Nations Unies

CCPR/C/123/D/2247/2013

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

13 août 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2247/2013 * , **

Communication présentée par :

Pavel Barkovsky (non représenté par un conseil)

Au nom de :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

20 juin 2012 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 11 juin 2013 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 juillet 2018

Objet :

Conditions de détention inhumaines ; accès à la justice ; recours utile

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; défaut de coopération de l’État partie

Question(s) de fond :

Conditions de détention ; recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3 a)), 7, 10 et 14 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Pavel Barkovsky, de nationalité bélarussienne, né en 1978. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 2 (par. 3 a)), de l’article 7 et de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 19 décembre 2010, l’auteur a participé à une manifestation contre l’élection présidentielle au Bélarus, dont il dénonçait le caractère irrégulier. Le même jour, à 23 heures, il a été arrêté par la police, qui l’a conduit, avec une vingtaine d’autres personnes, dans un centre de détention. À leur arrivée, tous les détenus ont été alignés face au mur, debout, et sont restés dans cette position jusqu’à 7 heures le lendemain, soit, selon l’auteur, pendant environ sept heures. L’auteur dit qu’il se sentait faible et avait mal aux jambes. Il a ensuite été placé dans une cellule, où il a pu se reposer sur un banc en bois avec d’autres détenus pendant trois heures.

2.2Le 20 décembre 2010 à 10 heures, l’auteur a été présenté devant un juge du tribunal du district Sovetsky de Minsk. Il a été condamné à quinze jours de détention administrative pour participation à une manifestation non autorisée. Il a alors été reconduit au centre de détention et placé dans une cellule de 2 mètres carrés partagée avec deux autres détenus. Il affirme que la cellule était si petite qu’il ne pouvait pas s’allonger et qu’il a dû rester debout pendant sept heures. Il affirme également qu’il manquait de sommeil et qu’il a été privé d’eau et de nourriture jusqu’au 21 décembre 2010 à 5 heures, c’est-à-dire pendant plus de trente heures. Il a ensuite été transféré dans un lieu de détention temporaire situé rue Okrestina en raison du manque de place dans le premier centre de détention.

2.3Le 22 décembre 2010, l’auteur a été renvoyé dans le premier centre de détention, où il a purgé les treize derniers jours de sa peine. Pendant les six premiers jours, il était détenu avec 8 à 10 autres personnes dans une cellule d’environ 20 mètres carrés. Il a ensuite été transféré dans une cellule d’environ 10 mètres carrés partagée avec cinq autres personnes. L’auteur soutient que les conditions dans lesquelles il était détenu étaient inhumaines et dégradantes. Il affirme qu’il n’y avait ni lits ni chaises dans la cellule et qu’il n’y avait qu’un seul banc en bois pour tous les détenus. Il était contraint de dormir tout habillé sur de simples planches de bois. Il n’a reçu ni matelas, ni oreiller, ni couverture, alors que la température dans la cellule variait entre 10 et 14 °C. Étant donné qu’il ne faisait que 10 °C pendant la nuit, il avait froid en permanence et avait des difficultés à dormir. Il avait des maux de tête et de dos et, pendant toute sa détention, il a souffert du manque de nourriture et de sommeil et avait constamment mal à la tête.

2.4Les cellules étant très exiguës, l’auteur ne pouvait avoir aucune activité physique. Il ne pouvait pas lire car les cellules étaient mal éclairées et dépourvues de bureau et de chaise. De surcroît, il était privé de promenade quotidienne et exposé à une forte odeur de tabac dégagée par les fumeurs qui partageaient sa cellule mal ventilée, ce qui a eu un effet néfaste sur sa santé. De surcroît, les toilettes n’étaient pas séparées du reste de la cellule et l’auteur devait les utiliser devant les autres détenus, ce qui était à son sens dégradant.

2.5Le 11 janvier 2011, l’auteur a saisi le parquet municipal de Minsk d’une plainte relative à ses conditions de détention. Par une lettre datée du 31 janvier 2011, il s’est vu répondre que ses allégations concernant la température, l’éclairage, les conditions sanitaires, la nourriture et le manque d’espace dans les cellules n’étaient « pas confirmées » et que toutes les mesures nécessaires étaient prises pour que les détenus qui avaient commis des infractions administratives aient accès à des cellules meublées et pourvues de literie, ainsi qu’au téléphone et à des promenades quotidiennes dans des cours intérieures.

2.6Le 22 février 2011, l’auteur a contesté la décision du parquet municipal de Minsk auprès du Bureau du Procureur général. Il a dit ne pas avoir été informé que des membres du parquet de Minsk avaient visité les lieux où il avait été détenu afin de vérifier ses dires, puisqu’il n’avait pas eu accès au dossier. Il a aussi affirmé que le parquet avait ignoré les allégations selon lesquelles il avait subi des traitements inhumains avant même de passer devant le juge, notamment en ce qu’il avait été forcé de rester debout face à un mur, privé de sommeil et maintenu longtemps dans une petite cellule et n'avait pas reçu d’eau ou de nourriture en quantités suffisantes. Le 25 février 2011, le Bureau du Procureur général a informé l’auteur que sa plainte avait été renvoyée au parquet municipal de Minsk pour complément d’enquête.

2.7Le 15 mars 2011, le parquet municipal de Minsk a confirmé que ni meubles ni literie n’avaient été mis à la disposition de l’auteur et que celui-ci n’avait pas eu accès à la cour et n’avait pas pu téléphoner, déclarant que ces « désagréments » ne constituaient pas une violation des droits de l’auteur ou des autres détenus, mais étaient dus à des raisons objectives, notamment l’augmentation de la population carcérale. En mars 2011, l’auteur a fait appel de la décision du Bureau du Procureur général de renvoyer sa plainte au parquet municipal de Minsk, soutenant que la personne chargée du réexamen était celle qui avait rendu la décision initiale, ce qui constituait à son sens une violation du droit au réexamen par une entité indépendante. Il a également contesté la décision rendue par le parquet municipal de Minsk le 15 mars 2011 au motif que, comme la précédente, elle ne tenait pas compte des allégations de traitement inhumain et dégradant. Il n’a obtenu aucune réponse des services du Procureur général, mais a reçu une autre lettre du parquet municipal de Minsk, dans laquelle ses griefs n’étaient pas pris en considération.

2.8Le 19 janvier 2011, l’auteur a saisi le tribunal du district Moskovsky de la ville de Minsk d’une plainte au civil visant le Département des affaires intérieures en vue d’obtenir réparation de son préjudice moral. Le 3 mars 2011, le tribunal s’est déclaré incompétent et a refusé de se saisir. Il a expliqué dans sa décision que les griefs et les plaintes concernant les conditions de détention n’étaient pas du ressort des tribunaux civils et que l’auteur aurait dû se tourner vers l’administration du lieu de détention concerné. Le 10 mars 2011, l’auteur a fait appel de cette décision auprès du tribunal municipal de Minsk, soutenant que le paragraphe 1 de l’article 60 de la Constitution garantissait la protection des droits et libertés de chacun par un tribunal compétent, indépendant et impartial et que cette protection lui était refusée. Le 7 avril 2011, le tribunal municipal de Minsk a débouté l’auteur et confirmé la décision du tribunal du district Moskovsky, qui est donc devenue définitive et exécutoire. En juin 2011 puis le 7 octobre 2011, l’auteur a saisi le président du tribunal municipal de Minsk et le Président de la Cour suprême, respectivement, au titre de la procédure de contrôle. Les décisions des juridictions inférieures ont été confirmées dans les deux cas.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le fait que le Bélarus n’ait pas enquêté sur ses allégations de violation de l’article 7 du Pacte et ne lui ait pas assuré un recours utile au sens de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte constitue une violation des droits qu’il tient de cette dernière disposition.

3.2L’auteur affirme que les conditions inhumaines dans lesquelles il a été détenu, en particulier le surpeuplement des cellules et le froid qui y régnait, la privation de promenade quotidienne, le fait que les toilettes n’étaient pas séparées et la privation de nourriture et d’eau, prises dans leur ensemble, constituent une violation de l’article 7 du Pacte et des règles énoncées aux articles 9 à 12, 19, 20 (par. 2) et 21 (par. 1) de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

3.3L’auteur affirme en outre que le fait qu’on ne lui ait pas permis de faire entendre sa cause par un tribunal compétent, indépendant et impartial constitue un déni du droit d’accès aux tribunaux et du droit à la justice prévus à l’article 14 (par. 1) du Pacte.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Dans des notes verbales en date du 11 juin 2012 et du 6 mars 2014, le Comité a demandé à l’État partie de lui communiquer des informations et de lui faire part de ses observations concernant la recevabilité et le fond de la communication (no 2247/2013). Le Comité note que ces informations ne lui sont pas parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucune information sur la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que le paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif oblige les État parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder du poids aux allégations de l’auteur, pour autant qu’elles aient été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que l’auteur affirme que tous les recours internes utiles à sa disposition ont été épuisés. En l’absence d’objection de la part de l’État partie, le Comité estime que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

5.4Le Comité prend note des griefs de l’auteur selon lesquels l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte puisqu’il n’a pas enquêté sur les allégations de violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité estime que le grief de violation de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte doit être examiné à la lumière de l’article 7.

5.5Le Comité estime que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)) et l’article 14 (par. 1). Il estime que les griefs de l’auteur quant à ses conditions de détention semblent aussi soulever des questions au regard de l’article 10 (par. 1) du Pacte. En conséquence, il déclare cette partie de la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

6.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité note que l’auteur affirme qu’à son arrivée au centre de détention, il a été contraint de rester debout face à un mur pendant sept heures et n’a reçu ni eau ni nourriture pendant les trente premières heures qui ont suivi son arrestation. Il note également que l’auteur dit avoir passé treize jours dans une petite cellule surpeuplée (voir par. 2.3), sans literie, ni chaise, ni chauffage, ni ventilation adéquate, dans de très mauvaises conditions sanitaires. Pendant toute sa détention, l’auteur a dû dormir sur une planche de bois avec jusqu’à 10 autres personnes et n’a pas été autorisé à quitter sa cellule pour une promenade quotidienne. La température dans la cellule variant entre 10 et 14 °C, l’auteur avait froid et avait du mal à dormir. L’auteur affirme que les toilettes n’étaient pas séparées du reste de la cellule et qu’il devait donc les utiliser devant les autres détenus. Il soutient que, dans leur ensemble, les conditions dans lesquelles il a été détenu, décrites plus haut, lui ont causé des souffrances physiques et mentales constitutives de traitement cruel, inhumain et dégradant. Le Comité rappelle que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privation ni de contrainte autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté et doivent être traitées avec humanité, conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela). Il constate que l’État partie n’a pas contesté les informations fournies par l’auteur sur ses conditions de détention et n’a pas apporté d’informations complémentaires à ce sujet. Dans ces circonstances, il y a lieu d’accorder du poids aux allégations de l’auteur. En conséquence, le Comité estime que les conditions de détention de l’auteur ont constitué une violation des droits garantis à l’article 7 du Pacte.

6.3Le Comité estime, comme il l’a fait à plusieurs reprises au sujet de griefs comparables dûment étayés, que les conditions de détention de l’auteur, telles qu’elles ont été décrites, ont constitué une violation du droit d’être traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne et ont donc enfreint les dispositions de l’article 10 (par. 1) du Pacte, qui traite expressément de la situation des personnes privées de liberté. Pour ces raisons, le Comité estime que les circonstances de la détention de l’auteur telles que celui-ci les a décrites constituent une violation de l’article 10 (par. 1) du Pacte.

6.4Le Comité note que l’auteur affirme que, lorsqu’il a saisi le tribunal du district Moskovsky de Minsk d’une plainte civile contre l’administration du centre de détention, qu’il accusait d’avoir manqué à son obligation d’agir en lui imposant des conditions de détention constitutives d’une violation de l’article 7 du Pacte, le tribunal s’est déclaré incompétent et a refusé de connaître du dossier, affirmant que selon le droit interne, les plaintes concernant les conditions de détention devaient être examinées dans le cadre d’une procédure non judiciaire (c’est-à-dire, administrative) et que c’était la direction du centre de détention où l’auteur avait purgé sa peine administrative qui devait être saisie.

6.5Le Comité réaffirme l’importance qu’il attache à la création par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs chargés d’examiner les allégations de violations des droits garantis par la législation interne. Il renvoie au paragraphe 15 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans lequel il dit que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, le Comité constate que l’auteur a déposé plusieurs plaintes auprès du Procureur, qui n’a pris aucune mesure, et que les juridictions internes se sont déclarées incompétentes et ont refusé de connaître de l’affaire. Il estime en conséquence que les informations dont il dispose montrent que la procédure non judiciaire ne constituait pas un recours utile. En l’absence de toute information de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 et de l’article 10 (par. 1) du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)).

6.6À la lumière de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7 et de l’article 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec le l’article 2 (par. 3).

8.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder pleine réparation aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteur une indemnisation appropriée, y compris le remboursement de tous les frais de justice engagés, ainsi que des mesures de satisfaction adéquates. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se produisent à l’avenir, notamment en modifiant le système de plainte concernant les conditions de détention pour faire en sorte que les demandeurs aient accès à un recours utile.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans toutes les langues officielles.