Nations Unies

CCPR/C/122/D/2264/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titrede l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif,concernant la communication no 2264/2013*,**,***

Communication présentée par :

Deepan Budlakoti (représenté par l’Association canadienne des libertés civiles)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Canada

Date de la communication :

4 juillet 2013 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 juillet 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

6 avril 2018

Objet :

Expulsion du Canada vers l’Inde

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; mesure dans laquelle les griefs sont fondés ; incompatibilité ratione materiae avec les dispositions du Pacte

Question(s) de fond :

Droit à la liberté et à la sécurité de la personne ; droit de rentrer dans son propre pays ; accès à la justice ; droit à la vie de famille ; droit d’acquérir une nationalité

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 3, 4,9, 12 (par. 4), 14, 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Deepan Budlakoti, né au Canada en 1989. L’auteur est susceptible d’être expulsé vers l’Inde suite à la révocation de son statut de résident permanent par décision du 8 décembre 2011 de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il affirme qu’en l’expulsant, le Canada violerait les droits qu’il tient des articles 2, 3, 4 et 9, du paragraphe 4 de l’article 12, des articles 14 et 17, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 10 juillet 2013, en application de l’article 92 de son règlement intérieur et agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a informé l’auteur qu’il avait rejeté sa demande de mesures provisoires, par laquelle il priait le Comité de demander à l’État partie de ne pas l’expulser vers l’Inde tant que sa communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est né le 17 octobre 1989 à Ottawa de parents de nationalité indienne. Il a vécu toute sa vie au Canada. Il s’est toujours considéré comme canadien. En 1985, ses parents ont été engagés comme employés de maison au Haut-Commissariat de l’Inde à Ottawa. Des passeports diplomatiques indiens leur ont été délivrés en septembre 1985 et ils sont entrés légalement au Canada le même mois. Ils ont travaillé pour le Haut-Commissaire adjoint de l’Inde de septembre 1985 à août 1988 et pour le Haut-Commissaire de l’Inde d’août 1988 à juin 1989. Ils ont cessé de travailler pour le Haut-Commissariat de l’Inde en juin 1989. Le même mois, ils ont été engagés comme employés de maison par un couple canadien qui n’avait aucun lien officiel avec le Haut-Commissariat.

2.2Le père de l’auteur a obtenu un visa canadien de visiteur le 12 juin 1989. L’auteur affirme qu’au moment de sa naissance, ses parents se trouvaient légalement dans l’État partie en tant que visiteurs et non en vertu de leur passeport diplomatique. Après juin 1989, le père de l’auteur a entrepris les démarches nécessaires pour changer de type de passeport, pour lui‑même et pour sa femme. Il a reçu son passeport non diplomatique le 12 décembre 1989 et sa femme le sien le 19 décembre 1989.

2.3En 1992, les parents de l’auteur ont demandé et obtenu le statut de résident permanent au Canada. Comme ils pensaient que l’auteur était canadien parce qu’il était né au Canada, ils n’ont pas demandé la résidence permanente en son nom. Le 14 juin 1993, le frère de l’auteur est né au Canada et il a donc la citoyenneté canadienne.

2.4La mère et le père de l’auteur ont demandé la nationalité canadienne en 1996 et 1997, respectivement. Pensant que l’auteur était canadien, ils n’ont pas demandé de preuve de citoyenneté pour celui-ci. Le 17 juin 1997, la mère de l’auteur s’est vue délivrer un passeport canadien, sur lequel ses enfants, l’auteur et son frère, étaient inscrits. Le père de l’auteur a reçu son passeport le 18 janvier 1999 et le frère de l’auteur le sien le 4 septembre 2003. L’auteur a reçu un passeport canadien à la même date que son frère, ce qui a renforcé sa conviction et celle de ses parents qu’il était canadien de naissance. Il a détenu un passeport canadien de 2003 à 2008.

2.5Le 1er décembre 2009, l’auteur a plaidé coupable du chef d’introduction par effraction prévu aux alinéas a) et b) du paragraphe 1 de l’article 348 du Code criminel canadien. Il a aussi été accusé, en application du paragraphe 5.1 de l’article 145 du Code criminel, d’avoir omis de se conformer aux conditions d’une promesse de comparaître. Il a été condamné à quatre mois d’emprisonnement et à douze mois de probation. Le 14 décembre 2010, il a été déclaré coupable de deux chefs de trafic d’arme à feu, infraction réprimée par le paragraphe 2 de l’article 99 du Code criminel, d’un chef de possession d’une arme à feu prohibée pendant que cela lui était interdit par une ordonnance, infraction réprimée par l’article 117.01 du Code criminel, et d’un chef de trafic d’une substance inscrite à l’annexe I, infraction réprimée par le paragraphe 1 de l’article 5 de la loi réglementant certaines drogues et autres substances. Il a été condamné à trois ans et huit mois de détention présentencielle pour trafic et possession d’arme à feu et à des peines concurrentes d’un an d’emprisonnement pour possession d’une substance inscrite à l’annexe I et de six mois d’emprisonnement pour trafic d’une substance inscrite à l’annexe I.

2.6C’est en avril 2010, alors qu’il était incarcéré, que l’auteur a entendu dire pour la première fois qu’il n’était pas canadien, de la bouche d’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le 27 mai 2010, une procédure d’enquête a été engagée contre lui. À l’audience correspondante, le 24 octobre 2011, le Ministre de la sécurité publique et de la protection civile a indiqué que l’auteur ne pouvait pas demeurer au Canada, qu’il n’était pas canadien, que son passeport canadien lui avait été délivré par erreur, qu’il avait été condamné pour des faits de grande criminalité et que, par conséquent, il devait être « interdit de territoire » au Canada, en application de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le 8 décembre 2011, le commissaire de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié chargé de l’enquête a conclu que l’auteur ne pouvait pas rester au Canada et a émis une ordonnance d’expulsion à son encontre.

2.7Le 19 décembre 2011, l’auteur a demandé un contrôle judiciaire de la décision, demande qui a été rejetée le 24 mai 2012. Le 21 septembre 2012, il a reçu un formulaire de demande d’examen restreint des risques avant renvoi et a déposé sa demande d’examen le 5 octobre 2012. Le 3 novembre 2012, il a été décidé, dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi, qu’il ne risquait pas d’être victime d’atteintes aux droits de l’homme s’il était expulsé vers l’Inde. Sa demande d’examen complet des risques avant renvoi a été rejetée le même jour. À la suite de l’issue négative de l’examen, l’ordonnance d’expulsion émise à son encontre a pris effet. L’auteur a sollicité une assistance juridique en vue de demander un contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’examen complet des risques avant renvoi. Cette demande a été rejetée et, après avoir consulté le conseil qui l’avait représenté à l’audience, lequel lui a dit qu’il n’avait guère de chances d’obtenir gain de cause, l’auteur a décidé de ne pas demander de contrôle judiciaire.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en prenant une ordonnance d’expulsion à son encontre, l’État partie a violé les droits qu’il tient du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. Il fait valoir qu’il considère le Canada comme « son propre pays » au sens de l’article 12 du Pacte. Il renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Warsame c. Canada, dans laquelle le Comité a constaté « qu’il existe des facteurs autres que la nationalité susceptibles de créer des liens étroits et durables entre une personne et un pays, liens qui peuvent être plus forts que ceux de la nationalité. L’expression « son propre pays » amène à prendre en considération des éléments comme une résidence de longue durée, des liens personnels et familiaux étroits et l’intention de demeurer dans le pays, ainsi que l’absence d’autres liens du même type ailleurs ». L’auteur affirme que le Canada est son propre pays, parce qu’il y est né et qu’il y vit depuis sa naissance. Il a été élevé et éduqué au Canada, les membres de sa famille immédiate vivent au Canada et il n’a de lien avec aucun autre pays. Il souhaite rester près de sa famille. Il fait observer qu’il a créé sa propre entreprise de bâtiment en 2008, mais qu’il a été obligé de la fermer lorsqu’il a été incarcéré. Il souhaite rouvrir son entreprise et apporter sa contribution au Canada. Il fait valoir qu’il a été réhabilité et que la décision de l’expulser est donc injustifiable et complètement disproportionnée par rapport à l’objectif légitime, quel qu’il soit, que l’État partie pourrait poursuivre. Il avance en outre qu’il n’a aucun lien avec l’Inde, pays dont il ne connaît ni les coutumes ni les langues, et qu’il n’y a ni parents ni relations. Il souligne que si on l’expulsait vers l’Inde, il se trouverait dans une position très vulnérable, parce qu’il ne parle aucune des langues de ce pays et n’en connaît ni les coutumes ni la culture, et parce que des violations graves et flagrantes des droits de l’homme y sont commises. Il indique qu’il n’est allé en Inde qu’une seule fois, pour deux semaines, quand il avait 11 ans. Il soutient que son expulsion vers l’Inde serait arbitraire et le priverait de manière déraisonnable de son droit de rentrer dans son propre pays.

3.2L’auteur affirme en outre que son expulsion vers l’Inde porterait atteinte à son droit d’être protégé de toute immixtion arbitraire dans sa famille au sens de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, car elle aurait pour effet de le séparer de sa mère, de son père et de son frère. Il affirme que, pour des raisons financières, sa famille ne pourrait pas lui rendre visite en Inde et que cette immixtion dans sa famille est arbitraire et illégale, les conséquences de son expulsion étant disproportionnées au regard de l’objectif de prévention de la criminalité invoqué par l’État partie.

3.3L’auteur allègue une violation des droits qu’il tient des articles 9 et 14 du Pacte. Il fait observer qu’aux termes de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 3 de la loi sur la citoyenneté, a qualité de citoyen toute personne née au Canada après le 14 février 1977. Mais, selon le paragraphe 2 de l’article 3 de la même loi, cette disposition ne s’applique pas aux personnes « dont, au moment de la naissance, les parents n’avaient qualité ni de citoyens ni de résidents permanents et dont le père ou la mère était : a) agent diplomatique ou consulaire, représentant à un autre titre ou au service au Canada d’un gouvernement étranger ; b) au service d’une personne mentionnée à l’alinéa a) ». Il affirme que les exceptions prévues par la loi ne lui sont pas applicables puisque ses parents n’étaient ni diplomates, ni représentants diplomatiques, ni au service de telles personnes au moment de sa naissance puisqu’ils avaient cessé de travailler pour le Haut-Commissariat de l’Inde avant celle-ci. L’auteur fait valoir que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a commis une erreur de fait et de droit en concluant qu’il n’était pas citoyen canadien. Il fait en outre valoir qu’on lui a refusé un examen complet des risques avant renvoi ainsi qu’un contrôle judiciaire de la décision d’interdiction de territoire prise par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il soutient que la décision de l’État partie de l’expulser du Canada aurait pour conséquence de le rendre apatride puisque, selon l’Inde, il n’est pas indien.

3.4À titre de réparation, l’auteur demande au Comité de recommander à l’État partie : a) d’annuler l’ordonnance d’expulsion prise à son encontre ; b) de l’autoriser à demeurer dans l’État partie ; c) de lui reconnaître la citoyenneté canadienne.

3.5 Dans ses commentaires, datés du 12 janvier 2015, sur les observations de l’État partie, l’auteur invoque aussi une violation des droits qu’il tient des articles 3, 4 et 24 (par. 3) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans ses observations en date du 10 janvier 2014 sur la recevabilité et sur le fond de la communication, l’État partie soutient que la communication est irrecevable pour non‑épuisement des recours internes en application de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif. Il fait en outre valoir que les allégations de l’auteur au titre des articles 9 et 14 sont également irrecevables parce qu’incompatibles avec les dispositions du Pacte et insuffisamment étayées. Subsidiairement, l’État partie affirme que les griefs de l’auteur sont dénués de fondement.

4.2L’État partie note qu’au Canada les privilèges et immunités diplomatiques ne sont accordés qu’aux agents diplomatiques et aux autres membres du personnel diplomatique dont le nom figure sur un registre ou une liste tenus à jour par le Bureau du Protocole. Les missions étrangères présentes au Canada sont tenues d’informer le Canada de la cessation d’emploi de leurs représentants et des membres de leur personnel pour que leur nom puisse être supprimé de la liste ou du registre.

4.3L’État partie fait observer qu’il ressort des archives officielles que le Haut‑Commissariat de l’Inde a informé le Canada de la cessation de fonctions des parents de l’auteur le 21 décembre 1989, indiquant que l’emploi du père de l’auteur avait pris fin le 12 décembre 1989 et celui de sa mère le 20 décembre 1989. Le nom des parents de l’auteur a donc été supprimé de la liste des personnes ayant le statut diplomatique le 2 janvier 1990. Les archives montrent en outre que le père de l’auteur a reçu un permis de travail, document indispensable pour qu’un étranger puisse travailler légalement au Canada, le 5 janvier 1990. L’État partie fait valoir qu’au moment où l’auteur est né, en vertu du droit canadien ses parents étaient encore officiellement employés par le Haut-Commissariat de l’Inde et jouissaient du statut diplomatique, raison pour laquelle l’auteur n’a pas acquis la citoyenneté canadienne par sa naissance. L’État partie relève que l’exception voulant que les enfants nés au Canada de représentants étrangers n’acquièrent pas la nationalité par la naissance en vertu de la loi sur la citoyenneté est conforme au principe selon lequel les représentants étrangers ne relèvent pas réellement de la juridiction de l’État d’accueil. Il affirme de plus que la situation actuelle de l’auteur n’est en aucune manière imputable au Canada.

4.4Les enfants nés au Canada de ressortissants étrangers ayant le statut diplomatique peuvent demander le statut de résident permanent et éventuellement devenir canadiens par naturalisation. Dans le cas de l’auteur, ses parents ont présenté, le 2 janvier 1992, une demande de résidence permanente dans laquelle l’auteur était inclus. Cette demande a été acceptée et la famille a obtenu le statut de résident permanent le 18 août 1992. Les parents de l’auteur ont par la suite demandé la nationalité canadienne en leur nom, mais rien n’indique qu’ils l’aient demandée pour l’auteur ni que celui-ci l’ait lui-même demandée. L’État partie reconnaît qu’un passeport canadien a été délivré à l’auteur en deux occasions, sur la base de son certificat de naissance et de la déclaration de ses parents selon laquelle il était canadien. L’État partie soutient que, selon la loi, l’auteur n’avait pas droit à ces passeports, qui n’auraient pas dû lui être délivrés. La délivrance de passeports dans de telles circonstances ne confère pas la citoyenneté ni ne constitue une preuve de celle-ci.

4.5L’État partie relève que l’auteur a perdu son statut de résident permanent après avoir été condamné pour des infractions graves, à savoir deux chefs de transport illicite d’arme à feu, de possession d’une arme à feu prohibée pendant que cela lui était interdit par une ordonnance et de trafic de cocaïne. Il a été condamné à trois ans d’emprisonnement. Aux termes de l’alinéa a) du paragraphe 1 de l’article 36 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour grande criminalité s’il a été déclaré coupable au Canada d’une infraction pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé. Le 24 octobre 2011, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a tenu une audience pour examiner le cas de l’auteur. La Section est un tribunal indépendant, spécialisé, quasi-judiciaire qui mène des enquêtes sur certaines catégories de personnes dont on pense qu’elles ont enfreint la législation relative à l’immigration. Dans le cadre de cette procédure, l’auteur était représenté par un conseil et avait le droit de produire des éléments de preuve et des écritures. L’auteur a reconnu que ses condamnations relevaient de la définition de la grande criminalité au sens de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et que la seule question pendante était celle de sa citoyenneté. Le 8 décembre 2011, la Section a conclu qu’il n’était pas canadien et qu’il était interdit de territoire pour grande criminalité.

4.6L’auteur a par la suite déposé une demande d’examen des risques avant renvoi. Dans cette demande, l’auteur indiquait qu’il ne connaissait ni la langue ni la culture de l’Inde et qu’il n’aurait pratiquement aucun soutien s’il était expulsé vers l’Inde. Selon lui, le seul endroit où il pourrait trouver ne serait-ce qu’un minimum de soutien était la ville de l’Uttar Pradesh d’où ses parents étaient originaires. Il affirmait qu’il serait économiquement et socialement marginalisé et pointé du doigt comme une personne expulsée du Canada pour criminalité, et qu’en conséquence il serait pris pour cible par la police locale, dont les pratiques de détention illégale, de torture, de mauvais traitements et d’exécutions extra-judiciaires étaient notoires. Le 3 novembre 2012, l’agent qui a procédé à l’examen des risques avant renvoi a conclu que l’auteur n’avait pas besoin d’une protection. Cet agent a reconnu que certains éléments donnaient à penser que la police commettait des abus en Inde, mais il a estimé que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé son allégation selon laquelle elle le prendrait pour cible. Il a également relevé que l’auteur ne serait pas obligé de s’installer dans l’Uttar Pradesh mais pourrait vivre dans une grande ville comme New Delhi. Notant que, dans sa communication au Comité, l’auteur a indiqué qu’il n’avait pas demandé le contrôle judiciaire de la décision négative prise à l’issue de l’examen des risques avant renvoi, l’État partie informe le Comité que l’auteur a présenté une telle demande le 19 août 2013.

4.7L’État partie soutient que les griefs de l’auteur, particulièrement tirés des articles 12 (par. 4), 17 et 23, sont irrecevables pour non-épuisement des recours internes car l’auteur aurait pu demander : a) une déclaration de citoyenneté à la Cour fédérale ; b) la résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire ; c) un permis de séjour temporaire ; d) l’attribution de la citoyenneté à titre discrétionnaire ; et e) la suspension de son casier judiciaire. Il note que, le 23 septembre 2013, l’auteur a déposé devant la Cour fédérale une demande de déclaration de citoyenneté qui est toujours pendante. À l’appui de cette demande, il invoque plusieurs dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment le droit à un procès équitable, le droit d’être protégé contre la détention arbitraire et le droit des citoyens de demeurer au Canada, d’y entrer ou d’en sortir. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 24 de la Charte, si elle considère que les droits d’une personne ont été violés, la Cour est habilitée à accorder à l’intéressé une réparation « convenable et juste ». L’État partie fait valoir que, dès lors que l’auteur a exercé un recours interne disponible et utile, le Comité ne peut pas examiner la communication quant au fond.

4.8L’État partie soutient également que la communication est irrecevable pour non‑épuisement d’autres recours internes. Il relève que l’auteur n’a pas présenté de demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire comme le paragraphe 1 de l’article 25 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés le lui permettait. L’évaluation des demandes pour considérations d’ordre humanitaire consiste en un examen exhaustif dans le cadre duquel l’agent qui en est chargé détermine, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si l’intéressé doit se voir accorder la résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Le critère déterminant est celui de savoir si le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’il devait demander un visa de résident permanent de l’extérieur Canada. Les difficultés en question peuvent être, par exemple, l’absence critique de soins médicaux ou de santé, une discrimination qui ne va pas jusqu’à la persécution ou une situation d’hostilité dans le pays ayant un impact négatif direct pour le demandeur. L’État partie fait valoir que, puisque l’auteur affirme que le Canada est « son propre pays » au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte et qu’il ne devrait pas être séparé de sa famille et de ses amis, la demande pour considérations d’ordre humanitaire est le recours disponible le plus adapté à sa situation et qui a le plus de chances d’aboutir. Il indique que la communication de l’auteur s’articule autour de son prétendu droit de demeurer au Canada, au soutien duquel il invoque des motifs familiaux et d’ordre humanitaire ; c’est pourquoi une demande pour considérations d’ordre humanitaire est le recours qui correspond le plus directement à la nature de sa plainte.

4.9L’État partie ajoute que l’auteur aurait aussi pu présenter une demande de permis de séjour temporaire en vertu de l’article 24 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, selon lequel toute personne qui a été interdite de territoire au Canada peut se voir délivrer un permis de séjour temporaire si l’agent compétent « estime que les circonstances le justifient ». Dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, les agents doivent prendre en considération toute instruction du Ministre et mettre en balance le risque pour le Canada et les raisons qui militent en faveur de l’octroi d’un permis de séjour temporaire. Le demandeur peut invoquer des motifs d’ordre humanitaire, qui sont alors examinés par le décideur. Un permis de séjour temporaire peut être valable jusqu’à trois ans, il peut être prorogé et est révocable en tout temps. Il n’ouvre pas droit au statut de résident permanent. L’État partie relève que, selon les chiffres dont il dispose, 888 personnes interdites de territoire au Canada pour grande criminalité ont obtenu des permis de séjour temporaires en 2012.

4.10L’État partie affirme également que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas demandé que la citoyenneté lui soit accordée à titre discrétionnaire en vertu de la loi sur la citoyenneté, dont une disposition prévoit que la citoyenneté peut être attribuée à titre discrétionnaire afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle. L’État partie concède que cette disposition est rarement appliquée, mais affirme que cela ne signifie pas qu’il ne s’agit pas d’un recours potentiellement utile. Enfin, l’État partie soutient que l’auteur pourra par la suite demander à la Commission des libérations conditionnelles du Canada la suspension de son casier judiciaire (auparavant le pardon). Il ne pourra toutefois le faire que dix ans après sa condamnation, soit en 2020. En cas de suspension de son casier, l’auteur ne serait plus considéré comme interdit de territoire au Canada. L’État partie concède qu’il ne s’agit pas d’un recours immédiatement disponible, mais fait valoir qu’un tel recours pourrait faire disparaître les effets préjudiciables des condamnations pénales de l’auteur sur sa capacité d’entrer au Canada et d’y demeurer.

4.11L’État partie soutient en outre que les griefs de l’auteur au titre des articles 9 et 14 sont irrecevables au motif qu’ils sont incompatibles avec les dispositions du Pacte ou, subsidiairement, parce qu’ils ne sont pas étayés. Il note qu’en ce qui concerne les griefs tirés de l’article 9 du Pacte, l’auteur semble alléguer que c’est à tort et par erreur qu’on lui a refusé la citoyenneté et qu’il éprouve de la peur et de la détresse à la perspective d’être renvoyé en Inde. L’État partie fait valoir que l’article 9 du Pacte n’énonce pas un droit à la citoyenneté, que ce soit en vertu du jus soli ou autrement, non plus que le droit d’une personne d’être protégée contre les violations graves des droits de l’homme dans le pays vers lequel elle est expulsée. Il affirme en outre que, même si les griefs que l’auteur tire de l’article 9 étaient considérés comme des allégations relevant des articles 6 et 7 du Pacte, l’auteur n’a pas établi, aux fins de la recevabilité, qu’il courrait un risque réel et personnel de mort, de torture ou d’autres préjudices graves s’il était expulsé vers l’Inde.

4.12En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 14, l’État partie note que l’auteur fait valoir qu’il a été privé de son droit d’accès à la justice, qu’un examen complet des risques avant renvoi lui a été illégalement refusé et que sa demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié portant interdiction de territoire a été rejetée. L’État partie renvoie à l’observation générale no 32 (2007), sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans laquelle le Comité indique que l’article 14 ne s’applique pas aux procédures d’expulsion et d’éloignement. Il fait valoir que les griefs de l’auteur sont par conséquent irrecevables parce qu’incompatibles avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, l’État partie affirme que ces griefs ne sont pas suffisamment étayés, puisque l’auteur n’a avancé aucun argument pour expliquer en quoi l’examen restreint des risques avant renvoi constituait une violation de ses droits consacrés par le Pacte. Il soutient en outre que l’auteur n’a été « privé » d’un contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié que dans la mesure où sa demande de contrôle judiciaire n’a pas abouti.

4.13 Dans ses observations sur le fond de la communication et en ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre des articles 9 et 14 du Pacte, l’État partie soutient, pour les mêmes raisons que celles qu’il a invoquées pour montrer que les allégations n’étaient pas suffisamment étayées, qu’elles sont dénuées de fondement.

4.14En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, l’État partie fait valoir que le fait que l’auteur soit né au Canada ne le place pas, en soi, dans une position plus favorable que tout autre étranger condamné pour grande criminalité au Canada. En raison du statut diplomatique qui était celui de ses parents au moment de sa naissance, l’auteur n’est pas devenu de plein droit citoyen canadien par sa naissance. La citoyenneté canadienne n’a donc pas été illégalement ou arbitrairement refusée à l’auteur, puisqu’il ne l’a pas demandée. L’État partie renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Stewart c. Canada,dans lesquelles le Comité indique que, lorsque l’État partie facilite l’acquisition de la nationalité ou lorsque l’intéressé n’acquiert pas cette nationalité, soit par choix, soit du fait d’actes criminels qu’il a commis et qui le privent de la possibilité de l’acquérir, l’État partie n’est pas considéré comme « son propre pays » au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte. L’État partie fait valoir que, dans ces circonstances, on ne saurait dire que la législation canadienne en matière de citoyenneté est arbitraire ou déraisonnable du fait que la nationalité canadienne à la naissance est refusée aux enfants nés au Canada de parents ayant le statut diplomatique. Il relève aussi que, si l’auteur n’avait pas fait l’objet de condamnations pénales, il n’y aurait aucun obstacle à ce qu’il acquière la citoyenneté canadienne.

4.15Selon l’État partie, que le Canada puisse ou non être considéré comme le « propre pays » de l’auteur au sens du paragraphe 4 de l’article 12, il reste à déterminer si l’expulsion de l’auteur vers l’Inde serait arbitraire. L’État partie affirme que sa législation relative à la citoyenneté, selon laquelle les enfants nés de personnes ayant le statut diplomatique n’acquièrent pas la citoyenneté, est conforme au droit international et n’est en aucune façon arbitraire. Il ajoute que l’expulsion d’une personne qui n’est pas un citoyen et a commis des infractions graves n’est pas arbitraire et qu’elle n’est pas déraisonnable si l’auteur ne court pas un risque personnel de subir un préjudice grave ou irréparable en Inde.

4.16En ce qui concerne les griefs de l’auteur au titre de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, l’État partie renvoie à ses observations générales nos 15 (1986), sur la situation des étrangers au regard du Pacte, 16 (1988), sur le droit au respect de la vie privée, et 19 (1990), sur la protection de la famille, et fait observer que les États jouissent d’une grande latitude en matière d’expulsion des étrangers. Il fait valoir qu’un État qui expulse une personne de son territoire ne viole les articles 17 et 23 que si pour ce faire il a appliqué sa législation sur l’immigration de manière arbitraire ou contraire aux dispositions du Pacte. Il renvoie aux constatations du Comité dans les affaires Stewart c.  Canada et Canepa c.  Canada, dans lesquelles le Comité n’a pas considéré que l’expulsion des auteurs, qui avaient été condamnés pour avoir commis des infractions pénales, était contraire à l’article 17 et au paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. L’État partie relève que l’expulsion de l’auteur en Inde se traduira certes par une séparation physique d’avec ses parents et son frère, mais que l’auteur s’est tenu éloigné de sa famille depuis un certain nombre d’années. Selon ses propres déclarations, il a eu une jeunesse rebelle et a quitté la maison de ses parents à l’âge de 12 ou 13 ans. Il a vécu dans la rue, puis dans un foyer d’accueil avant ses condamnations. Il est revenu vivre chez ses parents parce que c’était une des conditions de sa remise en liberté. L’État partie fait valoir que la décision interdisant l’auteur de territoire, qui est à l’origine de l’ordonnance d’expulsion, n’était ni illégale ni arbitraire mais autorisée par la loi et susceptible de contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Il affirme en outre que la rupture des liens ténus de l’auteur avec sa famille a moins de poids que l’intérêt de l’État à l’expulser du territoire canadien. Il soutient que le renvoi de l’auteur est raisonnable eu égard aux circonstances et proportionnel à la gravité des infractions commises. Il relève que, dans sa communication, l’auteur a invoqué la jurisprudence du Comité dans les affaires Warsame c. Canada et Nystrom c. Australie . Selon l’État partie, les constatations du Comité dans ces affaires s’écartent de sa jurisprudence constante s’agissant de l’expulsion d’un résident de longue date pour grande criminalité et l’issue de ces affaires ne correspond pas à une interprétation correcte des obligations des États découlant du Pacte. L’État partie fait valoir que, dans le cas l’auteur, eu égard à ses graves antécédents judiciaires et à sa situation familiale, une expulsion du Canada ne constituerait pas une immixtion disproportionnée dans la famille. Il rappelle que l’auteur a été condamné pour plusieurs infractions graves à la législation sur les drogues et les armes, ce qui représente un risque pour autrui. L’auteur est un adulte célibataire, sans partenaire ni enfant, qui s’est tenu éloigné de sa famille pendant toute son adolescence. Étant donné les circonstances, l’expulsion de l’auteur, pour autant qu’on puisse y voir une immixtion dans la famille, est une immixtion justifiable et proportionnée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 12 janvier 2015, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il maintient que la communication est recevable. Outre les griefs soulevés dans sa lettre initiale du 4 juillet 2013, il affirme que les droits qu’il tient des articles 3 et 4 et du paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte ont été violés.

5.2L’auteur fait valoir qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, notant qu’il n’est pas tenu d’épuiser des recours internes qui, objectivement, n’ont aucune chance d’aboutir et qui ne constituent pas des recours utiles contre l’ordonnance d’expulsion prise à son encontre. Il fait également valoir que les recours supplémentaires suggérés par l’État partie n’auraient pas d’effet suspensif sur l’ordonnance d’expulsion. Il note également que ses demandes de contrôle judiciaire fondées sur les motifs en cause en l’espèce, à savoir sa nationalité, ont été rejetées, ce qui montre bien, selon lui, qu’il n’aurait aucune chance raisonnable d’obtenir satisfaction s’il essayait d’épuiser les autres recours indiqués par l’État partie. Il affirme que la demande de l’État partie tendant à ce qu’il s’abstienne de déposer sa plainte tant que ces autres recours n’auront pas été épuisés est incompatible avec les obligations que les articles 3 et 4 du Pacte imposent à cet État.

5.3Selon l’auteur, en ne reconnaissant pas sa citoyenneté, l’État partie le rendrait apatride, en violation du paragraphe 3 de l’article 24 du Pacte. Se référant à sa lettre initiale du 4 juillet 2013, l’auteur réaffirme qu’il est citoyen canadien. Il souligne que le Gouvernement indien ne lui reconnaît pas la nationalité indienne et refuse de lui délivrer des documents de voyage. Il fait valoir qu’il a exécuté sa peine de prison, a été réhabilité et a payé sa dette à la société. Il n’a cessé d’essayer ces cinq dernières années de contribuer pleinement à la société canadienne, ambition que contrarie l’ordonnance d’expulsion délivrée à son encontre. Il affirme qu’il est encore mieux intégré dans la société civile depuis qu’il est en rapport avec des organisations non gouvernementales, des universités et les médias. Il réaffirme que son droit à la vie privée et à la vie familiale subirait une atteinte irréparable s’il était expulsé vers l’Inde. Il soutient que l’affirmation de l’État partie selon laquelle ses liens familiaux sont ténus n’est pas exacte puisqu’il a vécu chez ses parents pratiquement toute sa vie et vit actuellement avec son frère. Pendant la période où il ne vivait pas avec les membres de sa famille, il était pupille de l’État ou incarcéré.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 13 mars 2015, l’État partie a communiqué des observations complémentaires sur les commentaires de l’auteur. Dans ces observations, l’État partie fait le point de l’état d’avancement des procédures internes. Il relève que, par une décision du 9 septembre 2014, la Cour fédérale a rejeté la demande de déclaration de citoyenneté déposée par l’auteur. Elle a relevé que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait conclu, dans sa décision du 8 décembre 2011, que l’auteur n’était pas canadien, ce qui a été confirmé par contrôle judiciaire. La Cour fédérale a considéré que les éléments de preuve produits ne permettaient pas d’établir que l’auteur était citoyen par sa naissance, sa cause étant considérablement affaiblie par les preuves documentaires et les incohérences par rapport aux preuves produites, notamment des documents datant de la même époque dont il ressort que le père de l’auteur n’a reçu un permis de travail qu’après la naissance de l’auteur ; les registres de l’immigration selon lesquels l’auteur n’était pas citoyen canadien ; la note diplomatique confirmant que les parents de l’auteur avaient cessé de travailler au Haut‑Commissariat de l’Inde après la naissance de l’auteur ; l’utilisation par le père de l’auteur de son passeport diplomatique après la naissance de l’auteur ; et la demande de résidence permanente introduite par les parents de l’auteur au nom de celui-ci. Sur la question de savoir si le Canada avait rendu l’auteur apatride, la Cour a conclu que le Canada n’avait rien fait pour priver l’auteur de sa citoyenneté canadienne et que la situation de l’auteur était imputable au fait qu’il avait supposé à tort avoir la citoyenneté canadienne. Le 8 octobre 2014, l’auteur a interjeté appel devant la Cour d’appel fédérale. L’État partie note que si cet appel ne devait pas aboutir, l’auteur pourrait encore introduire une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême. L’État partie informe également le Comité que, pour ce qui est du grief de l’auteur selon lequel il ne peut pas obtenir de prestations de santé, cette question est pendante devant la Commission d’appel et de révision des services de santé. L’État partie relève que l’auteur s’est vu délivrer un permis de travail le 28 janvier 2015 et qu’il peut donc travailler.

6.2L’État partie renvoie à ses observations du 10 janvier 2014, notant que l’auteur ne s’est prévalu d’aucun des recours mentionnés dans ces observations au motif qu’ils n’avaient aucune chance d’aboutir. Il rappelle à cet égard la jurisprudence du Comité selon laquelle le simple fait de douter de l’efficacité des recours internes ne dispense pas l’auteur d’une communication de l’obligation de les épuiser. Il relève que la question factuelle du lieu de travail de ses parents − et de leur statut au regard du droit canadien − au moment de sa naissance est toujours pendante devant la Cour d’appel fédérale. Il soutient que, tant qu’il n’a pas été statué sur cet appel, on ne peut dire que le statut de citoyenneté de l’auteur a été déterminé de manière définitive au regard du droit canadien. Il note aussi que, dans son arrêt, la Cour fédérale a indiqué qu’adresser une demande au Ministre de la citoyenneté et de l’immigration aurait été le meilleur moyen de résoudre la question de la citoyenneté, mais que, malgré cela, l’auteur n’a pas demandé la citoyenneté canadienne. Il ajoute que la question de savoir si l’auteur est effectivement apatride ne pourra être tranchée que lorsqu’une décision définitive aura été prise sur sa citoyenneté canadienne, et que les autorités indiennes auront confirmé que l’auteur n’a pas la nationalité indienne et n’est pas en droit de la demander. L’État partie fait observer que, puisque l’auteur n’a demandé ni la nationalité canadienne ni la nationalité indienne, il ne peut être considéré comme apatride et que, même s’il pouvait l’être, il n’a exercé aucun des recours ouverts aux apatrides se trouvant au Canada et souhaitant régulariser leur situation. L’État partie note que l’auteur pourrait demander que la citoyenneté lui soit attribuée à titre discrétionnaire, au motif qu’il est apatride et que le Canada est le seul pays qu’il a jamais connu. Il affirme que le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration examinerait soigneusement une telle demande et que, si sa décision était négative, l’auteur pourrait en demander le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Selon l’État partie, tant que l’auteur ne se sera pas prévalu des recours qui sont ouverts aux personnes apatrides au Canada, il ne saurait affirmer devant le Comité que le Canada a violé les droits qui seraient les siens en tant qu’apatride.

6.3L’État partie renvoie à ses observations du 10 janvier 2014 et réaffirme que les griefs que l’auteur tire des articles 9 et 14 du Pacte sont irrecevables et que ceux qu’il tire du paragraphe 4 de l’article 12, de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23 sont dénués de fondement. De plus, l’État partie soutient que, dans la mesure où les allégations de l’auteur reposent sur son éventuelle expulsion vers l’Inde, elles ont pour l’heure un caractère spéculatif et hypothétique, puisque tant que l’Inde ne lui a pas délivré de documents de voyage l’auteur ne peut pas être expulsé.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Le 25 mai 2015, l’auteur a communiqué au Comité ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ses allégations sont irrecevables parce qu’il n’a pas demandé une déclaration de citoyenneté à la Cour fédérale mais souligne que cet argument est désormais sans objet, puisque la Cour fédérale a rejeté sa demande, rendant ce recours indisponible et inutile. Il réaffirme qu’une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire ou de permis de séjour temporaire n’aurait pas d’effet suspensif sur l’ordonnance d’expulsion prise à son encontre et que ces recours sont donc inutiles.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa a) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 24 en ce qui concerne la reconnaissance de la citoyenneté sont irrecevables pour non-épuisement des recours internes, la demande de déclaration de citoyenneté de l’auteur étant toujours pendante devant la Cour d’appel fédérale, avec la possibilité d’un nouvel appel devant la Cour suprême. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’auteur d’une communication doit exercer tous les recours internes pour satisfaire à l’obligation énoncée à l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que ces recours paraissent utiles dans son cas particulier et lui soient ouverts de facto. Le Comité note l’argument de l’auteur selon lequel une demande de déclaration de citoyenneté ne constitue pas un recours disponible ou utile dans son cas, puisque la Cour fédérale a rejeté sa demande en septembre 2014. Il note toutefois que, dans le cadre de son appel devant la Cour d’appel fédérale, l’auteur a fait valoir qu’il aurait le statut d’apatride. Il note également que l’auteur ne lui a fourni aucune information sur l’état ou l’issue de cet appel, ni aucune information sur un éventuel pourvoi devant la Cour suprême. Le Comité considère par conséquent que les allégations de l’auteur au titre du paragraphe 3 de l’article 24 sont irrecevables au regard de l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les autres griefs de l’auteur devraient aussi être déclarés irrecevables pour non-épuisement des recours internes, puisque la demande de déclaration de citoyenneté de l’auteur est pendante devant la Cour d’appel fédérale et qu’il n’a demandé ni la résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire, ni un permis de séjour temporaire, ni l’attribution de la citoyenneté à titre discrétionnaire ni la suspension de son casier judiciaire. Le Comité prend note par ailleurs de l’argument de l’auteur selon lequel, compte tenu des démarches qu’il a déjà effectuées pour faire obstacle à son expulsion vers l’Inde, les recours additionnels indiqués par l’État partie n’auraient pas de chances raisonnables d’aboutir. Le Comité prend également note de l’argument incontesté de l’auteur selon lequel ces recours n’ont pas d’effet suspensif et ne le protégeraient donc pas efficacement contre l’ordonnance d’expulsion prise à son encontre. Le Comité note que l’auteur a introduit plusieurs demandes pour faire obstacle à son expulsion vers l’Inde, à savoir une demande de contrôle judiciaire de la décision négative de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié en date du 19 décembre 2011, une demande d’examen des risques avant renvoi, une demande de contrôle judiciaire de la décision négative issue de cet examen et une demande de déclaration de citoyenneté devant la Cour fédérale. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel une demande de résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire serait le recours qui correspond le plus directement à la nature de la plainte de l’auteur. Il relève de plus que la procédure correspondante est décrite comme un examen discrétionnaire mené pour déterminer si une personne doit se voir accorder la résidence permanente au Canada pour des considérations d’ordre humanitaire et que le critère déterminant est celui de savoir si le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou démesurées s’il devait demander un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada. Il relève en outre que l’État partie cite, comme exemples de telles difficultés, l’absence critique de soins médicaux ou de santé, une discrimination qui ne va pas jusqu’à la persécution et une situation d’hostilité dans le pays ayant un impact négatif direct pour le demandeur. Le Comité relève qu’aucun de ces exemples ne semble être pertinent dans le cas de l’auteur. Il note en outre que la demande pour considérations d’ordre humanitaire est une demande de résidence permanente au Canada et que l’auteur a eu le statut de résident permanent au Canada mais l’a perdu en décembre 2011 en raison de ses condamnations pénales. Le Comité considère donc que, outre qu’elle n’aurait pas d’effet suspensif, il est peu probable qu’une demande d’octroi discrétionnaire de la résidence permanente pour considérations d’ordre humanitaire introduite par l’auteur aurait eu des chances raisonnables d’aboutir. Le Comité note de plus que, outre qu’ils n’ont pas d’effet suspensif, les autres recours indiqués par l’État partie, à savoir une demande de permis de séjour temporaire ou une demande d’attribution de la citoyenneté à titre discrétionnaire, sont également décrits comme ayant un caractère discrétionnaire et que l’auteur ne pourra demander la suspension de son casier judiciaire avant 2020. Dans ces circonstances, le Comité considère que l’alinéa b) du paragraphe 2 de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner les autres griefs de l’auteur.

8.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle l’État partie l’a privé de son droit à la sécurité de la personne et de son droit d’accès à la justice, violant ainsi les droits qu’il tient des articles 9 et 14 du Pacte, en concluant qu’il n’était pas citoyen canadien et en l’interdisant de territoire au Canada pour cette raison, en lui refusant le bénéfice d’un examen complet des risques avant renvoi et en rejetant sa demande de contrôle judiciaire de la décision d’interdiction de territoire. Le Comité constate que l’auteur conteste les décisions des autorités internes mais qu’il n’a fourni aucune information et aucun argument pour étayer son allégation selon laquelle l’État partie lui a refusé l’accès à la justice ou l’a privé de son droit à la sécurité de la personne. Le Comité conclut en conséquence que l’auteur n’a pas étayé, aux fins de la recevabilité, les allégations qu’il formule au titre des articles 9 et 14 du Pacte. Il note également que l’auteur a invoqué une violation des droits qu’il tient des articles 3 et 4 du Pacte, sans toutefois fournir d’informations ou d’arguments complémentaires à cet égard, si ce n’est pour affirmer que l’argument de l’État partie selon lequel il n’a pas épuisé les recours internes est incompatible avec les obligations de l’État partie découlant des articles 3 et 4 du Pacte. En conséquence, le Comité déclare les griefs de l’auteur fondés sur les articles 3, 4, 9 et 14 irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6En l’absence d’autre obstacle à sa recevabilité, le Comité déclare la communication recevable pour ce qui est des griefs que l’auteur tire des articles 12 (par. 4), 17 et 23 (par. 1), lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et il va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2En ce qui concerne l’allégation de l’auteur au titre du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte, le Comité doit d’abord examiner si le Canada est le « propre pays » de l’auteur au sens de cette disposition et si son expulsion du Canada et le déni du droit d’entrer dans ce pays seraient arbitraires. Le Comité rappelle son observation générale no 27 (1999), sur la liberté de circulation, dans laquelle il indique que la signification des termes « son propre pays » est plus vaste que celle du « pays de sa nationalité ». Elle n’est pas limitée à la nationalité au sens strict du terme, à savoir la nationalité acquise à la naissance ou conférée par la suite ; l’expression s’applique pour le moins à toute personne qui, en raison de ses liens particuliers avec un pays ou de ses prétentions à l’égard d’un pays, ne peut être considérée dans ce même pays comme un simple étranger. Le Comité renvoie à sa jurisprudence selon laquelle il existe des facteurs autres que la nationalité susceptibles de créer des liens étroits et durables entre une personne et un pays, liens qui peuvent être plus forts que ceux de la nationalité. L’expression « son propre pays » amène à prendre en considération des éléments comme une résidence de longue durée, des liens personnels et familiaux étroits et l’intention de demeurer dans le pays, ainsi que l’absence d’autres liens du même type ailleurs.

9.3Dans la présente affaire, le Comité note qu’il est incontesté que l’auteur est né au Canada, qu’il a vécu toute sa vie au Canada et qu’il y a reçu son éducation. Ses parents et son frère résident au Canada et tous sont citoyens canadiens. L’auteur n’a jamais résidé en Inde et ne s’est rendu dans ce pays qu’une fois, pour deux semaines, alors qu’il avait 11 ans, et aucun élément versé au dossier n’atteste qu’il a des relations ou des liens avec quiconque en Inde. De plus, l’auteur allègue que ni lui-même ni ses parents n’ont demandé la citoyenneté canadienne en son nom parce qu’ils estimaient qu’étant né au Canada, un pays de jus soli, il était citoyen canadien, et que cette opinion a été confirmée par le fait que l’auteur s’est vu par deux fois délivrer un passeport canadien et le fait que son frère, également né au Canada, est citoyen canadien. Le Comité relève que, si un passeport canadien ne lui avait pas été délivré, l’auteur aurait appris beaucoup plus tôt qu’il n’était pas considéré comme un citoyen canadien, et il aurait pu demander la citoyenneté à ce moment-là. Le Comité considère donc, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce — y compris les liens puissants qui rattachent l’auteur au Canada, la présence de sa famille au Canada, la langue qu’il parle, la durée de son séjour dans le pays, la confusion au sujet de sa nationalité et l’absence de tout lien avec l’Inde autre que, au mieux, une nationalité formelle, qui n’est pas confirmée — que l’auteur a établi que le Canada était son propre pays au sens du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte.

9.4Quant au caractère prétendument arbitraire de l’éventuelle expulsion de l’auteur, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une immixtion prévue par la loi doit être conforme aux dispositions, buts et objectifs du Pacte et être dans tous les cas raisonnable eu égard aux circonstances particulières. La notion d’« arbitraire » intègre le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect de garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Il a en outre indiqué que les cas dans lesquels la privation du droit d’une personne d’entrer dans son propre pays pourrait être raisonnable, s’ils existent, sont rares. Un État partie ne doit pas, en privant une personne de sa nationalité ou en l’expulsant vers un autre pays, empêcher arbitrairement celle-ci de retourner dans son propre pays. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’expulsion de l’auteur vers l’Inde est raisonnable étant donné les circonstances et est proportionnelle à la gravité des infractions qu’il a commises. En l’espèce, étant donné que les deux condamnations de l’auteur remontent à 2009 et 2010, qu’il n’a pas récidivé depuis sa libération, qu’aucun élément du dossier n’indique qu’il a été condamné pour des infractions violentes et qu’il affirme qu’il a été réhabilité, le Comité considère que l’atteinte aux droits que l’auteur tient du paragraphe 4 de l’article 12 serait disproportionnée par rapport à l’objectif légitime déclaré, à savoir prévenir la commission de nouvelles infractions. Dans ces circonstances, le Comité conclut que l’expulsion de l’auteur vers l’Inde, si elle était mise en œuvre, violerait les droits qu’il tient du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte.

9.5Pour ce qui est de la violation alléguée de l’article 17 et du paragraphe 1 de l’article 23, lus seuls et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il peut arriver que le refus d’un État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la vie de famille de l’intéressé. Toutefois, le seul fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’expulsion d’autres membres de la même famille une immixtion du même ordre. Le Comité rappelle également ses observations générales nos 16 et 19 selon lesquelles la notion de famille doit être interprétée au sens large. Il rappelle aussi que la séparation d’une personne d’avec sa famille par le biais d’une expulsion pourrait être considérée comme une immixtion arbitraire dans la famille et comme une violation de l’article 17 si, dans les circonstances de l’espèce, les effets de la séparation sur l’auteur étaient disproportionnés par rapport aux objectifs visés.

9.6Le Comité fait observer que l’expulsion de l’auteur vers l’Inde constituerait une immixtion dans ses relations familiales au Canada. Il doit donc déterminer si cette immixtion pourrait être considérée comme arbitraire ou illégale. Il rappelle que la notion d’« arbitraire » comprend des éléments tels que le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Il rappelle aussi que les critères pour établir si l’immixtion dans la vie de famille peut ou non être objectivement justifiée doivent être considérés eu égard d’une part à l’importance des motifs avancés par l’État partie pour expulser la personne concernée et d’autre part à la situation de détresse dans laquelle la famille et ses membres se trouveraient suite à l’expulsion.

9.7Le Comité note qu’en l’espèce, la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de l’État partie dispose expressément que le statut de résident permanent d’un non‑ressortissant peut être révoqué si l’intéressé a été condamné du chef d’une infraction pénale pour laquelle une peine d’emprisonnement de plus de six mois a été prononcée. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’expulsion de l’auteur vers l’Inde est raisonnable étant donné les circonstances et proportionnelle à la gravité des infractions qu’il a commises. Le Comité note par ailleurs que l’auteur fait valoir qu’il n’a aucun lien avec l’Inde, qu’il entretient des liens étroits avec ses parents et son frère, que son expulsion entraînerait une rupture totale de ses liens familiaux puisque sa famille ne pourrait pas, pour des raisons financières, lui rendre visite en Inde et qu’il est intégré dans la société canadienne et a été réhabilité. Le Comité relève d’autre part que les parties ne sont pas d’accord en ce qui concerne l’étroitesse des liens de l’auteur avec sa famille. Il prend cependant note de la déclaration de l’auteur indiquant qu’il vit actuellement avec son frère et souhaite rester près de sa famille. Il note aussi qu’une condition de la remise en liberté de l’auteur était qu’il réside avec ses parents. Dans ces circonstances, le Comité souligne que les liens familiaux de l’auteur souffriraient s’il était expulsé vers l’Inde. Le Comité relève de plus que les deux condamnations de l’auteur remontent à 2009 et 2010 et qu’il n’a pas récidivé depuis sa libération. Le Comité conclut donc que l’immixtion dans la vie de famille de l’auteur serait disproportionnée par rapport à l’objectif légitime que constitue la prévention de nouvelles infractions. Il conclut en conséquence que l’expulsion de l’auteur vers l’Inde, si elle était mise en œuvre, constituerait une violation des articles 17 et 23 (par.1).

10.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers l’Inde, si elle était mise en œuvre, violerait les droits que celui-ci tient des articles 12 (par. 4), 17 et 23 (par. 1) du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, aux termes duquel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de réexaminer la situation de l’auteur compte tenu des obligations que lui impose le Pacte et des présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteur tant que sa situation est à l’examen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre celles‑ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion commune (en partie concordante, en partie dissidente) de deux membres du Comité,Yuval Shany et Christof Heyns

1.Nous ne partageons pas la position prise par le Comité sur la question de l’épuisement des recours internes. En particulier, nous ne sommes pas convaincus que l’auteur n’aurait pu faire valoir ses griefs au plan interne dans le cadre d’une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire. L’auteur a exprimé des doutes quant à l’efficacité de cette procédure, mais il est bien établi dans la jurisprudence du Comité que de simples doutes quant à l’efficacité de recours internes ne libèrent pas l’auteur de l’obligation de les exercer. De surcroît, le fait, qu’a relevé le Comité au paragraphe 8.4, que l’introduction d’une demande pour des considérations d’ordre humanitaire n’a pas d’effet suspensif semble n’être guère pertinent dans les affaires comme celle-ci, où aucun préjudice irréparable n’est allégué, et encore moins dans les affaires dans lesquelles aucune information précise ne donne à penser que l’expulsion est imminente (nous relevons à cet égard que l’auteur n’a pas encore été expulsé bien qu’il ait perdu son statut de résident permanent en 2011).

2.Selon les politiques, procédures et instructions destinées au personnel des services chargés de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté au Canada publiées sur le site Web officiel du Ministère, les facteurs suivants doivent notamment être pris en considération lors de l’examen des demandes pour considérations d’ordre humanitaire : l’établissement au Canada, les liens du demandeur avec le Canada, des facteurs dans son pays d’origine, les conséquences de la séparation des membres de la famille et d’autres circonstances uniques ou exceptionnelles. Tous ces facteurs semblent être extrêmement pertinents dans le cas de l’auteur, s’agissant de nombre des griefs qu’il tire du Pacte de même que de la question de savoir s’il devrait être autorisé à présenter sa demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire au Canada (bien que, comme indiqué plus haut, eu égard à l’absence de préjudice irréparable, ce recours ne serait pas nécessairement ineffectif même si l’auteur devait présenter sa demande depuis l’Inde).

3.Le Comité a noté à juste titre que l’auteur avait déjà exercé de multiples recours judiciaires au Canada : il a contesté la décision de lui retirer le statut de résident permanent, il a demandé une déclaration de citoyenneté et il a demandé un examen des risques avant renvoi complet. Néanmoins, sur la base des informations dont nous disposons et étant donné le peu d’explications fournies par l’auteur quant à la raison pour laquelle ses allégations de violation du Pacte ne peuvent être formulées dans une demande de résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire, nous ne sommes pas persuadés que l’auteur a pleinement épuisé tous les recours utiles raisonnablement disponibles. Le caractère discrétionnaire de l’octroi de la résidence permanente pour des considérations d’ordre humanitaire n’implique pas que la procédure est inutile. L’État partie a de fait démontré qu’en de nombreuses occasions le pouvoir discrétionnaire en question a été exercé pour délivrer des permis de séjour temporaire à des personnes considérées comme interdites de territoire pour grande criminalité (par. 4.9). Nous relevons également que l’argument de l’État partie selon lequel une demande pour considérations d’ordre humanitaire est le recours qui correspond le plus directement à la nature de la plainte de l’auteur n’a pas effectivement été réfuté par celui-ci.

4.Si la communication avait été recevable, nous aurions partagé l’opinion du Comité sur le fond, à savoir que les droits que l’auteur tient du paragraphe 4 de l’article 12 du Pacte ont été violés compte tenu des circonstances de l’espèce, car le Canada est « son propre pays » pour toutes les raisons exposées au paragraphe 9.3 des constatations.

5.Nous doutons toutefois sérieusement que l’auteur ait établi quant au fond que l’un quelconque des autres droits qu’il tient du Pacte serait également violé s’il était expulsé vers l’Inde. Étant donné que les liens de l’auteur avec sa famille se sont relâchés au fil des ans (les arguments des parties sur ce point sont résumés aux paragraphes 4.16 et 5.3 des constatations), que l’auteur est un jeune adulte célibataire âgé de 29 ans (de 24 ans lorsqu’il a présenté sa communication au Comité) et qu’il pourrait maintenir ses contacts avec sa famille même s’il était expulsé, nous n’aurions pas considéré son expulsion comme une mesure disproportionnée par rapport aux graves infractions qu’il a commises en raison des conséquences négatives que cette expulsion aurait sur sa vie de famille. Nous nous dissocions donc de la conclusion selon laquelle les articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte ont été violés qui figure au paragraphe 9.7 des constatations, indépendamment de la violation des droits de l’auteur au titre de l’article 12 (par. 4).

6.En résumé, s’agissant de la recevabilité, nous aurions considéré la communication comme irrecevable pour non-épuisement des recours internes en application du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif et, sur le fond, nous appuyons uniquement la constatation par le Comité d’une violation de l’article 12 (par. 4).