelle la charge de la preuve n’incombe pas uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles apportés par l’auteur et que tout éclaircissement supplémentaire dépend de renseignements que l’État partie est seul à détenir, le Comité peut considérer ces allégations comme suffisamment étayées si l’État partie ne les réfute pas en apportant des preuves ou des explications satisfaisantes.

7.5En l’espèce, le Comité constate que, malgré les efforts déployés par les auteurs pour retrouver Amrit Kandel, on ne sait toujours rien du sort qui lui a été réservé ni de l’endroit où il se trouve. Il relève que les autorités ont nié toute implication dans la privation de liberté d’Amrit Kandel et qu’elles ont constamment refusé de faire la lumière sur son sort et l’endroit où il se trouve.

7.6Au vu de la documentation soumise par les auteurs et de la corroboration des faits par les témoins (voir par. 2.4 à 2.6 et 5.2 ci-dessus), le Comité considère que l’État partie n’a pas fourni d’explication suffisante ou concrète pour réfuter les allégations des auteurs concernant la disparition forcée d’Amrit Kandel. Il estime donc que la privation de liberté d’Amrit Kandel, suivie du refus des autorités de reconnaître les faits et de faire la lumière sur ce qui lui était arrivé, constitue une disparition forcée.

7.7Le Comité rappelle que si l’expression « disparition forcée » n’est explicitement utilisée dans aucun des articles du Pacte, la disparition forcée constitue un seul et même ensemble intégré d’actes qui constitue une violation continue de plusieurs droits consacrés par cet instrument.

7.8Le Comité rappelle qu’en matière de disparition forcée, la privation de liberté, suivie du déni de reconnaissance de celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue, soustrait cette personne à la protection de la loi et fait peser un risque constant et sérieux sur sa vie, dont l’État doit être responsable. En l’espèce, l’État partie n’a produit aucun élément montrant qu’il a honoré son obligation de protéger la vie d’Amrit Kandel lorsque celui-ci était détenu par les autorités. Le Comité rappelle en outre que les États parties doivent prendre des mesures, non seulement pour prévenir et réprimer les actes criminels qui entraînent la privation de la vie, mais également pour empêcher que leurs propres forces de sécurité ne tuent des individus de façon arbitraire. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’État partie a violé les obligations qui lui incombent en vertu du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.9Le Comité rappelle également qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, les États parties doivent garantir que toutes les personnes puissent bénéficier de recours accessibles, utiles et exécutoires afin de faire valoir les droits dont elles jouissent en vertu du Pacte. Il rappelle en outre son observation générale no31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, en particulier le fait que dans le cas où les enquêtes révèlent la violation de certains droits reconnus dans le Pacte, les États parties doivent veiller à ce que les responsables soient traduits en justice. Tout comme le fait de ne pas mener d’enquête lorsque de telles violations se produisent, le fait de ne pas traduire en justice les auteurs de ces actes peut en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. Ces obligations se rapportent notamment aux violations assimilées à des crimes au regard du droit national ou international, comme la torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants analogues et les exécutions sommaires et arbitraires.

7.10Le Comité prend note de l’action introduite devant la Cour suprême au nom de 34 personnes disparues, dont Amrit Kandel, par laquelle il était demandé que le sort des personnes disparues soit rendu public. Il prend note également de l’arrêt rendu par la Cour suprême le 1er juin 2007, ordonnant au Gouvernement d’enquêter sur la situation des personnes disparues, de traduire les responsables en justice et d’accorder réparation aux familles des victimes. Il prend note en outre du fait que l’État partie n’a pas exécuté cet arrêt, affirmant que les auteurs devraient déposer une plainte pour la disparition d’Amrit Kandel auprès de la Commission d’enquête sur les personnes victimes de disparition forcée et que les autorités engageraient des poursuites contre les personnes impliquées dans l’infraction sur recommandation de cette Commission.

7.11Malgré les efforts de la famille d’Amrit Kandel, aucune enquête n’a été menée par l’État partie en vue d’établir les circonstances entourant l’arrestation, la détention et la disparition forcée d’Amrit Kandel et aucun responsable n’a été traduit en justice ni puni. L’État partie n’a pas expliqué pourquoi une telle enquête n’a pas encore été menée et quelle était la raison du retard dans l’ouverture une enquête à cette fin.

7.12En conséquence, le Comité estime que l’État partie n’a pas procédé rapidement à une enquête approfondie et effective sur les circonstances de l’arrestation, de la détention et de la disparition forcée d’Amrit Kandel, en violation de l’article 6, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

7.13Le Comité prend note des griefs des auteurs, selon lesquels la détention arbitraire d’Amrit Kandel et sa disparition forcée constituent en soi un traitement contraire à l’article 7. Le Comité est conscient de l’ampleur des souffrances que cause le fait d’être détenu sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il prend note des allégations des auteurs selon lesquelles les conditions de détention générales à la caserne du bataillon de Bhairabanath, à Maharajgunj (2003-2004), notamment les interrogatoires sous la contrainte et l’utilisation d’électrochocs, constituaient un traitement cruel, inhumain et dégradant. Il prend note en outre de ce que Ramhari Kandel a vu que le corps d’Amrti Kandel était enflé et couvert d’ecchymoses. Comme l’État partie nie l’arrestation et n’a fourni aucun élément d’information concernant la façon dont Amrit Kandel était traité pendant sa détention, le Comité estime que la disparition forcée d’Amrit Kandel et son traitement pendant sa détention constituent une violation de l’article 7 du Pacte. Étant parvenu à cette conclusion, il n’examinera pas les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 10 du Pacte pour les mêmes faits.

7.14Le Comité prend note de l’angoisse et de la détresse causées aux auteurs par la disparition d’Amrit Kandel et de l’incertitude prolongée quant aux circonstances de son arrestation et de sa détention ; du fait que les proches d’Amrit Kandel n’ont pas pu obtenir sa libération ; du fait que les auteurs savaient qu’aucune enquête n’était menée et que personne n’était tenu responsable de la disparition d’Amrit Kandel. Le Comité considère que ces faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte, au préjudice des auteurs de la présente communication.

7.15Le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle il y a eu violation de l’article 9 du Pacte car Amrit Kandel a été le 10 octobre 2003 privé de liberté sans qu’un mandat lui ait été présenté au moment de son arrestation. Aucun fondement juridique n’a été invoqué pour justifier sa détention. Il n’a jamais été présenté devant un juge et n’a pas pu contester la légalité de sa détention. De plus, l’arrestation et la détention d’Amrit Kandel n’ont pas été enregistrées, ce qui est contraire aux lignes directrices internationales relatives aux garanties reconnues aux personnes détenues. En l’absence de réponse de l’État partie à ce propos, le Comité considère que la détention d’Amrit Kandel constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte, puisqu’il n’y a aucune trace administrative de son arrestation ni de sa détention.

7.16En ce qui concerne l’article 16 du Pacte, le Comité prend note de l’allégation des auteurs selon laquelle, bien qu’Amrit Kandel ait été arrêté et détenu au secret par les forces de sécurité (Armée royale népalaise), les autorités népalaises ont nié catégoriquement être impliquées dans sa disparition forcée. L’État partie ne leur a pas fourni d’informations utiles sur le sort d’Amrit Kandel et aucune enquête sérieuse n’a été menée pour déterminer où il se trouve, ce qui soustrait effectivement l’intéressé à la protection de la loi. Le Comité considère que la soustraction délibérée d’une personne à la protection de la loi constitue un déni du droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si toute tentative des parents de la victime pour se prévaloir de recours utiles est systématiquement entravée. Le Comité estime donc que la disparition forcée d’Amrit Kandel l’a privé de la protection de la loi et de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.17Les auteurs invoquent le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à tous les individus dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes judiciaires et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il renvoie à son observation générale no 31, qui dispose notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité relève que Tikanath Kandel a déposé une plainte le 15 octobre 2003 auprès de la Commission nationale des droits de l’homme concernant l’arrestation et la détention au secret de ses deux fils, qu’il a vainement essayé de déposer une plainte auprès de l’Armée royale népalaise le 17 octobre 2003 et qu’il s’est enquis de l’endroit où se trouvaient ses fils le 21 octobre 2003 auprès d’un parent éloigné qui était alors Ministre de la réforme agraire et de l’aménagement des terres. Les auteurs ont également introduit une action en habeas corpus devant la Cour suprême du Népal le 30 novembre 2004. Malgré ces efforts, l’État partie n’a pas diligenté d’enquête indépendante et approfondie pour faire la lumière sur les circonstances entourant l’arrestation, la détention et la disparition d’Amrit Kandel. À cet égard, le Comité estime que l’État partie n’a pas procédé rapidement à une enquête approfondie et efficace sur la disparition d’Amrit Kandel. De plus, les sommes reçues par les auteurs à titre d’indemnisation provisoire ne constituent pas une réparation adéquate et proportionnée à la gravité des violations commises. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, à l’égard d’Amrit Kandel, ainsi qu’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard des auteurs.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les informations dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 6, 7, 9 et 16, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, à l’égard d’Amrit Kandel, et une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de Tikanath and Ramhari Kandel.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie et efficace sur les circonstances de la détention d’AmritKandel, le traitement qui lui a été infligé en détention et sa disparition ; b) de communiquer aux auteurs des informations détaillées sur les résultats de l’enquête ; c) de libérer AmritKandel, s’il est encore en vie, ou, s’il est décédé, de remettre ses restes à sa famille ; d) d’engager des poursuites et de punir les personnes qui auront été déclarées responsables des violations commises et de rendre public le résultat de ces mesures ; e) de veiller à ce que les auteurs bénéficient des mesures de réadaptation psychologique nécessaires et d’un traitement médical adéquat ; f) d’assurer aux auteurs une indemnisation adéquate et de prendre en leur faveur des mesures de satisfaction appropriées, au-delà de l’indemnisation partielle déjà offerte pour les violations subies. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour que pareilles violations ne se reproduisent pas. En particulier, il devrait faire en sorte que sa législation réprime la torture et les disparitions forcées et prévoie des sanctions appropriées et des réparations proportionnées à la gravité des infractions. Elle devrait en outre garantir que de tels faits donnent lieu à une enquête rapide, impartiale et efficace et prévoir l’engagement de poursuites pénales contre les responsables de telles infractions.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.