Nations Unies

CCPR/C/121/D/2419/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 novembre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2419/2014 * , **

Communication présentée par:

S. A. H.

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Danemark

Date de la communication:

5 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 6 juin 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations:

8 novembre 2017

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Questions de procédure :

Justification des griefs et irrecevabilité

Questions de fond :

Expulsion des étrangers ; risque de préjudice irréparable dans le pays d’origine ; droit à la vie ; interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; expulsion d’un non‑ressortissant ; droit à une égale protection de la loi

Articles du Pacte :

6, 7, 13 et 26

Articles du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication est S. A. H., de nationalité afghane, né le 6 février 1987. Il affirme qu’en l’expulsant de force vers l’Afghanistan, le Danemark violerait les droits qu’il tient des articles 6, 7, 13 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur était représenté par un conseil jusqu’au 6 octobre 2017. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Danemark le 23 mars 1976.

1.2Le 6 juin 2014, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers l’Afghanistan tant que la commun1ication serait à l’examen. Le 10 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre l’expulsion de l’auteur de l’État partie, conformément à la demande du Comité.

1.3Le 28 janvier 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial, a rejeté la demande de l’État partie tendant à obtenir la levée des mesures provisoires.

Exposé des faits

2.1L’auteur est né à Taloqân, dans la province de Takhâr en Afghanistan. Il dit appartenir à l’ethnie Qizilbash et avoir été de confession musulmane pendant plusieurs années. Il a été scolarisé pendant cinq ans mais n’a qu’une aptitude limitée à la lecture et à l’écriture. Il dit aussi que son père, qui était médecin, a été tué en 1999 en Afghanistan par un commandant local dénommé A. M. B. Le caractère intentionnel de l’homicide n’est toutefois pas clairement établi. L’auteur a dû en conséquence quitter l’école et a commencé à travailler pour subvenir aux besoins de sa mère et de son frère.

2.2L’auteur travaillait comme mécanicien automobile dans un garage, dans lequel le chauffeur d’A. M. B. est venu avec la voiture de ce dernier le 1er septembre 2009. Alors que l’auteur réparait le véhicule, un accident s’est produit qui a causé la mort du chauffeur. Craignant que l’incident puisse être interprété comme un acte destiné à venger la mort de son père, et craignant pour sa vie, l’auteur a fui avec son jeune frère à Kaboul, chez un cousin. Le lendemain de leur arrivée, le frère de l’auteur, qui était allé acheter de la nourriture, a, selon des témoins, été enlevé par des inconnus. L’auteur n’a jamais revu son frère. Il a donc décidé de se rendre à Hérat (Afghanistan) et, de là, en République islamique d’Iran où il a vécu environ deux ans. Là, il a travaillé dans un établissement situé dans une région où vivent de nombreux réfugiés afghans. Durant cette période, il a été informé par un voisin afghan que les hommes du commandant le recherchaient en Afghanistan et en République islamique d’Iran et qu’ils s’étaient rendus au domicile de sa mère.

2.3L’auteur a alors décidé de fuir vers l’Europe. Après avoir traversé cinq pays, il est entré au Danemark en décembre 2011 et a demandé l’asile. Il a fait valoir que sa vie était menacée en Afghanistan car, s’il y retournait, il serait persécuté par les hommes d’A. M. B. L’auteur a été placé au centre de détention pour demandeurs d’asile d’Ellebæk.

2.4Le 2 janvier et le 20 mars 2012, l’auteur a été interrogé par le Service danois de l’immigration au sujet de sa demande d’asile. Il a déclaré que son père avait été tué accidentellement au cours d’un affrontement armé entre les forces de deux commandants. À la fin du second entretien, l’auteur a affirmé être « prêt à changer de religion pour éviter de retourner en Afghanistan ».

2.5Le 30 mars 2012, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Celui-ci a fait appel de cette décision auprès de la Commission de recours des réfugiés.

2.6Le 3 décembre 2012, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande d’asile de l’auteur, l’estimant dépourvue de crédibilité. Elle a noté que l’auteur ne faisait partie d’aucune association politique ou religieuse et qu’il n’avait aucune activité politique. La Commission a en outre relevé expressément que devant le Service danois de l’immigration puis devant elle-même, l’auteur avait fait plusieurs déclarations contradictoires et incohérentes au sujet de la mort de son père, de l’accident supposé avec le chauffeur du commandant, de la disparition de son frère et des tentatives qu’auraient faites les hommes du commandant pour le retrouver en se rendant chez ses proches en Afghanistan. L’auteur avait notamment déclaré lors des audiences devant la Commission que son père avait été tué lors d’un affrontement entre les forces de deux commandants et que par conséquent la mort du chauffeur du commandant A. M. B. pouvait passer pour un acte de vengeance de la part de l’auteur. Lorsqu’il lui a été demandé comment il savait à laquelle des deux forces appartenait le meurtrier de son père, il a répondu que l’on savait bien qui avait tué qui. De même, la Commission a noté que l’auteur avait répondu de façon évasive lorsqu’il lui avait été demandé ce qui s’était exactement passé lors de l’accident supposé survenu au garage. Dans ces conditions, la Commission a considéré que le récit de l’auteur semblait avoir été inventé pour l’occasion.

2.7En 2012 et 2013, l’auteur a été hospitalisé à plusieurs reprises après avoir tenté de se suicider. En 2013, il a commencé à fréquenter l’église de Kronborg, où il a reçu le baptême le 16 juin 2013. L’auteur a ensuite quitté le Danemark et demandé l’asile aux Pays-Bas, où il affirme avoir également participé à des activités religieuses. Le 8 avril 2014, les autorités néerlandaises ont renvoyé l’auteur au Danemark conformément aux dispositions du Règlement de Dublin.

2.8Le 1er mai 2014, l’auteur, représenté par le Conseil danois pour les réfugiés, a demandé que son dossier d’asile soit rouvert. Il faisait valoir notamment que de nouveaux éléments étaient apparus concernant sa situation en Afghanistan. Étaient joints à ladite demande trois documents qui auraient été reçus par les voisins de l’auteur en Afghanistan, qui les auraient envoyés à l’auteur au nom de sa mère. La demande mentionnait aussi la conversion de l’auteur de l’islam au christianisme. Il était indiqué que l’auteur avait commencé à s’intéresser au christianisme à son arrivée au Danemark, qu’il fréquentait régulièrement l’église, qu’il avait aussi assisté aux offices de l’église iranienne aux Pays-Bas, que l’on trouvait sur YouTube des enregistrements vidéo de ces offices religieux aux Pays-Bas en dari, que l’auteur avait informé sa famille et ses amis en Afghanistan de sa conversion et qu’il n’entendait pas dissimuler sa conversion pour éviter d’être persécuté en Afghanistan. L’auteur joignait aussi un certificat de baptême daté du 16 juin 2013, ainsi que trois lettres rédigées par M. C., pasteur de l’église de Kronborg, indiquant que l’auteur avait assisté aux offices religieux et pris part à d’autres activités du 3 mars au 7 juillet 2013, et qu’il était considéré comme un croyant sincère par l’Église.

2.9Le 15 mai 2014, le prêtre du centre pour demandeurs d’asile d’Ellebæk, P. B., a fait savoir au conseil de l’auteur que ce dernier avait été harcelé par des codétenus musulmans en raison de sa foi chrétienne. Le conseil a communiqué cette information à la Commission de recours des réfugiés.

2.10Le 2 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés a décidé de ne pas rouvrir le dossier, considérant qu’il n’y avait aucune nouvelle donnée importante. La Commission a renvoyé à sa décision du 3 décembre 2012 et a fait observer que les trois documents prétendument reçus d’Afghanistan par l’auteur semblaient avoir été fabriqués de toutes pièces. Elle a argué du fait que, bien que deux des documents portaient une date antérieure de plus de trois ans à celle de l’audience du 3 décembre 2012, l’auteur ne les avait pas présentés à ce moment-là ni n’avait expliqué pourquoi il ne les avait pas produits plus tôt. De plus, selon la documentation de base dont disposait la Commission, l’usage de faux documents était courant en Afghanistan et il était facile de s’en procurer.

2.11La Commission de recours des réfugiés a estimé que la conversion de l’auteur n’était pas sincère car, au cours de la procédure d’asile initiale, il avait confirmé être de confession musulmane et n’avait manifesté aucun intérêt pour le christianisme. De plus, lorsqu’il avait été entendu le 20 mars 2012, l’auteur avait déclaré qu’il était de l’ethnie Qizilbash de confession musulmane chiite et que ce groupe ne pouvait pas pratiquer librement sa religion. Lorsqu’il avait été interrogé par le Service danois de l’immigration, il avait affirmé être prêt à changer de religion pour éviter de retourner en Afghanistan. La Commission de recours des réfugiés a aussi pris en considération l’une des lettres rédigées par M. C. et a fait observer que l’information relative à la conversion de l’auteur n’avait été obtenue que quelques jours avant la date prévue pour l’expulsion de celui-ci vers l’Afghanistan et que l’auteur n’avait produit aucun élément prouvant, comme il l’avait affirmé, que des enregistrements des offices religieux iraniens aux Pays-Bas auxquels il avait participé avaient été téléchargés sur Internet.

2.12L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son expulsion vers l’Afghanistan par l’État partie constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6, 7, 13 et 26 du Pacte. Il affirme qu’en Afghanistan, sa vie serait menacée ou il risquerait d’être soumis à une peine ou un traitement inhumain ou dégradant en tant qu’homme jeune en âge de combattre et appartenant à une minorité ethnique et religieuse, ainsi qu’en raison de sa conversion au christianisme.

3.2S’agissant de l’article 26 du Pacte, l’auteur affirme que d’autres demandeurs d’asile se trouvant dans une situation analogue, qui s’étaient convertis au christianisme après le rejet par la Commission de recours des réfugiés de leur première demande d’asile, se sont vu accorder une protection internationale. Le fait qu’il ne se soit converti qu’après la première décision de rejet de la Commission ne saurait servir de preuve d’un manque de sincérité de ses convictions religieuses. De plus, l’auteur est empêché de porter son affaire devant un tribunal puisqu’en vertu du droit danois, les décisions de la Commission de recours sont définitives et ne peuvent faire l’objet d’un appel. De surcroît, sa requête en réexamen de sa demande d’asile, fondée sur sa conversion au christianisme, n’a jamais été examinée par le Service danois de l’immigration.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 8 décembre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond. Il soutient que la communication est irrecevable parce qu’elle est manifestement dénuée de fondement. S’agissant des griefs au titre des articles 6 et 7 du Pacte, il n’a pas été établi qu’il existe des motifs sérieux de croire que l’auteur risque d’être privé de la vie ou d’être soumis à la torture ou à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant en cas de renvoi en Afghanistan, ni que les articles 13 ou 26 du Pacte ont été violés lors de l’examen par les autorités danoises de la demande de l’auteur tendant à la réouverture de son dossier d’asile.

4.2Si le Comité devait juger la communication recevable, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas suffisamment établi que son renvoi en Afghanistan donnerait lieu à une violation des articles 6 ou 7 du Pacte, ni que les articles 13 ou 26 dudit Pacte ont été violés en l’espèce.

4.3L’État partie donne une description détaillée de la procédure d’asile prévue par la loi danoise sur les étrangers, ainsi que de l’organisation et de la compétence de la Commission de recours des réfugiés. Il rappelle que les décisions de la Commission sont fondées sur une évaluation individuelle et spécifique du cas considéré et que les déclarations du demandeur d’asile concernant les motifs de sa demande sont évaluées à la lumière de tous les éléments pertinents, y compris ce que l’on sait de la situation dans le pays d’origine. La Commission est chargée non seulement d’examiner les faits de l’espèce et de faire ressortir les informations s’y rapportant, mais aussi de fournir la documentation de base nécessaire, notamment des informations sur la situation dans le pays d’origine des demandeurs d’asile ou dans le premier pays d’asile.

4.4La décision du 25 juin 2014 rejetant la demande de réouverture de la procédure d’asile en l’espèce a été prise par la Commission de recours des réfugiés représentée par le juge même qui la présidait lorsqu’elle avait initialement statué sur le cas de l’auteur, conformément à l’article 53 10) et 11) de la loi sur les étrangers et à l’article 48 du règlement de la Commission. La Commission elle-même a conclu qu’elle ne pouvait s’appuyer sur les trois documents supplémentaires fournis par l’auteur car, compte tenu de leur nature et de la date à laquelle ils avaient été produits, ils semblaient avoir été forgés pour les besoins de la cause (voir supra, par. 2.10). De plus, selon l’État partie, l’usage de faux documents est courant en Afghanistan et il est facile de s’en procurer.

4.5En outre, la Commission de recours des réfugiés n’a pu considérer la conversion de l’auteur de l’islam au christianisme comme un fait établi (voir supra, par. 2.11). L’État partie souligne que l’auteur a été baptisé le 16 juin 2013. Pourtant, il n’a informé les autorités de l’immigration de sa conversion qu’en mai 2014, lorsque son expulsion était imminente, alors qu’il avait reçu les documents et la confirmation de sa pratique religieuse et de son baptême le 7 juillet 2013.

4.6Les affirmations de l’auteur concernant sa fréquentation des offices de l’Église iranienne lorsqu’il était demandeur d’asile aux Pays-Bas, offices qui auraient donné lieu à des enregistrements téléchargés sur YouTube, n’ont pas été étayées. De plus, l’auteur n’a fourni aucune information indiquant qu’il avait été particulièrement exposé, en tant que converti, par ces enregistrements.

4.7Les allégations de l’auteur selon lesquelles il aurait été harcelé par des codétenus musulmans afghans dans le centre pour demandeurs d’asile d’Ellebæk, lesquels le persécuteraient en Afghanistan, ne sauraient conduire à une appréciation différente en l’espèce, dès lors en particulier que la conversion de l’auteur au christianisme n’est pas jugée sincère. En outre, ces allégations ne sont étayées par aucune preuve. L’État partie fait observer que selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), les activités « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution dans le pays d’origine du demandeur, si la nature opportuniste de ces activités est évidente pour tous, y compris pour les autorités du pays. Par conséquent, le retour de l’intéressé n’aurait pas de conséquences négatives graves.

4.8À la lumière des considérations qui précèdent, lorsque la Commission de recours des réfugiés a procédé à son évaluation le 2 juin 2014, elle a estimé qu’elle ne pouvait admettre comme un fait établi que la conversion de l’auteur de l’islam au christianisme était sincère, et a donc conclu que l’auteur n’avait pas suffisamment établi qu’il risquait d’être persécuté s’il était expulsé en Afghanistan. La Commission n’a en conséquence pas non plus jugé qu’il y avait lieu de rouvrir la procédure aux fins de réexamen de l’affaire.

4.9L’État partie soutient en outre que le fait que l’auteur soit un homme jeune originaire de Taloqân et appartenant à l’ethnie Qizilbash ne saurait en lui-même justifier le droit à une protection internationale. Il ne ressort pas des critères d’éligibilité de 2013 du HCR concernant l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile afghans que les personnes d’ethnie Qizilbash soient particulièrement persécutées ou autrement exposées à un risque spécifique de persécution en raison de leur appartenance ethnique. Au cours de la procédure d’asile, l’auteur a déclaré qu’il n’avait jamais mené d’activités politiques et que ni lui ni sa famille n’avaient jamais eu maille à partir avec les autorités. L’auteur ne risquerait donc pas de subir un traitement contraire aux articles 6 ou 7 du Pacte à son retour en Afghanistan.

4.10L’article 13 du Pacte ne garantit pas le droit d’être entendu par un tribunal. Dans sa décision du 2 juin 2014, la Commission de recours des réfugiés, représentée par le juge même qui la présidait lorsqu’elle avait initialement statué sur le cas de l’auteur, a examiné tous les renseignements communiqués par celui-ci dans sa demande de réouverture de la procédure d’asile, y compris ceux relatifs à sa prétendue conversion au christianisme. L’article 13 n’a donc pas été violé en l’espèce.

4.11L’auteur n’a pas été traité différemment de tout autre demandeur d’asile en raison de sa race, de sa couleur de peau, de son sexe, de sa langue, de sa religion, de ses opinions politiques ou d’autres convictions, de son origine nationale ou sociale, de sa fortune, de sa naissance ou de toute autre situation. Le refus de rouvrir la procédure d’asile n’est pas discriminatoire en soi. La demande de l’auteur à cette fin a été examinée par l’autorité compétente et le refus de rouvrir le dossier était fondé et conforme à la jurisprudence de la Commission. Les griefs de l’auteur au titre de l’article 26 du Pacte ne sont donc pas étayés.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 19 janvier et le 13 avril 2015, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il fait valoir qu’il se rend à l’église chaque semaine et que sa conversion lui a valu d’être harcelé par des codétenus dans le centre pour demandeurs d’asile d’Ellebæk.

5.2S’agissant de ses griefs au titre des articles 13 et 26, l’auteur dit n’avoir eu aucune possibilité de contester la décision de la Commission de recours devant un tribunal. Cette circonstance constitue une violation des principes fondamentaux de l’état de droit et elle est discriminatoire car, hormis les demandeurs d’asile, chacun a le droit de faire appel de telles décisions. De plus, la question de la conversion n’a jamais donné lieu à une évaluation de la part du Service danois de l’immigration.

5.3L’auteur soutient que, s’étant trouvé en situation de grande souffrance personnelle en 2013, son esprit s’est ouvert à une autre forme d’aide. C’est un processus bien connu par lequel passent de nombreux convertis, et la transformation spirituelle de l’auteur s’est donc opérée cette année-là à l’église de Kronborg, où il a également été baptisé. Désormais, il se considère et vit ouvertement comme un chrétien, pratique sa foi en détention, et continuerait de la pratiquer même s’il était renvoyé en Afghanistan. C’est pourquoi il serait persécuté en cas d’expulsion dans son pays d’origine. L’auteur fait valoir qu’ayant vécu en Occident depuis de nombreuses années, il risque d’être considéré comme ayant une conduite contraire aux règles de l’islam et comme un soutien de la communauté internationale. Il affirme en outre que la situation en matière de sécurité en Afghanistan s’est dégradée, que les autorités afghanes sont incapables de protéger les citoyens et que les non‑musulmans sont persécutés même à Kaboul. En conséquence, en cas de renvoi en Afghanistan, la vie de l’auteur serait en danger et il risquerait d’être gravement maltraité.

Renseignements complémentaires

De l’État partie

6.1Le 17 mai 2016, l’État partie a informé le Comité que le 13 mai 2016, la Commission de recours des réfugiés avait décidé d’office de rouvrir le dossier de l’auteur aux fins de réexamen lors d’une audience tenue devant une nouvelle formation.

6.2Les 6 et 14 septembre 2016, l’auteur a soumis des conclusions écrites à la Commission de recours des réfugiés. Lors de l’audience devant la Commission, il a notamment affirmé qu’en Afghanistan, il serait considéré comme un apostat et un infidèle, qu’il risquerait d’être tué ; qu’il s’était converti au christianisme parce qu’il était originellement musulman chiite ; que là d’où il venait, les musulmans chiites passaient pour être de mauvaises personnes et n’étaient pas considérés comme de vrais musulmans ; et qu’il n’avait pas révélé son intérêt pour le christianisme lors de l’audience initiale devant la Commission de recours des réfugiés parce qu’il n’avait pas été interrogé à ce sujet. Il a également nié avoir affirmé lors de l’entretien devant le Service danois de l’immigration qu’il serait prêt à changer de religion pour éviter de retourner en Afghanistan. L’auteur a ajouté que dans le centre pour demandeurs d’asile d’Ellebæk, il avait été harcelé par des musulmans afghans, ce qui avait motivé son transfert dans un autre centre d’accueil, où il avait également été victime de harcèlement ; qu’au Danemark, de nombreux Afghans qui avaient appris sa conversion au christianisme y étaient opposés ; que certains d’entre eux étaient rentrés en Afghanistan ; qu’il avait aussi fait part de sa conversion à un ami en Afghanistan ; et que par conséquent en Afghanistan, des gens étaient au courant de sa conversion.

6.3Le 15 septembre 2016, la Commission de recours des réfugiés a confirmé son refus de rouvrir le dossier de demande d’asile de l’auteur après avoir conclu, à la majorité, que la conversion de celui‑ci n’était pas sincère. La Commission a noté, entre autres, que l’auteur avait acquis une connaissance du christianisme qui n’était pas négligeable, mais qu’il n’avait commencé à s’intéresser au christianisme qu’en mars 2013, après le rejet de sa demande d’asile ; que sa connaissance du christianisme était limitée lorsqu’il avait été baptisé en juin 2013 ; et que les explications qu’il avait fournies concernant les motifs de sa conversion étaient évasives et formulées en termes généraux. À cet égard, il a semblé improbable à la Commission, vu l’importance de l’islam dans la société afghane, que l’auteur, si sa conversion avait été sincère, ait avancé une explication aussi générale et superficielle quant aux raisons ayant motivé sa conversion. La Commission a aussi estimé qu’il était improbable que l’auteur, par le simple fait qu’on l’aperçoive parmi d’autres personnes sur une vidéo d’une église iranienne aux Pays-Bas, téléchargée sur YouTube, ou que d’autres demandeurs d’asile afghans au Danemark aient appris sa conversion, risque d’être persécuté ou de subir de mauvais traitements en cas de renvoi en Afghanistan ; et que l’affirmation de l’auteur selon laquelle un ami Facebook en Afghanistan avait été informé de sa conversion ne pouvait conduire à une conclusion différente.

De l’auteur

7.Le 23 septembre 2016, l’auteur a fait savoir qu’il avait demandé en vain que son dossier soit renvoyé au Service danois de l’immigration puisque sa conversion au christianisme était un nouveau motif d’octroi de l’asile, qui n’avait pas été examiné en première instance. La Commission de recours des réfugiés avait aussi rejeté, sans donner aucune explication, la demande de l’auteur tendant à faire entendre un témoin à l’audience. De même, elle avait rejeté la demande de l’auteur tendant à ce que le Ministère danois des affaires étrangères ouvre une enquête pour déterminer si les documents produits à l’appui de sa demande d’asile initiale étaient authentiques.

De l’État partie

8.1Le 24 octobre 2016, l’État partie s’est référé à la décision de la Commission de recours des réfugiés du 15 septembre 2016 et a réitéré ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

8.2S’agissant des griefs de l’auteur au titre de l’article 13, l’État partie soutient que dans les affaires ayant donné lieu à une décision du Service danois de l’immigration ou de la Commission de recours des réfugiés dans lesquelles le demandeur d’asile soutient que de nouveaux renseignements essentiels ont été mis au jour, la Commission de recours évalue si ces nouvelles informations peuvent conduire à modifier la décision. La Commission peut renvoyer l’affaire au Service de l’immigration aux fins de réexamen. Dans la présente espèce, la formation qui a examiné le cas de l’auteur lors de l’audience de la Commission de recours du 15 septembre 2016 était différente de celle qui avait examiné la demande d’asile initiale. Le fait que la Commission n’ait pas expressément indiqué dans sa décision du 15 septembre 2016 qu’il n’y avait pas lieu, selon elle, de renvoyer l’affaire au Service de l’immigration aux fins d’un réexamen en première instance ne saurait être interprété comme signifiant que la Commission n’a pas envisagé la possibilité d’un tel renvoi.

8.3L’auteur avait demandé à pouvoir faire entendre un missionnaire, T. H., qu’il avait rencontré dans un cadre religieux, comme témoin lors de l’audience devant la Commission de recours des réfugiés. La Commission a estimé que cette déposition ne ferait que démontrer la crédibilité générale du demandeur quant à la sincérité de sa conversion. C’est pourquoi, vu que l’auteur avait déjà produit de nombreux témoignages de personnes, notamment de pasteurs, qui avaient rencontré l’auteur dans un cadre religieux, la Commission de recours n’a pas jugé utile d’entendre le missionnaire. De plus, dans sa décision du 15 septembre 2016, la Commission a considéré comme avérées certaines des déclarations de l’auteur concernant sa participation à la vie de l’Église et sa connaissance du christianisme (voir supra, par. 6.3). Le refus de la Commission d’entendre ce témoin a été prononcé en conformité avec la deuxième phrase de l’article 54 1) de la loi sur les étrangers ainsi qu’avec la propre jurisprudence de la Commission.

8.4S’agissant de la demande de l’auteur tendant à faire évaluer l’authenticité des documents produits à l’appui de sa demande d’asile initiale, l’État partie fait observer que la décision de la Commission de recours des réfugiés a été fondée sur une évaluation globale, notamment de la nature et du contenu des documents par rapport à la probabilité que la vérification conduise à apprécier différemment les éléments de preuve, de la date de soumission de ces documents et des circonstances dans lesquelles ils avaient été produits, et de la crédibilité des déclarations du demandeur d’asile compte tenu des informations générales disponibles sur la situation dans le pays. La Commission a fait remarquer que la teneur d’un document n’était pas nécessairement exacte même si le document était authentique.

8.5L’État partie réaffirme que l’allégation de l’auteur selon laquelle ses droits au titre de l’article 26 ont été violés parce qu’il ne peut contester les décisions de la Commission de recours des réfugiés devant les tribunaux est manifestement dénuée de fondement. L’auteur n’a pas été traité différemment de tout autre demandeur d’asile. Selon l’article 56 8) de la loi sur les étrangers, les décisions de la Commission de recours des réfugiés sont définitives et ne sont pas susceptibles d’appel. En vertu de la Constitution danoise, les étrangers peuvent toutefois se pourvoir devant les juridictions ordinaires, qui sont habilitées à trancher toute question concernant les limites de compétence d’une autorité publique.

De l’auteur

9.Le 10 juillet 2017, l’auteur a réitéré ses allégations et a souligné que la décision de la Commission de recours des réfugiés en date du 15 septembre 2016 ne mentionnait aucun problème au sujet de sa demande de citation d’un témoin à l’audience et n’expliquait pas non plus pourquoi le dossier n’avait pas été renvoyé au Service danois de l’immigration.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les recours internes ont été épuisés. En l’absence d’objection de la part de l’État partie à ce sujet, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

10.4Le Comité prend note des griefs allégués par l’auteur au titre des articles 13 et 26 du Pacte, à savoir qu’il a demandé en vain à la Commission de recours des réfugiés de renvoyer son dossier au Service danois de l’immigration puisque sa conversion au christianisme était un nouveau motif d’octroi de l’asile et que la Commission, sans fournir aucune explication, a également rejeté ses demandes tendant à faire entendre un témoin lors de l’audience et à ouvrir une enquête pour déterminer si les documents produits à l’appui de sa demande d’asile initiale étaient authentiques. L’auteur fait en outre valoir que la loi danoise n’autorise pas à faire appel des décisions de la Commission de recours des réfugiés devant les tribunaux, ce qu’il considère comme discriminatoire. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie qui affirme que la procédure d’asile engagée par l’auteur, y compris sa demande de réouverture du dossier, a été menée conformément à la loi danoise ; que l’auteur a pu soumettre des éléments de preuve et préciser ses déclarations durant la procédure d’asile initiale et après la réouverture de l’affaire par la Commission ; que, compte tenu des renseignements déjà soumis par l’auteur et des circonstances de l’affaire, la Commission de recours n’a pas fait droit à la demande de l’auteur tendant à faire citer T. H. comme témoin et à demander au Ministère des affaires étrangères d’ouvrir une enquête au sujet de l’authenticité de certains documents produits par lui (voir supra, par. 8.3 et 8.4) ; que la Commission de recours des réfugiés est un organe d’experts indépendant de nature quasi judiciaire, qui est présidé par un juge, et qui a l’obligation de mettre en évidence les faits et de prendre des décisions objectivement correctes. Le Comité prend par ailleurs note de l’argument de l’État partie qui soutient que l’auteur n’a pas été traité différemment de tout autre demandeur d’asile.

10.5Le Comité relève que l’auteur a eu la possibilité de soumettre et de contester des moyens de preuve concernant son expulsion et que sa demande d’asile a été examinée par le Service danois de l’immigration puis réexaminée par deux formations différentes de la Commission de recours des réfugiés, et par le Président de celle-ci, lequel a notamment examiné les nouveaux éléments de preuve soumis par l’auteur. Le Comité rappelle aussi sa jurisprudence selon laquelle l’article 13 du Pacte garantit une partie de la protection prévue par l’article 14 mais non le droit de recours devant les tribunaux. En conséquence, le grief de l’auteur relatif à l’impossibilité de faire appel des décisions de la Commission est irrecevable ratione materiae en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité considère aussi que l’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs relatifs à la procédure devant la Commission de recours des réfugiés au titre des articles 13 et 26 du Pacte et que cette partie de la communication doit donc être déclarée irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs tirés par l’auteur des articles 6 et 7 du Pacte devraient être considérés comme irrecevables parce qu’insuffisamment étayés. Il considère toutefois que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations aux fins de la recevabilité. En conséquence, le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte et procède à son examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle il vise l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a également établi que ce risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Pour évaluer l’existence d’un tel risque, tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

11.3Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids considérable à l’appréciation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il revient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a manifestement constitué une erreur ou un déni de justice.

11.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire aux articles 6 et 7 du Pacte s’il était expulsé vers l’Afghanistan puisqu’il serait persécuté par A. M. B. à cause de la mort de son chauffeur. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie selon lequel tous les éléments de preuve se rapportant à ce grief ont été examinés par le Service danois de l’immigration puis par la Commission de recours des réfugiés. Ultérieurement, le Président de la formation de la Commission de recours qui avait examiné la demande d’asile initiale a aussi examiné la demande de l’auteur tendant à une réouverture du dossier compte tenu de nouveaux éléments soumis par celui-ci et a conclu que ces éléments n’étaient pas vraiment nouveaux par rapport à ceux dont la Commission de recours disposait initialement lorsqu’elle a rejeté la demande d’asile. L’auteur désapprouve les décisions prises par les autorités de l’État partie, mais le Comité estime qu’il n’a pas présenté d’arguments convaincants pour démontrer que leurs conclusions étaient manifestement erronées, qu’elles constituaient un déni de justice ou étaient clairement arbitraires.

11.5S’agissant de la conversion de l’auteur au christianisme, le Comité note que l’auteur affirme avoir commencé à s’intéresser au christianisme lors de son arrivée au Danemark ; qu’il s’est converti au christianisme en 2013 et a été baptisé le 16 juin 2013 ; que depuis qu’il vit ouvertement en tant que chrétien, il fait l’objet de harcèlement de la part de demandeurs d’asile afghans déboutés au centre pour demandeurs d’asile d’Ellebæk ; qu’il a informé de sa conversion sa mère et des amis en Afghanistan ; que sa conversion lui fait courir un risque de persécution en cas de retour en Afghanistan ; et que les autorités afghanes seraient incapables de le protéger.

11.6Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que le Président de la formation de la Commission de recours des réfugiés qui avait examiné la demande d’asile initiale de l’auteur, puis une nouvelle formation plénière de la Commission, ont examiné les éléments produits par l’auteur au sujet de la conversion au christianisme dont il a fait état et ont estimé que « sa conversion n’était pas sincère » et que l’auteur n’avait pas démontré la probabilité du risque de persécution qu’il courrait en cas de renvoi en Afghanistan.

11.7Le Comité relève qu’il ressort des rapports cités par les parties et d’autres rapports qui étaient accessibles au public lorsque la Commission de recours des réfugiés a examiné la demande d’asile de l’auteur le 15 septembre 2016 que la conversion de l’islam vers une autre religion est qualifiée en Afghanistan d’apostasie, laquelle, selon l’interprétation du droit islamique donnée par les tribunaux, est punissable de mort ; que quiconque se convertit de l’islam à une autre religion dispose d’un délai de trois jours pour se rétracter avant de subir le châtiment prévu pour l’apostasie ; et que les personnes dont le comportement est jugé contraire à la charia, notamment les musulmans qui se sont convertis à une autre religion, ainsi que les individus dont le comportement est jugé contraire aux préceptes, normes et valeurs islamiques, tels qu’ils sont interprétés par les Taliban, sont susceptibles, en fonction des circonstances propres à chaque cas, d’avoir besoin d’une protection internationale.

11.8Le Comité considère que lorsqu’un demandeur d’asile affirme s’être converti à une autre religion après le rejet de sa demande d’asile initiale dans le pays d’asile, il est raisonnable que les autorités procèdent à un examen approfondi des circonstances de la conversion. Le critère reste cependant celui de savoir si, indépendamment de la sincérité de la conversion, il y a des motifs sérieux de croire qu’une telle conversion peut avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine, de nature à créer un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé par les articles 6 et 7 du Pacte. En conséquence, même lorsqu’elles concluent que la conversion dont il est fait état n’est pas sincère, les autorités devraient évaluer si, dans les circonstances de l’affaire, le comportement du demandeur d’asile et les activités auxquelles il s’est livré en lien avec sa conversion ou pour la justifier, notamment en fréquentant une église, en étant baptisé, en faisant du prosélytisme, pourraient avoir des conséquences négatives graves dans le pays d’origine, de nature à l’exposer à un risque de préjudice irréparable.

11.9En l’espèce, le Comité remarque qu’il n’est pas contesté qu’après avoir commencé à fréquenter une église chrétienne, l’auteur a été baptisé le 16 juin 2013 ; qu’il a assisté à des offices religieux et participé à d’autres activités chrétiennes pendant plus de trois ans ; et que dans le cadre de ces activités, il a été considéré comme un chrétien sincère. La Commission de recours des réfugiés a aussi considéré comme avéré que l’auteur avait acquis une connaissance non négligeable du christianisme. La Commission a néanmoins conclu que la conversion de l’auteur « n’était pas sincère », en se fondant sur le fait qu’il n’avait pas mentionné son intérêt pour le christianisme devant le Service danois de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés en 2012 ; qu’il n’avait commencé à s’intéresser au christianisme qu’en mars 2013, après le rejet de sa demande d’asile initiale par la Commission de recours; et que ses déclarations relatives aux motifs de sa conversion avaient un caractère général et superficiel, compte tenu notamment de l’importance de l’islam dans la société afghane. Ultérieurement, la Commission a recherché si l’auteur pouvait être exposé à de graves risques en Afghanistan, indépendamment des motifs de sa conversion. La Commission a noté qu’il avait répondu de manière évasive et superficielle aux questions concernant les conséquences que la conversion dont il faisait état auraient en Afghanistan pour lui-même et sa famille, et a conclu qu’il n’avait pas démontré la probabilité du risque de persécution qu’il courrait en Afghanistan simplement parce qu’il apparaissait parmi d’autres personnes dans un enregistrement vidéo d’une église iranienne aux Pays-Bas téléchargé sur YouTube ; et parce que d’autres demandeurs d’asile afghans déboutés au Danemark et un ami de l’auteur en Afghanistan avaient appris sa conversion. La décision de la Commission de recours est contestée par l’auteur, mais le Comité estime que les craintes exprimées par celui-ci ont un caractère général et ne reposent pas sur des faits précis qui l’exposeraient à un risque en raison de sa situation personnelle. En outre, l’auteur n’a signalé aucune irrégularité dans les procédures suivies par les autorités danoises pour prendre leurs décisions qui rendrait celles-ci arbitraires. Le Comité ne peut donc conclure à aucune violation des droits consacrés dans le Pacte en l’espèce.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan ne constituerait pas une violation des droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte.