Nations Unies

CCPR/C/126/D/2383/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 septembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2383/2014*, **

Communication présentée par :

Vladimir Neklyaev (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

1er septembre 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 30 avril 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

26 juillet 2019

Objet :

Brutalités infligées à l’auteur par les forces de l’ordre et absence d’enquête sur les faits, violation du droit de réunion pacifique

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; enquête diligente et impartiale ; droit à un procès équitable ; intimité de la vie privée ; vote et élections ; discrimination fondée sur une opinion politique ou autre ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1 et 3 a)), 7, 9 (par. 1 et 3), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 b) et e)), 16, 17, 19 (par. 2), 21, 25 b) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Vladimir Neklyaev, de nationalité bélarussienne, né en 1946. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 1 et 3 a)), 7, 9 (par. 1 et 3), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 b) et e)), 16, 17, 19 (par. 2), 21, 25 (al. b)) et 26 du Pacte. L’auteur n’est pas représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992.

Exposé des faits

2.1L’auteur était candidat à l’élection présidentielle bélarussienne de 2010. Le 19 décembre 2010, jour du vote, lui et d’autres candidats avaient prévu de tenir une manifestation pacifique à Minsk, sur la place d’Octobre, à partir de 20 heures, pour attendre les résultats du scrutin et protester contre les irrégularités du processus électoral. Vers 19 heures, l’auteur et 50 à 70 de ses partisans ont commencé à se rendre vers la place d’Octobre, brandissant des drapeaux blancs portant l’inscription « Pour Neklyaev » et chantant des slogans comme « Pour Neklyaev » et « Pour le Bélarus ». Une camionnette contenant du matériel audio destiné à la manifestation les accompagnait.

2.2.Sur la route, le cortège a été immobilisé par la police de la route. D’après les documents figurant au dossier, les policiers avaient reçu l’ordre de se déployer dans la rue où la manifestation devait se tenir pour veiller à ce que la circulation ne soit pas perturbée. En outre, on leur avait signalé la présence possible d’explosifs dans deux camionnettes, une verte et une blanche. Constatant que le véhicule accompagnant le cortège correspondait à cette description, ils lui ont bloqué la route avec leur voiture et ont demandé à le fouiller. D’après l’auteur, les policiers ne se sont adressés à personne en particulier et ne se sont pas avancés vers la camionnette. Les partisans de l’auteur essayaient de déplacer la voiture de police pour dégager la route quand un groupe de 10 à 15 personnes vêtues d’uniformes noirs et ne portant aucun insigne s’en est pris aux manifestants et a ordonné à tout le monde de se coucher au sol. L’un des agresseurs a assommé l’auteur avec une matraque en caoutchouc. Les agresseurs ont cassé des vitres de la camionnette, ont pris le matériel qu’elle contenait et sont partis. L’auteur a été pris en charge par les secours et conduit en ambulance au centre des urgences, à la polyclinique de Minsk, où on lui a diagnostiqué des contusions des tissus mous du côté gauche de la tête et du visage, un hématome périorbitaire du côté gauche, des blessures dans la région scapulaire du côté gauche et des abrasions des régions pariétale et occipitale.

2.3À 12 h 39 le 20 décembre 2010, l’auteur a été transféré de la polyclinique au centre de détention temporaire administré par le Comité de sécurité de l’État, à Minsk. D’après le procès-verbal de l’arrestation, il était soupçonné d’avoir organisé des troubles majeurs à l’ordre public. Au cours de son interrogatoire, il s’est plaint d’avoir été battu par des inconnus qui avaient agressé les participants au cortège. Le 22 décembre 2010, le Procureur de la ville de Minsk a autorisé le placement en détention de l’auteur, et ce dernier et ses deux avocats ont signé un document par lequel ils reconnaissaient avoir été informés de cette décision. Le 29 décembre 2010, l’auteur a été accusé d’organisation de troubles majeurs à l’ordre public de grande ampleur et de participation à ces troubles, sur le fondement des paragraphes 1 et 2 de l’article 293 du Code pénal.

2.4Le 3 janvier 2011, l’un des avocats de l’auteur a fait appel de la décision de placement en détention auprès du tribunal du district Tsentralny de Minsk. Ce recours a été rejeté le 6 janvier 2011.

2.5Le 18 janvier 2011, l’un des avocats de l’auteur a saisi le Comité de sécurité de l’État pour dénoncer le fait que l’administration du centre de détention avait refusé à neuf reprises d’autoriser l’intéressé et ses conseils à s’entretenir en toute confidentialité au prétexte que toutes les salles de réunion étaient occupées. Le 24 janvier 2011, l’épouse de l’auteur a saisi le Procureur de la ville de Minsk pour dénoncer le fait que son mari était privé de l’accès à un avocat. Ces deux plaintes sont restées sans réponse. Le 27 janvier 2011, l’avocat de l’auteur a dénoncé le refus de l’accès à un avocat auprès du Procureur général, ce qu’il avait déjà fait auprès du tribunal du district Tsentralny le 3 janvier 2011, quand il avait contesté le placement en détention. L’auteur ayant pu s’entretenir avec ses avocats le 22 décembre 2010, le tribunal a conclu qu’il n’avait pas été porté atteinte à ses droits. Le 29 janvier 2011, l’auteur a est sorti du centre de détention et a été placé en résidence surveillée.

2.6Le 28 janvier 2011, l’auteur a demandé au Comité de sécurité de l’État d’ouvrir une enquête sur les mauvais traitements qu’il avait subis. Le 29 janvier 2011, son avocat a déposé une requête similaire auprès du Procureur de la ville de Minsk. Les 7 et 11 février 2011, le Comité de sécurité de l’État et le Procureur adjoint de la ville de Minsk, respectivement, ont répondu que les allégations de brutalités étaient examinées dans le cadre de l’enquête pénale en cours. À compter du 14 avril 2011, ces allégations ont fait l’objet d’une enquête distincte.

2.7Le 20 mai 2011, le tribunal du district Frounzensky a reconnu l’auteur coupable d’organisation de troubles à l’ordre public de grande ampleur et l’a condamné à deux ans d’emprisonnement avec sursis. La déclaration de culpabilité reposait sur le fait que l’intéressé avait à de nombreuses reprises invité des tiers à participer à une manifestation non autorisée sur la place d’Octobre le 19 décembre 2010 et avait organisé, le même jour, un cortège qui devait se rendre vers cette place. À une date non précisée, l’auteur a saisi le tribunal municipal de Minsk d’un recours en cassation, qui a été rejeté le 8 août 2011. Le tribunal a notamment retenu que l’auteur n’avait pas déposé de demande d’autorisation concernant la manifestation et que celle-ci avait causé une perte de revenus à des entreprises publiques et privées et perturbé la circulation. Les demandes de réexamen que l’auteur a présentées au Président du tribunal municipal de Minsk et à la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle ont été rejetées le 16 janvier 2012 et le 7 mai 2012, respectivement.

2.8Le 4 août 2011, à l’issue d’une enquête préliminaire, le Procureur de la ville de Minsk a décidé de ne pas engager de poursuites au titre de l’article 3 de l’article 426 du Code pénal (abus de pouvoir ou d’autorité) sur la base des allégations de brutalités formulées par l’auteur car rien n’indiquait que des membres des forces de l’ordre aient participé aux actes dénoncés. En février 2012, l’auteur a formé auprès du Procureur général du Bélarus un recours qui a été transmis au Procureur de la ville de Minsk. Le 2 avril 2012, celui-ci a confirmé sa décision de ne pas engager de poursuites pénales. Le 24 mai 2012, l’auteur a formé un recours auprès du Procureur général. Le 18 juin 2012, le Procureur adjoint de la ville de Minsk a de nouveau confirmé sa décision de ne pas engager de poursuites pénales. L’auteur affirme que l’enquête a été superficielle, et notamment que les auditions de témoins n’ont commencé qu’en mai 2011 et se sont terminées en août 2011 et que tous les témoins n’ont pas été entendus. Selon lui, la police de la route avait coopéré avec les agresseurs inconnus et suivi leurs ordres, et avait employé l’expression « forces spéciales » pour parler d’eux. Toutefois, l’enquête n’a pas permis d’établir ce qu’il en était.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les brutalités policières dont il a été victime le 19 décembre 2010 constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il ajoute que le fait qu’il n’y ait pas eu d’enquête sur les actes en question constitue une violation de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte.

3.2L’auteur soutient que ces violations étaient motivées par ses opinions politiques, qu’il n’a pas bénéficié de l’égale protection de la loi et qu’il a donc subi une discrimination concernant la jouissance des droits garantis par le Pacte, en violation des articles 2 (par.  1 et 3 a)) et 26 du Pacte.

3.3L’auteur avance que le fait que sa détention ait été autorisée par un procureur et non par un juge et qu’il n’ait pas été présenté à un juge constitue une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

3.4L’auteur avance également que le fait qu’il n’ait pas pu s’entretenir en privé avec ses avocats pendant sa détention, et donc pas pu préparer sa défense, constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte.

3.5Le 15 février 2015, après que l’État partie a répondu aux allégations susmentionnées, l’auteur a formulé des griefs supplémentaires au titre du Pacte (voir les par. 5.2 à 5.9).

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.Dans une note verbale reçue le 1er juillet 2014, l’État partie affirme que l’enregistrement de la communication est injustifié, l’auteur n’ayant pas épuisé tous les recours internes à sa disposition avant de saisir le Comité. Il soutient qu’une telle pratique n’est pas conforme aux dispositions du Protocole facultatif et qu’elle est abusive et nuit à sa crédibilité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 15 février 2015, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et fourni des informations sur l’évolution de sa situation. Selon lui, les 11 février, 25 mars et 7 mai 2013, il a demandé au Procureur général de le recevoir. Les 25 avril et 31 mai, ses demandes ont été rejetées et on lui a fait savoir qu’il n’y avait pas lieu d’engager des poursuites concernant les brutalités dont il alléguait avoir été victime. À une date non précisée, l’auteur a fait appel devant le tribunal du district Tsentralny de la décision du 2 avril 2012 par laquelle le Procureur de la ville de Minsk avait décidé de classer l’affaire. Le 10 juillet 2013, il a été débouté. En mai et en juillet 2011, à des dates non précisées, l’auteur a formé des recours en cassation auprès du tribunal municipal de Minsk, qui ont été rejetés le 22 juillet 2011. Les demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle qu’il a soumises à des dates non précisées au tribunal municipal de Minsk et à la Cour suprême ont été rejetées les 5 septembre 2013 et 17 janvier 2014.

5.2L’auteur a formulé de nouveaux griefs au titre des articles 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 e)), 16, 17, 19 (par. 2) 21 et 25 (al. b)) du Pacte. Il soutient que son arrestation à la polyclinique de Minsk le 20 décembre 2010 a constitué une violation des articles 7 et 9 (par. 1) du Pacte. Il soutient également que, pendant sa détention dans les locaux des services de sécurité de l’État, il n’a pas pu s’entretenir avec ses avocats et les courriers que son épouse et lui s’adressaient lui étaient transmis avec beaucoup de retard. Il affirme donc avoir été détenu au secret, en violation de l’article 7 du Pacte.

5.3L’auteur allègue que son placement en résidence surveillée était arbitraire, que deux policiers étaient présents en permanence dans son appartement et qu’il n’était pas autorisé à sortir de chez lui, et qu’il est donc victime d’une violation des droits garantis aux articles 9 (par. 1 et 3) et 17 du Pacte.

5.4L’auteur dit avoir découvert pendant son procès que son téléphone avait été placé sur écoute du 9 au 18 décembre 2010. Il estime que cette mesure a constitué une violation de l’article 17 du Pacte.

5.5L’auteur allègue qu’il a été victime d’une violation des droits garantis à l’article 14 (par. 1) du Pacte car le Procureur a pu librement recueillir des informations sur l’affaire alors que lui-même n’a pas été autorisé à s’entretenir avec ses avocats pour préparer sa défense. À cet égard, il avance aussi que le tribunal a refusé de convoquer le Président, Aleksandr Loukachenko, et le Ministre de l’intérieur, et que, le jour de son procès, un groupe de jeunes a occupé toute la salle d’audience, si bien qu’il n’y avait plus de place pour les personnes qui souhaitaient assister au procès. Il soutient de surcroît qu’avant le procès, des représentants de l’État, notamment le Président, et les médias le considéraient déjà coupable d’infractions graves, ce qui a nui à l’impartialité du tribunal et a donc porté atteinte à l’article 14 (par. 1 et 2) du Pacte.

5.6L’auteur avance que le tribunal du district Frouzensky ne lui a pas permis d’interroger deux témoins à charge − le chef de la police de la route de Minsk et un agent du service de sécurité de l’État −, ce qui a constitué une violation de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

5.7L’auteur soutient que les droits qu’il tient des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte ont été violés au motif que les brutalités dont il a été victime ont perturbé une manifestation pacifique à laquelle il se rendait avec ses partisans pour protester contre une élection truquée.

5.8L’auteur affirme que l’élection était irrégulière et que, d’ailleurs, le 22 décembre 2010, un des candidats a saisi le Bureau du Procureur général d’une plainte déposée en son nom et au nom de tous les candidats qui avaient été arrêtés, y compris l’auteur. Il avance que 6 des 9 candidats de l’opposition ont été arrêtés et qu’il n’a pas pu contester les résultats de l’élection parce qu’il était en détention et ne pouvait pas s’entretenir avec ses avocats. Selon lui, les irrégularités qui ont entaché les élections, ainsi que son arrestation et son placement en détention, l’ont privé du droit d’être élu consacré à l’article 25 (al. b)) du Pacte.

5.9L’auteur n’apporte pas de précisions quant à ses allégations de violation des articles 10 (par. 1) et 16 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. À cet égard, il note que, d’après les informations figurant au dossier, l’auteur n’a pas soulevé devant les juridictions nationales les griefs tirés des articles  2 (par. 1), 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3 e)), 17, 25 (al. b)) et 26 du Pacte, et conclut donc que ces griefs sont irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité constate que les griefs que l’auteur tire de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7, et des articles 7, 9 (par. 3), 19 (par. 2) et 21 du Pacte ont été soulevés devant les autorités et juridictions nationales compétentes (voir par. 2.7 et 5.1). Partant, il estime que l’intéressé a épuisé tous les recours internes en ce qui concerne ces griefs.

6.5Le Comité note que l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’informations au sujet des griefs qu’il tire de l’article 25 (al. b)) du Pacte et estime donc que ces griefs sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note du grief de détention au secret tiré de l’article 7 du Pacte. Il constate toutefois que les avocats et les proches de l’auteur savaient où celui-ci se trouvait et que l’intéressé a pu s’entretenir avec ses avocats, quoiqu’en présence des enquêteurs. Dans ces circonstances, il estime le grief n’est pas étayé. Partant, il conclut donc que cette partie des griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte est dénuée de fondement et, partant, irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité note que l’auteur n’apporte pas de précisions quant aux allégations de violations des articles 10 (par. 1) et 16 du Pacte et conclut donc que ces allégations sont dénuées de fondement et, partant, irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte et constate que l’intéressé en a fait état dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, et non dans sa lettre initiale. Il note toutefois que, dès le début de la procédure, l’auteur a signalé des faits qui soulèvent des questions au titre de ces articles. Il estime donc que les griefs tirés des articles 19 (par. 2) et article 21 du Pacte sont suffisamment étayés et sont recevables.

6.9Le Comité note que l’auteur soutient que le fait que ses avocats aient eu un accès limité à son lieu de détention et qu’il n’ait pas pu s’entretenir avec eux en privé l’a empêché de préparer sa défense, en violation de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte. À cet égard, le Comité constate que l’auteur a été libéré le 29 janvier 2011 et placé en résidence surveillée et que son procès a commencé environ trois mois plus tard, le 5 mai 2011. L’auteur ne dit pas avoir été empêché de s’entretenir en privé avec ses avocats depuis sa libération. Le Comité estime qu’en trois mois, l’auteur a eu suffisamment de temps pour préparer sa défense. Compte tenu de ce qui précède, il estime que les allégations de l’auteur concernent davantage sa détention que le droit à la défense défini à l’article 14 du Pacte (par. 3 b)) et déclare ce grief insuffisamment étayé et irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité estime que les griefs que l’auteur tire de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3 a)), 9 (par. 3), 19 (par. 2) et 21 du Pacte sont suffisamment étayés, et va maintenant procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur dit avoir été soumis à des actes de torture et à un traitement inhumain et dégradant quand, le 19 décembre 2010, il a été battu par un groupe d’agresseurs non identifiés vêtus d’uniformes noirs. Il note également que cette thèse est confirmée par les décisions prises par les enquêteurs dont il a reçu copie, qui mentionnent les blessures infligées, ainsi que par l’hospitalisation de l’intéressé. Rien ne vient indiquer que l’auteur ait été une menace pour autrui au moment où ses agresseurs s’en sont pris à lui. Le Comité constate de surcroît que, d’après les documents versés au dossier, les agents de la police de la route impliqués dans les événements du 19 décembre 2020 ont déclaré au procès que les hommes en noir étaient de la police, et que, selon l’auteur, les agents de la police de la route obéissaient aux agresseurs. Dans sa réponse à la lettre initiale de l’auteur, l’État partie n’a pas contesté ces déclarations, et le Comité estime que le Bélarus doit répondre de l’agression. Il conclut que, en tout état de cause, les agents de la police de la route n’ont pas protégé l’auteur de ses agresseurs, et ont donc agi en violation de l’obligation de protection qui leur est faite par l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 1).

7.3Le Comité note en outre que l’auteur avance que les brutalités qui lui ont été infligées n’ont pas fait l’objet d’une enquête effective. Il rappelle que, pour que les recours offerts soient efficaces, lorsqu’une plainte concernant des mauvais traitements contraires à l’article 7 du Pacte est déposée, elle doit faire l’objet d’une enquête rapide et impartiale. Il constate, à cet égard, que l’auteur a signalé ces brutalités aux autorités dès son arrestation, le 20 décembre 2010, mais elles n’ont fait l’objet d’une enquête à part entière qu’à compter d’avril 2011 et les premiers témoins n’ont été entendus qu’en mai 2011, soit cinq mois après que les autorités ont été informées des faits. Au vu de ces éléments, le Comité estime que l’enquête n’a pas été menée avec la diligence voulue.

7.4Le Comité note que l’enquête a abouti à la conclusion qu’aucun élément ne prouvait l’implication de membres des forces de l’ordre dans les brutalités infligées à l’auteur. Il note également qu’il n’est pas contesté que l’auteur a été battu et que l’enquête a été close sans qu’il y ait eu de tentatives pour déterminer l’identité des agresseurs. Il estime que l’enquête menée n’a pas été efficace et que cela constitue une violation de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7.

7.5Le Comité note que l’auteur avance que sa détention a été autorisée par un procureur et non par un juge, contrairement à ce que prévoit l’article 9 (par. 3). Il rappelle son observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, dans laquelle il indique qu’il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que le contrôle de la détention soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions traitées (par. 32) et qu’un procureur ne peut pas être considéré comme une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires au sens du paragraphe 3 de l’article 9. En conséquence, il conclut que le droit d’être traduit dans le plus court délai devant un juge après avoir été arrêté du chef d’une infraction pénale que l’auteur tient de l’article 9 (par. 3) du Pacte a été violé.

7.6L’auteur a été empêché par la force d’assister à la manifestation qu’il avait organisée et qui devait se tenir sur la place d’Octobre le 19 décembre 2010 et a par la suite été reconnu coupable d’avoir organisé des troubles de l’ordre public à grande échelle et d’y avoir participé. Rien ne permet de penser que la manifestation prévue n’allait pas être pacifique ni qu’empêcher l’auteur d’y participer était justifié au regard de l’article 21 du Pacte. Partant, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient de cet article ont été violés. De ce fait, il n’estime pas nécessaire d’examiner les griefs soulevés au titre de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3), 9 (par. 3) et 21.

9.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est donc tenu, entre autres, de prendre les mesures qui s’imposent pour : a) mener une enquête approfondie et effective sur les brutalités que l’auteur dit avoir subies le 19 décembre 2010 et poursuivre, juger et punir les personnes responsables ; et b) accorder à l’auteur une indemnisation pour les violations subies. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.