Nations Unies

CCPR/C/126/D/2655/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 septembre 2019

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2655/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

Aleksey Ivanov, au nom de son frère, Sergey Ivanov (représenté par un conseil, Andrei Paluda)

Victime(s) présumée(s) :

Sergey Ivanov (décédé)

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

14 octobre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité (devenu l’article 92), communiquée à l’État partie le 15 octobre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

18 juillet 2019

Objet :

Condamnation à la peine de mort à l’issue d’un procès inéquitable

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie ; non‑respect de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité ; non‑épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Privation arbitraire de la vie ; habeas corpus ; droit à un jugement équitable rendu par un tribunal indépendant et impartial ; droit à la présomption d’innocence

Article(s) du Pacte :

6 (par. 1 et 2), 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 2 et 3 a), b) et d))

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Aleksey Ivanov, de nationalité bélarussienne, né en 1988. Il présente cette communication au nom de son frère, Sergey Ivanov, également de nationalité bélarussienne, né en 1994, qui, au moment de la soumission de la communication, se trouvait dans le quartier des condamnés à mort dans l’attente de son exécution, après avoir été condamné à la peine capitale. L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits que son frère tenait des articles 6 (par. 1 et 2), 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 2 et 3) a), b) et d)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 15 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de demander des mesures provisoires au titre de l’article 92 de son règlement intérieur (devenu l’article 94) et a demandé à l’État partie de surseoir à l’exécution de la peine de mort prononcée contre Sergey Ivanov tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 24 mai 2016, le Comité a reçu du conseil de l’auteur la confirmation que Sergey Ivanov avait été exécutée le 18 avril 2016.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 29 août 2013, le corps d’une jeune fille, A. A., née en 1994, a été découvert ; il portait des traces de violence. Le même jour, Sergey Ivanov a été arrêté parce qu’il était soupçonné du meurtre et a été placé en garde à vue au Bureau des affaires intérieures du district de Rechitsk. Le 8 septembre 2013, M. Ivanov a été placé officiellement en détention provisoire sur ordre d’un procureur. Il n’a reçu cet ordre que le 9 septembre. Il n’a été traduit devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires ni le 29 août ni le 8 septembre 2013.

2.2Le 18 mars 2015, le tribunal régional de Gomel a déclaré Sergey Ivanov coupable d’avoir commis en réunion une succession d’actes de hooliganisme violent (partie 2 de l’article 339 du Code pénal), d’avoir causé intentionnellement des lésions corporelles graves, mettant la vie de la victime en danger (partie 2 (par. 7) de l’article 147), d’avoir commis en réunion une succession de vols avec violence, mettant en danger la vie et la santé des victimes (partie 2 de l’article 206), d’avoir commis une succession de vols (partie 2 de l’article 205), et d’avoir commis un meurtre avec une cruauté particulière (art. 139). Le tribunal de première instance l’a condamné à la peine capitale, refusant de considérer comme des circonstances atténuantes les « aveux sincères » de l’accusé concernant le meurtre et sa coopération tout au long de l’enquête.

2.3Le 26 mars 2015, Sergey Ivanov a fait appel du jugement du tribunal régional de Gomel devant la Cour suprême. Le 14 juillet, celle-ci l’a débouté et a confirmé le jugement rendu le 18 mars en première instance. L’auteur fait valoir que, par voie de conséquence, la décision du tribunal régional est devenue exécutoire immédiatement.

2.4Le 21 juillet 2015, Sergey Ivanov a présenté une demande de grâce au Président du Bélarus.

2.5Bien que considérant ce recours comme inutile, le 25 août 2015, le frère de l’auteur a introduit un recours auprès du Procureur général au titre de la procédure de contrôle. Il a été débouté le 28 septembre. Le 2 octobre 2015, il a également introduit un recours auprès du Président de la Cour suprême au titre de la même procédure de contrôle. Au moment de la soumission de la présente communication, il n’avait pas encore reçu de décision, mais l’auteur note que, selon la jurisprudence bien établie du Comité, ce recours ne saurait être considéré comme utile et il affirme que son frère a épuisé tous les recours internes disponibles.

2.6L’auteur a aussi affirmé, au moment de la soumission de la communication, que son frère pouvait être exécuté à tout moment car la peine était exécutoire. Il a donc demandé l’octroi de mesures provisoires, à savoir la suspension de l’exécution de la peine capitale, tant que la communication serait à l’examen. Alors que le Comité avait fait droit à cette demande, le conseil a informé le Comité le 24 mai 2016 que l’exécution avait eu lieu le 18 avril.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits garantis à son frère par les articles 6 (par. 1 et 2), 9 (par. 1 à 4) et 14 (par. 1, 2 et 3 a), b) et d)) du Pacte. En particulier, l’État partie a violé le droit à la vie du frère de l’auteur, consacré par l’article 6 du Pacte. L’auteur note que, au Bélarus, les conseils d’une personne ou sa famille ne sont pas informés de la date et de l’heure auxquelles l’exécution est prévue, et ne sont prévenus qu’une fois que celle-ci a eu lieu. Il affirme que le fait que le procès n’ait pas présenté les garanties d’une procédure régulière et ait abouti à une condamnation à mort constitue en soi une violation des droits consacrés par les paragraphes 1 et 2 de l’article 6 du Pacte.

3.2L’auteur affirme en outre que les droits que son frère tenait de l’article 9 (par. 1 à 4) ont été violés, car lorsqu’il a été appréhendé, son frère n’a pas été traduit devant un juge sans délai après son arrestation. Son frère a vu un juge pour la première fois en novembre 2014, plus de quatre cent cinquante jours après son arrestation, en violation des droits qu’il tenait du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

3.3L’auteur fait valoir une violation des droits garantis à son frère par le paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Il affirme que, au cours de la procédure judiciaire, le tribunal a fait preuve de partialité et a manqué à son devoir d’objectivité. Selon l’auteur, c’est en tolérant le comportement agressif de la famille de la victime du meurtre et de son avocat à l’égard de son frère pendant les audiences que le tribunal de première instance a fait preuve de partialité. Son frère n’a pas eu assez de temps pour préparer sa défense et n’a eu qu’un accès limité à son avocat, en violation des garanties d’un procès équitable, ce qui lui a valu une condamnation à mort.

3.4L’auteur affirme également que son frère a été placé dans le couloir de la mort avant même que la condamnation à la peine capitale ait acquis l’autorité de la chose jugée. Devant le tribunal de première instance comme devant la Cour suprême, son frère était menotté et enfermé dans une cage. Durant la procédure en cassation, il devait porter la tenue spéciale réservée aux condamnés à mort, marquée du sigle propre à cette condamnation. En outre, il était amené par un convoi de quatre à six gardes aux audiences du tribunal, dans la position dite de la « tête aux genoux », qui provoquait une augmentation de la tension artérielle, des étourdissements et des maux de tête. Le président du tribunal n’a pas tenu compte des circonstances atténuantes, notamment les aveux et le repentir sincère du frère de l’auteur. Les audiences n’ont pas été publiques mais se sont tenues à huis clos. En conséquence, les informations relatives au procès étaient données aux médias directement par les autorités chargées de l’enquête. Les citoyens ordinaires et les journalistes indépendants n’y avaient pas accès. Les médias d’État ont méconnu le principe de la présomption d’innocence et diffusé des informations défavorables au frère de l’auteur qui n’ont pas été confirmées pendant le procès. Ils ont qualifié le frère de l’auteur de meurtrier avant que la décision du tribunal ait acquis l’autorité de la chose jugée. L’auteur affirme que cela a constitué une violation du droit à la présomption d’innocence que son frère tenait du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

3.5L’auteur fait aussi valoir une violation des droits garantis par le paragraphe 3 a) de l’article 14 du Pacte, car son frère n’a pas été informé sans délai de la nature et du motif des charges retenues contre lui. Il affirme que son frère a été placé en détention le 29 août 2013 à 11 h 35, alors que l’enquêteur a établi un procès-verbal de garde à vue après 14 heures, soit plus de deux heures après son arrestation. De plus, le procès-verbal n’indiquait pas quand son frère avait pris connaissance de son contenu.

3.6En outre, l’auteur affirme que son frère n’a pas eu suffisamment de temps pour préparer sa défense et n’a eu qu’un accès limité à son avocat, en violation des droits consacrés par le paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte. Son frère n’a pas été informé rapidement après son arrestation de ses droits, notamment de son droit d’être assisté par l’avocat de son choix. Le 29 août 2013, on ne lui a commis un conseil d’office qu’à 15 h 15, soit près de quatre heures après son arrestation. Entre-temps, plusieurs mesures de procédure avaient déjà été prises : le procès-verbal de garde à vue était établi, une fouille au corps avait été effectuée et des échantillons avaient été envoyés pour une analyse comparative. De plus, son frère n’a pas eu le droit de s’entretenir en toute confidentialité avec son avocat, puisque l’enquêteur était présent. Au cours de l’enquête préliminaire, deux avocats commis d’office se sont succédé et un troisième, que le frère de l’auteur a retenu, n’est intervenu qu’au stade de la préparation du recours en cassation. Le frère de l’auteur n’avait aucun contrôle sur ces fréquents changements d’assistance juridique. En outre, au stade du recours en cassation, il n’a de nouveau pas pu s’entretenir avec son conseil en toute confidentialité, des membres de l’administration pénitentiaire étant toujours présents. Il n’a donc pas été en mesure de mener à bien son recours en cassation et d’exercer effectivement son droit à la défense.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 10 décembre 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que la communication est irrecevable parce que le frère de l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes à sa disposition, notamment parce qu’il n’a pas saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen aux fins de contrôle. Le 5 octobre 2015, l’avocat du frère de l’auteur, M. Kremko, a déposé auprès de la Cour suprême une demande de réexamen aux fins de contrôle, qui a été rejetée par le Premier Vice-Président de la Cour suprême. Conformément au paragraphe 1 de l’article 175 du Code pénal, le fait de soumettre une demande de réexamen aux fins de contrôle a pour effet de suspendre l’exécution de la condamnation pendant que la demande est à l’examen.

4.2L’État partie fait valoir que Sergey Ivanov a également demandé la grâce du Président, demande qui était toujours en instance au moment de la soumission de la communication. Conformément à l’article 175 du Code pénal, l’exécution d’une peine de mort est suspendue pendant l’examen de la demande de grâce.

4.3Sur le fond, l’État partie explique que, le 18 mars 2015, le tribunal régional de Gomel a déclaré le frère de l’auteur coupable et l’a condamné pour infraction aux articles 147 (par. 7 de la partie 2), 139 (par. 6 de la partie 2), 205 (partie 2), 206 (partie 2) et 339 (partie 2) du Code pénal. Le tribunal de première instance l’a condamné à la peine de mort par fusillade. Le 14 juillet, la Cour suprême a confirmé la décision du tribunal régional de Gomel et rejeté les recours en cassation formés par le frère de l’auteur et par l’avocate qu’il avait choisie, Mme Romanovskaya.

4.4L’État partie affirme que la culpabilité du frère de l’auteur a été prouvée et confirmée par l’ensemble des éléments qui ont été examinés et appréciés par le tribunal. Le frère de l’auteur a reconnu sa culpabilité pour tous les chefs d’accusation et a confirmé les circonstances des infractions commises contre les victimes. L’État partie affirme que le tribunal a examiné de manière exhaustive, complète et objective les circonstances de l’affaire, qui ont révélé le danger particulier que Sergey Ivanov représentait pour la société. Par conséquent, la peine de mort infligée à M. Ivanov est raisonnable et juste. Les allégations formulées dans la communication présentée par le plaignant au nom de son frère au sujet de la violation des articles 6, 9 et 14 du Pacte ne sont pas fondées sur les éléments de l’affaire pénale. Celle-ci a été examinée par un tribunal compétent, indépendant et impartial. Aucune demande de récusation des juges n’a été présentée par les parties au cours du procès. Le tribunal a examiné toutes les requêtes des parties et a rendu des décisions motivées. Sergey Ivanov a bénéficié de l’assistance d’un conseil tout au long de la procédure ; il était notamment représenté par Mme Romanovskaya pendant l’enquête préliminaire et les audiences du tribunal de première instance, et par M. Kremko pendant la procédure en cassation.

4.5En ce qui concerne les violations alléguées des droits que Sergey Ivanov tenait de l’article 9 du Pacte, l’État partie précise que, le 29 août 2013, M. Ivanov a été arrêté parce qu’il était soupçonné de meurtre, ce qui lui a été expliqué pendant sa garde à vue, et une copie de l’ordonnance de placement en détention lui a été remise. Il a été informé, contre sa signature et en présence de son conseil, Mme Romanovskaya, de ses droits et obligations en tant que suspect ainsi que de la possibilité de contester son placement en garde à vue. Par la suite, en présence de son avocate, il a été informé de la décision de le poursuivre et de la décision de le placer en détention provisoire, qui a été sanctionnée par un procureur, et il a reçu des copies de ces documents ; on lui a en outre expliqué ses droits et obligations en tant qu’accusé ainsi que son droit de faire appel de sa détention.

4.6L’État partie affirme que Sergey Ivanov n’a pas formé de recours devant le tribunal contre sa détention provisoire. L’État partie soutient en outre que Sergey Ivanov n’a pas non plus déposé de plainte pour violation de son droit de communiquer en toute confidentialité avec ses conseils, Mme Romanovska et M. Kremko, au cours de l’enquête préliminaire, du procès ou de la procédure en cassation.

4.7Le tribunal a mené un examen approfondi de son état psychologique. Selon les conclusions de l’examen psychiatrique médico-légal, Sergey Ivanov présentait une personnalité antisociale ainsi qu’une incapacité à ressentir de la culpabilité. Malgré ce trouble, lorsqu’il commettait des infractions, il pouvait comprendre pleinement la nature de ses actes et le danger qu’ils présentaient pour la société. Au cours des audiences, M. Ivanov a souscrit aux conclusions des experts.

4.8L’État partie invite le Comité à tenir compte du paragraphe 2 de l’article 6 du Pacte, qui prévoit que, dans les pays où la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la législation en vigueur au moment où le crime a été commis ; cela n’est pas en contradiction avec les dispositions du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 8 février 2016, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il fait valoir que l’auteur d’une plainte dont le Comité est saisi n’est pas tenu d’épuiser tous les recours internes disponibles, mais seulement ceux qui peuvent être considérés comme utiles. Selon l’auteur, il ressort de la jurisprudence bien établie du Comité que la procédure de réexamen aux fins de contrôle, qui existe toujours dans les pays postsoviétiques, est inefficace. En outre, l’auteur réaffirme que l’avocat de son frère, M. Kremko, a déposé une demande de réexamen aux fins de contrôle, qui a été rejetée par le Vice-Président de la Cour suprême. De plus, la soumission de cette demande ne constitue pas un recours utile car elle ne peut que retarder l’exécution de la peine, le temps que la demande soit examinée. L’auteur fait valoir qu’en 2009, aucune des demandes de réexamen aux fins de contrôle formées dans des affaires de peine de mort n’a donné lieu à une révision de ces affaires.

5.2L’auteur affirme que, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité n’examine pas les communications sans s’être assuré que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles. Toutefois, la jurisprudence du Comité prévoit que la règle relative à l’épuisement ne s’applique que si la protection juridique est effective et disponible. L’auteur rappelle la jurisprudence du Comité, dont il ressort que la procédure de réexamen aux fins de contrôle de décisions de justice devenues exécutoires constitue un recours extraordinaire de nature discrétionnaire qui est limité aux questions de droit, et n’est donc pas un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’auteur rappelle en outre qu’« un système de réexamen au fins de contrôle qui ne vise que les condamnations dont l’exécution a commencé ne satisfait pas aux prescriptions énoncées au paragraphe 5 de l’article 14, que ce recours puisse être exercé par la personne qui a été condamnée ou que son exercice soit laissé à la discrétion d’un juge ou d’un procureur ».

5.3L’auteur affirme qu’une personne condamnée à mort au Bélarus est en général informée quelques minutes seulement avant l’exécution qu’il n’est pas fait droit à sa demande de réexamen aux fins de contrôle. Il allègue que les exécutions ont lieu en secret au Bélarus. Le condamné, son avocat et sa famille ne sont pas informés de l’issue de la demande avant l’exécution. Par conséquent, la personne condamnée à la peine capitale n’a pas le temps de saisir le Comité si les recours internes échouent.

5.4Quant à l’argument de l’État partie qui affirme que le recours interne consistant à demander la grâce présidentielle n’a pas été épuisé, l’auteur fait observer que cette procédure ne constitue pas un recours qu’il convient d’épuiser avant de saisir le Comité, car il s’agit d’une procédure juridique à caractère humanitaire et non une voie de recours en cas de violation de droits. L’auteur rappelle que, selon la jurisprudence bien établie du Comité, cette procédure ne constitue pas un recours interne efficace. Il fait valoir que, en vertu du règlement relatif à la procédure de grâce en République du Bélarus, l’exécution d’une condamnation à mort est suspendue jusqu’à ce que la demande de grâce soit examinée ou rejetée. Ainsi, le Président, que cette procédure soit engagée par le condamné à mort ou par une autre personne, prend la décision finale et le décret correspondant. L’auteur souligne que le Président n’a décidé qu’une seule fois au cours des vingt dernières années de commuer une condamnation à mort en réclusion à perpétuité. Avant d’être examinées par le Président, les demandes de grâce le sont par une commission des demandes de grâce qui relève du Président. Les décisions sont prises à la majorité simple des membres de la commission, qui peut convier à ses séances des représentants d’organes de l’État, d’associations publiques et de médias. Toutefois, les représentants du frère de l’auteur n’ont pas été invités aux séances de la commission.

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité note que l’État partie n’a pas respecté la demande de mesures provisoires qui lui avait été adressée puisqu’il a procédé à l’exécution de Sergey Ivanov avant que le Comité ait achevé l’examen de la communication.

6.2Le Comité rappelle que le paragraphe 2 de l’article 39 du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Il fait observer en outre que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er du Protocole facultatif). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après l’examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et à l’intéressé (art. 5 (par. 1 et 4)). Un État partie contrevient aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif s’il adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance de communications, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations.

6.3En l’espèce, le Comité fait observer que, lorsqu’il a présenté la communication en date du 14 octobre 2015, l’auteur l’a informé que son frère avait été condamné à mort et que la peine pouvait être exécutée à tout moment. Le 15 octobre, le Comité a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’exécution de l’auteur tant que son cas serait à l’examen. Le 24 mai 2016, il a été informé que Sergey Ivanov avait été exécuté, malgré sa demande de mesures provisoires de protection. Le Comité note qu’il n’est pas contesté que l’exécution en question a eu lieu, au mépris total de la demande de mesures provisoires de protection adressée à l’État partie.

6.4Le Comité réaffirme qu’indépendamment de toute violation du Pacte qui lui est imputée dans une communication, l’État partie contrevient gravement aux obligations qui lui incombent au titre du Protocole facultatif s’il prend une mesure qui empêche le Comité de mener à bonne fin l’examen d’une communication faisant état d’une violation du Pacte ou qui rend l’action du Comité sans objet et l’expression de ses constatations sans valeur et de nul effet. En l’espèce, l’auteur affirme que les droits que son frère, Sergey Ivanov, tenait de plusieurs dispositions du Pacte ont été violés d’une manière qui influait directement sur la légalité de sa condamnation à mort. Ayant été informé de la communication et de la demande de mesures provisoires de protection formulée par le Comité, l’État partie a commis une violation grave des obligations qui lui incombaient au titre du Protocole facultatif en exécutant la victime présumée avant que le Comité ait achevé l’examen de la communication.

6.5Le Comité rappelle que les mesures provisoires prévues à l’article 94 de son règlement intérieur, adopté conformément à l’article 39 du Pacte, sont essentielles au rôle qui lui a été confié en vertu du Protocole facultatif afin d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime d’une violation présumée. La violation de cet article, en particulier par une action irréversible comme, en l’espèce, l’exécution de Sergey Ivanov, compromet la protection des droits consacrés par le Pacte qui est assurée par le Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que, selon l’affirmation de l’État partie, Sergey Ivanov n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné qu’il n’a pas déposé lui-même de demande de réexamen aux fins de contrôle devant la Cour suprême. Il note que son conseil, M. Kremko, a déposé une telle demande, qui a été rejetée par le Vice-Président de la Cour suprême. Le Comité rappelle en outre sa jurisprudence et réaffirme que le dépôt d’une demande de contrôle de la légalité d’une décision de justice devenue exécutoire et subordonnée au pouvoir discrétionnaire d’un juge ou d’un procureur constitue un recours extraordinaire et qu’en conséquence l’État partie doit démontrer qu’il existe des chances raisonnables qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Or, l’État partie n’a pas montré que des demandes de réexamen aux fins de contrôle avaient été accueillies dans des affaires concernant la procédure suivie pour l’exécution de condamnations à mort ni, le cas échéant, indiqué dans combien de cas elles avaient abouti. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.

7.4En ce qui concerne les conditions prévues au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité prend aussi note de l’argument de l’État partie qui affirme que Sergey Ivanov n’avait pas épuisé tous les recours internes au moment de la soumission de la communication, étant donné en particulier que sa demande de grâce présidentielle était toujours en instance. À cet égard, et au vu des informations relatives à l’exécution de M. Ivanov, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que la grâce présidentielle est une voie de recours extraordinaire et, de ce fait, ne constitue pas un recours utile au sens du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. De surcroît, en l’espèce, la grâce n’aurait pu à elle seule constituer un recours utile pour les violations alléguées. Le Comité considère par conséquent que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

7.5Le Comité prend en outre note de l’allégation de l’auteur selon laquelle Sergey Ivanov n’a pas pu s’entretenir en toute confidentialité avec son avocat en raison de la présence des enquêteurs ou des autorités pénitentiaires. À ce sujet, le Comité prend note de l’objection de l’État partie selon laquelle Sergey Ivanov n’a soumis aucune plainte concernant des violations de son droit de s’entretenir en toute confidentialité avec ses avocats. En l’absence de toute autre information, le Comité n’est pas en mesure de déterminer si les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne le grief particulier tiré du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte et considère qu’il est empêché par le paragraphe 2 b) de l’article 5 du protocole facultatif d’examiner cette partie de la communication.

7.6Le Comité prend note des allégations selon lesquelles les droits que Sergey Ivanov tenait des articles 9 (par. 1, 2 et 4) et 14 (par. 1 et 3 a), b) et d)) du Pacte ont été violés. Il note que l’État partie a contesté ces allégations. Faute d’informations détaillées supplémentaires ou d’autres éléments à l’appui de ces griefs, le Comité considère que les griefs ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7Le Comité considère que les autres griefs, qui soulèvent des questions au titre de l’article 6 (par.1 et 2), de l’article 9 (par.3) et de l’article 14 (par.2) du Pacte, sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et il procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2En ce qui concerne les allégations selon lesquelles Sergey Ivanov n’a pas bénéficié des droits consacrés par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte, le Comité rappelle que, conformément à cet article, tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale doit être traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires. Il rappelle également que, si le sens exact à donner à l’expression « dans le plus court délai » peut varier selon les circonstances objectives, le laps de temps ne devrait pas dépasser quelques jours à compter de l’arrestation. De l’avis du Comité, quarante-huit heures suffisent généralement pour transférer la personne et préparer l’audience judiciaire ; tout délai supérieur à quarante-huit heures doit rester absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances. Le Comité note que, d’après les allégations de l’auteur, qui n’ont pas été contestées, Sergey Ivanov a été arrêté le 29 août 2013, a été officiellement placé en détention provisoire sur ordre d’un procureur le 8 septembre 2013 et n’a été présenté à un juge qu’en novembre 2014. Le Comité rappelle que, dans son observation générale no 35, il a déclaré qu’il était inhérent à l’exercice approprié du pouvoir judiciaire que ce pouvoir soit exercé par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions traitées, et qu’un procureur ne pouvait être considéré comme une autorité habilitée à exercer des fonctions judiciaires au sens du paragraphe 3 de l’article 9. Dans ces circonstances, le Comité considère que les faits dont il est saisi montrent que Sergey Ivanov n’a pas été traduit dans le plus court délai devant un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, comme l’exige le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte. En conséquence, il conclut que les faits susmentionnés font apparaître une violation des droits reconnus à Sergey Ivanov par le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

8.3Le Comité prend aussi note du grief selon lequel le principe de la présomption d’innocence n’a pas été respecté dans le cas de Sergey Ivanov, parce qu’il était menotté et enfermé dans une cage pendant les audiences et qu’il devait en outre porter la tenue spéciale prescrite pour les condamnés à mort, marquée du sigle indiquant « peine exceptionnelle », dans l’enceinte de la prison et pendant la procédure en cassation, alors que la condamnation n’était pas encore définitive. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence, telle qu’elle ressort également de son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, selon laquelle, du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au‑delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe. Dans la même observation générale, le Comité affirme en outre que les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux, et que les médias devraient éviter de rendre compte des procès d’une façon qui porte atteinte à la présomption d’innocence. Compte tenu des informations dont il dispose et en l’absence de toute autre information ou explication pertinente de l’État partie quant à la nécessité de maintenir le frère de l’auteur menotté et enfermé dans une cage tout au long du procès, et de lui faire porter la tenue spéciale prescrite pour les condamnés à mort pendant l’audience en cassation, le Comité considère que les faits tels qu’ils ont été présentés font apparaître une violation du droit de Sergey Ivanov à la présomption d’innocence, garanti par le paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte.

8.4Le Comité prend note en outre de la déclaration de l’État partie (par. 4.8) selon laquelle la peine de mort n’est pas interdite dans le cas des « crimes les plus graves », ce qui est prévu à l’article 6 (par. 2) du Pacte. Il rappelle son observation générale no 36 (2018) sur l’article 6 de Pacte, dans laquelle il affirme que le terme « crimes les plus graves » se rapporte aux homicides intentionnels. Dans la présente affaire, le frère de l’auteur a été condamné à mort après avoir été reconnu coupable de meurtre, acte qui fait partie des crimes les plus graves. Toutefois, le Pacte prévoit également que des conditions strictes en matière de régularité de la procédure doivent être remplies avant que la peine de mort soit imposée, afin de satisfaire aux prescriptions de l’article 6.

8.5L’auteur affirme également qu’il y a eu violation du droit à la vie garanti par l’article 6 du Pacte puisque Sergey Ivanov a été condamné à la peine capitale à l’issue d’un procès inéquitable. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme que le fait de prononcer une condamnation à la peine capitale à l’issue d’un procès au cours duquel les dispositions de l’article 14 du Pacte n’ont pas été respectées constitue une violation de l’article 6 du Pacte. Se référant à son observation générale no32, il rappelle que, dans le cas de procès qui aboutissent à une condamnation à mort, le respect scrupuleux des garanties d’un procès équitable est particulièrement important. En outre, dans son observation générale no36, le Comité a également noté qu’une violation des garanties d’une procédure régulière énoncées à l’article 14 du Pacte qui aboutit à l’imposition de la peine de mort peut rendre l’exécution arbitraire, et peut conduire à une violation de l’article 6 du Pacte. De telles violations peuvent consister dans le non-respect de la présomption d’innocence, qui peut conduire à placer l’accusé dans une cage ou à le menotter pendant le procès. Étant donné qu’il a établi une violation du paragraphe 2 de l’article 14 du Pacte, le Comité conclut que Sergey Ivanov a été condamné de manière définitive à la peine de mort et exécuté sans que les prescriptions de l’article 14 aient été respectées, et qu’il en est aussi résulté une violation de son droit à la vie, consacré par l’article 6 du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que Sergey Ivanov tenait des articles 6, 9 (par. 3) et 14 (par. 2) du Pacte. Il conclut également qu’en ne respectant pas la demande de mesures provisoires qu’il lui avait adressée, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

10.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de veiller à ce que toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés dispose d’un recours utile et obtienne pleine réparation. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de centquatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion conjointe (partiellement dissidente) d’Arif Bulkan, Hélène Tigroudja, Andreas Zimmermann et Gentian Zyberi

1.Nous souscrivons pleinement aux conclusions concernant la présente communication que le Comité a formulées au paragraphe 9, mais sommes en désasccord sur la conclusion relative à l’irrecevabilité du grief formulé par l’auteur au titre du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14. Tout d’abord, nous notons que les circonstances entourant le procès, la condamnation et l’exécution de Sergey Ivanov ont été marquées par de nombreuses irrégularités, qui ont commencé dès l’arrestation de celui-ci. En particulier, Sergey Ivanov a été détenu pendant plus de quatre cent-cinquante jours avant de comparaître devant un juge pour la première fois. Un retard si excessif est incompatible avec le principe d’équité et constitue une violation des obligations qui incombent à l’État partie au titre du Pacte, comme cela a été constaté à plusieurs reprises dans de précédentes affaires. Considérées conjointement avec les problèmes allégués concernant sa représentation juridique, point que nous examinons ci-après, il s’agit d’irrégularités procédurale qui ne peuvent pas être tolérées dans un procès qui peut aboutir à l’imposition de la peine de mort, châtiment définitif et irréversible. À cet égard, nous rappelons la position constante du Comité selon laquelle, si la peine de mort est maintenue, elle doit être soumise à des « conditions strictes » et les garanties procédurales doivent être scrupuleusement respectées. En outre, l’État partie n’a pas mis en œuvre les mesures provisoires demandées par le Comité, et le Comité a déjà établi (par. 6.4) que cela constituait une violation grave des obligations qui incombent à l’État partie au titre du Protocole facultatif.

2.L’auteur affirme que le droit de son frère d’avoir accès à un conseil a été violé parce qu’un certain nombre de circonstances, notamment le fait qu’il n’a bénéficié des services d’un avocat que quatre heures après son arrestation, alors que plusieurs mesures de procédure avaient déjà été prises ; le fait que, pendant l’enquête préliminaire, deux avocats commis d’office se sont succédé et un troisième, qu’il a retenu, n’est intervenu qu’au dernier stade du recours en cassation ; le fait qu’il n’avait aucun contrôle sur ces changements de conseils ; et le fait qu’il n’a pas été autorisé à s’entretenir avec son conseil en toute confidentialité, puisque l’enquêteur était toujours présent (par. 3.6). S’appuyant sur l’objection de l’État partie selon laquelle le frère de l’auteur n’a pas déposé de plainte concernant ces violations devant les juridictions nationales, la majorité a conclu que ce grief était irrecevable au regard du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

3.Nous estimons que la conclusion d’irrecevabilité n’est pas convaincante, en partie parce que les questions sur lesquelles porte la plainte concernaient toutes des faits que l’État partie n’a pas contestés. En effet, l’État partie a admis que différents conseils s’étaient succédé, mentionnant au moins le nom de deux conseils différents qui ont représenté le frère de l’auteur à différentes étapes du procès (par. 4.4).

4.La position de la majorité est encore plus singulière au vu du fait que l’État partie a expressément soulevé l’objection du non-épuisement relativement à deux griefs, le second concernant la détention provisoire du frère de l’auteur. Toutefois, et sans aucune discussion, la majorité a estimé que l’autre grief était recevable et a ensuite conclu à juste titre à une violation due au fait que le frère de l’auteur avait été maintenu quatre cent-cinquante jours en détention avant d’être présenté à un juge. Nous sommes d’avis qu’il s’agit d’une approche incohérente vu que la procédure en ce qui concerne les deux griefs (au titre des article 9 et 14) est la même, ce qui fait que si l’un des griefs est recevable, l’autre devrait l’être aussi.

5.Enfin, on ne voit pas très bien quel recours interne aurait pu être ouvert au frère de l’auteur et efficace dans ces circonstances. Les changements d’avocats et le refus d’autoriser des entretiens privés étaient dus aux autorités nationales et le frère de l’auteur n’avait aucun contrôle sur ces faits. Non seulement ces griefs n’ont pas été réfutés, mais l’État partie s’est contenté d’affirmer qu’aucune plainte n’avait été formulée, sans préciser quelles procédures internes étaient disponibles pour obtenir réparation. Lorsque l’argument du non-épuisement est avancé, il est fréquent que le Comité demande à l’État partie d’indiquer quelle procédure est disponible et de montrer qu’il existe des chances raisonnables que le recours présumé soit efficace dans les circonstances de l’espèce. Pour toutes ces raisons, nous estimons que l’objection de non-épuisement n’est pas fondée et que le grief que l’auteur tire des alinéas b) et d) de l’article 14 est recevable.

6.Le droit de bénéficier de l’assistance d’un conseil est un aspect indispensable d’un procès équitable, reconnu dans de nombreux systèmes nationaux et dans la jurisprudence bien établie et constante du Comité. Dans l’observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, ce droit est présenté comme « une application du principe de l’égalité des armes ». Dans les affaires où l’accusé risque la peine capitale, la représentation juridique revêt une importance telle que, lorsqu’elle fait défaut − pour quelque raison que ce soit − même un juge vigilant et impartial ne peut remédier au déséquilibre ainsi créé. Comme l’a déclaré le Comité, « il va de soi que l’assistance d’un défenseur doit être assurée dans les cas de crime capital […] même si l’absence d’un défenseur est dans une certaine mesure imputable à l’accusé lui-même, et même si, afin d’assurer cette assistance, il s’avère nécessaire de renvoyer le procès. Les efforts que le Président du Tribunal pourrait déployer en vue d’aider l’accusé à assurer sa défense en l’absence d’un défenseur ne modifient en rien l’applicabilité de cette disposition ».

7.De plus, l’accusé a le droit de bénéficier de l’assistance d’un défenseur de son choix, comme cela est expressément souligné aux alinéas b) et d) du paragraphe 3 de l’article 14. Cette disposition met en évidence, non seulement la valeur objective de la représentation juridique, mais également la nécessité pour l’accusé de pouvoir choisir un conseil qui puisse assurer sa représentation et en lequel il a confiance. Comme le Comité l’a indiqué, ce droit « suppose que l’accusé est libre non seulement de choisir un avocat, mais aussi d’en changer, et ne saurait être restreint à moins que cela ne soit absolument nécessaire aux fins de l’administration de la justice […] ». Ces dimensions multiples témoignent de l’importance indéniable et du rôle accru de ce droit dans les cas de crime capital.

8.Dans ce contexte juridique, nous prenons note des très graves violations qui, selon l’auteur, ont eu lieu pendant le procès de son frère. En particulier, plusieurs défenseurs se sont succédé pour des raisons indépendantes de la volonté du frère de l’auteur, et le troisième défenseur n’a commencé à le représenter que lorsqu’un nouveau recours en cassation était en préparation. Ces désavantages, déjà importants, ont été aggravés par le fait que l’auteur s’est vu refuser la possibilité d’entretiens confidentiels avec son défenseur. Nous ne pouvons pas, en toute confiance, déclarer que cette représentation apparemment irrégulière, changeante et compromise, sur laquelle le frère de l’auteur n’avait aucun contrôle, n’a pas eu d’incidence négative sur le procès et sur la déclaration de culpabilité auquel il a abouti. Étant donné que l’État partie n’a pas réfuté ces allégations, il convient de leur accorder le crédit voulu. Dans ces circonstances, nous estimons que les faits tels qu’ils sont présentés font apparaître une violation des droits que Sergey Ivanov tenait du paragraphe 3 b) et d) de l’article 14 du Pacte.