Comité des droits de l’homme
Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2564/2015 * , **
Communication présentée par: |
X. (représentée par un conseil, Raimundas Jurka) |
Au nom de: |
X. |
État partie: |
Lituanie |
Date de la communication: |
14 août 2014 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 février 2015 (non publiée sous forme de document) |
Date de la décision: |
29 mars 2019 |
Objet: |
Procès équitable |
Question(s) de procédure: |
Épuisement des recours internes ; griefs manifestement infondés |
Question(s) de fond: |
Procès équitable ; longueur excessive de l’enquête préliminaire ; application rétroactive de la loi pénale ; droit de recours |
Article(s) du Pacte: |
14 (par. 1 et 3 c) et g), 5 et 15 (par. 1) |
Article(s) du Protocole facultatif: |
2 et 5 (par. 2 b)) |
1.1L’auteure de la communication est X., de nationalité lituanienne, née en 1966. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 14 (par. 1, 3 c) et g), 5) et 15 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 20 février 1992. L’auteure est représentée par un conseil.
1.2Le 21 mai 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé, à la demande de l’État partie, d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.
Exposé des faits
2.1Un groupe de trois sœurs souhaitait présenter une demande de rétablissement de leurs droits de propriété sur cinq parcelles de terrain à Vilnius qui avaient appartenu à leur grand-père. L’une des sœurs, Y., qui était russophone, a prié l’auteure, en raison de l’expérience de celle-ci en matière de restitution de droits de propriété foncière, de rédiger la requête. Y. a établi une procuration autorisant l’auteure à utiliser des documents relatifs aux droits de propriété des trois sœurs. Le 18 janvier 2001, l’auteure a présenté la requête au nom des trois sœurs, en produisant les informations et les documents qui lui avaient été remis. Il a été fait droit à la demande, à la suite de quoi Y. et ses sœurs ont vendu le terrain et se sont partagé le produit de la vente. Il n’avait été promis et il n’a été payé à l’auteure aucun honoraire pour les services fournis en relation avec la requête.
2.2Il a ensuite été découvert que certains documents produits à l’appui de la requête avaient été falsifiés, et que le terrain en question appartenait à l’État. Le 26 août 2004, le bureau du procureur du district de Vilnius a ouvert une enquête et le 21 septembre 2004, les enquêteurs ont interrogé pour la première fois l’auteure en qualité de témoin.
2.3Plus de deux ans plus tard, le 1er mars 2007, le tribunal no 3 du district de Vilnius a émis un mandat autorisant le bureau du procureur du district de Vilnius à intercepter et enregistrer les conversations téléphoniques de l’auteure et à contrôler toutes autres informations transmises par l’intermédiaire de ses réseaux de communication du 7 mars au 7 mai 2007. Le 5 mai 2007, le mandat a été étendu à la période allant du 8 mai au 6 août 2007. Le 18 septembre 2007, l’enquêteur de la police criminelle a remis un rapport indiquant l’absence de toute conversation pertinente aux fins de l’enquête préliminaire.
2.4Le 16 mars 2007, l’auteure a été avisée par le bureau du procureur du district de Vilnius qu’elle était soupçonnée de fraude. Les renseignements qui avaient été obtenus durant son audition en qualité de témoin étaient repris à charge contre elle dans la notification. Le 31 octobre 2007, l’auteure a été inculpée pour avoir élaboré et mis en œuvre un stratagème délictueux afin d’acquérir gratuitement et de manière frauduleuse un terrain appartenant à l’État, notamment en soumettant en connaissance de cause les documents falsifiés suivants : a) la requête susmentionnée de Y. et de ses sœurs aux fins de rétablissement de leurs droits de propriété foncière ; b) un certificat attestant que le grand-père des sœurs avait été propriétaire de parcelles de terrain à Vilnius ; et c) un certificat de décès du grand-père le 30 novembre 1948 à Vilnius. L’auteure proclame son innocence et affirme que c’est Y. qui lui a demandé son aide, elle-même n’ayant conçu aucun plan pour acquérir frauduleusement les biens.
2.5Le 21 mars 2008, le tribunal no 3 du district de Vilnius a relaxé l’auteure, au motif que les éléments du dossier n’étaient pas suffisants pour prouver l’intention de l’auteure d’acquérir frauduleusement le terrain. Le 9 avril 2008, le procureur régional de Vilnius a saisi le tribunal régional de Vilnius qui l’a débouté de son appel le 10 décembre 2008. Le tribunal régional a rejeté l’argument du procureur selon lequel l’auteure était la personne la plus intéressée par l’acquisition du terrain, estimant qu’il n’était pas démontré que l’auteure avait effectivement tiré un bénéfice matériel des transactions foncières, puisque seules Y. et ses sœurs avaient reçu une contrepartie (30 000 litai au total) pour le terrain. Le 10 mars 2009, le procureur régional de Vilnius a saisi la Cour suprême de Lituanie d’un pourvoi en cassation. Le 23 juin 2009, la Cour suprême a annulé la décision du tribunal régional de Vilnius et a renvoyé l’affaire au même tribunal aux fins de son réexamen en appel. La Cour suprême a estimé que le tribunal régional n’avait pas raisonnablement expliqué pourquoi, selon lui, les faits ne démontraient pas que l’auteure avait acquis frauduleusement le terrain appartenant à l’État en s’occupant activement du rétablissement des droits fonciers, notamment en soumettant des documents falsifiés.
2.6Pour le réexamen de l’affaire en appel, la composition initiale de la chambre du tribunal régional de Vilnius avait été fixée en 2009. Or, cette composition a été modifiée le 29 mars 2011, puis de nouveau le 31 mars 2011. Le tribunal a rejeté une requête de l’auteure aux fins de réouverture des débats en raison de la nouvelle composition de la chambre. Celle-ci, dans sa dernière composition, n’a entendu qu’un témoin, les autres témoins ayant déposé devant la chambre dans sa composition initiale.
2.7Le 6 mai 2011, le tribunal régional de Vilnius a déclaré l’auteure coupable de violation de l’article 182 2) du Code pénal, pour avoir fait frauduleusement acquis un bien d’État au nom de Y., et l’a condamnée à quatre ans d’emprisonnement. En se fondant sur l’article 73 2) du Code pénal, le tribunal régional a aussi ordonné la confiscation d’une somme de 143 000 litai appartenant à l’auteure et représentant le prix des parcelles de terrain acquises.
2.8Les 22, 26, 27, 28, 29 avril et 11 mai 2011, l’auteure a demandé à prendre connaissance du procès-verbal de l’audience de jugement devant le tribunal régional de Vilnius. Elle n’a pu y avoir accès que le 17 mai 2011, c’est-à-dire après sa condamnation. Ce procès-verbal comportait des erreurs matérielles. Tout d’abord, selon ce document, l’audience commencée à 8 heures s’était terminée à 9 heures ; or l’audience n’avait duré que cinquante minutes, car le juge était arrivé avec dix minutes de retard. Ensuite, selon le procès-verbal, après le rejet de la requête de l’auteure aux fins de réouverture des débats à la suite du changement de composition de la chambre, le tribunal a dévoilé les dépositions des témoins. Il n’a cependant donné lecture que du nom de ceux-ci, et non de la teneur de leurs dépositions. Il aurait d’ailleurs été impossible au tribunal de lire 60 pages de dépositions en cinquante minutes. Les requêtes de l’auteure concernant ces vices de procédure ont été essentiellement rejetées par le tribunal régional de Vilnius le 17 juin 2011 lorsqu’il a refusé de réécouter l’enregistrement audio de l’audience de jugement. Le tribunal n’a pas commenté les allégations de l’auteure quant aux contradictions existant entre le procès-verbal et les faits.
2.9Le 23 juin 2011, l’auteure s’est pourvue devant la Cour suprême pour contester le jugement de culpabilité au motif que lors du réexamen de l’affaire, le tribunal régional de Vilnius avait commis plusieurs erreurs substantielles de procédure et que son impartialité était sujette à caution. Le 6 décembre 2011, la Cour suprême a débouté l’auteure, estimant qu’il n’y avait pas eu d’erreurs de procédure.
Teneur de la plainte
3.1L’auteure affirme que l’État partie a violé son droit à un procès équitable garanti par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, et ceci à deux égards. Tout d’abord, dans sa décision du 23 juin 2009, la Cour suprême a présumé l’auteure coupable, ce qui a incité le tribunal régional chargé de réexaminer l’affaire à la déclarer coupable. De fait, la Cour suprême a affirmé que les preuves à charge contre l’auteure n’avaient pas été contestées ni contredites. Le fait de suggérer directement que l’auteure était coupable et devait être condamnée a constitué une atteinte à l’indépendance de la justice. En vertu de l’article 386 2) du Code de procédure pénale, la juridiction de cassation n’est pas habilitée à énoncer les conclusions susceptibles d’être tirées lors du réexamen de l’affaire. En second lieu, la composition de la chambre du tribunal régional de Vilnius a été modifiée à deux reprises durant le réexamen de l’affaire sans explication objective ni raisonnable. De ce fait, le réexamen de l’affaire a été indûment long et complexe.
3.2Le droit de l’auteure d’être jugée sans retard excessif en vertu du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte a lui aussi été violé, puisque le délit supposé a eu lieu en 2001 alors que l’auteure n’a été officiellement avisée qu’elle était soupçonnée de falsification de documents et de fraude que le 16 mars 2007 et n’a été déclarée coupable que le 6 mai 2011. Par conséquent, pendant quatre ans, l’auteure a souffert d’un sentiment d’anxiété et d’insécurité quant à son avenir. En outre, prononcée aussi tardivement, la condamnation n’a pas permis d’atteindre les objectifs qu’elle est censée viser (prévention, punition, dissuasion, et mise en œuvre du principe de justice).
3.3En violation des droits garantis par le paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte, les déclarations que l’auteure avait faites lors de son audition en qualité de témoin dans l’affaire pénale ont été utilisées contre elle lorsqu’elle a été inculpée. La situation d’un témoin est différente de celle d’un suspect. Les témoins ne peuvent pas devoir répondre à des questions si leurs réponses pourraient révéler des informations susceptibles de fonder des soupçons ou des poursuites contre eux.
3.4Il y a aussi eu violation des droits que l’auteure tient du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte parce qu’elle n’a pas eu la possibilité de faire réexaminer par une juridiction supérieure l’intégralité de son affaire. La juridiction de cassation (la Cour suprême) n’a examiné que les questions touchant à l’application et à l’interprétation de la loi. Le Comité a estimé dans plusieurs affaires qu’un accusé avait le droit de faire réexaminer sa déclaration de culpabilité par une juridiction supérieure. En outre, le droit de l’auteure de prendre connaissance du procès-verbal de l’audience de jugement du tribunal régional de Vilnius a été restreint par la longueur des délais, alors que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte protège le droit de tout accusé de prendre connaissance des pièces du dossier et des décisions rendues.
3.5L’auteure allègue aussi une violation des droits qu’elle tient du paragraphe 1 de l’article 15 du Pacte.
Observations de l’État partie sur la recevabilité
4.1Dans ses observations datées du 8 avril 2015, l’État partie fait valoir que la plupart des griefs de l’auteure sont irrecevables au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte parce que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes. Dans son pourvoi en cassation, elle n’a pas soulevé la question de l’atteinte alléguée à l’indépendance et à l’impartialité du tribunal, y compris celle de la modification de la composition de la chambre du tribunal régional. Elle n’a pas non plus allégué devant les autorités internes qu’un retard excessif était intervenu dans la procédure pénale, qu’elle avait été contrainte de témoigner contre elle-même ni que la compétence de la juridiction de cassation quant à l’appréciation des faits était indûment limitée.
4.2Comme il le souligne dans sa jurisprudence, le Comité n’est pas une quatrième instance qui serait compétente pour réexaminer les conclusions des tribunaux sur les faits ou étudier la façon dont la législation interne est appliquée. La plainte de l’auteure conteste des décisions adoptées au plan interne. Ces décisions sont cependant fondées, et les procédures ayant conduit à leur adoption ne font apparaître aucune violation substantielle du droit interne ou du Pacte.
4.3Tous les griefs de l’auteure sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif faute d’avoir été étayés. S’agissant du grief de violation de son droit à un procès équitable allégué par l’auteure au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, il est précisé que le système judiciaire de la Lituanie, constitué de plusieurs degrés de juridiction, permet de rectifier les éventuelles erreurs commises par les juridictions inférieures, de prévenir l’injustice et d’infirmer les condamnations lorsque de nouveaux faits sont révélés. La juridiction de cassation est tenue de motiver ses décisions ou de formuler des principes directeurs en vue de remédier à des violations. Dans le cas de l’auteure, cette juridiction (la Cour suprême), après avoir procédé à un examen approfondi des circonstances et des motifs de la décision de la juridiction d’appel (le tribunal régional de Vilnius), a conclu que cette dernière avait omis d’examiner en profondeur l’appel du procureur, de tenir compte de ses principaux arguments, et de motiver de façon convaincante le rejet de l’appel. Contrairement à ce que soutient l’auteure, et si l’on tient compte de l’intégralité de la décision de la Cour suprême, on ne saurait conclure que celle-ci a laissé entendre que la juridiction inférieure chargée de réexaminer l’affaire devait déclarer l’auteure coupable. La Cour suprême a fait observer que le sceau du certificat de décès contrefait du grand-père des requérantes avait été copié sur un autre certificat de décès que l’auteure avait certifié devant notaire. Elle a estimé que la juridiction d’appel n’avait pas raisonnablement réfuté les moyens de preuve à charge. Cela ne signifie toutefois pas que ces moyens de preuve n’auraient pu être réfutés par des arguments raisonnablement fondés lors du réexamen de l’affaire.
4.4Concernant le grief de l’auteure au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte parce que la procédure a été inutilement prolongée par les modifications apportées à la composition de la chambre du tribunal régional durant le procès, l’État partie déclare que c’était le Président du département des affaires pénales de la Cour qui avait déterminé la composition initiale de la chambre le 26 juin 2009. L’application d’un décret présidentiel entré en vigueur le 29 mars 2011 a rendu nécessaire le remplacement d’un juge, qui est intervenu le même jour, le 29 mars 2011. Le 31 mars 2011, une autre modification de la composition de la chambre a été ordonnée. Il est indiqué dans le dossier que, par suite de la révocation imprévue d’un juge, le tribunal a connu des problèmes d’organisation qui ont entraîné des modifications inévitables de la composition de la chambre. Il a été procédé à ces modifications conformément à la loi, à savoir l’article 323 (par. 4) du Code de procédure pénale, et au règlement du tribunal. La chambre ne s’est pas réunie et n’a tenu aucune audience dans sa composition du 29 mars 2011. La modification de sa composition intervenue à cette date n’a donc eu aucune conséquence pour l’examen de l’affaire. Dans sa décision, la Cour suprême a noté que l’auteure avait été jugée par la juridiction d’appel du 22 avril au 6 mai 2011, si bien que dans sa nouvelle composition, la chambre avait eu suffisamment de temps pour préparer l’examen de l’affaire et prendre connaissance de la totalité du dossier. Bien qu’elle prétende que le tribunal régional a fait preuve de partialité en statuant sur sa culpabilité, l’auteure n’a pas étayé ce grief car elle n’a pas montré comment cette partialité s’était manifestée.
4.5Le grief de retard excessif allégué par l’auteure au titre du paragraphe 3 c) de l’article 14 du Pacte n’est pas non plus étayé. Le droit d’être jugé sans retard excessif concerne la période comprise entre l’acte d’inculpation et l’ouverture du procès, ainsi que celle qui s’écoule jusqu’à ce qu’il soit définitivement statué sur les recours. Il ne vise pas la période comprise entre la commission du fait délictueux et l’adoption d’une décision définitive. L’auteure a été pour la première fois avisée des soupçons la concernant le 6 février 2007, et a été officiellement inculpée le 31 octobre 2007. La Cour suprême a rendu son arrêt définitif le 6 décembre 2011. Ainsi, la procédure devant les 3 degrés de juridiction, y compris le renvoi devant la juridiction d’appel aux fins de réexamen, a duré quatre ans. Dans sa jurisprudence, le Comité a conclu qu’un délai de quatre ans entre l’inculpation officielle d’une personne et le prononcé du jugement ne constituait pas une violation du paragraphe 3 de l’article 14. En l’espèce, l’enquête a été complexe car elle concernait les délicates questions du rétablissement des droits de propriété et des circonstances de la fraude. L’acte d’inculpation était fondé sur le témoignage de cinq personnes, et de nombreux documents écrits avaient dû être examinés par des experts du Centre de police scientifique de Lituanie. En outre, les conclusions du tribunal no 3 du district de Vilnius sur un aspect civil de l’affaire pénale avaient été jointes au dossier pénal.
4.6Le grief de l’auteure au titre du paragraphe 3 g) de l’article 14 du Pacte est totalement dépourvu de fondement. L’auteure n’a jamais avoué sa culpabilité lors de son interrogatoire en qualité de témoin durant l’enquête préliminaire. Selon le procès-verbal de son audition en tant que témoin le 21 septembre 2004, l’auteure a dit qu’elle ne pouvait donner aucune information parce qu’elle ne connaissait rien des documents d’archives en question et n’avait pas représenté Y. et ses sœurs devant le tribunal. Il n’y a donc pas eu d’atteinte au droit de l’auteure de garder le silence. En outre, l’auteure n’a pas indiqué quelles preuves à charge aurait été obtenues durant son interrogatoire ni comment ces moyens de preuve auraient été ultérieurement utilisés à son détriment au cours des poursuites pénales engagées contre elle. Ni l’acte d’inculpation ni le jugement de culpabilité ne sont fondés sur les déclarations de l’auteure en qualité de témoin durant l’enquête préliminaire. Au contraire, les tribunaux n’ont fait référence à son témoignage que dans la mesure où l’auteure y niait sa culpabilité. L’acte d’inculpation émis contre l’auteure était fondé sur des témoignages et les conclusions d’un expert du Centre de police scientifique, lequel a conclu que l’auteure avant contrefait la signature de Y. sur la requête en reconnaissance de propriété foncière.
4.7Le grief de l’auteure au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte est lui aussi dépourvu de fondement parce que l’auteure a effectivement pu faire réexaminer intégralement le jugement de culpabilité la concernant par une juridiction supérieure. La procédure de cassation en Lituanie consiste essentiellement en un recours contre des décisions de procédure sur des points de droit. Dans sa jurisprudence, le Comité n’a pas considéré que cette procédure en tant que forme de réexamen d’une déclaration de culpabilité constituait en soi une violation du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Au contraire, le Comité a constaté à de nombreuses reprises que lorsque des déclarations de culpabilité étaient examinées dans le cadre de la procédure de cassation, les conditions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte étaient remplies. En droit lituanien, la juridiction de cassation ne procède pas à une nouvelle évaluation des éléments de preuve du dossier et ne recueille pas de nouveaux moyens de preuve. Néanmoins, elle examine les arguments avancés dans le pourvoi, sur lesquels les conclusions des juridictions inférieures concernant l’établissement des faits et l’appréciation des preuves se sont fondées. L’État partie cite de nombreux exemples d’affaires dans lesquelles la juridiction de cassation lituanienne a annulé une déclaration de culpabilité prononcée par la juridiction d’appel et confirmé une relaxe prononcée par le tribunal de première instance. L’État partie considère aussi que la jurisprudence citée par l’auteure à l’appui de son grief au titre du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte n’est pas pertinente. L’auteure cite un grand nombre de communications concernant l’Espagne pour étayer l’idée que les faits et les moyens de preuve auraient dû être réexaminés au niveau de la cassation, mais la procédure de cassation espagnole diffère de celle en vigueur en Lituanie en ce que les affaires pénales qui sont soumises à la Cour suprême de Lituanie ont déjà été examinées par deux degrés de juridiction (tribunaux de première instance et d’appel) ayant pleine compétence pour connaître des questions de fait et de droit. Si la procédure l’exige, la juridiction de cassation peut renvoyer l’affaire pénale à la juridiction d’appel aux fins de réexamen. De plus, en Lituanie la juridiction de cassation n’est pas liée par les critères formels stricts qui s’imposent aux juridictions de cassation espagnoles lorsqu’elles exercent leur pouvoir de réexamen des preuves. Par contraste avec les affaires qu’elle évoque, l’auteure a pu faire réexaminer sa déclaration de culpabilité par la juridiction de cassation, qui a examiné les questions qu’elle avait soulevées dans son pourvoi. Ainsi, l’auteure n’a nullement été empêchée d’exercer effectivement son droit de faire réexaminer la condamnation prononcée par la juridiction d’appel. L’auteure fait référence à l’affaire Gelazauskas c. Lituanie , dans laquelle le Comité a conclu que l’État partie avait violé l’article 14 (par. 5) du Pacte, alors que le contexte de cette affaire était sensiblement différent. Dans l’affaire Gelazauskas, l’auteur avait été condamné en 1994 en vertu de la législation en vigueur à cette époque, qui prévoyait que la Cour suprême lituanienne statuait en tant que juridiction de première instance et que ses décisions n’étaient pas susceptibles d’appel. Cette législation a depuis longtemps été abrogée. Ainsi, l’affaire Gelazauskas est dépourvue de pertinence pour l’appréciation de la situation de l’auteure de la communication à l’examen.
4.8En outre, le grief de l’auteure au titre du paragraphe 5 de l’article 14, concernant l’impossibilité de prendre connaissance du procès-verbal d’audience du 6 mai 2011, est dépourvue de fondement. Ce grief a été examiné au plan interne. Comme le montrent les pièces du dossier, notamment la décision de la Cour suprême du 6 décembre 2011, l’auteure a pu prendre connaissance du procès-verbal d’audience et, dans son pourvoi en cassation, a fait valoir que ce procès-verbal comportait des erreurs. La Cour a estimé que ce grief alléguait des vices de procédure concernant l’annonce des témoignages mais ne portait pas sur le contenu ou le fond, ni sur des facteurs susceptibles d’avoir influencé l’adoption d’une déclaration de culpabilité juste et motivée. La Cour a donc conclu que les violations alléguées des règles de procédure pénale ne pouvaient être considérées comme substantielles.
Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité
5.1Dans ses commentaires en date du 12 mai 2015, l’auteure conteste l’affirmation de l’État partie qui soutient qu’elle tente de contester les décisions adoptées par les juridictions internes. Au contraire, l’objectif de l’auteure est de démontrer les atteintes aux règles de procédure qui lui sont garanties par le Pacte.
5.2À propos de l’épuisement des recours internes et en ce qui concerne son grief au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’auteure affirme que bien qu’elle n’ait pas expressément mentionné dans son pourvoi en cassation du 23 juin 2011 l’atteinte à l’indépendance de la justice résultant de la présomption de culpabilité contenue dans la décision de la Cour suprême du 23 juin 2009, il était clair que sa contestation portait sur le raisonnement ayant conduit à cette décision. Pour ce qui est du grief au titre de l’article 14 (par. 1) concernant le changement de composition de la chambre du tribunal, l’État partie n’est pas fondé à soutenir que l’auteure n’a pas demandé la récusation de l’un ou l’autre des juges du tribunal régional, parce qu’elle n’a pas été en mesure d’exercer ce droit et que sa demande de réouverture des débats en raison des modifications apportées à la composition du tribunal a été rejetée. À propos du grief de retard excessif au titre de l’article 14 (par. 3), le conseil de l’auteur a soulevé la question de la lenteur de l’enquête préliminaire devant les juridictions internes. Le 12 octobre 2007, le tribunal no 1 du district de Vilnius a ordonné au procureur de clore l’enquête préliminaire le 30 novembre 2007 au plus tard. L’auteure soutient aussi qu’elle ne saurait être tenue d’exercer tous les recours juridiques possibles pour la défense de ses intérêts en vertu du droit interne, car s’il existe plus d’un recours, elle n’est tenue d’utiliser que l’un d’entre eux. Ainsi, si un recours permet de réparer un préjudice résultant de la violation du Pacte, l’auteure n’est pas obligée d’exercer d’autres recours ayant essentiellement le même but.
5.3L’auteure réitère ses griefs. En ce qui concerne son grief au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte en raison de la partialité entachant la décision de la Cour suprême du 23 juin 2009, elle rappelle que la Cour a exprimé l’avis que l’auteure ne pouvait pas être relaxée sur la base des informations disponibles. La Cour a ainsi ouvert la voie à une restriction de l’indépendance du tribunal qui a réexaminé l’affaire, en affirmant indirectement que la culpabilité devait être reconnue.
5.4À propos du grief relatif au caractère immuable de la composition du tribunal régional de Vilnius, l’article 223 du Code de procédure pénale dispose que toute affaire en matière pénale doit être examinée par la même formation d’un tribunal. Si l’un ou l’autre des juges n’est plus présent pour quelque raison que ce soit, un autre juge doit le remplacer à l’audience, et l’examen de l’affaire doit reprendre depuis le début. Cette disposition ne s’applique pas lorsque le juge remplaçant a été désigné par avance. En l’espèce, l’examen de l’affaire n’a pas été repris depuis le début. De l’avis de l’auteure, la modification intervenue le 31 mars 2011 dans la composition du tribunal justifie sa conviction que l’examen de son affaire a manqué de transparence, compte tenu notamment du fait que le tribunal n’a pas réexaminé les éléments de preuve, a rejeté sa demande de réouverture des débats motivée par la modification susvisée, et a consigné des informations inexactes dans le procès-verbal de l’audience.
5.5S’agissant du grief au titre de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte, l’auteure réaffirme ses arguments ; elle soutient aussi que la durée de la procédure pénale a été prolongée de manière injustifiable compte tenu du « faible volume de l’affaire » et des « progrès de l’enquête ». La procédure a comporté l’audition de cinq témoins seulement, et une seule expertise. Tout accusé a droit à un procès aussi rapide que possible. Le personnel judiciaire doit agir de manière responsable et avec diligence. Dix années se sont écoulées entre la commission de l’infraction et l’adoption de la décision définitive.
5.6Pour ce qui est du grief au titre de l’article 14 (par. 3 g)) du Pacte, le Comité interprète largement le droit de tout accusé de ne pas témoigner contre lui-même. Il a affirmé que les États doivent veiller à ce qu’un accusé ne soit pas contraint de témoigner contre lui-même. L’affirmation de l’État partie selon laquelle les déclarations de l’auteure en qualité de témoin n’ont pas été utilisées durant la procédure pénale est dépourvue de pertinence. L’auteure a été interrogée en qualité de témoin sur des éléments (à savoir le fait qu’elle avait représenté les intérêts de Y. et de ses sœurs dans une affaire de rétablissement de droits de propriété) qui ont ultérieurement servi de base aux soupçons dirigés contre elle.
5.7En ce qui concerne le grief au titre de l’article 14 (par. 5), la Cour suprême a affirmé à de nombreuses reprises qu’elle n’avait pas à connaître des moyens de preuve, mais qu’elle examinait au contraire les recours sur des points de droit et des violations substantielles du Code de procédure pénale. De plus, et en application de l’article 376 4) du Code de procédure pénale, lorsqu’elle est saisie d’une affaire dans le cadre d’une procédure de cassation, la Cour s’appuie sur les éléments de preuve qui ont été examinés lors des audiences devant les juridictions inférieures. Or toute personne déclarée coupable par la juridiction d’appel après avoir été relaxée par le tribunal de première instance doit pouvoir contester la déclaration de culpabilité dans sa totalité, sans aucune limite quant au droit et aux éléments de preuve. Ce droit a été dénié à l’auteure.
5.8À propos du grief de l’auteure relatif à l’accès aux comptes rendus d’audience, l’auteure soutient que n’ayant pas eu accès en temps utile au procès-verbal, elle n’a pas pu préparer correctement son pourvoi en cassation. La Cour suprême a reconnu les vices de procédure mais a considéré qu’ils étaient de pure forme et n’y a pas remédié. Par conséquent, le droit de l’auteure de contester la totalité du jugement de culpabilité a été restreint.
5.9Pour ce qui est du grief tiré de l’article 15 (par. 1) du Pacte, à la date de la déclaration de culpabilité de l’auteure, le délai de prescription pour les infractions graves réprimées par l’article 182 1) du Code pénal était de huit ans. L’auteure a été jugée sur cette base. Ainsi, l’action pénale contre elle était prescrite le 7 mai 2009. Or, dans les décisions qu’ils ont rendues en 2011, le tribunal régional et la Cour suprême ont rejeté les arguments de l’auteure relatifs à la prescription. La Cour suprême a évalué certains aspects de l’affaire concernant l’auteure conformément au libellé initial de la loi, et d’autres aspects conformément au nouveau libellé de celle-ci, d’où une aggravation de la situation de l’auteure et une violation du principe lex retro non agit.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
6.3En ce qui concerne la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, le Comité note que, selon l’État partie, l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles quant à ses griefs au titre de l’article 14 (par. 1 et 3 c) et g)), ou au titre de l’article 14 (par. 5) du Pacte, relativement à la compétence limitée de la juridiction de cassation en matière d’appréciation des faits. Pour ce qui est du grief au titre de l’article 14 (par. 1) concernant le changement de composition du tribunal régional de Vilnius à deux reprises durant le réexamen de l’affaire, le Comité note que selon l’État partie, l’auteure n’a pas exercé le droit que lui offrait la loi de procédure pénale de demander la récusation de l’un ou l’autre des juges, et qu’elle n’a pas soulevé la question de la composition du tribunal dans son pourvoi en cassation. Tout en notant que sa requête aux fins de réouverture des débats a été rejetée, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment expliqué pourquoi elle n’avait pas fait valoir ses allégations concernant la composition du tribunal dans son pourvoi en cassation. Concernant l’article 14 (par. 3 c)), le Comité note que, bien que l’auteure soutienne avoir soulevé la question de la lenteur de l’enquête préliminaire devant le tribunal no 1 du district de Vilnius, elle ne fait pas valoir qu’elle aurait évoqué celle de la lenteur du procès pénal dans ses recours. De même, s’agissant de ses griefs au titre des articles 14 (par. 1, 3 g) et 5), le Comité relève que l’auteure n’affirme pas avoir fait valoir devant les juridictions internes a) que la Cour suprême, dans sa décision du 23 juin 2009, aurait suggéré qu’il convenait de la déclarer coupable lors du réexamen de l’affaire, b) qu’elle avait été contrainte de témoigner contre elle-même, ou c) que la compétence de la juridiction de cassation était indûment limitée. Le Comité note aussi que la juridiction de cassation a procédé à une évaluation des griefs soulevés par l’auteure dans son pourvoi. Quant à l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle n’était tenue d’épuiser qu’un seul recours disponible, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’auteur d’une communication doit exercer tous les recours internes pour satisfaire à l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que ces recours paraissent utiles dans son cas particulier et lui soient ouverts de facto. Le Comité estime en conséquence que, parce que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes, ses griefs au titre des paragraphes 1, 3 c) et g) et 5 de l’article 14 du Pacte (concernant la compétence de la juridiction de cassation) sont irrecevables.
6.4Pour ce qui est du grief que l’auteure tire de l’article 14 (par. 5) au motif que son droit de se pourvoir a été restreint parce qu’elle n’a pu prendre connaissance que tardivement du procès-verbal de l’audience de jugement, le Comité estime que l’auteure n’a pas suffisamment expliqué en quoi ce retard avait compromis son pourvoi. Le Comité note aussi que l’auteure a pu faire valoir dans son pourvoi que le procès-verbal était entaché d’erreurs, et que ses allégations à cet égard ont été dûment analysées par la juridiction de cassation. Le Comité estime par conséquent que ce grief au titre de l’article 14 (par. 5) du Pacte n’est pas suffisamment étayé et qu’il est donc irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.
6.5Le Comité prend note du grief que tire l’auteure de l’article 15 (par. 1) du Pacte, en invoquant l’expiration du délai de prescription de huit ans applicable selon elle à l’infraction dont elle a été reconnue coupable. Il relève que l’auteure n’a pas répondu aux explications données par le tribunal régional de Vilnius et la Cour suprême de Lituanie, dont il ressort que le délai de prescription applicable était de dix ans. Le Comité considère que les renseignements fournis par l’auteure ne sont pas suffisants, aux fins de la recevabilité, pour démontrer qu’il y aurait eu application rétroactive de la loi pénale en l’espèce. Par conséquent, le Comité considère que ce grief est dénué de fondement et qu’il est irrecevable conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.
6.6En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :
a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 et du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ;
b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure de la communication.