Nations Unies

CCPR/C/129/D/2970/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

20 janvier 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2970/2017 * , **

Communication présentée par :

L. M. A. (représentée par un conseil, Myriam Roy L’Ecuyer)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et son fils, C. C.

État partie :

Canada

Date de la communication :

28 mars 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 30 mars 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

23 juillet 2020

Objet :

Expulsion vers la Mauritanie

Question(s) de procédure :

Griefs insuffisamment étayés ; incompatibilité ratione materiae avec les dispositions du Pacte

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; recours utile

Article(s) du Pacte :

2, 6 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

L’auteure de la communication est L. M. A., née en 1986, de nationalité mauritanienne. Elle soumet la communication en son nom et au nom de son fils mineur, C. C., né en 2014, de nationalité canadienne. L’auteure s’est vu refuser l’asile au Canada et a reçu l’ordre de quitter le pays le 30 mars 2017. Elle soutient que son renvoi avec son fils vers la Mauritanie constituerait une violation de leurs droits au titre des articles 6 et 7 du Pacte, ainsi que de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6 du Pacte. L’auteure et son fils sont représentés par un conseil, Myriam Roy L’Ecuyer, de l’Étude légale Stewart Istvanffy.

Le 30 mars 2017, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’accéder à la demande de mesures provisoires formulée par l’auteure et a prié l’État partie de ne pas l’expulser vers la Mauritanie tant que la communication serait en cours d’examen devant le Comité.

Le 29 septembre 2017 et le 3 janvier 2018, l’État partie a demandé au Comité de lever les mesures provisoires octroyées en faveur de l’auteure. Le 15 février 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de faire droit à la demande de l’État partie en levant les mesures provisoires octroyées.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure appartient à la tribu Oulad Bessba, une tribu maure jouissant d’un statut supérieur dans la société mauritanienne. En 2009, elle a rencontré son futur époux, A. C. C., descendant de la tribu d’esclaves des Haratines, aujourd’hui considérée comme affranchie sur le plan légal, mais qui continue de subir une discrimination raciale et sociale. A. C. C. s’est impliqué dans la lutte contre la discrimination depuis 1998 et a créé en 2008 une association nommée SOS esclaves. Son activisme lui a valu des arrestations arbitraires, des détentions et des actes de torture. L’auteure souligne qu’aujourd’hui encore, il est dangereux pour les militants de s’exprimer publiquement au sujet des discriminations en Mauritanie. L’auteure et A. C. C. se sont rencontrés grâce à leur intérêt commun pour la lutte contre les inégalités et ont décidé de se fréquenter secrètement.

2.2En février 2011, alors que l’auteure est enceinte, le couple se marie, sans le consentement de la famille de l’auteure. Lorsque cette dernière découvre leur union, l’auteure est séquestrée, battue et forcée au jeûne par ses frères, ce qui entraîne une fausse couche. Son époux est pourchassé et se voit contraint de quitter le pays ; il se réfugie alors aux États-Unis d’Amérique.

2.3En mars 2013, l’auteure voyage aux États-Unis avec son oncle afin d’y recevoir des soins médicaux. C’est à ce moment qu’elle découvre que son époux s’y trouve. Après son retour en Mauritanie, elle met tout en œuvre pour le rejoindre. En juin 2013, elle parvient à retourner aux États-Unis et s’installe avec son époux. En août 2013, elle est à nouveau enceinte mais fait face à une grossesse difficile. Son mari, qui travaille de longues heures, ne peut lui prodiguer l’attention dont elle a besoin ; elle décide donc de rejoindre ses sœurs au Canada. Alors qu’elle est au Canada, le mari de l’auteure obtient le statut de réfugié aux États-Unis et dépose une demande de statut pour sa femme et son fils.

2.4Le 21 novembre 2013, l’auteure dépose une demande d’asile au Canada. En mai 2014, son fils naît au Canada et obtient la nationalité canadienne. Le 10 juin 2014, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rejette la demande d’asile de l’auteure en raison d’un manque de crédibilité, y compris des prétendus problèmes générés par l’union de l’auteure et de son mari. Le 7 octobre 2014, la Cour fédérale refuse de réviser la décision de la Commission.

2.5En décembre 2014, l’auteure dépose une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, qui est rejetée le 21 novembre 2016. Les autorités de l’État partie ont considéré, en particulier, que l’intérêt supérieur de l’enfant et la situation dans le pays d’origine ne justifiaient pas une telle demande. Elles ont noté que l’enfant était encore trop jeune pour avoir développé des liens significatifs au Canada et que son intérêt était d’abord d’être avec ses parents. De plus, en considérant que l’auteure n’était pas originaire d’un milieu défavorisé, l’agent chargé d’évaluer la demande a conclu que l’enfant ne serait pas confronté aux problèmes soulevés par l’auteure, qui étaient « principalement l’apanage des enfants pauvres ». L’auteure fait ensuite une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision de refus de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, qui est rejetée le 23 mai 2017 par la Cour fédérale.

2.6Parallèlement, le 19 juin 2015, l’auteure soumet une demande d’examen des risques avant renvoi, qui est refusée le 18 novembre 2016 au motif que l’auteure n’a pas démontré, advenant un renvoi en Mauritanie, qu’elle risquait d’être torturée ou persécutée, de subir des traitements ou des peines cruels, inhumains ou dégradants, et de voir sa vie menacée. Plus particulièrement, les autorités canadiennes soutiennent qu’elle n’a pas démontré de façon satisfaisante que son mari appartenait à une caste d’esclaves et qu’elle avait des problèmes avec sa famille en raison de son mariage hors caste. En mars 2017, l’auteure dépose une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rejetant sa demande d’examen des risques avant renvoi, qui est rejetée par la Cour fédérale le 2 juin 2017.

2.7Le 15 mars 2017, une demande de suspension du renvoi de l’auteure est rejetée par l’Agence des services frontaliers du Canada. L’auteure soutient que son fils risque d’être persécuté et discriminé puisque, selon les lois mauritaniennes, il ne pourrait pas demander la nationalité mauritanienne avant ses 17 ans. L’Agence répond que « l’option de laisser l’enfant au Canada avec sa tante qu’il connaît depuis toujours est plus que viable ». Qui plus est, le mari de l’auteure devait les parrainer au vu de son statut de réfugié aux États-Unis, « donc elle serait séparée de son fils pour une courte période », ce qui n’est « pas idéal mais réalisable ».

2.8Le 22 mars 2017, l’auteure envoie une requête de sursis au renvoi. Elle est entendue oralement devant la Cour fédérale le 28 mars 2017, et sa requête est rejetée le lendemain.

2.9L’auteure allègue qu’elle a épuisé toutes les voies de recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure évoque une violation de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 6, en raison du fait que l’État partie n’a pas évalué de façon sérieuse le risque de mort qu’elle courrait si elle était renvoyée en Mauritanie. Selon elle, toutes les preuves qu’elle a présentées après la décision rendue le 10 juin 2014 par la Section de la protection des réfugiés ont été refusées, sans motifs valides en droit. L’auteure soutient que si elle n’a pas présenté ces preuves plus tôt, c’est parce qu’elles n’étaient pas disponibles. Elle soutient qu’il existe dès lors une absence de recours efficace lui permettant de présenter de nouvelles preuves dans le contexte de son renvoi.

3.2L’auteure avance également que ses droits découlant des articles 6 et 7 du Pacte se trouveraient violés en cas d’expulsion vers la Mauritanie. Elle affirme être sujette à un risque substantiel de mort, d’abus sexuels, moraux et physiques, et de persécution par les membres de sa famille, notamment ses frères, qui considèrent son mariage avec un homme de caste inférieure comme étant un crime grave contre l’honneur, ainsi que par la société mauritanienne, qui critique fortement l’union entre castes différentes. L’auteure soutient que son fils serait aussi exposé à ce risque et que, n’ayant pas la nationalité mauritanienne, il serait considéré comme un paria en Mauritanie. L’auteure étant reniée par sa famille, il ne serait pas autorisé à vivre sur le sol mauritanien. De ce fait, il n’aurait pas accès aux services de santé, alors qu’il est asthmatique, et pourrait en outre être soumis à l’esclavage par une famille riche. L’auteure soutient qu’il n’existe aucun mécanisme de protection pour elle et son fils en Mauritanie. Par ailleurs, elle avance que la Mauritanie connaît des violations massives et systématiques des droits, particulièrement des droits des femmes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 29 septembre 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. À la même date, il a prié le Comité de lever les mesures provisoires octroyées en faveur de l’auteure. L’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable pour les motifs suivants : a) les allégations de l’auteure quant à la violation de l’article 2 du Pacte ne sont pas suffisamment étayées et sont incompatibles ratione materiae avec le Pacte ; b) l’auteure n’a pas suffisamment étayé les griefs en lien avec les articles 6 et 7 du Pacte, ainsi que l’existence d’un préjudice irréparable, si elle était renvoyée en Mauritanie ; et c) le fils de l’auteure, qui a la nationalité canadienne, ne fait pas l’objet d’une mesure de renvoi.

4.2L’État partie confirme les faits décrits par l’auteure, et ajoute que dans son formulaire de fondement de la demande d’asile, celle-ci indique n’avoir pas porté plainte auprès de la police contre sa famille, « car les autorités ne se mettent pas du côté de quelqu’un contre sa famille », et qu’elle n’a pas pu chercher refuge dans une autre partie du pays, car sa famille l’y aurait retrouvée.

4.3L’État partie souligne que les allégations de l’auteure visent essentiellement à convaincre le Comité de réviser et de renverser les décisions des instances canadiennes. À cet égard, il rappelle que le Comité n’est pas une « quatrième instance ».L’État partie souligne que toutes les allégations avancées par l’auteure dans sa communication ont été soumises à un examen rigoureux devant de multiples instances et ont été dûment analysées par des instances nationales indépendantes et impartiales, conformément au droit canadien et aux obligations internationales du Canada en matière de droits de la personne, dans le respect de l’équité. L’État partie décrit l’historique procédural du cas de l’auteure auprès des instances nationales et soutient qu’elle a été représentée par un conseiller juridique à toutes les étapes et qu’elle a bénéficié de voies de recours afin d’établir le bien-fondé de ses allégations et des preuves avancées. L’État partie soutient que l’auteure n’a pas établi que les décisions des autorités canadiennes étaient entachées d’un vice justifiant l’intervention du Comité.

4.4En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 2 du Pacte, l’État partie rappelle que l’article 2 ne confère pas un droit indépendant à réparation, mais définit simplement la portée des obligations juridiques des États parties. Il doit donc être invoqué en relation avec un article du Pacte conférant un droit à l’auteur d’une communication. Ainsi, des allégations relatives à l’article 2 ne peuvent en elles-mêmes fonder un grief dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. Subsidiairement, si le Comité considère que les allégations de l’auteure peuvent être examinées à la lumière de l’article 2 du Pacte pris isolément, l’État partie soutient que l’auteure n’a pu en établir le bien-fondé, puisqu’il n’y a aucune indication que ses allégations de risques n’ont pas été évaluées de façon sérieuse par les autorités canadiennes. L’État partie explique que toutes les preuves ont été évaluées par des experts, que chaque instance à ses propres règles, et que si certaines preuves ont été rejetées par les autorités canadiennes, c’est parce qu’elles ne rentraient pas dans le champ de la définition de la nouvelle preuve des lois canadiennes.

4.5L’État partie note que l’auteure n’a pas soulevé expressément de violation de l’article 24 (par. 1) du Pacte, qui établit le droit de protection des enfants de la part de leur famille, de la société et de l’État. Cependant, même si elle l’avait fait, ces aspects de la communication seraient irrecevables au sens de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 d) du règlement intérieur du Comité, puisque les allégations formulées sont incompatibles ratione materiae avec l’article 24 du Pacte. Par ailleurs, comme le fils de l’auteure n’est pas sujet à une mesure de renvoi, s’il quittait le Canada, ce serait le résultat d’une décision de sa mère de l’amener en Mauritanie. De plus, même si le Comité était d’avis qu’il y avait un acte étatique pris par l’État partie envers le fils de l’auteure, l’article 24 n’impose pas d’obligation de non-refoulement sur l’État expulseur et cette question devrait être traitée de manière appropriée dans le cadre des articles 6 et 7 du Pacte. À cet égard, l’État partie renvoie le Comité à ses observations relatives à ces articles.

4.6L’État partie soutient que les allégations de l’auteure fondées sur les articles 6 et 7 du Pacten’ont pas été suffisamment étayées pour que la communication soit recevable.Les allégations de l’auteure sont essentiellement les mêmes que celles qui ont été examinées et jugées sans fondement par les autorités canadiennes, impartiales et indépendantes. Selon l’État partie, ces allégations révèlent certaines incohérences, comme le fait qu’elle soit allée aux États-Unis en mars 2013 avant de retourner en Mauritanie, qu’elle n’ait pas demandé l’asile aux États-Unis, ou encore qu’elle n’ait jamais cherché protection en Mauritanie ou fourni d’élément de preuve quant à une absence de protection si elle venait à être renvoyée en Mauritanie. Par ailleurs, le 18 mars 2017, lors de l’audience à la Cour fédérale, l’auteure a été interrogée sur le fait qu’en septembre 2010 et en août 2011, des demandes de visas pour les États-Unis avaient été faites en son nom. L’auteure a allégué qu’elle n’en avait pas connaissance, expliquant qu’elle ne savait lire que l’arabe. L’État partie s’interroge alors sur le fait qu’elle ait cependant pu organiser son voyage aux États-Unis afin d’y rejoindre son mari en juin 2013. Les autorités canadiennes n’ont par ailleurs pas été convaincues de la descendance d’esclave du mari de l’auteure, puisque, selon son récit, celui-ci a pu suivre des études universitaires et travailler à un poste gouvernemental en Mauritanie, fait rare dans ce pays pour un descendant d’esclave.

4.7L’État partie souligne que les lettres fondant la base de la communication de l’auteure, à l’exception de la lettre de son mari, ont été étudiées par les autorités canadiennes, lesquelles y ont accordé peu de poids en raison du fait qu’il n’y avait aucun élément permettant de confirmer l’identité des auteurs, d’en vérifier la véracité ou la provenance, et que certaines informations étaient incompatibles avec le témoignage de l’auteure. L’État partie rappelle que le Comité ne doit pas réévaluer les faits à moins que l’évaluation des faits et de la preuve par les tribunaux internes ait été clairement arbitraire ou ait constitué un déni de justice. Dans le cas présent, les allégations de l’auteure ont été analysées par les instances canadiennes dans le respect de la loi et de l’équité, et la communication de l’auteure n’établit pas de quelque manière que ce soit que les décisions des autorités de l’État partie ont souffert d’un vice quelconque.

4.8Faisant référence à la jurisprudence du Comité, l’État partie soutient que les allégations de l’auteure et les éléments de preuve sont trop généraux pour démontrer que celle-ci ferait face à un risque prévisible, réel et personnel que sa vie soit menacée ou qu’elle subisse de la torture ou un autre préjudice irréparable si elle était renvoyée en Mauritanie. Bien que des rapports confirment qu’il y a une résistance culturelle au mariage intercaste en Mauritanie, le Canada soutient que les allégations de l’auteure de risques de violation des articles 6 et 7 du Pacte ne sont pas suffisantes pour enclencher l’obligation de non-refoulement à son égard.

4.9Quant à la situation du fils de l’auteure, l’État partie soutient que celle-ci a déjà été étudiée par les autorités canadiennes. En plus des arguments évoqués précédemment, l’État partie ajoute que, si la Mauritanie ne reconnaît pas la double nationalité, l’auteure pourrait, éventuellement, renoncer à la citoyenneté canadienne de son fils. Par ailleurs, il indique que l’auteure a librement choisi de s’établir au Canada, sachant qu’elle devrait peut-être partir avec un enfant né dans ce pays. L’État partie note que, selon l’auteure, le père de l’enfant a été reconnu comme réfugié aux États-Unis, et qu’il y a déposé une demande de statut en incluant sa femme et son fils. Sans prendre position sur les règles d’immigration aux États-Unis, l’État partie note que l’auteure n’a soumis aucune preuve que l’enfant ne pourrait pas vivre avec son père. Quant aux allégations de l’auteure sur le fait que son fils nécessite un suivi régulier, l’État partie fait valoir que l’expulsion d’une personne vers un pays qui ne peut offrir des soins de santé de qualité équivalente à ceux du Canada n’enclenche pas une obligation de non-refoulement, sauf s’il existe des circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

4.10L’État partie demande au Comité, à titre subsidiaire, s’il déclare que la communication est recevable, de considérer qu’elle est dénuée de fondement pour les raisons exposées ci-dessus.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 8 mars 2019, l’auteure a présenté ses commentaires au sujet des observations formulées par l’État partie. Elle réitère sa version des faits et ajoute qu’elle ne peut plus compter sur la possibilité d’avoir un statut aux États-Unis, puisque son mari et elle ont divorcé le 24 mars 2018. Elle ajoute également que, le 14 mai 2018, elle a déposé une nouvelle demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Celle-ci a été refusée, et la décision a été communiquée à l’auteure en décembre 2018. L’auteure a fait à nouveau une demande de révision judiciaire, actuellement en cours. Celle-ci n’a pas d’effet suspensif sur la décision de renvoi. L’auteure indique également qu’elle est convoquée à l’Agence des services frontaliers du Canada le 14 mars 2019, et craint que le renvoi soit exécuté à cette date.

5.2L’auteure soutient que le traitement des différents recours qu’elle a tenté ne respecte ni la Charte canadienne des droits et libertés, notamment ses articles 7 et 12, ni le Pacte, puisqu’il ne permet pas l’évaluation objective et impartiale de son dossier. Elle souligne que l’examen des risques avant renvoi n’est pas conforme au Pacte puisque, dans la pratique, il ne donne aucune chance raisonnable de faire reconnaître un risque lorsqu’un dossier a été refusé par la Section de la protection des réfugiés. Elle affirme que les agents chargés de l’examen des risques avant renvoi n’étudient pas les dossiers de façon indépendante et que, dans son cas, les décisions négatives ont été justifiées par des considérations procédurales. L’auteure estime également qu’elle remplit la majorité des critères à considérer dans une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, et que son dossier n’a pas été traité de façon raisonnable, que les éléments de son dossier ont été traités de manière parcellaire, et non dans leur ensemble, ce qui est contraire à la jurisprudence canadienne. Selon l’auteure, l’État partie ne permet pas de recours efficace dans le cas où une première décision négative a été rendue.

5.3L’auteure rappelle que les articles 2 (par. 3) et 7 du Pacte entraînent une obligation de résultat et que l’État partie ne respecte pas cette norme en raison des décisions déraisonnables qu’il rend en violation de ses droits fondamentaux. Elle rappelle également que les normes établies par le guide du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés doivent être appliquées dans les procédures internes, notamment par rapport au fardeau de la preuve, puisqu’il « arrive souvent qu’un demandeur ne soit pas en mesure d’étayer ses déclarations par des preuves documentaires » et que, s’il y a des déclarations dont la preuve est impossible à administrer, « il faut lui accorder le bénéfice du doute, à moins que de bonnes raisons ne s’y opposent ». L’auteure estime qu’elle a soumis des preuves suffisantes et de qualité, et que le fardeau de la preuve qui lui est imposé est excessif. Elle demande ainsi au Comité de rejeter les arguments de l’État partie pour manque de fondement juridique et mauvaise appréciation factuelle des preuves au dossier. Selon l’auteure, les motifs invoqués pour douter de sa crédibilité sont insuffisants et les échecs de recours subséquents sont dus à l’absence de volonté des autorités de l’État partie de corriger leurs erreurs.

5.4Quant à la situation de son fils, l’auteure soutient, comme l’a mentionné l’État partie, que le meilleur intérêt de l’enfant est d’être avec son parent. Selon l’auteure, l’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été pris en compte dans l’examen de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Aucune évaluation raisonnable de son intérêt et des conditions de vie qu’il devrait supporter advenant le renvoi de sa mère en Mauritanie n’a été faite, et l’agent a tiré des conclusions incorrectes sur son statut en Mauritanie. Le fait qu’il ne pourra être ni soigné pour son asthme ni scolarisé en Mauritanie, ou qu’il ne pourra pas obtenir une garantie de séjour prolongé, n’a pas été pris en compte.

5.5L’auteure demande également au Comité le rétablissement des mesures provisoires afin qu’elle ne soit pas renvoyée vers la Mauritanie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité observe que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes à sa disposition. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles elle risque la mort, des tortures ou des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants par les membres de sa famille ou par la société mauritanienne, si elle était renvoyée en Mauritanie, en raison de son union prohibée, contractée sans l’accord de sa famille, avec une personne de caste inférieure à la sienne. Le Comité prend note également de l’affirmation de l’auteure selon laquelle son fils ne pourrait obtenir de visa permanent en Mauritanie, et serait soumis à des discriminations et à des persécutions. Le Comité note en outre que l’auteure prétend que son fils et elle ne pourraient obtenir de protection de la part des autorités mauritaniennes.

6.5Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), dans lequel il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer de toute autre manière une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de préjudice irréparable, tel celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée aux fins de déterminer l’existence d’un tel risque, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou a représenté un déni de justice.

6.6Le Comité note l’allégation de l’auteure selon laquelle le risque de préjudice irréparable n’a pas été évalué de manière objective et impartiale par les autorités de l’État partie. Il note également les allégations de l’auteure selon lesquelles les procédures administratives en matière de demande d’asile de l’État partie ne permettent pas un recours effectif en cas de décision négative de la première instance. Le Comité note également l’allégation de l’auteure selon laquelle l’intérêt supérieur de son fils n’a pas été pris correctement en compte par l’agent chargé de l’examen de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire. Il prend note en outre des observations de l’État partie, qui soutient que les décisions de l’agent chargé de la demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, de l’agent chargé de la demande d’examen des risques avant renvoi et de l’Agence des services frontaliers du Canada, qui ont abouti à la conclusion que l’auteure et son fils ne courraient pas de risque grave de subir des préjudices à leur retour en Mauritanie, ont été le fruit d’analyses rigoureuses, et que toutes ces instances ont conclu à un manque de crédibilité des allégations de l’auteure. Le Comité note également que l’État partie a estimé que les allégations et les preuves apportées par l’auteure comportaient des contradictions. Il note en outre que l’État partie a précisé que le fils de l’auteure ne faisait pas l’objet d’un renvoi vers la Mauritanie, et a également affirmé que si l’auteure décidait de ne pas emmener son fils avec elle en Mauritanie, des arrangements de garde étaient disponibles, soit avec sa tante au Canada, soit avec son père aux États-Unis. Le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment démontré que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités canadiennes était manifestement arbitraire ou entachée d’erreur, ou avait constitué un déni de justice. Le Comité considère que, bien que l’auteure conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, les informations dont il dispose ne permettent pas d’établir que ces conclusions sont manifestement déraisonnables. Par conséquent, sans préjudice de la responsabilité qui continue d’incomber à l’État partie de tenir compte de la situation actuelle du pays vers lequel l’auteure serait expulsée, et sans sous‑estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées au sujet de la situation générale des droits de l’homme en Mauritanie, le Comité considère que les griefs formulés par l’auteure au titre des articles 2, 6 et 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.