Nations Unies

CCPR/C/125/D/2254/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

1er mai 2019

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2254/2013 * , * *

Communication présentée par :

Marco Siervo Sabarsky

Au nom de :

Marco Siervo Sabarsky

État partie :

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication :

10 juin 2013

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 2 novembre 2012 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 mars 2019

Objet :

Procédure pénale et liquidation d’une maison de courtage

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; autre instance internationale d’enquête ou de règlement

Question(s) de fond :

Droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial ; détention provisoire ; droit à un recours utile ; égalité devant la loi et non‑discrimination

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 9, 14 (par. 1 et 3), 15, 16 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Marco Siervo Sabarsky, ressortissant de la République bolivarienne du Venezuela, né en 1967. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2, 3), 15, 16 et 26 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 août 1978.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était directeur et actionnaire de Venevalores Casa de Bolsa, C.A., société vénézuélienne de bourse et de courtage de valeurs mobilières qui a été constituée en 2007.

2.2La Commission nationale des valeurs mobilières, qui porte aujourd’hui le nom de Direction nationale des valeurs mobilières (SNV), a porté plainte contre plusieurs entreprises ou sociétés de bourse pour infraction cambiaire, au nombre desquelles, initialement, ne figurait pas la société Venevalores. Cependant, le 17 mai 2010, le troisième tribunal de première instance de Caracas a ordonné une perquisition des locaux de Venevalores. Le 19 mai 2010, des membres de la police et du ministère public ont perquisitionné les locaux de Venevalores et ont arrêté l’administrateur et l’actionnaire, sans mandat. Il a été détenu pendant trois jours.

2.3Le 22 mai 2010, un juge du seizième tribunal de première instance chargé du contrôle de la circonscription pénale de la zone métropolitaine de Caracas a prononcé la nullité de la décision de placement en détention, au motif du non-respect des prescriptions de l’article 44 de la Constitution. Malgré cela, l’auteur a fait l’objet d’une mesure judiciaire de détention provisoire après avoir été inculpé d’infractions cambiaires et d’association illicite pour le compte de la société Venevalores, en application de la loi relative aux infractions cambiaires, qui avait été modifiée le 17 mai 2010.

2.4Le 4 juin 2010, la Direction nationale des valeurs mobilières a autorisé la mise sous tutelle de Venevalores et la cessation de ses activités, et a commencé à l’administrer. Au nombre des motifs invoqués par la Direction nationale des valeurs mobilières figurait le fait que les opérations réalisées par Venevalores pourraient avoir été contraires à la loi relative aux infractions cambiaires et, partant, avoir causé un préjudice à ses créanciers et à ses clients et porté atteinte à l’intégrité du marché des titres dans son ensemble.

2.5Le 5 novembre 2010, les actionnaires de Venevalores ont tenu une assemblée générale à laquelle l’auteur n’a pas été en mesure de participer et où il n’a pu que se faire représenter par ses avocats. Lors de cette assemblée générale, la Direction nationale des valeurs mobilières a nommé un administrateur et a recommandé la dissolution et la liquidation de la société Venevalores, qui ont finalement été ordonnées par la Direction nationale des valeurs mobilières le 9 novembre 2010.

2.6Le 19 novembre 2010, l’administrateur nommé par la Direction nationale des valeurs mobilières a décidé d’engager les procédures nécessaires pour dissoudre la société Venevalores, bien que l’enquête administrative et la procédure pénale n’étaient pas achevées.

2.7Le 17 mai 2011, l’auteur a introduit un recours administratif en annulation devant le deuxième tribunal administratif, par lequel il contestait la validité des décisions de la Direction nationale des valeurs mobilières d’autoriser la mise sous tutelle et la dissolution de Venevalores, affirmant qu’il avait été porté atteinte à son droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence.

2.8En mai 2011, l’auteur a soumis une communication au Groupe de travail sur la détention arbitraire. Le 30 août 2011, le Groupe de travail a conclu que la privation de liberté avait été arbitraire et contraire aux articles 2 (par. 3), 9, 10, 14, 15 et 26 du Pacte.

2.9L’auteur a demandé au cinquième tribunal de première instance de Caracas de substituer à la mesure de privation de liberté dont il faisait l’objet une mesure d’assignation à domicile car il avait une affection cardiovasculaire, demande qui a finalement été acceptée le 30 septembre 2011. La procédure en première instance était toujours en cours au moment de la soumission de la présente communication.

2.10Le 19 mai 2012, cela faisait deux ans que l’auteur faisait l’objet de mesures de privation de liberté à titre préventif, durée supérieure à la durée maximale autorisée par l’article 244 du Code de procédure pénale. En dépit de cela, ainsi que de l’avis rendu par le Groupe de travail sur la détention arbitraire, cette mesure préventive a été prolongée de deux ans, à la demande du ministère public.

2.11Le 9 août 2012, il a été procédé à la dissolution de Venevalores, sans participation directe des actionnaires et malgré la viabilité financière de la société.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les articles 9 (par. 1), 14 (par. 1, 2 et 3), 15, 16, 26 et 2 (par. 3) du Pacte.

3.2En ce qui concerne l’article 9 du Pacte, l’auteur affirme que son arrestation et sa détention subséquente étaient arbitraires car il a été arrêté sans mandat, emprisonné pendant seize mois puis assigné à domicile. Le 19 mai 2012, l’auteur avait été en détention provisoire pendant deux ans, ce qui excédait la durée maximum de deux ans prévue par la législation interne. Cependant, la mesure préventive a été prolongée pour une période de deux ans.

3.3Dans le cadre des procédures pénales, les procureurs comme les juges avaient un statut temporaire et pouvaient donc être révoqués à tout moment sans procédure disciplinaire. Cette situation constitue une violation du droit de toute personne de voir sa cause entendue par un tribunal indépendant et impartial, qui est consacré par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Les juges chargés de l’affaire ont été changés quatre fois en quinze mois. Par ces changements, le pouvoir exécutif de l’État partie a cherché à s’immiscer dans les procédures et à faire en sorte que l’auteur soit, à terme, condamné pour des infractions inexistantes.

3.4L’auteur affirme également que son droit d’être jugé sans retard excessif, qu’il tient du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte, a été violé. Deux ans après son arrestation, le procès en première instance est pendant et on ne sait pas quand les audiences auront lieu. Ce retard est imputable aux autorités de l’État partie, qui n’ont pas respecté les délais maximums prévus pour la tenue des audiences − lesquelles courent à compter de la date d’arrestation de l’accusé −, car elles n’ont pas été en mesure de constituer un tribunal composé de juges experts et de juges non professionnels (escabinos). Le volume de travail important dont un tribunal peut avoir à s’acquitter ou les problèmes administratifs qui peuvent se poser concernant son fonctionnement n’exonèrent pas l’État partie de ses obligations découlant du Pacte relatives au droit d’être jugé sans retard excessif.

3.5L’auteur affirme que la nouvelle loi réprimant les infractions cambiaires, adoptée le 17 mai 2010, soit le jour même où la perquisition des locaux de Venevalores a été ordonnée, lui a été appliquée rétroactivement, en violation de son droit à une procédure régulière et du principe nulla poena sine praevia lege, consacré à l’article 15 du Pacte. Les actes qui lui étaient imputés étaient licites et conformes à la loi de 2007 relative aux infractions cambiaires.

3.6L’auteur fait valoir que son droit à la reconnaissance de sa capacité juridique a été violé et que les mesures préventives qui lui ont été appliquées l’ont privé de la possibilité de défendre dûment ses droits et ses intérêts dans le cadre de la procédure administrative, ce qui constitue une violation de l’article 16 du Pacte. De plus il n’a pu ni accorder un pouvoir légal de représentation, ni faire enregistrer la procuration correspondante en vue de participer aux assemblées d’actionnaires de Venevalores, ni accomplir d’autres actes personnels tels qu’autoriser son enfant mineur à quitter le pays.

3.7L’auteur fait valoir en outre que l’article 14 du Pacte est également applicable aux procédures civiles, en l’espèce à la procédure de mise sous tutelle et de dissolution de Venevalores, qui a eu des conséquences directes sur les droits qui lui sont garantis par le Pacte. Il affirme également qu’au cours de ces procédures, les garanties prévues aux paragraphes 1, 2 et 3 c) et d) de l’article 14 n’ont pas été respectées. S’agissant de la mise sous tutelle et de la dissolution de la société commerciale, les autorités ont manqué d’indépendance et d’impartialité. Ni l’autorité administrative concernée ni les autorités judiciaires compétentes n’avaient examiné et établi la réalité des infractions qui avaient supposément justifié la mise sous tutelle de Venevalores. L’auteur affirme qu’il n’a jamais disposé des moyens voulus pour préparer sa défense et qu’il n’a pas pu participer pleinement à la procédure, par exemple présenter des éléments de preuve, car aucune audience n’a été tenue après que l’autorité concernée a décidé de dissoudre et de liquider la société Venevalores. Enfin, il indique que le recours qu’il a formé devant le tribunal administratif contre la décision de la Direction nationale des valeurs mobilières est toujours pendant et qu’il a pris un retard excessif.

Nouveaux commentaires de l’auteur

4.1Le 4 avril 2014, l’auteur a indiqué que, le 6 mars 2014, le cinquième tribunal de première instance chargé du contrôle de la circonscription pénale de la zone métropolitaine de Caracas avait prononcé le non-lieu dans l’action engagée contre lui, au motif que les faits imputés n’étaient pas constitutifs d’une infraction, à savoir qu’ils n’étaient pas qualifiés d’infraction par la législation vénézuélienne en vigueur. D’après l’auteur, cette information renforce son argument selon lequel les faits décrits dans la communication constituent des violations de son droit à la liberté individuelle et à une procédure régulière, ainsi que de son droit de ne pas faire l’objet d’une application rétroactive de la législation pénale. Compte tenu de ce que les faits imputés ne constituaient pas une infraction, rien ne justifiait la conduite, pendant près de quatre ans, d’une procédure pénale pendant laquelle l’auteur a été privé de liberté. Le non-lieu prononcé met en évidence que la privation de liberté était totalement dénuée de fondement et que cette mesure était arbitraire et illégitime.

4.2L’auteur communique en outre au Comité des renseignements concernant le retard pris dans la procédure de contentieux administratif portant sur la décision de liquidation de Venevalores. Dans le cadre de ce procès, la chambre politico-administrative du Tribunal suprême de justice a rendu une décision en deuxième instance par laquelle elle déboutait l’auteur de son recours en annulation de la décision de liquidation. L’auteur dénonce une violation, dans la procédure de contentieux administratif, du droit d’accéder à la justice sans retard excessif, le tribunal saisi de l’affaire ayant pris près d’un an pour rendre son jugement. Après que le jugement a été rendu et que l’affaire a été portée en deuxième instance, les mêmes irrégularités et violations ont été commises pendant cette procédure d’appel, du fait du retard injustifié prise par celle-ci.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

5.1Dans des observations en date du 29 décembre 2015, l’État partie fait valoir que la communication est irrecevable car elle est incompatible avec le Pacte ratione personae et ratione materiae, étant donné que le Comité n’est pas compétent pour connaître d’affaires relevant du droit privé et financier qui concernent une société. Il rappelle l’observation générale no 31 (2004) du Comité sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il est précisé que « le fait que la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu […], n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits » (par. 9). Cette approche permet, dans des cas exceptionnels, à un individu de faire valoir qu’une violation des droits d’une personne juridique peut constituer une violation de droits individuels, à condition que ces droits ne puissent être exercés que collectivement avec autrui, ou par la création de personnes morales. Elle n’englobe pas la protection de la valeur financière des actions d’une entreprise en faillite, et n’offre pas non plus aux actionnaires de garantie contre la levée du voile social, notamment.

5.2L’État partie soutient également que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes disponibles en ce qui concerne la procédure pénale dont l’auteur a fait l’objet et la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation de Venevalores. Pour ce qui est de la procédure pénale, elle n’a pas été prolongée ou retardée arbitrairement ou illégalement. Les allégations de l’auteur portent sur le retard pris dans la constitution du tribunal, lequel, une fois modifiée la législation relative à la procédure pénale, devait comprendre des citoyens convoqués comme juges non professionnels. L’institution du juge non professionnel constitue une garantie offerte par le nouveau système pénal vénézuélien car elle permet de faire en sorte que les professionnels du droit ne soient pas les seuls à être habilités à connaître d’une affaire donnée, mais que des citoyens qui sont sur un pied d’égalité avec les parties concernées le soient aussi. Les juges non professionnels statuent conjointement avec le juge professionnel sur la culpabilité ou l’innocence de la personne jugée, mais seul le juge professionnel peut qualifier les faits et déterminer la peine applicable en cas de déclaration de culpabilité. En outre, le système de procédure pénale prévoit la possibilité qu’un accusé demande à être jugé par un tribunal à juge unique lorsque, après cinq convocations, il ne s’est pas présenté un nombre suffisant de citoyens pour constituer un tribunal mixte. En l’espèce, l’auteur de la communication n’a jamais soumis de demande tendant à ce qu’il soit jugé par un tribunal à juge unique et à ce qu’il renonce à son droit d’être jugé par des juges non professionnels. Le processus de sélection des juges non professionnels n’a causé aucun préjudice à l’auteur car il a été mené en parfaite conformité avec la législation en vigueur. De plus, l’auteur aurait pu se prévaloir des recours constitutionnels, soit au motif qu’une erreur manifeste d’interprétation de la Constitution avait été commise dans le cadre de la procédure pénale menée contre lui, soit au motif qu’une norme n’avait pas été interprétée ou appliquée comme elle le devait, ces recours étant le recours constitutionnel en amparo, qui permet de remédier aux omissions du Tribunal suprême de justice, et le recours extraordinaire en révision, qui permet de contester un jugement de cassation.

5.3En ce qui concerne l’épuisement des recours internes dans le cadre de la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation de Venevalores, l’État partie fait valoir que cette affaire concerne des droits relatifs aux sociétés commerciales. Il indique, à cet égard, que le recours administratif par lequel Venevalores demande l’annulation de la décision administrative de la Direction nationale des valeurs mobilières d’ordonner la liquidation de cette société a été formé au nom de la personne morale, et non de l’auteur. L’État partie indique également qu’en octobre 2012, le deuxième tribunal administratif a rendu une décision concernant le recours en annulation mentionné précédemment, mais que les procédures internes disponibles pour contester la décision administrative de liquider la société commerciale Venevalores n’ont pas encore été épuisées ; parmi celles-ci figurent le pourvoi en cassation administrative contre le jugement rendu en appel, ou, en dernier recours, le recours constitutionnel en révision.

5.4En ce qui concerne les faits, l’État partie affirme que l’enquête contre Venevalores a été ouverte à la suite d’une plainte qui dénonçait des irrégularités qui auraient été commises par cette société commerciale. Comme suite à cette plainte, le ministère public a sollicité la délivrance d’un mandat de perquisition auprès de l’autorité judiciaire afin de pouvoir recueillir des preuves dans le cadre de l’enquête visant Venevalores. Dans ce contexte, il a été procédé à l’arrestation de l’auteur, qui a été dûment présenté devant un tribunal. Par la suite, le ministère public a soumis un acte d’accusation visant l’auteur pour la commission des infractions de commerce illicite de devises et d’association de malfaiteurs, prévues et punies par le paragraphe 2 de l’article 9 de la loi relative aux infractions cambiaires, qui était en vigueur au moment des opérations réalisées par Venevalores, et par l’article 6 de la loi organique contre le crime organisé. Le dixième tribunal de la zone métropolitaine de Caracas a autorisé l’ouverture du procès, mais a remplacé, dans l’acte d’accusation, l’infraction d’association de malfaiteurs par celle d’association criminelle. L’État partie indique également que, suite à une requête de l’auteur déposée le 14 juillet 2010, le seizième tribunal de première instance chargé du contrôle de la circonscription pénale de la zone métropolitaine de Caracas a ordonné l’assignation à domicile de celui-ci. Le 31 août 2012, le cinquième tribunal de première instance chargé du contrôle a accordé une mesure préventive de substitution non privative de liberté, consistant en l’obligation de se présenter au siège du tribunal tous les quinze jours et en l’interdiction de quitter le pays et la région métropolitaine de Caracas. L’État partie ajoute que les conditions de détention de l’auteur étaient conformes aux normes relatives aux droits de l’homme. En outre, le 20 janvier 2014, dans le cadre d’un recours en appel formé par l’auteur contre le jugement rendu en première instance prorogeant les mesures de contrainte, la dixième chambre de la cour d’appel de la circonscription pénale de la zone métropolitaine a conclu que cette prorogation avait été décidée dans le délai fixé par la loi et conformément aux règles de procédure en vigueur, compte tenu de la complexité des infractions et de l’enquête y relative, ainsi que des retards pris dans la procédure du fait des recours exercés par l’auteur et des autres actions engagées par celui‑ci.

5.5Pour ce qui est des informations concernant le non-lieu prononcé dans l’affaire pénale relative aux faits pour lesquels l’auteur avait fait l’objet d’une enquête, l’État partie affirme qu’au moment où l’enquête a été ouverte, le 14 mai 2010, les faits de commerce illicite de devises imputés à l’auteur étaient incriminés par l’article 9 de la loi relative aux infractions cambiaires. Les opérations qui ont fait l’objet d’une enquête ont été réalisées au cours des mois de novembre et de décembre 2009, ainsi que de janvier à mai 2010, et elles étaient prévues et punies par la loi relative réprimant les infractions cambiaires qui était en vigueur à l’époque. Les dispositions portant réforme partielle de la loi relative aux infractions cambiaires n'ont donc pas été appliquées rétroactivement. L’État partie affirme que l’auteur s’est vu appliquer la garantie constitutionnelle du principe de la loi pénale la plus favorable, en vertu de laquelle l’accusé se voit appliquer rétroactivement la loi pénale qui lui est la plus favorable.

5.6Pour ce qui est des allégations de l’auteur fondées sur l’article 9 du Pacte, l’État partie affirme que le tribunal ayant constaté qu’un acte passible d’une peine privative de liberté avait été commise au regard de l’article 9 de la loi relative aux infractions cambiaires, et qu’il existait des motifs sérieux de penser que l’accusé était l’auteur de ces actes, et s’étant livré à une appréciation raisonnable du risque que celui-ci tente de fuir ou de faire obstacle à la manifestation de la vérité, il a appliqué l’article 236 du Code de procédure pénale.

5.7S’agissant des allégations de l’auteur concernant le manque d’indépendance et d’impartialité des organes qui ont statué sur la question de son maintien ou non en liberté, l’État partie fait observer que le pouvoir judiciaire est autonome, indépendant et impartial, qu’il existe des garanties portant sur l’autonomie fonctionnelle, financière et administrative de la magistrature, et que la profession judiciaire est organisée selon des modalités qui assurent la stabilité d’emploi, l’avancement au mérite et le caractère adéquat de la rémunération. Le processus de restructuration du pouvoir judiciaire mené dans le cadre de ce dispositif législatif et institutionnel a impliqué de nommer des juges à titre temporaire afin de pourvoir les postes vacants et assurer la continuité du système d’administration de la justice. Ainsi, les juges temporaires qui exerçaient des fonctions judiciaires pouvaient, s’ils remplissaient certaines conditions, intégrer la profession judiciaire et bénéficier des avantages qui s’y rattachent, dont le droit à la stabilité d’emploi et à l’inamovibilité. Cependant, ce processus de restructuration, qui implique l’organisation d’un concours de recrutement pour chaque poste, est particulièrement complexe compte tenu du nombre de tribunaux existants, des nouveaux domaines de compétence créés à partir de 2000 et de la nécessité de faire en sorte que tous les concours soient conformes aux dispositions de la Constitution. L’État partie fait valoir que dans ces circonstances, il a dû prendre les dispositions nécessaires pour garantir les droits relatifs au système judiciaire énoncés dans la Constitution. Dans ce contexte, les juges provisoires exercent leurs fonctions à titre temporaire, après examen de leurs antécédents, mais sans avoir passé de concours public, de sorte que l’absence de garantie de stabilité d’emploi et d’inamovibilité est pleinement justifiée.

5.8L’État partie fait valoir que les personnes morales ne sont pas couvertes par le Pacte ou son Protocole facultatif en tant que victimes potentielles de violations des droits de l’homme. En outre, lorsque les garanties de procédure prévues par l’article 14 du Pacte sont étendues aux procédures relatives à des droits de caractère civil ou administratif, cela n’implique pas que les personnes morales puissent être considérées comme des victimes de violations des droits de l’homme. L’État partie rappelle au Comité que l’auteur a allégué que les garanties d’une procédure régulière avaient été violées du fait de l’absence de procédure administrative dans la prise de décisions de placement sous tutelle et de liquidation de Venevalores et du fait qu’il n’a pas disposé du temps et des moyens nécessaires pour préparer sa défense. L’État partie rappelle également le jugement no 1894 d’octobre 2012, dans lequel il était indiqué que la procédure administrative par laquelle la société commerciale Venevalores avait été placée sous tutelle puis liquidée devait répondre aux critères établis par la législation nationale régissant le marché des valeurs mobilières, qui comporte une série de normes juridiques et réglementaires portant sur la question complexe du marché vénézuélien des capitaux. Les mesures prises dans le cadre d’une mise sous tutelle visent notamment à contrôler la situation financière de la société commerciale concernée et, en cas de situation difficile, à prendre les mesures voulues pour son redressement ou, dans les cas où cela est indiqué, à ordonner sa liquidation ou sa vente.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

6.1Dans ses commentaires en date du 21 novembre 2016, l’auteur réitère ses précédentes allégations et ajoute que le non-lieu prononcé dans la procédure pénale dirigée contre lui au motif que la conduite qui lui était imputée avait été dépénalisée montre que la loi pénale lui a été appliquée rétroactivement. De plus, l’auteur signale que le recours formé contre la décision du deuxième tribunal administratif le 1er octobre 2012 a été rejeté le 24 février 2016 par la Chambre politico-administrative du Tribunal suprême de justice, où il était resté en souffrance pendant presque quatre ans. En outre, la décision du Tribunal suprême de justice confirmant la décision contestée n’est pas davantage argumentée.

6.2L’auteur affirme que les griefs soulevés dans la communication portent sur les violations directes des droits reconnus dans le Pacte qu’il a subies du fait de sa détention provisoire et des poursuites pénales engagées contre lui et contre Venevalores, dont il était l’actionnaire majoritaire et le président. De plus, en ce qui concerne l’argument de l’État partie qui conteste la compétence ratione materiae du Comité, l’auteur soutient qu’il n’a jamais dénoncé directement de violation du droit à la propriété, mais les violations du droit à une procédure régulière commises dans le cadre de la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation.

6.3L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel la même question a été soumise à une autre instance internationale, à savoir le Groupe de travail sur la détention arbitraire. Ce dernier est un mécanisme relevant des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme qui, selon la jurisprudence du Comité, ne constitue pas une instance internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur signale que l’État partie n’a pas précisé quels recours l’auteur aurait dû épuiser ni expliqué dans quelle mesure lesdits recours auraient pu aboutir dans cette affaire. En outre, l’auteur conteste l’argument selon lequel il aurait pu introduire un recours constitutionnel en amparo pour remédier aux omissions de la décision du Tribunal suprême de justice, ou un recours extraordinaire en révision pour contester un jugement de cassation. L’État partie ne dit pas si ces recours auraient été utiles ou appropriés, et omet de dire que l’auteur a effectivement utilisé les recours pertinents dans son affaire alors qu’il était en détention provisoire, détention qui était prolongée au moment où la communication a été envoyée au Comité, et que les recours mentionnés sont des recours extraordinaires qui, de l’avis du Comité, n’ont pas à être épuisés parce qu’ils ne constituent pas des recours utiles ou ayant une chance raisonnable d’aboutir. L’auteur conteste également l’argument selon lequel il aurait pu demander à être jugé par un tribunal à juge unique plutôt que par des juges non professionnels dans le cadre de la procédure pénale intentée contre lui. Il fait valoir qu’il n’avait pas de raison d’exprimer le souhait d’être jugé par un tribunal à juge unique ni de renoncer à être jugé par des juges non professionnels. En l’espèce, la violation du droit d’être jugé sans retard excessif est le résultat non seulement du retard pris dans la sélection des juges non professionnels qui devaient siéger à l’audience, mais aussi de l’application, dans le cadre de la procédure, de deux textes de loi distincts, à savoir le Code de procédure qui était en vigueur en 2009 et celui qui est entré en vigueur en 2012, qui a supprimé le recours à des juges non professionnels. L’auteur rappelle qu’il s’est passé plus de deux ans sans qu’aucune audience ne soit tenue.

6.5Sur la question de l’épuisement des recours internes dans le cadre de la procédure de contentieux administratif, l’auteur signale que le recours constitutionnel en révision et la cassation administrative sont des recours extraordinaires. De plus, le recours en « cassation administrative » a été suspendu dès son entrée en vigueur par la Chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice, qui l’a finalement annulé. De même, par l’intermédiaire de Venevalores, tous les recours qui étaient disponibles dans le cadre de la procédure de contentieux administratif, à savoir le recours gracieux, un recours visant l’annulation de la décision de la Direction nationale des valeurs mobilières de liquider Venevalores, et un recours en appel de la décision rejetant le recours en annulation, ont été utilisés.

6.6En ce qui concerne les faits, l’auteur signale que le troisième tribunal de première instance chargé du contrôle de la circonscription pénale de la zone métropolitaine de Caracas a ordonné, le 17 mai 2010, une perquisition au siège de Venevalores, qui a été menée deux jours plus tard. Cela signifierait que le tribunal a émis le mandat de perquisition le jour de l’entrée en vigueur de la modification de la loi relative aux infractions cambiaires, qui éliminait de l’article 9 de la loi l’exemption des opérations sur valeurs mobilières de la définition de l’infraction de commerce illicite de devises et qu’il était prévu d’appliquer rétroactivement à des actes réalisés entre novembre 2009 et mai 2010. Ainsi, l’auteur soutient qu’il ne peut aucunement avoir commis l’infraction dont il a été accusé, puisqu’il n’existait pas de loi prévoyant cette infraction en tant que telle. Il est surprenant que le jour même où est publiée une loi élargissant la définition des formes que peut prendre la commission d’une infraction ou de son champ d’application, un tribunal soit déjà saisi d’une demande de mise sous tutelle.

6.7L’auteur soutient que l’État partie n’a fourni aucun élément qui permette de prouver qu’il n’existait pas, pour garantir que la procédure pénale puisse être menée à bonne fin, de mesure moins sévère que la privation de liberté. Il ajoute que la procédure pénale de première instance a duré quatre ans et la procédure de contentieux administratif six ans au total, soit un dépassement des délais légaux dont les raisons n’ont pas été expliquées et qui est imputable à l’État partie lui-même. L’État partie affirme que la nomination de juges à titre temporaire durant le processus de réorganisation de l’appareil judiciaire est une preuve de l’indépendance du pouvoir judiciaire, alors qu’elle a en réalité eu l’effet inverse puisque celui-ci s’est retrouvé dans une situation de transition permanente après dix-sept années de réorganisation. En outre, l’État partie reconnaît que 60 % des juges de la République bolivarienne du Venezuela sont des juges temporaires, qui peuvent être nommés et révoqués librement et ne font pas partie de la magistrature. Ce manque d’indépendance du pouvoir judiciaire s’est aggravé avec le départ du Tribunal suprême de justice, entre octobre 2014 et le 17 février 2016, de 13 juges, qui ont affirmé que l’État partie avait fait pression sur eux pour qu’ils demandent à bénéficier d’une retraite anticipée, afin de rendre des postes vacants pour des juges progouvernementaux, qui seraient désignés en décembre 2016 avant que l’opposition prenne le contrôle de l’Assemblée nationale. L’auteur joint plusieurs rapports d’organismes internationaux qui expriment leur préoccupation au sujet du manque d’indépendance du pouvoir judiciaire dans la République bolivarienne du Venezuela ou qui condamnent sans détour la situation précaire des juges temporaires et leur manque d’indépendance pour statuer sur les droits des personnes.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la même question aurait été soumise à une autre instance internationale de règlement, à savoir le Groupe de travail sur la détention arbitraire. Le Comité fait cependant observer que le Groupe de travail a achevé l’examen de ladite affaire et rendu un avis le 30 août 2011. Par conséquent, le Comité considère que le paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

7.3Le Comité prend note des allégations de l’auteur, qui affirme qu’il présente sa communication à titre personnel et que, en sa qualité d’actionnaire et de directeur de Venevalores, il a été touché personnellement par la procédure de mise sous tutelle et de liquidation de cette société, ainsi que par la procédure pénale intentée à son encontre et qui a été assortie d’une privation de liberté. Le Comité rappelle son observation générale no 31, aux termes de laquelle « le fait que la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications soit restreinte aux seules communications soumises par un individu ou au nom d’un individu n’empêche pas un tel individu de faire valoir que les actions ou omissions affectant des personnes morales et entités similaires constituent une violation de ses propres droits » (par. 9). Le Comité observe que dans la présente affaire, l’auteur agit à titre personnel et non en tant que représentant de Venevalores, en ce qui concerne la procédure pénale qui a été ouverte afin d’enquêter sur les infractions de commerce illicite de devises et d’association de malfaiteurs, qui s’est en définitive soldée par un non-lieu. Il constate en outre que l’auteur affirme être personnellement victime de violations des droits individuels qu’il tient du Pacte, violations qui seraient la conséquence directe de la mise sous tutelle et de la liquidation de Venevalores, et qu’au sujet des griefs qu’il soulève devant le Comité, il a engagé un recours en annulation devant les tribunaux nationaux en son nom propre. Le Comité considère donc que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés parce que l’auteur aurait pu exercer des recours constitutionnels dans le cadre de la procédure pénale intentée à son encontre. Le Comité fait cependant observer que l’État partie n’a pas précisé quel type de recours disponibles et utiles l’auteur aurait dû épuiser. Le Comité prend note également des affirmations de l’auteur, que l’État partie n’a pas réfutées, selon lesquelles ni le recours constitutionnel en amparo, qui permet de remédier aux omissions du Tribunal suprême de justice ni le recours extraordinaire en révision, qui permet de contester un jugement de cassation, n’étaient disponibles. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur a épuisé les recours internes qui lui étaient ouverts pour faire examiner les griefs qu’il soumet au Comité.

7.5En ce qui concerne le pourvoi en cassation administrative et le recours constitutionnel en révision de la décision du Tribunal suprême dans la procédure de contentieux administratif, qui sont mentionnés par l’État partie, le Comité constate que les deux parties conviennent qu’il s’agit de recours extraordinaires et discrétionnaires. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur, non contestée par l’État partie, selon laquelle le recours en cassation administrative a été suspendu dès son entrée en vigueur par la Chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice, qui l’a finalement annulé. En conséquence, le Comité estime que les recours extraordinaires mentionnés par l’État partie ne sont pas un recours utile aux fins de la présente communication ; il déclare donc la communication recevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 du Pacte seraient applicables à la procédure administrative de mise sous tutelle et de dissolution de Venevalores. L’auteur affirme en particulier que les actionnaires n’ont pas été autorisés à présenter des arguments et des éléments de preuve pour contester le rapport relatif à la mise sous tutelle ; qu’ils n’ont pas été autorisés à consulter les documents nécessaires à la préparation de leur défense ; et que les décisions de mise sous tutelle et de liquidation n’ont pas été motivées. Le Comité rappelle, cependant, que la deuxième phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte protège le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; et que le terme « tribunal », dans cette phrase, « désigne un organe, quelle que soit sa dénomination, qui est établi par la loi, qui est indépendant du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif ou, dans une affaire donnée, qui statue en toute indépendance sur des questions juridiques dans le cadre de procédures à caractère judiciaire ». Étant donné que la SNV est un organe purement administratif dépourvu de telles caractéristiques, le Comité considère que les garanties énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 ne sont pas applicables à la procédure administrative de mise sous tutelle et de liquidation de Venevaloresmenée par cet organe. En conséquence, le Comité considère que les griefs de l’auteur liés à cette procédure sont incompatibles ratione materiae avec les paragraphes 1, 2 et 3 de l’article 14 du Pacte invoqués par l’auteur, et il les déclare irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité note que l’auteur se dit victime d’une violation du paragraphe 2 de l’article 3 du Pacte, sans expliquer pour quelles raisons. Par conséquent, le Comité considère que ce grief n’a pas été suffisamment étayé et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.8Le Comité prend note des allégations de l’auteur qui affirme que le droit à la reconnaissance de sa capacité juridique, reconnu à l’article 16 du Pacte, a été violé du fait de la prolongation injustifiée des mesures préventives qui lui ont été appliquées, le privant de sa capacité à défendre ses intérêts devant les tribunaux et dans d’autres affaires patrimoniales ou personnelles relevant du droit privé, notamment de donner l’autorisation à ses enfants mineurs de quitter le pays. Le Comité estime que ces griefs n’ont pas été suffisamment expliqués et étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9S’agissant des allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte, selon lesquelles il aurait reçu un traitement inégal du fait de violations du droit à une procédure régulière, le Comité, ayant constaté que les garanties procédurales énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte ne s’appliquaient pas à la procédure de mise sous tutelle et de liquidation de Venevaloreset tenant compte du fait que l’auteur n’a pas indiqué en quoi ladite procédure avait constitué une discrimination par rapport à d’autres acteurs du marché, ni quel était le motif de discrimination invoqué, considère que ce grief n’a pas été suffisamment étayé et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10Le Comité considère en revanche que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 9, des paragraphes 1 et 3 de l’article 14, et de l’article 15 du Pacte, concernant la détention arbitraire dont il aurait fait l’objet et les poursuites judiciaires engagées contre lui. Il déclare donc que cette partie de la communication est recevable et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il a été arbitrairement et injustement privé de liberté, en violation de l’article 9 du Pacte. L’auteur soutient en particulier que le motif invoqué pour justifier la privation de liberté était la commission d’un fait qui ne constituait pas une infraction au regard de la loi en vigueur au moment des faits reprochés ; que la privation de liberté à titre préventif dont il a fait l’objet constituait une violation des dispositions de la loi de procédure pénale en vigueur, qu’aucun mandat ne lui avait été présenté et que les délais légaux de présentation devant un juge et la durée maximale de la détention sans jugement n’avaient pas été respectés. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les critères juridiques permettant d’ordonner le placement d’une personne en détention provisoire ont été respectés et toutes les décisions concernant sa liberté individuelle ont été dûment confirmées par les organes judiciaires concernés. Toutefois, le Comité constate, d’après les pièces fournies par l’auteur, que l’État partie n’a pas contestées, que le 22 mai 2010, le juge temporaire du seizième tribunal de première instance chargé du contrôle de la zone métropolitaine de Caracas a déclaré nulle la décision de placement en détention du 19 mai 2010 mais n’a pas ordonné la libération immédiate de l’auteur, lui imposant au contraire une mesure judiciaire de détention provisoire. Le Comité observe également que la décision du tribunal ne contient pas d’arguments concernant un éventuel cas de flagrance, comme l’exige l’article 44 de la Constitution. Pour sa part, le 14 juillet 2010, en réponse à la contestation par l’auteur des mesures préventives qui lui étaient imposées, le seizième tribunal de première instance chargé du contrôle de la circonscription judiciaire pénale de la zone métropolitaine de Caracas a ordonné une mesure d’assignation à domicile. Malgré cela, et comme l’a fait observer le Groupe de travail sur la détention arbitraire, l’auteur, au lieu d’être conduit à son domicile, a été amené à la Brigade d’action spéciale du Corps des enquêtes scientifiques, pénales et criminalistiques, où il est resté détenu jusqu’à ce qu’il soit finalement libéré à une date ultérieure. Le Comité constate que, si l’auteur a eu accès à la justice pour contester la légalité des mesures préventives, les décisions judiciaires par lesquelles il a été privé de liberté n’avaient aucun fondement juridique apparent et n’ont pas été prises dans le respect de la procédure légale en vigueur. À la lumière de ce qui précède, le Comité considère que les droits que l’auteur tient de l’article 9 du Pacte ont été violés.

8.3Le Comité prend note des allégations formulées par l’auteur au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, qui concernent la procédure devant le deuxième tribunal administratif, qui devait statuer sur le recours en annulation de la décision de liquider Venevalores. Le Comité rappelle que la notion d’obligations « de caractère civil » énoncée au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte englobe non seulement les procédures visant à déterminer le bien-fondé de contestations sur les droits et obligations relevant du domaine des contrats, des biens et de la responsabilité civile en droit privé, mais également les procédures concernant des concepts équivalents en droit administratif, tels que l’appropriation de biens privés. Le Comité rappelle également que, chaque fois que le droit interne confie à un organe judiciaire une fonction juridictionnelle, les garanties énoncées dans la première phrase du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, à savoir le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice, sont applicables, et par conséquent, les principes d’impartialité, d’équité et d’égalité consacrés dans cette disposition doivent être respectés. En conséquence, le Comité estime que ces garanties s’appliquent aux procédures judiciaires devant le deuxième tribunal administratif. De même, les garanties énoncées au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte s’appliquent à la procédure pénale qui a été menée contre l’auteur et dans le cadre de laquelle ont été ordonnées une série de mesures préventives qui ont restreint sa liberté individuelle.

8.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles tous les juges qui ont pris part à la procédure pénale et au recours administratif manquaient d’indépendance et d’impartialité, en violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, puisqu’il s’agissait de juges temporaires. Le Comité rappelle que la procédure de nomination des juges et les garanties relatives à leur inamovibilité sont des conditions indispensables à l’indépendance de la justice, et que toute situation dans laquelle le pouvoir exécutif peut contrôler ou diriger le pouvoir judiciaire est incompatible avec le Pacte. À cet égard, la nomination de membres du pouvoir judiciaire à titre provisoire ne saurait dispenser un État partie d’assurer les garanties indispensables à l’inamovibilité des membres ainsi désignés. Indépendamment de la nature de leur nomination, les membres du pouvoir judiciaire doivent être et paraître indépendants. En outre, les nominations à titre provisoire devraient être exceptionnelles et la durée du mandat des juges en question devrait être limitée. Dans la présente affaire, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel le deuxième tribunal administratif était composé de juges qui avaient été nommés à titre temporaire et qui pouvaient être démis de leurs fonctions sans motif ni procédure et sans possibilité de faire appel, selon la jurisprudence de la Chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice. Le Comité note également que, dans le cadre de la procédure pénale engagée contre l’auteur, les juges chargés de l’affaire ont été remplacés quatre fois en quinze mois. Le Comité prend note de l’argument avancé par l’État partie selon lequel la nomination de juges temporaires est pleinement justifiée dans le cadre de la réorganisation du pouvoir judiciaire, qui vise à mettre en œuvre la volonté de l’Assemblée constituante concernant le système d’administration de la justice. Le Comité note en outre que le processus de réorganisation du pouvoir judiciaire, en cours depuis 1999, a prolongé de manière excessive la mise en place effective d’un système judiciaire qui permette de garantir la compétence, l’inamovibilité et l’indépendance des juges. L’État partie n’ayant pas communiqué d’informations pour réfuter les allégations de l’auteur ou démontrer l’existence de garanties relatives à l’inamovibilité des juges, en particulier de garanties protégeant les juges en question contre la révocation discrétionnaire, et compte tenu du contexte dans lequel a eu lieu la mise sous tutelle de la société de l’auteur, le Comité considère, au vu des informations dont il dispose, que les juges du deuxième tribunal administratif et ceux qui ont pris part à la procédure pénale intentée contre l’auteur ne jouissaient pas des garanties nécessaires d’indépendance prévues au paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, en violation de cette disposition.

8.5Concernant les allégations de l’auteur concernant son droit à être jugé sans retard excessif, garanti au paragraphe 3 de l’article 14 du Pacte, le Comité relève que l’auteur a fait l’objet de mesures restreignant sa liberté ou le privant de liberté, sans avoir été jugé ni condamné pour les infractions dont on l’accusait. Si l’auteur a pu exercer son droit de contester la décision judiciaire de placement en détention, le retard a été le résultat, pour partie, de la mise en œuvre inefficace par l’État partie de la loi de procédure pénale qui devait permettre aux accusés d’être jugés par des tribunaux mixtes, composés à la fois de juges experts et de citoyens convoqués comme juges non professionnels. Les allégations formulées par l’auteur à ce sujet n’ont pas été contestées par l’État partie, qui n’a pas non plus apporté d’arguments pour justifier le retard pris dans la constitution du tribunal mixte que prévoyait la loi de procédure pénale en vigueur. Le Comité considère que, bien que la durée de la procédure pénale, soit environ quatre ans, puisse paraître normale compte tenu des infractions très complexes dont l’auteur était accusé et sur lesquelles ont porté l’enquête et le procès, les retards dans la mise en œuvre de la loi de procédure pénale − et en particulier dans la constitution du tribunal − ont porté atteinte au droit de l’auteur d’être jugé sans retard excessif et, partant, ont eu des répercussions sur la privation de liberté dont il a fait l’objet. Le Comité rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure judiciaire doit être évalué au cas par cas, compte tenu de la complexité de l’affaire, du comportement de l’accusé et de la manière dont les autorités administratives et judiciaires ont traité l’affaire. Dans les circonstances de l’espèce, il estime que l’État partie, dans ses observations, n’a pas expliqué de manière satisfaisante en quoi les retards pris dans la procédure seraient imputables au comportement de l’auteur ou à la complexité de l’affaire. Par conséquent, le Comité considère que la procédure engagée contre l’auteur a subi un retard injustifié, contraire aux dispositions du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte.

8.6Le Comité, ayant constaté une violation des articles 9 et 14 du Pacte, n’estime pas nécessaire d’examiner séparément le grief de violation de l’article 15 du Pacte concernant les mêmes faits.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 9 et des paragraphes 1 et 3 c) de l’article 14 du Pacte.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a notamment l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. À cet égard, l’État partie doit garantir à l’auteur une procédure judiciaire conforme aux garanties établies par l’article 14 du Pacte. Il doit également offrir à l’auteur une indemnisation adéquate pour les violations qu’il a subies et dont les présentes constatations font état. Il est en outre tenu de prendre les mesures nécessaires pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.