Nations Unies

CCPR/C/123/D/2230/2012

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2230/2012 * , **

Communication présentée par :

Tatyana Severinets (représentée par un conseil, Pavel Levinov)

Au nom de :

Tatyana Severinets

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

12 juin 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 décembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

19 juillet 2018

Objet :

Imposition d’une amende administrative consécutive à la tenue d’une réunion pacifique sans autorisation préalable

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie ; épuisement des recours internes ; caractère accessoire de l’article 2 du Pacte ; incompatibilité ratione materiae ; grief insuffisamment étayé

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; liberté de religion ; liberté d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1), 5 (par. 1), 14 (par. 1), 18, 19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est Tatyana Severinets, de nationalité bélarussienne, née en 1954. Elle affirme que l’État partie a violé les droits énoncés au paragraphe 1 de l’article 2, au paragraphe 1 de l’article 5, au paragraphe 1 de l’article 14, à l’article 18, au paragraphe 2 de l’article 19 et à l’article 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 5 janvier 2013, l’État partie a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément du fond, conformément au paragraphe 3 de l’article 97 du règlement intérieur du Comité. Le 15 mars 2013, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a décidé de ne pas faire droit à la demande de l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Du 16 juin au 3 juillet 2011, l’auteure a organisé chaque jour à 20 heures une prière devant la Croix de Sainte-Euphrosyne de Polotsk, près de la cathédrale de l’Assomption, à Vitebsk, en soutien des prisonniers politiques du Bélarus. Pendant la prière, elle lisait à voix haute les patronymes recensés dans le numéro du 25 mai 2011 du journal Nasha Niva, dans lequel avaient été publiés, sous la rubrique intitulée « Palitvyazni » (prisonniers politiques), les noms et prénoms des prisonniers politiques du Bélarus, accompagnés de leur photo, et les autres personnes présentes répétaient ces patronymes après elle.

2.2Le 3 juillet 2011, l’auteure s’est rendue sur la place Pobeda, à Vitebsk, pour célébrer la Fête de l’indépendance de la République du Bélarus. Là-bas, elle a rencontré des membres du comité d’organisation chargé de la création du parti politique de la Démocratie chrétienne bélarussienne. Vers 19 h 30, l’auteure et des membres du comité d’organisation se sont mis en route ensemble en direction de la cathédrale de l’Assomption, se déplaçant à pied sur le trottoir de la rue Lénine, pour aller prier pour les prisonniers politiques et le Bélarus.

2.3Tandis qu’ils cheminaient vers la cathédrale, d’autres personnes se sont spontanément jointes à eux et se sont mises à applaudir en marchant. Ni l’auteure ni les autres personnes qui se sont jointes au groupe n’ont emprunté la chaussée. Aucune d’entre elles n’a brandi de drapeaux, de pancartes, de banderoles ou autres supports de campagne pour attirer l’attention. À l’appui de ses déclarations, l’auteure renvoie aux enregistrements vidéo que la police a soumis au tribunal pour démontrer sa culpabilité. L’auteure ajoute qu’elle n’a pas, par ses actes, porté atteinte aux droits et aux libertés d’autrui, ni endommagé de biens publics ou privés.

2.4Le 8 juillet 2011, l’auteure a fait l’objet d’un rapport administratif dans lequel on peut lire qu’elle était accusée de n’avoir pas respecté la procédure prévue par les lois du 30 décembre 1997 sur les manifestations publiques (dans leur version du 7 août 2003) au motif qu’elle avait organisé une marche non autorisée pour exprimer une opinion politique. Elle a été inculpée d’une infraction administrative sur le fondement de la deuxième section de l’article 23.34 du Code des infractions administratives (non-respect de la procédure établie aux fins de l’organisation ou de la tenue d’une manifestation publique). Le 11 juillet 2011, le tribunal du district Oktyabrsky de Vitebsk a reconnu l’auteure coupable d’une infraction administrative sur le fondement de la deuxième section de l’article 23.34 du Code des infractions administratives et l’a condamnée à une amende de 700 000 roubles.

2.5Le 18 juillet 2011, l’auteure a fait appel de la décision du tribunal de district devant le tribunal régional de Vitebsk, qui l’a déboutée le 10 août 2011. Le 26 août 2011, elle a soumis au Président du tribunal régional de Vitebsk une demande de réexamen des décisions antérieures au titre de la procédure de contrôle. Le 5 octobre 2011, le Président du tribunal a estimé que rien ne justifiait la mise en œuvre de cette procédure. Le 8 novembre 2011, l’auteure a soumis une demande semblable au Président de la Cour suprême du Bélarus. La demande a été rejetée par le Vice-Président de la Cour suprême le 27 décembre 2011. L’auteure estime donc avoir épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé les droits garantis par les articles 18, 19 et 21 du Pacte, sa responsabilité administrative ayant été retenue parce qu’elle avait organisé une prière publique (accomplissement de rituels religieux), et parce qu’elle avait applaudi (expression d’une opinion) et s’était rendue à pied en compagnie d’autres personnes sur le lieu de la prière (marche). Elle ajoute à ce propos qu’elle n’a pas, comme l’exigeait la loi, demandé l’autorisation préalable des autorités compétentes en vue de l’organisation d’une manifestation publique car elle n’avait nullement l’intention d’organiser une marche.

3.2L’auteure affirme en outre qu’en application du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, toute personne a le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal compétent, indépendant et impartial qui décidera du bien-fondé de toute accusation portée contre elle. Elle soutient qu’en l’espèce, les juridictions de l’État partie n’étaient ni compétentes ni indépendantes et qu’elles ne se sont pas montrées impartiales dans l’examen de l’accusation portée contre elle, puisqu’elles ont rendu des décisions manifestement contraires aux obligations de l’État partie découlant du Pacte et de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités. Renvoyant au rapport du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats sur sa mission au Bélarus (E/CN.4/2001/65/Add.1), l’auteure affirme en outre que les recommandations formulées dans ce rapport n’ont pas encore été appliquées.

3.3L’auteure fait aussi observer que, dans sa décision du 11 juillet 2011, le tribunal du district Oktyabrsky de Vitebsk a mal qualifié ses actes. Ainsi qu’il ressort du recours en appel qu’elle a introduit le 18 juillet 2011 devant le tribunal régional de Vitebsk, de la demande de réexamen qu’elle a soumise le 26 août 2011 au Président du tribunal régional de Vitebsk au titre de la procédure de contrôle et de la demande de réexamen qu’elle a présentée le 8 novembre 2011 au Président de la Cour suprême, l’auteure avance en particulier : a) qu’un juge du tribunal de district Oktyabrsky de Vitebsk avait déjà établi, le 8 juillet 2011, qu’une manifestation silencieuse, qui avait rassemblé des personnes mécontentes de la situation sociale, politique et économique au Bélarus, avait été organisée sur une plateforme en ligne baptisée « La Révolution par les réseaux sociaux » ; b) qu’au sens des lois sur les manifestations publiques, une marche est un déplacement collectif organisé d’un groupe de citoyens dans la partie réservée aux piétons ou aux automobilistes d’une rue, d’une route, d’un boulevard, d’une avenue ou d’une place dans le but d’attirer l’attention sur certains problèmes ou d’exprimer publiquement une position ou un désaccord politiques. Or le tribunal du district Oktyabrsky de Vitebsk ne précise pas, dans sa décision du 11 juillet 2011, quels problèmes, positions ou désaccord politiques ont été exprimés par les citoyens qui ont applaudi ; c) que la page du journal Nasha Niva datée du 25 mai 2011 où figuraient des photographies des prisonniers politiques du Bélarus a été qualifiée à tort de pancarte portant l’inscription « Paslitvyazni » (prisonniers politiques) ; d) que les autorités et les juridictions de l’État partie ont qualifié à tort le rituel religieux (récitation des noms des prisonniers politiques par les participants à la prière) d’« exécution [par les personnes qui s’étaient réunies pour prier] de certaines instructions » données par l’auteure ; e) que, parce que l’auteure tenait dans ses mains un parapluie rouge et blanc pendant la prière, il a été conclu à tort qu’elle s’était servie d’un « matériel » rouge et blanc. L’auteure fait observer à ce propos que, dans sa décision du 11 juillet 2011, le tribunal du district Oktyabrsky de Vitebsk ne renvoie pas aux dispositions législatives proscrivant l’usage des couleurs du drapeau national du Bélarus et que le Pacte interdit la discrimination fondée sur l’opinion politique.

3.4Eu égard aux constatations adoptées par le Comité dans une affaire précédente concernant l’État partie, l’auteure affirme que les droits qu’elle tient du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte ont été violés dans des circonstances semblables à celles déjà examinées par le Comité en l’affaire précitée.

3.5L’auteure soutient également que l’État partie s’est engagé à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte, en application du paragraphe 1 de l’article2 du Pacte. Elle ajoute qu’en violation de cette obligation, l’État partie accorde la priorité à sa législation nationale plutôt qu’aux obligations découlant du Pacte.

3.6S’agissant des dispositions du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, l’auteure affirme qu’en la condamnant à une amende administrative pour avoir participé à une marche, exprimé son opinion et accompli des rituels religieux, l’État partie a manqué à l’obligation qui lui incombe de ne pas accomplir d’acte visant à la destruction des droits et libertés énoncés dans le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans une note verbale datée du 5 janvier 2013, l’État partie conteste l’enregistrement de la communication ainsi que sa recevabilité. Il avance que l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes comme l’exige l’article 2 du Protocole facultatif. Elle n’a pas, en particulier, demandé au Procureur général le réexamen des décisions des juridictions nationales au titre de la procédure de contrôle. Elle n’a pas davantage saisi le Président de la Cour suprême après avoir pris connaissance de la décision du Vice-Président de cette cour. La communication ayant été enregistrée en violation de l’article 2 du Protocole facultatif, l’État partie a mis fin à la procédure la concernant et se dissociera des constatations qui pourraient être adoptées par le Comité.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Dans une lettre datée du 8 mars 2013, l’auteure présente ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle rappelle que la décision du tribunal du district Oktyabrsky de Vitebsk en date du 11 juillet 2011 est devenue exécutoire le 10 août 2011 et qu’ayant épuisé les recours internes ordinaires, en application du paragraphe 4 de la première section de l’article 12.2 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives, elle a engagé d’autres procédures de recours extraordinaires, déposant auprès du Président du tribunal régional de Vitebsk et du Président de la Cour suprême des demandes de réexamen des décisions antérieures au titre de la procédure de contrôle. Ces demandes ont été rejetées respectivement par le Président du tribunal régional de Vitebsk et le Vice-Président de la Cour suprême. Eu égard au paragraphe 4 de la première section de l’article 12.2 et à la première section de l’article 12.11 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives, l’auteure dit n’avoir le droit ni de soumettre à nouveau une même demande au Président de la Cour suprême, ni de saisir le Procureur général d’un recours en révision au titre de la procédure de contrôle des décisions.

5.2L’auteure soutient en outre qu’en vertu de la deuxième section de l’article 12.11 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives, le président d’une juridiction supérieure peut réexaminer de sa propre initiative une décision rendue en matière administrative ayant déjà force exécutoire. Le Président de la Cour suprême ne s’est toutefois pas prévalu de ce droit dans le cadre de la procédure administrative engagée contre l’auteure. En outre, en vertu du paragraphe 7 de la deuxième section de l’article 2.15 du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives, le procureur est habilité à contester les décisions rendues en matière administrative qui sont contraires à la loi. En l’espèce, le procureur ne s’est cependant pas prévalu de ce droit. L’auteure affirme par conséquent que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication par le Comité.

Délibérations du Comité

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité note que, d’après l’État partie, la communication a été enregistrée en violation de l’article 2 du Protocole facultatif et que, s’il se prononce au sujet de la communication, les autorités de l’État partie se « dissocieront » des constatations qu’il aura adoptées.

6.2Le Comité fait observer qu’en adhérant au Protocole facultatif, tout État partie au Pacte reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et article premier du Protocole facultatif). Ce faisant, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises puis de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concernés (art. 5, par. 1 et 4). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication et d’en mener l’examen à bonne fin, et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ses obligations. Il appartient au Comité de décider si une communication doit être enregistrée. En ne reconnaissant pas la compétence du Comité pour ce qui est de décider de l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant à l’avance qu’il n’acceptera pas la décision du Comité concernant la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteure n’avait pas saisi le Procureur général d’une demande de réexamen des décisions des juridictions nationales au titre de la procédure de contrôle. Il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle d’une décision de justice définitive ne fait pas partie des recours utiles devant être épuisés aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il prend note, en outre, de l’argument de l’État partie selon lequel, dans le cadre de la procédure de contrôle par la Cour suprême, l’auteure aurait dû saisir le Président de la Cour suprême d’une demande de réexamen après avoir reçu la réponse du Vice-Président. Or il ressort des pièces versées au dossier que l’auteure a bel et bien adressé sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle au Président de la Cour suprême, même si la lettre rejetant sa demande a été signée par le Vice-Président. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4En ce qui concerne le grief que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, le Comité, renvoyant à sa jurisprudence,rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent les obligations générales des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Le Comité considère donc que les prétentions formulées par l’auteure à cet égard sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5S’agissant des griefs que l’auteure tire du paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte, le Comité considère qu’aucun droit individuel distinct ne découle de cette disposition. Les griefs sont donc incompatibles avec le Pacte et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6En ce qui concerne les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, le Comité fait observer que les allégations de l’auteure à ce sujet ont principalement trait à l’appréciation des éléments de preuve produits dans le cadre de la procédure et à l’interprétation des lois, questions qui relèvent en principe des juridictions nationales, à moins que l’appréciation des preuves ait manifestement été arbitraire ou ait constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité constate que l’auteure n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la conduite de la procédure avait été arbitraire ou avait représenté un déni de justice. Il considère par conséquent que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée et conclut donc qu’elle est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité note que l’auteure affirme que les droits reconnus par l’article 18 du Pacte ont été violés, sa responsabilité administrative ayant été retenue au motif qu’elle avait organisé une prière publique (accomplissement de rituels religieux) en soutien des prisonniers politiques du Bélarus. Il relève à ce propos que l’auteure, selon ses propres dires, a organisé chaque jour, du 16 juin au 3 juillet 2011, une prière devant la Croix de Sainte-Euphrosyne de Polotsk, située près de la cathédrale de l’Assomption, à Vitebsk. Il note en outre que, dans la communication qu’elle lui a soumise, l’auteure ne dit pas que les autorités de l’État partie l’ont empêchée d’une manière ou d’une autre d’observer ce rituel religieux avant le 3 juillet, date à laquelle elle s’est rendue sur le lieu de la prière à pied, en compagnie d’autres personnes, en applaudissant. Il ressort des pièces versées au dossier que, le 8 juillet 2011, l’auteure a été accusée de n’avoir pas respecté la procédure établie par les lois sur les manifestations publiques au motif qu’elle avait organisé une marche non autorisée pour exprimer une opinion politique, et non parce qu’elle avait organisé une réunion pacifique non autorisée sous la forme d’une prière publique. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire des articles 19 et 21 du Pacte. Il déclare donc cette partie de la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles l’État partie a violé les droits garantis par les articles 19 et 21 du Pacte en ce qu’elle a vu sa responsabilité administrative retenue pour avoir marché en compagnie d’autres personnes en direction du lieu d’une prière (marche) et pour avoir applaudi (expression d’une opinion). Le Comité doit donc déterminer dans un premier temps si, en l’espèce, l’application de la deuxième section de l’article 23.34 du Code des infractions administratives, sur le fondement de laquelle l’auteure a été reconnue coupable d’une infraction administrative et condamnée à une amende, constituait une restriction au droit de l’auteure à la liberté d’expression (art. 19, par. 3) et à son droit à la liberté de réunion pacifique (deuxième phrase de l’article 21 du Pacte). Il note que l’article 23.34 du Code des infractions administratives réprime le « non-respect de la procédure établie aux fins de l’organisation ou de la tenue d’une manifestation publique ». Il fait par conséquent observer que l’exercice par l’auteure des droits qui lui sont garantis par le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte a été restreint.

8.3Le Comité doit ensuite déterminer si la restriction imposée au droit à la liberté d’expression de l’auteure et à son droit de réunion pacifique était justifiée au regard de l’un quelconque des critères énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte et dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte.

8.4Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément prévues par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Il renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il affirme que ces libertés sont des conditions indispensables au plein épanouissement de l’individu, et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique.Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif précis qui les inspire. Le Comité rappelle également que c’est à l’État partie qu’il incombe de montrer que les restrictions imposées à l’exercice des droits que l’auteure tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

8.5Le Comité rappelle également que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. Ce droit comprend la possibilité d’organiser une réunion pacifique dans un lieu public, qu’il s’agisse d’une manifestation statique ou d’un défilé, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en règle générale, le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public cible et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion pacifique des particuliers afin de concilier ce droit avec les éléments d’intérêt général précités, les États parties doivent s’efforcer de faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

8.6Le Comité note que l’auteure dit avoir été accusée de n’avoir pas respecté la procédure établie par les lois sur les manifestations publiques au motif qu’elle avait organisé une marche non autorisée pour exprimer une opinion politique ; il relève que, pour ces faits, elle dit avoir été inculpée d’infraction à la deuxième section de l’article 23.34 du Code des infractions administratives (non-respect de la procédure établie aux fins de l’organisation ou de la tenue d’une manifestation publique). L’auteure a ensuite été condamnée à une amende pour violation de la disposition précitée du Code des infractions administratives. Le Comité relève également que l’auteure dit n’avoir pas demandé l’autorisation des autorités compétentes, comme l’exigeait la loi, avant d’organiser une manifestation publique car elle n’avait nullement l’intention d’organiser une marche.

8.7Le Comité a estimé précédemment, au sujet d’une communication concernant une obligation de préavis en vue de l’organisation d’une réunion pacifique, qu’une telle obligation pouvait être compatible avec les restrictions autorisées par l’article 21 du Pacte. Toutefois, si un système de préavis peut être important pour le bon déroulement des manifestations publiques, son application ne saurait devenir une fin en soi. Toute restriction au droit à la liberté de réunion pacifique doit en tout état de cause être justifiée par l’État partie au regard de la deuxième phrase de l’article 21. Cela vaut en particulier pour les manifestations spontanées, qui ne peuvent, de par leur nature même, être soumises à une obligation de préavis, laquelle impliquerait de se conformer à une longue procédure.

8.8Le Comité fait observer à ce propos que, si les restrictions imposées en l’espèce, qui ont trait à l’obligation de demander une autorisation préalable, étaient conformes à la loi, ni l’État partie ni les tribunaux nationaux n’ont expliqué en quoi il était nécessaire pour l’auteure − en application de la législation nationale et pour l’un des motifs légitimes énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 de Pacte − d’obtenir une autorisation pour pouvoir marcher pacifiquement sur un trottoir en compagnie d’un groupe de personnes de sa connaissance. L’État partie et les juridictions nationales n’ont pas davantage expliqué en quoi, dans la pratique et en l’espèce, le déplacement sur un trottoir, en direction d’un lieu de culte, de l’auteure et de quelques autres individus qui applaudissaient risquait de porter atteinte aux droits et aux libertés d’autrui ou de mettre en péril la sûreté publique ou l’ordre public. Faute d’explication pertinente de l’État partie, le Comité considère qu’il y a lieu d’accorder le poids voulu aux affirmations de l’auteure.

8.9Le Comité note que l’auteure a été reconnue coupable d’une infraction administrative et condamnée à une amende sur le fondement de la deuxième section de l’article 23.34 du Code des infractions administratives au motif qu’elle avait organisé une marche non autorisée. Il relève que l’État partie n’a pas démontré que la déclaration de culpabilité et la condamnation de l’auteure à une amende comme suite à la tenue d’une marche spontanée et pacifique étaient nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui, aux termes de l’article 21 du Pacte. L’État partie n’a pas non plus donné d’informations pertinentes de nature à justifier les restrictions imposées à l’auteure en violation des dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte.

8.10Le Comité note qu’il a déjà examiné plusieurs communications concernant les lois et pratiques de l’État partie mises en question en l’espèce. Comme précédemment, et en l’absence d’explication de l’État partie sur les points en cause, il conclut qu’en l’espèce, l’État partie a violé les droits garantis à l’auteure par le paragraphe 2 de l’article 19 et l’article 21 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’État partie a violé les droits que l’auteure tient du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte. Il réaffirme que l’État partie a également manqué aux obligations découlant de l’article premier du Protocole facultatif.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. L’État partie est donc tenu, notamment, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteure une indemnisation suffisante, y compris le remboursement de l’amende à laquelle elle a été condamnée à l’issue de la procédure administrative intentée contre elle, ainsi que de l’intégralité des frais de justice par elle engagés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour éviter, à l’avenir, que des violations de cette nature se produisent. À ce propos, le Comité souligne une nouvelle fois que, eu égard à l’obligation découlant du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, l’État partie devrait revoir sa législation, en particulier la loi du 30 décembre 1997 sur les manifestations publiques telle qu’elle a été appliquée en l’espèce, afin de garantir le plein exercice sur son territoire des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.