Nations Unies

CCPR/C/124/D/2441/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 novembre 2018

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2441/2014 * , **

Communication présentée par :

Berik Zhagiparov (representé par un conseil, Anara Ibrayeva)

Au nom de :

Berik Zhagiparov

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

12 juin 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 juillet 2012 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

25 octobre 2018

Objet :

Condamnation pour avoir participé à une manifestation pacifique

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter des communications

Question(s) de fond :

Détention arbitraire ; liberté d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte :

9, 14, 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Berik Zhagiparov, de nationalité kazakhe, né en 1978. Il déclare que l’État partie a commis des violations des droits qu’il tient des articles 9, 14, 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 24 janvier 2006. L’auteur est représenté par un conseil, Anara Ibrayeva.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était rédacteur en chef du journal régional Molodezhnaya Gazeta , qui avait son propre site Web, www.mgazeta.kz. Le journal entendait défendre les droits et les intérêts des habitants de Zhezkazgan et des employés du plus grand site industriel de la ville, détenu par l’entreprise Kazakhmys. L’auteur explique que, le 16 mars 2012, le président du conseil d’administration de Kazakhmys a déposé une plainte auprès du Comité régional pour la sécurité nationale, soutenant que les articles publiés dans le journal et sur le site provoquaient une « agitation sociale » dans la région. Suite à la plainte, l’auteur a été interrogé par le Comité pour la sécurité nationale. Le 17 janvier 2013, le Ministère de la culture et de l’information a retiré la licence du journal. Le 26 mars 2013, à la demande du Bureau du Procureur de Zhezkazgan, le tribunal municipal a ordonné le blocage du site Web pour trois mois. L’auteur a fait appel le 4 avril 2013, mais le site a cessé d’être accessible le 10 avril 2013, avant même que la décision du tribunal ne devienne exécutoire. Les recours de l’auteur ont été rejetés par le tribunal régional de Karaganda le 17 mai 2013, et par la formation de cassation de cette juridiction le 10 juillet 2013.

2.2Avant la suspension du journal, plusieurs articles engageant les lecteurs à participer le 9 février 2013 à un rassemblement des employés de Kazakhmys, qui voulaient protester contre leurs conditions de travail, avaient été publiés sur le site web entre le 22 janvier et le 7 février 2013. La manifestation était organisée par la présidente d’une organisation non gouvernementale locale (ONG), Mme Seydakhmetova, qui avait déposé le 22 janvier 2013 une demande d’autorisation à la mairie de Zhezkazgan. Le 9 février 2013, l’auteur a participé au rassemblement qui s’est tenu près des bureaux de Kazakhmys, sur la place Metallurg. Il a été arrêté le 10 février 2013 pour avoir organisé la manifestation et est resté détenu toute la nuit au poste de police. Le 11 février 2013, le tribunal administratif de Zhezkazgan a déclaré l’auteur coupable d’avoir organisé un rassemblement non autorisé et l’a condamné à sept jours de détention administrative, bien qu’à l’audience le procureur n’en ait requis que six. Le 12 février 2013, l’auteur a fait appel auprès du tribunal régional de Karaganda, qui a confirmé la décision de la juridiction inférieure le 5 mars 2013. Le 10 juillet 2013, le procureur de la ville de Zhezkazgan a rejeté la demande de contrôle de l’auteur. Le 2 août 2013, l’auteur a déposé auprès du Bureau du Procureur général une demande de contrôle qui a été transmise au Bureau du Procureur régional de Karaganda. Ne recevant pas de réponse, il a déposé une nouvelle demande de contrôle auprès du Bureau du Procureur général de Karaganda le 3 décembre 2013. La demande a été rejetée le 10 janvier 2014.

2.3Le 23 mai 2013, l’auteur a participé à une manifestation organisée pour protester contre les taux d’intérêt des prêts immobiliers, qui s’est déroulée près du siège du Gouvernement à Astana. L’auteur affirme qu’il était présent en tant que journaliste et qu’il a montré sa carte de presse à la police, mais qu’il a tout de même été arrêté et emmené au poste de police. Le même jour, le tribunal régional interdistricts d’Astana a déclaré l’auteur coupable de participation à une manifestation non autorisée et l’a condamné à quinze jours de détention administrative. Le 25 mai 2013, le tribunal municipal d’Astana a débouté l’auteur en appel et a confirmé la décision de la juridiction inférieure. Le 18 juillet 2013, l’auteur a déposé une demande de contrôle auprès du Bureau du Procureur de la ville d’Astana. La demande a été rejetée le 23 août 2013. Le 11 février 2014, il a déposé auprès du Bureau du Procureur général une demande de contrôle concernant ses deux détentions administratives. La demande a été rejetée le 2 avril 2014 par le Procureur général adjoint. L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations énoncé à l’article 19 du Pacte en le condamnant au total à vingt‑deux jours de détention administrative pour avoir fait son travail de journaliste.

3.2L’auteur affirme en outre qu’étant donné qu’il a été arrêté pour avoir exercé des droits protégés par le Pacte, ses deux détentions étaient par nature arbitraires et constituaient une violation des droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte.

3.3L’auteur soutient que l’accès à la justice lui a été dénié parce qu’il a été placé immédiatement en détention sans avoir la possibilité de faire appel des condamnations administratives qui avaient été prononcées, en violation des droits garantis par l’article 14 du Pacte. Il fait valoir que, selon le paragraphe 2 de l’article 697 du Code des infractions administratives, toute décision d’un tribunal administratif doit être exécutée dès sa prise d’effet, soit dix jours après son prononcé ou, en cas d’appel, après l’examen du recours par une juridiction supérieure. Cependant, le paragraphe 3 de la même loi dispose que les personnes condamnées à une peine de détention administrative exécutent immédiatement leur peine. L’article 675 du même Code dispose que le recours d’une décision de placement en détention administrative ne suspend pas l’exécution d’un jugement prononcé par un tribunal. L’auteur avance que son appel dans la première affaire administrative n’a été examiné que trois semaines après son dépôt ; or, l’article 660 du Code exige que les appels dans les affaires dans lesquelles l’intéressé est condamné à une détention administrative soient examinés dans les vingt-quatre heures après avoir été formés. L’auteur ajoute qu’il avait déjà exécuté sa peine.

3.4L’auteur affirme qu’il y a eu violation des droits qu’il tient de l’article 21 du Pacte, étant donné qu’il a été arrêté pour avoir participé à une manifestation pacifique.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 6 janvier 2015, l’État partie a présenté son propre résumé des faits. Il affirme que le 22 janvier 2013 Mme Seydakhmetova, présidente de l’ONG Elim‑ay, a informé la mairie de Zhezkazgan de son intention d’organiser une manifestation place Metallurg le 9 février 2013. Un article intitulé « Tous à la manifestation » a été publié le même jour sur le site Web, ainsi qu’une vidéo appelant à participer à cette manifestation non autorisée. Le 29 janvier 2013, un autre article de l’auteur, qui disait qu’il avait l’intention de couvrir la manifestation en tant que journaliste mais aussi d’y participer activement, a été publié sur le site. Un autre article et une vidéo appelant à manifester ont été publiés le 30 janvier 2013. Le 4 février 2013, le maire de Zhezkazgan a officiellement informé Mme Seydakhmetova des démarches à accomplir pour obtenir l’autorisation d’organiser une manifestation. Malgré cela, le 7 février 2013, un autre appel à participer à la manifestation, qui n’avait pas été autorisée, a été publié sur le site Web. Le 9 février 2013, l’auteur a pris part à la manifestation non autorisée qui s’est déroulée place Metallurg.

4.2L’État partie reconnaît que le droit de réunion pacifique fait partie des institutions démocratiques qui caractérisent l’activité politique des citoyens, et indique que la réalisation et la protection de ce droit fondamental inaliénable sont garanties par la Constitution du Kazakhstan et par la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques. L’exercice de leurs droits par un groupe de citoyens ne doit toutefois pas porter atteinte aux droits d’autrui et dans certains cas des restrictions peuvent être imposées pour la sécurité des titulaires de droits eux‑mêmes.

4.3L’article 21 du Pacte dispose que toute restriction doit être conforme à la loi et doit être nécessaire dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Afin de garantir la protection des droits et libertés d’autrui, la sûreté publique et le fonctionnement normal des systèmes de transport et la préservation des infrastructures, il est possible de désigner des lieux précis où peuvent se tenir les manifestations publiques de citoyens. L’État partie précise que ces lieux sont choisis par les administrations locales dans presque toutes les villes et régions du Kazakhstan. En outre, dans tous les pays démocratiques, la liberté de réunion pacifique est restreinte par des lois spéciales qui prévoient les conditions de sa mise en œuvre. Dans de nombreux pays, ces lois sont beaucoup plus strictes que les lois kazakhes. Par exemple, aux États-Unis d’Amérique pour organiser une manifestation à New York, il faut déposer une demande quarante-cinq jours à l’avance en précisant le parcours du cortège. Si la demande n’a pas été déposée, les participants à la manifestation peuvent être arrêtés. En France, les autorités peuvent disperser un attroupement après deux sommations et, si la manifestation se poursuit, les organisateurs peuvent être emprisonnés pour une durée allant jusqu’à six mois. Au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, les manifestations et rassemblements sur la voie publique ne peuvent avoir lieu qu’avec l’autorisation officielle de la police. En Allemagne, toute manifestation doit recevoir l’aval des autorités. L’État partie affirme donc que la réglementation qu’il applique aux manifestations publiques est conforme aux règles du droit international, au Pacte et à la pratique des autres pays démocratiques.

4.4En ce qui concerne la fermeture du site Web du journal, l’État partie fait valoir qu’en vertu du paragraphe 1 de l’article 13 de la loi relative aux médias, les activités d’un organe d’information peuvent être suspendues ou l’organe peut être fermé par son propriétaire ou sur ordre d’un tribunal. Une violation de la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques peut avoir pour conséquence la suspension des activités d’un organe d’information. Étant donné que sur son site le journal avait incité les lecteurs à commettre une infraction administrative (participer à une manifestation non autorisée), le 18 février 2013, le procureur de Zhezkazgan a requis la suspension des activités. Le tribunal municipal de Zhezkazgan a suivi les réquisitions du procureur et a ordonné un blocage de trois mois du site Web. Les griefs que l’auteur tire de l’article 19 du Pacte sont donc dénués de fondement puisque le tribunal a estimé que les articles de l’auteur n’exprimaient pas un avis sur une question précise, mais appelaient à une action déterminée, la participation à une manifestation non autorisée.

4.5Le 11 février 2013, l’auteur a été déclaré coupable d’une violation de l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives et condamné à sept jours de détention administrative. Le 21 mai 2013, il a participé à un autre rassemblement non autorisé près du siège du Gouvernement à Astana. Cette infraction ayant été commise moins d’un an après la précédente, l’auteur a été déclaré coupable d’une violation de l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives et condamné à quinze jours de détention administrative. Le 2 avril 2014, le Procureur général adjoint a rejeté la demande de contrôle de l’auteur. En vertu de l’article 674 (partie 1) du Code des infractions administratives, le Procureur général, ses adjoints et les procureurs régionaux ont le droit de contester une décision ayant acquis force de chose jugée. Comme sa demande avait été rejetée par le Procureur général adjoint, l’auteur avait la possibilité, prévue par la loi, de saisir le Procureur général d’une demande de contrôle, ce qu’il n’a pas fait. L’auteur n’a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles en l’espèce.

4.6En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9 du Pacte, l’État partie estime qu’il est dénué de fondement car le paragraphe 2 de l’article 16 de la Constitution du Kazakhstan dispose que l’arrestation et la détention doivent être prévues par la loi et validées par un tribunal, et que la personne arrêtée a le droit de former un recours. L’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives prévoit que la violation de la législation relative à l’organisation et à la tenue de réunions pacifiques est passible d’une amende administrative ou d’une peine de détention administrative pouvant aller jusqu’à quinze jours. Conformément l’article 541 (partie 1) du Code, les affaires relevant de l’article 373 sont traitées par les juges des tribunaux de district spécialisés et des juridictions administratives équivalentes. L’auteur a donc été présenté à un juge et condamné à une peine de détention administrative en vertu du Code des infractions administratives, ce qui est conforme au paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

4.7Le Code des infractions administratives prévoit qu’un recours est ouvert contre les décisions des juridictions administratives. Selon son article 655, l’appel peut être formé par le défendeur, la victime, le conseil ou le représentant légal. Le procureur peut aussi attaquer ces décisions. Pour contester une décision administrative devenue exécutoire, les personnes mentionnées ci-dessus peuvent former un recours auprès du procureur, qui lui-même peut saisir la Cour suprême. L’État partie fait remarquer que le nouveau Code des infractions administratives prévoit maintenant la possibilité pour un défendeur de former directement un recours en cassation dès que la décision est devenue exécutoire. Le droit administratif kazakh est donc conforme au paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

4.8Selon les articles 677 et 678 (partie 1) du Code des infractions administratives, si une procédure visant une personne est abandonnée conformément à l’article 580 du Code, l’intéressé est considéré comme innocent et est indemnisé pour tout préjudice causé du fait d’une arrestation ou détention administrative illicite, ce qui est conforme au paragraphe 5 de l’article 9 du Pacte.

4.9L’État partie affirme que la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques prévoit plusieurs restrictions dans l’intérêt de la sûreté publique, de l’ordre public, de la protection de la santé et de la morale publiques et de la protection des droits et libertés d’autrui. L’article 5 prévoit ainsi la possibilité de tenir des réunions publiques conformément aux objectifs énoncés dans la demande d’autorisation des organisateurs, à un horaire défini à l’avance et dans des lieux désignés à cette fin. L’auteur n’a pas respecté ces prescriptions et a donc été reconnu coupable d’infractions administratives par les tribunaux de Zhezkazgan et d’Astana. Dans la première affaire, l’auteur a organisé une manifestation non autorisée place Metallurg, le 9 février 2013, et a engagé le public à y participer en publiant sur internet des articles dans lesquels il se présentait comme l’organisateur du rassemblement. Dans la seconde affaire, l’auteur a participé à un rassemblement non autorisé près du siège du Gouvernement à Astana. L’État partie soutient que les griefs de l’auteur concernant une violation de l’article 21 sont dénués de fondement, car l’exercice de ces droits ne peut pas être l’objet d’autres restrictions que celles prévues par la loi.

4.10L’État partie affirme en outre que les griefs de violation des droits énoncés à l’article 14 du Pacte sont dénués de fondement, car l’auteur n’a pas montré quelles normes précises avaient été enfreintes. Il relève de plus que l’article 14 ne concerne que les affaires pénales, alors que l’auteur était poursuivi pour une infraction administrative. L’État partie conclut de ce qui précède qu’il respecte toutes les prescriptions des articles 2, 9, 14, 19 et 21 du Pacte, et que la communication de l’auteur doit être déclarée irrecevable pour défaut de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Par lettre du 23 février 2015, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie. Il note que l’expression « non autorisée » ne figure pas dans la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques, alors que l’État partie exige une autorisation préalable pour tout rassemblement pacifique. Selon l’auteur, l’État partie considère qu’il pouvait diffuser des informations concernant la manifestation seulement jusqu’au 4 février 2013, date à laquelle les autorités ont envoyé à Mme Seydakhmetova une « notification » lui indiquant les démarches à faire pour obtenir l’autorisation de manifester. Tous les articles et messages publiés sur internet après cette date pouvaient donc être considérés comme « contraires à la loi ». Toutefois, conformément à la législation kazakhe, une « notification » ne revient pas à une « interdiction » d’organiser un rassemblement. D’après l’article 4 du Code des infractions administratives, une telle interdiction prend nécessairement la forme d’un « décret », et aucune décision de ce type n’a été adressée à Mme Seydakhmetova. Tous les articles publiés par l’auteur sur son site Web sont donc conformes au droit kazakh. L’auteur fait valoir que la loi n’interdit pas de diffuser une information, d’exprimer une opinion ou d’inviter d’autres personnes à participer à un rassemblement public.

5.2L’auteur affirme que, contrairement à ce que l’État partie prétend il n’a pas organisé le rassemblement du 9 février 2013, car l’organisatrice était Mme Seydakhmetova, qui avait envoyé la demande d’autorisation à la mairie de Zhezkazgan. La notification de la mairie était aussi adressée à Mme Seyzakhmetova, ce qui confirme qu’elle était l’organisatrice du rassemblement. En tant que journaliste, l’auteur a publié des articles dans lesquels il soulignait l’importance des droits des travailleurs et il a ensuite participé à la manifestation, mais il n’en était pas l’organisateur. C’est également en qualité de journaliste qu’il s’est rendu au rassemblement du 23 mai 2013 à Astana, afin de recueillir sur place des informations de première main pour son journal. Son arrestation et sa détention ont donc constitué une restriction du droit à la liberté d’expression, et notamment du droit, en tant que journaliste, de rechercher et de recevoir des informations.

5.3L’auteur souligne qu’en tant que journaliste il a le droit de se trouver dans des zones touchées par une situation d’urgence et d’assister à des manifestations et à d’autres événements organisés pour défendre des intérêts généraux et particuliers. Dans son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, le Comité affirme (au paragraphe 19) que les États parties devraient faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique aux informations d’intérêt général. Au lieu de cela, l’auteur a été arrêté et condamné à quinze jours de détention administrative pour avoir couvert le rassemblement pacifique qui a eu lieu à Astana le 23 mai 2013 et qui présentait un caractère d’intérêt public. L’auteur renvoie à l’affaire Toregozhina cKazakhstan, dans laquelle le Comité a considéré qu’« aucune restriction de la liberté d’expression ne doit avoir une portée trop large : elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et doit être proportionnée à l’intérêt à protéger ». L’auteur fait valoir que, contrairement à ces prescriptions, il a été condamné à vingt-deux jours de détention administrative pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression et son droit de réunion pacifique.

5.4En réponse à l’État partie qui objecte que tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, l’auteur souligne que ses demandes de contrôle ont été rejetées par le Procureur général adjoint au motif qu’elles « manquaient de fondement légal ». Il affirme que tout autre recours auprès du Bureau du Procureur général n’aurait pas de chance raisonnable d’aboutir, étant donné que sa demande avait déjà été rejetée une fois par cette même autorité. Il maintient donc que l’État partie l’a privé d’un recours utile et a enfreint les droits qu’il tient de l’article 2 du Pacte.

5.5L’auteur rappelle ses griefs initiaux et demande au Comité de conclure à la violation des articles 2, 9, 14, 19 et 21 du Pacte et de recommander à l’État partie de réexaminer les deux décisions de placement en détention administrative dont il a fait l’objet, de lui assurer une réparation appropriée, notamment sous la forme d’une indemnisation pour le préjudice moral et d’une réhabilitation pour ses vingt-deux jours de détention, de modifier la législation afin de permettre la formation et l’examen d’un recours avant l’exécution d’une peine de détention administrative, et de veiller à ce que chacun, qu’il soit ou non journaliste, puisse exercer les droits consacrés aux articles 19 et 21 du Pacte sans crainte et sans restrictions.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Dans une note verbale en date du 8 avril 2015, l’État partie a fait part de ses observations complémentaires sur le fond de la communication. Il note qu’après la publication sur le site Web du premier article appelant à participer à la manifestation, le Bureau du Procureur de Zhezkazgan a officiellement averti l’auteur et Mme Seydakhmetova qu’ils ne devaient pas agir en violation de la loi. Malgré cet avertissement, l’auteur a publié un autre article dans lequel il annonçait qu’il allait non seulement couvrir la manifestation, mais aussi y participer activement. Le 7 février 2013, après que le maire de Zhezkazgan avait fait officiellement savoir à Mme Seydakhmetova qu’il serait illégal de tenir une manifestation près des bureaux de Kazakhmys, l’auteur a publié sur le site Web un autre article dans lequel il invitait la population à participer à la manifestation. Il se présentait comme l’organisateur et disait qu’il n’avait pas l’intention de demander à la mairie l’autorisation d’organiser ce rassemblement. L’État partie souligne que ni l’auteur ni Mme Seydakhmetova n’ont officiellement demandé l’autorisation d’organiser le rassemblement du 9 février 2013, contrairement à ce qu’exige la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques.

6.2L’État partie ajoute qu’entre 2011 et 2014, les autorités ont officiellement autorisé 197 réunions pacifiques. Il estime que la liberté de réunion pacifique est un principe démocratique qui doit être en permanence réaffirmé, et souligne que la Constitution du Kazakhstan garantit le droit de réunion et de manifestation pacifiques. Il rappelle qu’afin de garantir la protection des droits et libertés d’autrui, ainsi que la sûreté publique, le fonctionnement normal des transports et la préservation des infrastructures, il est possible de désigner les lieux où doivent se tenir les manifestations publiques de citoyens et que dans presque toutes les villes et régions du Kazakhstan, de tels lieux sont choisis par les autorités locales.

6.3L’État partie réaffirme que les griefs de l’auteur au titre des articles 9 et 14 du Pacte sont dénués de fondement parce que les procès ont été conformes aux conditions posées par l’article 14 et que son arrestation administrative a été sanctionnée par un tribunal. Il insiste sur le fait que le Code des infractions administratives prévoit la possibilité de faire appel des décisions des tribunaux de première instance, ce qui satisfait aux exigences énoncées au paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte, et que le nouveau Code des infractions administratives autorise même l’intéressé à s’adresser directement à la juridiction de cassation, après que la décision du tribunal a pris effet.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Par lettre du 23 octobre 2015 l’auteur a répondu aux observations complémentaires de l’État partie. D’après lui la loi qui prévoit la condamnation à une amende ou à une peine de détention administrative pour la participation à des rassemblements publics non autorisés est contraire aux articles 19 et 21 du Pacte parce qu’elle menace l’existence même des droits qui y sont garantis. Il souligne que, étant donné que la mairie n’a pas pris un « décret » en bonne et due forme pour interdire à Mme Seydakhmetova d’organiser la manifestation, comme l’exige la loi, la manifestation ne pouvait pas être qualifiée de « non autorisée ». Par conséquent l’auteur a été arrêté et placé en détention de façon arbitraire et illégale.

7.2En ce qui concerne le nombre de rassemblements pacifiques que l’État partie déclare avoir autorisés, l’auteur note que dans le rapport national soumis en 2014 par le Kazakhstan dans le cadre de l’Examen périodique universel (A/HRC/WG.6/20/KAZ/1) on peut lire qu’entre 2010 et 2013 1 222 manifestations diverses avaient été organisées, dont 660 étaient considérées comme « non autorisées ». En outre le rapport pour 2014 de la Commission des droits de l’homme du Kazakhstan donne le chiffre de 497 manifestations publiques, dont 324 non autorisées, pour la période 2012-2014. L’auteur affirme que les administrations locales outrepassent souvent les pouvoirs qui leur sont conférés par l’article 10 de la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques, parce que ce texte leur permet seulement de réglementer la procédure (déroulement) d’un rassemblement pacifique et ne dit rien de l’objectif de la manifestation, du temps, du lieu et du nombre de participants. L’auteur mentionne une étude faite en 2015 par une ONG locale, qui a établi que sur 154 décrets pris par l’administration locale dans une région du pays 3 seulement n’avaient pas enfreint la loi. Dans le cas de ces décrets, les autorités locales avaient décidé de l’endroit où la manifestation devait se tenir.

7.3L’auteur reprend ses arguments précédents et insiste sur le fait que sa profession de journaliste lui donne le droit d’assister à toute réunion pacifique et que le fait qu’il ait été placé immédiatement en détention administrative sans avoir la possibilité de faire appel a constitué une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 9 et 14 du Pacte.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité

8.1Par note verbale datée du 20 janvier 2016, l’État partie a fait parvenir de nouvelles observations concernant la recevabilité de la communication. Il fait observer que la communication n’est pas signée de l’auteur lui-même, mais de Anara Ibrayeva qui est présidente de l’ONG locale « Kadir-kasiet » et, en cette qualité, en est la représentante. Or l’article premier du Protocole facultatif dispose que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers seulement. L’État partie ajoute que même si elle devait être considérée comme mandatée pour représenter légalement l’auteur, sa procuration a expiré un an après le dépôt de la communication parce qu’en vertu du Code civil kazakh tout mandat dans lequel une date d’expiration n’est pas précisée expire au bout d’un an. Mme Ibrayeva et l’auteur étant tous deux nationaux du Kazakhstan ils sont soumis à la législation kazakhe.

8.2L’État partie s’interroge sur les raisons pour lesquelles l’auteur n’a pas pu soumettre lui-même la communication. Il note que Mme Ibrayeva n’est pas avocate ; l’auteur indique dans sa procuration qu’il vit très loin de la capitale, dans une zone rurale où le service postal n’est pas fiable mais il pouvait aisément envoyer sa communication en personne par courrier électronique. Par conséquent l’État partie considère que l’auteur n’a pas prouvé qu’il avait l’intention de soumettre la communication au Comité et doute que l’auteur pense vraiment que les droits qu’il tient du Pacte ont été violés. L’État partie affirme donc que la communication est irrecevable en vertu de l’article premier et de l’article 3 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, ainsi que de l’article 96 a) et b) du règlement intérieur du Comité.

8.3L’État partie fait aussi remarquer que quand son site Web a été bloqué pas plus que quand il a été placé en détention administrative l’auteur n’a saisi le Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. L’État partie renvoie à l’affaire T. K. c . France dans laquelle le Comité a considéré que de simples doutes quant à l’efficacité des recours internes n’exonèrent pas l’auteur d’une communication de l’obligation d’exercer les recours en question. Il renvoie à une autre affaire concernant le Kazakhstan, Filatova et Kuzmintsev , dans laquelle une demande de réexamen a abouti à une nouvelle décision, favorable aux défendeurs, lesquels ont été entièrement rétablis dans leurs droits et libertés. La communication doit donc être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

9.1Par lettre datée du 30 janvier 2016, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il note que le règlement intérieur du Comité n’est pas soumis à la législation kazakhe. Comme il était impossible de prévoir combien de temps il faudrait pour que la communication soit examinée, l’auteur n’a pas indiqué de date d’expiration sur la procuration. Il précise que Mme Ibrayeva est avocate de profession, titulaire d’une licence d’avocat et d’un doctorat en droit. Il ajoute que par ses allégations sans fondement l’État partie cherche à retarder délibérément l’examen de la communication et à lui imposer une charge financière supplémentaire. L’auteur joint une lettre manuscrite confirmant qu’il donne à Mme Ibrayeva mandat pour correspondre en son nom avec le Comité et précise que si le Comité le demande il est prêt à signer personnellement chaque courrier qui sera envoyé.

9.2En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, l’auteur note que à la demande de procureurs l’accès à plus de 40 sites Web de médias indépendants a été bloqué en 2012 et à plus de 30 en 2013. En revanche il n’y a pas eu un seul cas où l’accès à un site a été rétabli suite à une demande de réexamen dans le cadre de la procédure de contrôle. L’auteur rappelle que l’accès à son site a été bloqué avant même que la décision du tribunal soit exécutoire. Il a fait appel de la suspension des activités auprès de juridictions du deuxième et du troisième degré (cassation), et a déposé six plaintes distinctes à divers niveaux du Bureau du Procureur, y compris auprès du Procureur général. Toutes les réponses étaient de même nature, seule la signature était différente. L’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas montré comment une septième plainte auprès du Bureau du Procureur aurait pu constituer un recours utile en l’espèce.

9.3L’auteur note que l’affaire T. K. c . France n’est pas comparable à son cas parce que les circonstances sont très différentes et que l’appel de T. K. n’avait pas été enregistré par le tribunal, alors que les recours que lui-même a formés ont été examinés par des juridictions du deuxième et du troisième degré. Quant à l’affaire Filatova et Kuzmintsev , la demande de réexamen déposée auprès du Procureur général avait été admise en 2015, deux ans après les procédures engagées par l’auteur, et seulement après la soumission par Mme Filatova et Mme Kuzmintsev d’une communication au Comité des droits de l’homme. L’auteur affirme donc que sa communication remplit tous les critères de recevabilité.

Observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

10.1Par notes verbales datées des 11 mars 2016, 29 avril 2016 et 29 juin 2016, l’État partie rejette l’argument de l’auteur qui affirme que le Code civil kazakh ne s’applique pas au règlement intérieur du Comité et note que, d’après les dispositions du paragraphe 3 b) de l’article 2 du Pacte les États parties doivent garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de l’État, statue sur les droits de la personne qui forme le recours, et doivent développer les possibilités de recours juridictionnel. L’État partie renvoie également à l’observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dans laquelle (par. 15) le Comité déclare qu’il « attache de l’importance à la mise en place, par les États parties, de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits en droit interne » et note que « les tribunaux peuvent de diverses manières garantir effectivement l’exercice des droits reconnus par le Pacte, soit en statuant sur son applicabilité directe, soit en appliquant les règles constitutionnelles ou autres dispositions législatives comparables, soit en interprétant les implications qu’ont pour l’application du droit national les dispositions du Pacte ». Par conséquent, l’État partie peut s’appuyer à la fois sur le Pacte et sur la législation nationale pour son argumentation juridique. L’État partie note en outre que le fait que l’auteur ait adressé au Comité une nouvelle procuration en faveur de Mme Ibrayeva prouve que, comme il l’avait fait valoir, la première procuration donnée en 2014 avait expiré au bout d’un an.

10.2Pour ce qui est du mandat donné à Mme Ibrayeva pour représenter les intérêts de l’auteur, l’État partie réaffirme que, étant donné que l’auteur n’est pas membre de l’ONG de Mme Ibrayeva et que ses articles ne portaient pas sur l’action de cette ONG, Mme Ibrayeva ne peut pas être considérée comme la représentante de l’auteur. La communication est donc irrecevable en vertu de l’article 96 b) du règlement intérieur du Comité.

10.3De l’avis de l’État partie l’argument de l’auteur qui affirme que le Gouvernement kazakh ordonne tous les ans la suspension d’organes d’information n’est pas pertinent en l’espèce. Concernant l’affaire Filatova et Kunzmintsev, l’État partie nie que le Procureur général ait fait droit à la demande de réexamen dans le cadre de la procédure de contrôle des auteurs parce qu’une communication avait été adressée au Comité. Il signale qu’il y a eu au Kazakhstan d’autres cas dans lesquels le Bureau du Procureur a assuré un recours utile, en respectant la règle du caractère raisonnable et proportionné. Par exemple dans l’affaire Mustafaev et consorts suite à la demande de réexamen dans le cadre de la procédure de contrôle, la condamnation à la détention administrative avait été annulée et les intéressés avaient été condamnés à une simple amende administrative.

10.4Enfin, l’État partie réaffirme que l’affaire T. K. cFrance est bien pertinente pour l’examen de la communication et note qu’il existe d’autres affaires soumises au Comité dans lesquelles le non-épuisement des recours internes a motivé une décision d’irrecevabilité. Par exemple, dans l’affaire T. J. c. Lituanie   le Comité a déclaré la communication irrecevable parce que l’auteur n’avait pas avancé de raisons pour expliquer pourquoi il ne s’était pas plaint de la durée des procédures au cours de la procédure pénale, y compris au stade de l’appel et en cassation, et pourquoi il n’avait pas plus tard formé de recours pour faire valoir ses griefs devant les juridictions ordinaires, alors qu’il existait de nombreux exemples de jurisprudence interne attestant la possibilité de présenter une demande devant les tribunaux nationaux. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable pour défaut de fondement des griefs et non-épuisement des recours internes.

Commentaires de l’auteur sur les observations supplémentaires de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

11.1Dans des lettres datées du 30 mars 2016 et du 29 juillet 2016, l’auteur a répondu aux observations supplémentaires de l’État partie. Il renvoie au rapport du Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et la liberté d’association sur sa mission au Kazakhstan, en 2015, dans lequel celui-ci note que l’obligation de demander aux autorités locales une autorisation au moins dix jours avant la date d’un rassemblement n’est pas conforme aux normes internationales, selon lesquelles l’organisation d’un rassemblement pacifique ne doit pas être soumise à une autorisation préalable, le droit de réunion pacifique et la liberté d’association appartenant à tous.

11.2L’auteur note que l’affaire Mustafaev et consorts montre que l’État partie est disposé à appliquer les principes de nécessité et de proportionnalité des restrictions dans le cas de certaines personnes, mais ne les applique pas quand il s’agit de défenseurs des droits de l’homme comme lui-même, qui a été jugé deux fois pour participation à des rassemblements non autorisés. Contrairement à M. Mustafaev, l’auteur a été condamné les deux fois à des peines de détention administrative.

11.3L’auteur souligne que son cas n’est pas unique et que l’État partie a porté atteinte aux droits de beaucoup d’autres journalistes. Par exemple, le 21 mai 2016, neuf journalistes d’un organe d’information indépendant, Radio Free Europe-Kazakhstan ont été arrêtés alors qu’ils couvraient, dans quatre villes, des manifestations de protestation organisées dans tout le pays. L’auteur mentionne les rapports de plusieurs ONG locales dénonçant de nombreuses atteintes aux droits de ces journalistes quand ils étaient en détention, du même type que celles que l’auteur a subies.

11.4L’auteur renvoie à l’observation générale no 34 (2011) dans laquelle le Comité (par. 45) déclare qu’il est normalement incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 19 de restreindre le droit des journalistes et d’autres personnes qui veulent exercer leur liberté d’expression, comme des personnes qui veulent se rendre à l’étranger pour assister à une réunion consacrée aux droits de l’homme.

11.5Concernant le blocage de l’accès au site Web de son journal, l’auteur réaffirme que la mesure était illégale puisque la décision de justice n’était pas encore exécutoire. La suspension des activités du site entre dans la catégorie des restrictions visées au paragraphe 43 de l’observation générale no 34, et elle a été ordonnée parce qu’en invitant ses lecteurs à participer au rassemblement il avait exercé son droit à la liberté d’expression.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

12.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

12.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

12.3Le Comité note l’argument de l’État partie qui objecte que l’auteur n’a pas formé de demande de réexamen dans le cadre de la procédure de contrôle de la Cour suprême par l’intermédiaire du Bureau du Procureur général. Il rappelle sa jurisprudence et souligne que le dépôt d’une demande auprès d’un procureur en vue d’obtenir le réexamen de décisions judiciaires devenues exécutoires ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. Le Comité note que l’État partie mentionne deux affaires dans lesquelles le dépôt d’une demande auprès du Bureau du Procureur a été suivi d’une demande de réexamen par la Cour suprême et a abouti à une révision favorable des décisions judiciaires. Il note également l’argument de l’auteur qui explique que la première fois qu’il a fait l’objet d’une détention administrative il a déposé, le 2 août 2013, une demande de réexamen auprès du Bureau du Procureur général mais que celle-ci a été transmise au Bureau du Procureur de Karaganda. Le 11 février 2014, l’auteur a déposé auprès du Bureau du Procureur général une autre demande de réexamen concernant ses deux placements en détention administrative. La demande a été rejetée le 2 avril 2014 par le Procureur général adjoint. Le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré qu’une nouvelle demande de réexamen dans le cadre de la procédure de contrôle auprès de la Cour suprême, déposée par l’intermédiaire du Bureau du Procureur général, aurait constitué en l’espèce un recours utile. Le Comité conclut que les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

12.4Concernant la validité de la procuration présentée par l’auteur, le Comité rappelle que « normalement, la communication doit être présentée par le particulier lui‑même ou par son représentant… ». L’auteur a donné à Mme Ibrayeva une procuration manuscrite par laquelle il lui donnait clairement mandat pour le représenter dans cette affaire. Ensuite il a fait parvenir une lettre manuscrite autorisant expressément et sans ambiguïté Mme Ibrayeva à le représenter devant le Comité. Le Comité conclut donc que la communication a été soumise dans le respect des règles.

12.5Le Comité considère que les allégations de l’auteur au regard des articles 9, 14, 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2, sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

13.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

13.2Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme que l’État partie a violé le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et le droit de réunion pacifique, parce qu’il a été condamné à vingt-deux jours de détention administrative pour avoir fait son travail de journaliste. Il note que l’auteur a été reconnu coupable et condamné à une détention administrative deux fois. La première fois il a été condamné à sept jours de détention administrative pour avoir organisé un rassemblement à Zhezkazgan le 9 février 2013. La deuxième fois il a été condamné à quinze jours de détention administrative pour avoir participé un rassemblement public à Astana le 23 mai 2013. Le Comité considère que l’État partie a imposé des restrictions aux droits de l’auteur, en particulier au droit de répandre des informations et des idées de toute espèce, garanti au paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte. Il doit donc déterminer si les restrictions peuvent être justifiées, au sens du paragraphe 3 de l’article 19.

13.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) dans laquelle il affirme que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et sont essentielles pour toute société (par. 2). Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Le Comité rappelle que le paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte permet certaines restrictions, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction doit répondre aux stricts critères de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Le Comité rappelle aussi que c’est à l’État partie qu’il appartient de démontrer que les restrictions imposées aux droits garantis par l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

13.4Le Comité note que l’auteur a été sanctionné pour avoir organisé des manifestations publiques et y avoir participé, des tribunaux locaux ayant décidé que les manifestations s’étaient déroulées sans autorisation préalable, contrairement à la loi relative à l’organisation de réunions, assemblées, cortèges, piquets et autres manifestations pacifiques dans la République du Kazakhstan. Le Comité note aussi que l’auteur affirme qu’il était présent en tant que journaliste le 23 mai 2013 et qu’il a même montré sa carte de presse à la police, mais qu’il a tout de même été arrêté et emmené au poste de police. Le Comité note en outre que l’État partie n’a pas expliqué en quoi de telles restrictions étaient justifiées et répondaient aux critères de nécessité et de proportionnalité énoncés au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte et n’ont pas montré que les peines prononcées, sept jours et quinze jours de détention administrative, même si elles étaient prévues par la loi, étaient nécessaires et proportionnés et répondaient à l’un des objectifs légitimes énumérés dans cette disposition. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient du paragraphe 2 de l’article 19 du Pacte, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ont été violés.

13.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 21 du Pacte, le Comité considère également que l’État partie n’a pas démontré que les restrictions imposées aux droits de l’auteur, c’est-à-dire sa détention et ses deux condamnations à sept et quinze jours de détention administrative, étaient nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Par conséquent le Comité conclut que les faits dont il est saisi ont constitué également une violation des droits que l’auteur tient de l’article 21, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

13.6Le Comité rappelle que l’arrestation ou la détention visant à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression et la liberté de réunion, est arbitraire. Il rappelle également l’importance qu’il attache à la liberté d’expression des journalistes. Il est normalement incompatible avec le paragraphe 3 de l’article 19 de restreindre la liberté de circulation des journalistes à l’intérieur de l’État partie. Pénaliser un journaliste exclusivement au motif qu’il est critique à l’égard du Gouvernement ou du système politique épousé par le Gouvernement ne peut jamais être considéré comme une restriction nécessaire à la liberté d’expression. Étant donné qu’il a conclu que les restrictions imposées aux droits protégés par les articles 19 et 21 étaient injustifiées, le Comité conclut également que la privation de liberté subie par l’auteur avait un caractère arbitraire et a constitué une violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte.

13.7En ce qui concerne le grief de l’auteur au titre de l’article 14 du Pacte, le Comité relève l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteur relatives à la violation des droits qu’il tient de l’article 14 sont irrecevables parce qu’il n’a pas montré quelles dispositions particulières de l’article 14 avaient été violées et que l’article 14 ne peut s’appliquer qu’aux affaires pénales alors que l’auteur était accusé d’avoir commis une infraction administrative. Le Comité note que l’auteur a été condamné deux fois, la première à sept jours de détention administrative et la deuxième à quinze jours, pour avoir enfreint les lois relatives à l’organisation et à la tenue de rassemblements pacifiques énoncées à l’article 373 (partie 3) du Code des infractions administratives. Il note également que les règles de droit enfreintes par l’auteur ne s’appliquent pas à un groupe donné ayant un statut particulier, comme pourrait le faire par exemple une loi disciplinaire, mais à quiconque distribue, en son nom personnel, des tracts appelant à une manifestation. Ces règles interdisent un certain comportement et font que le non-respect de l’obligation qui en résulte est soumis à une détermination de culpabilité et à une sanction punitive. Dans sa jurisprudence, le Comité a renvoyé au paragraphe 15 de son observation générale no 32 (2007) sur le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable, dans lequel il indiqué que cette notion peut être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère et de leur sévérité. Ainsi, le caractère général des règles et la finalité de la sanction, qui est par nature à la fois dissuasive et punitive, permettent d’établir que l’infraction en question revêtait bien un caractère pénal au sens de l’article 14 du Pacte.

13.8Le Comité note le grief de l’auteur qui affirme que ses condamnations administratives ont été mises à exécution immédiatement et qu’il n’a pas eu l’occasion de former un appel avant de commencer à exécuter les peines. Il rappelle que le paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte prévoit que toute personne déclarée coupable d’une infraction a le droit de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation, conformément à la loi. Il rappelle aussi son observation généraleno 32, dans laquelle il déclare que l’exercice effectif du droit d’appel est également compromis, et le paragraphe 5 de l’article14 est violé, lorsque leur examen par la juridiction supérieure fait l’objet d’un retard excessif, en violation du paragraphe 3 c) de l’article 14. Le Comité note que l’article660 du Code des infractions administratives exige que tout recours contre une condamnation à une détention administrative soit examinés dans les vingt-quatre heures de sa présentation. En l’espèce, alors qu’il avait été déposé le 12février 2013 l’appel formé par l’auteur après sa première détention administrative, n’a été examiné par le tribunal régional de Karaganda que le 5 mars 2013, soit vingt et un jours après son dépôt et quatorze jours après la fin de sa peine. Dans ces circonstances et en l’absence de toute information complémentaire de la part de l’État partie, le Comité considère qu’en ne respectant pas les délais procéduraux fixés par le Code des infractions administratives pour l’examen des recours et par conséquent en causant un retard, la décision du tribunal régional de Karaganda a constitué une violation des paragraphes3c) et 5 de l’article14, lus conjointement.

14.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 9, des paragraphes 3 c) et 5 de l’article 14, du paragraphe 2 de l’article 19 et de l’article 21 du Pacte, seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

15.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu de garantir à toute personne dont les droits reconnus dans le Pacte ont été violés un recours utile, sous la forme d’une réparation complète. Par conséquent l’État partie est tenu, entre autres mesures, de faire réviser les condamnations de M. Zhagiparov, d’accorder à celui-ci une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. Il devrait procéder à une réforme de sa législation, afin de garantir l’exercice sans réserve des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte.

16.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est en outre invité à rendre publiques les présentes constatations et à les faire diffuser largement dans toutes ses langues officielles.