Nations Unies

CCPR/C/124/D/2413/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 novembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2413/2014 * , **

Communication présentée par :

Prashanta Kumar Pandey (représenté par PhillipGrant de l’organisation TRIAL : Track Impunity Always)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Népal

Date de la commu nication :

20 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 4 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

30 octobre 2018

Objet :

Arrestation et détention arbitraires ; aveux arrachés par la torture ; défaut d’enquête concernant des allégations de torture

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains; droit à la liberté et àla sécurité de la personne; respect de la dignité inhérente à la personne humaine ; droit à un procès équitable; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 7, 9 (par. 1 à 3), 10 (par. 1) et 14 (par. 2 et 3 b) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Prashanta Kumar Pandey, de nationalité népalaise, né le 26 septembre 1985. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, des paragraphes 1 à 3 de l’article 9, ainsi que du paragraphe 2 et des alinéas b) et g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte. Le Pacte et son Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour le Népal le 14 août 1991. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur travaillait en tant qu’assistant médical et tenait un commerce de fournitures médicales à Jhulinipur, dans le district de Rupandehi (Népal). Le 7 avril 2011, alors qu’il s’apprêtait à franchir la frontière indo-népalaise, il a été arrêté par trois agents du poste de police du district de Rupandehi. Les policiers, qui étaient habillés en civil, l’ont entouré et lui ont demandé de les suivre. Devant le refus de l’auteur, un des policiers lui a mis une arme sur la tête et lui a attaché les mains derrière le dos. Les policiers n’ont pas montré de mandat à l’auteur et ne l’ont pas informé des motifs de son arrestation ni de ses droits. Ils l’ont emmené au poste de police de Barmeli Tole, où il est resté pendant deux heures, au cours desquelles les gardiens l’ont giflé à trois reprises.

2.2L’auteur a ensuite été transféré pour interrogatoire du poste de Barmeli Tole au bureau du chef de la police népalaise, Prakash Aryal. On l’a interrogé sur sa participation à la planification et à l’exécution de l’attentat à la camionnette piégée qui s’était produit le 27 mars 2011 et avait fait deux morts et des dizaines de blessés. L’auteur a répondu qu’il ne savait rien de l’attentat. À ce moment-là,les policiers ont commencé à le frapper, à lui donner des gifles, des coups de poing et des coups de pied. Ils ont ensuite posé une noix de bétel sur sa paume et placé le pied d’une table sur la noix : trois des quatre policiers sont alors montés sur la table, dont le pied écrasaitla paume de l’auteur. Ce traitement, qui était extrêmement douloureux et traumatisant pour l’auteur, lui a été infligé pendant plus d’une heure. Les policiers maintenaient la pression sur sa main pendant cinq à sept minutes, puis lui posaient à nouveau des questions, et recommençaient l’opération quelques minutes plus tard. Pendant l’interrogatoire, les policiers ont essayé d’obtenir des aveux sur sa participation à l’attentat, ainsi qu’une indication de la complicité de trois autres personnes. L’auteur a refusé de confirmer quoi que ce soit.

2.3Sans nouvelles de son fils, la mère de l’auteur a essayé en vain de le contacter sur son portable et a demandé à des membres de la famille et des amis s’ils savaient quelque chose. Le 8avril 2011, elle a signalé la disparition au poste de police du district de Rupandehi. Lorsqu’elle a fait ce signalement, la police a nié que son fils ait été en garde à vue. Le même jour, la mère de l’auteur a déposé une plainte auprès du bureau local de la Commission nationale des droits de l’homme à Butwal, afin que celle-ci s’enquière du sort de son fils et essaye d’obtenir sa libération. La Commission n’a pris aucune mesure officielle pour découvrir où son fils se trouvait. Ce n’est qu’en février 2014, après que l’auteur eut demandé des informations sur les mesures prises pour donner suite à la plainte, que la Commission lui a répondu par écrit.

2.4Le 8avril 2011, l’auteur a de nouveau été conduit au bureau du chef de la police népalaise, Prakash Aryal, où on l’a interrogé et frappé à coups de bâton pour qu’il passe aux aveux. L’interrogatoire a duré des heures et on l’a interrogé à plusieurs reprises sur son implication présumée dans l’attentat à la bombe du 27mars 2011. À un moment, on lui a bandé les yeux et on lui a couvert la bouche et les oreilles avec des bandages très serrés. On l’a emmené dans une salle de garde à vue, où on l’a forcé à rester debout pendant cinquante heures, jusqu’au 11avril 2011. Chaque fois qu’il tentait de s’asseoir, on le frappait. On ne lui a rien donné à manger ni à boire.

2.5Le 11avril 2011, l’auteur a été conduit une nouvelle fois au bureau du chef de la police. On lui a enlevé les bandages entourant sa bouche et ses oreilles, mais on a laissé le bandeau qu’il avait sur les yeux. L’auteur a de nouveau été interrogé et battu, notamment à coups de bâton sur la tête. Un policier a marché sur un de ses orteils, arrachant l’ongle. Lorsque l’auteur a demandé à aller aux toilettes, les policiers l’ont forcé à uriner sur une chaufferette électrique. Sous l’effet du choc, il s’est évanoui et ses parties génitales ont saigné. Lorsqu’il a repris conscience, le bandeau avait été retiré de ses yeux. L’auteur n’a reçu ni assistance ni traitement médicaux. On l’a de nouveau sommé d’avouer son implication dans l’attentat à la bombe, le menaçant de mort s’il refusait de le faire. Épuisé, terrorisé et meurtri, il a reconnu avoir participé à l’attentat, avec les trois personnes mentionnées par la police. Le lendemain, on l’a emmené à l’hôpital pour un examen médical, mais il n’a reçu aucun soin. Par la suite, il a dû signer des aveux rédigés par la police, sans même avoir pu les lire. On l’a aussi forcé à faire des aveux enregistrés en vidéo. Il a été détenu au secret du 7 au 13 avril 2011. Pendant cette période, il n’a pas eu accès à un avocat et n’a pas pu communiquer avec sa famille. Il n’a pas reçu de nourriture pendant trois jours et n’a rien eu à boire pendant deux jours.

2.6Le 13 avril 2011, l’auteur a été placé sous mandat de dépôt par le tribunal de district de Rupandehi et transféré au bureau de police de Butwal. Il a alors été exhibé en public et devant des journalistes et les autorités ont divulgué des informations sur son lieu de résidence. Des articles le présentant comme l’un des principaux auteurs de l’attentat à la bombe ont été publiés dans les journaux, alors que cette allégation n’a jamais été corroborée par une enquête approfondie ni les faitsétablis par un jugement ayant force de chose jugée. L’auteur est resté vingt-huit jours à Butwal, où il a été battu et injurié par les policiers à plusieurs occasions. Il étaitincarcéré dans une cellule fortement surpeuplée où s’entassaient 50 détenus alors qu’elle était prévue pour n’en recevoir que 10. La nuit, les détenus devaient se relayer pour dormir sur les bat-flanc et se partager quelques couvertures crasseuses. La cellule n’était pas ventilée, elle étaitinfestée de moustiques et d’autres insectes et les conditions d’hygiène étaient très médiocres.

2.7Le 8mai 2011, l’auteur a été déféré devant un juge du tribunal de district de Rupandehi, à qui il a expressément déclaré que ses aveux lui avaient été arrachés par la torture et qu’il n’avait rien à voir avec l’attentat à la bombe du 27mars 2011. Le 11mai 2011, le tribunal de district a ordonné son maintien en détention provisoire. L’auteur a alors été détenu à la prison de district, Kalipapath-12, à Bhairahawa, pendant un an jusqu’au début de son procès.

2.8Le 13juin 2012, le tribunal de district de Rupandehi a reconnu l’auteur coupable d’avoir préparé l’attentat à la bombe et l’a condamné à un an de prison. Il n’a pas trouvé le moindreélément prouvant que l’auteur avait bel et bien posé la bombe. Les aveux arrachés à l’auteur par la torture ont été admis comme preuve pendant la procédure et les autorités n’ont mené aucune enquête sur ses allégations de torture. Cependant, étant donné qu’il avait déjà passé plus d’un an en détention, l’auteur a été remis en liberté tout de suite après le prononcé du jugement. À sa libération, il a été hospitalisé en raison du piètre état de santé dans lequel il était. La torture qu’il avaitsubie lui avait causé un grave préjudice mental, ainsi que des lésions permanentes. Il est devenu impuissant et stérile à la suite du choc reçu lorsqu’il a été contraint d’uriner sur une chaufferette électrique. Il lui arrive de perdre conscience à cause de la torture qu’il a endurée, il a des difficultés à dormir, souffre de crises de panique et de dépression et vit dans un état constant de peur. Son état de santé nécessitera un long traitement médical.

2.9Le 16 octobre 2012, l’Alliance Teraï des défenseurs des droits de l’homme, une organisation non gouvernementale (ONG), a adressé au Rapporteur spécial de l’Organisation des Nations Unies (ONU) sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants un appel urgent au nom de l’auteur. Le 12décembre 2012, la mère de l’auteur a déposé une plainte en son nom devant le tribunal de district de Rupandehi, dans laquelle elle déclarait que des policiers avaient torturé son fils. Le même jour, le greffier du tribunal a refusé d’enregistrer la plainte au motif qu’elle n’avait pas été déposée dans le délai de trente-cinq jours prévu par la loi de 1996 sur l’indemnisation en cas de torture. L’auteur fait valoir qu’il lui aurait été matériellement impossible de déposer une plainte dans les trente-cinq jours suivant la date à laquelle il avait été soumis à la torture puisqu’il était alors détenu, n’était pas autorisé à porter plainte et n’avait pasnon plus de certificat médical (autre condition exigée par le droit interne). L’auteur explique en outre que, s’il n’a pas présenté cette plainte immédiatement après sa libération, c’est parce qu’il était hospitalisé et traumatisé. Il a passé plusieurs mois à l’hôpital et il lui a fallu longtemps pour surmonter sa peur et porter plainte. L’auteur fait valoir en outre que l’échéance de trente-cinqjours fixée pour le dépôt de plaintes relatives à des actes de torture, qui court à compter de la date à laquelle la torture a été infligée ou de la date de la libération, est sans commune mesure avec la gravité de l’infraction.

2.10Le 24 janvier 2013, l’auteur a déposé un recours auprès de la Cour suprême du Népal pour demander réparation à raison du préjudice subi ainsi qu’une dérogation à l’application du délai de trente-cinq jours dans les circonstances particulières de son espèce. Au moment du dépôt de la présente communication (20février 2014), le recours devant la Cour suprême du Népal était toujours pendant. L’auteur soutient néanmoins avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles, faisant observer que son recours devant la Cour suprême n’a aucune chance d’aboutir du fait que, dans toute sa jurisprudence, cette juridiction n’a jamais dérogé à la règle des trente-cinqjours et ne l’a jamais déclarée inapplicable. Il fait valoir en outre que, le 8 mai 2011, la première fois qu’on l’a déféré devant un juge, il a déclaré qu’il avait été soumis à la torture et que ses aveux lui avaient été arrachés par la torture. Malgré ces déclarations, les autorités n’avaient pas diligenté d’enquête au moment où l’auteur a déposé la communication devant le Comité, et aucune enquête n’a été menée pendant les quatre années après que ces faits ont été portés à leur attention, ce qui constitue selon l’auteur un retard excessif. L’auteur note en outre que, le13février 2014, il a déposé une plainte officielle auprès de la Commission nationale des droits de l’homme pour demander qu’une enquête soit diligentée et qu’une réparation lui soit accordée à raison d’actes de torture. Il fait toutefois valoir qu’une telle plainte ne constitue pas un recours judiciaire au sens de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article5 du Protocole facultatif étant donné que la Commission peut seulement formuler des recommandations et n’a aucun moyen de les faire appliquer.

2.11L’auteur affirme enfin que l’appel urgent lancé au Rapporteur spécial sur la torture le 16octobre 2012 ne constitue pas un recours auprès d’instances internationales d’enquête ou de règlement au sens de l’alinéa a) du paragraphe2 de l’article5 du Protocole facultatif, selon une jurisprudence bien établie du Comité.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, des paragraphes 1 à 3 de l’article 9 ainsi quedu paragraphe 2 et des alinéasb) et g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

3.2L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte,en raison des actes de torture, des mauvais traitements et des conditions de détention inhumaines auxquelles il a été soumis et du fait que les autorités de l’État partie n’ont pas, comme elles l’auraient dû, mené d’office et promptement une enquête efficace, indépendante, impartiale et approfondie pour faire la lumière sur ses allégations et traduire les responsables en justice. Il affirme avoir été arbitrairement privé de sa liberté et soumis à une détention non reconnue et au secret entre le 7 et le 13avril 2011. À cet égard, l’auteur indique que, selon le Comité contre la torture,la pratique de la torture est très répandue au Népal, particulièrement dans le cadre des interrogatoires et de la détention au secret. Il affirme avoir été soumis, pendant qu’il était en détention, à des actes de torture et à des mauvais traitements physiques par des agents de l’État, qui l’ont contraint par la torture à avouer sa participation à un attentat terroriste, en violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il indique en outre qu’on lui a bandé les yeux pendant une longue période et qu’on l’a forcé à se tenir debout pendant plus de cinquante heures et laissé sans nourriture pendant trois jours et sans eau potable pendant deux jours. On lui a refusé toute assistance et traitement médical, alors même qu’il avait été grièvement blessé par le traitement que lui avaient infligé les agents de l’État. Les cellules dans lesquelles il a été détenu étaient sales, surpeuplées et les conditions d’hygiène y étaient déplorables. L’auteur fait valoir que le traitement auquel il a été soumis et les conditions dans lesquelles il a été détenu constituent une violation de ses droits au titre du paragraphe 1 de l’article10 du Pacte. Il affirme que les autorités de l’État partie n’ont pas mené promptement une enquête approfondie, indépendante et impartiale pour faire la lumière sur ses allégations de torture, ce qui constitue une violation de ses droits au titre de l’article7 et du paragraphe1 de l’article10, lus conjointement avec le paragraphe3 de l’article2 du Pacte.

3.3L’auteur affirme également que les droits qu’il tient des paragraphes1 à 3 de l’article9 du Pacte ont été violésen ce qu’il a été soumis à une arrestation et une détention arbitraireset qu’il n’a pas été informé des motifs de son arrestation ni des charges retenues contre lui. Les autorités ont usé de la force pour l’arrêter, sans avoir de mandat et sans l’informer des motifs de son arrestation. L’auteur a été détenu au secret du 7au 13avril 2011, période pendant laquelle sa mère n’a pu obtenir aucune information sur son sort ni sur l’endroit où il se trouvait. Lorsqu’elle s’est adressée aux autorités pour obtenir des informations, on lui a dit que l’auteur n’était pas en garde à vue. Pendant sa détention, l’auteur n’a eu aucun contact avec le monde extérieur et n’a pas eu accès à un avocat au début de sa privation de liberté, non plus qu’à une assistance médicale. À cet égard, il renvoie à l’observation générale no35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, dans laquelle le Comité a indiqué que le fait de priver un individu de sa liberté sans lui donner accès aux services d’un avocat constitue une détention arbitraire. De plus, l’auteur affirme qu’on ne l’a pas déféré promptement devant un juge pour qu’il puisse contester la légalité de sa détention ou les charges retenues contre lui.

3.4L’auteur affirme que les droits qu’il tient du paragraphe 2 et des alinéas b) et g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ont été violés. Il note que, après qu’il eut signé les aveux qui lui avaient été extorqués, les médias ont publié des articles concernant son arrestation dans lesquels ils le désignaient nommément comme étant membre d’un groupe armé illégal, ce qui est contraire à son droit à la présomption d’innocence consacré au paragraphe 2 de l’article 14.Il soutient en outre que le fait d’avoir été détenu au secret et privé de la possibilité de contester la légalité de cette mesure a porté atteinte au principe de la présomption d’innocence. Il soutient aussiavoir été soumis, pendant les cinq premiers jours de sa détention, à des interrogatoires répétés sans pouvoir bénéficier de la moindre assistance juridique. De plus, bien que l’auteur eût affirmé que ses aveux lui avaient été arrachés par la torture, le tribunal a considéré qu’il s’agissait d’éléments de preuve recevables sans examiner les circonstances dans lesquelles ils avaient été obtenus.

3.5Étant donné ce qui précède, l’auteur prie le Comité de conclure à la violation des articles susmentionnés et demande à l’État partie de lui accorder une réparation, une réhabilitation et une satisfaction intégrales en raison des préjudices matériels et moraux qu’il a subis. En particulier, il demande que sa dignité soit restaurée, ce que l’État partie pourrait accomplir par une déclaration publique d’excuses et une prise en charge médicale et psychologique gratuite, afin de traiter ses souffrances morales. À titre de garantie de non‑répétition, l’auteur demande l’adoption d’une définition autonome du crime de torture dans le droit népalais, la suppression du délai de prescription de trente-cinqjours, inutilement contraignant, en cas de plaintes pour mauvais traitements et la mise en place de programmes éducatifs sur le droit international des droits de l’homme à l’intention de tous les membres des forces de sécurité népalaises et de l’appareil judiciaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale en date du 6février 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il affirme que les recours internes n’ont pas été épuisés. Il indique que, selon le droit interne, tout suspect peut demander un examen médical au tribunal de première instance chargé d’examiner une demande de placement en détention, et il ressort de la communication que l’auteur ne l’a pas fait. C’était là un recours disponible que l’auteur n’a pas épuisé. De plus, l’État partie fait valoir qu’il ne ressort pas clairement des informations données par l’auteur s’il a ou non déposé une demande d’habeas corpus au titre de l’article1072) de la Constitution provisoire du Népal,2063 (2007), demande qui peut être formée auprès d’un tribunal de district, d’une cour d’appel ou de la Cour suprême dans le cadre de sa compétence extraordinaire. L’État partie affirme en outre que l’auteur aurait pu saisir le tribunal de district de Rupandehi d’une demande de réparation dans les trente-cinqjours suivant sa remise en liberté s’il considérait avoir été maltraité ou torturé pendant sa détention. Concernant le recours que l’auteur a formé devant la Cour suprême le 24janvier 2013, l’État partie dit que, comme la Cour ne s’est pas encore prononcée, il est dans l’impossibilité de faire quelque commentaire que ce soit à ce stade.

4.2En ce qui concerne le fond, l’État partie conteste principalement la crédibilité des déclarations de l’auteur. Il soutient à cet égard que ces allégations ne sont pas fondées sur les faits et ne correspondent pas à la réalité. Selon l’État partie, l’auteur a été condamné en raison de sa participation à l’attentat de Butwal du 27mars 2011,etil a exécuté une peine usuelle pour le crime qu’il a commis. L’État partie affirme en outre que, pendant sa détention, l’auteur n’a en aucune façon été soumis à la torture,en pleine conformité avec l’article7 du Pacte. Il soutient que les douleurs ou souffrances résultant de sanctions ou mesures légitimes prises dans le cadre d’une procédure pénale ne sauraient être considérées comme des actes de torture.

4.3L’État partie fait valoir que la Constitution provisoire du Népal garantit les libertés fondamentales et s’attache expressément à respecter l’esprit des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Il invoque plusieurs dispositionsconstitutionnelles pour réfuter les allégations de l’auteur, rappelant que ce texte prévoit des garanties suffisantes pour prévenir les détentions ou procès extrajudiciaires, le recours à la torture en vue d’obtenir des preuves, ainsi que la condamnation de personnes qui ne sont pas représentées par un avocat.

4.4L’État partie affirme qu’aucune preuve obtenue de manière illégale, par exemple par la torture, n’est pas recevable devant ses tribunaux. Dans ce contexte, l’allégation de l’auteur, qui prétend que ses aveux ont été obtenus par la torture, est infondée et histrionique, puisque les aveux en question ont été enregistrés devant le procureur, qui est impartial et indépendant par rapport à la police. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas fait état à l’audience d’actes de torture qu’il aurait subis. Il relève que, selon la loi de 1992 relative aux affaires auxquelles l’État est partie, le personnel de police, lorsqu’il enquête sur des infractions, peut arrêter des suspects dès lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire qu’ils ont participé à la commission de l’infraction. L’auteur a été arrêté en application de l’article 14 de cette loi.

4.5L’État partie note que l’auteur avait pu faire appel devant la cour d’appel de Butwal de la décision rendue par le tribunal de district de Rupandehi le 13juin 2012. Il a cependant été débouté et la cour d’appel a confirmé la décision du tribunal de district. L’État partie affirme donc que les procédures internes ont été régulières et qu’elles ont été conduites par un système judiciaire indépendant et impartial.

4.6L’État partie affirme en outre que l’accusation selon laquelle la torture est monnaie courante et généralisée dans la région du Teraï est tendancieuse et ne correspond pas à la réalité. À cet égard, il note qu’un projet de loi visant à ériger la torture en infraction pénale et à indemniser les victimes est à l’examen au parlement fédéral, et que cette initiative devrait permettre à l’État partie de mieux se conformer à ses obligations internationales.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernantla recevabilité et le fond

5.1Le 31 mars 2015, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie en date du 6février 2015.

5.2En réponse à l’argument de l’État partie concernant la crédibilité de ses déclarations, l’auteur affirme que l’État partie n’a fourni aucune preuve pour montrer que ses allégations n’étaient pas exactes. Il note que ses allégations de torture renvoient à des événements qui se sont produits alors qu’il était détenu par les autorités de l’État partie. Il fait valoir par conséquent que, conformément à la jurisprudence du Comité, c’est à l’État partie qu’il incombe d’apporter des preuves qui réfuteraient les allégations de torture.

5.3L’auteur réaffirme le grief qu’il tire de la violation des paragraphes 1 à 3 de l’article 9, du paragraphe1 de l’article 10 et du paragraphe 2 et des alinéas b) et g) du paragraphe3 de l’article14 du Pacte. Il affirme que ses allégations au titre de ces articles n’ont pas été réfutées par l’État partie dans ses observations et que celui-ci n’a pas fourni d’éléments dignes de foi pour les contester.

5.4L’auteur se réfère aussi à la déclaration de l’État partie, selon qui iln’a pas été torturé pendant sa détention. Il fait valoir que c’est à l’État partie qu’il incombe de produire des preuves réfutant les allégations de torture etde donner des explications plausibles des blessures subies, ce que selon lui l’État partie n’a pas fait. De plus, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas apporté la preuve que ses autorités ont examiné avec diligence et de manière satisfaisante les allégations de torture qu’il avait formulées. Il se réfère en outre à l’affirmation de l’État partie, selon qui il n’a pas évoqué la question de la torture dans le cadre de la procédure judiciaire, et rappelle qu’il a dit avoir été soumis à la torture la première fois qu’il a été déféré devant un juge (le 8mai 2011, devant le tribunal de district de Rupandehi). Il explique qu’à ce moment-là, il n’était pas représenté par un avocat et ne savait pas qu’il pouvait demander au tribunald’organiser un examen médical,mais il dit s’être plaint d’avoir été torturé ; le juge aurait donc dû ordonner un examen d’office. Par conséquent, l’auteur affirme que les autorités de l’État partie ont manqué à leur obligation de demander un examen médical et de mener une enquête approfondie sur ses allégations de torture.

5.5L’auteur indique qu’à la suite de la communication des observations de l’État partie, son état de santé, déjà précaire, s’est encore détérioré parce qu’en niant sa souffrance, l’État partie lui a fait perdre espoir d’obtenir justice. Par conséquent, il réitère la demande, qu’il a faite dans sa communication initiale,tendant à ce que l’État partie lui assure immédiatement une prise en charge médicale et psychologiquegratuite.

5.6L’auteur fait valoir que, selon ce qu’affirme l’État partie dans ses observations, il aurait dû,pour épuiser les recours internes, déposer un recours devant le tribunal de district de Rupandehi en vertu de la loi sur l’indemnisation en cas de torture. L’auteur rappelle que sa mère a formé un tel recours le 12décembre 2012, mais que celui-ci n’a pas été enregistré parce que le délai prescrit de trente‑cinq jours était dépassé. L’auteur réaffirme qu’il n’avait pas pu former de recours avant l’expiration du délai parce qu’il était hospitalisé et traumatisé. De plus, il renvoie à la jurisprudence du Comité,dont il ressort que le strict délai prévu dans la loi en question est sans commune mesure avec la gravité de l’infractionet que ce recoursne saurait être considéré comme un recours utile au sens de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.7De plus, l’auteur note que son affirmation indiquant que la torture est une pratique généralisée et systématique dans leTeraï n’est pas le fruit d’une spéculation de sa part, mais un fait constaté par des mécanismes internationaux de protection des droits de l’homme et dénoncé dans les rapports d’organisations non gouvernementales. Il convient notamment de rappeler que, dans ses observations finales de 2014 sur le Népal, le Comité des droits de l’homme s’est dit préoccupé par les informations faisant état d’exécutions extrajudiciaires dans la région du Teraï et de décès en détention et par la confirmation officielle du recours généralisé à la torture et aux mauvais traitements dans les locaux de garde à vue(CCPR/C/NPL/CO/2, par. 10).

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 4septembre 2015, l’État partie a présenté des observations complémentaires sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il répète son argument à propos du non‑épuisementdes recours internes et précise que l’auteur n’a pas épuisé ces recours puisqu’il n’a pas fait appel du jugement rendu par le tribunal de district de Rupandehi le 13juin 2012.

6.2Notant qu’en cas d’allégations de torture, le tribunal est tenu d’ordonner un examen médical, l’État partie fait valoir qu’il n’y a pas lieu de présumer qu’un tribunal de district indépendant n’a pas suivi la procédure prévue par le droit interne. Il ajoute que le refus du greffier du tribunal de district d’enregistrer le recours de l’auteur s’expliquaitpar l’expiration du délai de trente-cinqjours prévu par la loi. Pour ces raisons, l’État partie considère que l’argument de l’auteur,qui prétend que son arrestation était arbitraire et qu’il a par la suite été soumis à la torture, n’est pas étayé par les faits ni par les preuves. De plus, l’ordonnance de mandamus introduite par l’auteur auprès de la Cour suprême du Népal est toujours pendante.

6.3L’État partie réaffirme que ses citoyens peuvent compter sur un mécanisme d’enquête et de poursuites juste et indépendant. Par conséquent, il nie que l’arrestation de l’auteur ait été arbitraire, car l’intéressé a été arrêté et poursuivi après enquête conformément au droit interne. L’État partie soutient que sa souveraineté signifie qu’il peut gérer ses propres affaires internes sans ingérence de quelque autorité que ce soit puisqu’il n’existe aucune autorité supérieure à celle de l’État.

6.4Selon l’État partie, il est inexact de prétendre que l’auteur n’a pas été informé des raisons de son arrestation puisque son droit à une procédure régulière était garanti par la Constitution provisoire du Népal. En outre, l’État partiefait valoir que les arguments avancés par l’auteur pour étayer ses allégations de torture ne se fondent pas sur des faits. À ce propos, l’article 100 de la Constitution provisoire du Népal garantit l’indépendance de la justice, qui est intervenue à de nombreuses reprises pour protéger les droits fondamentaux des citoyens.

6.5L’État partie note que toute personne détenue, qu’elle soit en détention provisoire ou exécute une peine prononcée par un tribunal, peut demander un examen médical. À cet égard, le Procureur général veille à ce que chacun soit traité avec humanité et puisse recevoir la visite des membres de sa famille, bénéficier d’une assistance juridique et être soumis à un examen médical. L’État partie fait valoir que l’auteur aurait dû déposer une plainte auprès du Procureur général.

6.6Selon l’État partie, il est de pratique courante au Népal que le juge demande aux personnes déférées devant lui si elles ont été soumises à la torture au cours de l’enquête. En l’espèce, l’État partie affirme que l’allégation de l’auteur, selon qui le tribunal de district de Rupandehi a été informé de ses allégations de torture, est fausse et fabriquée de toutes pièces.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerneles dispositions du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, le Comité note que l’auteur lui a communiqué deux extraits d’articles publiés par les journaux locaux les 13 et 14avril 2011, juste après qu’il eut signé les aveux qu’on lui avait arrachés, le désignant nommément comme un membre d’un groupe armé illégal, et affirme que son droit à la présomption d’innocence a été violé. Sur la base des documents dont il dispose, le Comité relève que l’auteur n’a pas soulevé ces griefs devant les juridictions internes et que, si les plaignants ne sont pas tenus de citer expressément les dispositions du Pacte qu’ils estiment avoir été violées, ils doivent avoir invoqué quant au fond devant les juridictions nationales les motifs qu’ils présentent ensuite au Comité. Les griefs soulevés au titre du paragraphe2 de l’article14 n’ayant pas été formulés devant les tribunaux nationaux, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4Pour ce qui estde l’épuisement des recours internes concernant les autres griefs de l’auteur, le Comité note que la plainte de l’auteur contenant les allégations de torture, que sa mère a déposée au nom de l’auteur auprès du greffier du tribunal de district de Rupandehi le 12 décembre 2012, n’a pas été enregistrée car elle aurait été déposée au-delà du délai de trente-cinqjours prescrit par la loi sur l’indemnisation en cas de torture. Il prend note aussi de l’argument de l’auteur, qui affirme qu’il lui aurait été impossible de déposer une plainte dans les trente-cinq jours à compter de la date à laquelle il a été torturé car il était détenu et n’était pas autorisé à porter plainte. Le Comité note en outre que l’auteur fait valoir qu’il ne pouvait pas porter plainte dans le délai de trente-cinq jours à compter de sa libération, car il a été hospitalisé pendant plusieurs mois après celle-ci. Le Comité considère de plus que, comme ce délai de trente-cinqjours, qui court à compter de la date de la torture ou de la date de la libération, est sans commune mesure avec la gravité de l’infraction, il ne s’agissait pas d’un recours disponible pour l’auteur.

7.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, selon qui la communication ne satisfait pas aux conditions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif parce que l’auteur n’a pas demandé officiellement à subir un examen médical, conformément à la loi sur les affaires auxquelles l’État est partie, au tribunal de district saisi de sa demande de placement en détention. À ce propos, le Comité prend note des arguments de l’auteur, qui affirme que, lors de la première audience du tribunal de district de Rupandehi en mai 2011, il a signalé avoir été victime de mauvais traitements et dit que ses aveux lui avaient été arrachés par la torture. Le Comité fait observer que, bien que l’État partie ait contesté cet aspect de la déclaration de l’auteur, l’allégation est corroborée par la traduction officieuse du compte rendu d’audience fournie par l’auteur et n’est pas infirmée par une traduction officielle produite par l’État partie. Le Comité relève que l’auteur a expliqué qu’à ce moment-là, il n’était pas représenté par un avocat et ne savait pas qu’il devait demander officiellement au tribunal d’organiser un examen médical, et il note en outre que l’auteur a fait valoir que le juge aurait dû demander un tel examen d’office dès lors qu’il s’est plaint d’avoir été torturé.

7.6Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie, selon qui l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’aucune demande d’habeas corpus n’a été déposée et parce qu’une ordonnance de mandamus introduite par l’auteur devant la Cour suprême du Népal est toujours pendante. À ce propos, le Comité fait observer que l’État partie s’est borné à indiquer, dans l’abstrait, que la Constitution provisoire du Népal prévoyait des recours en cas d’allégations de torture, sans faire de rapprochement avec les circonstances de l’espèce, ni montrer en quoi les voies prévues auraient constitué des recours utiles pour l’auteur. De plus, il relève que l’État partie a donné des informations contradictoires, affirmant dans un premier temps que l’auteur avait interjeté appel devant la cour d’appel pour ensuite prétendre qu’il ne l’avait pas fait. Dans ce contexte, le Comité rappelle que l’utilité d’un recours dépend de la nature et de la gravité particulière de la violation alléguée.

7.7Le Comité rappelle en outre qu’au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, les recours internes doivent être à la fois utiles et disponibles, et ne pas dépasser un délai raisonnable. En l’espèce, l’État partie n’a donné aucune information indiquant qu’il avait diligenté une enquête sur les allégations de torture formulées par l’auteur depuis que ces allégations avaient été portées à son attention pour la première fois en mai 2011. Le Comité constate que le délai raisonnable a été dépassé. En conséquence, il conclut qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner les griefs que l’auteur tire de la violation de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des paragraphes 1 à 3 de l’article 9 et des alinéas b) et g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

7.8En l’absence de toute autre contestation de la recevabilité de la communication, le Comité déclare celle-ci recevable dans la mesure où elle concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, des paragraphes 1 à 3 de l’article 9 et des alinéas b) et g) du paragraphe 3 de l’article 14.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur,qui affirme que, alors qu’il était placé en détention, la police l’a torturé et soumis à des mauvais traitements pour lui arracher des aveux dans le cadre d’une enquête. À cet égard, le Comité prend note des constatations d’organes internationaux relatifs aux droits de l’homme et des rapports d’organisations non gouvernementales insistant sur le caractère généralisé de la pratique de la torture dans leTeraï, qui lui ont été communiqués par l’auteur. Il prend aussi note du grief de l’auteur,qui affirme avoir signalé à deux reprises au tribunal de district de Rupandehi, la première fois en personne le 8 mai 2011, qu’il avait subi des actes de torture. Par la suite, sa mère a déposé une plainte en son nom auprès du greffier du tribunal,le 12 décembre 2012. Le Comité prend également en considération le fait que l’État partie n’a pas contesté que la mère de l’auteur avait signalé les allégations de torture au tribunal de district le 12décembre 2012.

8.3Le Comité rappelle que l’article 7 du Pacte ne souffre aucune limitation, même dans le cas d’un danger public, et que, dès lors qu’une plainte dénonçant un mauvais traitement contraire à l’article7 a été déposée, les États parties doivent mener une enquête diligente et impartiale. Il réaffirme sa position selon laquelle la charge de la preuve ne peut pas reposer uniquement sur l’auteur de la communication, surtout si l’on considère le fait que l’auteur et l’État partie n’ont pas un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie a accès aux informations pertinentes. Au cas où les allégations sont corroborées par des preuves dignes de foi présentées par l’auteur et où des éclaircissements ne peuvent être fournis que par des informations qui sont uniquement aux mains de l’État partie, le Comité peut considérer que les allégations de l’auteur sont étayées en l’absence d’explications ou de preuves suffisantes du contraire présentées par l’État partie. Il rappelle en outre qu’en l’absence d’explications convaincantes de la part de l’État partie, le poids voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur.

8.4Selon les documents versés au dossier, le Comité fait observer que, plusieurs années après que l’auteur a formulé ses allégations de torture pour la première fois, aucune enquête n’a été menée par les autorités de l’État partie. Il considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’État partie n’a pas démontré que ses autorités ont traité les allégations de torture formulées par l’auteur avec diligence et de façon satisfaisante. L’auteur a montré qu’il s’était employé à faire part de ses allégations aux autorités de l’État partie à plusieurs reprises en saisissant la Commission nationale des droits de l’homme, le tribunal de district et la Cour suprême. Le Comité considère en particulier qu’en l’absence de toute explication convaincante donnée par l’État partie au sujet des griefs de l’auteur, qui sont étayés par le compte rendu d’audience du 8mai 2011, le poids voulu doit être accordé aux allégations de l’auteur. Dans les circonstances de l’espèce, il conclut par conséquent que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe3 de l’article2 du Pacte.

8.5Le Comité note, en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 9, que l’auteur affirme qu’il a été arrêté le 7 avril 2011 sans mandat et sans être informé des motifs de son arrestation ni de ses droits, qu’il a été détenu au secret jusqu’au 13 avril, tandis que ses proches ignoraient où il se trouvait, et qu’il n’a pas eu accès à un avocat ni à des soins médicaux. Selon les informations versées au dossier, le Comité note en outre que l’auteur a été déféré devant un juge pour la première fois le 8 mai 2011, soit un mois après son arrestation, et qu’il affirme que son droit à être rapidement déféré devant un juge a été violé par l’État partie. En l’absence d’explications suffisantes de l’État partie sur l’arrestation de l’auteur et sa détention entre le 7 avril 2011 et le 11 mai 2011, le Comité conclut à une violation des droits que l’auteur tient des paragraphes 1 à 3 de l’article 9 du Pacte.

8.6En ce qui concerneles griefs de l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article10, le Comité note que l’auteur soutient que les conditions de sa détention constituaient un traitement cruel, inhumain et dégradant. En particulier, l’auteur affirme que, pendant sa détention au secret, on lui a placé un bandeau sur les yeux pendant une longue période et on l’a forcé à rester debout pendant plus de cinquante heures d’affilée. Il affirme aussi qu’on l’a privé de nourriture pendant trois jours et d’eau potable pendant deux jours. Il affirme en outre que, pendant le reste de sa détention dans différents centres, il a été incarcéré dans des cellules surpeuplées, infestées de moustiques et d’autres insectes, dans des conditions d’hygiène déplorables.

8.7Le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne peuvent pas être soumises à des mauvais traitements ou à des contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Il note que l’auteur a démontré qu’il s’était employé à faire part de ses allégations aux autorités de l’État partie en déposant des plaintes auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, du tribunal de district et de la Cour suprême. En l’absence d’informations de la part de l’État partie concernant le traitement subi par l’auteur pendant la détention, le Comité accorde le poids voulu aux allégations de l’auteur, selon qui ses conditions de détention dans différents centres constituaient des mauvais traitements, et il conclut que les droits que l’auteur tient du paragraphe1 de l’article10, lu seul et conjointement avec le paragraphe3 de l’article2, ont été violés.

8.8Pour ce qui est de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, le Comité prend note du grief de l’auteur, qui affirme que, au cours des cinq premiers jours de sa détention, il a été soumis à des interrogatoires répétés sans l’assistance d’un avocat. À cet égard, le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 14 du Pacte, toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix. En l’absence d’écritures de l’État partie concernant l’accès de l’auteur à l’assistance d’un avocat pendant les premiers jours de sa détention, et eu égard à l’affirmation de l’auteur, qui soutient que, n’étant pas représenté légalement, il n’a pas pu introduire officiellement une demande d’examen médical devant le tribunal de district, le Comité considère que les droits de l’auteur de préparer sa défense et de communiquer avec un conseil, consacrés à l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, ont été violés.

8.9L’auteur soutient en outre que, pendant sa détention arbitraire, il a été torturé par plusieurs policiers et forcé à se déclarer coupable d’un crime. Ces aveux, affirme-t-il, ont été utilisés pour le déclarer coupable, le 13 juin 2012, en violation des droits qu’il tient de l’alinéa g) du paragraphe 3 de l’article 14. Compte tenu de la constatation du Comité concernant la violation de l’article 7 du Pacte et du fait que l’État partie n’a pas pu ou pas voulu enquêter sur les allégations de torture formulées par l’auteur, ainsi que du fait non contesté que les aveux de l’auteur ont été retenus comme preuve et utilisés pour le déclarer coupable, le Comité considère que les droits que l’auteur tient de l’alinéa g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte ont été violés par l’État partie.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7 et du paragraphe 1 de l’article 10, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que des paragraphes1 à 3 de l’article 9 et des alinéas b) et g) du paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés un recours utile sous la forme d’une réparation intégrale. Par conséquent, l’État partie est tenu, entre autres : a) de faire procéder à une enquête approfondie et efficace sur les allégations de torture de l’auteur et de donner à celui-ci des informations détaillées quant aux résultats de l’enquête ; b) de poursuivre, juger et punir ceux qui sont responsables des violations commises et de rendre public le résultat de ces mesures ; c) d’effacer le casier judiciaire de l’auteur en relation avec la présente plainte ; d) de veiller à ce l’auteur puisse recevoir les soins nécessaires de réhabilitation psychologique et un traitement médical satisfaisant ; et e) d’accorder à l’auteur une indemnisation et des mesures de satisfaction appropriées à raison des violations dont il a été victime, y compris des excuses publiques. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent. En particulier, il devrait veiller à ce que sa législation érige la torture et la disparition forcée en infractions pénales et prévoie des sanctions appropriées ainsi que des recours à la mesure de la gravité de l’infraction, garantisse que de telles affaires donnent promptement lieu à des enquêtes impartiales et efficaces, assure que les auteurs de telles infractions sont poursuivis au pénal, et modifie le délai de prescription de trente‑cinq jours fixé pour les demandes d’indemnisation en cas de torture, conformément aux normes internationales.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.