Nations Unies

CCPR/C/123/D/2392/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

27 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2392/2014 * , **

Communication présentée par :

S. Y. (représentée par un conseil, Willem H. Jebbink)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Pays-Bas

Date de la communication :

15 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mai 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

17 juillet 2018

Objet :

Conduite d’une procédure pénale

Question(s) de procédure :

Examen de la même question devant une autre instance internationale de règlement ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit de former un recours contre une déclaration de culpabilité et une condamnation pénale ; droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense dans une procédure pénale en appel ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3 a)) et 14 (par. 5)

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 a) et 2 b))

1.L’auteure de la communication est S. Y., de nationalité néerlandaise, née en 1971. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient du paragraphe 3 a) de l’article 2 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 11 mars 1979. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 7 juillet 2008, l’auteure a été citée à comparaître devant le tribunal de district d’Utrecht en date du 2 septembre 2008, pour voies de fait contre la personne de C. A. Les voies de fait constituent une infraction pénale au sens de l’article 300 du Code pénal des Pays-Bas. Le 2 septembre 2008, l’audience du procès pénal de l’auteure a été reportée au 5 décembre 2008 à la demande de l’avocat de l’auteure.

2.2Le 5 décembre 2008, l’auteure s’est présentée à l’audience. Clamant son innocence, elle a affirmé que C. A. l’avait agressée. Le tribunal de district d’Utrecht a statué promptement et rendu un jugement oral condamnant l’auteure pour voies de fait et lui imposant une amende d’un montant de 250 euros ainsi que le versement de 200 euros à C. A. à titre de dommages-intérêts. Conformément à l’article 365 a) du Code de procédure pénale, le juge a prononcé un jugement oral « abrégé », qui ne devait pas être étayé par des éléments de preuve. Les articles 365 a), 378 et 378 a) du Code de procédure pénale précisant qu’il n’est pas nécessaire de produire un compte rendu d’audience, il n’en a pas été rédigé en l’espèce.

2.3Le 18 décembre 2008, conformément à l’article 410 a) du Code de procédure pénale, l’auteure a demandé l’autorisation d’interjeter appel contre le jugement du tribunal de district d’Utrecht auprès de la Cour d’appel d’Arnhem. Le 2 janvier 2009, l’avocate de l’auteure a présenté une déclaration sur les moyens d’appel, mais elle ne disposait pas d’un jugement écrit et dûment motivé, du compte rendu d’audience ou de la liste des éléments de preuve utilisés par le tribunal de district d’Utrecht sur lesquels elle aurait pu se fonder. Dans sa déclaration, l’avocate de l’auteure a notamment prié la Cour d’appel de citer deux témoins à comparaître. Dans une décision du 23 avril 2010, la Cour d’appel a conclu qu’il ne pouvait être fait droit à la demande de l’auteure, car il n’était pas dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice d’entendre l’affaire en appel.

2.4Selon le paragraphe 7 de l’article 410 a) du Code de procédure pénale, il n’est pas possible de se pourvoir en cassation contre la décision de la Cour d’appel. L’auteure fait valoir qu’elle a donc épuisé tous les recours internes utiles disponibles.

2.5L’auteure affirme que la question sur laquelle porte la communication n’est pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le 5 juillet 2010, elle a adressé une requête à la Cour européenne des droits de l’homme, dénonçant une violation de son droit à un procès équitable, de son droit au respect de sa vie privée et familiale, de son droit à un recours utile, de l’interdiction de discrimination et de l’interdiction de l’abus de droit. Le 4 octobre 2012, la Cour (siégeant en formation à juge unique) a déclaré la requête de l’auteure irrecevable.

Teneur de la plainte

3.L’auteure affirme que son droit à ce que sa cause soit examinée par deux niveaux d’instance, énoncé au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, a été violé en ce qu’elle n’a pas pu exercer son droit d’appel de manière effective et efficace. Plus précisément, au moment de présenter une déclaration sur les moyens d’appel, son avocate ne disposait pas d’un jugement écrit et dûment motivé, ni du compte rendu d’audience ou de la liste des éléments de preuve utilisée par le tribunal de district d’Utrecht. De ce fait, elle ne savait pas pourquoi elle avait été déclarée coupable par le tribunal de district d’Utrecht ni quels éléments de preuve avaient été retenus contre elle. En conséquence, elle n’a pas pu disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense en appel.

Observations de l’État partie

4.Le 19 novembre 2014, l’État partie a fait savoir au Comité qu’il essayait de conclure un règlement amiable avec l’auteure, à qui il offrait de verser une indemnisation financière et d’effacer de son casier judiciaire l’infraction qui faisait l’objet de la communication devant le Comité.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 16 octobre 2015, l’auteure a fait savoir au Comité qu’elle ne souhaitait pas accepter l’offre de règlement de l’État partie, parce qu’elle estimait que, pour être raisonnable, l’offre de l’État partie devait se décomposer comme suit : a) une indemnisation financière pour l’amende qui lui avait été imposée par le tribunal de district d’Utrecht ; b) une indemnisation financière pour les dommages-intérêts accordés à la partie civile par le tribunal de district d’Utrecht ; c) la suppression de toutes les informations relatives à la présente affaire inscrites dans les fichiers de la police, conformément à la loi relative aux données de la police (Wet politiegegevens) ; d) la suppression de toutes les informations relatives à la présente affaire enregistrées par les autorités judiciaires, conformément à la loi sur les informations judiciaires et les casiers judiciaires (Wet justitiële en strafvorderlijke gegevens) ; e) une indemnisation financière pour « préjudice moral », en particulier le préjudice causé à sa réputation ; f) une indemnisation financière pour les dépens engagés pendant la procédure en première instance ; g) une indemnisation financière pour les dépens engagés dans le cadre de la procédure d’appel (demande d’autorisation) ; h) une indemnisation financière pour les dépens afférents à la procédure devant le Comité. L’auteure déclare que l’État partie n’a pas proposé de l’indemniser pour les points c), e) et f). Quant aux dépens mentionnés au point f), l’auteure souligne qu’elle n’a jamais eu la possibilité d’être acquittée en appel, alors que le Code de procédure pénale prévoit le remboursement intégral des dépens en cas d’acquittement en appel.

5.2L’auteure fait également observer que l’État partie n’a pas encore modifié son Code de procédure pénale, alors que le Comité lui a pourtant recommandé de le faire dans l’affaire Mennen c. Pays-Bas (CCPR/C/99/D/1797/2008).

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 11 décembre 2015, l’État partie a fait savoir au Comité que ses efforts pour parvenir à un règlement amiable avec l’auteure n’avaient pas abouti, bien qu’il lui ait proposé : a) de rembourser l’amende imposée dans le cadre de la procédure interne ; b) de rembourser les dommages-intérêts imposés dans le cadre de la procédure interne et versés par l’auteure à la partie civile ; c) de l’indemniser pour les dépens et les frais de justice afférents à la procédure d’autorisation d’interjeter appel ; d) de l’indemniser pour les dépens et les frais encourus dans le cadre de la procédure devant le Comité ; e) de l’indemniser pour tous frais supplémentaires occasionnés par le changement d’avocats ; f) d’effacer de son casier judiciaire tout ce qui concernait l’infraction qui faisait l’objet de la communication ; et g) d’effacer toute donnée concernant l’infraction enregistrée dans les fichiers de police, contrairement à ce que prétend l’auteure.

6.2L’État partie fait observer qu’il n’a ménagé aucun effort pour parvenir à un règlement amiable avec l’auteure. Puisqu’un tel règlement suppose, par définition, des avantages qui vont au-delà des simples intérêts qui ont motivé la communication, à savoir éviter que les procédures ne s’éternisent et que les frais et les efforts de toutes les parties concernées n’augmentent, il est déraisonnable de la part de l’auteure de s’attendre à ce que tous ses souhaits soient exaucés. L’État partie prie par conséquent le Comité d’en tenir compte dans toute décision procédurale qu’il prendra concernant la présente communication.

6.3L’État partie fait savoir par ailleurs que, dans le cadre d’un exercice de modernisation du Code de procédure pénale, une proposition tendant à supprimer le système d’autorisation d’interjeter appel prévu à l’article 410 a) est à l’examen. Le 30 septembre 2015, après de larges consultations, le Gouvernement a présenté à la Chambre des représentants un mémorandum final qui a servi de base à l’élaboration de propositions législatives concrètes. Celles-ci devaient être présentées à la Chambre des représentants en quatre étapes, la dernière étant attendue pour janvier 2018 ; une loi devait ensuite être adoptée pour donner effet aux modifications introduites. L’État conclut en indiquant qu’il ne fera pas d’autres observations concernant la présente communication et qu’il se conformera aux constatations du Comité.

Nouveaux commentaires de l’auteure

7.Le 16 mars 2016, l’auteure a avancé une nouvelle fois les arguments qu’elle avait exposés le 16 octobre 2015, notamment la liste en huit points pour lesquels elle souhaitait être indemnisée par l’État partie. Elle a signalé que l’État partie n’avait pas encore abrogé le Code de procédure pénale, contrairement à ce qu’avait recommandé le Comité dès 2010.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2 Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la plainte concernant les mêmes faits (requête no 39456/10) avait été déclarée irrecevable par la Cour européenne des droits de l’homme le 4 octobre 2012, du fait que les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) n’étaient pas remplies. En conséquence, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.3Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que l’auteur d’une communication doit exercer tous les recours internes pour satisfaire à l’obligation énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, pour autant que ces recours semblent être utiles dans son cas particulier et lui soient ouverts de facto. Le Comité note que le fait que l’auteure a épuisé tous les recours internes disponibles n’est pas contesté et considère dès lors que cette condition est remplie.

8.4Le Comité estime que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’elle tire du paragraphe 3 a) de l’article 2 et du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte. Il déclare donc la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles elle n’a pas pu exercer le droit d’appel consacré au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte de manière effective et efficace. Il note aussi que, s’il n’a pas fait de commentaires sur les allégations de l’auteure, l’État partie a bien informé le Comité des efforts considérables, quoique vains, qu’il a déployés pour parvenir à un règlement amiable en offrant à l’auteure de lui verser une indemnisation financière et d’effacer de son casier judiciaire l’infraction qui fait l’objet de la présente communication.

9.3Le Comité rappelle que le droit de faire examiner la déclaration de culpabilité ne peut être exercé utilement que si la personne déclarée coupable peut disposer du texte écrit des jugements, dûment motivés, ainsi que d’autres documents, tels que les comptes rendus d’audience, nécessaires à l’exercice effectif du droit de recours. Dans les circonstances de l’espèce, faute d’un jugement motivé, d’un compte rendu d’audience ou même d’une liste des éléments de preuve retenus, l’auteure n’a pas disposé des pièces nécessaires à la bonne préparation de son recours.

9.4Le Comité note que la Cour d’appel d’Arnhem a refusé d’autoriser l’auteure à interjeter appel au motif qu’il n’était pas dans l’intérêt de l’administration de la justice de réexaminer l’affaire en appel. Le Comité considère que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte exige un examen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation pénale. S’agissant d’une décision relative à une autorisation d’interjeter appel, cet examen doit porter sur le fond, c’est-à-dire sur les éléments présentés au juge de première instance et sur la façon dont le procès a été conduit au regard des dispositions de la loi applicables en l’espèce.

9.5Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte fait obligation aux États parties de garantir que toute personne dispose d’un recours accessible, utile et exécutoire pour faire valoir les droits consacrés dans le Pacte. Le Comité renvoie à son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, selon laquelle les États parties doivent mettre en place des mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. En l’espèce, il ressort des informations dont il dispose que l’auteure n’a pas eu accès à des recours qui lui auraient permis de contester la décision de la Cour d’appel d’Arnhem de ne pas l’autoriser à interjeter appel. En conséquence, l’auteure a effectivement été privée de la possibilité de faire valoir son droit, garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation dont elle a fait l’objet. Par conséquent, dans les circonstances particulières de cette affaire, le Comité conclut que le droit d’appel garanti au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, a été violé.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État Partie du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. Le Comité estime qu’en l’espèce, un recours utile consisterait à permettre un réexamen de la déclaration de culpabilité et de la condamnation par une juridiction supérieure ou la mise en œuvre de toute autre mesure propre à supprimer les effets préjudiciables causés à l’auteure et à lui accorder une indemnisation suffisante. À cet égard, il accueille favorablement l’intention exprimée par l’État partie d’effacer du casier judiciaire de l’auteure l’infraction qui fait l’objet de la présente communication, de supprimer toutes les données concernant l’infraction inscrites dans les fichiers de la police, de rembourser à l’auteure le montant de l’amende et des dommages-intérêts qu’elle a versés à la partie civile par ordre du tribunal de district d’Utrecht et de l’indemniser pour les dépens et les frais de justice afférents à la procédure d’autorisation d’interjeter appel et à la procédure devant le Comité ainsi que de l’indemniser pour tous frais supplémentaires occasionnés par le changement d’avocats. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. Dans ce contexte, le Comité rappelle que, conformément à l’obligation qui lui est faite au paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte, l’État partie devrait mettre le cadre juridique applicable en conformité avec les dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques.