Nations Unies

CCPR/C/127/D/2732/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 janvier 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2732/2016 * , **

Communication présentée par :

S. J., alias S. A. A. (représentée par un conseil, Ben Liston)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Canada

Date de la communication:

17 février 2016 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 février 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

8 novembre 2019

Objet :

Renvoi forcé aux États-Unis aux fins de l’exécution d’une peine d’emprisonnement ; absence de recours utile ; risque de peine cruelle, inhumaine ou dégradante ; détention arbitraire

Question(s) de procédure :

Incompatibilité ; non-épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un recours ; prévention des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes ; détention arbitraire

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 7, 9 et 10 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteure de la communication est S. J., alias S. A. A, de nationalité somalienne, née le 1er janvier 1959. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle des articles 2 (par. 3), 7, 9 et 10 (par. 1) du Pacte . Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le renvoi de l’auteure étant prévu pour le 17 février 2016 (à 11 heures, heure de New York), l’intéressée a prié le Comité de soumettre une demande de mesures provisoires à l’État partie afin qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi tant que la communication serait à l’examen. Le 17 février 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas présenter de demande de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure a fui la Somalie pour se réfugier au Kenya en 1992, un an après le meurtre de son mari. Au Kenya, elle a été reconnue comme réfugiée au sens de la Convention par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), et les autorités américaines l’ont par la suite autorisée à se réinstaller aux États-Unis, ainsi que cinq de ses enfants, au titre du programme de réinstallation. L’auteure est entrée aux États-Unis avec ses enfants le 22 novembre 1996 et a obtenu le statut de résidente permanente dans ce pays à cette date. Sa carte de résidente permanente devait venir à expiration le 4 octobre 2016. Tous ses enfants ont aujourd’hui la nationalité américaine.

2.2Le 12 novembre 2008, l’auteure a été mise en examen à Columbus, dans l’Ohio, pour deux infractions graves : trafic et détention d’une substance réglementée, plus précisément de 6,8 kg de khat (c atha edulis). Le khat est un stupéfiant à effet stimulant dérivé d’une plante à fleurs originaire de la corne de l’Afrique et de la péninsule arabique dont les effets sont comparables à ceux des feuilles de coca, du café et d’une amphétamine légère. Il est interdit dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis, au Canada et dans de nombreux pays d’Europe. Le 23 janvier 2009, le tribunal de première instance du comté de Franklin, qui siège à Columbus, a déclaré l’auteure coupable du chef de détention, mais non coupable du chef de trafic. Il l’a reconnue coupable de détention d’un stupéfiant de catégorie I avec circonstances aggravantes, un crime au second degré.

2.3Comme suite à une requête en autorisation nunc pro tunc présentée par la défense, le tribunal de comté a modifié la déclaration de culpabilité, retenant non plus le chef de crime au second degré, mais celui de crime au troisième degré. Il a condamné l’auteure à une période de trois ans de mise à l’épreuve. Le ministère public a saisi la cour d’appel de l’Ohio, qui a constaté un vice de procédure et a renvoyé l’affaire devant le tribunal de comté. Celui-ci a une nouvelle fois décidé de modifier la déclaration de culpabilité prononcée en retenant le chef de détention de stupéfiants au troisième degré et a de nouveau condamné l’auteure à une période de trois ans de mise à l’épreuve. Le ministère public a formé un nouveau recours devant la cour d’appel, qui a de nouveau constaté un vice de procédure et renvoyé l’affaire devant le tribunal de comté.

2.4Le 18 décembre 2012, l’auteure a comparu pour la troisième fois devant le tribunal de comté. Le 3 septembre 2013, elle a été définitivement déclarée coupable, le tribunal ayant confirmé la déclaration de culpabilité initiale. Elle a été condamnée à une peine minimale obligatoire de deux ans d’emprisonnement, qu’elle devait commencer à exécuter le 27 novembre 2013 dans un centre pénitentiaire de l’Ohio. Elle ne s’est toutefois pas présentée le jour où elle devait être mise sous écrou. Elle a saisi la cour d’appel, mais celle-ci l’a déboutée de son recours.

2.5Le 4 décembre 2013, l’auteure est entrée au Canada en passant par un poste frontière terrestre, pour échapper à la peine cruelle et dégradante qui lui aurait été infligée si elle était restée aux États-Unis. Elle est entrée au Canada sous son propre nom, en présentant sa carte de résidente des États-Unis. Le 5 décembre 2013, les autorités de l’Ohio ont émis un mandat d’arrêt contre elle.

2.6Le 3 janvier 2014, l’auteure a présenté une demande d’asile depuis le territoire canadien sous le pseudonyme de S. A. A. Une audition devant la Section de la protection des réfugiés a été prévue et, pendant le traitement de la demande, une analyse biométrique a permis d’établir que l’auteure était en réalité S. J. L’intéressée, qui ne parle pas anglais, affirme que comme elle n’avait pas été informée de la date de son audition devant la Section de la protection des réfugiés, elle ne s’est pas présentée le jour dit et, en conséquence de quoi les autorités ont prononcé le désistement de sa demande. En novembre 2014, l’auteure s’est présentée volontairement pour un entretien à l’Agence des services frontaliers du Canada et a été placée en détention. Le 17 mars 2015, la Section de la protection des réfugiés a rejeté une demande de réouverture du dossier de l’auteure.

2.7Le 2 avril 2015, l’auteure a été informée qu’elle remplissait les conditions nécessaires pour demander un examen des risques avant renvoi préalablement à son expulsion vers les États-Unis. Le 2 juin 2015, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé que l’auteure ne pouvait pas prétendre à l’asile au Canada car elle avait été reconnue coupable d’infractions aux États-Unis. Le 22 juin 2015, un agent principal d’immigration a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par l’auteure. La décision a été notifiée à l’intéressée en personne le 9 juillet 2015 et à son conseil le 10 juillet 2015. Le 14 juillet 2015, l’auteure a reçu l’instruction de se présenter en vue de son renvoi aux États-Unis, prévu le 16 juillet 2015. L’avocat de l’auteure a introduit auprès de la Cour fédérale une requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. L’auteure a obtenu le contrôle judiciaire de la première décision concernant sa demande d’examen des risques avant renvoi, dont les autorités ont estimé qu’elle était entachée d’irrégularités mineures, et le dossier a été soumis à un autre agent. L’auteure a bénéficié d’un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pendant le réexamen de sa demande.

2.8Le 2 octobre 2015, l’avocat de l’auteure a déposé d’autres observations écrites et produit de nouvelles pièces justificatives aux fins de l’examen de la deuxième demande d’examen des risques avant renvoi. Dans cette nouvelle demande mise à jour, l’auteure a affirmé une nouvelle fois qu’elle courrait un risque si le Canada la renvoyait directement en Somalie. Sachant toutefois que le Canada était plus susceptible de la renvoyer aux États-Unis, elle a mis en avant les risques qu’elle courrait dans ce pays en raison de la peine de deux ans d’emprisonnement à laquelle elle avait été condamnée et qu’elle considérait comme cruelle et inhumaine. Le 8 janvier 2016, la deuxième demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée. L’agent chargé de l’examen a conclu que le risque d’expulsion de l’auteure des États-Unis vers la Somalie était hypothétique étant donné que l’intéressée, en tant que réfugiée, jouissait depuis un certain temps du statut de résidente permanente aux États-Unis. En outre, l’auteure n’avait fourni aucun élément de preuve ni argument plausible permettant de penser que les autorités américaines envisageraient de l’expulser vers la Somalie au lieu de faire en sorte qu’elle exécute sa peine dans l’Ohio.

2.9Le 15 janvier 2016, un membre de l’Agence des services frontaliers du Canada a tenté de signifier à l’auteure la décision de renvoi la concernant, mais, faute d’interprète, l’intéressée n’a pas compris ce qui lui était dit. Le même jour, l’avocat de l’auteure a téléphoné à l’Agence des services frontaliers du Canada pour demander une copie de la décision issue de l’examen des risques avant renvoi. Le 1er février 2016, une demande d’autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision a été introduite auprès de la Cour fédérale. Le 11 février 2016, l’auteure a reçu une copie des motifs de la décision ; elle a aussi reçu personnellement l’instruction de se présenter aux fins de son renvoi, prévu le 17 février 2016. Le 15 février 2016, elle a demandé à la Cour fédérale d’ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, mais la Cour l’a déboutée. Elle a également demandé à la Cour de réexaminer la décision de renvoi, et un juge a confirmé cette décision le 16 février 2016.

2.10L’auteure dit avoir épuisé tous les recours internes qui lui étaient ouverts au Canada et n’avoir pas présenté de requête semblable devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme qu’en cas de renvoi aux États-Unis, elle serait arrêtée et placée en détention et que sa condamnation obligatoire à deux années d’emprisonnement pour détention de khat constituerait une peine cruelle, inhumaine et dégradante et risquerait de la priver de liberté au mépris des normes internationales.

3.2L’auteure ne s’étant pas présentée le jour de son audition, le désistement de sa demande d’asile a été prononcé. Le 15 janvier 2016, l’auteure a reçu la visite d’un membre de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui a tenté de lui signifier la décision de rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi, mais ce n’est que le 11 février 2016 qu’elle a reçu la copie des motifs de cette décision. Le 15 février 2016, la Cour fédérale a débouté l’auteure de sa requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi. L’auteure affirme donc être sous le coup d’une mesure de renvoi du Canada et n’avoir aucune possibilité de recours ou de contrôle judiciaire de la décision de rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi.

3.3L’auteure affirme en outre que son renvoi du Canada la priverait de son droit à un recours utile contre le refoulement, en violation des obligations mises à la charge de l’État partie par l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 7 et 9 et l’article 10 (par. 1).

3.4Bien que l’auteure puisse demander le contrôle judiciaire de la décision de rejet de sa demande d’examen des risques avant renvoi, cette procédure n’a pas d’effet suspensif au regard de la législation canadienne relative à l’immigration et ne devrait donc pas être considérée comme un recours utile. Toutefois, le principal grief de l’auteure à l’égard de son renvoi consiste à dire qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle risquerait de subir une peine cruelle, inhumaine ou dégradante, en violation de l’article 7 du Pacte, si elle était emprisonnée pendant deux ans à son retour aux États-Unis.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 17 août 2016, l’État partie a adressé ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il affirme que l’auteure a demandé l’asile au Canada sous un faux nom, en faisant de fausses déclarations, et qu’elle ne s’est ensuite pas présentée le jour de son audition. Le désistement de sa demande a été prononcé le 19 mars 2014.

4.2Les autorités canadiennes ont fini par découvrir la véritable identité de l’auteure. En novembre 2014, l’auteure a été placée en détention au motif qu’elle risquait de prendre la fuite. Dans sa demande d’examen des risques avant renvoi, elle affirmait qu’elle risquait de subir une peine cruelle et inhumaine en cas de renvoi aux États-Unis compte tenu de la durée de la peine d’emprisonnement à laquelle elle avait été condamnée. Cette demande a été rejetée en janvier 2016. L’auteure a été renvoyée du Canada aux États-Unis le 17 février 2016.

4.3Dans la communication qu’elle a adressée au Comité, l’auteure affirme que son renvoi aux États-Unis était contraire aux articles 7, 9 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Son principal grief consiste à dire que sa condamnation à deux années d’emprisonnement aux États-Unis constitue une peine cruelle, inhumaine ou dégradante en raison de la durée tout à fait excessive de cette peine et que les conditions de son incarcération aux États‑Unis ne seraient probablement pas satisfaisantes. L’auteure affirme également qu’elle ne disposait pas, au Canada, d’un recours utile contre son refoulement.

4.4Premièrement, l’État partie estime que les allégations de l’auteure sont irrecevables dans leur intégralité en ce qu’elles sont incompatibles avec les obligations qui lui incombent au regard du Pacte. L’État partie doit s’abstenir d’expulser un ressortissant étranger lorsqu’il existe un risque réel et prévisible de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7. Or, il n’existait en l’espèce aucun risque de ce type. L’État partie souligne en outre que l’application extraterritoriale d’autres dispositions du Pacte comme suite à un renvoi n’est pas reconnue par la jurisprudence du Comité. Pour ce qui est de l’allégation d’un risque de violation de l’article 9 à la suite d’un renvoi, ce risque devrait être d’une gravité telle qu’il constituerait un traitement inhumain visé par l’article 7 du Pacte ; c’est le cas notamment lorsque l’intéressé risque d’être soumis à une détention arbitraire prolongée. L’auteure devait être incarcérée aux États-Unis pendant deux ans, peut-être moins. La peine à laquelle elle a été condamnée est d’une durée moyenne et a été prononcée à l’issue d’un procès pénal équitable dans le cadre duquel plusieurs recours ont été formés. Le système pénitentiaire dans l’Ohio est humain et garantit la sécurité des détenus. Il existe un mécanisme qui examine les plaintes tant formelles qu’informelles, et les établissements pénitentiaires font l’objet d’inspections rigoureuses effectuées sans préavis à intervalle régulier. Les détenus ne sont pas exposés à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ni à aucun autre type de préjudice irréparable. Selon l’État partie, pour qu’un traitement ou une peine soit considéré comme cruel, inhumain ou dégradant, il faut que des conditions strictes soient réunies. En règle générale, le traitement ou la peine doit entraîner des souffrances graves, physiques ou mentales, ou à tout le moins des effets physiques ou mentaux néfastes, ou des souffrances physiques et morales intenses. Ainsi que l’a déclaré le Comité, une peine n’est dégradante que si l’humiliation ou l’abaissement qui en résulte dépasse un certain seuil et, en tout état de cause, si elle comporte des éléments qui dépassent le simple fait d’être privé de liberté. Le fait d’être condamné à une peine d’emprisonnement ne saurait en soi constituer une peine cruelle, inhumaine ou dégradante. L’État partie soutient donc que l’exécution d’unepeine de deux ans d’emprisonnement aux États-Unis ne constitue pas un type de « préjudice irréparable » de nature à donner effet à l’obligation de ne pas expulser mise à sa charge par le Pacte et que les griefs que l’auteure tire des articles 9 et 10 du Pacte sont incompatibles avec la portée des obligations qui incombent au Canada dans le contexte d’un renvoi.

4.5L’État partie ajoute que la communication est irrecevable et dénuée de fondement, compte tenu de la manière dont l’auteure a été traitée après son renvoi. Au moment où il a présenté ses observations, l’auteure purgeait sa peine d’emprisonnement et pouvait être remise en liberté après avoir exécuté 80 % de celle-ci, c’est-à-dire dès le mois d’août 2017. Selon les informations accessibles au public, l’auteure a été placée à la maison de redressement pour femmes de l’Ohio, où les détenues sont en sécurité, sont traitées avec humanité et peuvent participer à de nombreux programmes de réadaptation. Il n’y a aucune raison de croire qu’elle a été placée à l’isolement ou qu’elle a été soumise à un quelconque autre régime de détention restrictif.

4.6La communication est également irrecevable dans son intégralité en ce que l’auteure n’a pas épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. L’auteure a eu de nombreuses occasions de soumettre ses allégations de risque à l’appréciation des décideurs canadiens, et avait à sa disposition trois voies de recours internes qu’elle n’a pas utilisées. En particulier, elle ne s’est pas présentée pour ses auditions devant la Section de la protection des réfugiés, alors que c’était pourtant l’occasion de s’exprimer de vive voix devant un décideur indépendant au sujet du risque qu’elle estimait courir. En outre, elle s’est désistée de sa demande d’asile initiale du 3 janvier 2014. Elle a déclaré qu’elle ne savait pas qu’elle avait été convoquée à une première audition devant la Section de la protection des réfugiés car elle ne pouvait pas lire les documents en anglais qui lui avaient été remis en main propre, et aussi que son conseil ne l’avait pas informée que la date de l’audition avait changé. Or, à l’époque, elle n’avait pas d’adresse fixe et se savait injoignable à l’adresse qu’elle avait communiquée aux autorités. Selon l’État partie, les motifs avancés par l’auteure pour expliquer le désistement de sa demande d’asile ne sont donc pas crédibles. L’hypothèse la plus plausible est que l’intéressée ne s’est volontairement pas présentée pour ses auditions de janvier à novembre 2014 et a coupé tout contact avec son conseil et avec les autorités canadiennes parce qu’elle cherchait à échapper à la justice des États-Unis et ne voulait donc pas que sa véritable identité soit découverte. Les erreurs qu’auraient commises le conseil ne sauraient en aucun cas justifier le fait que l’intéressée n’a pas épuisé le recours que constituent les auditions. De surcroît, l’auteure n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. À ce propos, l’État partie regrette que, dans les constatations qu’ils ont adoptées dans des affaires récentes, le Comité des droits de l’homme et le Comité contre la torture aient estimé que les demandes pour considérations d’ordre humanitaire ne constituaient pas des recours devant être épuisés aux fins de la recevabilité. Le Canada estime que les motifs pour lesquels l’auteur d’une communication est autorisé à rester sur son territoire ne devraient pas importer dès lors que l’intéressé est protégé contre un renvoi vers un pays où il affirme qu’il serait en danger. La demande pour considérations d’ordre humanitaire est une procédure administrative équitable et susceptible de contrôle judiciaire dans le cadre de laquelle les difficultés auxquelles se heurterait l’intéressé en cas de renvoi. Le dépôt d’une demande pour considérations d’ordre humanitaire n’aurait pas automatiquement entraîné un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi pendant le traitement de la demande, mais il aurait néanmoins permis à l’auteure de demander un sursis auprès de la Cour fédérale ou une suspension auprès l’Agence des services frontaliers du Canada. Enfin, l’auteure n’a pas présenté de demande de suspension du renvoi alors pourtant qu’à la mi-janvier 2016, elle avait été informée, de même que son avocat, du rejet de sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi et, partant, du caractère potentiellement imminent de son renvoi. Le 11 février 2016, l’auteure a été personnellement informée que son renvoi était prévu pour le 17 février 2016. Dans sa communication, elle n’explique pas pour quelles raisons elle a omis d’épuiser les deux recours précités.

4.7Non seulement l’auteure ne s’est pas prévalue des voies de recours qui lui étaient ouvertes, mais elle a cherché à plusieurs reprises à tromper les autorités canadiennes sur des points tels que son nom, sa date de naissance et le pays depuis lequel elle était entrée au Canada. Elle a aussi fait obstruction à la procédure de recours en refusant d’accuser réception des décisions concernant ses demandes, y compris la décision concernant sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi. Elle a systématiquement entravé le fonctionnement équitable et efficace des recours internes prévus par l’État partie contre le refoulement. En ne se prévalant pas de la plupart des voies de recours qui lui étaient ouvertes dans le système canadien d’immigration et en ne se montrant pas coopérative avec d’autres mécanismes de recours, l’auteure a rendu plus difficile l’examen par l’État partie de ses allégations de risques en cas de renvoi. Par conséquent, les griefs que l’auteure tire de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 et 9 et l’article 10 (par. 1) du Pacte, concernant l’absence de recours internes utiles au Canada (l’auteure explique qu’elle n’a pas été entendue par la Section de la protection des réfugiés et que la Cour fédérale a refusé de traiter sa requête en sursis au renvoi aux fins du contrôle judiciaire de la décision de rejet de sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi) ne sont pas suffisamment étayés.

4.8Si le Comité juge recevables certains aspects des allégations de l’auteure, l’État partie soutient à titre subsidiaire que la communication est totalement dénuée de fondement. Il n’existe pas de motifs sérieux de croire que le renvoi de l’auteure aux États-Unis l’a exposée à un risque réel et personnel de préjudice irréparable tel que ceux envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte. Le renvoi de l’auteure par l’État partie était donc conforme aux dispositions du Pacte, y compris à l’obligation qui incombe à l’État partie de garantir des recours utiles.

4.9Enfin, l’État partie rappelle que l’auteure n’a pas subi de mauvais traitements à la suite de son renvoi aux États-Unis, où elle a dû exécuter une peine d’emprisonnement d’une durée moyenne pour avoir commis une infraction relativement grave, peine à laquelle elle a été condamnée après une procédure de plusieurs années dans le cadre de laquelle elle a formé plusieurs recours et était représentée par un avocat. Selon les informations rendues publiques, l’auteure est incarcérée dans un établissement où les détenues sont en sécurité, sont traitées avec humanité et peuvent participer à de nombreux programmes de réadaptation. Les centres pénitentiaires de l’Ohio mettent de solides mécanismes de plainte à la disposition des détenus et sont soumis à des inspections régulières effectuées par un organisme créé par la loi. Par conséquent, la communication ne déclenche pas les obligations que le Pacte met à la charge du Canada en tant qu’État de renvoi.

4.10En conclusion, l’État partie réaffirme que les allégations de l’auteure ne relèvent pas des obligations mises à sa charge par le Pacte et sont donc irrecevables pour cause d’incompatibilité avec l’article 3 du Protocole facultatif et l’article 96 (al. d)) du règlement intérieur du Comité. L’État partie soutient en outre que, puisque l’auteure n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes utiles qui lui étaient ouvertes, la communication devrait être déclarée irrecevable dans son intégralité au regard de l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif et de l’article 96 (al. f)) du règlement intérieur, et que les griefs tirés de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 7, 9 et 10 (par. 1) concernant l’absence de recours internes utiles ne sont pas suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 96 (al. b)) du règlement intérieur. Enfin, l’État partie demande au Comité de déclarer totalement dénuées de fondement les allégations de l’auteure, y compris les griefs tirés des articles 7, 9 et10 (par. 1) du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1Le 12 janvier 2017, le conseil de l’auteure a fait savoir que sa cliente ne présenterait plus d’observations concernant la communication.

5.2En conséquence, le Comité a demandé au conseil de l’auteure de lui faire savoir si celle-ci souhaitait qu’il soit mis fin à l’examen de la communication. Le conseil n’ayant pas reçu d’instructions sur ce point de la part de l’auteure, il a demandé au Comité de garder la communication à l’examen et de se prononcer à la lumière de tous les éléments déjà présentés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les allégations de l’auteure − qui affirme que son renvoi aux États-Unis, où elle devait exécuter une peine de deux ans d’emprisonnement, constitue une peine cruelle, inhumaine ou dégradante contraire aux articles 7, 9 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) − sont irrecevables, étant incompatibles avec les obligations qui incombent à l’État partie au regard du Pacte. Le Comité note que l’État partie estime que le Pacte ne lui fait pas obligation de s’assurer que l’État de destination respectera les droits que les articles 9 et 10 (par. 1) garantissent à l’étranger expulsé, à moins que le risque d’incarcération prolongée ou d’incarcération dans des conditions inadéquates constitue un risque de préjudice irréparable contraire à l’article 6 ou à l’article 7 du Pacte. Le Comité note également que, d’après l’État partie, l’auteure devait être incarcérée aux États-Unis pendant deux ans, peut-être moins, la peine à laquelle elle a été condamnée est d’une durée moyenne et a été prononcée à l’issue d’un procès pénal équitable dans le cadre duquel plusieurs recours ont été formés, et le système pénitentiaire dans l’Ohio est humain et garantit la sécurité des détenus, qui ne sont pas exposés à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’une peine n’est cruelle, inhumaine ou dégradante que si l’humiliation ou l’abaissement qui en résulte dépasse un certain seuil et que, en tout état de cause, le fait d’être privé de liberté ne saurait être considéré comme un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il constate que l’État partie soutient que l’exécution d’unepeine de deux ans d’emprisonnement aux États-Unis ne constitue pas un type de« préjudice irréparable » envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte et n’est pas de nature à donner effet à l’obligation de ne pas expulser mise à sa charge par l’article 2 du Pacte. À ce propos, le Comité note que les griefs que l’auteure tire de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés pour lui permettre de conclure que l’incarcération de l’intéressée aux États-Unis constituerait un préjudice irréparable. Il constate, en particulier, que l’auteure n’a pas démontré qu’ellesubirait une peine cruelle, inhumaine ou dégradante si, à la suite de son renvoi aux États-Unis, le 17février 2016, elle exécutait la peine d’emprisonnement à laquelle elle a été condamnée en toute légalité. Il estime donc quel’auteure n’a pas suffisamment étayé les allégations selon lesquelles l’État partie a violé les articles 7, 9 et 10 (par.1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par.3), en l’expulsant aux États-Unis sachant qu’elle devait y exécuter une peine de deux ans d’emprisonnement. En effet, il est d’avis que l’intéressée n’a pas démontré qu’elle serait exposée à un risque de préjudice irréparable tel que ceux envisagés aux articles 6 et 7 du Pacte, d’autant qu’elle pouvait se prévaloir de recours internes qui lui étaient ouverts et auraient eu des chances d’aboutir, et qu’elle n’a pas suffisamment étayé l’argument selon lequel elle serait victime de mauvais traitements à la suite de son renvoi. Le Comité estime donc que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.4Ayant constaté ce qui précède, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les arguments de l’État partie selon lesquels la communication est aussi irrecevable au motif que l’auteure n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.