Nations Unies

CCPR/C/129/D/2482/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 septembre 2020

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2482/2014 * , **

Communication présentée par :

Dmitry Koreshkov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

23 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 92 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 26 novembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

23 juillet 2020

Objet :

Sanction pour la tenue d’un piquet non autorisé ; liberté d’expression

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie ; recevabilité

Question(s) de fond :

Liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

19 et 2 (par. 2 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

1 et 3

1.L’auteur de la communication est DmitryKoreshkov, de nationalité bélarussienne, né en 1976. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 11 novembre 2013, l’auteur a été arrêté par la police pour avoir accroché une banderole devant le bâtiment du Comité exécutif régional de Gomel en signe de protestation contre la vente de boissons alcoolisées à proximité des écoles. L’auteur n’avait pas au préalable demandé aux autorités municipales l’autorisation de tenir un piquet parce qu’il l’avait déjà fait en vain en d’autres occasions. Le même jour, la police a dressé un procès-verbal d’infraction administrative pour tenue d’un piquet non autorisé, sur le fondement de l’article 23.34 (1) du Code des infractions administratives (violation de la procédure régissant l’organisation et la tenue de manifestations de masse), et a transmis le dossier au tribunal du district Tsentralnyde Gomel. Le 9 janvier 2014, ce tribunal a déclaré l’auteur coupable d’infraction à l’article 23.34 (1) du Code des infractions administratives et l’a condamné à une amende de 1 300 000 roubles (environ 100 dollars É.-U.).

2.2Le 20 janvier 2014, l’auteur a formé un recours auprès du tribunal régional de Gomel. Le 31 janvier 2014, ce tribunal a rejeté le recours. Le 11 février 2014, l’auteur a présenté une demande au titre de la procédure de réexamen auprès du Président du tribunal régional de Gomel, qui l’a rejetée le 19 mars 2014.

2.3Le 11 mars 2014, l’auteur a été arrêté par la police pour avoir brandi une banderole devant l’ambassade de la Fédération de Russie à Minsk dans le but de protester contre la guerre en Ukraine. Le même jour, le tribunal du district Tsentralny de Minsk a déclaré l’auteur coupable d’avoir enfreint l’article 23.34 (1) du Code des infractions administratives en tenant un piquet sans avoir au préalable demandé une autorisation, comme l’exigeait la loi sur les manifestations publiques. L’infraction ayant été commise en récidive moins d’un an après la première infraction, le tribunal a condamné l’auteur à quinze jours de détention administrative.

2.4Le 27 mars 2014, l’auteur a formé un recours auprès du tribunal municipal de Minsk. Le 1er avril 2014, ce tribunal a rejeté le recours de l’auteur. Le 7 avril 2014, l’auteur a présenté une demande de réexamen auprès du Président du tribunal municipal de Minsk. Sa demande a été rejetée le 8 mai 2014.

2.5L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les sanctions qui lui ont été infligées constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2, et que le fait de qualifier ses actes, qui relevaient de l’exercice de la liberté d’expression, d’infraction à la loi sur les manifestations publiques, a entraîné une restriction injustifiée de ses droits. Il soutient que les restrictions imposées n’étaient nécessaires ni au respect des droits ou de la réputation d’autrui ni à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. D’après lui, les tribunaux n’ont pas examiné en quoi ses actes avaient mis en péril la sécurité nationale, l’ordre public ou la santé publique, ou les droits et libertés d’autrui.

3.2L’auteur demande au Comité de constater une violation de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec les paragraphes 2 et 3 de l’article 2 et de recommander à l’État partie de mettre la loi sur les manifestations publiques de 1997 en conformité avec les exigences de l’article 19 du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Les 26 novembre 2014, 26 février 2016 et 26 janvier 2017, le Comité a prié l’État partie de lui communiquer des renseignements ainsi que ses observations sur la recevabilité et le fond de la présente communication. Il regrette que l’État partie n’ait fourni d’informations ni sur la recevabilité ni sur le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle qu’au titre du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, les États parties sont tenus d’examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et de communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le poids voulu aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles soient étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. Faute d’observation contraire de l’État partie, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

5.4Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle les droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 2 de l’article 2, ont été violés. Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte ne peuvent être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Toutefois, notant que l’auteur a déjà allégué une violation des droits qu’il tient de l’article 19, fondée sur l’interprétation et l’application des lois en vigueur dans l’État partie, le Comité considère que l’examen de la question de savoir si l’État partie a également violé les obligations générales que lui imposent le paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 19, ne serait pas différent de l’examen de la violation des droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte. Il considère donc que les griefs de l’auteur sur ce point sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité considère également que l’auteur n’a pas étayé les griefs qu’il tire de l’article 19 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, et par conséquent, déclare irrecevable cette partie de la communication.

5.6Le Comité considère que les griefs que l’auteur tire de l’article 19 du Pacte sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité prend note des griefs de l’auteur, selon lequel sa liberté d’expression a été restreinte arbitrairement car il a été sanctionné pour avoir tenu un piquet le 11 novembre 2013 et le 11 mars 2014. Le Comité considère que la question de droit dont il est saisi consiste à déterminer si les sanctions imposées à l’auteur constituent une violation de l’article 19 du Pacte. Les informations dont il dispose montrent que les actes de l’auteur ont été qualifiés de manifestation publique par les tribunaux et que l’auteur a été condamné à une amende pour avoir omis de demander aux autorités municipales l’autorisation préalable de tenir un piquet. De l’avis du Comité, les mesures prises par les autorités, quelle que soit leur qualification juridique, constituent une limitation des droits de l’auteur, en particulier du droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, garanti par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

6.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) dans laquelle il a dit que la liberté d’opinion et la liberté d’expression étaient des conditions indispensables au développement complet de l’individu, étaient essentielles pour toute société, et constituaient le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte autorise certaines restrictions, mais seulement celles qui sont fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Les éventuelles restrictions à l’exercice des libertés d’opinion et d’expression doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire (par. 22).

6.4Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées. Il fait observer qu’aucune pièce du dossier ne donne à penser que les autorités nationales ont examiné le cas de l’auteur à la lumière des critères de nécessité et de proportionnalité prévus à l’article 19 du Pacte. De la même façon, l’État partie n’a pas expliqué en quoi les actes de l’auteur avaient mis en péril les droits ou la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public, ou la santé ou la moralité publiques, ni en quoi les restrictions qu’il lui avait imposées étaient nécessaires. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les sanctions infligées à l’auteur, bien que fondées sur le droit interne, ne sauraient être considérées comme justifiées aux fins du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Il conclut donc qu’en l’espèce, l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par le paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

7.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte.

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer un recours utile à l’auteur. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures appropriées pour accorder à l’auteur une indemnisation adéquate, y compris le remboursement de la valeur de l’amende infligée ainsi que de tous les frais de procédure que l’auteur a pu engager. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues se reproduisent. À cet égard, le Comité note que l’État partie devrait réviser sa législation relative aux manifestations publiques de manière à la rendre conforme à l’obligation qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, afin de garantir que les droits consacrés par l’article 19 puissent être pleinement exercés dans l’État partie.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.