Nations Unies

CCPR/C/121/D/2770/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 décembre 2017

Français

Original : anglais

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2770/2016 * , **

Communication présentée par:

O. A. (représenté par un conseil, Cecilia Vejby Andersen)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Danemark

Date de la communication:

27 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 29 janvier 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

7 novembre 2017

Objet:

Expulsion en Grèce d’un mineur non accompagné

Question(s) de procédure:

Défaut de fondement

Question(s) de fond:

Torture ; peine ou traitementcruel, inhumain ou dégradant ; refoulement ; droits de l’enfant

Article(s) du Pacte:

7 et 24

Article(s) du Protocole facultatif:

2

1.1L’auteur de la communication est O. A., ressortissant de la République arabe syrienne. Il déclare être né le 1er juin 2000 et affirme que son expulsion vers la Grèce par l’État partie constituerait une violation des articles 7 et 24 du Pacte. Il est représenté par un conseil, Cecilia Vejby Andersen, du Conseil danois pour les réfugiés.

1.2Le 30 mai 2016, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires a, au nom du Comité, demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers la Grèce tant que la communication serait à l’examen. Le 1er juin 2016, la Commission de recours des réfugiés, conformément à la demande du Comité, a suspendu le délai fixé pour que l’auteur quitte le Danemark.

Exposé des faits

2.1L’auteur est originaire de Damas. Il déclare avoir fui la République arabe syrienne en mars 2015 à cause de la guerre et être entré en Grèce en avril de la même année, en tant que mineur non accompagné. À son arrivée sur l’île grecque de Chios, l’auteur a été appréhendé par les autorités locales et placé dans un centre fermé, où ses empreintes digitales ont été relevées en raison de son entrée illégale sur le territoire. Après avoir passé quelques jours à Chios, il a été autorisé à se rendre à Athènes où il a séjourné dans une auberge de jeunesse pendant quatre mois, en subvenant à ses propres besoins. Lorsque ses ressources se sont épuisées, il est devenu sans abri et a vécu dans la rue pendant environ deux mois. Il indique avoir passé l’essentiel de ses nuits dans un grand parc, où il a rencontré un réfugié syrien qui lui a conseillé de déposer une demande d’asile en Grèce afin de solliciter des autorités grecques un hébergement. Il a déposé une demande d’asile à une date non spécifiée.

2.2L’auteur indique qu’il a déposé sa demande d’asile mais que ses tentatives pour obtenir que les autorités grecques l’aident à trouver un hébergement ont échoué. Lorsqu’il a pris contact avec les autorités locales, celles‑ci se sont montrées extrêmement agressives et il s’est senti rejeté. Au cours de ces mois, l’auteur a vu d’autres personnes être victimes de violences et de vols. Il a passé de nombreuses nuits sans dormir afin d’éviter les agressions. En juin 2015, l’auteur a eu l’entretien relatif à sa demande d’asile avec les autorités grecques. Il a obtenu le statut de réfugié mais n’a jamais été officiellement avisé de cette décision, dont il a été informé ultérieurement par les autorités danoises.

2.3Étant donné que les conditions de vie en Grèce étaient très difficiles, sans aucune perspective d’amélioration, l’auteur a quitté la Grèce le 20 juillet 2015 ; il est arrivé en août au Danemark et a déposé une demande d’asile. Une fois au Danemark, il a été informé par les autorités danoises que les autorités grecques lui avaient accordé l’asile le 27 juillet. L’auteur affirme en outre qu’en raison du stress occasionné par la situation personnelle à laquelle il a dû faire face, il est vulnérable sur le plan émotionnel et s’est automutilé pendant son séjour au Danemark.

2.4Le 29 mars 2016, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur au motif que la Grèce était son premier pays d’asile et qu’en vertu de l’article 29b de la loi danoise relative aux étrangers, l’asile ne pouvait lui être accordé au Danemark. Le Service danois de l’immigration a fait valoir qu’étant donné qu’il avait obtenu l’asile en Grèce, l’auteur pouvait entrer légalement dans ce pays et s’y installer. En outre, le fait que l’auteur ignorait qu’on lui avait accordé un permis de séjour en Grèce était sans incidence sur le résultat de sa demande d’asile. L’auteur a fait appel de la décision du Service danois de l’immigration auprès de la Commission de recours des réfugiés, tout en sachant qu’un tel appel ne constitue pas un recours utile puisqu’il n’a pas d’effet suspensif et qu’il n’offre pas la possibilité de présenter de nouvelles informations et de les étayer.

2.5Le 20 mai 2016, l’auteur a informé son conseil que sa date de naissance exacte était le 1er juin 2000. À l’appui de ses dires, il a fourni des documents d’identité syriens, en précisant que son frère les lui avait transmis par voie électronique. Le 23 mai, l’auteur a soumis une requête officielle au Service danois de l’immigration, en mentionnant son âge réel et en joignant une copie des documents qu’il avait reçus de son frère. Selon l’auteur, il avait initialement fourni aux autorités grecques de faux renseignements concernant son âge car on lui avait conseillé de se faire passer pour un adulte étant donné que les mineurs migrants non accompagnés étaient systématiquement placés en détention en Grèce. De plus, comme il ne savait pas avec certitude si l’âge de la majorité civile en Grèce était 18 ou 21 ans, il avait choisi de dire qu’il avait 21 ans. En conséquence, il avait été enregistré par les autorités grecques en tant qu’adulte, avec la fausse date de naissance du 1er juin 1995. Il avait soumis les mêmes renseignements erronés aux autorités danoises pour les mêmes raisons et parce qu’il avait déjà été enregistré en Grèce comme étant né le 1er juin 1995.

2.6À une date non spécifiée, le conseil de l’auteur a communiqué à la Commission de recours des réfugiés des renseignements complémentaires à l’appui des affirmations de l’auteur concernant son âge. Le conseil a indiqué avoir eu des contacts avec le personnel du centre d’accueil qui s’occupait de l’auteur, lesquels avaient observé que les amis de ce dernier avaient tous environ 15 ou 16 ans. En outre, compte tenu du comportement général et de l’apparence physique de l’auteur, ils n’avaient pas été surpris d’apprendre que celui‑ci était lui-même âgé de 16 ans. Le conseil a également signalé que l’ami le plus proche de l’auteur lui avait confié, un mois avant la soumission de la communication au Comité, qu’il connaissait l’âge exact de l’auteur et que ce dernier avait peur de dire la vérité sur son âge car il craignait que cette information n’ait une incidence négative sur sa demande d’asile.

2.7Le 30 mai 2016, la Commission de recours des réfugiés a rejeté l’appel de l’auteur contre la décision rendue par le Service danois de l’immigration. Elle a réaffirmé qu’en vertu de l’article 29b de la loi danoise relative aux étrangers, étant donné que l’auteur s’était vu accorder le statut de réfugié en Grèce pour une durée de trois ans à compter du 12 juin 2015 ainsi qu’un permis de séjour et des documents de voyage, son premier pays d’asile était la Grèce. La Commission a en outre indiqué que, conformément à la législation interne, les exigences auxquelles doit satisfaire le premier pays d’asile sont les suivantes : le demandeur d’asile doit être protégé contre le refoulement et pouvoir séjourner légalement dans le pays. En outre, l’intégrité de sa personne et sa sécurité doivent être protégées. Toutefois, la Commission a précisé qu’il n’était pas impératif que le demandeur d’asile ait la même situation sociale et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’asile, à condition qu’il y soit traité conformément aux normes humanitaires de base reconnues. La Commission a considéré que l’auteur pouvait entrer et séjourner légalement en Grèce et qu’il y serait protégé contre le refoulement, puisqu’il avait obtenu la protection internationale. De plus, en tant que membre de l’Union européenne, la Grèce était tenue de respecter l’article 19 2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. La Commission a en outre estimé que bien que la situation socioéconomique générale des personnes bénéficiant du statut de réfugié en Grèce soit difficile, on ne pouvait pour autant en conclure que la Grèce ne pouvait pas être un premier pays d’asile. À l’affirmation de l’auteur selon laquelle il était un mineur non accompagné, la Commission a répondu qu’elle n’avait pas compétence pour modifier les renseignements relatifs à son âge initialement fournis dans sa demande d’asile mais qu’il pouvait demander au Service de l’immigration de réexaminer cette question, la décision rendue étant susceptible d’appel auprès du Ministère de l’immigration, de l’intégration et du logement. Quant à l’affirmation de l’auteur selon laquelle il souffrait de détresse émotionnelle, la Commission a fait valoir qu’il n’avait pas sollicité de traitement pour remédier à cet état et que, selon le compte rendu de l’entretien mené le 29 mars 2016, il était physiquement en bonne santé. De surcroît, la Commission a estimé qu’on pouvait supposer que l’auteur recevrait en Grèce tous les traitements psychologiques ou médicaux nécessaires. Enfin, la Commission a estimé que le fait que l’auteur avait une petite amie et un réseau familial au Danemark ne pouvait pas conduire à une évaluation différente, et elle a rejeté la demande d’asile de l’auteur.

2.8S’agissant de l’argument de l’auteur selon lequel il était mineur lors de son arrivée dans l’État partie, le Service danois de l’immigration a décidé le 30 mai 2016 de ne pas modifier les données enregistrées concernant l’âge de l’auteur, puisque le 1er juin 1995 était la date de naissance enregistrée sur la base des renseignements que l’auteur lui‑même avait fournis aux autorités grecques comme aux autorités danoises. Le 13 juillet 2016, l’auteur a déposé un recours administratif contre cette décision, en faisant valoir qu’il aurait dû se voir accorder le bénéfice du doute concernant son âge réel. Le 29 septembre 2016, le Ministère de l’immigration, de l’intégration et du logement a rejeté le recours et maintenu le 1er juin 1995 comme date de naissance de l’auteur. Le Ministère a rappelé que selon les entretiens menés par les autorités danoises de l’immigration avec l’auteur le 28 septembre 2015 et le 29 mars 2016, ce dernier avait indiqué qu’il était né le 1er juin 1995, qu’une carte d’identité lui avait été délivrée à l’âge de 14 ans, qu’il avait été appelé pour effectuer son service militaire en 2013 à l’âge de 18 ans et qu’il avait un frère cadet vivant en Allemagne. Le Ministère a également rappelé que dans le livret de famille remis par l’auteur suite à sa demande de rectification de sa date de naissance, il était inscrit comme le deuxième enfant, né le 1er juin 2000, alors que le troisième enfant était inscrit comme étant né en 1999. Le Ministère a relevé que le deuxième enfant − l’auteur − avait une date de naissance postérieure à celle du troisième enfant. Interrogé sur cette incohérence, l’auteur a indiqué qu’il en ignorait la raison. De surcroît, le Ministère a noté qu’auparavant l’auteur avait parlé de son frère aîné en l’appelant son frère cadet. Interrogé au sujet de la carte d’identité qu’il avait présentée lorsqu’il avait demandé l’asile au Danemark, où il était indiqué qu’il était né le 1er juin 1995, l’auteur a répondu que ce document avait été délivré aux fins d’obtenir un emploi et de louer un logement. À ce propos, le Ministère a relevé que si l’auteur était effectivement né en 2000, il aurait été âgé de 10 ans seulement lorsque la carte d’identité avait été délivrée.

2.9Le Ministère a indiqué en outre que d’après les informations générales disponibles concernant les documents d’identité syriens, après quatre années de guerre civile le service de l’état civil du pays ne fonctionnait plus ; les contrôles s’étaient relâchés et, de plus en plus de documents étaient délivrés sous des prétextes fallacieux ou sans l’approbation de l’administration centrale. À cet égard, le Ministère a estimé que, compte tenu du fait que le livret de famille et le certificat d’enregistrement produits par l’auteur le 30 mai 2016 avaient été délivrés au cours des cinq années précédentes, ils ne pouvaient pas être considérés comme des éléments de preuve objectifs. En ce qui concernait l’affirmation de l’auteur selon laquelle le bénéfice du doute devait être appliqué dans son cas, le Ministère a souligné que l’auteur avait systématiquement maintenu pendant l’essentiel de la procédure d’asile qu’il était né le 1er juin 1995 et avait mentionné qu’il était mineur uniquement après avoir été débouté. L’auteur indique que la décision rendue ne peut faire l’objet d’un recours.

2.10L’auteur indique qu’il a épuisé les recours internes, étant donné que les décisions rendues par la Commission de recours des réfugiés ne sont pas susceptibles d’appel.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers la Grèce constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 7 et 24 du Pacte, en raison du risque de sans‑abrisme et de placement en détention auquel il serait exposé en Grèce. Il soutient qu’il existe des motifs sérieux de croire que son expulsion comporterait donc un risque réel de préjudice irréparable s’apparentant à un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 7 du Pacte.

3.2À l’appui de son affirmation selon laquelle le sans‑abrisme pourrait constituer un traitement inhumain et dégradant, l’auteur cite l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire M. S. S. c. Belgique , où la Cour a estimé que la situation de dénuement total dans laquelle se trouvait un individu vivant dans un parc à Athènes depuis des mois, sans pouvoir trouver de la nourriture ni avoir accès à des équipements sanitaires, s’apparentait à un traitement dégradant au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). L’auteur ajoute que bien qu’il ait obtenu le statut de réfugié, il demeure vulnérable à un tel traitement. À cet égard, il renvoie aux constatations du Comité dans l’affaire Jasin et consorts c. Danemark,   où le Comité a conclu que le renvoi en Italie d’une mère célibataire sans abri ni moyens de subsistance après l’octroi de la protection subsidiaire, constituait une violation de l’article 7.

3.3En ce qui concerne le risque de détention, l’auteur fait valoir qu’en Grèce les mineurs non accompagnés sont placés en détention, souvent pendant des mois, faute de place dans les structures d’accueil. À cet égard, il se réfère aux préoccupations exprimées en mai 2016 par le Haut‑Commissariat aux droits de l’homme au sujet de mineurs non accompagnés en Grèce, qui étaient placés en « détention à titre de protection » faute de structures appropriées, telles que des foyers pour enfants. L’auteur affirme également que, selon des informations publiées dans les médias, au 20 avril 2016, 545 mineurs non accompagnés se trouvaient en détention en Grèce, en attendant d’être placés dans des centres spécialisés. Sur la base de cette information, l’auteur fait valoir que le risque élevé qu’il court d’être placé en détention pour une durée prolongée à son arrivée en Grèce équivaut à un risque élevé de traitement inhumain et dégradant, en violation de ses droits garantis par le Pacte.

3.4En ce qui concerne l’article 24 du Pacte, l’auteur affirme que le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant est un droit fondamental et que ce principe devrait guider toutes les procédures. Il renvoie à l’observation générale no 14 (2017) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, adoptée par le Comité des droits de l’enfant, où il est précisé que les éléments à prendre en considération pour déterminer quel est l’intérêt supérieur d’un enfant doivent être évalués en fonction des chaque situation. Certains de ces éléments sont l’opinion de l’enfant, sa situation de vulnérabilité et son droit à la santé, entre autres. L’auteur fait valoir qu’en raison de sa condition de mineur et du fait qu’en tant que ressortissant syrien, il a déjà subi de multiples épreuves au cours de son voyage vers l’Europe, il est particulièrement vulnérable. Il ajoute que son expulsion vers la Grèce serait contraire à son intérêt supérieur, étant donné qu’il court le risque de se retrouver sans abri et dépourvu d’assistance de la part des autorités locales. Il affirme en outre que l’accès à un hébergement en Grèce est très limité, les réfugiés étant obligatoirement en concurrence avec les Grecs aux moyens modestes, et que les réfugiés subissent un traitement discriminatoire.

3.5L’auteur soutient en outre qu’il a des raisons de craindre pour sa sécurité en Grèce et qu’il s’est attaché à son référent dans l’État partie, la présence de cet adulte dans sa vie étant essentielle pour l’aider. Il ajoute qu’il n’a aucun tuteur adulte qui puisse le prendre en charge en Grèce et que si on le laissait vivre dans la rue, il courrait le risque de subir des violences xénophobes et d’autres traitements inhumains. L’auteur estime que les autorités de l’État partie n’ont pas déterminé quel était son intérêt supérieur et n’ont donc pas fait de ce principe une considération primordiale, comme le veut l’article 24 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 30 novembre 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il décrit les dispositions pertinentes de la législation nationale et affirme que la demande d’asile du requérant a été examinée conformément à ces textes, en particulier la loi relative aux étrangers, qui s’inspire des mêmes principes que ceux consacrés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Par conséquent, l’État partie considère que ses autorités ont agi conformément aux obligations internationales qui lui incombent concernant les demandes d’asile. L’État partie décrit également la structure, la composition et le fonctionnement de la Commission de recours des réfugiés, ainsi que la législation applicable aux casrelevantdu Règlement Dublin.

4.2En ce qui concerne la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie soutient que l’auteur n’a pas démontré que ses griefs étaient à première vue fondés aux fins de la recevabilité au titre de l’article 7 du Pacte. En particulier, il n’a pas été établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que l’auteur risquerait d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en Grèce. La communication est donc manifestement dénuée de fondement et devrait être déclarée irrecevable. Dans le cas contraire, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas démontré de façon suffisamment probante que l’article 7 serait violé s’il était renvoyé en Grèce. Il ressort de la jurisprudence du Comité que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne ou la transférer par d’autres moyens de leur territoire si cette mesure a pour conséquence nécessaire et prévisible d’exposer la personne concernée à un risque réel de préjudice irréparable, tel que les traitements visés à l’article 7 du Pacte, que ce soit dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout autre pays vers lequel la personne pourrait être renvoyée par la suite. Le Comité a également établi qu’un tel risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 24, l’État partie fait valoir qu’il est incompatibleratione materiae avec le Pacte et, partant, irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole facultatif, étant donné que l’article 24 n’a pas de portée extraterritoriale.

4.3L’État partie indique en outre que lorsqu’elle applique le principe du premier pays d’asile, la Commission de recours des réfugiés exige, à tout le moins, que le demandeur d’asile soit protégé contre le refoulement et qu’il puisse entrer et résider légalement dans le premier pays d’asile. Selon l’État partie, une telle protection comporte certains éléments sociaux et économiques, puisque les demandeurs d’asile doivent être traités conformément aux normes humanitaires de base reconnues et l’intégrité de leur personne doit être protégée. L’aspect essentiel de cette protection est que la ou les personnes concernées doivent être en sécurité lorsqu’elles entrent dans le premier pays d’asile et pendant qu’elles y séjournent. Toutefois, l’État partie considère qu’il n’est pas possible d’exiger que les demandeurs d’asile bénéficient de la même situation sociale et du même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil.

4.4En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il est entré sur le territoire de l’État partie en tant que mineur non accompagné, l’État partie indique que l’auteur, lors de son entrée sur le territoire, était en possession d’une carte d’identité délivrée dans la République arabe syrienne, d’où il ressortait qu’il était né le 1er juin 1995. L’État partie renvoie en outre aux conclusions formulées le 30 mai 2016 par la Commission de recours des réfugiés, qui a constaté que les autorités grecques avaient accordé à l’auteur le statut de réfugié du 12 juin 2015 au 12 juin 2018 et qu’un permis de séjour lui avait été délivré le 27 juillet 2015, ainsi que des documents de voyage. L’État partie indique que le Service de l’immigration procède à une enquête pour établir l’identité, la nationalité et le parcours de chaque demandeur d’asile, et qu’à cet effet, il mène un entretien avec l’intéressé, après avoir obtenu son accord, afin de vérifier l’exactitude des données fournies, si cela est jugé nécessaire, par exemple en effectuant un test pour déterminer l’âge du demandeur, un test de langue ou un prélèvement d’ADN. En outre, le demandeur d’asile est consulté avant toute décision quant à l’opportunité de rectifier les renseignements concernant son âge, sa nationalité, etc. L’État partie indique que le Service de l’immigration s’est entretenu avec l’auteur à plusieurs reprises : a) le 28 septembre 2015, l’auteur a soutenu que sa date de naissance était le 1er juin 1995, qu’une carte d’identité lui avait été délivrée lorsqu’il était âgé de 14 ans et qu’il avait été appelé pour effectuer son service militaire en 2013, à l’âge de 18 ans ; b) le 29 mars 2016, au cours d’un nouvel entretien, l’auteur a fait savoir qu’il avait un frère cadet en Allemagne ; c) le 30 mai 2016, suite à la note qu’il avait adressée à la Commission de recours des réfugiés, l’auteur a dit que sa date de naissance réelle était le 1er juin 2000. Lors de l’entretien qu’il a eu avec le Service de l’immigration, l’auteur a déclaré qu’on lui avait conseillé de ne pas révéler son âge réel aux autorités de l’immigration. Au cours de l’entretien, l’auteur a présenté un livret de famille où il était inscrit comme le deuxième enfant de la fratrie, ainsi qu’un acte de naissance indiquant qu’il était né le 1er juin 2000. L’État partie rappelle que la Commission de recours des réfugiés a conclu qu’il n’était pas de sa compétence de déterminer ou de rectifier la date de naissance de l’auteur, car cette question était du ressort du Service de l’immigration et que la décision rendue par ce dernier pouvait faire l’objet d’un recours auprès du Ministère danois de l’immigration, de l’intégration et du logement ; d) le 29 septembre 2016, le Ministère a rejeté la requête de l’auteur visant à modifier sa date de naissance telle qu’enregistrée. L’État partie se fonde sur la décision rendue par le Ministère concernant l’âge de l’auteur dans son intégralité et considère qu’il doit être accepté comme un fait que l’auteur est majeur.

4.5S’agissant du risque que courrait l’auteur s’il était expulsé en Grèce, l’État partie note que l’auteur s’est vu accorder le statut de réfugié en Grèce le 12 juin 2015 et que son permis de séjour est valable jusqu’au 12 juin 2018. En outre, comme il ressort de la jurisprudence du Comité, les conditions qui prévalent en Grèce ne sont pas de telle nature que l’expulsion de l’auteur vers ce pays serait contraire à l’article 7 du Pacte. À cet égard, l’État partie renvoie à l’affaire X c. Danemark, concernant un jeune Syrien qui, tout comme l’auteur, s’était vu accorder l’asile en Grèce. Le Comité a conclu que les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte concernant les conditions de vie en Grèce n’avaient pas été suffisamment étayés et a déclaré la communication irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif. En outre, l’État partie distingue le cas présent de l’affaire Jasin et consorts c. Danemark, dans laquelle le Comité a considéré que le Danemark violerait l’article 7 du Pacte s’il renvoyait l’auteure en Italie. L’État partie souligne que dans cette affaire, l’auteure était une mère seule ayant besoin d’un traitement pour son asthme, qu’elle avait trois enfants mineurs et que son permis de séjour en Italie avait expiré. Ces faits ne sont pas comparables à la situation de l’auteur de la présente communication, qui est un jeune adulte célibataire n’ayant pas réclamé de traitement médical et qui est titulaire d’un permis de séjour valide en Grèce. On ne saurait donc parler de circonstances exceptionnelles en l’espèce. De surcroît, l’État partie note que l’auteur a payé l’hébergement dans une auberge de jeunesse en Grèce pendant un certain temps et qu’il avait des ressources suffisantes pour se rendre au Danemark. Compte tenu de l’ensemble de ces facteurs, l’État partie estime qu’il n’y a aucun fondement pour considérer que l’auteur est particulièrement vulnérable.

4.6En outre, l’État partie fait observer que dès lors que l’auteur bénéficie du statut de réfugié en Grèce, ce qui lui donne le droit d’avoir un permis de travail d’une durée identique à celle de son permis de séjour, il pourra subvenir à ses besoins dans ce pays. En toute hypothèse, l’auteur recevra aussi tout traitement médical qui pourrait lui être nécessaire en Grèce, s’il en fait la demande. En ce qui concerne la crainte de l’auteur de subir des agressions racistes, l’État partie note qu’il ressort de la documentation générale que si des agressions à caractère raciste se produisent effectivement en Grèce, il existe des unités spéciales de la police chargées de prévenir et de traiter de tels actes et une législation a été récemment adoptée visant à punir de façon appropriée les auteurs de ce type d’agressions. En outre, bien qu’apparemment la police grecque soit parfois impliquée dans des actes de discrimination raciale, l’auteur n’a jamais signalé avoir eu maille à partir avec les autorités grecques. De plus, au cours de la procédure d’asile, l’auteur a également déclaré qu’il n’avait jamais eu de différend avec des groupes politiques, religieux ou criminels, ni de démêlés avec des particuliers durant son séjour en Grèce. En conséquence, il ne saurait être admis comme un fait qu’il a été victime d’agressions racistes en Grèce ni qu’il pourrait l’être si on le renvoyait dans ce pays. De surcroît, en toute hypothèse, l’auteur pourrait obtenir la protection des autorités grecques s’il était victime d’agression. Selon l’État partie, le fait que l’auteur avait considéré que l’attitude des autorités grecques était très agressive ne saurait justifier une appréciation différente.

4.7S’agissant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme à laquelle l’auteur renvoie, l’État partie considère qu’elle ne s’applique pas en l’espèce car les affaires mentionnées concernaient des demandeurs d’asile dont la situation ne pouvait être comparée à celle de personnes titulaires d’un permis de séjour valide en Grèce. En outre, les allégations de l’auteur au sujet des conditions d’accueil en Grèce sont pertinentes dans le cas des personnes relevant du Règlement Dublin mais non de celles qui, comme lui, détiennent un permis de séjour valide.

4.8Enfin, l’État partie rappelle qu’il convient d’accorder un poids important aux conclusions des autorités nationales et que, d’une manière générale, c’est aux organes de l’État qu’il appartient d’apprécier les faits et les preuves dans chaque affaire, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’auteur n’a pas expliqué si une irrégularité quelconque avait entaché le processus de prise de décisions. L’État partie note également que dans la communication qu’il a adressée au Comité, l’auteur n’a pas soumis de nouveaux détails spécifiques concernant sa situation, ce qui montre qu’il est simplement en désaccord avec les décisions des autorités nationales et qu’il tente d’utiliser le Comité comme un organe d’appel.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 14 février 2017, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. En ce qui concerne les observations portant sur la recevabilité de la communication, eu égard à l’article 7 du Pacte, l’auteur fait valoir que conformément à l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité, il n’a pas besoin de prouver ses allégations mais doit présenter des éléments suffisants pour les étayer ; en d’autres termes, pour démontrer qu’elles sont de prime abord fondées. Il estime l’avoir fait puisqu’il a fourni des preuves concernant son âge réel et le risque d’être exposé à des mauvais traitements en cas de retour forcé en Grèce. Pour ce qui est des éléments prouvant son âge réel, l’auteur se réfère à son livret de famille, dont les données ont été étayées par les déclarations émanant de son réseau familial au Danemark ainsi que par le coordonnateur de l’équipe et le travailleur social du centre pour demandeurs d’asile au Danemark.

5.2S’agissant de ses allégations au titre de l’article 24 du Pacte, l’auteur soutient qu’elles sont recevables car les autorités danoises ont manqué à leur obligation de déterminer quel était son intérêt supérieur en tant qu’enfant, ce qui constitue une violation de cet article, qu’il ait ou non une portée extraterritoriale. À cet égard, l’auteur fait aussi valoir que le traitement inhumain et/ou dégradant qu’il pourrait subir s’il était expulsé en Grèce n’est pas un élément déterminant. En outre, il rappelle que l’article 2 du Pacte entraîne l’obligation de ne pas transférer une personne dans un pays où il y a un risque de préjudice irréparable, et il soutient qu’un préjudice irréparable peut être visé par des dispositions du Pacte autres que les articles 6 et 7. À ce sujet, il renvoie à l’affaire D. T. c. Canada  , dans laquelle le Comité a conclu que l’expulsion d’un enfant par le Canada vers le Nigéria constituait une violation des droits de cet enfant au titre du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Il cite également l’affaire A. et B. c. Danemark , dans laquelle le Comité a considéré que l’article 18 ne pouvait être dissocié des allégations formulées par l’auteur au titre des articles 6 et 7. L’auteur renvoie en outre à l’observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, dans laquelle le Comité a déclaré que le renvoi d’une personne dans un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel d’atteinte grave à sa liberté ou à sa sécurité, par exemple sous la forme d’une détention arbitraire prolongée, peut constituer un traitement inhumain interdit par l’article 7 du Pacte (par. 57).

5.3En ce qui concerne le fond de la communication, l’auteur réaffirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il courrait un risque réel de subir des mauvais traitements s’il était renvoyé en Grèce, en violation de l’article 7 du Pacte. Il se réfère à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui correspond à cet article 7 du Pacte. Il indique que selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, pour déterminer le minimum de gravité requis pour qu’il y ait mauvais traitement, l’appréciation de la Cour doit prendre en compte des circonstances telles que l’âge et l’état de santé du demandeur. En conséquence, l’auteur soutient que lorsqu’on interprète l’article 7 lu conjointement avec l’article 24 du Pacte, qui dispose que les enfants ont droit à de mesures de protection, le minimum de gravité doit être déterminé eu égard aux circonstances propres au demandeur, lequel est en l’occurrence un mineur syrien qui a déjà subi des épreuves dans son pays et en Grèce, qui a par ailleurs développé un comportement autodestructeur et n’a personne pour le prendre en charge en Grèce. L’auteur conclut donc qu’il courrait un risque réel de subir des mauvais traitements en violation de l’article 7 du Pacte s’il était renvoyé en Grèce. Il souligne en outre que d’après la documentation générale sur la situation des réfugiés en Grèce, ces derniers ne reçoivent pas d’assistance de la part des autorités grecques, ils sont exposés au risque d’exploitation par le travail et d’exploitation sexuelle et sont systématiquement placés en détention dans des conditions si mauvaises qu’elles s’apparentent à un traitement inhumain et dégradant, autant d’éléments qui démontrent la situation extrêmement problématique à laquelle les réfugiés sont réduits en Grèce.

5.4L’auteur affirme en outre qu’il a fourni à l’État partie des éléments de preuve concernant son âge réel, notamment des pièces justificatives et des témoignages, conformément au principe de la charge de la preuve tel que défini par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Selon ce principe, il revient au réfugié d’établir la véracité de ses allégations et l’exactitude des faits sur lesquels repose sa demande. L’auteur affirme également qu’il a donné une explication plausible concernant les informations inexactes relatives à son âge fournies aux autorités grecques et danoises.

5.5En outre, compte tenu de l’explication qu’il a fournie et des éléments de preuve qu’il a produits, l’auteur fait valoir qu’il devrait se voir accorder le bénéfice du doute, étant donné qu’aucune des méthodes de détermination de l’âge actuellement utilisées ne permet d’établir avec certitude l’âge exact d’une personne donnée. Par conséquent, lorsqu’il existe des doutes concernant l’âge d’un demandeur d’asile, comme dans le cas de l’auteur, le principe du bénéfice du doute veut que l’intéressé soit considéré comme un mineur. De plus, l’auteur fait valoir qu’il s’est acquitté de la charge de la preuve en produisant des éléments confirmant qu’il est mineur et que, dès lors, l’État partie partage avec lui la charge de la preuve. L’auteur renvoie à deux arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, selon lesquels une fois acquittée la charge de la preuve, il incombe conjointement au demandeur et aux autorités d’établir et d’évaluer tous les faits pertinents. En conséquence, s’il avait des raisons de mettre en doute l’âge de l’auteur, l’État partie aurait dû faire pratiquer un test médical aux fins de le déterminer. L’auteur rappelle que ni les autorités grecques ni les autorités danoises n’ont procédé à un tel test.

5.6L’auteur affirme en outre que son état de santé, sa vulnérabilité et son âge sont des éléments qu’il faut prendre en considération pour déterminer si la Grèce satisferait aux conditions requises pour faire office de premier pays d’asile. Il soutient que sur la base de ces éléments, il existe un risque réel qu’il subisse des mauvais traitements en violation de l’article 7 du Pacte s’il était expulsé en Grèce. Il est donc essentiel que l’État partie établisse son âge exact, étant donné que les mineurs risquent davantage de subir un préjudice irréparable dans des circonstances telles que celles exposées en l’espèce. L’auteur réaffirme que s’il était expulsé en Grèce, les droits qu’il tient des articles 7 et 24 du Pacte seraient violés.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 16 mai 2017, l’État partie a présenté des observations complémentaires. Il réaffirme que l’auteur n’a apporté aucune information nouvelle concernant les motifs initiaux de sa demande d’asile. L’auteur n’a pas non plus démontré que sa communication était à première vue recevable au titre de l’article 7 du Pacte et cette partie de la communication est manifestement dénuée de fondement. En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 24, l’État partie réaffirme qu’ils sont incompatibles ratione materiae avec le Pacte et donc irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.2Concernant l’âge de l’auteur, l’État partie rappelle la décision rendue le 30 mai 2016 par la Commission de recours des réfugiés, qui a constaté que l’auteur n’avait pas déclaré être un mineur jusqu’à ce qu’il ait été débouté de sa demande d’asile par le Service danois de l’immigration. L’État partie souligne également que le 26 septembre 2016, la décision de la Commission a été confirmée par le Ministère danois de l’immigration, de l’intégration et du logement, aucun élément ne justifiant de modifier la date enregistrée comme étant la date de naissance de l’auteur. En conséquence, l’État partie réaffirme qu’il n’y a pas de motifs sérieux de croire que l’expulsion de l’auteur en Grèce constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur qui dit avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence de toute objection de l’État partie sur ce point, il considère qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.4Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que le grief que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte n’est pas étayé. Il considère cependant qu’aux fins de la recevabilité l’auteur a correctement expliqué les raisons pour lesquelles il craint que son renvoi forcé vers la Grèce n’engendre un risque de traitement contraire à l’article 7 étant donné son âge allégué et la vulnérabilité correspondante. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 7.

7.5Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tire de l’article 24 du Pacte, étant donné que les autorités danoises n’ont pas pris les mesures nécessaires pour le protéger en ne cherchant pas à déterminer son âge réel. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel l’article 24 du Pacte n’est pas d’application extraterritoriale. Il considère cependant que les griefs de l’auteur au titre de l’article 24 ont trait à des éléments qui sont indissociables des griefs qu’il tire de l’article 7. Il estime aussi que certains des griefs de l’auteur au titre de l’article 24 se rapportent à des faits qui ont eu lieu au Danemark. En conséquence, le Comité déclare que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 7 et 24 du Pacte, pris séparément et lus conjointement, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur, qui soutient que son expulsion vers la Grèce, sur la base du principe du premier pays d’asile énoncé dans le Règlement Dublin, l’exposerait à un risque de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte, et porterait atteinte aux droits qu’il tient de l’article 24, compte tenu du fait qu’il est mineur. L’auteur fonde ses arguments, entre autres, sur les épreuves qu’il a endurées lorsqu’il était en Grèce, ainsi que sur les conditions générales d’accueil des demandeurs d’asile et des réfugiés entrant en Grèce, en particulier les mineurs non accompagnés.

8.3Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (par. 12), dans laquelle il mentionne l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice visé à l’article 7 du Pacte. Le Comité a également souligné qu’un tel risque doit être encouru personnellement et qu’il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

8.4Le Comité note que l’auteur dit avoir fui la République arabe syrienne en mars 2015 et être entré en Grèce en avril de la même année. Selon les allégations de l’auteur, à son arrivée sur l’île grecque de Chios, il a été appréhendé par les autorités locales et placé dans un centre fermé où ses empreintes ont été relevées parce qu’il était entré illégalement dans le pays ; au bout de quelques jours, il aurait été autorisé à se rendre à Athènes où il serait resté dans une auberge de jeunesse pendant quatre mois, en payant lui‑même ses frais. Le Comité note en outre que selon les dires de l’auteur, une fois ses fonds épuisés il est devenu sans abri et a vécu dans la rue pendant environ deux mois, passant la plupart des nuits dans un grand parc. Le Comité note aussi l’allégation de l’auteur selon laquelle, sur les conseils d’un réfugié syrien, il a déposé une demande d’asile afin d’obtenir un hébergement des autorités grecques. Néanmoins, malgré ses tentatives pour prendre contact avec ces dernières pour qu’elles l’aident à trouver un logement, aucune assistance ne lui a été apportée. Le Comité note également que selon l’auteur, les autorités locales se sont montrées extrêmement agressives, si bien qu’il s’est senti rejeté. Le Comité note en outre les allégations de l’auteur selon lesquelles il ne se sentait pas en sécurité en Grèce et avait vu d’autres réfugiés subir des violences et des vols, en particulier dans le parc où il séjournait, ce qui l’avait maintenu éveillé pendant de nombreuses nuits. Le Comité note également l’affirmation de l’auteur qui dit avoir quitté la Grèce et s’être rendu au Danemark parce qu’il craignait pour sa sécurité et ne pouvait pas subvenir à ses besoins. Le Comité note que l’auteur a demandé l’asile au Danemark en août 2015.

8.5Le Comité prend également note des différents rapports mentionnés par l’auteur qui mettent en évidence l’absence de places disponibles en Grèce dans les centres d’accueil pour demandeurs d’asile et réfugiés relevant du Règlement Dublin. Le Comité note en particulier que selon l’auteur, les réfugiés qui, comme lui‑même, avaient déjà reçu un permis de séjour et des documents de voyage en Grèce ne se voyaient pas proposer de logement par les autorités locales. À ce propos, le Comité note que l’auteur renvoie à une décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme, où la Cour a conclu que la situation de dénuement total dans laquelle se trouvait un individu vivant dans un parc à Athènes depuis des mois, sans pouvoir trouver de la nourriture ni avoir accès à des équipements sanitaires, constituait un traitement dégradant au regard de la Convention européenne des droits de l’homme.

8.6Le Comité note en outre l’allégation de l’auteur qui affirme être mineur et avoir menti sur son âge parce qu’on lui avait conseillé de se déclarer majeur, étant donné que les mineurs migrants non accompagnés étaient systématiquement placés en détention en Grèce. Le Comité note aussi que selon l’auteur, comme il ignorait si l’âge de la majorité civile en Grèce était 18 ou 21 ans, il avait choisi de déclarer qu’il avait 21 ans si bien que les autorités grecques l’avaient enregistré en tant que majeur avec la fausse date de naissance du 1er juin 1995. Le Comité note que l’auteur affirme avoir fourni de faux renseignements aux autorités de l’État partie pour les mêmes raisons. Le Comité note aussi que pour étayer l’affirmation selon laquelle il est mineur, l’auteur a présenté aux autorités danoises un acte de naissance et un livret de famille indiquant que sa réelle date de naissance est le 1er juin 2000. Il a également fourni des déclarations émanant des membres du personnel du centre d’accueil pour demandeurs d’asile au Danemark qui ont indiqué que, compte tenu de son comportement et de ses rapports avec les autres personnes séjournant au centre, ils n’avaient pas été surpris d’apprendre qu’il était mineur. Le Comité note en outre l’affirmation de l’auteur selon laquelle les mineurs non accompagnés sont placés « en détention à titre de protection » en Grèce faute de structures adaptées, telles que des foyers pour mineurs, et que s’il était expulsé en Grèce, il risquerait à son arrivée d’être détenu dans des conditions inhumaines et dégradantes. Le Comité note aussi que l’auteur se dit mineur et réfugié, qu’il déclare souffrir actuellement de problèmes d’ordre psychologique dus au stress lié à ce qu’il a vécu en République arabe syrienne puis en Grèce et tout au long de la procédure d’asile dans l’État partie, et affirme qu’il se trouve désormais dans une situation de grande vulnérabilité.

8.7Le Comité prend note également de la conclusion de la Commission de recours des réfugiés, qui a estimé que la Grèce devait être considérée comme le premier pays d’asile en l’espèce, ainsi que de la position de l’État partie, pour lequel le premier pays d’asile est tenu d’assurer aux demandeurs d’asile et aux réfugiés un traitement conforme aux normes fondamentales relatives aux droits de l’homme, bien qu’on ne puisse exiger que les intéressés aient la même situation sociale et le même niveau de vie que les nationaux du pays d’accueil. À cet égard, l’État partie renvoie à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a considéré que le fait que les conditions de vie matérielles et sociales d’un requérant subiraient une dégradation importante s’il était expulsé de l’État contractant − dans le cas présent le Danemark − n’était pas en soi un élément suffisant pour entraîner une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

8.8Le Comité note par ailleurs les conclusions des autorités de l’État partie selon lesquelles l’auteur n’est pas un mineur, étant donné que le 1er juin 1995 était la première date de naissance qu’il avait indiquée et que cette date est celle qui a été enregistrée, sur la base des renseignements que l’auteur lui‑même avait fournis aux autorités grecques comme aux autorités danoises. Le Comité note aussi l’argument de l’État partie qui fait valoir que l’auteur a soutenu être majeur tout au long de la procédure d’asile et n’a présenté une requête visant à modifier sa date de naissance qu’après avoir été débouté de sa demande d’asile par le Service danois de l’immigration. Le Comité note en outre la déclaration de l’État partie qui affirme que le livret de famille présenté par l’auteur aux autorités danoises à l’appui de sa requête contient des renseignements contradictoires et que du fait que le service de l’état civil dans la République arabe syrienne ne fonctionne plus, le livret de famille et l’acte de naissance produits par l’auteur ne sauraient être considérés comme des éléments de preuve objectifs.

8.9Le Comité note que d’après les informations d’ordre général disponibles, bien que les conditions se soient améliorées pour les réfugiés et les demandeurs d’asile en Grèce suite à l’adoption d’une nouvelle législation et de mesures visant à améliorer le fonctionnement du régime d’asile, la situation demeure problématique. En particulier, le Comité prend note de rapports récents selon lesquels le traitement réservé en Grèce à certaines catégories de personnes, en particulier les demandeurs vulnérables et notamment les mineurs non accompagnés, n’est pas adéquat. À ce sujet, le Comité renvoie aux recommandations du HCR pour la Grèce en 2017, selon lesquelles la capacité nationale d’hébergement des enfants non accompagnés et des enfants séparés de leur famille est encore très loin de répondre aux besoins et les enfants continuent d’être exposés à des risques faute de protection, notamment contre l’exploitation sexuelle et les sévices sexuels, en raison du manque de sécurité, du surpeuplement et des mauvaises conditions dans les sites d’accueil, de l’absence de services spécialisés et d’un accès insuffisant à l’éducation formelle ou non formelle ainsi que de la longueur des procédures d’asile aux fins du regroupement familial, une situation qui a également des répercussions graves sur le bien‑être psychosocial des enfants. Le Comité relève en outre que d’après la documentation générale disponible, des enfants réfugiés ou migrants non accompagnés continuent d’être placés dans des centres de détention en Grèce, parfois avec des adultes.

8.10Le Comité note en outre que l’État partie ne conteste pas le fait qu’après avoir quitté l’auberge de jeunesse où il séjournait après son arrivée à Athènes, l’auteur a vécu dans la rue pendant au moins deux mois sans recevoir la moindre assistance des autorités grecques, bien qu’il ait pris contact avec elles pour leur demander de l’aide.

8.11Le Comité rappelle que les États parties doivent accorder un poids suffisant au risque réel et personnel auquel les personnes visées seraient exposées si l’expulsion avait lieu. En particulier, pour apprécier s’il est ou non probable que les personnes expulsées subissent des conditions de vie équivalant à un traitement cruel, inhumain ou dégradant contraire à l’article 7 du Pacte, ils doivent s’appuyer non seulement sur une évaluation de la situation générale dans le pays d’accueil, mais aussi sur la situation personnelle des intéressés. Cela inclut des facteurs d’accroissement de la vulnérabilité propres à ces personnes, comme leur âge, qui peuvent transformer une situation générale tolérable pour la plupart des personnes expulsées en une situation intolérable pour certaines d’entre elles. Le Comité considère qu’il appartenait à l’État partie d’effectuer une évaluation personnalisée du risque auquel l’auteur serait exposé en Grèce, vu l’obligation qui lui incombe d’accorder aux enfants des mesures spéciales de protection conformément à l’article 24 du Pacte. Cela aurait notamment impliqué, dans les circonstances de l’espèce, qu’il prenne toute mesure raisonnable pour déterminer si l’auteur était mineur. À ce propos, le Comité note que pour décider de ne pas réexaminer l’âge de l’auteur, l’État partie s’est principalement appuyé sur sa décision de s’en tenir aux renseignements initialement fournis par l’auteur, nonobstant les explications de celui-ci quant aux raisons pour lesquelles il avait menti lors du dépôt de sa demande d’asile et en dépit du lien possible entre sa condition de mineur et le manque de discernement dont il avait fait preuve en mentant sur son âge. En particulier, le Comité note que suite à la requête de l’auteur visant à rectifier sa date de naissance, l’État partie n’a pris aucune mesure pour déterminer son âge, en procédant par exemple à un test médical ou psychologique ou à des entretiens avec les agents du centre d’accueil pour demandeurs d’asile qui avaient fourni leur témoignage écrit à l’appui des dires de l’auteur quant à son âge. De surcroît, les autorités de l’État partie n’ont entrepris aucune forme de vérification des documents produits par l’auteur à titre de justificatifs.

8.12Le Comité estime que pour se prononcer sur la demande d’asile de l’auteur, les autorités de l’État partie se sont appuyées sur les incohérences du livret de famille et sur les déclarations initiales de l’auteur selon lesquelles il était majeur. Or, dans les circonstances particulières de l’affaire à l’examen, de telles incohérences ne dispensaient pas l’État partie de prendre d’autres mesures raisonnables pour lever les doutes concernant l’âge de l’auteur et son droit d’obtenir les mesures spéciales de protection dont aurait bénéficié un mineur, à savoir : a) prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour déterminer son âge avant de prendre une décision sur l’éventualité de son renvoi en Grèce et b) prendre en compte les informations d’ordre général disponibles selon lesquelles les conditions d’accueil des mineurs migrants en Grèce peuvent aboutir à des situations incompatibles avec l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que, dans ces circonstances particulières, le renvoi de l’auteur en Grèce constituerait une violation des articles 7 et 24 du Pacte, pris séparément et lus conjointement.

9.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, est d’avis que l’expulsion de l’auteur en Grèce sans qu’aucune mesure ne soit prise pour permettre une assertion raisonnable quant à son âge violerait les droits qu’il tient des articles 7 et 24 du Pacte, pris séparément et lus conjointement.

10.Conformément au paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, selon lequel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans le Pacte, l’État partie est tenu de procéder à un réexamen de la requête de l’auteur, en tenant compte des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte ainsi que des présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteur vers la Grèce tant que sa demande d’asile sera en cours de réexamen.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.