Nations Unies

CCPR/C/123/D/2371/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 septembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2371/2014 * , **

Communication présentée par :

Noureddine Maalem et Guldez Maalem (non représentés par un conseil)

Au nom de :

Noureddine Maalem, Guldez Maalem et leurs cinq enfants

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

28 mars 2014 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application des articles 92 et 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 31 mars 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

17 juillet 2018

Objet :

Expulsion de l’Ouzbékistan vers l’Algérie et séparation du reste de la famille

Question(s) de procédure:

Degré de fondement des griefs

Question(s) de fond:

Expulsion d’un non-ressortissant ; procès équitable ; vie de famille ; droits de l’enfant ; torture et mauvais traitements

Article ( s ) du Pacte :

7, 14, 23 et 24

Article (s) du Protocole facultatif:

2

1.1Les auteurs de la communication sont Noureddine Maalem, de nationalité algérienne, né en 1962, et sa femme, Guldez Maalem, de nationalité ouzbèke, née en 1974 ; la communication est déposée en leur nom propre et au nom de leurs cinq enfants, tous Ouzbeks, nés en 1995, 1998, 2001, 2003 et 2006. M. Maalem est sous le coup d’une mesure d’expulsion vers l’Algérie, ou vers le Kazakhstan, prise contre lui parce qu’il avait été condamné au pénal à une peine de cinq ans d’emprisonnement, à la suite de quoi il a été amnistié le 24 février 2014 par décision de justice. Les auteurs affirment que la décision de l’expulser définitivement constitue une violation des droits qu’ils tiennent des articles 14, 23 et 24 du Pacte ainsi qu’une violation des droits que Mme Maalem et leurs enfants tiennent des articles 23 et 24 du Pacte. M. Maalem soulève également des griefs au titre de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’Ouzbékistan le 28 décembre 1995. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 31 mars 2014, conformément à l’article 92 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser M. Maalem vers l’Algérie tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 4 juin 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rappelé à l’État partie que la demande de mesures provisoires demeurait en vigueur.

Exposé des faits

2.1M. Maalem, de nationalité algérienne, est arrivé en Ouzbékistan en 1983 pour y faire des études et vit dans le pays depuis lors. Il a obtenu un diplôme de l’université et, en 1992, a épousé une Ouzbèke, Mme Maalem, avec laquelle il a eu cinq enfants, tous nés à Tachkent et de nationalité ouzbèke. En 1993, on lui a délivré un permis de résidence, qui a été renouvelé en 2002. Cependant, il n’a jamais eu la nationalité ouzbèke. Au début de 2009, il a été accusé d’avoir commis une infraction visée à l’article 135 du Code pénal (traite des êtres humains). M. Maalem explique qu’il était au chômage à l’époque. Pour gagner un peu d’argent, il travaillait comme chauffeur de taxi en utilisant sa propre voiture pour emmener des passagers de Tachkent jusqu’au poste frontière avec le Kazakhstan situé à une dizaine de kilomètres. La police le soupçonnait d’appartenir à une bande criminelle qui se livrait à la traite de travailleurs non qualifiés et de travailleuses du sexe au Kazakhstan. M. Maalem dit qu’il a essayé de prouver son innocence, mais qu’il a été condamné et incarcéré, parce que les enquêteurs et les juges n’ont pas tenu compte des preuves qu’il avait produites ni de ses arguments. Le 19 mai 2009, le tribunal du district Younoussabadsky à Tachkent l’a condamné à huit ans d’emprisonnement pour traite des êtres humains. Le 11 juin 2010, le tribunal municipal de Tachkent a confirmé le jugement du tribunal de première instance. Les demandes de contrôle de la décision introduites par M. Maalem ont été rejetées par le tribunal municipal de Tachkent, les 16 août et 12 octobre 2010. M. Maalem affirme avoir été condamné uniquement sur la base des témoignages de ses coaccusés, sur lesquels la police avait fait pression. Par la suite, alors qu’ils étaient détenus, ses coaccusés lui ont avoué que la police leur avait demandé de l’accuser. Les nombreuses demandes dont M. Maalem a par la suite saisi les autorités nationales (le Président et le Vice-Président de la Cour suprême ainsi que le Procureur général) ont été rejetées ou sont restées sans suite.

2.2Le 24 février 2014, après avoir purgé cinq ans de sa peine, M. Maalem a été amnistié par le tribunal municipal de Bekabad, région de Tachkent, à l’occasion du vingt et unième anniversaire de l’adoption de la Constitution de l’Ouzbékistan. Il a été remis en liberté, mais n’avait pas de documents d’identité, la police ayant confisqué son passeport sans explication. Son passeport avait expiré en 2011 alors qu’il était en détention. À une date non précisée, il s’en est plaint aux autorités de police chargées des questions de visa et de résidence et a découvert à cette occasion qu’au moment où il avait prononcé l’amnistie, le tribunal avait aussi rendu un ordre d’expulsion contre lui. M. Maalem affirme qu’il n’a pas été mis au courant de l’ordre d’expulsion à l’audience. Selon le décret gouvernemental no 409 (1996) sur le statut des non-nationaux résidant en Ouzbékistan, les étrangers qui ont commis une infraction pénale sont expulsés du pays après avoir exécuté leur peine. Le décret se réfère aux étrangers en général, tels que les touristes ou les visiteurs qui séjournent brièvement dans le pays, sans tenir compte de cas particuliers comme celui de M. Maalem, qui vit en Ouzbékistan depuis trente et un ans, est marié avec une Ouzbèke et a cinq enfants, tous de nationalité ouzbèke.

2.3À une date non précisée, M. Maalem a formé un recours en cassation de la décision du tribunal, faisant valoir que sa situation devrait être considérée comme une exception et que les règlements administratifs sont contraires aux dispositions constitutionnelles protégeant l’unité familiale ainsi qu’à celles du Code de la famille, du Pacte et de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le 25 mars 2014, le tribunal d’appel régional de Tachkent a néanmoins confirmé la décision du 24 février rendue par le tribunal municipal de Bekabad. La décision ayant dès lors pris effet, M. Maalem risque d’être expulsé d’Ouzbékistan et d’être définitivement séparé de sa famille à n’importe quel moment. Les 8 avril et 21 mai 2014, M. Maalem a déposé auprès de la Cour suprême des demandes de contrôle de la décision, qui ont été rejetées le 22 mai 2014. Le 6 juin 2014, il a présenté une demande de contrôle de la décision au Président de la Cour suprême, qui l’a rejetée le 16 juillet.

2.4Bien qu’il soit satisfait de la décision du tribunal de première instance en ce qui concerne l’amnistie, M. Maalem réaffirme que, même s’il juge impératif d’expulser les étrangers qui ont commis une infraction pénale sur son territoire, l’État partie aurait dû tenir dûment compte des circonstances de l’espèce, notamment du fait que M. Maalem n’est pas un touriste, qu’il a des liens solides avec l’État partie, qu’il est marié avec une Ouzbèke et qu’il a cinq enfants tous de nationalité ouzbèke. De plus, M. Maalem a toujours clamé son innocence, affirmant qu’il n’avait pas commis de crime et n’avait jamais appartenu à une bande criminelle se livrant à la traite des êtres humains. Dans sa situation, une expulsion signifierait une séparation permanente d’avec sa famille. De plus, l’auteure et leurs enfants ont beau ne pas être des étrangers, ils pâtiraient des conséquences de l’expulsion de M. Maalem, puisqu’ils seraient séparés de leur mari et père. La famille a réussi à maintenir des liens étroits au fil des ans, y compris pendant que M. Maalem était en prison. Cette séparation forcée ne pourrait que nuire au bien-être psychologique des enfants, à leur santé et à leur développement général et influencer négativement leurs opinions. Selon les auteurs, en l’espèce, les règlements de l’État partie relatifs à l’expulsion d’étrangers ayant été condamnés au pénal sont contraires aux dispositions de la Constitution relatives à la famille et au Code de la famille ainsi qu’aux articles 23 et 24 du Pacte. Les auteurs prient le Comité de demander à l’État partie de considérer leur situation comme une exception et d’annuler la partie de la décision du tribunal relative à l’expulsion de M. Maalem tout en maintenant la partie relative à l’amnistie.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que la décision de l’État partie d’expulser définitivement M. Maalem d’Ouzbékistan constitue une violation des droits qu’eux-mêmes et leurs enfants tiennent des articles 23 et 24 du Pacte. L’attention voulue n’a pas été accordée à leur droit à une vie de famille avec leurs enfants. À cet égard, les auteurs invoquent également la Convention relative aux droits de l’enfant. L’expulsion de M. Maalem vers l’Algérie constituerait une atteinte à son droit à la vie de famille consacré à l’article 23 du Pacte. Les auteurs font valoir que leurs enfants sont nés en Ouzbékistan et sont de nationalité ouzbèke. Ils soutiennent qu’en ordonnant l’expulsion de M. Maalem, l’État partie a violé les droits que leurs enfants tiennent des articles 23 et 24 du Pacte, puisque l’on peut difficilement s’attendre à ce qu’ils suivent leur père en Algérie. De ce fait, la famille sera effectivement et définitivement séparée, ce qui nuira au bien-être des enfants.

3.2M. Maalem affirme aussi que les droits que lui confère l’article 14 du Pacte ont été violés en ce qu’il n’a pas été informé de l’ordre d’expulsion le visant au moment où il a été amnistié, que son procès s’est déroulé en partie en ouzbek et en partie en russe, alors qu’il ne parle que l’arabe, le français et le russe, et que la décision du tribunal n’a été rendue qu’en ouzbek.

3.3En outre, dans ses observations complémentaires, M. Maalem affirme avoir été battu par des policiers et par des codétenus dans le centre de détention provisoire, ce qui soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte.

3.4Par la suite, dans de nouvelles observations complémentaires, M. Maalem formule d’autre griefs au titre de l’article 14, affirmant que le tribunal de première instance qui l’a condamné en 2009 n’aurait pas respecté les garanties d’un procès équitable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations du 20 mai 2014, l’État partie déclare que la communication est dénuée de fondement. Il fait observer que, le 24 février 2014, le tribunal municipal de Bekabad a amnistié M. Maalem, le dispensant d’exécuter la période d’un an, huit mois, et dix-huit jours de sa peine qui lui restait à purger et ordonnant son expulsion du territoire ouzbek. Le 25 mars 2014, le tribunal régional de Tachkent a confirmé cette décision. M. Maalem conteste les décisions des tribunaux concernant son expulsion, affirmant qu’ils n’ont pas tenu compte de sa situation familiale, en particulier du fait qu’il vit en Ouzbékistan depuis 1983, qu’il y a obtenu un diplôme universitaire, s’y est marié et a cinq enfants nés dans le pays.

4.2L’État partie maintient que le décret du Sénat sur l’amnistie proclamé à l’occasion du vingt et unième anniversaire de l’adoption de la Constitution prévoyait l’amnistie des personnes condamnées à des peines d’emprisonnement (excepté les auteurs d’assassinat avec circonstances aggravantes) pour lesquelles la période restant à purger n’était pas supérieure à deux ans et six mois et dont les peines étaient devenues exécutoires à la date de la publication du décret. Le décret dispose également qu’après l’amnistie, ces étrangers doivent être expulsés du pays, conformément à la résolution no 408 du Cabinet des ministres en date du 21 novembre 1996. L’État partie conclut que les droits que les auteurs tiennent des articles 14, 23 et 24 du Pacte n’ont pas été violés et ne considère pas que les décisions des tribunaux doivent être annulées ou modifiées.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 29 mai 2014, M. Maalem a indiqué que Mme Maalem et son avocat avaient fait appel de l’ordre d’expulsion auprès du tribunal régional de Tachkent. Celui-ci a réexaminé l’affaire et n’a trouvé aucun motif d’annuler l’ordre d’expulsion délivré par le tribunal de première instance. Les auteurs ont ensuite été représentés par un autre avocat, qui leur a indiqué que M. Maalem ne pouvait pas faire l’objet d’un ordre d’expulsion car il avait été condamné en 2009 alors que le décret avait été modifié en 2012. Au moment de la condamnation de M. Maalem, le décret ne prévoyait pas l’expulsion obligatoire des étrangers ayant commis un crime. Par conséquent, c’est à tort que le décret avait été appliqué rétroactivement à son cas, rendant ainsi la sanction plus sévère.

5.2Le 27 mars 2016, M. Maalem a admis que les règles relatives au séjour des étrangers en République d’Ouzbékistan, adoptées par le Cabinet des ministres dans sa résolution no 409, disposent que tous les étrangers qui ont commis des crimes « peuvent être expulsés » d’Ouzbékistan. Cependant, cette version a été modifiée par la résolution no 235 du Cabinet des ministres en date du 7 août 2012, qui rend l’expulsion obligatoire et prévoit l’interdiction de retour sur le territoire pour tous les étrangers ayant fait l’objet d’une condamnation, sans exception. Jusqu’à cette date, la version antérieure du Règlement disposait que les étrangers qui avaient des motifs légitimes de rester en Ouzbékistan, tels que la résidence ou un permis de séjour, ne seraient pas expulsés. M. Maalem réaffirme qu’en 2009, lorsqu’il a été condamné, les règles applicables n’étaient pas aussi sévères que la version du règlement prévoyant l’expulsion obligatoire, entrée en vigueur le 7 août 2012 seulement ; son expulsion n’est donc pas compatible avec les articles 23 et 24 du Pacte, ni avec l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant. De plus, il clame de nouveau son innocence et conteste le verdict prononcé par le tribunal de première instance en 2009. Il fait savoir au Comité qu’à la suite d’une décision du tribunal civil de Tachkent, son droit de quitter le pays a été restreint et que son permis de résidence en Ouzbékistan a été prorogé jusqu’en 2020, en raison d’une plainte déposée par Mme Maalem faisant valoir que, selon la loi, tant que leurs enfants sont mineurs et qu’il n’a pas versé de pension alimentaire, il ne sera pas autorisé à quitter le pays sans l’accord de son épouse. M. Maalem indique par ailleurs que son dossier pénal a été rouvert.

5.3Les 5 avril et 4 mai 2016, M. Maalem a repris les griefs qu’il avait exposés précédemment, contestant la légalité de sa condamnation pour traite des êtres humains et l’ordre d’expulsion qui a suivi. Il soulève de nouveaux griefs, à savoir que, pendant sa détention avant le procès, il a été battu par des policiers et par des codétenus, qui lui ont extorqué de l’argent. À une date non précisée, il a saisi le Bureau du Procureur de la ville de Tachkent à ce sujet. Le 10 juin 2010, le Vice-Procureur lui a fait savoir que les documents de l’enquête interne avaient été communiqués au Bureau du Procureur de Younoussabadsky, aux fins d’une évaluation préalable. Le 14 juillet, le Bureau du Procureur de Younoussabadsky a refusé d’engager des poursuites pénales, faute de corps du délit.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une lettre du 3 février 2017, l’État partie reprend ses arguments précédents et répond aux nouveaux griefs de M. Maalem. Il affirme que les premiers arguments avancés par M. Maalem concernant l’illégalité de sa détention, ainsi que la torture et les mauvais traitements qu’il aurait subis dans les centres pénitentiaires UYA 64/21, UYA 64/IZ-1 et UYA 64/IZ-13, ont donné lieu à une enquête approfondie et n’ont pas été confirmés, en l’absence de faits pouvant étayer les allégations d’infractions. Au cours de l’enquête, la culpabilité de M. Maalem a été pleinement établie par des dépositions de témoins, des interrogatoires en face-à-face et d’autres preuves objectives. Aucune atteinte aux droits et intérêts de l’accusé qui se serait produite pendant l’instruction n’a été établie.

6.2Sur la base des éléments de preuve recueillis dans le cadre de l’affaire pénale, le 19 mai 2009, M. Maalem a été déclaré coupable de l’infraction visée au paragraphe 3 d) de l’article 135 du Code pénal de la République d’Ouzbékistan et condamné à une peine d’emprisonnement de huit ans.

6.3Pendant sa détention, aucune contrainte mentale ou physique n’a été exercée contre M. Maalem. Dans les établissements pénitentiaires de l’État partie, les mesures nécessaires sont prises pour empêcher qu’il soit porté atteinte aux droits légitimes des prévenus et des condamnés. Une attention particulière est accordée aux droits de l’homme, notamment à la prévention de la torture et d’autres traitements inhumains. S’il apparaît que la force physique a été employée ou qu’un autre traitement prohibé a été infligé, les coupables encourent des sanctions disciplinaires ou pénales. À la suite de la déclaration de M. Maalem selon laquelle il aurait été battu pendant sa détention à l’établissement UYA‑64/IZ-1, qui relève du Ministère des affaires intérieures, une enquête officielle a été menée et le Bureau du Procureur du district Younoussabadsky de Tachkent a procédé à une évaluation préalable.

6.4Les compagnons de cellule de M. Maalem n’ont pas confirmé ses dires selon lesquels il avait été battu et rançonné ; ils ont affirmé que M. Maalem n’avait pas été battu et qu’on ne lui avait pas extorqué d’argent. Les médecins de l’institution, A. M. et V. S., ont expliqué que M. Maalem s’était plaint à de nombreuses reprises de douleurs au dos, qu’il avait été traité pour des « problèmes de dos » avant d’être placé en détention et qu’il avait reçu des soins médicaux appropriés dans le centre pénitentiaire. Selon les conclusions de l’examen médico-légal, aucune lésion n’a été décelée sur le corps de M. Maalem. Aucune preuve des mauvais traitements allégués n’a pu être établie. Sur la base des résultats de l’enquête, le 10 juillet 2010, le Bureau du Procureur de Younoussabadsky, district de Tachkent, a refusé d’engager des poursuites pénales, en se fondant sur l’article 83 du Code de procédure pénale (absence de corps du délit). Cette décision a été confirmée par le Bureau du Procureur de Tachkent. M. Maalem a reçu des soins hospitaliers à deux reprises pendant sa détention après s’être plaint de troubles de santé (à la fin de 2009 et à la fin de 2012) et son état général était satisfaisant et stable.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.Le 17 février 2017, M. Maalem a réaffirmé qu’il contestait le verdict du tribunal de première instance, estimant que sa culpabilité n’avait pas été prouvée et que les accusations portées contre lui étaient fabriquées de toutes pièces. Il considère que les décisions des tribunaux étaient illégales et injustes et conteste la qualification de l’infraction retenue par le tribunal. Il explique de nouveau qu’il utilisait sa propre voiture comme taxi et donne un récit détaillé des circonstances entourant l’infraction qu’il est accusé d’avoir commise en 2009. Il réaffirme qu’il a été battu pendant sa détention et que ses premier et deuxième avocats lui ont conseillé de ne pas se plaindre. Il conteste les résultats de l’enquête interne. M. Maalem reprend aussi les arguments qu’il a avancés précédemment concernant son expulsion du pays.

Nouvelles observations

De l’État partie

8.1Les 28 avril et 10 octobre 2017, l’État partie a de nouveau communiqué un récit détaillé des faits entourant l’infraction commise par M. Maalem, expliquant que tous les actes de procédure accomplis à son égard l’avaient été en présence de son avocat et que sa culpabilité était pleinement établie par les déclarations des coaccusés et des personnes qui avaient été victimes de traite, par les registres et protocoles d’interrogatoire en face-à-face des coaccusés, par l’interrogatoire des témoins et par d’autres éléments de preuve. À l’audience, il n’avait pas appelé d’autres témoins et, pendant l’instruction, il ne s’était pas plaint de mauvais traitements. Les irrégularités de l’instruction soulevées par M. Maalem et son avocat dans le cadre des recours en cassation ont été examinées par le tribunal compétent qui a confirmé, le 11 juin 2010, le jugement en première instance. L’État partie réaffirme que M. Maalem a été remis en liberté le 25 février 2014 et qu’il n’a subi aucun mauvais traitement pendant sa détention provisoire. M. Maalem a fait l’objet d’un examen médical complet lorsqu’il est arrivé à la maison d’arrêt et son état de santé a été jugé satisfaisant.

8.2L’État partie précise par ailleurs qu’il ressort de la décision du 5 mai 2014, que le tribunal civil interdistrict de Tachkent Mirzo-Ulugbek a rendue à la suite de la plainte introduite par Mme Maalem concernant le versement d’une pension alimentaire, qu’il a été temporairement sursis à l’exécution de l’ordre d’expulsion. Le permis de résidence de M. Maalem a été prorogé jusqu’au 17 avril 2020.

Des auteurs

9.1Le 17 août 2017, M. Maalem a communiqué ses commentaires sur les nouvelles observations de l’État partie. Il formule de nouveau ses griefs relatifs à la procédure pénale engagée contre lui, au cours de l’instruction comme pendant le procès. Il affirme en outre que ni les coaccusés ni les témoins (les femmes victimes de la traite) « n’ont dit quoi que ce soit contre lui » à l’audience, et que le tribunal a seulement tenu compte des déclarations qu’ils avaient faites pendant l’instruction et a rejeté toutes ses requêtes et celles de son avocat tendant à faire appeler à la barre trois autres témoins.

9.2M. Maalem maintient avoir été battu pendant sa détention provisoire par un policier et par un codétenu. En ce qui concerne l’examen médico-légal, il rejette l’argument de l’État partie, précisant que l’examen a eu lieu deux ans après les coups, dont il ne restait donc aucune trace, si ce n’est des maux de tête.

De l’État partie

9.3.Le 10 octobre 2017, l’État partie a répété ses affirmations précédentes concernant le procès au pénal de M. Maalem en 2009, les mauvais traitements que celui-ci prétend avoir subis et l’ordre d’expulsion le visant.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle ils ont épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

10.4Le Comité prend note des griefs de M. Maalem selon lesquels des policiers et des codétenus lui ont infligé des mauvais traitements pendant sa détention provisoire pour lui soutirer de l’argent et l’intimider. L’État partie ne conteste pas le fait que M. Maalem a soulevé ce grief, notamment auprès du Bureau du Procureur. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel une enquête interne a été menée, sur la base de laquelle le Bureau du Procureur a refusé d’engager des poursuites, faute de corps du délit. Sur la base des renseignements dont il dispose, le Comité n’est pas en mesure de conclure que M. Maalem a été soumis à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. Faute d’informations complémentaires de la part des auteurs, le Comité considère que les griefs soulevés au titre de l’article 7 n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.5Le Comité prend note des griefs ci-après que M. Maalem tire de l’article 14 du Pacte : les garanties d’un procès équitable n’auraient pas été respectées au cours de la procédure pénale, M. Maalem contestant en particulier la peine prononcée et l’appréciation des éléments de preuve par le tribunal ; les requêtes en comparution d’autres témoins à décharge que lui-même et son avocat avaient introduites ont été rejetées ; le tribunal a retenu les déclarations que des coaccusés et des femmes victimes de la traite avaient faites pendant l’instruction, alors que certains d’entre eux se sont rétractés à l’audience. Le Comité prend note également des griefs ci-après que soulève M. Maalem : à l’audience d’amnistie du 24 février 2014, il n’a pas été informé de l’ordre d’expulsion le visant ; l’audience s’est tenue en partie en ouzbek et en partie en russe, alors qu’il ne parle que l’arabe, le français, l’anglais et le russe, et le tribunal a rendu sa décision uniquement en ouzbek. Le Comité relève toutefois que rien dans le dossier n’indique que M. Maalem ait soulevé ce grief devant les autorités nationales à ce moment-là. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle M. Maalem a été représenté pendant toute la procédure par un avocat de son choix et tous les actes de procédure accomplis le concernant l’ont été en présence de son avocat. En outre, la culpabilité de M. Maalem a été pleinement établie par les déclarations des coaccusés et des personnes qui avaient été victimes de traite, par les registres et protocoles d’interrogatoire en face-à-face des coaccusés, par l’interrogatoire des témoins et par d’autres éléments de preuve. Le Comité prend également note de la précision apportée par l’État partie selon laquelle M. Maalem, à l’audience, n’a pas appelé d’autres témoins et, pendant l’instruction, ne s’est pas plaint de mauvais traitements. En se fondant sur les informations dont il est saisi, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment développé ses griefs concernant le droit à un procès équitable et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.6Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé les autres griefs, lesquels soulèvent des questions au regard des articles 23 et 24 du Pacte. Il considère également que les griefs formulés par les auteurs soulèvent des questions au regard de l’article 17 de la Convention et procède donc à leur examen au fond.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

11.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 23, le Comité fait observer que le fait de séparer M. Maalem de ses enfants et du reste de sa famille qui vit en Ouzbékistan peut soulever des questions au titre du paragraphe 17 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 23. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’il peut effectivement se produire des cas où le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la famille de cette personne. Mais le simple fait que l’un des membres d’une famille ait le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éviction d’autres membres de la même famille une immixtion du même ordre.

11.3En l’espèce, le Comité considère que la décision de l’État partie d’expulser le père de cinq enfants, dont certains sont mineurs, assortie d’une restriction d’entrée sur le territoire, est une « immixtion » dans la famille, en particulier dans des situations où, comme c’est le cas en l’espèce, des changements importants dans la vie familiale en découleraient. À cet égard, le Comité fait observer que, bien que la vie familiale de M. Maalem ait été soumise à d’importantes contraintes pendant son incarcération (de 2009 à 2014), il a su garder un lien étroit avec sa famille.

11.4Le Comité rappelle que la notion d’« arbitraire » comprend des éléments tels que le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Le Comité rappelle également que, dans les cas où une partie de la famille doit quitter le territoire de l’État partie tandis que l’autre partie est en droit de rester, il faut examiner les critères pertinents permettant d’apprécier si l’immixtion spécifique dans la vie de famille peut être objectivement justifiée, à la lumière, d’une part, de l’importance que revêtent les raisons avancées par l’État partie pour expulser l’intéressé et, de l’autre, du degré de gravité de l’épreuve que cette expulsion entraînerait pour la famille et ses membres.

11.5En l’espèce, le Comité constate que le renvoi de M. Maalem visait un objectif légitime, à savoir l’application de la législation pénale de l’État partie. En outre, l’État partie a expliqué que la décision d’expulser M. Maalem a été rendue le 24 février 2014 et confirmée par la juridiction de cassation le 25 mars 2014. Le Comité prend note également du fait que, par la suite, le 5 mai 2014, le tribunal civil interdistrict de Tachkent Mirzo‑Ulugbek a temporairement sursis à l’exécution de l’ordre d’expulsion tant que M. Maalem devrait verser une pension alimentaire en faveur de ses enfants mineurs, et que le permis de résidence de M. Maalem a été prorogé jusqu’au 17 avril 2020. Cependant, le Comité prend également note de l’argument de M. Maalem selon lequel l’État partie a appliqué dans son affaire une version plus rigoureuse et plus restrictive du règlement, prévoyant l’expulsion obligatoire et l’interdiction de territoire et ne prévoyant aucune exception à cette règle, plutôt qu’une version antérieure qui disposait que les étrangers ayant des motifs légitimes de rester dans l’État partie n’étaient pas automatiquement expulsés.

11.6Le Comité note que l’État partie justifie l’expulsion de M. Maalem par le fait qu’il a été condamné pour traite des êtres humains avant d’être amnistié, et qu’une telle condamnation entraîne automatiquement et sans exception une mesure d’expulsion dans le cas d’étrangers en séjour régulier en Ouzbékistan. L’État partie considère en outre que l’ordre d’expulsion est pleinement conforme à la législation nationale et à l’intérêt légitime de l’État. Toutefois, il convient de noter que M. Maalem a purgé sa peine et que rien n’indique qu’il pose un problème de sécurité pour l’État partie. Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel on ne peut pas s’attendre à ce que leurs enfants suivent leur père, car ils sont Ouzbeks et n’ont aucun lien avec l’Algérie. Le Comité relève en outre que, si M. Maalem était expulsé vers l’Algérie, pays qu’il a quitté il y a plus de trente ans, la nature et la qualité de ses liens familiaux ne pourraient pas être préservés grâce à des visites régulières compte tenu des restrictions d’entrée sur le territoire qui lui seraient imposées.

11.7Le Comité rappelle le principe voulant que, dans toute décision touchant un enfant, l’intérêt supérieur de celui-ci soit la considération primordiale. Il considère qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas fait de l’intérêt supérieur des enfants des auteurs la considération primordiale, et que l’immixtion dans la vie familiale des auteurs qui en a résulté ainsi que l’insuffisance de la protection accordée à la famille ont causé des difficultés excessives aux auteurs et à leurs enfants. Le fait d’ordonner l’expulsion de M. Maalem a placé les auteurs devant l’alternative suivante : quitter l’État partie tous ensemble, et exposer leurs enfants à des difficultés imprévues, ou briser l’unité familiale. Aucune de ces solutions n’aurait été dans l’intérêt supérieur des enfants. Il n’est pas contesté que M. Maalem a quitté l’Algérie quand il était jeune, qu’il a résidé pendant plus de trente ans en Ouzbékistan et qu’il a des attaches avec l’État partie. L’État partie n’a pas suffisamment expliqué pourquoi son objectif légitime de maintenir sa politique pénale concernant les étrangers sur son territoire, notamment en appliquant rétroactivement une version plus restrictive du règlement prévoyant l’expulsion automatique, sans exception, des étrangers qui ont commis des infractions et ont purgé leur peine, devrait l’emporter sur l’intérêt supérieur des enfants des auteurs. Compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’ordonnance d’expulsion visant M. Maalem constituait une immixtion disproportionnée dans la vie de famille des auteurs et des enfants, que ne sauraient justifier les raisons invoquées par l’État partie pour expulser M. Maalem vers l’Algérie. Le Comité conclut que l’ordonnance d’expulsion visant M. Maalem a entraîné une atteinte arbitraire au droit à la vie de famille, en violation du paragraphe 1 de l’article 17, lu seul et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte, à l’égard des auteurs et de leurs enfants.

11.8Pour ce qui est du grief tiré de l’article 24, le Comité souligne à nouveau que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant fait partie intégrante du droit de tout enfant aux mesures de protection qu’exige sa condition de mineur, de la part de sa famille, de la société et de l’État, comme le prévoit le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Compte tenu de ses conclusions concernant les articles 17 et 23, le Comité considère que l’ordonnance d’expulsion prise contre M. Maalem constituait une violation de l’article 24 car l’État partie n’a pas fourni aux enfants mineurs de M. Maalem la protection que l’État leur devait en tant qu’enfants.

12.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que l’expulsion de M. Maalem vers l’Algérie violerait les droits que les auteurs et leurs enfants tiennent de l’article 17 du Pacte, lu seul et conjointement avec le paragraphe 1 de l’article 23, ainsi que les droits garantis par le paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte, au détriment de leurs enfants mineurs.

13.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés un recours utile. Compte tenu de ses obligations au titre du Pacte, l’État partie est donc tenu, notamment, de prendre les mesures voulues pour procéder à l’examen de la décision d’expulsion de M. Maalem, qui est assortie d’une restriction d’entrée sur le territoire. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à toutes les personnes se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les diffuser largement et à les faire traduire dans ses langues officielles.