Nations Unies

CCPR/C/120/D/2640/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 août 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2640/2015 * , **

Communication présentée par :

R I. H et S. M. D. (représentés initialement par le Conseil danois pour les réfugiés, puis par Advokatkompagniet)

Au nom de :

Les auteurs et leurs quatre enfants

État partie :

Danemark

Date de la communication :

6 août 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 6 août 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 juillet 2017

Objet :

Expulsion du Danemark vers la Bulgarie

Question(s) de procédure :

Degré de fondement des griefs

Question(s) de fond :

Torture et mauvais traitements

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1Les auteurs de la communication sont R. I. H., né le 10 avril 1971, et son épouse, S. M. D., née le 15 avril 1971. Ils présentent la communication en leur propre nom et au nom de leurs quatre enfants, dont deux sont mineurs : R. R. H., né le 1er janvier 2002, et M. R. H., né le 1er janvier 2003. Les auteurs ont deux enfants majeurs, Ri. R. H., né le 7 août 1996, et Ra. R. H., né le 3 avril 1995.

1.2La famille se trouve actuellement au centre d’asile de Sandholm, à Birkerød. Leur expulsion vers la Bulgarie, où ils bénéficient d’une protection subsidiaire, était prévue pour le 6 août 2015. Les auteurs affirment qu’en les expulsant vers la Bulgarie, le Danemark commettrait une violation des droits qui leur sont reconnus par l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976. Les auteurs étaient représentés initialement par le Conseil danois pour les réfugiés et le sont à présent par Advokatkompagniet.

1.3La communication a été enregistrée le 6 août 2015. En application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion des auteurs vers la Bulgarie tant que la communication serait à l’examen. Le 7 août 2015, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ des auteurs du Danemark, comme suite à la demande du Comité.

1.4Le 8 février 2016, dans le cadre de ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie a demandé au Comité de reconsidérer sa demande de mesures provisoires. Le 2 mai 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de levée des mesures provisoires que lui avait adressée l’État partie.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs, originaires de République arabe syrienne, ont fui le pays ensemble pour obtenir une protection en Europe. Ils sont entrés au Danemark en janvier 2015. Les 21 avril et 11 juin 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté leurs demandes de titres de séjour. Le 3 août 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé les décisions du Service de l’immigration.

2.2En Bulgarie, les auteurs étaient enregistrés en tant que demandeurs d’asile ; ils ne recevaient toutefois aucune aide et devaient s’acheter eux-mêmes leur propre nourriture. Ils disposaient uniquement de douches et de toilettes communes et il leur est arrivé de ne pas avoir d’eau courante pendant dix jours. Les gardes du centre ne s’adressaient pas aux requérants avec respect, et les enfants n’avaient pas le droit d’aller à l’école.

2.3 Les auteurs n’avaient pas eu eux-mêmes besoin de recevoir de soins médicaux pendant leur séjour en Bulgarie, mais un ami de Ra. R. H, le fils aîné de l’auteur, était décédé, personne n’ayant appelé les secours au moment où il en avait eu besoin. Cet ami était mort environ une semaine après que les auteurs eurent quitté la Bulgarie. Le fils aîné avait reçu une photo de son ami décédé et cela l’avait profondément affecté psychologiquement.

2.4En outre, des individus appartenant au parti dit « des chauves » avaient attaqué un centre d’asile situé à une trentaine de minutes du lieu où résidaient les auteurs. D’après ces derniers, les membres de ce parti haïssent les réfugiés et les demandeurs d’asile.

2.5Lorsque les membres de la famille avaient reçu leurs titres de séjour en Bulgarie, en novembre 2014, on leur avait demandé de signer un document par lequel ils s’engageaient à quitter le centre d’asile dans un délai de quatorze jours. En tant que demandeurs d’asile, ils recevaient chaque mois la somme de 65 leva (environ 13 euros). Cette aide leur avait été supprimée lorsqu’ils avaient obtenu leur permis de séjour. Les auteurs n’avaient bénéficié d’aucune autre forme d’assistance. Ils étaient restés au centre d’asile où, tous les deux jours, des gardes venaient les menacer de les expulser de force s’ils ne quittaient pas les lieux de leur propre chef. Ils n’avaient nulle part où aller et n’avaient reçu aucune aide.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment qu’en les expulsant vers la Bulgarie, l’État partie commettrait une violation des droits qui leur sont reconnus par l’article 7 du Pacte. Ils soutiennent qu’ils devraient être considérés comme vulnérables compte tenu du jeune âge de leurs deux enfants mineurs. Ils disent craindre qu’un renvoi en Bulgarie ne les expose, eux et leurs enfants, à des traitements inhumains ou dégradants contraires à l’intérêt supérieur des enfants, puisqu’ils se retrouveraient sans abri ni ressources, ne pourraient pas bénéficier de soins de santé et ne seraient pas en sécurité dans ce pays, où ils n’ont pu trouver de solution humanitaire à long terme.

3.2 Les auteurs ne souhaitent pas retourner en Bulgarie, où ils ne pourraient pas bénéficier de soins de santé, même en cas d’extrême urgence. Dans ce pays, les enfants des auteurs ne peuvent pas non plus être scolarisés et les auteurs eux-mêmes n’ont pas accès à l’emploi. Les auteurs disent que la famille ne vivrait donc pas dans des conditions convenables.

3.3Les auteurs ajoutent qu’en Bulgarie, les demandeurs d’asile ne sont pas accueillis dans de bonnes conditions. Bien qu’en théorie, il existe officiellement un programme d’intégration, et s’il est vrai que la législation nationale autorise l’accès des demandeurs d’asile au marché du travail, au système de santé, aux services sociaux et à l’aide au logement, en réalité, il est quasi impossible pour ce groupe de population de trouver un emploi ou un logement sûr. D’après les auteurs, plusieurs organisations telles qu’Asylum Information Database et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ont fait savoir que les personnes qui avaient obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire en Bulgarie n’avaient pas la possibilité de s’intégrer au sein des collectivités locales et de trouver des solutions à long terme. Les réfugiés et les personnes qui ont obtenu le statut humanitaire doivent faire eux-mêmes l’effort de s’intégrer dans la société locale par leurs propres moyens et avec le peu d’aide qu’ils reçoivent d’organisations non gouvernementales et d’associations de bénévoles. Les conditions d’accueil des enfants, en particulier, ont été jugées spécialement problématiques par le HCR, qui a souligné l’urgence qu’il y avait à assurer l’accès à l’éducation des enfants demandeurs d’asile et des enfants dont on estimait qu’ils avaient besoin d’une protection internationale. D’après certaines informations, les aides qui permettaient de subvenir aux besoins des enfants réfugiés en Bulgarie auraient été supprimées et, en novembre 2013, l’Agence d’aide sociale aurait donné l’ordre à ses différentes antennes locales de ne plus verser, à compter de cette période, les allocations familiales mensuelles, qui étaient jusqu’alors accordées aux personnes ayant le statut de réfugié sans aucune restriction, ni aucune limite. Ces restrictions auraient continué d’être appliquées en 2014.

3.4Une autre organisation a également relevé qu’après avoir accordé le statut de réfugié ou le statut humanitaire (équivalents à une protection subsidiaire), l’État cessait de verser aux intéressés la somme de 65 leva par mois qu’ils recevaient auparavant, lorsqu’ils étaient demandeurs d’asile. Des chercheurs de Human Rights Watch ont ainsi rencontré des personnes ayant obtenu le statut de réfugié qui, faute de logement, occupaient illégalement des bâtiments inachevés, abandonnés, situés aux alentours des centres ouverts. Dans son compte rendu du 15 avril 2014, le HCR a indiqué qu’il y avait encore un vide à combler en matière d’accès à la santé lorsque les demandeurs d’asile recevaient le statut de réfugié ou obtenaient une protection subsidiaire. Ils devaient en outre payer une cotisation mensuelle d’environ 17 leva (8,7 euros) pour bénéficier des services du régime national d’assurance maladie, comme les nationaux. Les médicaments n’étaient pas pris en charge, non plus que les soins psychosociaux. Le manque de logements convenables à un coût abordable était un autre facteur qui touchait particulièrement les personnes ayant obtenu une protection en Bulgarie. D’après les auteurs, en matière d’aide au logement, les réfugiés n’ont accès qu’aux centres d’accueil, où ils ne sont hébergés que pendant six mois à compter de l’obtention du statut de demandeur d’asile. En outre, l’autorité chargée des demandes d’asile expulserait même certains réfugiés dont la période d’hébergement n’est pas encore arrivée à son terme, notamment, selon certaines informations, des groupes vulnérables tels que les personnes malades, handicapées ou âgées, les parents célibataires et les familles ayant des enfants mineurs.

3.5Les auteurs ajoutent que les institutions bulgares n’aident pas les personnes qui viennent d’obtenir le statut de réfugié à s’intégrer dans la société et que, de ce fait, ces personnes se trouvent dans une situation d’extrême vulnérabilité : elles sont particulièrement exposées à l’extrême pauvreté et au chômage, et ont plus de risques de se retrouver sans abri et d’être victimes de comportements xénophobes et racistes et de discrimination.

3.6Bien qu’en 2011, les autorités bulgares aient adopté un programme pluriannuel d’intégration des réfugiés, qui devait être mis en œuvre jusqu’en 2020, une étude nationale a révélé qu’entre 2011 et 2013, la mise en œuvre de la stratégie d’intégration des réfugiés n’avait eu aucun effet. Les autorités bulgares n’ont alloué aucun crédit budgétaire à la mise en œuvre du programme d’intégration en 2014, mettant ainsi un terme au programme. Le HCR a également exprimé des préoccupations à ce sujet, estimant que faute d’une stratégie solide et d’un programme durable permettant d’assurer l’accès à des moyens de subsistance et à un logement abordable, l’acquisition de la langue et l’accès effectif des enfants à l’enseignement scolaire, les personnes bénéficiant d’une protection internationale risquaient de n’avoir pas véritablement de possibilité d’autonomie, et donc de se retrouver sans ressources, ni abri. Amnesty International s’est fait l’écho de ces préoccupations, indiquant que les personnes reconnues comme réfugiées avaient des difficultés d’accès à l’éducation, au logement, à la santé et à d’autres services publics.

3.7Les auteurs craignent en outre d’être agressés par des groupes xénophobes. Ces groupes sont nombreux en Bulgarie, et les autorités publiques n’ont, à ce jour, pris aucune mesure pour remédier à ce problème et ne peuvent pas protéger les demandeurs d’asile contre de telles agressions. Les agressions en question sont devenues plus fréquentes ces derniers temps. Dans un rapport publié en septembre 2014, la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance a exprimé des préoccupations au sujet des discours de haine visant les réfugiés en Bulgarie, notant que les propos racistes et intolérants se faisaient de plus en plus virulents dans le discours politique et que les autorités s’adressaient rarement au public pour faire contrepoids à ces diatribes. Le 11 mars 2014, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé, dans l’affaire Abdu c. Bulgarie(requête no 26827/08), que les autorités bulgares n’avaient pas enquêté comme il se devait sur le caractère potentiellement raciste de l’agression dont avait été victime un ressortissant soudanais. Les auteurs disent que la famille ne se sentirait donc pas en sécurité en Bulgarie, où elle se trouverait sans ressources ; la placer dans une telle situation reviendrait à lui faire subir un traitement inhumain et dégradant, contraire à l’intérêt supérieur des enfants.

3.8Les auteurs renvoient à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Tarakhel c. Suisse(requête no 29217/12), décision dans laquelle la Cour a souligné que les enfants demandeurs d’asile étaient particulièrement vulnérables, même lorsqu’ils étaient accompagnés par leurs parents. Ils renvoient également aux constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 7 du Pacte dans l’affaire Jasin et consortsc. Danemark(communication no 2360/2014, constatations adoptées le 22 juillet 2015). Ils concluent qu’en tant que cellule familiale comptant de jeunes enfants, ils risquent tout particulièrement d’être victimes de traitements inhumains et dégradants en Bulgarie. Ils ajoutent que le risque qu’ils courraient en cas de renvoi est personnel et irréparable, à en juger par les informations générales dont on dispose et ce que la famille a déjà vécu en Bulgarie.

3.9D’après les auteurs, bien qu’il n’existe pas de définition unique des conditions qui relèveraient de la catégorie des traitements inhumains ou dégradants, la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa décision en l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce(requête no 30696/09), a estimé que la situation de dénuement total dans laquelle s’était trouvé le requérant, qui avait vécu dans un parc d’Athènes pendant plusieurs mois sans nourriture, ni équipement sanitaire, constituait un traitement dégradant contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Toujours d’après les auteurs, si les faits de l’espèce diffèrent, l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce tend à confirmer que le fait de se trouver à la rue, dans le dénuement le plus total, peut constituer un traitement inhumain et dégradant. Les auteurs, qui avaient été priés de quitter le centre d’asile, ont senti qu’ils n’avaient d’autre choix que de fuir la Bulgarie, compte tenu des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles vivaient, dans ce pays, les personnes reconnues comme réfugiées.

3.10Les auteurs rappellent qu’il n’existe pas en Bulgarie de programme de réinsertion pour les réfugiés, lesquels vivent donc dans une grande pauvreté, n’ont pas de logement et ont un accès limité aux soins de santé, à l’éducation et à l’emploi. Ils ajoutent que compte tenu de leur expérience personnelle et de leur vulnérabilité en tant que parents de deux enfants mineurs, et à la lumière des renseignements d’ordre général ci-dessus, ils courent un risque réel de se retrouver contraints de vivre dans des conditions d’une nature telle qu’elles constitueraient de mauvais traitements, en violation de l’article 7 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 8 février 2016, l’État partie a déclaré que la communication devait être déclarée irrecevable, ou bien sans fondement. Il a rappelé que les auteurs étaient entrés au Danemark en janvier 2015 sans documents de voyage en cours de validité. Ra. R. H., le fils adulte des auteurs, né le 3 avril 1995, était arrivé au Danemark le 3 février 2015 sans document de voyage en cours de validité. Les auteurs avaient introduit des demandes d’asile les 31 janvier et 3 février 2015, respectivement. Les 21 avril et 11 juin 2015, respectivement, le Service danois de l’immigration, en application de l’article 29 de la loi sur les étrangers, avait rejeté leurs demandes, présentées au titre de l’article 7 de la loi précitée. Les 11 mai et 26 juin 2015, respectivement les auteurs avaient fait appel de ces décisions auprès de la Commission de recours des réfugiés. Le 3 août 2015, la Commission de recours des réfugiés avait confirmé la décision du Service de l’immigration de ne pas accorder le droit de séjour aux auteurs.

4.2L’État partie ajoute que, dans une communication datée du 5 août 2015, les auteurs ont porté l’affaire devant le Comité, avançant que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Le 7 août 2015, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ des auteurs du Danemark, ainsi que le lui avait demandé le Comité.

4.3L’État partie fait valoir que, dans sa décision du 3 août 2015, la Commission de recours des réfugiés a déclaré au sujet des auteurs, R. I. H. et S. M. D., et de leurs deux enfants mineurs, qu’il ressortait de la première phrase du paragraphe 1 de l’article 48a de la loi sur les étrangers que lorsqu’un étranger prétendait relever de l’article 7 [de la loi], le Service danois de l’immigration devait décider au plus tôt de sa non-admission, de son transfert ou de son retransfert, en application des règles énoncées dans la partie 5. En vertu de l’article 29, toute demande de permis de séjour introduite au titre de l’article 7 pouvait être rejetée si l’étranger avait déjà obtenu une protection dans un autre pays relevant du paragraphe 1 de l’article 29a, c’est-à-dire lié par le Règlement Dublin. En l’espèce, la Commission avait considéré comme un fait établi que les requérants avaient obtenu le droit de séjour sous la forme d’une protection subsidiaire en Bulgarie. Il ressortait des notes explicatives du projet de loi no 72 du 14 novembre 2014 sur l’article 29 de la loi sur les étrangers que le refus du droit de séjour au titre de cette disposition n’était autorisé que si les critères permettant de considérer le pays visé comme premier pays d’asile avaient été satisfaits, l’étranger ayant antérieurement obtenu une protection dans ce pays. Une demande de permis de séjour pouvait être rejetée à condition notamment que l’étranger soit protégé contre le refoulement et qu’il puisse entrer et séjourner légalement dans le premier pays d’asile. L’intégrité physique et la sécurité de l’étranger devaient également être garanties, mais on ne saurait exiger que l’intéressé ait exactement le même niveau de vie que les nationaux du premier pays d’asile. En revanche, selon la conclusion no 58 du Comité exécutif du HCR, l’étranger devait être traité conformément aux normes humanitaires de base reconnues dans le premier pays d’asile.

4.4L’État partie ajoute que selon sa jurisprudence, la Commission de recours des réfugiés examine la question de savoir si l’étranger a accès à un logement et à des soins médicaux, s’il peut être employé dans le secteur public ou privé, s’établir librement dans le pays et être propriétaire d’un bien immobilier. En l’espèce, la Commission a établi que les auteurs pourraient entrer et séjourner légalement en Bulgarie, où ils seraient protégés contre le refoulement. Elle a fait observer que le 13 octobre 2014, les auteurs avaient obtenu une protection subsidiaire en Bulgarie, État membre de l’Union européenne et partie à la Convention relative au statut des réfugiés, laquelle fait obligation aux États de respecter le principe de non-refoulement (art. 33, par. 1)).

4.5S’agissant de la situation générale des étrangers ayant obtenu un permis de séjour en Bulgarie, la Commission a estimé qu’en refusant d’admettre les requérants sur son territoire, l’État partie ne les exposerait pas au risque de subir les traitements inhumains ou dégradants prohibés par l’article 4 de la Charte, l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et en Bulgarie l’article 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle a également estimé que l’intégrité physique et la sécurité des auteurs seraient garanties.

4.6Concernant les allégations des auteurs relatives à la violence xénophobe en Bulgarie, la Commission a indiqué que les auteurs pourraient, s’il y avait lieu, demander aux autorités bulgares d’assurer leur protection. Elle a en outre fait observer qu’au cours de leurs entretiens avec les représentants du Service de l’immigration, les 31 mars et 9 juin 2015, les auteurs n’avaient évoqué aucun conflit particulier qu’ils auraient pu avoir en Bulgarie avec des particuliers ou avec les autorités publiques.

4.7La Commission de recours des réfugiés a en outre estimé que la situation socioéconomique générale des réfugiés ayant obtenu un permis de séjour en Bulgarie ne saurait en elle-même exclure la possibilité d’un renvoi des auteurs dans ce pays. Elle a tenu compte des renseignements d’ordre général dont elle disposait, notamment d’un rapport publié par le HCR en décembre 2013, dans lequel on peut lire que les personnes qui ont obtenu le statut de réfugié ou bénéficient d’une protection en Bulgarie jouissent des mêmes droits que les Bulgares. Il ressort en outre d’un rapport sur le système de l’asile en Bulgarie publié par le Conseil danois pour les réfugiés qu’une fois délivré, un permis donne accès au marché du travail et aux prestations sociales, notamment aux indemnités de chômage, bien que, dans la pratique, il soit difficile pour les intéressés de trouver du travail compte tenu de la barrière de la langue et du taux élevé de chômage. Dans son mémorandum sur la situation des demandeurs d’asile et des réfugiés enBulgarie, rédigé en novembre 2014 à la suite de réunions tenues avec des organisations non gouvernementales bulgares, le Conseil danois pour les réfugiés a indiqué que les personnes ayant le statut de réfugié bénéficiaient du régime d’assurance maladie, pour lequel elles devaient néanmoins cotiser. En outre, il ressort d’un rapport publié par le HCR en décembre 2014 que la législation bulgare garantit aux étrangers ayant obtenu une protection internationale le droit de bénéficier des mêmes aides et services sociaux que les Bulgares, ainsi que les mêmes droits en matière de soins de santé, et le droit de souscrire l’assurance maladie de leur choix.

4.8D’après la Commission de recours des réfugiés, la situation des réfugiés en matière de logement est souvent difficile, ceux-ci ne bénéficiant d’aucune aide financière ; en outre, pour obtenir un logement social, au moins un membre de la famille doit être de nationalité bulgare, et la famille doit être enregistrée dans la municipalité souhaitée depuis un laps de temps précis. Les enfants de réfugiés ayant obtenu une protection internationale peuvent être scolarisés, à condition toutefois d’avoir suivi des cours de langue et d’avoir atteint un certain niveau, et seulement si la famille a un domicile fixe.

4.9Compte tenu de ces informations d’ordre général, la Commission de recours des réfugiés n’a pas trouvé matière à remettre en question l’appréciation du Service de l’immigration, qui avait estimé que l’intégrité physique et la sécurité des auteurs seraient garanties en Bulgarie, où la situation socioéconomique devait être considérée comme convenable. Elle a donc estimé que l’expulsion des auteurs vers la Bulgarie ne serait pas contraire à l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

4.10L’État partie rappelle que les auteurs ont obtenu le droit de séjour en Bulgarie en novembre 2014. Il relève en outre qu’après avoir passé quatre mois au centre d’asile, ils ont reçu un permis de séjour valable trois ans. Il considère que les auteurs n’ont pas démontré à première vue que leur communication était recevable au regard de l’article 7 du Pacte, puisqu’ils n’ont pas pu prouver qu’il existait de sérieux motifs de croire qu’ils risqueraient de subir des peines ou des traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie. La communication est donc manifestement dénuée de fondement.

4.11Dans l’éventualité où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie fait valoir que les auteurs n’ont pas présenté d’éléments suffisants pour démontrer que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il rappelle la jurisprudence du Comité, qui définit les critères à respecter pour démontrer l’existence d’un risque, lequel doit être réel et personnel. D’après l’État partie, les auteurs n’ont fait part d’aucune nouvelle information ou observation essentielle concernant leur situation en dehors des éléments déjà pris en considération dans le cadre de la procédure d’asile.

4.12L’État partie rappelle que, pour conclure qu’un pays peut être considéré comme premier pays d’asile selon la procédure Dublin, la Commission de recours des réfugiés exige au minimum que le demandeur d’asile soit protégé contre le refoulement ; l’intégrité physique et la sécurité de celui-ci doivent également être garanties dans le premier pays d’asile, ce qui suppose qu’il faille tenir compte de certains facteurs socioéconomiques. On ne saurait toutefois exiger que les demandeurs d’asile concernés aient exactement le même niveau de vie que les nationaux.

4.13L’État partie rappelle que les déclarations et allégations des auteurs, y compris leurs arguments concernant les conditions de vie, ont été soigneusement examinées par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés. Il souligne en outre que les déclarations des auteurs relatives aux conditions d’accueil en Bulgarie sont uniquement pertinentes pour les personnes qui relèvent de la procédure Dublin ; de telles déclarations n’entrent pas en ligne de compte pour ce qui est de déterminer si un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile des auteurs. Ainsi, la référence faite par les auteurs au rapport national publié par Asylum Information Databaseen janvier 2015 concerne uniquement lesdemandeurs d’asile.

4.14L’État partie ajoute que ni le récit de l’expérience passée des auteurs, ni les renseignements d’ordre général dont on dispose ne permettent de conclure que les auteurs, ainsi qu’ils l’affirment, risqueraient de se retrouver sans abri et de devoir vivre dans la rue s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie. Selon leurs propres dires, les auteurs ont continué d’être hébergés au centre d’asile après avoir obtenu le droit de séjour en Bulgarie et ont été autorisés à rester au centre alors même qu’on les avait priés de quitter les lieux dans un délai de quatorze jours et que la police leur avait donné l’ordre de trouver un autre logement. Ils ne se sont donc pas trouvés à la rue pendant leur séjour en Bulgarie. L’État partie fait observer, en outre, qu’il ressort du rapport Where is my home ? que la qualité de l’hébergement des demandeurs d’asile et des personnes bénéficiant d’une protection après leur départ des centres d’enregistrement et d’accueil dépend directement non seulement de l’emploi et des revenus de ces personnes, mais aussi de leur situation de famille. En règle générale, les propriétaires de logement ont une attitude plus favorable à l’égard des familles de réfugiés, en particulier lorsque celles-ci ont de jeunes enfants. On n’a recensé aucun cas de famille ayant été contrainte de quitter un centre d’enregistrement et d’accueil sans qu’un autre logement lui ait été fourni ou qu’au moins, des fonds lui aient été versés aux fins de la location d’un logement.

4.15Pour ce qui est des allégations des auteurs, fondées sur un rapport, selon lesquelles les autorités bulgares cesseraient de verser une aide mensuelle aux demandeurs d’asile une fois que ceux-ci obtiennent leur permis de séjour, l’État partie souligne que selon la même source d’information, les réfugiés acquièrent les mêmes droits et devoirs que les Bulgares. Au cours de leur séjour, les auteurs recevaient chaque mois, en tant que demandeurs d’asile, la somme de 65 leva ; de plus, selon certaines informations obtenues auprès de sources non étatiques, la somme versée aux personnes bénéficiant d’une protection est équivalente au montant des prestations sociales accordées aux Bulgares, et les personnes reconnues comme réfugiées ont le droit de recevoir une aide financière pendant six mois à compter de la date de la décision rendue en leur faveur.

4.16L’État partie fait valoir, en outre, que les observations des auteurs selon lesquelles ils n’auraient pas pu bénéficier de soins médicaux au cours de leur séjour en Bulgarie reposent uniquement sur des informations sans fondement, et ne cadrent pas avec les renseignements d’ordre général dont on dispose concernant la situation des étrangers bénéficiant d’une protection en Bulgarie. Il en va de même pour l’argument selon lequel les auteurs risqueraient de n’avoir qu’un accès limité aux soins de santé en cas d’expulsion vers la Bulgarie. Selon certaines informations, la législation bulgare garantit aux étrangers ayant obtenu une protection internationale le droit de bénéficier des mêmes aides et services sociaux que les Bulgares, ainsi que les mêmes droits en matière de soins de santé, et le droit de souscrire l’assurance maladie de leur choix. L’État partie fait observer, en outre, que les auteurs n’ont pas demandé à bénéficier d’une assistance médicale ou de services de santé en Bulgarie, ni n’en ont eu besoin.

4.17S’agissant des informations communiquées par les auteurs au sujet d’agressions et de discours racistes, l’État partie fait observer que le Gouvernement bulgare a condamné de tels comportements et pris des mesures pour les réprimer, que le 14 février 2014, à la suite de l’attentat perpétré à la mosquée Dzhumaya, à Plovdiv, le Gouvernement a publié une deuxième déclaration conjointe appelant à instaurer des garanties de paix civile, ethnique et religieuse, et que la police a arrêté plus de 120 personnes en rapport avec l’attentat. À ce propos, l’État partie relève en outre que, dans l’éventualité où ils se heurteraient à des problèmes de racisme, les auteurs pourraient demander aux autorités compétentes d’assurer leur protection. Le fait qu’ils aient dit craindre, par le passé, d’être pris pour cible par le groupe dit « des chauves » ne saurait donner lieu à une appréciation différente. Les auteurs n’ont du reste pas eu eux-mêmes d’ennuis avec ce groupe, ni avec d’autres groupes semblables.

4.18S’agissant de l’observation concernant le manque d’accès à l’éducation et à l’enseignement scolaire, l’État partie note que dans ce domaine, selon les informations disponibles, les demandeurs d’asile âgés de moins de 18 ans sont soumis aux mêmes conditions que les Bulgares, à cela près que pour pouvoir s’inscrire dans une école municipale, les enfants réfugiés et demandeurs d’asile doivent avoir suivi des cours de langue et avoir atteint un certain niveau. L’enseignement obligatoire est gratuit.

4.19Concernant les allégations des auteurs selon lesquelles ils n’auraient pas accès au logement en cas d’expulsion vers la Bulgarie et se retrouveraient très probablement à la rue avec leurs enfants, l’État partie renvoie à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Samsam Mohammed Hussein et autres c. les  Pays-Bas et l ’Italie (requête no27725/10). Dans sa décision, la Cour a estiméque pour apprécier s’il y avait des motifs sérieux de croire que l’intéressé courait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, elle devait appliquer des critères rigoureux et ne pouvait éviter d’apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de cette disposition de la Convention. Dans le même ordre d’idées, la Cour a également estimé (par. 70 et 71) que le simple renvoi d’une personne vers un pays où sa situation économique serait pire que dans l’État contractant qui expulse ne suffisait pas à atteindre le seuil des mauvais traitements prohibés par l’article 3, que l’article 3 ne saurait être interprété comme obligeant les Hautes Parties contractantes à garantir un droit au logement à toute personne relevant de leur juridiction, et que l’on ne saurait en tirer un devoir général de fournir aux réfugiés une assistance financière pour que ceux-ci puissent maintenir un certain niveau de vie.

4.20Pour ce qui est de la référence faite par les auteurs à la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire Tarakhel c. Suisse, l’État partie estime qu’on ne saurait déduire de cette décision que des garanties individuelles doivent être obtenues auprès des autorités bulgares dans la présente affaire, qui concerne le transfert d’une famille ayant déjà obtenu une protection en Bulgarie.

4.21S’agissant des constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark, l’État partie établit une distinction avec les faits de l’espèce, relevant que l’affaire Jasin concernait une femme célibataire ayant des enfants mineurs, dont le permis de résidence en Italie avait expiré. La présente affaire porte sur l’expulsion d’une famille composée d’une mère, d’un père et de deux enfants mineurs, ainsi que de deux enfants majeurs, dont les permis de séjour, encore en cours de validité, leur garantissent à tous une protection subsidiaire en Bulgarie. L’État partie estime donc que ces affaires ne sont pas comparables.

4.22L’État partie affirme donc qu’avant de se prononcer, la Commission de recours des réfugiés a tenu compte de toutes les informations pertinentes et que la communication n’a mis en évidence aucun élément de nature à étayer l’argument selon lequel les auteurs risqueraient, en cas de renvoi en Bulgarie, d’être persécutés ou de subir de mauvais traitements qui justifieraient qu’on leur accorde l’asile. Il rappelle la jurisprudence constante du Comité, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Il affirme qu’en l’espèce, les auteurs cherchent en réalité à obtenir du Comité qu’il agisse comme un organe d’appel et procède à un nouvel examen des éléments de fait invoqués à l’appui de leur demande d’asile. Il n’y a pas matière à remettre en cause l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés selon laquelle les auteurs n’ont pas démontré qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’ils risqueraient d’être soumis à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants s’ils étaient expulsés vers la Bulgarie. Dans ces conditions, l’État partie avance que l’expulsion des auteurs vers la Bulgarie ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Dans leurs commentaires du 11 avril 2016, les auteurs soutiennent que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Ils affirment qu’ils subiraient des traitements inhumains et dégradants en étant contraints de vivre dans la rue, sans accès au logement, à des vivres et à des installations sanitaires, et sans espoir de trouver une solution humanitaire à long terme.

5.2Les auteurs soulignent que l’examen d’une première demande d’asile tient compte non seulement du principe de non-refoulement, mais aussi de la question de savoir si la personne bénéficiant d’une protection internationale est autorisée à rester dans le pays et si elle est traitée conformément aux normes humanitaires de base reconnues jusqu’à ce qu’une solution durable lui soit offerte, comme l’indique le Comité exécutif du HCR dans sa conclusion no 58. Ils font valoir que la Commission de recours des réfugiés n’a pas procédé à une évaluation approfondie des risques qu’ils courraient en cas d’expulsion vers la Bulgarie et, plus particulièrement, qu’elle ne s’est pas attachée à déterminer s’ils seraient traités conformément aux normes humanitaires fondamentales reconnues. Le simple fait que la Bulgarie soit liée par la Convention européenne des droits de l’homme n’implique pas nécessairement qu’elle se conforme aux dispositions de cet instrument.

5.3Les auteurs soulignent en outre que la Commission de recours des réfugiés avait établi précédemment que les familles ayant des enfants mineurs se trouvaient dans une situation de vulnérabilité particulière. Entre octobre 2014 et septembre 2015, la Commission a examiné 72 dossiers de requérants ayant obtenu le statut de réfugié ou une protection subsidiaire en Bulgarie. Elle a accordé l’asile aux intéressés dans 11 cas, compte tenu de la vulnérabilité des familles concernées, de l’absence d’appuis essentiels et du manque de traitements médicaux en Bulgarie. Non seulement la Commission a donc la possibilité d’accorder une protection aux familles nécessitant une attention particulière, mais elle l’a déjà fait.

5.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’étaient pas sans abri, ces derniers soulignent qu’ils n’avaient nulle part où aller et que, lorsqu’ils ont été forcés de quitter le centre d’asile, ils se sont trouvés contraints de migrer une seconde fois, notamment parce qu’ils allaient se retrouver à la rue.

5.5Pour ce qui est des soins médicaux, les auteurs soulignent que, dans plusieurs de ses décisions, la Commission de recours des réfugiés a constaté un manque de soins médicaux adaptés en Bulgarie. Ils ajoutent que le fait que la famille ait ou non demandé à bénéficier d’une assistance médicale ou de soins de santé ou en ait eu besoin n’a aucune incidence sur le point de savoir si le manque de soins médicaux adaptés risque d’exposer les auteurs à une violation de l’article 7 du Pacte. Les auteurs ajoutent qu’en Bulgarie, l’accès des réfugiés aux soins de santé est restreint. L’accès général est subordonné à la cotisation préalable à un régime d’assurance, dépense qui n’est pas prise en charge par l’État. Même lorsqu’ils cotisent à l’assurance maladie, les réfugiés doivent encore s’acheter des médicaments et payer de leurs propres deniers leur traitement psychologique, pareil traitement pouvant être essentiel pour les réfugiés traumatisés et les victimes de torture. En outre, en raison de la charge de travail administratif et de préjugés à l’égard des réfugiés, seuls 4 médecins généralistes sur 130 ont accepté d’ajouter des réfugiés à la liste de leurs patients.

5.6Les auteurs soulignent que les effets cumulés de leurs différentes expériences sont à l’origine de leur crainte fondée de subir des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. Ils rappellent qu’en Bulgarie, les crimes racistes à l’égard des minorités ne donnent pas lieu à des poursuites et sont considérés par les pouvoirs publics comme des comportements antisociaux.

5.7Pour ce qui est de l’éducation des enfants, les auteurs relèvent qu’en 2014, le Conseil bulgare sur les réfugiés et les migrants a fait savoir que seuls 45 enfants réfugiés étaient scolarisés dans le système scolaire municipal bulgare. La Bulgarie comptait 825 enfants réfugiés enregistrés. Plus de 90 % d’entre eux n’étaient donc pas scolarisés dans le système scolaire municipal. De l’avis des auteurs, la bureaucratie et les difficultés d’inscription au cours de langue obligatoire constituent de fait une violation du droit des enfants à l’éducation.

5.8Les auteurs maintiennent que les constatations adoptées par le Comité en l’affaire Jasin et consorts c.Danemark sont pertinentes dans leur situation. En l’espèce, comme dans l’affaire précitée, l’État partie a tort de considérer qu’en tant que titulaires de permis de séjour en cours de validité en Bulgarie, les auteurs pourraient jouir des droits et recevoir les prestations sociales qui leur sont théoriquement garantis. Il incombe à l’État partie de procéder à une évaluation individualisée des risques que courraient véritablement les auteurs en cas d’expulsion. L’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés était donc entachée d’irrégularités de procédure, ce pourquoi les auteurs ont saisi le Comité.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 4 novembre 2016, l’État partie a soumis des observations complémentaires, renvoyant de manière générale à ses observations du 8 février 2015. Il a fait valoir, une fois encore, que la Commission de recours des réfugiés avait procédé à une évaluation complète et approfondie de toutes les circonstances de l’espèce et, qu’à cette fin, elle avait tenu compte tant des éléments propres à l’affaire que des informations concernant la situation dans le premier pays d’asile. Il a affirmé que les auteurs n’avaient pas démontré que l’appréciation faite par la Commission était manifestement arbitraire ou dénuée de fondement.

6.2D’après l’État partie, les différentes décisions, citées par les auteurs, dans lesquelles la Commission de recours des réfugiés a estimé que la Bulgarie ne pouvait être considérée comme premier pays d’asile ne tendent pas à démontrer que la Commission fait preuve d’arbitraire, mais qu’au contraire, elle procède à une évaluation précise et individualisée de chaque cas. La décision rendue en l’espèce, dans laquelle la Commission a estimé que la Bulgarie pouvait être considérée comme le premier pays d’asile des auteurs, est donc fondée sur une appréciation spécifique des circonstances de l’espèce.

6.3L’État partie, renvoyant à la jurisprudence du Comité, établit une distinction entre les faits de l’espèce et l’affaire Jasin et consorts c. Danemark ; cette dernière affaire, sur laquelle le Comité a précédemment statué, concernait l’expulsion d’une mère célibataire qui souffrait d’asthme, avait besoin de médicaments, avait trois enfants mineurs, et dont le permis de séjour en Italie avait expiré. L’État partie souligne qu’en l’espèce, il est question de l’expulsion d’un couple marié ayant quatre enfants, dont deux majeurs, qu’aucun des membres de la famille ne souffre de maladie exigeant un traitement médical, et que tous ont obtenu un permis de séjour en Bulgarie. Il relève en outre que les auteurs n’ont mis en évidence aucune irrégularité dans la procédure nationale de prise de décisions des autorités bulgares, et renvoie à l’affaire A. A. I. et A. H. A. c. Danemark(communication no 2402/2014, constatations adoptées par le Comité le 29 mars 2016), dans laquelle le Comité avait estimé qu’il n’était pas contraire à l’article 7 du Pacte d’expulser un couple marié et ses deux enfants mineurs vers l’Italie, où tous s’étaient déjà vu délivrer un permis de séjour. Pour l’État partie, la même logique devrait s’appliquer en l’espèce.

6.4Pour ce qui est des renseignements d’ordre général dont les auteurs ont fait mention, l’État partie relève que ceux-ci figuraient déjà dans les documents de référence concernant la Bulgarie dont disposait la Commission de recours des réfugiés et que, de ce fait, ils ont déjà été pris en considération dans le cadre de l’examen du dossier par la Commission.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité s’est assuré que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait observer, en outre, que les auteurs ont présenté une demande d’asile, qui a été rejetée par la Commission de recours des réfugiés le 3 août 2015. Il considère donc que les voies de recours internes ont été épuisées.

7.4Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement. Il considère toutefois qu’aux fins de la recevabilité, les auteurs ont suffisamment expliqué les raisons pour lesquelles ils craignaient que leur renvoi forcé en Bulgarie ne les expose au risque de subir des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 7 du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel leur expulsion vers la Bulgarie avec leurs quatre enfants, dont deux sont mineurs, en vertu du principe du premier pays d’asile énoncé dans le Règlement Dublin, les exposerait à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. Il relève que les auteurs fondent leurs arguments, notamment, sur la situation socioéconomique qui serait la leur, plus particulièrement sur le manque d’accès à une aide financière ou à l’assistance sociale et à des programmes d’insertion à l’intention des réfugiés et des demandeurs d’asile, ainsi que sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie. Les auteurs avancent qu’ils ne pourraient pas obtenir de logement social, non plus qu’ils ne pourraient bénéficier d’un hébergement temporaire, qu’ils ne pourraient pas davantage trouver de logement ou d’emploi et qu’ils se retrouveraient ainsi sans abri et contraints de vivre dans la rue, qu’ils risqueraient d’être victimes d’actes xénophobes et qu’ils ne seraient pas protégés.

8.3Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 concernant la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il se réfère à l’obligation des États de ne pas extrader, déplacer, expulser quiconque ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte. Le Comité a également précisé que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Il rappelle en outre sa jurisprudence, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

8.4Le Comité relève qu’il n’est pas contesté que les auteurs ont obtenu une protection subsidiaire en Bulgarie, que, de ce fait, ils se sont vu délivrer, en novembre 2014, un permis de séjour valable trois ans, et qu’ils ont pu continuer de séjourner au centre d’asile après avoir obtenu leur permis. Il relève également que la Commission de recours des réfugiés a estimé que les auteurs n’avaient eu d’ennuis ni avec les nationaux, ni avec les autorités bulgares, et qu’en cas de renvoi en Bulgarie, ils pourraient se prévaloir des droits sociaux nécessaires, notamment scolariser leurs enfants et bénéficier de soins médicaux.

8.5Le Comité relève en outre que les auteurs se sont fondés sur des informations et autres rapports émanant de tierces parties et concernant la situation générale des demandeurs d’asile et des réfugiés en Bulgarie pour affirmer qu’en cas de renvoi, ils n’auraient pas accès au logement et seraient privés de soins médicaux. À ce propos, il note que d’après l’État partie, la législation bulgare garantit aux personnes ayant le statut de réfugié ou ayant obtenu une protection en Bulgarie les mêmes droits qu’aux Bulgares ; il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas demandé à bénéficier de soins médicaux, ni n’en ont eu besoin, au cours de leur séjour en Bulgarie, si bien que rien ne leur permet d’invoquer un manque de soins médicaux. S’agissant des allégations relatives à la violence xénophobe, le Comité note aussi que la Commission de recours des réfugiés a établi qu’au cours des entretiens menés dans le cadre de la procédure d’asile, les auteurs n’avaient fait état d’aucun conflit particulier qu’ils auraient pu avoir, et qu’en tout état de cause, ils pourraient demander aux autorités bulgares compétentes de les protéger dans l’éventualité où l’intégrité de leur personne ou leur sécurité serait menacée.

8.6Le Comité fait observer qu’en dépit du fait que, dans la pratique, il soit difficile pour les réfugiés et les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire d’accéder au marché du travail ou au logement, les auteurs n’ont pas démontré qu’ils courraient un risque réel et personnel à leur retour en Bulgarie. Les auteurs n’ont pas démontré qu’ils étaient pas sans abri avant leur départ de Bulgarie ; ils n’étaient pas indigents et leur situation en tant que parents de quatre enfants, dont le plus jeune est âgé de 14 ans, doit être distinguée de celle de l’auteure dans l’affaire Jasin et consortsc. Danemark, laquelle concernait une mère célibataire qui souffrait d’une maladie, avait trois enfants mineurs, et dont le permis de séjour avait expiré. En soi, le simple fait qu’ils puissent rencontrer des difficultés à leur retour ne signifie pas nécessairement qu’ils se trouveraient dans une situation de vulnérabilité particulière − et dans une situation bien différente de celle dans laquelle se trouvent bon nombre d’autres familles − qui permettrait de conclure que leur renvoi en Bulgarie constituerait un manquement aux obligations qui incombent à l’État partie au regard de l’article 7 du Pacte.

8.7Bien qu’ils contestent la décision des autorités de l’État partie de les renvoyer en Bulgarie, premier pays d’asile, les auteurs n’ont pas démontré en quoi cette décision était manifestement déraisonnable ou arbitraire. Ils n’ont pas davantage mis en évidence d’irrégularité dans les procédures suivies par le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés. En conséquence, le Comité ne peut conclure qu’en renvoyant les auteurs en Bulgarie l’État partie commettrait une violation de l’article 7 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi des auteurs en Bulgarie ne violerait pas les droits qui leur sont reconnus par l’article 7 du Pacte. Il est convaincu que l’État partie informera comme il convient les autorités bulgares du renvoi des auteurs, de sorte que ceux-ci ne soient pas séparés de leurs enfants et qu’il soit tenu compte, aux fins de la prise en charge de la famille, des besoins de celle-ci, en particulier, de l’âge des enfants mineurs.