Nations Unies

CCPR/C/122/D/2680/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 septembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2680/2015 * , **

Communication présentée par :

Khairullo Saidov (représenté par un conseil de Freedom Now)

Au nom de :

Le père de l’auteur, Zaid Saidov

État partie :

Tadjikistan

Date de la communication :

30 avril 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

4 avril 2018

Objet :

Détention illégale et procès inéquitable d’un homme politique de premier plan

Question(s) de procédure :

Griefs non étayés

Question(s) de fond :

Détention avant jugement ; équité du procès ; équité du procès − assistance d’un avocat ; équité du procès − témoins ; présomption d’innocence ; droit d’appel

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1 et 2), 11, 14 (par. 1, 2, 3 b) et e) et 5), 17, 19, 22 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.L’auteur de la communication, Khairullo Saidov (ci-après « l’auteur »), a saisi le Comité au nom de son père, Zaid Saidov, né en 1958 (ci-après « M. Saidov »). Il affirme que l’État partie a violé les droits que son père tenait des articles 9 (par. 1 et 2), 11, 14 (par. 1, 2, 3 b) et e) et 5), 17, 19, 22 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 avril 1999. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur indique que M. Saidov est un homme politique de premier plan au Tadjikistan. Une guerre civile a sévi au Tadjikistan de 1992 à 1997 et M. Saidov a été l’un des artisans du rétablissement de la paix dans le pays à l’issue de ce long conflit. L’une des conditions du règlement pacifique était l’instauration d’un quota de 30 % garantissant la représentation de dirigeants de l’opposition au sein du Gouvernement. En application de ce quota, M. Saidov a présidé le Comité d’État à l’industrie de 1999 à 2003 et a été Ministre de l’industrie de 2002 à 2006.

2.2De 2007 à 2013, M. Saidov a présidé l’Association tadjike des industriels et des entrepreneurs, un groupement d’entreprises. C’est durant ces années qu’il a eu l’idée de créer un parti politique et formé le projet de constituer un mouvement centriste qui défendrait les intérêts des entreprises. Le 6 avril 2013, il a annoncé publiquement son intention de créer un nouveau parti politique, le « Nouveau Tadjikistan ». Des membres du Gouvernement l’ont immédiatement menacé et se sont efforcés de faire obstacle à cette initiative. Le 8 avril 2013, M. Saidov a été convoqué au Comité d’État à la sécurité nationale, où il a été sommé de mettre fin à son projet. En outre, il a reçu des appels anonymes de menaces.

2.3Le 10 mai 2013, alors qu’il s’apprêtait à tenir une conférence de presse pour informer le public des menaces dont il faisait l’objet, M. Saidov a été emmené par plusieurs policiers à la direction de la police municipale, où on l’a de nouveau sommé de mettre fin à ses activités politiques. Le 19 mai 2013, alors qu’il revenait d’un voyage à l’étranger, il a été appréhendé à l’aéroport de Douchanbé, arrêté et accusé de plusieurs infractions par l’agence de surveillance financière et de lutte contre la corruption. Son arrestation et sa détention ont été entachées de plusieurs violations du Code de procédure pénale tadjik, notamment dans la mesure où son arrestation n’a été officialisée que trente-cinq heures après son interpellation. En sa qualité de membre du Conseil municipal de Douchanbé, M. Saidov jouissait de l’immunité tant que celle-ci n’avait pas été levée par cet organe. L’acquiescement du Conseil municipal à la levée de l’immunité de M. Saidov a été obtenu trente-deux heures après son arrestation. Avant même de l’avoir obtenue et donc en violation de celle-ci, les autorités ont perquisitionné le domicile et le bureau de M. Saidov et ont saisi son ordinateur et des documents, après quoi elles l’ont soumis à un interrogatoire.

2.4Alors que M. Saidov jouissait du droit à la présomption d’innocence, le 20 mai 2013, soit le lendemain de son arrestation, les médias d’État ont lancé une vaste campagne pour le discréditer et le présenter comme un dangereux délinquant. Ils ont notamment prétendu qu’il avait été l’instigateur de la guerre civile au Tadjikistan. L’instance pénale engagée à son encontre a été classée secrète, en violation de l’article 5 de la loi relative aux secrets d’État. Malgré cela, la télévision publique a diffusé de nombreuses émissions présentant M. Saidov comme un criminel. Il était accusé d’infractions sexuelles, et plusieurs infractions de cette nature ont été évoquées au cours de ces émissions, ce qui lui a causé un préjudice considérable. Pendant toute la durée de l’enquête, son droit de s’entretenir en tête-à-tête avec son avocat a été violé. Ses biens ainsi que des biens appartenant à ses proches ont été saisis et confisqués.

2.5M. Saidov a demandé que des analyses génétiques soient effectuées par un expert médico-légal indépendant, mais sa requête a été rejetée. Par la suite, à l’audience, il a appris que de telles analyses avaient bien été effectuées, mais il n’a jamais pu en consulter les résultats. Il n’a donc pas eu la possibilité d’en contester l’exactitude alors que, selon lui, ces résultats ont été falsifiés.

2.6Les défenseurs qui représentaient M. Saidov en justice ont également subi des pressions. Certains d’entre eux ont reçu des messages de menaces sur leur téléphone. Le principal avocat de M. Saidov, Z., a été arrêté juste avant l’ouverture du procès et il a été maintenu illégalement en détention pendant huit mois sous le prétexte fallacieux qu’il n’avait pas remboursé un crédit bancaire. Un autre des avocats de M. Saidov, K., a été passé à tabac par un enquêteur, inculpé de « tentative de corruption de fonctionnaire » sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces et condamné à près de quatre ans d’emprisonnement et à une amende de plus de 287 600 somoni.

2.7En outre, la Cour suprême a considéré que la teneur des audiences devait rester secrète. En conséquence, le public, y compris les représentants des médias, n’ont pas été autorisés à y assister. En outre, le tribunal n’a tenu aucun compte de la quinzaine de requêtes dont il a été saisi par M. Saidov et ses avocats ni des éléments de preuve qu’ils lui ont soumis, qui démontraient clairement l’innocence de l’intéressé. Le 25 décembre 2013, M. Saidov a été déclaré coupable de cinq infractions réprimées par le Code pénal tadjik : privation illégale de liberté (art. 131), viol (art. 138), polygamie (art. 170), fraude (art. 247) et corruption passive (art. 319). Il a été condamné à vingt-six ans d’emprisonnement et à la confiscation de ses biens. Ses avocats n’ont pu obtenir copie du verdict de culpabilité qu’après avoir signé un document par lequel ils s’engageaient à ne pas en divulguer le contenu.

2.8En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur indique que, lors de l’enquête préliminaire et au cours des audiences, M. Saidov et ses avocats ont saisi le Bureau du Procureur général, l’administration présidentielle, la Cour suprême et d’autres organes de plus de 50 plaintes, qui ont toutes été soit ignorées, soit rejetées. L’une des dernières a été présentée au titre de la procédure de contrôle au Conseil de la Cour suprême du Tadjikistan le 3 juillet 2014. Le 1er août 2014, le Conseil l’a rejetée sans l’examiner.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’arrestation de M. Saidov a été officiellement enregistrée trente-cinq heures après son interpellation et non dans les trois heures de celle-ci comme la loi l’exigeait, ce qui constitue une violation des dispositions du Code de procédure pénale tadjik et des garanties prévues à l’article 9 du Pacte. En outre, l’État partie a violé le droit à l’immunité dont M. Saidov jouissait en tant que membre élu du Conseil municipal de Douchanbé. La levée de son immunité a été obtenue a posteriori, après son interrogatoire, et la police a saisi ses documents, ses ordinateurs et d’autres biens en son absence.

3.2M. Saidov a été inculpé de deux délits de fraude, qui selon lui concernaient des transactions afférentes à la construction d’un centre commercial. L’article 11 du Pacte dispose que nul ne peut être emprisonné pour la seule raison qu’il n’est pas en mesure d’exécuter une obligation contractuelle.

3.3En outre, l’État partie a violé les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. En vertu du paragraphe 1 de l’article 273 du Code de procédure pénale, toutes les audiences doivent être publiques à moins qu’il existe un risque que des informations classées secrètes soient divulguées. Les circonstances de l’espèce ne justifiaient pas une telle classification. Même lorsqu’une affaire est classée secrète, le tribunal ne peut prononcer le huis clos que pour certaines parties des audiences ; or, en l’espèce, le tribunal a annoncé que toutes les audiences se tiendraient à huis clos.

3.4Bien que l’affaire ait été classée secrète, les 19 et 20 mai 2013, soit immédiatement après l’arrestation de M. Saidov, la télévision publique a diffusé une émission le présentant comme coupable, en violation de son droit à la présomption d’innocence. Lorsque ses avocats ont demandé des explications à la chaîne de télévision, celle-ci a répondu que les informations diffusées lui avaient été communiquées par les autorités chargées de l’enquête. De même, pendant l’enquête, l’agence de surveillance financière et de lutte contre la corruption a aussi diffusé des informations présentant M. Saidov comme coupable. Lorsque ses avocats s’en sont plaints, ils ont été persécutés et jetés en prison. L’auteur affirme que ces faits constituent des violations des droits que M. Saidov tenait du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.5Au cours de l’enquête, le droit de M. Saidov de s’entretenir en tête-à-tête avec ses avocats a été violé pendant quatre mois. Les autorités ont purement et simplement ignoré la trentaine de plaintes que les défenseurs de M. Saidov ont déposées pour dénoncer le fait qu’on ne les autorisait pas à voir leur client, et elles n’ont fourni aucune réponse. Ces faits ont violé les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. En outre, lorsque les avocats ont demandé copie du jugement, leur demande a été rejetée. Le tribunal a exigé qu’ils signent un accord de non-divulgation, craignant qu’ils ne rendent publique sa décision « illégale ». Pour avoir défendu M. Saidov, ils ont été harcelés, accusés d’infractions pénales fabriquées de toutes pièces, poursuivis de ce chef et condamnés à plusieurs années d’emprisonnement.

3.6L’auteur affirme en outre que les dépositions de plus de 11 témoins ont été écartées par le tribunal sous prétexte que ces personnes étaient trop proches de M. Saidov et « concernées par l’issue du procès ». Les avocats de M. Saidov n’ont pas été autorisés à exercer leur droit d’examiner les conclusions de l’expert médico-légal et de les contester. L’auteur affirme donc que l’État partie a violé les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte.

3.7Enfin, M. Saidov a été persécuté à partir du moment où ses partisans et lui-même ont annoncé leur intention de former un nouveau parti politique. Ces persécutions constituent également une violation des droits que M. Saidov tenait de l’article 22 du Pacte. Dans sa lettre, l’auteur soutient que son père a également été victime de violation des articles 17, 19, 22 et 26 du Pacte.

3.8L’auteur demande une indemnisation adéquate et qu’il soit remédié à toutes les violations dont son père a fait l’objet.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une lettre datée du 3 février 2016, l’État partie a communiqué ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il indique que, le 11 mai 2013, le bureau du procureur de la ville de Douchanbé a engagé des poursuites pénales du chef de polygamie contre M. Saidov et que des membres de sa famille ont été interrogés.

4.2Lors d’une réunion tenue le 13 mai 2013, les membres de l’Association des industriels et des entrepreneurs ont décidé de dissoudre celle-ci au motif que son président « s’était servi de l’Association à des fins politiques et privées ». Cette décision a été prise par les membres sans aucune « pression extérieure ».

4.3Le 17 mai 2013, le Bureau du Procureur général du Tadjikistan a demandé au Conseil municipal de Douchanbé de lever l’immunité de M. Saidov. Le 20 mai 2013, le Conseil a décidé de lever cette immunité et est convenu que des poursuites pénales devaient être engagées contre l’intéressé. La loi ne prévoit pas que les débats sur la levée de l’immunité d’un député doivent obligatoirement se dérouler en présence de l’intéressé.

4.4D’autres actes de procédure, dont l’arrestation et la détention de M. Saidov, ont été accomplis conformément aux dispositions du Code de procédure pénale. M. Saidov n’a pas été arrêté le 19 mai 2013 comme il le prétend. Ce jour-là, il a seulement été « interpellé », et il n’a été arrêté que le 20 mai, après la levée de son immunité. Le 21 mai 2013, le tribunal de district de Firdavsi a décidé de maintenir l’auteur en détention jusqu’à son procès. Par conséquent, l’arrestation et la détention de M. Saidov n’ont pas violé les droits qu’il tenait de l’article 9 du Pacte.

4.5Le 17 juin 2013, les autorités ont décidé de classer « secrète » l’enquête pénale concernant M. Saidov afin de protéger des « secrets d’État » car, lorsqu’il a commis les infractions en cause, M. Saidov était membre du Gouvernement et avait donc accès à des secrets d’État.

4.6L’État partie confirme que la télévision publique a diffusé une émission dans laquelle M. Saidov était présenté comme ayant reçu des pots-de-vin en 2006. Il confirme également que les autorités ont publié une brochure décrivant les infractions qu’il avait commises. Il fait cependant valoir que l’article 19 du Pacte garantit la liberté d’expression, notamment le droit de « rechercher, de recevoir et de répandre des informations ». En outre, il souligne qu’il a été « pleinement démontré » au cours des audiences que M. Saidov avait reçu des pots-de-vin.

4.7M. Saidov a été inculpé de plusieurs infractions sexuelles, notamment de viol sur une mineure, de contrainte exercée sur une femme afin qu’elle avorte et d’autres infractions. Ces accusations ont été examinées par la Cour suprême, mais celle-ci a décidé de renvoyer l’affaire pour « complément d’enquête », ce qui montre que les faits ont été examinés de manière impartiale et que l’agence de surveillance financière et de lutte contre la corruption n’a exercé aucune pression sur l’appareil judiciaire.

4.8Le bien-fondé des allégations selon lesquelles M. Saidov n’aurait pas pu s’entretenir en tête-à-tête avec son avocat n’a pas été établi. En outre, il n’est pas vrai que ses avocats ont été roués de coups ou persécutés parce qu’ils assuraient sa défense en justice. L’un d’entre eux, K., a été accusé d’escroquerie et condamné de ce chef dans une affaire remontant à 2012, mais cela est sans lien avec ses activités d’avocat de la défense ni avec la présente communication.

4.9Un autre avocat de M. Saidov, Z., a également été accusé d’une infraction mais, dans ce cas également, l’affaire était sans rapport avec ses activités professionnelles. En 2011, il a reçu un prêt illégal d’un montant de 1 million de dollars, somme qu’il a « dépensée pour ses propres besoins ». Les poursuites engagées contre Z. n’ont donc aucun lien avec celles visant M. Saidov.

4.10Si les audiences se sont déroulées à huis clos, c’est parce que le tribunal a examiné certains aspects de la vie privée d’une victime mineure.

4.11Sur la base des chefs d’accusation et des audiences, le tribunal a reconnu M. Saidov coupable et, le 25 décembre 2013, l’a condamné à vingt-six ans d’emprisonnement. L’appel de M. Saidov a été rejeté le 23 mai 2014. La culpabilité de M. Saidov a été pleinement établie en justice.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une lettre datée du 28 décembre 2016, l’auteur a communiqué ses commentaires sur les observations de l’État partie. En particulier, il soutient que la réunion de l’Association des industriels et des entrepreneurs a été organisée en l’absence de M. Saidov pour « discréditer » celui-ci par des « accusations illégales et dénuées de fondement ».

5.2L’auteur réaffirme que l’immunité de M. Saidov a été levée après son arrestation, la saisie de ses biens et son interrogatoire. L’article 21 de la loi relative à l’immunité des députés (représentants) des conseils du peuple définit la procédure que le Bureau du Procureur doit suivre pour demander à un conseil de lever l’immunité de l’un de ses députés. Le conseil dispose de trente jours pour examiner la demande. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, le député concerné a le « droit de participer » à cet examen. Après l’adoption de sa décision, le conseil en informe le bureau du procureur dans les trois jours. Il est parfaitement clair que le député dont il est envisagé de lever l’immunité doit avoir la possibilité de participer aux débats. M. Saidov ayant été privé de ce droit, la décision du Conseil municipal de Douchanbé était illégale.

5.3Il est également clair que M. Saidov a été arrêté illégalement le 19 mai 2013 et qu’il n’a pas simplement été « interpellé » comme le prétend l’État partie. Son arrestation n’a été officialisée que trente-cinq heures après son interpellation à l’aéroport de Douchanbé. Pendant ces trente-cinq heures, l’État partie a violé plusieurs des droits procéduraux que M. Saidov tenait de l’article 9 du Pacte.

5.4L’État partie fait valoir en outre qu’en qualité de ministre, M. Saidov avait accès à des secrets d’État. L’article 5 de la loi sur les secrets d’État en vigueur à l’époque contenait une liste des informations susceptibles d’être classées « secrètes ». Aucune information de ce type n’a été mentionnée au cours du procès. En outre, l’État partie a délibérément méconnu l’article 6 de ladite loi, qui dispose que les informations relatives à des actes illégaux commis par des organismes publics et des agents de l’État ne peuvent être classées « secrètes ».

5.5De plus, l’État partie invoque les dispositions de l’article 19 du Pacte pour justifier le fait qu’il a diffusé des informations calomnieuses et mensongères sur M. Saidov, ce qui en soi est inacceptable. Par ailleurs, il fait abstraction du paragraphe 3 de l’article 19, qui prévoit plusieurs restrictions au droit en question.

5.6L’auteur affirme en outre que les avocats de M. Saidov ont eux aussi été persécutés pour avoir accepté de le défendre. Z., notamment, a été persécuté sur la base d’accusations fabriquées de toutes pièces selon lesquelles il n’avait pas remboursé un emprunt en temps voulu. Or, lorsqu’il a été arrêté, il était à jour dans le remboursement de cet emprunt, lequel était de plus garanti par des biens. Le Bureau du Procureur général avait validé les résultats d’une inspection concernant cet emprunt dont il ressortait qu’aucune violation n’avait été commise. Par une « coïncidence », Z. n’a commencé à avoir des problèmes qu’à partir du moment où il a accepté de représenter M. Saidov en justice. De même, les poursuites pénales engagées contre Z. l’ont été par la même agence de surveillance financière et de lutte contre la corruption et les investigations menées par les mêmes enquêteurs que ceux qui étaient chargés de l’affaire Saidov.

5.7K. a commencé à avoir des problèmes et à être persécuté uniquement parce qu’il représentait M. Saidov. Malheureusement, comme il est actuellement incarcéré, il ne peut formuler d’observations aux fins de la présente communication. Il est néanmoins clair qu’il est victime d’une injustice uniquement parce qu’il a fait son travail − à savoir assurer la défense de son client, M. Saidov.

Observations complémentaires

De l’État partie

6.1Dans des lettres datées du 24 février et du 4 août 2017, l’État partie a formulé des observations complémentaires. Il relève que l’auteur affirme que, pendant les audiences, toutes les requêtes de la défense ont été soit ignorées, soit rejetées. Or, comme l’attestent les procès-verbaux d’audience, le tribunal a fait droit à 15 requêtes et en a rejeté trois. Dans ces trois requêtes, les avocats de M. Saidov demandaient que son affaire ne soit plus classée « secrète » et soit examinée en audience publique, que les poursuites pénales engagées contre lui soient abandonnées et que le président du tribunal et ses assesseurs se récusent.

6.2En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel la défense n’a pas pu obtenir copie du jugement, l’État partie soutient que ce document a été fourni le 28 décembre 2013. L’article 350 du Code de procédure pénale dispose que copie du jugement doit être remise à la partie concernée dans les cinq jours de son prononcé.

6.3Outre les infractions pour lesquelles il avait déjà été condamné, M. Saidov a aussi été accusé d’évasion fiscale, d’abus de pouvoir et de fraude et, le 11 août 2015, il a été condamné à vingt-neuf ans d’emprisonnement toutes peines confondues. Le 20 novembre 2015, la Cour suprême du Tadjikistan a rejeté son pourvoi en cassation.

De l’auteur

7.1Dans des lettres datées du 9 mai et du 17 août 2017, l’auteur présente des observations complémentaires. Il souligne de nouveau que le tribunal a ignoré les nombreuses plaintes et requêtes soumises par M. Saidov et ses avocats. Ceux-ci ont par exemple demandé l’audition de témoins supplémentaires et une expertise graphologique, mais toutes ces requêtes ont été rejetées. Dans ses observations, l’État partie a montré qu’il était prêt à mentir non seulement au public mais aussi au Comité.

7.2L’État partie tente en outre de tromper le Comité quant à la législation tadjike pertinente. Il invoque par exemple le texte actuel de l’article 350 du Code de procédure pénale, lequel n’avait pas encore été adopté à l’époque. Aux termes de l’article 350 dudit code tel qu’il était alors en vigueur, copie du jugement du tribunal devait être fournie à l’accusé et à ses avocats ou ses représentants dans les cinq jours. Lorsque les avocats de M. Saidov ont demandé au tribunal copie du jugement, ils ont été contraints de signer un accord de non-divulgation au titre de l’article 177 du Code de procédure pénale, qui confère au défendeur un droit de regard sur la publication des informations relatives à l’enquête préliminaire, mais ce droit ne s’applique pas aux procès-verbaux d’audience.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel M. Saidov et lui-même ont épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

8.4Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire du paragraphe 2 de l’article 9, de l’article 11, du paragraphe 5 de l’article 14 et des articles 17 et 26 du Pacte. Toutefois, en l’absence au dossier d’autres informations pertinentes, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses autres griefs aux fins de la recevabilité. Il les déclare donc recevables et va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend tout d’abord note des griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte selon lesquels M. Saidov a été détenu arbitrairement pendant trente‑cinq heures après son arrestation à l’aéroport de Douchanbé, le 19 mai 2013. L’auteur affirme en outre que, pendant ces trente‑cinq heures, les autorités ont interrogé M. Saidov, saisi ses biens et perquisitionné son domicile et son bureau. L’État partie affirme que M. Saidov n’a d’abord été interrogé qu’en qualité de témoin et qu’il a été arrêté officiellement le 21 mai 2013, sur la base d’un mandat émis conformément à la loi. Le Comité rappelle son observation générale no 35 (2014), sur la liberté et la sécurité de la personne, selon laquelle il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 du Pacte sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale (par. 13). Aux termes des dispositions dudit article, nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. Le Comité relève que l’État partie nie avoir arrêté M. Saidov et affirme que celui-ci a simplement été interrogé en qualité de témoin pendant la période en question. L’État partie ne nie toutefois pas que M. Saidov a été privé de sa liberté pendant cet interrogatoire. Il n’explique pas davantage quand ou si l’intéressé a été remis en liberté après ce premier interrogatoire le 19 mai 2013. Le Comité relève aussi que M. Saidov n’était pas présent lors de la réunion du Conseil municipal de Douchanbé, qui selon l’État partie s’est tenue le 20 mai 2013 et à l’occasion de laquelle l’immunité de député de M. Saidov a été levée, et qu’aucune information n’a été fournie sur son arrestation ultérieure le 21 mai 2013. L’État partie n’ayant pas fourni d’explications complémentaires à ce sujet, le Comité conclut que les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte ont été violés.

9.3En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte concernant le droit à un procès public, le Comité prend note de ses allégations selon lesquelles l’enquête a été classée « secrète » et les audiences ont eu lieu à huis clos. Il prend également note des explications de l’État partie selon lesquelles l’enquête a été classée « secrète » parce que M. Saidov avait été ministre et que les audiences n’ont pas été publiques car les faits dont le tribunal était saisi concernaient une personne mineure. Le Comité rappelle son observation générale no 32 (2007), sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, selon laquelle tous les procès en matière pénale ou concernant des droits et obligations de caractère civil doivent en principe faire l’objet d’une procédure orale et publique. Le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte dispose que le huis clos total ou partiel peut être prononcé par le tribunal pendant un procès soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice. L’État partie souligne que les audiences se sont tenues à huis clos pour éviter que des informations portant sur certains aspects de la vie privée de la victime, qui était mineure, ne soient divulguées. Le Comité reconnaît qu’il existe des circonstances dans lesquelles il est « absolument nécessaire » de tenir certaines audiences à huis clos afin de protéger la vie privée d’une victime mineure, mais il constate qu’en l’espèce l’État partie n’a pas montré en quoi il était indispensable d’interdire au public d’assister aux audiences portant sur d’autres aspects de la procédure, notamment les accusations de fraude visant M. Saidov. L’État partie n’a pas non plus fait mention d’autres éléments classés secrets de bonne foi qui auraient pu justifier que certaines audiences se tiennent à huis clos. L’État partie n’ayant donné aucune explication sur ce point, le Comité conclut qu’il a restreint de manière disproportionnée le droit de M. Saidov à un procès équitable et public et donc qu’il a violé les droits que celui-ci tenait du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

9.4S’agissant de l’affirmation de l’auteur selon laquelle le droit de M. Saidov à la présomption d’innocence a été violé lorsque la télévision publique l’a déclaré coupable avant même que son procès n’ait lieu et parce que, pendant l’enquête, l’agence de surveillance financière et de lutte contre la corruption a diffusé des informations le présentant comme coupable, le Comité renvoie à sa jurisprudence, notamment celle reflétée dans son observation générale no 32, selon laquelle du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe. L’État partie reconnaît avoir diffusé des informations sur la culpabilité de M. Saidov bien avant que le tribunal ne rende son jugement (voir par. 4.6). Or, les principes consacrés à l’article 19 du Pacte ne sauraient être invoqués par un État pour justifier le fait qu’il a qualifié un suspect de coupable avant que l’intéressé n’ait fait l’objet d’un procès équitable. Compte tenu des circonstances décrites par l’auteur et de la position claire adoptée par l’État partie au sujet de la culpabilité de M. Saidov avant que le tribunal ne se prononce, le Comité estime que le droit à la présomption d’innocence que M. Saidov tenait du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte a été violé.

9.5Le Comité relève que l’auteur affirme que M. Saidov n’a pas été autorisé à communiquer avec son conseil ni à se défendre lui-même en recourant à l’aide juridictionnelle, en violation du paragraphe 3 b) de l’article 14 du Pacte. L’auteur affirme aussi que les avocats de M. Saidov n’ont pas pu le voir librement ni s’entretenir avec lui en tête-à-tête pendant les quatre mois qu’a duré l’enquête préliminaire. Le Comité rappelle son observation générale no 32, selon laquelle le fait de disposer du temps et des facilités nécessaires pour s’entretenir avec un défenseur représente un élément important de la garantie d’un procès équitable et une application du principe de l’égalité des armes. Le Comité relève que l’État partie, bien qu’affirmant de manière générale que M. Saidov a pu rencontrer ses avocats, ne réfute pas l’allégation précise de l’auteur selon laquelle M. Saidov n’a pu avoir d’entretiens confidentiels avec ses défenseurs pendant les quatre mois de l’enquête préliminaire. L’État partie n’a pas non plus réfuté l’allégation selon laquelle M. Saidov n’a pas été autorisé à contacter son avocat pendant son premier interrogatoire. En outre, l’auteur a joint à sa communication des requêtes par lesquelles K. et T. demandent à pouvoir s’entretenir avec M. Saidov, datées du 20 mai, du 13 juin et du 13 août 2013. Le Comité relève que, d’après l’auteur, ces requêtes sont restées sans réponse, une allégation qui n’est pas réfutée par l’État partie. Le Comité prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles les avocats de la défense ont été harcelés et ont fait l’objet de poursuites pénales parce qu’ils assistaient M. Saidov. Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité conclut que M. Saidov s’est vu refuser le droit de communiquer avec ses avocats et de s’entretenir avec eux en tête-à-tête, en violation du paragraphe 3) b) de l’article 14 du Pacte.

9.6Le Comité prend note de l’allégation non contestée de l’auteur selon laquelle M. Saidov n’a pas obtenu la comparution de plus de 11 témoins à décharge, en violation du paragraphe 3 e) de l’article 14. L’auteur affirme en outre que les avocats de M. Saidov n’ont pas pu étudier le rapport de l’expert médico-légal mandaté par l’État ni en contester les conclusions. L’État partie n’a pas répondu à ces allégations. Le Comité rappelle son observation générale no 32, selon laquelle le paragraphe 3 e) de l’article 14 garantit le droit de l’accusé d’interroger ou de faire interroger les témoins à charge et d’obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge. Si ce droit n’est pas illimité, il comprend toutefois le droit de faire comparaître les témoins utiles pour la défense et d’avoir une possibilité adéquate d’interroger les témoins à charge et de les soumettre à un contre-interrogatoire à un stade ou un autre de la procédure. Le Comité considère qu’un État partie ne peut se libérer de cette obligation en faisant simplement valoir que les témoins dont l’audition est demandée sont trop proches de l’accusé et sont concernés par l’issue du procès. En outre, l’État partie n’a pas expliqué pourquoi l’avocat de M. Saidov n’a pas été autorisé à examiner les conclusions de l’expertise médico-légale. En outre, tous les éléments de preuve réunis par l’État partie auraient dû être transmis aux avocats de la défense pour leur permettre de contester le bien-fondé de ces conclusions. En l’absence d’explications de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 3 e) de l’article 14 du Pacte ont été violés.

9.7Le Comité note de plus les allégations de l’auteur selon lequel les menaces et persécutions dont M. Saidov a été victime aux mains des autorités et les violations cumulées de ses droits procéduraux décrites ci-dessus ont été motivées par les efforts qu’il a faits pour exercer les libertés d’expression et d’association que lui garantissaient les articles 19 et 22 du Pacte. Plus précisément, l’auteur affirme que ces droits ont été arbitrairement limités parce que M. Saidov a été empêché d’exprimer ses opinions politiques et de prendre publiquement position, notamment en exprimant son intention de former un nouveau parti politique et en déployant des efforts à cette fin. Le Comité constate que M. Saidov a été menacé et poursuivi immédiatement après avoir annoncé publiquement son intention de créer un parti politique et qu’il a finalement, dans les faits, été empêché de le faire. Le Comité prend également note de l’allégation de l’auteur selon laquelle le 10 mai 2013, M. Saidov a été empêché d’organiser une conférence de presse. Le Comité estime que les actes des autorités constituent une restriction des droits de M. Saidov de répandre des informations et des idées de toute espèce en vertu du paragraphe 2 de l’article 19 et de la liberté d’association qu’il tenait du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte. Le Comité doit donc décider si ces restrictions étaient autorisées au regard du paragraphe 3 de l’article 19 et du paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

9.8S’agissant de l’article 19, le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011), sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, selon laquelle la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu. Elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions qui doivent être fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions aux droits garantis par l’article 19 sont nécessaires et proportionnées. Enfin, le Comité rappelle qu’aucune restriction à la liberté d’expression ne doit être trop large, ce qui signifie qu’elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et qu’elle doit être proportionnée à l’intérêt à protéger. L’État partie affirme que la culpabilité de M. Saidov a été pleinement établie en justice, mais il ne répond pas autrement aux allégations de l’auteur. Il ne conteste pas non plus que M. Saidov avait l’intention de créer un nouveau parti politique et qu’il l’a empêché de créer ce parti. Le Comité considère que, étant donné les circonstances, les interdictions imposées à M. Saidov n’ont pas été justifiées par l’État partie au regard des conditions énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il conclut donc que les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte ont été violés.

9.9En ce qui concerne des allégations de l’auteur au titre de l’article 22, le Comité fait observer que pour être justifiée au regard de l’article 22, toute restriction à la liberté d’association doit satisfaire cumulativement aux conditions suivantes : a) elle doit être prévue par la loi ; b) elle ne peut viser qu’un des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 ; et c) elle doit être « nécessaire dans une société démocratique » pour la réalisation de l’un de ces buts. La référence à une « société démocratique » dans le contexte de l’article 22 indique, de l’avis du Comité, que l’existence et le fonctionnement d’associations, notamment celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, font partie des fondements d’une société démocratique. L’État partie doit également démontrer que l’interdiction de l’association est nécessaire pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif. Étant donné qu’il a été interdit de facto à M. Saidov de créer un parti politique, et en l’absence de toute explication de l’État partie à cet égard, le Comité considère que la restriction imposée à M. Saidov était disproportionnée et ne satisfait pas aux conditions énoncées au paragraphe 2 de l’article 22. Les droits que M. Saidov tenait du paragraphe 1 de l’article 22 ont ainsi été violés.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 1, 2, 3 b) et e) de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 et du paragraphe 1 de l’article 22 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir que toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés dispose d’un recours utile et bénéficie d’une réparation intégrale. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) d’annuler la condamnation de M. Saidov, de le remettre en liberté et, si nécessaire, d’organiser un nouveau procès dans le respect du droit à un procès équitable, de la présomption d’innocence et des autres garanties procédurales ; et b) d’accorder à M. Saidov une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures voulues pour que de telles violations ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.