Nations Unies

CCPR/C/129/D/2931/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 décembre 2020

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2931/2017 * , **

Communication présentée par :

Alberto Velásquez Echeverri (représenté par un conseil, Víctor Javier Mosquera Marín)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Colombie

Date de la communication :

1er août 2016

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 janvier 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

21 juillet 2020

Objet :

Condamnation en premier et dernier ressort de l’ancien directeur du Département administratif de la Présidence de la République par la plus haute instance juridictionnelle

Question(s) de procédure :

Examen de la même question par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à une procédure régulière ; droit d’être entendu par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; droit à la présomption d’innocence ; droit de faire examiner la déclaration de culpabilité et la condamnation par une juridiction supérieure ; égalité devant la loi ; droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; principe de non-discrimination

Article(s) du Pacte :

2, 3, 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 a), b), c) et e), 5 et 7) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Alberto Velásquez Echeverri, de nationalité colombienne, né en 1949. Il se dit victime d’une violation par l’État partie des droits qui lui sont reconnus par les articles 2, 3, 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3 a), b), c) et e), 5 et 7) et 26 du Pacte. Il est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 29 octobre 1969.

1.2Le 1er août 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires en faveur de l’auteur au titre de l’article 94 de son règlement intérieur.

1.3Le 8 février 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires, consistant à permettre à l’auteur de rester assigné à résidence, en vertu de l’article 94 de son règlement intérieur.

Exposé des faits

2.1Du 7 août 2002 au 19 juillet 2004, pendant le mandat du Président Álvaro Uribe, l’auteur a occupé la fonction de directeur du Département administratif de la Présidence de la République de Colombie.

2.2La Première Commission de la Chambre du Congrès de la République de Colombie, réunie du 2 au 4 juin 2004, a adopté le projet de loi no 267, qui a rendu possible la réélection du Président de l’époque, Álvaro Uribe. Le 7 juin 2004, Germán Navas Talero, membre du Congrès, a saisi la Cour suprême de justice d’une plainte pour corruption publique visant Yidis Medina Padilla, également membre du Congrès. Le 23 février 2005, la Cour suprême a rendu une ordonnance de non-information, mettant fin à l’enquête préliminaire menée sur les faits.

2.3En mars et avril 2008, la presse a fait paraître deux articles dans lesquels Mme Medina Padilla reconnaissait avoir accepté des avantages bureaucratiques qui lui avaient été proposés par l’auteur de la communication et d’autres hauts fonctionnaires en contrepartie de son vote en faveur de la loi no 267 de 2004. Le 10 avril 2008, comme suite à la parution de ces articles, la Cour suprême de justice a décidé d’annuler l’ordonnance de non‑information du 23 février 2005 et ouvert une procédure pénale contre l’ancienne membre du Congrès Yidis Medina Padilla. Le 26 juin 2008, celle-ci a finalement été condamnée sur reconnaissance préalable de culpabilité pour corruption publique passive en vue d’un acte illicite, après qu’elle eut avoué avoir accepté une promesse de rémunération de la part de l’auteur de la communication et d’autres hauts fonctionnaires en contrepartie de son vote en faveur du projet de loi no 267, lequel prévoyait la possibilité d’une réélection du Président.

2.4Le 14 mai 2008, sur la foi des informations communiquées par Mme Medina Padilla aux médias, les services du Procureur général de la nation ont, quant à eux, ouvert d’office une enquête disciplinaire sur l’auteur de la communication, à l’issue de laquelle celui-ci a été mis hors de cause le 16 mars 2009.

2.5Le 8 mai 2008, la Cour suprême de justice a transmis au ministère public les pièces versées au dossier de Mme Medina Padilla, pour que celui-ci ouvre une enquête pénale contre l’auteur de la communication, s’il le jugeait utile. Le 13 juin 2008, le Procureur général en exercice a déclaré qu’il était empêché de se saisir de l’affaire. Le 23 juin 2008, le Vice-Procureur général a pris la direction de l’enquête pénale visant l’auteur et d’autres hauts fonctionnaires et, le 8 novembre 2010, il a ordonné qu’il soit mis fin à celle-ci.

2.6Le 19 janvier 2011, le nouveau Vice-Procureur général a à son tour déclaré qu’il était empêché de se saisir du dossier et, le 6 avril 2011, la Cour suprême de justice l’a autorisé à se récuser et a ordonné à la Procureure générale de poursuivre la procédure. Le 23 août 2011, la Procureure générale a prononcé la nullité des procédures à compter de la clôture de l’enquête, puisque le Vice-Procureur général n’était pas compétent pour ordonner celle-ci.

2.7Le 7 février 2012, en vertu de la loi no 06 du 24 novembre 2011, la Procureure générale a confié au Sixième Procureur près la Cour suprême de justice la tâche d’enquêter sur l’affaire, de poursuivre les intéressés et de plaider au procès.

2.8Le 6 mars 2012, le Sixième Procureur délégué a réexaminé le dossier et inculpé l’auteur des chefs de corruption publique active, avec circonstances aggravantes à raison du statut particulier que lui conférait sa fonction et du fait qu’il avait agi en complicité avec d’autres, et circonstances atténuantes étant donné qu’il n’avait pas de casier judiciaire. L’affaire a ensuite été renvoyée devant la Cour suprême de justice.

2.9Le 8 mars 2012, l’auteur a introduit auprès du Sixième Procureur délégué un recours en révision de l’accusation portée contre lui en matière pénale ; le 12 mars 2012, il a demandé la prorogation du délai légal pour plaider le recours en révision. Le 13 mars 2012, le Sixième Procureur délégué a rejeté la demande de prorogation du délai et, le jour même, l’auteur a introduit un recours en nullité « de l’acte de qualification juridique » pour défaut de compétence du Procureur délégué, conformément à la loi en vigueur au moment des faits. Le 2 mai 2012, le Sixième Procureur délégué a confirmé la mise en accusation. Le 28 août 2012, la Cour suprême de justice a prononcé la jonction de l’affaire avec les procédures intentées contre deux autres hauts fonctionnaires. Le 4 septembre 2012, l’auteur a demandé l’annulation de l’ordonnance de jonction. Le 19 avril 2013, la Cour suprême de justice a décidé de débouter l’auteur de son recours en révision et de son recours en annulation de l’ordonnance de jonction ; s’agissant du recours en nullité pour défaut de compétence du Procureur délégué, la Cour a rappelé que la question de la délégation du dossier avait été traitée dans l’acte d’accusation, acte qui expliquait les raisons pour lesquelles le fonctionnaire concerné avait eu à se prononcer sur les charges pesant contre l’intéressé.

2.10Le 5 juillet 2013, l’un des individus mis en cause dans la même procédure pénale que l’auteur a introduit un recours en protection constitutionnelle devant la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice et le ministère public, invoquant son droit à une procédure régulière et à ce que l’enquête et les poursuites soient menées par le juge naturel en application des lois en vigueur au moment des faits. Le 21 mai 2015, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours en protection constitutionnelle, estimant qu’il n’avait pas été démontré que l’irrégularité dénoncée avait été portée à la connaissance de l’autorité visée dans les délais fixés.

2.11Le 15 avril 2015, la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice, statuant en premier et dernier ressort, a déclaré l’auteur de la communication pénalement responsable en tant que coauteur de l’infraction de corruption publique active et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de soixante mois, assortie d’une amende de 83,5 salaires mensuels minimum, d’une déchéance de ses droits et d’une interdiction d’exercer une fonction publique pour une période de quatre-vingt-quatre mois.

2.12L’auteur affirme que les recours internes ont été épuisés puisque la déclaration de culpabilité prononcée contre lui en premier et dernier ressort par la chambre pénale de la Cour suprême de justice n’est susceptible d’aucun recours. En outre, l’auteur signale que, le 27 octobre 2015, il a introduit devant la chambre civile de la Cour suprême de justice un recours en protection constitutionnelle, estimant que sa condamnation portait atteinte à son droit à un procès équitable et était contraire au principe in dubio pro reo, selon lequel le doute profite à l’accusé. Le 11 novembre 2015, la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice l’a débouté de son recours.

2.13L’auteur indique également que, dans un arrêt du 29 octobre 2014, la Cour constitutionnelle a ordonné au Congrès de réglementer de façon exhaustive, dans un délai d’un an à compter de la notification de la décision, le droit de contester toutes les condamnations, faute de quoi toute condamnation serait considérée comme susceptible de recours devant une instance supérieure compétente. Le 25 avril 2016, au terme du délai fixé, le Congrès ne s’était pas conformé à l’injonction de la Cour constitutionnelle, ce qui avait entraîné la conséquence juridique mentionnée dans l’arrêt. Le 28 avril 2016, la Cour suprême de justice, dans le communiqué de presse no 08/16, a souligné que la conséquence prévue dans l’arrêt de la Cour constitutionnelle était « irréalisable » ; la Cour étant la plus haute juridiction de droit commun, statuant en dernier ressort, elle n’était pas en mesure de créer un organe hiérarchiquement supérieur chargé de réexaminer les décisions rendues par ses chambres spécialisées. Le même jour, la Cour constitutionnelle a rendu une nouvelle décision d’uniformisation (SU215/16) dont il ressortait que le droit de contester une condamnation prononcée en premier et dernier ressort ne pouvait être exercé que pour les affaires jugées à compter du 24 avril 2016.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur se dit victime d’une violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 2, 3, 9, 14 et 26 du Pacte.

3.2L’auteur affirme que l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par les articles 2 et 3 du Pacte étant donné que son statut de haut fonctionnaire n’a pas garanti, mais au contraire entravé l’exercice effectif de ses droits garantis par le Pacte, en particulier par le paragraphe 5 de l’article 14.

3.3En ce qui concerne la violation de l’article 9, l’auteur affirme que sa liberté a été restreinte du fait d’une condamnation pénale qui ne satisfaisait pas aux conditions minimales énoncées à l’article 14 du Pacte. Il ajoute que cette violation a été d’autant plus flagrante qu’il n’a pas pu bénéficier de l’assignation à résidence alors qu’il remplissait les conditions légales applicables à cette modalité.

3.4L’auteur affirme également que, dans le cadre de la procédure pénale intentée contre lui, il s’est trouvé dans une situation d’inégalité judiciaire du fait de l’application d’une loi postérieure à la commission des faits, laquelle a permis qu’un fonctionnaire délégué, incompétent en l’espèce, soit chargé de l’instruction et des poursuites dans l’affaire le mettant en cause. Il dit n’avoir pas bénéficié de l’égalité de moyens puisqu’il devait contester les décisions du Procureur auprès du Procureur lui-même. Il affirme qu’il a été porté atteinte à son droit d’être jugé par un tribunal compétent, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, puisqu’au regard du droit interne, seul le Procureur général avait compétence pour instruire l’affaire et le poursuivre pénalement. Or, celui-ci a transféré sa compétence à un subalterne. L’auteur ajoute qu’on ne lui a pas permis d’être jugé individuellement, ce qui a porté atteinte à son droit à un procès équitable, en violation du paragraphe 1 de l’article 14.

3.5L’auteur estime que l’État partie a violé son droit d’être jugé par un tribunal indépendant et impartial puisque, d’une part, les juges qui ont eu à connaître de l’affaire ont influencé le choix du Procureur chargé d’enquêter sur lui au stade de l’instruction pénale, et que, d’autre part, les juges, qui avaient des idées préconçues sur l’affaire, ont statué en se laissant influencer par des préjugés personnels. L’auteur affirme que l’indépendance de la justice a été compromise en ce que, dans la décision de condamnation, les juges ont mentionné les implications politiques de leurs décisions. De même, il fait savoir que le juge rapporteur avait été l’assesseur d’un des juges qui avaient condamné Mme Medina Padilla ; enfin, le Sixième Procureur délégué est devenu juge auxiliaire auprès d’un des juges saisis de l’affaire. L’auteur avance que les magistrats qui se sont prononcés sur l’affaire avaient déjà exprimé une opinion sur les faits.

3.6L’auteur estime que son droit à la présomption d’innocence, tel qu’il est énoncé au paragraphe 2 de l’article 14, a été violé puisque tout au long de la procédure judiciaire il a été présumé coupable, la condamnation de Mme Medina Padilla impliquant également sa condamnation informelle ; il en veut pour preuve que la plupart des éléments à charge étaient issus d’autres procédures judiciaires.

3.7L’auteur affirme que les garanties énoncées au paragraphe 3 de l’article 14 n’ont pas été respectées, pour les raisons suivantes : a) lui-même et les autres hauts fonctionnaires mis en cause par Mme Medina Padilla ont été privés de la possibilité d’être entendus dans le cadre du procès et de discuter les arguments à charge, et n’ont pas davantage pu discuter les preuves issues d’autres procédures ; b) la défense n’a pas disposé du temps nécessaire pour étudier le dossier ; c) l’auteur a dû endurer une enquête pénale et un procès qui ont duré près de sept ans ; le délai écoulé entre la mise en accusation formelle et l’ouverture du procès était donc excessif.

3.8Enfin, l’auteur affirme que l’État partie a violé le droit qui lui est reconnu par le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité, puisque, selon la législation colombienne, c’est la Cour suprême de justice qui est compétente pour connaître de l’affaire et statuer sur celle-ci en premier et en dernier ressort, et sa décision n’est susceptible d’aucun recours.

3.9En ce qui concerne l’article 26 du Pacte, l’auteur affirme que l’État partie a exercé une discrimination à son égard tout au long de la procédure, comme le montre en particulier le fait qu’il n’a pas pu exercer son droit de faire appel devant une juridiction supérieure.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans ses observations du 20 février 2017, l’État partie affirme que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, la question ayant déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

4.2L’État partie indique que le Conseil des droits de l’homme, par les notes verbales G/SO 215/1 COL 222 du 22 septembre 2015 et G/SO 215/1 COL 222 du 22 mai 2016, lui a transmis deux communications qui lui avaient été soumises par le Centre démocratique, parti politique colombien, et dans lesquelles celui-ci accusait l’État de persécution contre le parti et ses membres et présentait des arguments qui concernaient expressément l’auteur de la présente communication. Dans la note verbale G/SO 215/COL 222 du 22 août 2016, le Conseil des droits de l’homme a déclaré recevables les arguments avancés par l’État partie sur les éléments présentés par le Centre démocratique et ses membres, estimant que ceux-ci semblaient motivés par des considérations politiques.

4.3L’État partie affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Le 15 avril 2015, les neuf juges de la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice ont déclaré l’intéressé pénalement responsable en tant que coauteur des faits de corruption publique active en cause. L’auteur a certes été condamné en premier et dernier ressort, du fait de son statut de fonctionnaire jouissant de l’immunité politique, mais il n’a pas épuisé toutes les voies de recours qui lui étaient ouvertes puisque, s’il est vrai que la décision rendue en l’espèce ne peut être contestée en deuxième instance, il aurait la possibilité de former un pourvoi en révision conformément aux dispositions du Code de procédure pénale.

4.4L’État partie fait en outre valoir que la Cour constitutionnelle elle-même a souligné que « dans la tradition du droit pénal, le pourvoi en révision a été conçu comme un instrument de protection des droits fondamentaux du condamné, compte tenu de la nature des droits auxquels il pouvait être porté atteinte − en particulier le droit à la liberté de la personne ».

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 11 décembre 2017, l’auteur affirme que sa communication satisfaisait aux critères de recevabilité énoncés dans le Protocole facultatif, et reprend les griefs formulés dans sa lettre initiale.

5.2Pour ce qui est des objections de l’État partie à la recevabilité de la communication, l’auteur affirme que le Conseil des droits de l’homme n’est pas compétent pour connaître des contentieux, que ses décisions ne sont pas contraignantes, et que l’on ne saurait donc considérer qu’il s’agit là d’un recours international épuisé. Ni le Conseil des droits de l’homme ni les procédures spéciales ne sont considérés comme des organes internationaux quasi judiciaires ; on ne saurait donc affirmer que la communication est irrecevable au motif que ces entités ont été saisies.

5.3L’auteur répète que la procédure pénale intentée contre lui a constitué une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Les recours mentionnés par l’État partie ne permettraient pas de faire réexaminer au fond la déclaration de culpabilité et la condamnation. L’auteur soutient que l’État partie se fonde sur une règle de procédure pénale qui n’a pas été appliquée dans le cadre de la procédure intentée contre lui. Le recours en révision est un recours extraordinaire : il permet donc de tenir un débat contradictoire non pas pendant le procès, mais à l’issue de celui-ci, lorsqu’un nouvel élément de preuve peut être produit ou que la jurisprudence évolue, ou bien encore lorsqu’un élément nouveau permet la réouverture du débat ; il ne permet pas, en revanche, de soumettre au contradictoire les éléments qui ont déjà fait l’objet d’un jugement définitif. La juridiction en question a elle-même déclaré, au surplus, qu’elle avait statué en premier et dernier ressort. On ne saurait donc considérer qu’il s’agit là d’un moyen adéquat.

5.4L’auteur souligne que, dans son arrêt, la Cour suprême de justice elle-même précise que sa décision n’est susceptible d’aucun recours. Il ne dispose donc d’aucun recours adéquat et utile qui lui permettrait de faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui par la Cour en premier et dernier ressort. L’auteur indique que le recours auquel l’État fait référence n’est pas adéquat et n’aurait aucune chance d’aboutir. Il répète que les lois qui prévoient que les hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité sont jugés en matière pénale par la Cour suprême de justice en premier et dernier ressort, et ne peuvent pas faire réexaminer la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre eux par une juridiction supérieure, sont contraires à l’article 26 du Pacte, puisqu’elles privent certains fonctionnaires du droit reconnu par cette disposition.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 11 juillet 2017, l’État partie a une nouvelle fois dit estimer que la communication ne satisfaisait pas aux conditions de recevabilité prévues par le Protocole facultatif. Il met en avant également le défaut de fondement des griefs soulevés par l’auteur.

6.2L’État partie répète que la procédure pénale intentée contre l’auteur devant la Cour suprême de justice n’a pas constitué une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. L’auteur a été condamné par la plus haute juridiction et la loi l’autorise à contester la décision rendue en formant un pourvoi en révision devant cette même juridiction, qui est l’organe juridictionnel suprême de l’État. L’État partie affirme en outre qu’il ressortait de la jurisprudence constitutionnelle en vigueur au moment de la décision que le fait de traduire les hauts fonctionnaires devant la Cour suprême de justice représentait la meilleure garantie d’une procédure régulière et que la suppression du second degré de juridiction était légitime dans la mesure où, en contrepartie, les intéressés étaient jugés par la plus haute juridiction pénale, statuant en premier et dernier ressort et siégeant en formation collégiale. La Cour constitutionnelle avait également précisé, dans le cadre d’un recours en protection des droits fondamentaux, que les règles constitutionnelles relatives à la possibilité de contester toute décision de justice ne s’appliquaient pas au sens strict lorsque la chambre de cassation pénale de la Cour suprême de justice rendait une décision de cette nature. De même, la Cour constitutionnelle a estimé que, lorsqu’une décision était rendue contre un haut dignitaire, les règles générales prévues dans le bloc constitutionnel devaient être appliquées compte tenu de la position occupée par l’intéressé au sein de la structure institutionnelle, et des particularités du pouvoir et du statut hiérarchique conférés à celui-ci ; la Cour a ainsi déclaré que les règles internationales applicables devaient être suffisamment générales pour tenir compte du mode de jugement particulier pouvant émaner du type d’État concerné, du modèle de démocratie ou de la forme de République propre à l’État partie en question.

6.3S’agissant des allégations relatives au défaut d’impartialité, l’État partie fait observer que le fait que l’auteur ne souscrive pas à l’appréciation qui a été faite des preuves et discute les preuves à charge ne constitue pas un argument valable et que les erreurs qui ont pu être relevées au cours de l’enquête ou du procès auraient dû être soulevées par les avocats de l’auteur en temps utile, de même que les motifs d’empêchement ou de récusation des membres du corps judiciaire.

6.4Ni la procédure pénale intentée contre l’auteur ni la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre celui-ci n’ont constitué une violation du droit à l’égalité devant les tribunaux et la loi, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 et au paragraphe 26 du Pacte. Enfin, l’État partie fait savoir que les droits consacrés par les articles 1, 2, 3 et 9 du Pacte ont été appliqués et respectés pendant toute la durée de la procédure pénale.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 11 décembre 2017, l’auteur a rappelé les griefs précédemment soulevés et dit avoir fait l’objet d’une enquête menée par un procureur incompétent, puisque la loi appliquée en l’espèce était postérieure aux faits en cause.

7.2L’auteur fait savoir que, le 19 janvier 2016, après le rejet de son recours en protection des droits fondamentaux, il a introduit un recours devant la Cour constitutionnelle. Le 13 septembre 2016, la Cour constitutionnelle a rendu l’arrêt SU 489/16, par lequel elle a confirmé la décision rendue par la chambre de cassation civile de la Cour suprême de justice sur le recours en protection des droits fondamentaux. Le 14 octobre 2016, la décision a été officiellement notifiée à l’auteur. Le 10 novembre 2016 l’auteur a introduit un recours en nullité devant la Cour constitutionnelle, qui l’a débouté le 31 janvier 2017.

7.3L’auteur ajoute qu’il a été porté atteinte au principe non bis in idem énoncé au paragraphe 7 de l’article 14 eu égard à la sanction disciplinaire dont il a fait l’objet.

7.4L’auteur affirme, une fois de plus, qu’on ne lui a pas permis de bénéficier de l’assignation à résidence à laquelle il avait droit en sa qualité d’ancien haut fonctionnaire, et ce, alors même que toutes les conditions prévues étaient remplies.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le Conseil des droits de l’homme a souscrit à ses observations concernant les arguments avancés par le Centre démocratique et ses membres, estimant que ceux-ci semblaient motivés par des considérations politiques. Il prend également note des allégations de l’auteur qui affirme que le Conseil des droits de l’homme n’est pas compétent pour connaître des contentieux, que ses décisions ne sont pas contraignantes et que l’on ne saurait donc considérer qu’il s’agit là d’un recours international épuisé. Le Comité observe que le Conseil des droits de l’homme n’est pas une instance juridictionnelle ni un organe de règlement des différends au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif et qu’en tout état de cause, la procédure devant le Conseil était close. Il conclut donc qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 de déclarer la communication recevable.

8.3Le Comité note que l’État partie affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, puisqu’il avait la possibilité d’introduire un recours en révision qui lui aurait permis de contester la condamnation prononcée contre lui par la Cour suprême de justice le 15 avril 2015. Il prend également note des allégations de l’auteur selon lesquelles le recours en question n’est pas adapté ni n’aurait de chance d’aboutir, et la Cour suprême de justice a elle-même déclaré dans sa décision de condamnation que celle-ci n’était susceptible d’aucun recours. Il observe que l’État partie n’a pas expliqué en quoi les recours mentionnés dans ses observations seraient utiles dans le cas de l’auteur en ce qu’ils lui permettraient d’obtenir le réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui. En conséquence, le Comité estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

8.4Le Comité note que l’auteur dénonce une violation des articles 2, 3 et 26 du Pacte sans donner aucune justification ni aucune argumentation appropriée indiquant en quoi d’autres personnes auraient été traitées différemment dans des circonstances analogues. Il déclare donc ces griefs irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, pour défaut de fondement.

8.5Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 9 du Pacte, selon lequel sa liberté a été restreinte puisqu’on l’a obligé à supporter une condamnation arbitraire due à une mauvaise qualification des faits et au prononcé d’une peine abusive, et parce qu’on ne lui a pas reconnu la prérogative qui était la sienne de bénéficier de manière effective d’une assignation à résidence du fait de son statut d’ancien haut fonctionnaire. Le Comité note toutefois que ce grief a été présenté de manière générale, sans être suffisamment fondé. À cet égard, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles : l’État partie a violé son droit à l’égalité devant les tribunaux et la loi et à un procès équitable, énoncé au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, étant donné que l’auteur n’a pas bénéficié de l’égalité de moyens ; les autorités ayant appliqué une loi postérieure aux faits en cause, le Procureur qui l’a poursuivi n’était pas compétent pour se saisir de l’affaire, ce qui a porté atteinte à son droit au juge naturel ; les magistrats qui l’ont jugé avaient un avis sur l’affaire, et le Procureur qui l’a poursuivi a fini par endosser le rôle de juge. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels : l’auteur s’est vu appliquer la procédure pénale prévue pour les citoyens qui jouissent d’une immunité en raison des fonctions qu’ils occupent en leur qualité de hauts fonctionnaires ; on ne saurait invoquer un quelconque fondement juridique pour remettre en question l’autorité ou l’impartialité de la Cour suprême de justice, et l’auteur a été poursuivi par le Procureur compétent. Le Comité observe que l’auteur n’a pas expliqué en quoi il avait été porté atteinte à son droit à l’égalité devant les tribunaux, ni en quoi la désignation du Procureur chargé de l’enquête et des poursuites avait entraîné une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial, compte tenu en particulier du fait que l’auteur a eu la possibilité d’exposer ces faits devant les tribunaux. Le Comité estime par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles : son droit à la présomption d’innocence et son droit au contradictoire ont été violés ; il n’a pas disposé du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et les autorités l’ont privé d’accès aux preuves ; la Cour suprême de justice a jugé irrecevables certaines preuves essentielles à sa défense ; il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable. Le Comité prend également note des observations de l’État partie, qui affirme que l’auteur disposait de tous les moyens nécessaires pour préparer sa défense et produire des preuves dans le cadre de la procédure pénale, que toutes les preuves ont été dûment appréciées par les autorités judiciaires et que l’auteur a eu la possibilité de les discuter au cours de la procédure. Concernant les allégations formulées par l’auteur au sujet de l’examen des preuves par la Cour suprême de justice, le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort que c’est aux organes de l’État partie qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, ou la manière dont la législation interne a été appliquée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation, ou cette application, a été clairement arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. En l’espèce, le Comité observe que l’auteur n’a pas précisé quelles preuves essentielles à sa défense n’ont pas été jugées recevables, ni à quelles preuves il n’a pas pu avoir accès. Ces renseignements ne figurent pas non plus dans l’arrêt de la Cour suprême de justice, dont est saisi le Comité. Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé le moyen tiré de la violation des droits qu’il tient des paragraphes 2 et 3 a), b), c) et e) de l’article 14 du Pacte, et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Le Comité note que l’auteur affirme avoir été jugé deux fois pour les mêmes faits, en violation du paragraphe 7 de l’article 14 du Pacte. Il constate toutefois que les informations dont il dispose ne permettent pas de conclure que la mise hors de cause de l’auteur par les services du Procureur général de la nation dans le cadre d’une procédure disciplinaire équivalait à une décision de nature pénale et rappelle que la garantie prévue par la disposition précitée du Pacte s’applique aux infractions pénales uniquement et ne s’applique pas aux mesures disciplinaires qui ne sont pas une sanction pour une infraction pénale au sens de l’article 14 du Pacte. Le Comité estime donc que ce grief n’a pas non plus été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité estime toutefois que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte selon lesquels il a été jugé en premier et dernier ressort sans possibilité de révision de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui. Par conséquent, il déclare la plainte recevable au regard du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité note que, selon l’auteur, la procédure pénale intentée contre lui a constitué une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il n’existait pas de mécanisme effectif lui permettant de faire appel de sa condamnation et de demander le réexamen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées contre lui par la chambre pénale de la Cour suprême de justice le 15 avril 2015.

9.3Le Comité prend également note des arguments de l’État partie selon lesquels il ressortait de la jurisprudence constitutionnelle en vigueur au moment de la décision que le fait de traduire les hauts fonctionnaires devant la Cour suprême de justice représentait la meilleure garantie d’une procédure régulière, et que la suppression du second degré de juridiction était légitime dans la mesure où les intéressés étaient jugés par la plus haute juridiction, siégeant en formation collégiale, et présentait des avantages, comme celui de permettre une économie de procédure ou d’éviter d’éventuelles erreurs qu’auraient pu commettre des juges ou des juridictions inférieurs. Le Comité note en outre que, selon l’État partie, le fait de traduire ces personnes, en leur qualité de hauts fonctionnaires jouissant de l’immunité politique, devant la plus haute juridiction pénale, était en soi une manière de garantir pleinement le respect des formes régulières.

9.4Le Comité rappelle que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte consacre le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de sa culpabilité et sa condamnation, conformément à la loi. Il rappelle également que l’expression « conformément à la loi » ne signifie pas qu’il faille laisser l’existence même du droit de révision par une juridiction supérieure à la discrétion des États parties. Si la législation d’un État partie peut prévoir certains cas où une personne doit être jugée, du fait de sa charge, par une juridiction plus élevée que celle qui aurait été naturellement saisie, cette circonstance ne saurait à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui. En l’espèce, le Comité observe que l’auteur ne disposait pas d’un recours utile lui permettant de demander le réexamen par une instance supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation qui avaient été prononcées contre lui. Le Comité conclut donc que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu d’offrir une indemnisation adéquate à l’auteur et de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. Sur ce point, le Comité note qu’avec l’adoption de la loi no 01 de 2018, le 18 janvier 2018, la Constitution a été modifiée de façon à garantir aux hauts fonctionnaires le droit au double degré de juridiction pénale, mesure que le Comité considère comme une garantie de non-répétition.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.