Nations Unies

CCPR/C/127/D/2484/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2484/2014 * , **

Communication présentée par :

S. K. (représenté par un conseil, Nilufar Sadeghi)

Victime(s) présumée(s) :

S. K.

État partie :

Canada

Date de la communication :

26 novembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 27 novembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

24 octobre 2019

Objet :

Non-refoulement ; torture subie dans le passé

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs, épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture, droit à la vie, détention arbitraire, non‑refoulement

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est S. K., de nationalité sri-lankaise, né en 1976. Il a demandé l’asile au Canada ; sa demande a été rejetée et il risque d’être expulsé vers Sri Lanka. Il affirme que son expulsion violerait les droits qu’il tient des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte car il craint d’être tué ou torturé à Sri Lanka pour avoir travaillé dans le passé pour une organisation non gouvernementale (ONG) qui vient en aide aux personnes d’origine tamoule. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 27 novembre 2014, le Comité, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers Sri Lanka tant que la communication serait à l’examen. Le 11 janvier 2017, l’État partie a demandé que les mesures provisoires à l’égard de l’auteur soient levées, au motif que celui-ci n’avait pas étayé ses griefs et n’avait pas épuisé les recours internes. Le 17 mars 2017, le Comité a décidé d’accéder à la demande de levée des mesures provisoires formulée par l’État partie.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est arrivé au Canada le 18 octobre 2013, après avoir transité par le Qatar, le Brésil, le Mexique et les États-Unis d’Amérique. Il a immédiatement demandé l’asile. Le 8 août 2014, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté sa demande au motif que le requérant n’était pas « une personne à protéger ». Après avoir pris connaissance de tous les éléments de preuve, les membres de la Commission ont conclu que l’auteur ne courait pas personnellement le risque d’être torturé à Sri Lanka.

2.2L’auteur indique que, le 3 octobre 2014, il a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel. Il n’a pas bénéficié d’un sursis automatique à la mesure de renvoi pendant que sa demande était en instance parce qu’il était entré au Canada en transitant par les États-Unis. En pratique, l’autorisation de contrôle juridictionnel n’est accordée que dans 10 % des cas et les éléments de preuve sont analysés uniquement selon le critère du « caractère raisonnable », ce qui ne permet pas un véritable réexamen du dossier.

2.3En ce qui concerne l’examen des risques avant renvoi, en vertu de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, telle que modifiée, les requérants déboutés ne sont plus autorisés à présenter des demandes à cette fin si moins de douze mois se sont écoulés depuis le rejet de leur demande d’asile. L’auteur ne peut donc pas utiliser cette procédure.

2.4L’auteur indique que, lorsqu’il vivait à Sri Lanka, il travaillait comme agent de terrain pour la fondation Sewalanka, une ONG « liée » au Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), qui vient en aide aux Tamouls déplacés. L’auteur a été employé par cette organisation pendant treize ans. Il affirme qu’en raison de son « rôle actif » sur le terrain à Sri Lanka, il est une cible facile pour les autorités, qui considèrent que les activités de cette organisation menacent leur réputation.

2.5L’auteur affirme que les agents du Département de la police judiciaire de Sri Lanka soupçonnent les employés d’ONG de livrer des informations à la presse et aux médias. En août 2011, des soldats sri-lankais ont frappé le chauffeur de l’auteur et menacé l’auteur lui-même parce qu’il avait refusé de les prendre à bord de son véhicule pour sortir d’un camp de réfugiés. En mars 2013, l’auteur a été menacé de mort par les services de police judiciaire et a reçu l’ordre de cesser de recueillir des informations concernant les femmes tamoules violées en détention.

2.6L’auteur ajoute que, même après son arrivée au Canada, deux agents du Département de la police judiciaire lui ont rendu visite en avril 2014. Il n’était pas chez lui à ce moment‑là.

Teneur de la plainte

3.L’auteur fait valoir que, s’il est renvoyé à Sri Lanka, il risque d’être torturé et tué par les autorités de ce pays, ce qui constituerait une violation des obligations de l’État partie découlant des articles 6 (par. 1), 7 et 9 (par. 1) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 10 juillet 2015, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il note que l’auteur affirme que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, il risquerait d’être tué, torturé ou soumis à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ou victime de détention arbitraire. Le risque viendrait du Gouvernement, de l’armée, de la police, ainsi que des groupes militaires qui leur sont associés. L’auteur affirme qu’il serait pris pour cible pour avoir travaillé comme agent de terrain pour la fondation Sewalanka, une ONG qui venait en aide aux Tamouls déplacés pendant la guerre civile. En tant que Tamoul originaire du nord de Sri Lanka, l’auteur lui‑même serait identifié comme étant un demandeur d’asile débouté. Il soutient qu’il a été menacé à plusieurs reprises par des soldats de l’armée sri‑lankaise entre 2011 et 2013.

4.2Les autorités de l’État partie ont estimé que, s’il était renvoyé à Sri Lanka, l’auteur ne risquerait pas d’être persécuté, torturé, menacé de mort ou soumis à des peines ou traitements cruels et inusités. Elles ont considéré que certaines déclarations de l’auteur n’étaient pas crédibles et que celui‑ci pouvait éviter d’être menacé en exerçant une autre profession dans un lieu différent. Sur la base de rapports objectifs sur le pays, les autorités de l’État partie ont conclu que le profil de l’auteur ne le mettrait pas en danger, même s’il était identifié comme étant un ancien agent de terrain employé par une ONG et un demandeur d’asile débouté.

4.3L’État partie prend note du fait que l’auteur dit avoir commencé à travailler en 2001 pour une ONG qui venait en aide aux Tamouls déplacés. En août 2011, il a été menacé par des soldats de l’armée sri‑lankaise qui lui avaient demandé de les prendre à bord du véhicule de l’ONG pour laquelle il travaillait et auxquels il avait refusé ce service. Après avoir expliqué cet incident à son superviseur, il a été muté dans un autre lieu. En mars 2013, après avoir commencé à recueillir des informations sur des agressions sexuelles dont des femmes placées en garde à vue étaient victimes, l’auteur a été menacé de mort par la police, qui lui a ordonné de ne plus collecter de tels renseignements. En août 2013, l’auteur a quitté Sri Lanka avec l’aide d’un agent.

4.4La demande de protection présentée par l’auteur a été examinée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié lors d’une audience tenue le 8 juillet 2014, au cours de laquelle l’auteur, qui était assisté d’un conseil, a eu le droit de produire des éléments de preuve et de présenter des observations. L’auteur a fait des déclarations orales et fourni des documents d’identité et des rapports sur la situation à Sri Lanka. La Section de la protection des réfugiés est un organe indépendant, quasi judiciaire et spécialisé qui examine les demandes de protection présentées par des personnes qui craignent d’être persécutées ou torturées ou de subir d’autres violations graves de leurs droits de l’homme si elles étaient renvoyées dans leur pays d’origine. La Section décide si une personne est un réfugié ou une personne à protéger aux fins de l’article 97 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Elle tient des audiences qui se déroulent de manière informelle sur le mode inquisitoire.

4.5Dans sa décision du 8 août 2014, la Section de la protection des réfugiés a estimé que l’auteur n’avait pas suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles il avait inclus, dans sa déclaration écrite, l’allégation formulée à l’audience selon laquelle l’un de ses collègues avait également été menacé en mars 2013. Cette allégation n’avait pas été soulevée devant le Comité. L’auteur n’avait pas non plus suffisamment expliqué pour quelles raisons il avait omis de mentionner qu’il avait eu l’impression d’avoir été suivi dans tous ses déplacements par deux policiers avant son départ de Sri Lanka. Cette allégation n’avait pas non plus été évoquée devant le Comité. La Section a souligné que l’auteur avait déclaré avoir quitté les États-Unis alors qu’il aurait pu espérer qu’on lui accorde le statut de réfugié s’il y était resté. Après avoir fait l’objet de menaces en 2011, l’auteur a pu être muté dans un autre lieu et n’a plus été inquiété jusqu’en mars 2013. Les menaces dont il a fait l’objet en mars 2013 ont cessé après que l’auteur eut terminé de collecter des informations sur les agressions sexuelles commises en détention. Après juin 2013, l’auteur a été muté dans un bureau à Vavuniya et les menaces ont cessé. L’auteur n’a jamais été menacé à son domicile à Sri Lanka.

4.6La Section de la protection des réfugiés a en outre rejeté l’argument de l’auteur selon lequel celui‑ci courait toujours un risque parce que deux personnes s’étaient rendues à son ancien domicile à Sri Lanka en avril 2014 et avaient demandé à son épouse où il se trouvait. Elle a estimé que l’auteur n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que ces personnes étaient des policiers ou qu’elles représentaient une menace. En outre, elle a estimé que l’emploi que l’auteur avait occupé au sein de la fondation Sewalanka n’était pas de nature à l’exposer aux risques décrits dans les rapports concernant la situation à Sri Lanka. Les documents concernant les meurtres de travailleurs humanitaires pendant le conflit armé en 2006 et 2007 ne montrent pas que les travailleurs humanitaires sont toujours en danger. Les rapports plus récents, par exemple, n’indiquent pas que ces travailleurs sont encore pris pour cible. Il ressort plutôt des rapports que les menaces qui auraient été proférées par le passé visaient des catégories particulières de travailleurs humanitaires, en particulier ceux qui critiquaient activement le Gouvernement. L’auteur semble également admettre que la fondation Sewalanka n’est pas critique à l’égard du Gouvernement et affirme plutôt que les ONG sont prises pour cible même si elles ne désapprouvent pas l’action du Gouvernement. Selon la Section de la protection des réfugiés, la fondation collaborait avec l’Organisation des Nations Unies avec l’approbation du Gouvernement sri-lankais.

4.7Selon le rapport 2014/2015 d’Amnesty International sur Sri Lanka, les défenseurs des droits de l’homme font l’objet de menaces et d’autres formes de violence. Il n’est pas mentionné dans le rapport que les employés actuels ou les ex-employés d’ONG qui n’ont pas participé à des campagnes à l’intention du public sont ou ont été également victimes de ces pratiques. Dans son rapport 2013, Amnesty International faisait état d’une répression étatique dont étaient victimes des travailleurs humanitaires, mais concrètement, les exemples cités concernaient des violences commises pendant la guerre civile, ou des agressions visant des personnes accusées de soutenir les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ou des personnes qui critiquaient activement le Gouvernement. De même, un rapport publié en 2015 par Human Rights Watch décrit la répression exercée contre les défenseurs des droits de l’homme et d’autres activistes, mais ne fait état d’aucune menace contre les travailleurs humanitaires.

4.8L’auteur cite un document publié par la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié selon lequel les demandeurs d’asile déboutés qui retournent à Sri Lanka pourraient être exposés à un risque accru de « problèmes avec les autorités » s’ils ont collaboré avec des ONG. Toutefois, le passage en question provient d’un rapport établi en 2009 par le Ministère de l’intérieur du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, qui indiquait simplement que les personnes qui avaient, par exemple, exercé des fonctions au sein d’une ONG étaient susceptibles d’être interrogées par les autorités et non qu’elles étaient exposées à un risque réel de préjudice irréparable.

4.9La Section de la protection des réfugiés a également constaté que les documents concernant la discrimination à l’égard des Tamouls montraient que ceux-ci pouvaient faire l’objet d’un traitement plus dur lorsqu’ils étaient soupçonnés d’être opposés au Gouvernement ou d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. L’auteur n’a toutefois pas démontré qu’il faisait l’objet de tels soupçons. Plusieurs rapports confirment ces constatations, par exemple celui du Conseil d’État néerlandais, un organe judiciaire constituant la plus haute juridiction du pays compétente pour examiner les appels contre les décisions du pouvoir exécutif, qui a confirmé que les autorités sri‑lankaises étaient à même de faire la distinction entre les Sri-Lankais ordinaires qui revenaient dans le pays, dont les anciens demandeurs d’asile, et les militants qui représentaient un risque pour l’unité de Sri Lanka en raison des fonctions importantes qu’ils exerçaient dans des organisations séparatistes tamoules. Sur la base de ces informations, l’État partie fait valoir que, même si les autorités sri-lankaises identifiaient l’auteur comme étant un Tamoul originaire de la province du Nord de Sri Lanka qui serait de retour au pays après avoir sollicité en vain une protection au Canada, cela ne les amènerait pas à lui infliger un préjudice irréparable.

4.10Le 3 septembre 2014, l’auteur a saisi la Cour fédérale d’une demande d’autorisation de soumettre la décision de la Section de la protection des réfugiés à un contrôle juridictionnel. La Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation présentée par l’auteur, sans motiver sa décision (conformément à sa pratique habituelle). Le 27 octobre 2014, l’auteur a reçu une « convocation » dans laquelle il était indiqué que son renvoi était prévu pour le 27 novembre 2014. Le 26 novembre 2014, l’auteur a saisi le Comité d’une communication et lui a présenté une demande de mesures provisoires. En conséquence, l’État partie a décidé de surseoir au renvoi de l’auteur.

4.11L’État partie fait valoir que la communication de l’auteur est totalement ou partiellement irrecevable car les recours internes n’ont pas été épuisés. Lorsque l’auteur a été informé en octobre 2014 que son renvoi devait avoir lieu le mois suivant, il n’a pas demandé de sursis administratif au renvoi auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada. Bien que les agents d’exécution aient un pouvoir discrétionnaire limité quant au choix de la date du renvoi, la Cour d’appel fédérale a déclaré à maintes reprises que les agents d’exécution devaient surseoir au renvoi s’il était démontré clairement que celui-ci exposait la personne concernée à « un risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain ». Or, l’auteur n’a pas exercé un tel recours.

4.12En outre, le risque allégué de détention arbitraire à Sri Lanka n’engage pas la responsabilité de l’État partie au regard de l’article 9 du Pacte. Conformément à l’observation générale no 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, l’obligation de ne pas renvoyer une personne est limitée aux cas où « il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, [...] tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte ». De même, dans aucune des décisions qu’elle a rendues, la Cour européenne des droits de l’homme n’a conclu qu’un État partie qui renvoyait une personne violait l’article 5 si le demandeur était exposé à un risque de détention arbitraire dans l’État d’accueil.

4.13Les allégations de l’auteur sont manifestement infondées, celui‑ci n’ayant pas étayé ses griefs, et la communication doit donc être déclarée irrecevable. L’auteur n’a pas établi à première vue qu’il courrait un risque réel de préjudice irréparable s’il était renvoyé àSri Lanka. À cet égard, le Comité estime depuis longtemps qu’« il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie », sauf s’il peut être établi que cette appréciation des faits et des éléments de preuve a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Dans les observations qu’il a adressées au Comité, l’auteur ne présente aucun fait nouveau ni aucun élément de preuve important qui montrerait qu’il court un risque personnel.

4.14Des rapports objectifs indiquent que de graves violations des droits de l’homme sont toujours commises à Sri Lanka, en particulier à l’égard des hommes tamouls qui ont été arrêtés par la police ou par d’autres autorités et qui risquent d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements, en particulier s’ils sont soupçonnés d’avoir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. En dépit de ces problèmes, tous les hommes tamouls originaires de la province du Nord ne courent pas un risque réel de préjudice irréparable. Selon les Principes directeurs du HCR relatifs à l’éligibilité (2012), des caractéristiques personnelles supplémentaires sont nécessaires pour établir qu’il existe à première vue des motifs de croire que l’auteur serait en danger s’il était renvoyé.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1L’auteur a fait part de ses commentaires le 14 septembre 2015. Il signale que toutes les preuves documentaires soumises au Comité confirment que ce ne sont pas non uniquement les défenseurs des droits de l’homme qui critiquent le Gouvernement qui sont pris pour cible par les autorités. Il est démontré que de simples agents communautaires sont également la cible des forces de sécurité. Cette persécution n’a pas cessé à l’issue du conflit à Sri Lanka en mai 2009 et elle se poursuit aujourd’hui.

5.2Selon un rapport publié par Amnesty International en avril 2013, Sri Lanka a pris pour cible des défenseurs des droits de l’homme qui sont, non pas des militants renommés qui participent à des activités de plaidoyer au niveau international, mais plutôt des agents communautaires qui viennent en aide aux personnes qui tentent de se relever de décennies de conflit armé. Dans un autre rapport, publié par l’organisation International Truth and Justice Project, il est fait mention d’un employé tamoul d’une ONG qui a été enlevé, torturé et agressé sexuellement.

5.3Le Gouvernement de Sri Lanka continue de durcir les conditions dans lesquelles les ONG peuvent exercer leurs activités. Selon un article publié récemment dans la revue Foreign Policy, le Gouvernement exerce une forte emprise sur les organisations qui mettent en œuvre des projets de développement, en particulier celles qui s’occupent de questions relatives aux droits de l’homme et à la prise en charge psychologique dans la zone où les combats ont été le plus intenses. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) lui‑même a enquêté sur des allégations de crimes de guerre, ce qui a eu pour effet, selon l’auteur, de rendre « un régime paranoïaque encore plus nerveux ». Le Gouvernement tente de créer un climat d’intimidation afin de décourager les habitants et les organisations de la société civile de fournir des informations qui pourraient le compromettre. La réduction de la marge de manœuvre des ONG reflète une tendance plus générale à Sri Lanka. La liberté de circulation de la population est restreinte, en particulier dans le nord. La liberté d’expression est limitée par un cadre médiatique restrictif. La répression exercée dernièrement contre les ONG est une illustration supplémentaire de la tentative du Gouvernement de centraliser le pouvoir et d’étouffer la dissidence.

5.4Plus important encore, dans une lettre récente, la fondation Sewalanka soutient clairement l’auteur et le décrit comme l’un des agents de terrain qui ont été menacés, interrogés et détenus pour avoir fait leur travail. Même si l’ONG elle-même travaille avec l’approbation du Gouvernement, l’auteur affirme que cette approbation « masque la réalité, à savoir que les autorités continuent de prendre pour cible » même de simples agents de terrain. L’épouse de l’auteur a récemment reçu un « avis » de la police sri‑lankaise enjoignant à l’auteur de se présenter à la police pour y être interrogé. Aucun motif précis justifiant la demande n’était indiqué. La police a rendu régulièrement visite à l’épouse de l’auteur et continue de le faire.

5.5L’auteur conteste également l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas épuisé tous les recours internes parce qu’il n’a pas demandé de sursis administratif à son renvoi. Cette requête a été présentée mais a été rejetée le 25 novembre 2014, dans une lettre dans laquelle était également fixée la date de renvoi de l’auteur. Celui-ci demande donc au Comité de déclarer sa communication recevable, de maintenir les mesures provisoires et de conclure à une violation sur le fond.

Observations complémentaires

Observations de l’État partie

6.1Dans ses observations complémentaires datées des 1er mars 2016 et 12 janvier 2017, l’État partie affirme que, le 19 septembre 2015, l’auteur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi et que, le 29 septembre 2015, il a fourni des documents supplémentaires à l’appui de cette demande. Conformément à l’article 232 du Règlement canadien sur l’immigration et la protection des réfugiés, la mesure de renvoi prise contre l’auteur a été suspendue en attendant qu’il soit statué sur la demande d’examen des risques. Cela signifie que la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

6.2La procédure d’examen des risques avant renvoi est fondée sur l’engagement pris par le Canada aux niveaux national et international de respecter le principe de non‑refoulement. Ces demandes sont examinées par des agents formés à l’évaluation des risques et, plus particulièrement, à la prise en compte des obligations internationales relatives aux droits de l’homme qui concernent la protection des réfugiés. Ces agents reçoivent également une formation en matière de droit administratif et de jurisprudence et suivent l’évolution de la situation dans le monde. Pour l’auteur, dont la demande a déjà été examinée par la Section de la protection des réfugiés, une demande d’examen des risques avant renvoi vise à déterminer si des faits nouveaux sont survenus depuis que la Section de la protection des réfugiés a adopté sa décision et s’il existe de nouveaux éléments de preuve démontrant que l’intéressé risque maintenant d’être persécuté, torturé, menacé de mort ou soumis à des peines ou traitements cruels ou inusités. Pour l’auteur, la procédure d’examen des risques avant renvoi inclura une évaluation actualisée de ces risques. Dans sa demande, l’auteur a soulevé bon nombre d’éléments et de griefs qui figuraient déjà dans sa lettre initiale au Comité. Par conséquent, l’examen des risques devrait être considéré comme un recours puisqu’il porte sur les mêmes griefs que ceux qui sont actuellement examinés par le Comité.

6.3Dans ses observations complémentaires datées du 11 janvier 2017, l’État partie joint une copie des conclusions de l’examen des risques avant renvoi selon lesquelles l’auteur ne risquerait pas d’être persécuté, torturé, menacé de mort ou soumis à des peines ou traitements cruels ou inusités s’il était renvoyé à Sri Lanka. L’État partie évoque en outre une lettre d’un député sri-lankais, qui n’a pas été précédemment soumise aux autorités canadiennes ni jointe à la lettre initiale de l’auteur au Comité. Dans cette lettre, le député indique que l’auteur a été interrogé et détenu non officiellement à de nombreuses reprises. Ces griefs n’ayant pas été soulevés auparavant, cette incohérence inexpliquée entame la crédibilité de l’auteur.

Observations de l’auteur

7.1Dans ses observations complémentaires datées des 11 mai 2016 et 1er mars 2017, l’auteur explique que sa demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée le 17 mars 2016. Il affirme que les recours internes ont donc été épuisés. Il rappelle qu’il a reçu une lettre de soutien de l’ONG qui l’employait comme agent de terrain et que son épouse a reçu un « avis » de la police sri‑lankaise. L’auteur affirme donc qu’il sera arrêté à l’aéroport à son retour. Son épouse a également reçu la visite d’inconnus armés qui souhaitaient le voir. Même si aucun mandat d’arrêt n’a été émis contre lui, l’auteur est un employé tamoul d’une ONG, qui est recherché par la police pour être interrogé.

7.2Une affaire jugée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, en date du 4 février 2015, confirme que les agents communautaires, tels que l’auteur, sont persécutés. L’auteur fait donc valoir que ses observations initiales et les éléments de preuve qu’il a présentés récemment confirment à l’évidence qu’il a le profil des personnes qui ont été persécutées dans le passé et qui le sont aujourd’hui. En outre, l’épouse de l’auteur est allée voir un député, lequel lui a remis une lettre dans laquelle il appuie la demande de protection présentée par l’auteur au Canada, en ajoutant que l’auteur a été « interrogé et détenu non officiellement à de nombreuses reprises » mais a été libéré grâce à l’intervention du député en question.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. L’État partie soutient, d’une part, que l’auteur n’a pas sollicité un sursis à son renvoi et, d’autre part, qu’il s’est abstenu de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi. Le Comité constate toutefois que l’auteur a déposé une demande de sursis et une demande d’examen des risques avant renvoi, qui ont été rejetées respectivement le 25 novembre 2014 et le 17 mars 2016. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire de l’article 9 (par. 1) sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions du Pacte. À cet égard, il constate que l’auteur n’a pas fourni de renseignements, d’éléments de preuve ou d’explications permettant de comprendre en quoi son renvoi à Sri Lanka constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 9 (par. 1) et lui ferait courir un risque important de subir un préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité conclut donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteur tire des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés. Toutefois, il estime qu’aux fins de la recevabilité, l’auteur a fourni des renseignements suffisants en ce qui concerne le risque de préjudice irréparable auquel il serait exposé s’il était renvoyé à Sri Lanka. Par conséquent, le Comité déclare ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité rappelle son observation générale no 31, dans laquelle il est fait référence à l’obligation des États de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte (par. 12). Le Comité a également établi que ce risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de dommage irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

9.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par l’État partie, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer si un risque existe.

9.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle son renvoi à Sri Lanka l’exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, du fait qu’il a été employé comme agent de terrain au service d’une ONG qui venait en aide aux Tamouls déplacés durant le conflit. En outre, l’auteur a recueilli des informations sur les violences sexuelles infligées à des femmes placées en détention et, en raison de ses activités, a été menacé à plusieurs reprises par des soldats sri-lankais. Sa famille a continué de recevoir des menaces et, à son retour, l’auteur sera identifié comme étant un demandeur d’asile débouté. En outre, l’auteur a fourni une convocation lui enjoignant de se présenter à la police.

9.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui avance que les allégations selon lesquelles l’auteur serait exposé à un risque ont été soigneusement examinées par plusieurs décideurs dans le cadre des procédures devant la Section de la protection des réfugiés et au titre de l’examen des risques avant renvoi, et que ceux-ci ont conclu que ces allégations n’étaient pas étayées. Plus précisément, l’État partie fait valoir que l’auteur n’est pas une personnalité en vue, qu’il ne critiquait pas activement le Gouvernement et que l’ONG qui l’employait, la fondation Sewalanka, menait ses activités avec l’approbation de celui-ci. L’État partie fait également valoir que les allégations de l’auteur ne sont pas crédibles puisqu’il n’a pas pu suffisamment expliquer pour quelles raisons il s’était abstenu de mentionner l’allégation selon laquelle il avait été suivi dans tous ses déplacements par deux policiers avant son départ (supra, par. 4.5) ou le fait qu’il avait été interrogé et détenu « non officiellement » à plusieurs reprises (supra, par. 7.2). L’État partie conteste en outre les rapports sur la situation à Sri Lanka, faisant valoir qu’ils reflètent pour l’essentiel la situation qui existait pendant le conflit, lequel a pris fin en mai 2009.

9.6Le Comité constate qu’après avoir pris connaissance des éléments de preuve présentés par l’auteur et des rapports établis par des États et des ONG sur la situation des Tamouls à Sri Lanka à l’époque où elles ont examiné la demande d’asile, les autorités de l’État partie ont débouté l’auteur, considérant que celui-ci n’avait pas démontré à quel risque réel il serait exposé en cas de renvoi à Sri Lanka, qu’il n’avait pas fourni d’éléments de preuve fiables pour corroborer son récit et que le fait d’être un agent de terrain travaillant pour une ONG enregistrée, d’être un Tamoul de la province du Nord et un demandeur d’asile débouté ne l’exposerait pas, en soi, à un risque réel et personnel. Le Comité estime que l’auteur n’a mis en évidence aucune irrégularité dans le processus de prise de décisions, ni aucun facteur de risque dont les autorités de l’État partie n’auraient pas dûment tenu compte. Le Comité considère que, bien que l’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’appréciation des faits par ces autorités et les éléments de preuve qu’elles ont produits ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachés d’erreur ou ont représenté un déni de justice. En conséquence, le Comité ne peut conclure que les informations dont il dispose montrent que l’auteur serait exposé à un risque personnel et réel de subir un traitement contraire aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte s’il devait être expulsé vers Sri Lanka.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers Sri Lanka ne constituerait pas une violation des droits qu’il tient des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte.