Nations Unies

CCPR/C/127/D/2956/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 décembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2956/2017 * , * * , ***

Communication présentée par :

B. A. et consorts (représentés par un conseil, Susanna Paulweber)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Autriche

Date de la communication :

8 février 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

8 novembre 2019

Objet :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; expulsion vers la Bulgarie

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ; non-épuisement des recours internes ; mesures provisoires

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

7 et 2 (par. 3 a)) lu conjointement avec l’article 7

Article(s) du Protocole facultatif :

1 et 2

1.1Les auteurs de la communication sont B. A., né en 1976, et N. T., née en 1980, ainsi que leurs cinq enfants mineurs, R. L. et R. L., des jumelles nées en 2004, M. L., né en 2010, R. L., née en 2014 et D. L., née en 2015. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 mars 1988. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 14 février 2017, agissant en application de l’article 94 de son règlement intérieur par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas expulser les auteurs vers la Bulgarie tant que leur communication serait à l’examen. Le Rapporteur spécial a réitéré cette demande le 15 mars 2017. Le 14 avril 2017, il est apparu que l’État partie avait renvoyé les auteurs en Bulgarie le 16 mars 2017. Les auteurs résident actuellement en Iraq.

Exposé des faits

2.1Dans leur lettre initiale, les auteurs déclaraient être des Syriens d’origine ethnique kurde qui n’avaient jamais obtenu la nationalité syrienne. Ils avaient fui la République arabe syrienne pour l’Autriche et affirmaient avoir de bonnes raisons de craindre d’être persécutés. Dans leurs nouveaux commentaires datés du 31 août 2018, ils indiquent qu’ils venaient d’Iraq.

2.2Les auteurs sont arrivés en Bulgarie en juillet 2016. Ils ont été arrêtés et conduits dans un centre de détention. Ils affirment que la police bulgare les a menacés en pointant des armes sur eux. Ils sont restés quatorze jours au centre de détention et n’ont été libérés qu’après avoir déposé une demande d’asile. Ils affirment qu’ils n’ont pas reçu l’alimentation ni les soins de santé voulus pendant leur détention et que leurs deux plus jeunes enfants, âgés de 1 et 2 ans, ont été nourris de pain trempé dans de l’eau au lieu de lait. Après le dépôt de leur demande d’asile, les auteurs ont été transférés dans un camp où ils devaient dormir à même le sol et où la nourriture restait insuffisante. Le père était contraint de nettoyer les sols.

2.3Les auteurs ont quitté la Bulgarie à une date non précisée. Selon l’État partie, le fichier Eurodac indique qu’ils ont demandé l’asile en Hongrie le 7 septembre 2016. À une date non précisée, ils ont quitté la Hongrie pour l’Autriche, où ils ont demandé l’asile le 24 septembre 2016.

2.4Les auteurs font valoir que leurs enfants étaient en état de malnutrition à leur arrivée en Autriche. Ils indiquent que la mère était en mauvaise santé. Elle souffrait d’un trouble de stress post-traumatique depuis que les auteurs avaient quitté leur pays d’origine. Elle souffrait également de dépression. Elle n’a été ni examinée ni soignée en Bulgarie. Un rapport clinique de l’hôpital universitaire d’Innsbruck daté du 18 janvier 2017 indique qu’elle avait besoin d’urgence d’un traitement psychotraumatologique et que, du point de vue médical, il serait irresponsable de l’expulser.

2.5Le 13 janvier 2017, l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile a rejeté les demandes d’asile des auteurs en indiquant qu’en application du Règlement no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride (le Règlement Dublin), il appartenait à la Bulgarie d’en examiner le bien-fondé. L’Office a en outre décidé de renvoyer les auteurs en Bulgarie.

2.6Le 25 janvier 2017, les auteurs ont introduit un recours contre cette décision devant le Tribunal administratif fédéral. Celui-ci n’a pas reconnu d’effet suspensif à leur recours et l’a rejeté pour défaut de fondement le 8 mars 2017. Le père s’est pourvu contre la décision du Tribunal administratif fédéral.

2.7Le 10 février 2017, l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile a demandé un avis au médecin-chef du Département des questions médicales et sanitaires du Ministère fédéral de l’intérieur sur la question de savoir si les auteurs étaient en état de voyager, eu égard à la sténose du col vésical dont souffrait le père, aux problèmes gynécologiques de la mère et à la thalassémie dont était atteint l’un des enfants. Le 13 février 2017, le médecin-chef a conclu qu’aucun examen supplémentaire n’était requis concernant la thalassémie et que, du point de vue médical, il pouvait être procédé au renvoi des auteurs. L’État partie affirme qu’il a immédiatement transmis le dossier médical des auteurs aux autorités bulgares.

2.8Le 16 mars 2017, l’État partie a renvoyé les auteurs en Bulgarie.

2.9Le 20 mars 2017, les auteurs ont déposé des requêtes aux fins de la clôture de leur procédure de demande d’asile en Bulgarie, ainsi qu’une demande d’assistance en vue de leur retour volontaire en Iraq.

2.10Le 26 avril 2017, les auteurs ont introduit un recours devant la Cour constitutionnelle autrichienne. Le 2 mai 2017, celle-ci a décidé d’accorder à ce recours un effet suspensif. Le 4 mai 2017, les auteurs ont demandé au Ministère fédéral de l’intérieur de donner instruction à l’ambassade d’Autriche en Bulgarie d’autoriser leur réadmission en Autriche. Le 30 juin 2017, ils ont demandé à la Cour constitutionnelle d’ordonner une mesure provisoire aux mêmes fins.

2.11Suite à la demande des auteurs en date du 20 mars 2017, les autorités bulgares ont clos les procédures d’asile. Les intéressés ont interjeté appel de cette décision.

2.12Le 21 septembre 2017, la Cour constitutionnelle autrichienne a rejeté le recours des auteurs. Ceux-ci font valoir qu’ils n’ont pas été réadmis en Autriche avant le prononcé de cet arrêt.

2.13Le 20 février 2018, la Cour administrative suprême autrichienne a débouté le père de son recours.

2.14Les auteurs indiquent que leur transfert de Bulgarie en Iraq a eu lieu autour du 20 novembre 2017. Ils résident actuellement en Iraq, à proximité de la ville de Zakho.

Teneur de la plainte

3.1Dans leur lettre initiale, les auteurs affirment que leur expulsion vers la Bulgarie les exposerait à un risque de traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Ils font référence à un rapport daté du 2 janvier 2014 dans lequel le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) préconisait de mettre un terme aux transferts de demandeurs d’asile en Bulgarie en raison d’un risque réel de traitement inhumain ou dégradant résultant de défaillances systémiques dans les conditions d’accueil et les procédures d’asile de ce pays. Les auteurs affirment que si, depuis le 15 avril 2014, le HCR a cessé d’appeler à suspendre les renvois en Bulgarie en raison d’importantes améliorations des conditions d’accueil générales, il a continué d’exprimer des préoccupations quant à ces conditions d’accueil et à l’identification des demandeurs d’asile vulnérables, entre autres. Les auteurs citent divers rapports confirmant la précarité des conditions d’accueil en Bulgarie, notamment les problèmes d’hygiène, les violences, la surpopulation, la malnutrition et les carences en matière d’éducation, de soins médicaux et d’informations sur les procédures d’asile.

3.2En ce qui concerne la nécessité d’un suivi médical pour la mère, les auteurs citent des informations faisant état de l’insuffisance de la prise en charge médicale des demandeurs d’asile en Bulgarie. L’assurance maladie n’existe souvent que sur le papier et les demandeurs qui ont besoin d’un accompagnement psychosocial ne sont pas pris en charge. Les auteurs font valoir que, parce que la police bulgare les a déjà maltraités et que la mère et les enfants n’ont pas reçu de soins médicaux, il y a de sérieuses raisons de croire que s’ils étaient renvoyés en Bulgarie ils seraient placés en détention et ne bénéficieraient pas des traitements médicaux voulus.

3.3À la date à laquelle les auteurs ont présenté leur requête au Comité, le recours qu’ils avaient introduit contre la décision du 13 janvier 2017 était toujours pendant devant le Tribunal administratif fédéral autrichien, qui ne lui avait pas reconnu d’effet suspensif. Les auteurs ont donc fait valoir qu’ils risquaient d’être renvoyés en Bulgarie et qu’ils ne disposaient, contre la décision de renvoi, d’aucun recours utile au sens de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 14 avril 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité. Il souligne que le Règlement Dublin établit un dispositif pour la détermination de l’État membre de l’Union européenne auquel il incombe d’examiner le bien-fondé d’une demande d’asile et indique qu’en principe, c’est le premier État sur le territoire duquel le demandeur d’asile est entré en provenance d’un État tiers. Un État membre peut toutefois décider d’examiner une demande d’asile même s’il n’est pas tenu de le faire en application du Règlement Dublin, notamment lorsque le transfert du demandeur violerait le principe de non-refoulement. Si l’issue de la procédure est favorable au demandeur d’asile alors que celui-ci a été expulsé en application du Règlement Dublin, ce règlement oblige l’État membre concerné à le réadmettre.

4.2De plus, l’État partie fait observer que la loi autrichienne relative à la procédure devant l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile dispose que le recours formé contre une décision de rejet d’une demande d’asile et prévoyant l’éloignement du demandeur n’a d’effet suspensif que si le Tribunal administratif fédéral lui confère expressément cet effet. Celui-ci n’est conféré que si l’on peut supposer que le renvoi entraînerait un risque réel de violation des articles 2, 3 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (la Convention européenne des droits de l’homme) ou des Protocoles no 6 et no 13 y relatifs, ou qu’il mettrait gravement en danger la vie ou l’intégrité de l’intéressé en tant que civil exposé aux violences aveugles propres aux situations de conflit international ou interne. Les décisions du Tribunal administratif fédéral sont susceptibles de recours devant la Cour administrative suprême. Il est également possible de saisir la Cour constitutionnelle en invoquant la violation de droits garantis par la Constitution. Les recours formés devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle peuvent s’accompagner d’une demande d’effet suspensif pour empêcher le renvoi.

4.3L’État partie fait également référence à la directive 2013/33/EU du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, qui vise à garantir à celles-ci un niveau de vie digne et des conditions de vie comparables dans tous les États membres de l’Union européenne (la Directive sur les conditions d’accueil). La Directive sur les conditions d’accueil vise à garantir que la dignité humaine des demandeurs d’asile soit pleinement respectée, eu égard notamment aux besoins particuliers de certains d’entre eux et à l’intérêt supérieur des enfants. Elle édicte des normes minimales applicables dans tous les États membres de l’Union européenne en ce qui concerne la liberté de circulation, l’accès aux soins de santé, au marché du travail et à l’éducation, la fourniture de conditions d’hébergement adéquates et humaines et d’une alimentation suffisante et l’évaluation et la prise en compte des besoins particuliers.

4.4L’État partie soutient en outre que la communication est irrecevable au motif que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles. Ils ont présenté leur communication alors que la décision du Tribunal administratif fédéral était encore pendante. L’État partie rappelle que les décisions du Tribunal peuvent faire l’objet d’un recours tant devant la Cour administrative suprême que devant la Cour constitutionnelle, et que les auteurs peuvent demander qu’un effet suspensif soit conféré à leur recours. L’État partie fait valoir que ces recours sont utiles même lorsqu’il a été procédé au transfert en application du Règlement Dublin, car ce texte oblige les États membres à réadmettre immédiatement le demandeur si l’issue de la procédure lui est favorable. L’État partie argue que le renvoi en application du Règlement Dublin ne cause donc pas un préjudice irréparable. Il indique que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, les frontières internationales ne font pas en elles-mêmes obstacle à l’épuisement des recours internes.

4.5L’État partie affirme que la communication est également irrecevable parce qu’elle n’est pas suffisamment étayée.

4.6À cet égard, l’État partie fait valoir que l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile et le Tribunal administratif fédéral ont examiné avec soin et de manière approfondie la demande d’asile des auteurs. Ils ont tous deux analysé en détail la situation générale des demandeurs d’asile en Bulgarie et estimé que l’état de santé des auteurs ne faisait pas obstacle à leur transfert vers ce pays. À la lumière des arguments présentés par les auteurs, de leur situation individuelle, y compris leur état de santé, et de la situation en Bulgarie à l’époque, l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile et le Tribunal administratif fédéral ont conclu que leur renvoi en Bulgarie n’exposerait pas les intéressés à un risque d’atteinte à leurs droits de l’homme.

4.7L’État partie fait observer que dans sa décision du 8 mars 2017 déboutant les auteurs de leur appel, le Tribunal administratif fédéral a conclu qu’ils n’avaient pas établi que leurs droits fondamentaux risquaient d’être violés s’ils étaient renvoyés en Bulgarie. Tout en constatant que les critiques formulées à l’égard du système bulgare d’asile et d’accueil s’étaient intensifiées au début de 2014, le Tribunal a aussi relevé que le HCR avait depuis lors cessé d’appeler à une suspension générale des transferts vers la Bulgarie en application du Règlement Dublin. Il a fait observer que la procédure d’asile et les conditions d’accueil en Bulgarie appelaient encore des améliorations et que les auteurs, en tant que famille comptant plusieurs jeunes enfants, étaient vulnérables, mais qu’ils avaient eu accès à la procédure de demande d’asile et bénéficié d’une prise en charge suffisante. En outre, les autorités bulgares n’avaient pas encore statué sur leur demande d’asile. Le Tribunal a également relevé que les forces de sécurité bulgares garantissaient le maintien de la paix, de l’ordre et de la sécurité publics et que le retour des auteurs dans le pays en coopération avec les pouvoirs publics se ferait dans les conditions de sécurité voulues. Il a aussi fait observer que les auteurs avaient présenté des demandes d’asile dans trois différents États membres de l’Union européenne en l’espace de trois mois, mais qu’ils n’avaient attendu l’issue des procédures ni en Bulgarie ni en Hongrie. De surcroît, le Tribunal a estimé que les restrictions imposées en Bulgarie à la liberté des demandeurs d’asile n’étaient pas de nature à constituer en elles-mêmes une violation de leurs droits de l’homme.

4.8En outre, l’État partie indique que la Bulgarie s’est engagée à se conformer à la Convention européenne des droits de l’homme, à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, à la Directive sur les conditions d’accueil et aux autres instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme. L’État partie fait valoir qu’actuellement le HCR ne recommande pas de ne pas procéder à des transferts en Bulgarie en application du Règlement Dublin. De plus, un plan d’assistance spéciale à la Bulgarie a été élaboré en décembre 2014 par le Bureau européen d’appui en matière d’asile.

4.9L’État partie fait également observer qu’à sa connaissance, la Cour européenne des droits de l’homme n’a rendu aucune décision établissant que le traitement réservé aux demandeurs d’asile en Bulgarie était inapproprié. Il cite une affaire portée devant la Cour contre l’Autriche concernant un transfert en Bulgarie en application du Règlement Dublin. Il s’agissait comme en l’espèce d’une famille de demandeurs d’asile qui comprenait une fille mineure ainsi que des personnes âgées et malades. L’Autriche ayant obtenu de la Bulgarie l’assurance que les autorités bulgares accueilleraient les auteurs en tenant compte des besoins propres à la famille et qu’elles leur fourniraient les soins appropriés, la Cour avait radié l’affaire de son rôle.

4.10L’État partie renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire R. A. A. et Z. M. c.  Danemark, dans laquelle le Comité a estimé que le transfert vers la Bulgarie d’un couple et de leur nourrisson au titre du Règlement Dublin constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il indique toutefois que la présente espèce diffère sensiblement de cette affaire en ce que celle-ci a été introduite en 2014, alors que l’état du système bulgare d’asile et d’accueil était bien pire qu’aujourd’hui, que les auteurs, R. A. A. et Z. M., avaient le statut de réfugié et étaient particulièrement vulnérables parce qu’ils avaient un nourrisson, que le mari souffrait d’une maladie cardiaque nécessitant un traitement médical d’urgence et que le Danemark n’avait pas examiné s’il existait un risque réel de mauvais traitements.

4.11L’État partie indique que ses autorités considèrent toute demande de mesure provisoire émanant d’un tribunal international ou d’un organe conventionnel comme une occasion de procéder à un réexamen des affaires concernées. Ses autorités soumettent également les demandeurs d’asile à des examens médicaux afin de déterminer s’ils peuvent être placés en détention et s’ils sont en état de voyager par avion, continuent de surveiller leur état de santé pendant la détention, et recueillent l’avis de médecins spécialistes, d’experts et de thérapeutes avant le vol afin d’assurer la continuité des soins.

4.12L’État partie fait aussi observer que les auteurs ont utilisé au moins trois identités différentes en Europe et qu’ils n’ont pas été en mesure de fournir des preuves de leurs noms, dates de naissance et nationalité.

4.13Le 20 avril 2017, l’État partie a produit une copie de la décision du Tribunal administratif fédéral en date du 8 mars 2017.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Le 14 août 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de la communication. Il rappelle que les autorités autrichiennes n’ont pas été en mesure d’établir l’identité et la nationalité des auteurs en raison du caractère contradictoire de leurs déclarations. L’Office fédéral de l’immigration et de l’asile et le Tribunal administratif fédéral ont rejeté leurs demandes d’asile parce que, aux termes du Règlement Dublin, c’est à la Bulgarie qu’il incombait d’examiner ces demandes. En outre, l’État partie soutient que s’ils étaient renvoyés, les auteurs ne seraient pas exposés à un risque réel de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui, selon lui, sont quasi identiques à l’article 7 du Pacte.

5.2L’État partie cite l’article 3 (par. 2) du Règlement Dublin, qui dispose qu’un État membre de l’Union européenne doit assumer la responsabilité de l’examen d’une demande d’asile lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. L’État partie rappelle qu’un État membre peut décider d’examiner une demande d’asile même lorsque le Règlement Dublin ne l’y oblige pas, notamment eu égard à l’obligation de non-refoulement. En outre, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle et de la Cour administrative suprême oblige les autorités autrichiennes à prendre en considération les articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme lorsqu’elles statuent sur le renvoi de demandeurs d’asile en application du Règlement Dublin.

5.3L’État partie fait observer que les autorités bulgares ont clos la procédure d’asile des auteurs à la demande de ceux-ci et que les recours de la mère et des enfants contre cette décision ont également été rejetés. Il fait valoir qu’il est difficile de savoir si les auteurs résident toujours en Bulgarie et souhaitent que l’examen de leur communication se poursuive, et que cette communication devrait être rejetée si les auteurs sont retournés dans leur pays d’origine.

5.4En ce qui concerne le grief tiré par les auteurs de la violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie rappelle l’observation générale no 20 (1992) du Comité, sur l’interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dont le paragraphe 9 dispose que les États parties ne doivent pas exposer des individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d’une mesure d’extradition, d’expulsion ou de refoulement. L’État partie rappelle également que l’observation générale no 31 (2004) du Comité, sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, indique que l’obligation faite à l’article 2 aux États parties de respecter et garantir à toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et à toutes les personnes soumises à leur contrôle les droits énoncés dans le Pacte entraîne l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte, dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite. L’État partie soutient également que les mots « risque réel » impliquent que le risque doit être la conséquence nécessaire et prévisible du renvoi.

5.5L’État partie fait valoir que l’Office fédéral autrichien de l’immigration et de l’asile et le Tribunal administratif fédéral ont examiné avec soin et de manière approfondie la situation individuelle des auteurs, notamment leur état de santé, les mauvais traitements qui leur auraient été infligés par la police bulgare, y compris l’utilisation de chiens, ainsi que l’intérêt supérieur des enfants. Ils ont également procédé à une analyse approfondie de la situation générale des demandeurs d’asile en Bulgarie. L’Office comme le Tribunal ont pris en considération les rapports des organisations non gouvernementales, les déclarations du HCR et les informations communiquées par l’agent de liaison autrichien du Ministère fédéral de l’intérieur sur le traitement des demandeurs d’asile et les besoins des personnes renvoyées en application du Règlement Dublin. Ni l’Office ni le Tribunal n’ont conclu à l’existence d’un risque réel de torture ou de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les autorités autrichiennes ont expliqué pourquoi elles ne pouvaient pas accepter les allégations des auteurs concernant les menaces des forces de sécurité bulgares à leur encontre et ont fait en sorte que les intéressés puissent voyager sans encadrement médical. De plus, conformément au Règlement Dublin, elles ont transmis le dossier médical des auteurs à la Bulgarie.

5.6L’État partie réaffirme que le HCR a cessé de recommander de ne pas procéder à des transferts vers la Bulgarie en application du Règlement Dublin et qu’un plan d’assistance spéciale à la Bulgarie a été élaboré par le Bureau européen d’appui en matière d’asile. En outre, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas, à ce jour, rendu de décision susceptible de susciter des inquiétudes quant au fait que les demandeurs d’asile seraient inadéquatement traités ou pris en charge en Bulgarie. La conclusion de la Cour dans l’affaire M. S. S c.  Belgique et Grèce, à savoir qu’un État membre de l’Union européenne ne devrait pas procéder à un renvoi vers un autre État membre dans lequel les défaillances de la procédure d’asile et les conditions d’accueil entraîneraient un risque réel de traitement inhumain et dégradant n’est pas applicable en l’espèce, car il n’y a pas de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil en Bulgarie ni de motifs individuels justifiant une telle conclusion.

5.7L’État partie mentionne les conditions d’accueil des auteurs à leur retour en Bulgarie telles qu’elles sont décrites dans le rapport de l’Agence nationale bulgare pour les réfugiés au Conseil des ministres en date du 31 mars 2017. Il est indiqué dans ce rapport que les autorités ont hébergé les auteurs au centre pour réfugiés de Vrazhdebna-Sofia et leur ont assuré une prise en charge conforme à la Directive sur les conditions d’accueil. Des repas chauds leur étaient servis trois fois par jour et ils avaient accès au système de soins de santé bulgare, y compris à un accompagnement psychosocial. Il est également indiqué dans le rapport que certains des auteurs avaient déjà bénéficié de soins médicaux et que pendant son séjour au centre pour réfugiés de Vrazhdebna-Sofia, le père avait fait une chute dans la salle de bain et s’était « probablement » cassé la jambe. Il avait été immédiatement transféré à l’hôpital de soins d’urgence Pirogov à Sofia, où il avait refusé de se laisser soigner, expliquant qu’il souhaitait retourner en Iraq et se faire soigner dans ce pays. L’État partie produit une copie d’une déclaration datée du 30 mars 2017 attribuée à l’intéressé, dans laquelle il indique qu’il a refusé de faire soigner son genou à l’hôpital de soins d’urgence Pirogov parce qu’il ne savait pas qui paierait les soins en question, que son seul problème est son genou et que les conditions de vie et l’atmosphère au centre pour réfugiés sont « bonnes et agréables ».

5.8Pour ce qui est des griefs tirés par les auteurs de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie fait valoir que les intéressés n’ont pas indiqué en quoi les droits qu’ils tiennent de cet article auraient été violés. L’État partie précise que sa législation dispose qu’une mesure d’éloignement ne peut être exécutée tant que le délai prévu par la loi pour introduire un recours n’est pas arrivé à expiration. Si les conditions d’octroi de l’effet suspensif du recours sont réunies et que l’effet suspensif n’a pas été accordé dans un délai d’une semaine, le demandeur d’asile peut demander à la Cour administrative suprême de fixer un délai approprié pour qu’il soit statué sur ce point. La Cour constitutionnelle considère également que les juridictions d’appel peuvent décider au cas par cas s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif au recours dès lors que le renvoi est suspendu jusqu’à ce que la décision soit prise.

5.9L’État partie souligne qu’en Autriche des autorités judiciaires indépendantes statuent sur les demandes d’effet suspensif dans des délais très brefs après avoir attentivement examiné les documents qui leur ont été soumis par les demandeurs. La loi autrichienne prescrit aux autorités chargées de cette décision d’examiner si l’exécution d’une mesure de renvoi violerait le principe de non-refoulement.

5.10L’État partie fait observer que les appelants contre une décision du Tribunal administratif fédéral peuvent saisir la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle et que les auteurs disposaient donc de recours utiles contre le rejet de leurs demandes d’asile. Les auteurs ont formé un recours devant la Cour constitutionnelle mais non devant la Cour administrative suprême.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

6.1Dans leurs observations en date du 24 octobre 2017, les auteurs font observer qu’en juin 2017 la Cour constitutionnelle autrichienne a annulé une décision du Tribunal administratif fédéral relative au transfert en Bulgarie d’une mère et de ses deux enfants mineurs au motif que le Tribunal n’avait pas tenu compte du fait que les conditions d’hébergement en Bulgarie s’étaient dégradées au point de devenir inacceptables. L’arrêt indique que l’observation du HCR d’avril 2014 concernant l’amélioration des procédures d’asile en Bulgarie a été suivie d’une détérioration des conditions d’hébergement en 2015.

6.2Les auteurs font valoir que, dans leur cas, le Tribunal administratif fédéral est parvenu à des conclusions en substance identiques. Ils soutiennent qu’après l’arrêt qu’elle a rendu en juin 2017, la Cour constitutionnelle s’est montrée incohérente en concluant, trois mois plus tard, que leur recours n’avait pas suffisamment de chances d’aboutir. Or, devant la Cour constitutionnelle, les auteurs avaient invoqué un rapport du HCR du 29 novembre 2016 faisant état de la détérioration des conditions d’accueil en Bulgarie. Les auteurs indiquent qu’ils ont l’intention d’introduire un recours devant la Cour administrative suprême.

6.3Après le renvoi des auteurs en Bulgarie, le père a fait une chute dans des escaliers et a dû subir une intervention chirurgicale. Souffrant d’une inflammation postopératoire, il aurait dû être réopéré mais l’on ne savait pas précisément qui prendrait en charge le coût de l’opération. La mère, qui avait trébuché et était tombée, aurait elle-aussi eu besoin d’un examen médical, mais elle n’avait toujours pas reçu de soins plus d’une semaine après son accident en raison de l’absence d’interprète.

6.4Les auteurs indiquent qu’après leur retour en Bulgarie, ils vivaient dans un logement collectif près de Sofia. Ils font valoir qu’ils vivaient dans un endroit très isolé, que le père n’était pas en mesure d’accompagner les enfants à l’école parce qu’il avait besoin de béquilles pour se déplacer et que les enfants n’allaient donc pas à l’école. La mère, qui souffrait d’une dépression, n’était pas capable de s’occuper d’eux. La famille vivait dans une seule pièce, qui ne fermait pas à clef. Elle recevait initialement de l’État une aide mensuelle de 14 euros par personne, mais ces versements avaient cessé. Les auteurs font également valoir que, faute d’interprètes, ils n’ont pas été suffisamment informés du déroulement des procédures d’asile en Bulgarie.

6.5Les auteurs invoquent divers rapports concernant les procédures d’asile et les conditions d’accueil en Bulgarie. Ils font observer que plusieurs États membres de l’Union européenne ont suspendu les transferts en Bulgarie en application du Règlement Dublin de janvier à novembre 2016. Ces rapports confirment l’existence de graves dysfonctionnements dans le système d’asile bulgare, notamment des détentions prolongées, le surpeuplement dans les structures d’hébergement, la médiocrité des conditions d’hygiène et de vie, ainsi que l’absence de soutien en dehors du logement, de l’alimentation et des services médicaux de base, à quoi s’ajoute la suppression des allocations financières mensuelles depuis le 1erfévrier 2015.

6.6Les auteurs font observer qu’en décembre 2016, dans l’affaire R. A. A et Z. M. c.  Danemark, le Comité a conclu que le renvoi d’une famille syrienne en Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Ils font également valoir que l’Autriche et la Hongrie ont renvoyé en Bulgarie des auteurs de communication syro-kurdes et afghans vulnérables en 2017 malgré la demande de mesures provisoires formulée par le Comité. Ils citent des décisions de juridictions allemandes, autrichiennes, belges, françaises, italiennes et néerlandaises de 2016 et 2017 dans lesquelles les juges ont estimé qu’un transfert vers la Bulgarie en application du Règlement Dublin exposerait les intéressés à un risque de traitement inhumain ou dégradant et constaté l’existence de défaillances structurelles dans le système d’asile bulgare.

Observations complémentaires de l’État partie

7.Dans ses observations complémentaires du 29 mai 2018, l’État partie ajoute que dans sa décision du 21 septembre 2017 la Cour constitutionnelle avait conclu que le Tribunal administratif fédéral n’avait pas interprété la législation autrichienne de manière contraire au droit des droits de l’homme ni commis, dans la procédure, d’erreurs flagrantes constitutives d’une violation de ce droit. L’État partie fait observer que la Cour administrative suprême a, le 20 février 2018, rejeté le recours formé par le père au motif que celui-ci ne réfutait la présomption selon laquelle il pouvait être transféré en toute sécurité vers un autre État membre de l’Union européenne. L’État partie répète que plusieurs juridictions autrichiennes indépendantes ont examiné avec soin et de manière approfondie les moyens soulevés par les auteurs mais n’ont pu établir l’existence d’un risque réel de violation de leurs droits de l’homme. Il réaffirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes et défaut de fondement des griefs.

Nouveaux commentaires des auteurs

8.1Dans leurs nouveaux commentaires du 31 août 2018, les auteurs contestent l’argument de l’État partie selon lequel ils n’auraient pas épuisé les recours internes. Ils font valoir que, si l’État partie mentionne la possibilité de recours devant la Cour constitutionnelle et la Cour administrative suprême, la seule voie de droit à leur disposition au moment où ils ont présenté leur communication était le recours en instance devant le Tribunal administratif fédéral. Étant donné que l’effet suspensif ne lui avait pas été accordé, les auteurs vivaient dans la crainte constante d’être expulsés sans que la question de savoir si leur expulsion pourrait entraîner une violation de l’article 7 du Pacte ait été réexaminée. Les auteurs ont, de fait, été renvoyés en Bulgarie le 16 mars 2017. À la date à laquelle ils ont présenté leur communication, ils ne disposaient donc d’aucun recours susceptible de faire obstacle à leur renvoi en Bulgarie. Ils rappellent que le Comité a déclaré recevable la communication présentée dans l’affaire Simalae Toala et consorts c.  Nouvelle-Zélande parce qu’il n’était pas évident pour le Comité que les recours que les auteurs pouvaient encore exercer auraient pour effet d’empêcher leur expulsion. Les auteurs soulignent que le Comité a clairement indiqué à maintes reprises, notamment dans des rapports de pays, que pour être considérés comme utiles les recours contre l’expulsion doivent avoir un effet suspensif et le Comité contre la torture ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme ont exprimé des vues similaires.

8.2Les auteurs font valoir qu’avec la décision rendue par la Cour administrative suprême le 20 février 2018, ils ont désormais épuisé les recours internes disponibles. Ils avancent que dans une autre affaire concernant une famille avec des enfants mineurs, la Cour administrative suprême a conclu que la juridiction d’appel saisie n’avait pas évalué le risque réel de traitement inhumain ou dégradant auquel les appelants seraient exposés, en tant que famille vulnérable, en cas de renvoi en Bulgarie. Les auteurs affirment qu’ils ne voient pas la raison pour laquelle, quelques mois plus tard seulement, la Cour administrative suprême a statué différemment en ce qui les concerne.

8.3Les auteurs font valoir que, des suites de sa grave fracture du genou qui n’a pas été soignée immédiatement en Bulgarie, le père qui est maintenant en Iraq ressent encore des douleurs et éprouve des difficultés à marcher. Un cancer de la vessie a un stade précoce lui a de plus été diagnostiqué. Un médecin iraquien lui a expliqué que les chances de succès d’un traitement étaient faibles pour un coût élevé. La mère souffre toujours d’une grave dépression causée par les expériences qu’elle a vécues pendant le périple qui a conduit la famille d’Iraq en Turquie, puis en Bulgarie, en Hongrie et en Autriche. Elle a fait une fausse couche, qu’elle attribue à la dépression, à la faim et aux conséquences psychologiques du voyage. Elle bénéficie d’une prise en charge psychologique en Iraq. Quatre des cinq enfants, dont le plus jeune, sont atteints de thalassémie. La plus jeune des filles souffre d’être séparée des camarades de classe et amis qu’elle a laissés en Autriche et elle ne s’intègre pas au sein de la communauté dans laquelle vit la famille en Iraq. Les trois enfants d’âge scolaire n’ont pas eu accès à l’éducation parce qu’ils ont manqué la date limite des inscriptions, mais ils pourront être inscrits l’année prochaine. Les auteurs font valoir que la situation dans laquelle ils se trouvent actuellement révèle le calvaire qu’ils ont vécu depuis que l’État partie les a renvoyés en Bulgarie, ainsi que les conséquences néfastes que ce renvoi a eues sur l’état de santé physique et mentale de tous les membres de la famille.

8.4Pour ce qui est de leur situation financière, les auteurs indiquent qu’ils vivent actuellement de l’aide que leur fournissent parents et amis. Aucun emploi n’est compatible avec la condition physique actuelle du père. Les auteurs ne reçoivent aucune aide de l’État.

8.5Les auteurs rappellent que dans l’affaire X. c.  Danemark, le Comité a estimé que les États parties devraient accorder un poids suffisant au risque réel et personnel que les individus concernés pourraient courir à la suite de leur renvoi. Ils rappellent également l’affaire Y. A. A. et F. H. M. c.  Danemark, dans laquelle le Comité a fait observer que les expériences qu’ont déjà vécues les personnes expulsées dans le premier pays d’asile peuvent mettre en relief les risques particuliers qu’elles sont susceptibles de courir et qui peuvent faire de leur retour dans le premier pays d’asile une expérience particulièrement traumatisante pour elles. Les auteurs relèvent que le Comité a estimé, dans l’affaire Hashi c. Danemark, que l’État partie devait effectuer une évaluation personnalisée du risque que les auteurs courraient en Italie et non se fonder sur des hypothèses et des informations d’ordre général. Dans cette affaire, l’auteure avait allégué qu’en raison des difficultés d’accès à une nourriture et à des soins médicaux suffisants en Italie, elle était sous-alimentée, s’évanouissait souvent et avait failli faire une fausse couche.

8.6Les auteurs affirment que leur affaire est similaire à celle des auteurs dans les affaires Y. A. A. et F. H. M.  c.  Danemark et Hashi c. Danemark en ce qu’eux aussi ont fait l’objet d’un traitement inhumain dans le premier pays d’asile et ont subi un préjudice grave après leur expulsion d’Autriche. Ils affirment qu’ils étaient extrêmement vulnérables et que l’État partie n’a pas examiné leur argument selon lequel ils seraient confrontés à des conditions de vie insupportables en Bulgarie.

Délibérations du Comité

Non-respect par l’État partie de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité en application de l’article 94 de son règlement intérieur

9.1Le Comité note qu’adopter des mesures provisoires en application de l’article 94 de son règlement intérieur, conformément à l’article premier du Protocole facultatif, lui est indispensable pour exercer la fonction qui lui est assignée par cet article. Le refus de faire droit à une demande de mesures provisoires qu’il a formulée dans le but de prévenir un préjudice irréparable compromet la protection des droits consacrés par le Pacte.

9.2Comme indiqué au paragraphe 19 de l’observation générale no 33 (2008) du Comité, sur les obligations des États parties en vertu du Protocole facultatif, l’inobservation des mesures provisoires est incompatible avec l’obligation de respecter de bonne foi la procédure d’examen des communications individuelles établie par le Protocole facultatif. Le Comité considère donc qu’en ne donnant pas effet à la demande de mesures provisoires qui lui a été transmise le 14 février 2017 et a été réitérée le 15 mars 2017, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en application de l’article premier du Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes parce qu’ils ont présenté leur communication alors que les recours qu’ils avaient introduits contre le rejet de leurs demandes d’asile étaient encore pendants devant le Tribunal administratif fédéral, après quoi ils auraient pu se pourvoir devant la Cour administrative suprême et la Cour constitutionnelle. Le Comité prend en outre note de l’argument de l’État partie selon lequel ces recours doivent être considérés comme utiles car, si l’introduction d’un recours contre le rejet d’une demande d’asile en première instance ne suspend pas automatiquement le renvoi en application du Règlement Dublin, l’État partie aurait été dans l’obligation de réadmettre immédiatement les auteurs dans le cas où l’issue de la procédure leur aurait été favorable.

10.4Le Comité considère toutefois que, lorsqu’un recours réputé être ouvert à la victime ne la protège pas contre un événement qu’elle tente d’empêcher et qui aurait pour conséquence de lui causer un préjudice irréparable, ce recours est par définition inutile. En l’espèce, les auteurs ont, le 25 janvier 2017, introduit devant le Tribunal administratif fédéral un recours auquel celui-ci n’a pas conféré d’effet suspensif et qu’il a rejeté comme dénué de fondement le 8 mars 2017. Le père a fait appel de cette décision devant la Cour administrative suprême, mais celle-ci a rejeté cet appel le 20 février 2018. Entre-temps, le 16 mars 2017, les auteurs avaient été renvoyés en Bulgarie. Le 26 avril 2017, les auteurs ont introduit devant la Cour constitutionnelle un recours auquel celle-ci a conféré un effet suspensif. Les auteurs n’ont toutefois pas été réadmis en Autriche en attendant que la Cour constitutionnelle rende sa décision, ce qu’elle n’a fait que le 21 septembre 2017, date à laquelle elle a rejeté le recours des auteurs. Le Comité n’est donc pas empêché par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner la communication.

10.5Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable parce qu’insuffisamment étayée. Il note, s’agissant du grief tiré par les auteurs de l’article 7 du Pacte, que l’État partie fait valoir que les autorités autrichiennes ont examiné soigneusement et de manière approfondie les demandes d’asile des auteurs en tenant compte notamment de leurs arguments, de leur situation personnelle, de leur état de santé et de la situation en Bulgarie à l’époque, et qu’elles ont conclu que leur renvoi n’entraînerait pas de risque de violation de leurs droits de l’homme. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la Bulgarie s’est engagée à respecter la Convention européenne des droits de l’homme, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la Directive sur les conditions d’accueil et les autres instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’homme. Le Comité prend de plus note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le HCR a cessé de recommander de ne pas effectuer de transferts vers la Bulgarie au titre du Règlement Dublin.

10.6Le Comité note que les auteurs arguent qu’au cours de leur premier séjour en Bulgarie la police les a menacés en pointant des armes sur eux, qu’ils n’ont pas reçu une alimentation adéquate, que la mère n’a pas été soignée alors qu’elle souffrait d’un trouble de stress post-traumatique et d’une dépression, qu’on les a obligés à demander l’asile et qu’ils ont dû dormir à même le sol, que le père était contraint de nettoyer. Le Comité note que les auteurs invoquent également un certain nombre de rapports qui décrivent en détail l’état des procédures d’asile et les conditions d’accueil en Bulgarie.

10.7En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les autorités bulgares les ont menacés en pointant des armes sur eux, le Comité note que les auteurs n’ont pas fourni d’autres informations montrant comment elle contribue à établir que leur expulsion vers la Bulgarie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte. Il note en outre que, s’ils affirment que la mère et les enfants n’ont pas reçu de soins en Bulgarie, les auteurs n’indiquent pas s’ils ont fait des démarches pour en recevoir. En ce qui concerne les allégations des auteurs au sujet de leur deuxième séjour en Bulgarie et des difficultés qu’ils connaissent actuellement en Iraq, en principe le Comité n’examine pas des événements faisant suite à un renvoi lorsqu’il est allégué que celui-ci a constitué une violation du Pacte à ce moment-là, à moins que ces événements ne clarifient la situation qui existait au moment pertinent. Eu égard aux observations relatives à la situation de tous les auteurs en Bulgarie, et notant que, si les conditions d’accueil en Bulgarie étaient préoccupantes lorsque les auteurs y ont été renvoyés, le HCR ne recommandait plus de ne pas renvoyer des demandeurs d’asile en Bulgarie, le Comité considère que les griefs tirés par les auteurs de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il conclut en conséquence que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) de Gentian Zyberi

Observations générales

1.Je ne peux souscrire à la déclaration d’irrecevabilité du Comité en l’espèce. La raison en est que trois manquements doivent être reprochés aux autorités autrichiennes dans cette affaire, à savoir : premièrement, elles n’ont pas adéquatement tenu compte de la santé de la mère ; deuxièmement, elles n’ont pas adéquatement pris en considération l’intérêt supérieur des cinq enfants mineurs ; et troisièmement, elles ne se sont pas conformées aux mesures provisoires indiquées par le Comité une première fois le 14 février 2017 et une seconde le 15 mars 2017, ni à la décision de la Cour constitutionnelle en date du 2 mai 2017 conférant un effet suspensif au recours des auteurs (par. 2.10). Mon évaluation repose sur ce que savaient les autorités autrichiennes au moment où les auteurs étaient en territoire autrichien avant d’être renvoyés en Bulgarie. Le traitement qui leur a été réservé une fois qu’ils ont été renvoyés d’Autriche confirme les griefs qu’ils tirent de l’article 7 du Pacte.

2.Les auteurs ont formulé plusieurs griefs touchant l’article 7, notamment le fait qu’ils n’ont pas eu accès à des soins de santé adéquats pour la mère et le père parce que l’on ne savait pas trop qui devrait prendre à sa charge le coût des traitements de la jambe du père (par. 6.3), ainsi que le fait que la mère n’a pas bénéficié d’un traitement psychotraumatologique (par. 2.4 et 3.2). Les enfants n’ont pu aller à l’école (par. 6.4) puisque leurs parents ne pouvaient les y accompagner en raison de leur état de santé. La famille, composée de sept personnes, vivait dans une seule pièce qui ne fermait pas à clef (par. 6.4). Enfin, les auteurs ont aussi souligné que l’aide financière limitée qu’ils recevaient des autorités bulgares avait pris fin (par. 6.4).

3.Les conditions lamentables imposées aux demandeurs d’asile en Bulgarie sont reflétées dans les nombreux documents et rapports invoqués par les auteurs. À cet égard, il convient de noter que le Règlement Dublin autorise un État à prendre une affaire en charge et que, après avoir retiré sa recommandation de ne pas procéder à des transferts vers la Bulgarie en application du Règlement Dublin, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a appelé à faire preuve d’une vigilance particulière s’agissant du transfert des demandeurs d’asile ayant des besoins spécifiques et demandeurs vulnérables. La situation générale de cette famille et la vulnérabilité particulière de ses membres auraient dû inciter les autorités autrichiennes à s’occuper de leur cas elles-mêmes, au lieu de les renvoyer en Bulgarie.

Santé de la mère

4.Il n’apparaît pas, à la lecture des informations figurant au dossier, que les autorités autrichiennes aient procédé à une évaluation adéquate de la situation des auteurs. Il est indiqué, dans un rapport clinique de l’hôpital universitaire d’Innsbruck daté du 18 janvier 2017, que la mère avait besoin d’urgence d’un traitement psychotraumatologique et que l’expulser serait irresponsable du point de vue médical (par. 2.4). Malgré l’existence de ce rapport clinique, l’Office fédéral de l’immigration et de l’asile a demandé le 10 février 2017 au médecin-chef du Département des questions médicales et sanitaires du Ministère fédéral de l’intérieur un avis sur le point de savoir si les auteurs étaient en état de voyager. Le 13 février 2017, le médecin-chef a conclu que, du point de vue médical, il pouvait être procédé à leur renvoi (par. 2.7). Environ un mois plus tard, le 16 mars 2017, l’État partie a renvoyé les auteurs en Bulgarie. Il semble ainsi n’avoir été tenu aucun compte du rapport clinique de l’hôpital universitaire d’Innsbruck selon lequel, du point de vue médical, cette expulsion était irresponsable.

Intérêt supérieur des enfants

5.La famille des auteurs comprend cinq enfants mineurs : des jumelles âgées de 13 ans, un garçon âgé de 10 ans, un bébé de 2 ans et un autre de 1 an. Les auteurs ont affirmé qu’ils n’ont pas reçu l’alimentation ni les soins de santé voulus durant leur détention en Bulgarie et que les deux plus jeunes enfants, âgés de 1 et 2 ans, ont été nourris de pain trempé dans de l’eau au lieu de lait (par. 2.2). Quatre des cinq enfants souffraient de thalassémie (par. 2.7 et note de bas de page 8). Les autorités autrichiennes invoquent la directive 2013/33/EU du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, laquelle, en son article 23, vise expressément la protection des mineurs. Cet article dispose que les États membres de l’Union européenne doivent garantir un niveau de vie adéquat pour le développement physique, mental, spirituel, moral et social du mineur. Étant donné l’état de santé de quatre des enfants, en d’autres termes le fait qu’ils souffraient de thalassémie, les conditions de vie inadéquates dans le centre d’accueil bulgare (une famille de sept personnes vivant dans une seule pièce ne fermant pas à clef) et le fait que les enfants n’avaient pas accès à l’enseignement et à des activités de loisirs, les autorités autrichiennes n’ont pas adéquatement pris en compte l’intérêt supérieur des cinq enfants mineurs.

Inobservation des mesures provisoires et de l’effet suspensif de la décision de la Cour constitutionnelle

6.Les autorités autrichiennes ne se sont pas conformées aux mesures provisoires indiquées par le Comité le 14 février 2017 puis le 15 mars 2017 ni à la décision de la Cour constitutionnelle en date du 2 mai 2017 conférant un effet suspensif au recours des auteurs (par. 2.10).

Observations finales

7.Bien que les autorités autrichiennes tentent d’opérer une distinction entre la présente affaire et l’affaire R. A. A. et Z. M. c. Danemark (par. 4.10), on voit mal en quoi, eu égard à la grave maladie laissée sans traitement dont souffrait la mère, à savoir un trouble de stress post-traumatique, et à l’intérêt supérieur des cinq enfants mineurs, la présente affaire est différente. Pour les raisons exposées ci-dessus, je considère que le renvoi des auteurs en Bulgarie a constitué une violation de l’article 7 du Pacte.